Lettre de soutien d’Eben Moglen aux Creative Commons

Classé dans : Communs culturels | 9

Temps de lecture 6 min

image_pdfimage_print

Ramkrsna - CC by-saComme l’APRIL, Wikipédia et bientôt aussi… Framasoft, Creative Commons (alias CC) lance une vaste campagne de soutien. A cette occasion ils ont fait appel à «  quelques grande plumes  » pour appuyer leur propos.

Eben Moglen, que le Framablog apprécie tout particulièrement, s’est exécuté sans se faire prier tant il pense que le mot «  partage  » est un mot fondamental de ce début de siècle.

Il n’oublie pas au passage d’évoquer la controverse qu’il peut y avoir entre les Creative Commons et le logiciel libre (le fameux et récurrent débat sur les clauses non commerciales NC et non dérivables ND qui ne sont pas libres au sens des logiciels libres) mais il est de ceux qui pensent qu’il convient de rassembler toutes les forces quand de l’autre côté on tente justement de limiter, contrôler, voire même détruire le partage.

Correspondance Commune #1  : Eben Moglen

Commoner Letter #1 : Eben Moglen

Eben Moglen – 20 octobre 2008 – CreativeCommons.org
(Traduction Framalang  : Olivier)

L’année dernière nous avons débuté une nouvelle tradition de notre campagne de soutien  : la série Correspondance Commune. Je l’ai déjà dit, mais je persiste et signe  : cette campagne cherche à développer le soutien et à rassembler notre communauté autour de deux points fondamentaux  : l’importance du soutien aux Creative Commons et l’ouverture que permettent nos outils. Au cours des trois mois à venir, cinq membres éminents de la communauté CC vous feront partager leurs raisons de soutenir les CC. Si vous êtes concernés par les CC et les questions d’ouverture et d’accès cette liste est faite pour vous.

Nous aurons cette année le plaisir d’accueillir dans nos lignes Eben Moglen, du Software Freedom Law Center, Renata Avila, Chef du Creative Commons Guatemala Project, Jonathan Coulton, chanteur et auteur-compositeur de chansons qui licencie tout son travail sous CC, Richard Bookman, Maître de conférence de pharmacologie moléculaire et cellulaire à l’université de médecine Miller School de Miami et Jimmy Wales, fondateur de Wikipedia et membre du conseil d’administration de CC.

Nous sommes enchantés que la première lettre de la série soit signée par Eben Moglen[1], Professeur de droit et d’histoire du droit à l’université de Columbia et fondateur, directeur du conseil et président du Software Freedom Law Center.

Logiciel libre et Creative Commons, par Eben Moglen

Après avoir dédié tant d’années de ma vie à la défense du mouvement des logiciels libres j’ai une certaine affinité avec le travail réalisé par Creative Commons et c’est donc un grand honneur d’écrire au nom des CC.

Au 21ème siècle, les logiciels pour ordinateurs sont devenus des outils aussi nécessaires qu’un stylo, de l’encre et du papier, aussi nécessaires que de la craie, de la glaise et des tubes de peinture. Les logiciels sont également aussi indispensables à la distribution des œuvres créatives que les fils de cuivre, l’éclairage et la publicité. Le but du mouvement des logiciels libres est de rendre disponibles des logiciels pour tous les usages, logiciels que chacun serait libre de copier, modifier et redistribuer. En poursuivant ce but les hackers qui créent les logiciels libres ont également rendu possible la culture libre. Technologie et art sont ainsi liés depuis le commencement.

Les bases légales du mouvement des logiciels libres et l’invention fondamentale de Richard Stallman qu’est le copyleft sont à la base de la conception "Partage des Conditions Initiales à l’Identique" Share Alike qui est si importante pour le futur des Creative Commons. Des millions d’écrivains, de photographes, de chercheurs, de musiciens, de wikipédiens, de hackers, de professeurs et tous les autres travaillent allègrement et librement en commun, nourris par le principe du partage. Tout commence avec l’intuition géniale de Larry Lessig  : comment adapter la philosophie du partage développée par Richard Stallman a la culture au-delà de la production de logiciels  ? Les idées de Larry ont allumé le phrase des Creative Commons, un phare que les créatifs du monde entier ont rallié, ils se sont rassemblés pour modifier le droit d’auteur et en faire un outil de partage.

Ces mêmes principes sont toujours au cœur de ces deux mouvements et chaque compromis apporte, et c’est naturel, son lot de controverse. Je comprends tout à fait pourquoi, pour ceux aux yeux de qui les principes de liberté sont toujours la première et la seule priorité, les Creative Commons semblent une grande, et peut-être trop vaste, collection de modèles de licences et d’approches du sujet de la culture libre. Pour moi, cette diversité de visions et d’intentions a toujours été à mettre au crédit des Creative Commons  : par définition leur contour, leurs grandes lignes doivent être aussi larges et indistinctes que l’inspiration créatrice humaine qui est sans limite. Et pourtant, malgré toutes ces différences d’opinion, un engagement central subsiste, inébranlable  : la prise de conscience de l’importance primordiale du droit de toutes les formes de culture au partage.

Dans un futur proche notre coopération sera nécessaire sur un grand nombre de sujets. Toute personne familière avec le Web réalise, par exemple, que les contenus audio et vidéo doivent être mieux intégrés dans leur construction et leur utilisation. L’immense flot de créativité qui ne demande qu’à se développer dépendra de la libération des technologies multimédia face aux chaînes qui lui sont imposées par le système des brevets. En effet des dizaines d’entreprises prétendent "posséder" différents morceaux de la technologie de diffusion numérique de contenu audiovisuel en ligne. La jungle de restrictions de licence qu’ils imposent sur leurs différentes "inventions brevetées" est en grande partie responsable des incompatibilités, des plugins qu’il vous faut télécharger et qui ne fonctionnent que parfois sur certains systèmes et aussi des restrictions des possibilités magnifiques, utiles, belles et qui donnent matière à réflexion.

Le Web s’est magistralement développé grâce aux logiciels libres et à l’activité culturelle libre, il nous permet de partager et c’est grâce au partage qu’il est devenu ce qu’il est. Mais si nous voulons accomplir ne serait-ce qu’un pas de plus dans notre nouvelle aventure humaine qu’est l’espace Web nous devons nous assurer que la liberté n’est pas écrasée par les entreprises des médias qui s’arment de brevet pour empêcher le futur.

Œuvrer pour la libération des codecs et autres logiciels multimédias n’est qu’un exemple des efforts qu’il nous faudra consentir ensemble pour assurer la liberté du partage. Apporter mon soutien aux Creative Commons n’est pas seulement quelque chose que je ressens comme une nécessité, c’est quelque chose que nous devons tous faire. J’espère que vous vous joindrez à moi dans notre soutien des Creative Commons par vos dons, votre énergie et votre puissance créative. Rien ne nous est impossible si nous partageons.

Notes

[1] Crédit photo  : Ramkrsna(Creative Commons By-Sa)

9 Responses

  1. Mathieu Stumpf

    Il y a un phénomène qui à tendance à m’agacer avec les creative commons c’est les phrases du type «Jonathan Coulton, chanteur et auteur-compositeur de chansons qui licencie tout son travail sous CC».

    Si vous voulez jeter une partie du nom de la licence, jetez «CC». C’est comme si je disais que je publie un logiciel sous licence GNU en utilisant la GFDL avec section invariante sur l’ensemble du code.

    Je ne vois personne faire ça avec les licences GNU, pourquoi le faire constamment avec les licences CC ?

  2. Mathieu Stumpf

    Bon, je voulais participer sur leur liste de diffusion mais en fait elle n’est pas ouverte aux envoies. Je suis un peu agacé d’avoir perdu du temps à écrire une lettre assez longue en anglais pour me voir refusé la diffusion de celui-ci sur la liste. Mais bon c’est ma faute la prochaine fois je vérifierais avant si on peut poster. Il faudrait modifier l’article pour éviter à d’autres pauvres bougres de connaître la même mésaventure.

    Sinon, je suis allé voir le site de Jonathan Coulton, qui non content de ne proposer d’écouter des extraits de ses chansons uniquement à travers un binaire flash qui ne fonctionne pas avec gnash, nous gratifie d’un «Already Stole It?». Il faut sans doute comprendre par «Vous avez déjà Volé ma musique ?», si je ne me trompe pas. Ses morceaux sont sous by-nc, interdiction donc de les jouer dans des concerts, ce qui est moyen pour l’encouragement à la "créativité commune".

  3. Philippe-Charles Nestel (Charlie)

    Réponse à Mathieu Stumpf,

    Si certaines formes de la licence Creative Commons font l’objet d’un débat, notamment les clauses non commerciales qui peuvent limiter l’émergence de nouveaux modèles économiques fondés sur les cultures libres, je partage le point de vue d’Eben Moglen : "il convient de rassembler toutes les forces quand de l’autre côté on tente justement de limiter, contrôler, voire même détruire le partage".

    L’école se trouve confrontée à une double problématique numérique :

    – le statut des logiciels, avec les conséquences informatiques qui en découlent en termes d’intéropérabilité et de formats de fichiers ;

    – l’accès aux ressources et leur partage, indispensables dans l’enseignement (de la simple image au lien hypertexte, en passant par la libre circulation de l’information scientifique et technique),

    Les communautés éducatives libres ne peuvent donc pas séparer les enjeux qui touchent aux logiciels libres, des enjeux qui touchent à la libre documentation.

    Pour autant, si le logiciel libre, qu’il soit éducatif ou pas, se définit clairement par les quatres degrés de liberté ; il en est tout autrement de la libre documentation.

    Une licence ne se définit pas sur des critères idéologiques mais sur une pratique sociale, dans son contexte d’accomplissement. Ici : l’enseignement.

    Toutes les licences qui autorisent le libre accès aux documents, leur libre diffusion, constituent déjà un pas en avant.
    La Licence Art Libre dont tu fais la promotion, m’interpelle philosophiquement, pour autant elle ne m’est, dans ma pratique quotidienne d’enseignant, pas plus utile que la Gnu Free Documentation License, certaines Creatives Commons, et même de simples notices Verbatim.

    Pour autant, si la problématique que tu soulèves à propos de la musique de Jonathan Coulton (que je ne connais pas) est vraie, si cette version de la Creative Commons utilisée – by-nc -, devait interdire toute représentation publique d’une oeuvre musicale, on serait donc dans un cas semblable à la mésaventure survenue dans une école primaire du Morbihan.
    On se souvient de l’amende infligée par la Sacem parce qu’un groupe d’enfants interpréta spontanément "Adieu monsieur le professeur" lors d’une fête de fin d’année.
    http://www.maitre-eolas.fr/2006/07/

    Il n’en demeure pas moins que l’enjeu de la libre documentation est pour nous fondamental.

    Cordialement Charlie

  4. Mathieu Stumpf

    Certes l’accès gratuit à la connaissance et la culture pour tous, ce serait déjà un grand pas, c’est certain.

    Mais pourquoi employer le mot libre là ou le mot gratuit est bien plus pertinent ?

    Car si en passant à du gratuit pour tous on se débarrasse des sociétés de racket organisé comme la SACEM, on reste néanmoins dans un esprit de consumérisme. Il n’y a là nul réel encouragement à l’expression de sa créativité et à l’entraide.

    Pour la problématique que je soulevais sur la by-nc, je ne dis pas qu’une utilisation public est proscrite. Simplement faire un concert, ou même chanter dans la rue avec un petit panier pour accueillir des dons, cela est effectivement interdit. Personnellement, je préfère apprendre des chansons dont les auteurs ne m’interdisent pas ce genres de pratiques.

    Il faut savoir quel genre de monde on a envie d’aider à bâtir.

    S’il s’agit de rester dans la même logique ou le public n’est qu’une "vulgaire" masse de consommateurs qui se doit d’aduler un nombre restreint d’individus seuls à pouvoir se prétendre auteurs, alors très bien, la licence verbatim ou nc-nd fera l’affaire.

    Si on veut que le public soit acteur de son monde et source de diversité culturelle, alors il nous faut des licences libres. On ne peut pas d’un coté blâmer le public d’être un troupeau de mouton et de l’autre ne pas s’efforcer de lui donner les moyens d’être plus que cela.

    Amicalement,
    Mathieu Stumpf.

  5. Philippe-Charles Nestel (Charlie)

    Salut,

    Tu me rassures. L’utilisation publique de la by-nc n’est donc pas proscrite 🙂

    Si, en ce qui me concerne, je ne considère pas les licences Creatives Commons portant la mention "Pas d’Utilisation Commerciale" comme des licences de libre documentation satisfaisantes, la gratuité n’est pas pour autant un gros mot.

    Ce n’est pas parce que "libre" ne veut pas dire "gratuit" que la communauté éducative du libre ne s’inscrit pas dans la défense de l’école publique, laïque et gratuite.

    Nos amis de l’art libre ne doivent donc pas se tromper de débat.

    Amicalement,
    Charlie

  6. Sucrepop

    Etonnant comme la mention by-nc soulève toujours moultes objections. Je rappelle à toutes fins utiles puisque c’est souvent occulté, que cette interdiction d’utilisation commerciale peut être levée sur simple demande, et accord, du titulaire des droits. Personnellement, j’ai toujours accepté que mes chansons soient utilisées quand on prenait la peine de m’expliquer pourquoi.

  7. Mathieu Stumpf

    @Philippe-Charles Nestel (Charlie)
    La gratuité n’est certes pas un gros mot, mais il ne soutien pas non plus de cause éthique en lui même.

    Elle est même, malheureusement, souvent employé comme moyen intéressé pour persuader son prochain de se mettre dans une situation défavorable, sans qu’il s’en aperçoive.

    Ça ne veut pas dire que la gratuité est nécessairement associé à de tels faits, bien entendu.

    Pour ce qui est de l’école laïque et gratuite, je ne vois pas le rapport avec le billet, donc pourquoi me reprocher de me tromper de débat. Mes commentaires me semble être pertinent par rapport au billet, non ?

    @sucrepop
    Pourquoi trouves-tu cela étonnant ? Les licences nc et nd sèment la confusion sur la notion de la culture libre. Je pense que cela en affaibli les valeurs si on ne prends pas garde à bien expliquer les différences fondamentales qu’elles ont avec une licence libre.

    L’argument de la levé de de clauses est tout aussi valable pour n’importe quel œuvre sous droit d’auteur stricte.

    Et pour formuler une telle demande, il faudrait déjà vivre dans un monde dépourvu du syndrome de l’île déserte.

    Pour avoir fait pas mal de tentatives de contacts avec des artistes ces derniers mois, je peux te dire que trouver quelqu’un pour te répondre en face est plus du domaine de l’exception que la règle général.

    De plus, vous vous voyez devoir demander l’autorisation à chacune des personnes qui ont contribué à votre logiciel de courrier électronique avant chacune de vos utilisation ? Et si le sujet du mail ne plaît pas à l’un des contributeurs, vous n’auriez pas le droit de l’envoyer avec ce logiciel. C’est la même chose que tu proposes ici.

    Le libre c’est tendre vers une égalité entre auteurs et public. Tant que le public est dépendant du bon vouloir des auteurs, ce n’est pas du libre. Tout au moins, ça ne correspond pas à l’idée que je m’en fais.

    Amicalement.

  8. Philippe-Charles Nestel (Charlie)

    @Mathieu Stumpf

    Bonjour Mathieu,

    Avant l’émergence des hypertextes rendus possibles par les ordinateurs en réseaux, Julia Kristeva avait élaboré une théorie de l’intertextualité.

    Les articles d’ un blog participent par leurs interactions textuelles à cette "’intertextualité".
    Le texte d’Eben Moglen prend donc ici une autre signification si on le lit dans un contexte " intertextuel" éducatif.

    Les enjeux qui se posent aux cultures libres, à leurs modèles économiques, ne sont pas pour moins importants, mais différents. Les deux aspects sont pourtant liés.

    Comment te dire ?

    Quand je viens sur le Framablog, c’est avant tout en tant qu’enseignant.

    La promotion des licences de libre documentation est pour la pérennité de l’école, à l’ère du numérique un enjeu stratégique.

    Et dans ce contexte, toutes les licences qui autorisent l’accès et le partage des ressources sont bénéfiques.

    Si je change de contexte, et me place du point de vue des modèles économiques nécessaires au déploiement des cultures libres, je suis en grande partie d’accord avec toi.

    Ne pourrais-tu pas, toi auss, accepter de prendre en compte cette complexité ?

    Amicalement Charlie

  9. Mathieu Stumpf

    Je comprends ton point de vue, mais de même je peux voir le texte de Eben Moglen comme un texte "intertextuel" par rapport à la culture libre. Et le texte prend donc un autre sens avec un contexte plus global que celui du "seul" point de vue éducatif. Il semble d’ailleurs que nous soyons d’accord à ce sujet.

    Je ne suis pas enseignant, aussi je ne viens tout logiquement pas sur le Framablog en tant que tel. 🙂