Brève de comptoir sur le logiciel libre et la crise des subprimes

Classé dans : Mouvement libriste | 11

Temps de lecture 3 min

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Saad Akhtar - CC byL’autre jour, je passe furtivement devant un écran de télévision et tombe sur une scène du film Witness où un Harrison Ford des beaux jours s’associe à toute la communauté Amish pour faire sortir de terre une grosse grange en bois le tout en une seule petite journée.

Ce n’était que du cinéma mais qui correspondait à une vieille tradition agricole connue sous le nom de barn raising. Le challenge est de construire collectivement, et dans un temps limité, un édifice en impliquant tous les membres d’une communauté (les hommes au charbon, les spécialistes aux tâches critiques, les vieux à la direction des opérations, les femmes au ravitaillement, et les jeunes qui regardent en prenant de la graine pour le futur). Le fruit de cette réalisation pouvant bénéficier à l’un des membres de la communauté (tels de jeunes mariés) ou à l’ensemble de la communauté (hangar, école, four à pain, etc.).

De retour à la maison, recherche sur le net… Et voici l’extrait sous vos yeux ébahis (et vos oreilles germanophones). Pratique, soit dit en passant, les Youtuberies & co, quand bien même on soit très souvent border line en ce qui concerne le copyright  :

Au final, on se retrouve donc avec une maison créée en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Certes, si on veut l’eau, le gaz ou l’électricité c’est un peu plus compliqué dans la pratique mais le principe coopératif est là, tout comme l’esprit festif et le sentiment de savoir pourquoi l’on travaille.

Ci-joint également une autre illustration vidéo, prise dans la vraie vie cette fois et en 2007, histoire de témoigner du fait que tout ceci n’a pas complètement disparu  :

Prenez maintenant l’origine de la crise des subprimes, c’est-à-dire rien moins que l’origine de la crise actuelle qui a vu s’évaporer des centaines de milliards de dollars. Il s’agissait également au départ de maisons et du désir légitime de posséder un toit pour des millions d’américains à faible revenu.

Sauf qu’ici  :

  • Vous êtes tout seul[1]
  • Enfin pas tout à fait seul puisqu’il y a votre banquier
  • Votre banquier ne fait pas preuve de la même empathie à votre égard que la communauté Amish
  • Votre maison n’a pas été bâtie pour vous à plusieurs mains sur un air de fête, sachant que vous-même aviez contribué à bâtir plein d’autres maisons pour les autres
  • Ce n’est pas la maison «  en 24h chrono  » mais la maison «  en plusieurs dizaines d’années d’endettement chrono  »
  • Vous risquez d’être bientôt à la rue car expulsé de votre maison insolvable et impayée

Bon, où est-ce que je veux en venir… Ah oui, j’avais promis une brève de comptoir dans le titre alors la voici  : Dans un monde où les valeurs du logiciel libre seraient davantage partagées, l’immobilier serait assurément plus amish et moins subprimes.

Délire d’une fin d’année trop arrosée ou petit fond de vérité  ?

Notes

[1] Crédit photo  : Saad Akhtar (Creative Commons By)

11 Responses

  1. VinceDeg

    Hop hop : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cooper… . Le trip de la coopérative, ça va pas mal dans le sens de ton rêve de d’avantage de sens de la communauté, non ? Oui, moi aussi je me prends parfois à rêver d’un monde ou chaque entreprise serait une coopérative, servant au mieux les intérêts de ses travailleurs, clients, fournisseurs, puisque les décisions et les actions résulteraient d’une collaboration entre eux…

    Et là revient comme un boomerang le bon vieux débat : "le libre est-il communiste". Et moi je dis, bah doit bien y avoir un fond de vérité dans tout ça ma bonne dame, y’a pas de fumée sans feu. Soit dit en passant, il me semble que notre bon vieux Marx aurait été beaucoup plus fana d’une méthode souple de gouvernance dans le style logiciel libre/nuage de coopératives que de la rigidité centralisatrice du léninisme. Mais passons donc.

    Un reproche que se mange depuis toujours les coops et assoces et autres initiatives à bons sentiments, c’est que c’est moins "efficace" que si chacun cherche à maximiser son profit. Genre là, c’est bien joli ta communauté amish, mais chuis sûr qu’en temps cumulé de travail, des maçons pro travaillant pour la thune auraient été plus rapides; et du coup le temps gagné par les autres membres de la communauté aurait pu être utilisé plus intelligemment à boursicoter sur internet (ironie inside this post). Or, ce que j’adore dans le logiciel libre, c’est que justement, c’est un cas où des principes bisounours de collaboration amènent à être plus efficaces et à faire de meilleurs produits – tout en restant bisounours.

    Ouh, tiens, tout ça me fait penser à la minga Chilote pour terminer ce commentaire par une pointe d’exotisme. Chiloe, c’est une île dans le sud du Chili qui a très longtemps été isolée et qui a développé sa propre culture, entre les descendants des indiens et des espagnols, vous imaginez pas les légendes qu’ils ont (bateaux fantômes & co). Bref, les habitants y ont développé une coutume de la collaboration appellée "minga", qui rappelle étrangement ton barn raising des Amish. Je cite http://fr.wikipedia.org/wiki/Minga_…) : "Une minga également appelée minka (en langue quechua) ou minca ou encore mingaco, est une tradition sud-américaine de travail collectif à des fins sociales.

    D’origine précolombienne, cette tradition met le travail commun au service d’une communauté, d’un village ou d’une famille, à des moments déterminés où un effort important est nécessaire : récoltes agricoles, constructions de bâtiments publics, déménagements…"

    La plus impressionante des mingas est celle du déménagement de maison : pourquoi changer de maison quand il suffit de bouger celle qui existe déjà ? Photo : http://www.flickr.com/photos/316093

  2. Mysanthropian

    Il ne faut pas "déconner" non plus, les choses ne sont pas si simple. D’abord parce que le logiciel libre reconnait la propriété et que les subprimes devait permettre l’accès la propriété. En fait, la crise actuel ne vient pas des subprimes mais des pratiques bancaires. Faire un prêt à quelqu’un cela regarde une banque, mais quand cette banque s’inspire des Fonds d’investissement pour ensuite vendre sa dette, là on assiste au commencement du problème.

    Et comme tous veulent s’enrichir un petit peu et profiter d’un luxe plus ou moins modéré, plus ou moins affiché, et que la plus part des gens ne savent pas compter (sympa OOo Calc, encore faut il savoir s’en servir ! hein les petits loups !) et bien on se retrouve dans notre situation après 15 ans de pénétration et d’accroissement du marché de la dette.

    Évitons les sous entendus "politiques" sur la philosophie du libre, parce que cela risquerait sans doute de créer des polémiques, vous ne pensez pas ?

  3. Zil

    Salut,
    rien à voir avec l’article mais bravo pour l’article dans wikipédia
    n’était-ce pas un "rêve d’enfance…"?

  4. (fs)1

    Salut,

    En france et dans des régions très localisées ont existé des communautés rurales "taisibles" (dérivé de "tacite") jusqu’au début début de 20e siècle bien qu’elles aient été officiellement supprimées au siècle précédent.

    En très gros traits, à l’intérieur de la communauté, ils partageaient tout mais à l’extérieur, ils participaient à des échanges commerciaux. La terre en tant que propriété foncière restait la propriété de celui ou celle à qui elle appartenait mais les fruits de sa production ainsi que son travail étaient partagés de manière égalitaire entre les membres de la communauté. Les premières communautés sont apparues dans le but de récupérer les terres en cas de décès de l’exploitant d’une terre laquelle retournait au seigneur systématiquement. En déclarant que la terre appartenait tacitement à la communauté, on empêchait la réappropriation de celle-ci par le seigneur du coin lequel se retrouvait coincé… et ne savait que faire si ce n’est accepter ce principe.

    Il ne faut jamais oublier que dans l’histoire il y a eu beaucoup beaucoup d’expériences de ce genre souvent inconnues, d’autres très peu connues et quelques unes qui se sont transformées en expérience politique.

    Pourquoi ne pas parler aussi de l’école mutuelle ? Autre fameuse expérience dont le but était de ne pas apprendre aux plus pauvres (un professeur pour une centaine d’élèves). Pourquoi ce principe d’enseignement a été interdit ? Le résultat obtenu était à l’opposé de celui escompté. La méthode utilisée se basait sur la mutualisation des savoirs. Le professeur apprenait aux plus dégourdis lesquels, en retour, apprenaient aux autres et ainsi de suite. Avec ce principe, les programmes qui devaient durer deux ans (en moyenne) duraient six mois. Mais vu le succès de ce principe éducatif, les autorités décidèrent d’interdire ce principe éducatif.

    Peut-être qu’il faudrait retourner à l’envers le problème et considérer nos méthodes actuelles liées à l’individualisme qui rejette l’esprit de communauté comme quelque chose n’allant pas de soi ou, tout au moins, dès qu’elles apparaissent avec une forme un peu trop élitiste l’esprit de partage et de communauté réapparait en réponse.

    Bon ce sont des idées jetées un lendemain de réveillon, le truc serait à creuser. Mais l’interaction entre les deux serait intéressante à étudier.

  5. Mysanthropian

    Salut (fs)1,

    Nombreuses propositions ici sont tout à fait pertinentes, mais j’aimerais ajouter ma propre réflexion à ta dernière remarque. Les communautés engendrent nécessairement une forme d’élitisme puisque l’ordre établi au sein même de ces communautés considèrent les hommes et femmes selon un mérite propre : l’intelligence, l’age, l’expérience… On ne pourra jamais vraiment empêcher l’élitisme. Mais une forme où l’élite se compose d’un ensemble de courant d’élites pourrait être positif, en cela je suis d’accord avec ces propos.

    L’interrogation fondamentale devrait se porter sur l’institutionnalisation de l’élite. Le gros problème reste en fait la fédération ou la centralisation ? Nous sommes dans une approche, de nos jours, où la centralisation est excessive et nous nous interrogeons sur l’éventualité de basculer en fédération. Le libre, et sa philosophie, sont fondamentalement libérales (selon moi) sur le plan philosophique, éthique et physique. Et le libéralisme exècre la centralisation, respecte l’indépendance et la propriété. N’est ce pas un peu ce que revendique le logiciel libre et ce que fini par apporter internet ?

    En vous souhaitant à tous une très bonne année 2009 !

  6. (fs)1

    @ mysanthropian,

    Reprenons l’exemple du début d’aka. Une communauté construit une maison. Le but de la communauté en construisant la maison n’est pas de dire : c’est la communauté amish qui construit des maisons, ils ont un savoir-faire et vous pouvez leur faire confiance. Non le but est ailleurs tout comme la cathédrale de chartres, par exemple, personne ne sait qui la construite (au pire, on dira ce sont les bâtisseurs de cathédrale) mais comme chaque oeuvre devrait être elle n’est pas signée, il n’y a pas de nom ou de référent parce qu’elle sert un autre but que de savoir qui l’a fabriquée.

    Effectivement il peut y avoir une élite qui se construit, par exemple, en organisant un certain savoir-faire afin d’obtenir un résultat précis (une maison, une cathédrale) mais dans quel but ? Toute la question est là ? Pour dire : c’est une partie de la communauté amish qui sait construire une maison ou cette maison a été construite et sert à des personnes qui peuvent y habiter ? Les deux sont possibles mais chaque choix a une conséquence précise.

  7. Mysanthropian

    Allons plus loin, si l’élite actuelle n’est pas l’élite dont je parlais, ce qui est le cas, alors les motivations de l’élite engendrée par l’interaction des communautés seront toute autre. Cela peut sembler flou, mais c’est peut être une recherche d’équilibre au fond qui dominera. Je cherche encore à affiner cette anticipation, mais le facteur qui valide en majorité cette théorie est la transparence des communautés.

    Le nom n’a pas d’importance, la propriété ne se rattache pas nécessairement au nom mais à l’usage qui est fait de la chose constituée, comme tu l’indiques dans ton précédent message. La liberté d’être propriétaire c’est la liberté de construire, déconstruire, modifier… bref, toute la liberté du logiciel libre. La question sur "qui a fait quoi" n’a aucune importance, comme tu le dis, et elle n’aura aucune importance pour l’élite dont je parle. Parce qu’au fond, c’est peut être quelque chose de naturel qui se produit.

    En discutant avec un ami journaliste, nous nous sommes rendu compte que l’internet permettait l’émergence d’une forme de conscience unique qui respecte pour autant l’indépendance et l’individu en son entier (fusionner les opposés… a t on déjà réalisé pareil travaux par le passé ?). Et nous en sommes même venu à penser que, soit internet allait inventer Dieu, soit confirmer son existence (suivant les convictions personnels de chacun et pour ne pas créer de polémique touchant au religieux…). Dans tous les cas, quelque chose est en train de se produire qui impacte directement tout l’existant.

    Et c’est cette finalité qui a du poids : tout ce qui est matière n’appartient pas à un mais à tous, la propriété n’est pas déterminée selon le nom mais selon un équilibre naturel et une forme nouvelle de respect (plus naturel que traditionnel). Nous sommes nombreux à nous intéresser à ce qui est en train de se produire… je pense que la réflexion n’en est qu’à son commencement. Je terminerais en disant une chose que je crois : le millénaire qui s’est achevé il y a une dizaine d’années appartenait au matérialisme, nous commençons une nouvelle ère où l’esprit est l’élément pré-éminent. Qu’en pensez vous ?

  8. manu

    J’avais déjà posté le lien sur le dernier texte d’André Gorz suite à un billet de juin dernier sur ce même blog. Mais puisque le lien posté n’est plus le bon et que la discussion ici s’y prête, je me permets de vous inviter à nouveau à lire cet article : http://ecorev.org/spip.php?article6
    Par ailleurs, la lecture de "L’immatériel" devrait intéresser une bonne partie d’entre vous (note de lecture sur ce bouquin : http://multitudes.samizdat.net/L-im…).

    manu.

  9. uju

    ce n’est pas la première fois que je le remarque et je suis ému à chaque fois qu’un libriste découvre que la liberté et la solidarité (aka "les valeurs du logiciels libres") ont existé ailleurs que dans le logiciel… c’est trop mignon.
    c’est beau de voir des jeunes s’ouvrir à la politique (kakabeurk). Manque un peu de culture (les coopératives ont existé avant le communisme) mais c’est un début solide basé sur des pratiques concrètes. Continuez et vous allez finir par trouver Proudhon génial. (lisez-le, mais seulement lorsque vous aurez vérifié et prouvé par vos pratiques que ses idées sont les plus justes sur la production dans un contexte pré/post-industriel)

    Je rappelle que si nombre d’anarchistes (dont bakounine himself) se réclament de lui, le mouvement anarchiste n’existait pas de son vivant. Sa phrase "la propriété c’est le vol", si elle pète bien, est un mince raccourci de sa riche réflexion sur le sujet. Il n’était pas du tout opposé à la propriété privée domestique (maison, potager, femme*…) mais était opposé à la propriété privée des moyens de productions. Sa réflexion sur le droit d’auteur pourrait aussi intéresser.
    Marx a écrit un livre spécialement contre Proudhon : Misère de la philosophie (qui répond à Philosophie de la misère).

    *humour sur le sexisme patriarcal bien connu de la bête (qui peut aussi tenir des propos antisémites, attention)

    P.S. : attention, commentaire rédigé sans googling ni wiki-références, ne faites pas de copié-collé sans vérifications : j’aurais par exemple pu inversé les titres des livres de marx et de proudhon…

  10. subprimes

    Crise des subrimes : une explication simple pour ceux qui essaient encore de comprendre.
    (inspiré d’un blog)

    Alors voilà,

    Me Ginette a une buvette à Bertancourt, dans le Nord (ch’ti).

    Pour augmenter ses ventes, elle décide de faire crédit à ses très fidèles clients, tous "alcoolo", et tous au chômage de longue durée.

    Vu qu’elle vend à crédit, Me Ginette voit augmenter sa fréquentation et,
    en plus, elle peut même augmenter un peu les prix de base du "calva"
    et du ballon de rouge.

    Ses créances deviennent assez importantes, mais elle tient (toujours/encore)

    Max, jeune et dynamique directeur de l’agence bancaire locale, quant à lui,
    pense que les "créances" du troquet constituent, après tout, des actifs recouvrables, et commence à faire crédit à Me Ginette
    (il ignore ou pas qu’il a des dettes d’ivrognes comme garantie).

    Au siège de la Banque, des "Traders" avisés transforment ces actifs recouvrables en CDO, CMO, SICAV, SAMU, OVNI, SOS et autres sigles financiers que nul n’est capable de comprendre, non sans expliquer que ces "actifs"
    ont en réalité, 10 fois leur valeur annoncée : c’est sans danger..
    La Banque récolte ainsi (n) fois la créance de Me. Ginette.

    Ces instruments financiers servent ensuite de levier au marché actionnaire et conduisent, au NYSE, à la City de Londres, au Bourses de Francfort et de Paris, etc., à des opérations de dérivés dont les garanties sont totalement inconnues de tous, mais sur-côtées à chaque transaction (les ardoises des "alcoolo" de Me Ginette).

    Ces "dérivés" sont alors négociés pendant des années comme s’il s’agissait de titres très solides et sérieux sur les marchés financiers de plus de 80 pays.

    Jusqu’au jour où quelqu’un se rend compte que les "alcoolo" du troquet de Bertancourt n’ont pas un rond pour payer leurs dettes ..

    La buvette de Me Ginette fait faillite,
    Max a été viré, les "traders" ne sont pas inquiétés,
    pas plus que le grands "pontes" de la Banque.

    Maintenant je lance le jeu de piste :

    OU EST PASSE LE POGNON ?
    le premier qui trouve a gagné !