Cloud computing, logiciel libre et service public

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Temps de lecture 8 min

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Per Ola Wiberg - CC byEn ce début d’investiture Obama, de nombreux internautes expriment souhaits et desiderata à la nouvelle administration.

Le vœu de William Hurley a retenu notre attention. «  Je suggère que vous créiez un cloud computing financé par l’État, mis à la disposition des facultés et des universités  », nous dit-il. Nous n’en saurons pas vraiment plus car il n’est pas entré dans les détails mais nous avons néanmoins saisi la perche pour en faire un billet où nous pourrions nous interroger ensemble sur les relations entre l‘informatique dans les nuages, le logiciel libre et un éventuel rôle de la puissance publique.

Placer nos données personnelles, nos fichiers, nos liens, etc. sur le Grand Internet présente en effet de nombreux avantages pratiques à l’heure où l’on peut «  quasiment  » se connecter partout tout le temps. Mais ce n’est pas sans poser quelques questions pour ne pas dire quelques problèmes. Je pense par exemple à la mésaventure récente de ce pauvre Marc L***[1] que l’on pouvait suivre au jour le jour à la trace via Facebook et consorts. Je pense également à notre récent billet La tête dans les nuages mais les pieds sur terre. Je pense enfin à la toile tissée méthodiquement par Google avec tous ses services en ligne (Gmail, Reader, Maps, Earth, Picasa, Calendar, Docs, YouTube…) que nous sommes nombreux à utiliser au quotidien.

Et puisqu’il est question d’éducation supérieure et d’université[2], je dois bien vous avouer que, l’année dernière, lorsqu’il a été question de créer en deux-trois coups de cuillère à pot des adresses de messagerie (avec ou sans chat) pour tous les enseignants et étudiants de mon établissement scolaire, de se doter d’agendas partagés et d’une suite bureautique en ligne (fichiers tableurs et traitements de texte potentiellement accessibles en lecture écriture, selon les droits, à toute la communauté, et disponibles au format ODF), je me suis tourné vers… Google Apps Education sans avoir «  malheureusement  » à le regretter.

En tant que responsable TICE de mon lycée J’ai donc osé confier les données de mes élèves à Google  ! Est-ce grave docteur  ? Oui ça l’est  ! J’en ai bien conscience et je compte bien un jour me soigner (quand bien même Google n’affiche bien entendu pas de publicités pour ce service spécifique au monde éducatif). Il faut tout de même dire, à ma décharge, que par rapport à ma problématique et à mes besoins (temps limité, budget nul et situation particulière d’un lycée à l’étranger) je ne pouvais raisonnablement pas m’appuyer sur un quelconque Espace Numérique de Travail (ENT) dont je doute de plus en plus de leur pertinence et efficience à mesure que le temps passe (surtout si l’on continue à s’obstiner à les développer académie par académie).

Les partisans du logiciel libre peuvent sensibiliser sur les risques encourus à confier nos documents et informations numériques à des services en ligne «  gratuits  » proposés par des sociétés commerciales «  web 2.0  » qui n’offrent pas de garanties sur l’avenir et sont souvent opaques au niveau de nos droits et des formats. Ils peuvent pousser à ce que des licences plus adaptées et plus transparentes soient adoptées (telle la licence AGPL). Mais, contrairement à un Microsoft où il «  suffisait  » de proposer des alternatives logicielles libres, ils ne peuvent absolument pas concurrencer un Google sur son terrain, c’est-à-dire justement le cloud computing, qui nécessite des investissements très très lourds ne serait-ce que pour pour installer et maintenir les batteries de serveurs disséminés un peu partout sur le réseau. Et alors je crois effectivement que le politique et le secteur public (national ou supra-national) peuvent nous être d’un grand secours pour modifier la donne (si tant est que l’on juge que la donne mérite modification).

C’est certainement l’alliance «  logiciel libre + secteur public  » qui pourra faire en sorte de ne pas laisser le champ libre aux seules sociétés privées. Ne privatisons pas la totalité du cloud computing (surtout dans le domaine éducatif), voilà par extrapolation, le sujet du billet du jour. Un peu comme ce qu’a voulu faire le projet de bibliothèque numérique européenne Europeana pour contrarier Google Books avec pour le moment le succès que l’on sait

L’enseignement supérieur a besoin d’un nuage informatique national

Higher education needs a national computing cloud

William Hurley – 26 janvier 2009 – InfoWorld
(Traduction Framalang  : Don Rico)

Le cloud computing (ou informatique dématérialisée ou informatique dans les nuages), est vital pour l’avenir de l’enseignement supérieur aux États-Unis, et j’invite le Président Obama à agir

Le 26 janvier 2009
M. le Président Barack Obama
La Maison Blanche
Washington, DC 20500-0001

M. le Président,

Je tiens à vous adresser mes plus sincères félicitations, Monsieur, pour votre récente investiture à la fonction de 44ème Président des États-Unis d’Amérique. Votre victoire est la preuve de la grandeur de notre démocratie, mais aussi de la capacité de transformation de cette même démocratie. Comme des millions de mes semblables du monde entier, j’ai regardé avec une grande fierté votre prestation de serment, lors de laquelle vous êtes devenu un exemple vivant de l’impact que peut avoir un seul citoyen américain.

Vous avez déclaré «  Le monde change, et nous devons changer avec lui  ». Je suis on ne peut plus d’accord, M. le Président, et je crois que la politique que mènera votre administration sera une fontaine d’innovation. Je sais que le vice-président et vous êtes profondément favorables au développement des initiatives de recherche dans les instituts d’enseignement supérieur qui sont au cœur de l’innovation américaine. Pour ces instituts, l’avenir est déjà là. Mais, comme l’a écrit William Gibson «  il n’est pas encore tout à fait équitablement réparti  ».

Nous avons laissé le coût de la technologie entraver notre capacité à innover. Les chercheurs ne sont plus limités par le manque d’idées ou de connaissances, mais plutôt par les moyens informatiques nécessaires pour conduire des expériences et en analyser les résultats.

Je suggère donc que vous créiez un cloud computing financé par l’État, mis à la disposition des facultés et des universités. Une telle ressource aurait le mérite de niveler le terrain universitaire. Les chercheurs qui travaillent d’arrache-pied dans des milliers d’instituts de taille modeste auraient alors accès à une puissance informatique qui n’est pour l’instant accessible qu’à une poignée de privilégiés. Il nous est impossible de prédire d’où viendra la prochaine grande innovation, mais des ressources informatiques dématérialisées publiques amélioreraient de façon extraordinaire nos moyens de coopérer et d’innover au niveau national.

Les grandes avancées technologiques et sociales peuvent se produire presque simultanément. En septembre 1962, un jeune chercheur publiait ce qui donnerait naissance aux plus grandes avancées technologiques de notre temps, et au même moment, un autre jeune homme originaire de Kosciusko, dans le Missouri, amorçait un itinéraire personnel qui aboutirait à un moment charnière dans la lutte pour les droits civiques. D’aucuns peuvent y voir une coïncidence, mais en ce qui me concerne j’y vois la providence. Les recommandations de Paul Baran en faveur d’une structure nationale publique destinée à transporter des données informatiques et l’entrée de James Meredith à l’université du Mississipi ont, du point de vue technologique et social, changé les États-Unis en profondeur.

Votre administration, par sa connaissance des nouvelles technologies, tient l’occasion d’accomplir un autre grand bond en avant. On ne peut comparer ma lettre à l’article de Baran, mais j’espère suggérer cette idée au moment opportun. Une idée trop en avance sur son temps a aussi peu de valeur qu’une idée avancée après que des engagements ont déjà été pris. J’espère donc attirer votre attention maintenant, avant que vos projets de réformes pour l’éducation aient été élaborés, et tant qu’il reste du temps pour prévoir le financement d’un cloud computing ayant le potentiel de transformer des chercheurs dispersés et inégaux en une locomotive d’innovation la plus puissante du monde.

Encore une fois, M. le Président, je tiens à vous féliciter, votre équipe et vous, pour votre victoire grandiose acquise grâce aux nouvelles technologies, ainsi que pour votre investiture inattendue, exaltante et triomphante.

Notes

[1] J’en profite pour saluer ici le très libre curieux magazine curieux Le Tigre.

[2] Crédit photo  : Per Ola Wiberg (Creative Commons By)

6 Responses

  1. pyg

    <fier-mais-étonné>
    Complètement HS:
    "J’en profite pour saluer ici le très libre curieux magazine curieux Le Tigre." : http://www.le-tigre.net/Ce-site.htm

    Mais …? Ils utilisent le Framaplayer sur leur site !
    Hé bé, pour un truc développé il y a des années et pas touché depuis presque autant de temps, content de voir que ça sert quand même. C’est ça aussi, la magie du libre 🙂
    </fier-mais-étonné>

    Ayant longtemps travaillé pour des services TICE de différentes universités, je ne peux qu’abonder dans le sens d’aKa : les ENT ont raté leur chance d’être un outil pédagogiquement utile pour n’être dans 90% des cas qu’un gadget-qui-coute-cher-et-qui-sert-à-cacher-la-misère.

    X. Darcos vient de promettre une "31 académie virtuelle" :
    http://education.gouv.fr/cid23524/p

    "Enfin, ce programme de travail ne serait pas complet s’il ne faisait pas toute sa place à la question, devenue cruciale, des nouvelles technologies dans la diffusion du savoir à l’école. Au cours des précédents mois, j’ai décidé de déployer de nouveaux outils numériques, en particulier des tableaux blancs interactifs et du matériel de visioconférence."
    Blablabla, cf :
    http://www.framablog.org/index.php/
    et
    http://www.framasoft.net/article478

    "A partir de la rentrée prochaine, nous allons marquer une avancée décisive en créant, au côté des 30 académies physiques qui structure la géographie administrative de mon ministère, une académie en ligne d’un genre nouveau."
    Pourquoi pas ?

    "Elle offrira notamment la possibilité de télécharger librement, gratuitement, l’intégralité des enseignements correspondant au programme de la scolarité obligatoire et du lycée, du cours préparatoire à la terminale."
    Dis, Monsieur Darcos, ça veut dire quoi pour toi "librement" ?
    Dites, les lecteurs du Framablog, vous croyez que cette académie publiera sous CC by-sa ? (ironique ? naaannnn)

    "Il s’agit de mettre à la disposition des adultes qui ont interrompu précocement leur parcours scolaire, des ressources pédagogiques leur permettant de se préparer par eux-mêmes à certains examens ou de pouvoir suivre le travail scolaire de leurs enfants."
    Et pourquoi cela devrait viser spécifiquement les adultes ?

    "Il s’agit également de proposer certaines options ou langues rares dans des territoires où cette offre n’existe pas, agissant ainsi dans le sens d’une meilleure égalité des chances."
    Ca, c’est le genre de phrase qui va de facto mettre tous les profs de russe, d’allemand, d’italien, de … (euh, en fait tous les profs de langues autre que l’anglais ou l’espagnol…) contre ce projet.

    "Par ailleurs, ces supports de cours pourront être téléchargés depuis les pays en développement, notamment les pays francophones."
    Bien (manquerait plus qu’on limite les téléchargements par zone).

    "Enfin, cette académie en ligne proposera également des services nouveaux aux élèves et à leurs familles, dans le prolongement de l’offre scolaire existante, sous la forme d’une aide scolaire proposée à distance, par le biais d’une plate-forme téléphonique et sur Internet, notamment durant les congés d’été, offrant ainsi à tous les élèves les mêmes possibilités d’être soutenus et accompagnés dans leur travail scolaire."
    Alors là, je demande à voir !
    "Pour connaître la date de Marignan, envoie 1515 au 3637. 3,4€ la minute."
    "Kevin, arrête le tchat et viens manger." "Mais m’Man, chuis sur MSN avec la prof de russe, et on a un problème d’encodage de caractères"

    Bon, enfin, ça part sans doute d’une bonne intention, mais il y a quand même 2 écueils (au moins) à éviter :
    – ne pas inclure tous les enseignants dans la démarche (parce que là, s’ils refilent ça au CNED, je vous mets ma main à couper que ça sera 1) hyper-couteux 2) repoussé aux calendes grecs 3) pédagogiquement correct, mais technologiquement anachronique 4) très mal perçu par les enseignants, qui auront l’impression d’être dévalorisés et solubles dans la technologie)
    – ne pas proposer de ressources réellement libres, en les bridant par exemple avec une clause non-commerciale ou non-dérivative. Je rappelle au passage que le MIT libère depuis plusieurs années une grande partie de ses cours sous une licence vraiment libre et que ça n’a en rien impacté négativement leur enseignement (au contraire !).

    Je ne voudrais pas jouer les cassandre, mais ça sent l’occasion ratée de monter un projet pédagogiquement intéressant, tirant réellement profit du réseau et de ses possibilités, pour essayer de reproduire dans le virtuel ce qui fonctionne déjà plutôt mal dans le réel.

  2. Jack

    Merci pour ce billet, je suis content que vous ayez intégré la critique des services en ligne propriétaires comme ceux de Google. Effectivement, nous aurions bien besoin d’un service public pour financer des alternatives vraiment libres et éthiques. Mais il restera toujours un problème de taille: où seront hébergées nos données ? Personnellement, je continue de croire que la meilleure place pour nos données, c’est chez nous.
    Quant au cloud computing public, ne pourrions-nous pas nous en passer si nous mettions en commun la puissance de calcul de nos ordinateurs personnels ? C’est déjà possible, mais nous n’y sommes guère incités. Du point de vue écologique, il y aurait un sacré bénéfice…

  3. Don Rico

    @ Jack : La technologie du site Wuala http://www.wuala.com/ est intéressante, car elle repose sur le système du P2P, et donc du partage de nos espaces de stockage. On peut d’ailleurs "troquer" un peu de notre disque dur contre de l’espace de stockage en ligne. Dommage que cette technologie soit propriétaire, mais qui sait, peut-être aurons-nous un jour un équivalent libre ?

  4. Ginko

    C’est moi ou ce William Hurley ne veut pas parler de "cloud computing" mais de "grid computing"?

    Parce qu’il semble plus demander de la puissance de calcul que des services en ligne!