3 000 jours de retard pour Hadopi

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Inocuo - CC byIl y a une semaine, Sylvain Zimmer, l’un des fondateurs de la plate-forme de musique «  libre, légale et illimitée  » Jamendo, faisait paraître un intéressant article témoignage dans la presse (en l’occurrence Le Monde), que nous avons choisi de reproduire ici avec son autorisation (oui, je sais, c’est sous licence Creative Commons, donc il n’y a pas besoin d’autorisation, mais rien n’empêche l’élégance et la courtoisie).

3 000 jours de retard, ça nous ramène directement à l’époque de l’apogée de Napster, où il n’était quand même pas si compliqué de comprendre que nous étions à l’aube de grands bouleversements[1] dans le monde musical…

3 000 jours de retard pour HADOPI

Sylvain Zimmer – 12 avril 2009 – Jamendo
Paru initialement dans le supplément TV du Monde
Licence Creative Commons By-Sa

Pour comprendre pour quel Internet a été pensée la loi Hadopi, il faut revenir seulement 3 000 jours en arrière. Un disque dur de 15 Go coûtait 100 euros. Les réseaux peer-to-peer n’étaient pas encore cryptés, on pouvait rêver de les contrôler un jour. Je n’avais que 16 ans à l’époque, mais je me souviens encore du peu de gens dans la rue qui portaient des écouteurs. Forcément, l’iPod n’existait pas. Wikipédia, Facebook et YouTube non plus. Trois des sept sites les plus fréquentés aujourd’hui, tous gratuits.

Que s’est-il passé entre-temps qui a manifestement échappé aux douze députés ayant voté pour la loi Hadopi  ? L’innovation. Des géants sont nés dans les garages de quelques auto-entrepreneurs et ont révolutionné l’accès à la culture en la rendant gratuite pour tous. On peut les accuser d’avoir fait chuter les ventes de CD, mais déjà à 16 ans je savais que je n’en achèterai aucun de ma vie. Cela ne m’a pas empêché de dépenser plus de 8 000 euros, depuis, en places de concert. Le marché de la musique se transforme, mais globalement ne cesse de grossir. Nous passons d’une économie de stock où le mélomane était limité par son budget CD à une économie de flux où la valeur ne se situe plus dans la musique elle-même (car elle est numérique, donc illimitée, donc gratuite), mais dans ce qu’elle représente  : la relation entre un artiste et ses fans.

En 2008, la meilleure vente de musique en ligne sur Amazon a été un album de Nine Inch Nails, un groupe qui distribue pourtant sa musique gratuitement et légalement par ailleurs. Qu’ont donc acheté ces gens  ? Certainement pas la musique elle-même. Comme les millions d’autres qui l’ont écoutée gratuitement, ils sont devenus fans, l’ont «  streamée  », partagée sur Facebook ou ailleurs, l’ont recommandée à leurs amis qui, à leur tour, ont acheté places de concert, coffrets collectors et autres produits ou services dérivés.

Tous les jours, des milliers d’artistes comprennent ce qu’ils ont à gagner dans la diffusion gratuite. La fidélité accrue de leurs fans crée de la valeur. Soyons cyniques  : peut-être que la loi Hadopi servira à accélérer cette transformation de l’économie culturelle, cette éducation des artistes au monde numérique. Quand arriveront les premières lettres recommandées, les premières coupures d’Internet, quel cadeau pour le gratuit et légal  ! Quelle remise en question pour l’artiste constatant que ses fans, punis, n’ont plus accès à Wikipédia  !

Plus concrètement, comme les lois LCEN et DADVSI qui l’ont précédée, on se souviendra (ou pas) d’Hadopi comme d’une loi inapplicable dès son premier jour, imaginée pour une économie et des technologies déjà dépassées. Un gaspillage de temps et d’argent que le gouvernement aurait certainement mieux fait de consacrer à des lois plus pertinentes en faveur de l’environnement ou des auto-entrepreneurs. Car ce sont eux qui aujourd’hui innovent et préparent ce que sera Internet dans 3 000 jours. Quand l’industrie musicale existera toujours, mais ne vendra plus de disques. Quand télécharger un film prendra moins d’une seconde. Quand 200 ans de musique tiendront dans la poche. Quand une nouvelle génération d’artistes n’aura ni e-mail ni ADSL, mais un compte Facebook et une connexion Internet sans fil permanente. C’est pour ce siècle-là, pas pour le précédent, que nous devons penser la culture.

Notes

[1] Crédit photo  : Inocuo (Creative Commons By)

17 Responses

  1. voz

    Remplacer le mail par facebook n’est pas vraiment un progrès !
    Le mail vous pouvez changer votre adresse, vous pouvez même installer un serveur chez vous. Facebook, Twitter, Skype et compagnie, sont les pires cochonneries qu’internet ai inventés. Elles vous verrouilles sur vos relations. C’est un peu comme si vos amis leurs appartenaient ! Un jour ils vous vendrons vos amis, vous verrez !

  2. bdp

    NIN a été très inventif, et comme le disait un billet antérieur, a sur créer un lien numérique avec son public, et lui donner une raison d’acheter ses album. Mais NIN était déjà un GROS groupe avec une base de fan gigantesque. C’est une preuve que les gros groupes peuvent se passer des majors.

    Pour le petits groupes, il faudrait un exemple plus pertinent (et je suis sur qu’il existe).

    Voz, tout a fait d’accord, rien de pire que les réseaux sociaux concernant la privation des libertés. (Et pourtant, le principe est super. J’ai un compte, et j’en profite pour faire partager à mes amis des liens vers des billets du Framablog, et autres sujets intelligents)

  3. Earered

    Marrant sa remarque sur la LCEN. Je la trouve ignoble à lire, par contre elle est bel et bien appliqué (bon la partie sur les restriction de distribution des outils cryptographique l’est beaucoup moins, elle fait même chier l’État en pratique, et l’article 1 a l’air de préparer la voie à la loi création et internet, par contre l’article 4 définit les standards ouverts, il y a à boire et à manger dedans).

    http://www.legifrance.gouv.fr/affic

  4. Arct

    Le mot innovation me fait penser à cet article d’une jeune fille de 17 ans sur le téléchargement illégal et l’innovation. Dans l’article elle répond à M.Copé… très intéressant !
    http://www.slate.fr/story/4151/peti

  5. Z.

    Je ne crois pas qu’il faille se focaliser sur Facebook en tant que compagnie privée qui devra bien faire un jour des bénéfices (et qui pour cela devra se la jouer fine avec ses utilisateurs qui ne veulent pas s’en laisser compter et se sont désormais très bien habitués à la gratuité) mais plutôt sur Facebook en tant que concept. Peut-être qu’un Facebook libre et ouvert, géré par des institutions publiques internationales verra un jour le jour ?

    Pour revenir au sujet, je trouve d’une manière générale que pendant l’Hadopi on n’a pas assez parlé de Jamendo, Dogmazic et de l’offre déjà existante de la musique en libre distribution. On n’a pas assez pointé que déjà de nombreux groupes ont fait le choix d’être hébergés sur ces plate-formes et qu’il est terminé le temps pionnier où elles récupéraient les groupes "qui n’avaient pas réussi à signer". Désormais c’est un acte si ce n’est engagé en tout cas assumé. Sans oublier bien sûr que la qualité est carrément au rendez-vous.

    Si cela continue du reste, je suis au bord de ne choisir d’écouter QUE de la musique libre, estimant que les "artistes" et leurs majors sont allés trop loin dans la résistance réactionnaire.

  6. jean-mi

    Pour ce qui est de la mise en avant de musiciens inconus sur internet, je n’ai pas d’exemple sous la main. Par contre dans le genre film peu connu qu’internet a permis de populariser, on trouve The Man From Earth. D’ailleurs, il a été téléchargé illégallement, on ne peut pas le trouver légalement ailleurs qu’aux US, ou en import, mais bon.

    @Z : « Peut-être qu’un Facebook libre et ouvert, géré par des institutions publiques internationales verra un jour le jour ? »
    Surtout pas, ce qu’il faut c’est définire un protocole ouvert qui permet la décentralisation et un minimum contrôle de ses données. Après l’état peu promouvoir ce protocole (qui a dit baisse d’impôts pour les utilisateurs du libre), mais bon une gestion de l’état, je n’ai pas envie d’un ImpôtBook, merde existe déjà, un RGBook, hum aussi, un Imwatchingyoubook. L’état ne vaut pas forcément mieux qu’une entreprise privée.

    Pour ce qui est du modèle du tout gratuit, enfin du payant par les pubs. Moui, j’attends de voir un peu, les gros à la google ne vont pas vraiment mourrir de la baisse de revenu dû à la publicité, les sociétés plus petite, il faut voir.

    En soit, le seul gratuit durable que l’on connait, c’est le p2p, en soit le seul risque du P2P c’est la loi. Techniquement, tout le monde paye plus ou moins son bout de ligne en fonction de son envie. Et ça marche pour les trucs populaires, bien sûr. Après c’est du communautaire, donc du fait, par et pour la communauté. En soit, wikipedia est presque le p2p de l’encyclopédie, d’ailleurs il faudrait que je regarde si il existe une techno permettant de faire son mirror wikipedia :).

    Après pour les personalités, il faut quand même payer l’investissement et gagner de l’argent cause logement, graille, matos, … Encore un musicien en général peut se donner en concert, ce n’est pas le cas de tout le monde. On va peut-être revenir à de l’abonnement pour les plumes ou du mécénnat de groupe.

  7. Elessar

    @Z : « Peut-être qu’un Facebook libre et ouvert, géré par des institutions publiques internationales verra un jour le jour ? »

    Pour moi, ça ne serait pas suffisant. Si des institutions publiques peuvent fournir tel ou tel service interopérable, tant mieux, mais l’important, c’est que tout le monde puisse le faire. C’est le cas pour le courrier électronique, où n’importe qui peut prendre son indépendance complète s’il le désire, en utilisant son propre serveur.

  8. Signez

    Je doute, personnellement, qu’il soit pertinent de se focaliser sur l’avant-dernière phrase de cet article, alors qu’il ne s’agit que d’un exemple.

    Il est, je pense, assez peu probable que Facebook existe encore dans 3000 jours, et si c’est le cas, nous ne pouvons imaginer quelles modifications au niveau de la politique de vie privée, des standards, de l’interopérabilité, de la décentralisation auront été faites entre temps.

    "Facebook", ça sera p’t’être plus qu’une marque sur un réseau ouvert, interopérable, et commun, comme Jabber l’est aujourd’hui pour la messagerie instantanée.

  9. Nairod

    Il faudrait un logiciel qui fasse comme eMule : Mme Michu se dit qu’elle ne fait "que" être sur internet, mais en faite elle EST internet.

    Pour la musique libre bien sur, mais pas seulement.

    Bien sur un logiciel libre…

    J’espére que cet article du Monde saura inspiré de nouveaux amateurs de musique.

  10. Jip

    J’apprécie cet article enthousiaste. En revanche, tout le monde connecté à facebook via une liaison sans fil pour pouvoir consommer de la musique, moi ca me fait plus penser à Matrix ou à 1984 qu’à un monde idéal. Sans parler des nuisances électro-magnétiques et des antennes relais que ca va demander (cf. http://www.next-up.org). E-mail, ADSL et baladeur, c’est déjà bien assez pour moi écouter de la musique.

  11. parol

    Il y a 8 ans vous saviez déjà que vous n’acheteriez jamais de cds ? Quelle clairvoyance. Ne plus écouter de cd, se contenter des mp3 pourris à 128 kbs qui sont eux-mêmes compressés à partir… D’un cd.
    Quel progrès, de devoir acheter un ordinateur, muni d’un système d’exploitation à jour, et d’un abonnement à internet adsl – au moins, pour pouvoir écouter 5 minutes de musique en mauvaise qualité.
    C’est vrai qu’avant il fallait avoir un poste cd et un cd, c’était beaucoup plus compliqué.

  12. Elessar

    @parol : Tu as déjà entendu parler de baladeurs CD à sortie jack, et d’amplificateurs à entrée jack ?

  13. Pifon

    A l’heure ou le numérique s’empare peu à peu des oreilles et des yeux de la planète, la volonté du gouvernement de s’approprier le contrôle des mailles de la toile sans entendre les principaux acteurs parait désespérée et perdue d’avance. Rarement tant de paradoxes auront été réunis autour d’un même thème.

    La question principale, qui est de savoir ce que recherche le consommateur qui « pirate » des œuvres, aura une nouvelle fois été zappée. Au lieu d’essayer de répondre de façon efficace à cette nouvelle demande, les majors, producteurs et cie ont trouvé plus utile de faire pression sur les autorités afin de castrer ce nouveau marché par la loi. Car je pense que la volonté réelle du « pirate » n’est pas justement de « pirater » forcément mais d’utiliser un service simple, rapide et conviviale qui lui permettent d’acquérir des œuvres de qualité et d’en profiter chez soi.

    Bien sûr la gratuité représente un atout incontournable et même une raison essentielle pour une partie des personnes, mais ce comportement existe depuis l’arrivée des supports reproductibles (cassette audio, vhs, minidisque, cd etc.). Il fallait donc s’y attendre et prendre le pas sur ça.

    J’imagine qu’un service de téléchargement simple ayant un contenu varié, une très bonne qualité et proposant des services annexes attractifs pour un prix adapté attirerait autant les gens que le téléchargement hasardeux, tant au niveau qualité qu’en terme de sécurité, d’une œuvre quelconque que l’utilisateur laissera même peut être trainé dans les abîmes de son disque dur sans jamais y prêter attention au final.

    Il ne faut pas oublier ce que CD, DVD, BR etc. représente pour un consommateur. A la fois objet personnel et gage en terme de qualité, ce concept est différent avec le tout numérique. J’ai l’impression que les acteurs de la distribution ont pris de haut cet aspect et au final oubliés de développer les stratégies liées.

    La faillite du système qui profitait largement à certains devrait être un immense espoir pour l’évolution de ce nouveau support qu’est internet. Ce sont justement les artistes qui doivent sortir gagnant avec une indépendance et un moyen de se diffuser bien plus ouvert et universel qu’une simple tête de gondole au premier supermarché du coin. Au lieu de ça, on assiste à un défilé de pleurnichards à la ramasse qui crachent à l’unissons sur l’évolution technologique la plus importante de ce siècle selon moi. Car critiquer l’utilisation du réseau c’est critiquer le concept même du réseau. Heureusement qu’une partie des acteurs de la sphère cherche à concrétiser ces opportunités.

    En ce qui concerne l’aspect répressif, la partie est évidemment perdue d’avance. Les moyens de contournements sont nombreux et connus : cryptage des flux, réseaux parallèles, « anonymat » et la copie de support entre autre. D’ailleurs il est risible de voir avec quel acharnement les FAI ont voulus nous vendre du Mbs (en n’oubliant pas de jouer sur le mélange entre Mb et Mo au passage) et la situation actuelle où l’on veut absolument brider ces possibilités. Vouloir faire contrôler ça par les FAI, c’est-à-dire non pas par une autorité de l’état, mais bel et bien le principal fournisseur du service en question c’est quand même une aberration supplémentaire. Comment l’état vérifiera que les restrictions sont appliquées ? Par des quotas ? Comment les FAI vont-ils faire lorsque tous ces flux seront cryptés, quelle sera la preuve technique ? Autant de questions qui justifient l’abandon d’un tel dispositif. Rajoutons à cela le scandale ultime de cette double sanction de la coupure et du paiement de l’abonnement qui finira de faire passer nos valeureux FAI combattant de la liberté pour ce qu’ils sont vraiment, des vautours et affirmera l’Etat dans son futur rôle de macro du web. Grâce à lui les FAI auront l’espace nécessaire pour diffuser leur VOD gavé de navets Hollywoodesque hypra sponsorisés entre autre… Comme quoi tout se monnaye en temps de crise…

    La toile est, à l’origine, un outil de partage, partage des connaissances, partage de données. La gestion catastrophique de l’arrivée du tout numérique par les acteurs concernés est en train de laminer cette belle idée de départ en essayant d’y mettre des cloisons. A quoi servira vraiment la fibre optique quand la seule chose que l’on pourra télécharger sera sa déclaration d’impôt ?

  14. niKu

    Article très intelligent.
    Facebook, c’est cool. Il faudrait m’exliquer en quoi Facebook nous prive de nos liberté. Je suis ouvert à toute explication.
    C’est un autre débat et une cause en même temps : tout le monde veut etre une star et vivre de la musique… Tout le monde peut la faire, tout le monde peut la diffuser. Conséquence : faire de la musique aujourd’hui n’est plus réservé à une élite. C’est un métier comme un autre. Donc comme dans tous les métiers, y’en a qui galère, la pluspart sont au smic et quelques uns sont très bons donc très riche…( et quand je dis très bon, je parle aussi de Laurie, et oui ça vous troue le cul mais Laurie vous parle pas à vous, donc vous pensez que c’est de la merde, mais si elle cartonne, c’est que c’est pas de la merde.. C’est comme Facebook et l’iPhone 😉 )
    Ok je sors 😉

  15. SylvainZimmer

    Oui, désolé de la mention de Facebook. Mais bon, c’est Le Monde, si j’avais dit Jabber ca serait peut être moins bien passé 😉

    J’ai pensé à FB parce que mon petit frère utilise que ca et quand je lui demande son adresse email il me dit que c’est "que pour les vieux". Vu que je pense pas que ce soit un cas isolé, effectivement on peut avoir peur ou au moins être surpris de la vitesse avec laquelle les nouveaux usages se propagent.

    (PS: @parol, clairvoyance je sais pas, mais oui en 2001 j’avais fièrement économisé pour m’acheter un rio volt ( http://www.amazon.co.uk/Rio-Volt-MP… ), un des premiers baladeurs cd mp3… et c’est con mais les CD audios, en plus d’être plus chers, bouffaient beaucoup plus de batterie vu que le disque tournait tout le temps, contraitement aux cds mp3. Et donc oui, à partir de ce moment là, en bon petit étudiant radin, je voyais vraiment pas pour quelle raison je pourrais acheter des CDs audio…)

    a+!

  16. alaincarnac

    bientôt y’aura plus de quoi payer les infra structures donc on pourra revenir à la musique la vrai … celle de la rue … vivement la révolution la vrai et la fin des boursicoteurs et des donneurs de leçon vivent dans des paradis fiscaux , qui sont la plus grosses escroqueries de ces dernières années n’est ce pas …