Lancement réussi du premier Traducthon Framalang à l’Ubuntu Party de Paris

Traducthon - Ubuntu Party Paris - mai 2010Votre mission, si toutefois vous l’acceptez…

Le « Traducthon », mais qu’est-ce donc que ce néologisme barbare que l’on vient d’inventer ?

Cela consiste à traduire collaborativement au même moment et au même endroit un document anglophone sélectionné préalablement. Le challenge étant de commencer et surtout terminer l’ensemble du travail dans le temps imparti[1].

À l’initiative du groupe de traducteurs Framalang, le premier « Traducthon » vient à peine de s’achever. Il a eu lieu ce samedi 29 mai de 11h à 14h lors de l’Ubuntu Party de Paris, dont nous remercions les organisateurs pour leur invitation et leur accueil.

Rencontre et convivialité sans perdre de vue l’objectif. C’est un peu comme un apéro Facebook sans Facebook dont l’apéro viendrait après le boulot 😉

En s’insérant dans cette prestigieuse manifestation, l’idée était également d’inviter spontanément les passants curieux à participer avec nous, ou tout du moins leur expliquer ce que nous faisions là avec tant d’enthousiasme. Parce que « l’esprit du Libre » c’est aussi ça et ça n’est donc pas uniquement réservé aux développeurs chevronnés.

Pour coller à l’actualité, nous avons fait le choix d’un article critique sur l’iPad de Cory Doctorow nous expliquant pourquoi il n’en achètera pas (nous non plus d’ailleurs). Pari tenu puisque la traduction a été mise en ligne dans la foulée sur le Framablog !

Voici un cliché, parmi d’autres[2], où figurent quelques uns des participants :

Traducthon - Ubuntu Party Paris - mai 2010

Vous remarquerez la présence d’un écran coloré projetant l’espace de travail du Traducthon.

Nous avons en effet travaillé en temps réel sur un unique fichier issu de l’excellent logiciel d’édition collaborative en ligne Etherpad (dont Google, encore lui, a eu la bonne idée de libérer les sources récemment).

Traducthon - Ubuntu Party Paris - mai 2010Ceux qui y étaient en témoigneront dans les commentaires, travailler à l’aide de l’application Etherpad est pratique et ludique. À chaque couleur son participant, comme l’illustre l’image ci-contre, que l’on voit éditer en même temps qu’on édite, ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser quelques intéressants problèmes d’organisation.

Cliquez (si le serveur tient) sur la frise chronologique de notre fichier à l’instant t=0 et appuyez sur la grosse flèche en haut à droite pour faire défiler le temps… Partagez-vous ma fascination de voir apparaître au fur et à mesure les contibutions, modifications et commentaires de chacun ?

Du coup, ceux qui comme moi n’avaient pu physiquement se rendre sur place à Paris ont eu la possibilité d’apporter néanmoins leur pierre à l’édifice en se connectant à l’instant précis de la date fixée.

Nous n’avions ici que 3 petites heures à notre disposition, ce qui limitait d’autant la taille du document choisi. Mais avec l’expérience de cette première fois plus qu’encourageante, nous vous donnons rendez-vous début juillet à Bordeaux pour la onzième édition des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre où nous serons présents durant les 6 jours de la manifestation pour œuvrer cette fois-ci à un projet bien plus ambitieux : la traduction intégrale d’un livre.

Merci à tous les participants et à très bientôt.

Notes

[1] Le Traducthon est un fork non hostile et adapté à un travail de traduction du concept des Book Sprints issu du site FLOSS manuals.

[2] Crédit photos : Quentin Theuret alias cheval_boiteux (Creative Commons By)




Pourquoi je n’achèterai pas un iPad

Josh Liba - CC byHier, vendredi 28 mai, soit deux mois après les États-Unis, Apple a lancé officiellement la commercialisation en France de l’iPad.

L’occasion pour nous de traduire cet article de Cory Doctorow dont le titre ne souffre d’aucune ambiguïté.

L’ami Cory est l’un de nos plus brillants défenseurs des libertés numériques, et il n’est guère étonnant de le voir ici monter au créneau pour y manifester sa grande perplexité, arguments percutants et convaincants à l’appui.

Avec notre billet iPad’libertés pour les utilisateurs de la Free Software Foundation, cela nous fait deux bonnes raisons d’expliquer aux adorateurs du Veau d’or[1] que sous le vernis clinquant d’une fausse modernité se cache une réalité bien moins reluisante qu’il n’y paraît.

Remarque : Cette traduction a été entièrement réalisée le samedi 29 mai de 11h à 14h dans le cadre du premier « Traducthon », atelier original organisé par l’équipe Framalang et inséré dans l’Ubuntu Party de Paris. Pour en savoir plus…

Pourquoi je n’achèterai pas un iPad (et pense que vous ne devriez pas non plus)

Why I won’t buy an iPad (and think you shouldn’t, either)

Cory Doctorow – 2 avril 2010 – BoingBoing
(Traduction Framalang : la quinzaine de personnes présentes au Traducthon)

Voilà dix ans que j’écris des chroniques sur Boing Boing pour y faire découvrir des trucs sympas que d’autres ont créés. La plupart des nouveautés vraiment intéressantes ne sont pas venues de grosses entreprises aux budgets gigantesques, mais d’amateurs qui expérimentent. Des gens qui ont été capables de créer des produits, de les proposer au public et même de les vendre, sans avoir à se soumettre aux diktats d’une seule entreprise qui s’autoproclame gardien de votre téléphone et autres engins high-tech personnels.

Danny O’Brien explique très bien pourquoi je ne vois aucun intérêt à l’achat d’un iPad – on dirait vraiment le retour de la « révolution » CD-ROM, quand l’industrie du « contenu » proclamait qu’elle allait réinventer les médias, en concevant des produits hors de prix (à fabriquer et à acheter). J’ai commencé ma carrière dans l’informatique en tant que programmeur pour des CD-ROM, et j’ai moi aussi ressenti cet engouement, mais j’ai fini par comprendre que c’était une impasse et que les plateformes ouvertes et les amateurs inventifs finiraient par surpasser les pros roublards et disposant de gros budgets.

Je me rappelle les premiers jours du Web – et les derniers jours du CD-ROM – quand tout le monde s’accordait à dire que le Web et les PC étaient trop « geek », trop compliqués et trop imprévisibles pour « ma mère » (c’est incroyable le nombre de technophiles qui mettent leur mère plus bas que terre). Si on m’avait donné une action d’AOL à chaque fois qu’on m’a dit que le Web allait mourir parce qu’AOL était simplissime et que le Web était un vrai dépotoir, je serais un gros actionnaire.

Et mes parts ne vaudraient pas grand-chose.

Les entreprises dominantes font de piètres révolutionnaires

Compter sur les entreprises dominantes pour être à l’origine de nos révolutions est une erreur stratégique. Elles ont une fâcheuse tendance à utiliser leurs technologies pour facturer voire interdire tout ce qu’il y a de bien dans leur produit.

Prenez par exemple l’application Marvel dédiée à l’iPad (jetez juste un coup d’œil, pas plus). Enfant, j’étais fan de comics, et je le suis resté. Ce qui me plaisait par-dessus tout, c’était de les échanger. Il n’existait pas de medium reposant davantage sur les échanges entre gamins pour constituer son public. Et le marché des bédés d’occasion ! C’était – et c’est encore – tout simplement énorme, et essentiel. Combien de fois ai-je farfouillé dans les caisses de bédés d’occasion dans un immense entrepôt poussiéreux pour retrouver des anciens numéros que j’avais ratés, ou de nouveaux titres pour pas cher (dans ma famille, c’est devenu une sorte de tradition qui se perpétue d’une génération à l’autre – le père de ma mère l’emmenait tous les week-ends avec ses frères et sœurs au Dragon Lady Comics sur Queen Street à Toronto pour troquer leurs vieilles bédés contre des nouvelles).

Qu’ont-ils fait chez Marvel pour « améliorer » leurs bandes dessinées ? Ils vous interdisent de donner, vendre ou louer les vôtres. Bravo l’amélioration. Voilà comment ils ont transformé une expérience de partage exaltante et qui crée du lien, en une activité passive et solitaire, qui isole au lieu de réunir. Bien joué, « Marvsney » (NdT : Contraction de Marvel et Disney, en référence au récent rachat du premier par le second pour 4 milliards de dollars).

Du matériel infantilisant

Considérons ensuite l’appareil lui-même : à l’évidence, on s’est creusé la tête pour le concevoir, mais on ressent aussi un grand mépris pour l’utilisateur. Je suis intimement convaincu de la pertinence du Manifeste du constructeur (NdT : Maker Manifesto) : « Si vous ne pouvez pas l’ouvrir, alors ce n’est pas à vous ». Il faut préférer les vis à la colle. Le Apple ][+ d’origine était fourni avec le plan schématique des circuits imprimés, et a donné naissance à une génération de hackers qui bidouillaient leur matériel informatique ou leurs logiciels et ont bousculé le monde dans le bon sens.

Mais, avec l’iPad, il semblerait que pour Apple le client type soit la maman technophobe et simplette, celle-là même dont on parle si souvent dans l’expression « c’est trop compliqué pour ma mère » (écoutez les pontifes chanter les louanges de l’iPad, ils ne tarderont pas à expliquer qu’on tient enfin quelque chose qui n’est pas trop compliqué pour leur pauvre maman).

La seule interaction que propose l’iPad est celle du simple « consommateur », c’est-à-dire, selon la mémorable définition de William Gibson, « un truc de la taille d’un bébé hippo, couleur patate bouillie vieille d’une semaine, qui vit seul, dans l’obscurité, dans un mobile home, aux alentours de Topeka. Il est recouvert d’yeux, et transpire en permanence. La sueur dégouline et lui pique les yeux. Il n’a pas de bouche… pas d’organes génitaux, et ne peut exprimer ses pulsions rageuses et ses désirs infantiles qu’en changeant de chaîne avec sa télécommande universelle ».

Pour améliorer votre iPad, ne cherchez pas à comprendre comment il fonctionne pour le bricoler, achetez des iApps. Offrir un iPad à vos enfants, ce n’est pas un moyen de leur faire comprendre qu’ils peuvent démonter et réassembler le monde autour d’eux. C’est un moyen de leur dire que même changer les piles c’est une affaire de pros.

Sur ce sujet, il faut absolument lire l’article de Dale Dougherty sur l’influence d’Hypercard pour toute une génération de jeunes hackers. J’ai effectué mes débuts comme programmeur Hypercard, dont l’invitation douce et intuitive à refaire le monde m’a donné envie d’embrasser une carrière dans l’informatique.

Le modèle de la grande distribution s’étend au logiciel

Intéressons-nous maintenant à l’iStore. Les DRM sont l’alpha et l’oméga d’Apple, alors même que son dirigeant clame partout qu’il les déteste. Apple s’est allié à deux industries (celles du divertissement et des télécoms) qui sont les plus convaincues que vous ne devriez pas être en mesure de modifier vos appareils, d’y installer vos logiciels, d’écrire des applications, et d’outrepasser les instructions envoyées par le vaisseau mère. Apple a construit son activité autour de ces principes. La société utilise des DRM pour contrôler ce que vous pouvez faire sur vos propres appareils, ce qui signifie que les clients d’Apple ne peuvent emmener leur « iContenu » avec eux vers des appareils concurents, et que ceux qui développent pour Apple ne peuvent vendre à leurs propres conditions.

Le verrouillage de l’iStore ne rend pas meilleure la vie des clients ou des développeurs d’applications . En tant qu’adulte, je veux être capable de choisir ce que j’achète et à qui je fais confiance pour l’évaluer. Je ne veux pas que le Politburo de Cupertino (NdT : La ville du siège d’Apple) restreigne mon univers applicatif à ce qu’il choisit d’autoriser sur sa plateforme. Et en tant que créateur et détenteur de copyright, je ne veux pas d’un unique canal de diffusion contrôlant l’accès à mon public et dictant quel contenu est acceptable. La dernière fois que j’ai blogué sur ce sujet, Apple s’est répandu en excuses pour le caractère abusif de ses conditions contractuelles, mais la meilleure était : « Pensiez-vous vraiment que nous fournirions une platefome où vous pouvez faire fortune sans aucune contrepartie ? ». J’ai lu cette phrase en imitant la voix de Don Corleone et ça sonnait vraiment bien. Je crois en un marché où la compétition peut prendre place sans que j’aie pour autant à m’agenouiller devant une entreprise qui a érigé un pont-levis entre mes clients et moi.

Le journalisme en quête d’une figure paternelle

Si la presse parle autant de l’iPad, c’est selon moi parce qu’Apple assure le spectacle, et parce dans le monde merveilleux de la presse, chacun cherche une figure paternelle qui lui promettra le retour de son lectorat payant. Toutefois, ce n’est pas seulement parce que les gens peuvent avoir accès gratuitement aux journaux qu’ils ne paient plus. C’est aussi parce que des contenus alternatifs, gratuits et de qualité équivalente, se multiplient. L’ouverture des plateformes a permis une explosion de la quantité de contenus, certains un peu amateurs, d’autres de qualité professionnelle, la plupart mieux ciblés que ne le proposaient les anciens médias. Rupert Murdoch peut menacer tant qu’il le veut de retirer son contenu de Google, je lui dis : Vas-y Rupert, fonce ! Ta fraction de fraction de morceau de pourcentage du Web nous manquera tellement peu qu’on ne le remarquera même pas, et nous n’aurons aucun problème à trouver du contenu pour combler le vide.

La presse techno regorge de gadgets dont les blogueurs spécialisés raffolent (et qui n’intéressent personne d’autre). De même, la presse généraliste est remplie d’articles qui nourrissent le consensus médiatique. Les empires d’hier pensent faire quelque chose de sacré, vital et surtout mature, et ce sont ces adultes qui veulent nous extraire de ce bac à sable qu’est le Web, plein de contenus amateurs sans circuits de distribution, afin d’y conclure des accords d’exclusivité. Et nous retournerons alors dans le jardin clôturé qui apporte tant de valeur actionariale à des investisseurs dont le portefeuille n’a pas évolué avec le commerce en ligne.

Mais l’observation attentive du modèle économique de l’édition sur iPad nous raconte une toute autre histoire : même des ventes astronomiques d’iPad n’arriveront pas vraiment à arrêter l’hémorragie des ventes de l’édition papier. Et ce n’est pas en poussant de grands soupirs et en regrettant le bon temps où tout était verrouillé que les clients reviendront.

Les gadgets, ça va ça vient

Les gadgets, ça va ça vient. L’iPad que vous achetez aujourd’hui va devenir de l’e-pollution dans un an ou deux (moins, si vous décidez de ne pas payer pour qu’on vous change la batterie). Le vrai problème n’est pas dans les fonctionnalités de ce bout de plastique que vous déballez aujourd’hui, mais dans l’infrastructure technique et sociale qui l’accompagne.

Si vous voulez vivre dans un univers créatif où celui qui a une bonne idée peut en faire un programme que vous pourrez installer sur votre appareil, l’iPad n’est pas fait pour vous.

Si vous voulez vivre dans un monde équitable où vous pouvez conserver (ou donner) ce que vous achetez, l’iPad n’est pas fait pour vous.

Si vous voulez écrire du code pour une plateforme où la seule chose qui conditionne votre succès est la satisfactions de vos utilisateurs, l’iPad n’est pas fait pour vous.

Notes

[1] Crédit photo : Josh Liba (Creative Commons By)




Geektionnerd : l’arbre Ubuntu ne doit pas cacher la forêt des distributions Linux

Il n’y a pas qu’Ubuntu dans la vie des distributions GNU/Linux !

C’est ce que vient nous rappeler l’actualité, avec les sorties presque simultanées des nouvelles versions de Fedora et Slackware.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Code is Law – Traduction française du célèbre article de Lawrence Lessig

Chiara Marra - CC byLe 5 mars dernier, Tristan Nitot se pose la question suivante sur Identi.ca : « Je me demande s’il existe une version française de Code is Law, ce texte sublime de Lessig ».

Monsieur Nitot qui évoque un texte sublime de Monsieur Lessig… Mais que vouliez-vous que nos traducteurs de Framalang fassent, si ce n’est participer à modifier favorablement la réponse de départ étonnamment négative !

Écrit il y a plus de dix ans, cet article majeur a non seulement fort bien vieilli mais se serait même bonifié avec le temps et l’évolution actuelle du « cyberespace » où neutralité du net et place prise par les Microsoft, Apple, Google et autres Facebook occupent plus que jamais les esprits et nos données[1].

Bonne lecture…

Le code fait loi – De la liberté dans le cyberespace

Code is Law – On Liberty in Cyberspace

Lawrence Lessig – janvier 2000 – Harvard Magazine
(Traduction Framalang : Barbidule, Siltaar, Goofy, Don Rico)

À chaque époque son institution de contrôle, sa menace pour les libertés. Nos Pères Fondateurs craignaient la puissance émergente du gouvernement fédéral ; la constitution américaine fut écrite pour répondre à cette crainte. John Stuart Mill s’inquiétait du contrôle par les normes sociales dans l’Angleterre du 19e siècle ; il écrivit son livre De la Liberté en réaction à ce contrôle. Au 20e siècle, de nombreux progressistes se sont émus des injustices du marché. En réponse furent élaborés réformes du marché, et filets de sécurité.

Nous sommes à l’âge du cyberespace. Il possède lui aussi son propre régulateur, qui lui aussi menace les libertés. Mais, qu’il s’agisse d’une autorisation qu’il nous concède ou d’une conquête qu’on lui arrache, nous sommes tellement obnubilés par l’idée que la liberté est intimement liée à celle de gouvernement que nous ne voyons pas la régulation qui s’opère dans ce nouvel espace, ni la menace qu’elle fait peser sur les libertés.

Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule.

Cette régulation est en train de changer. Le code du cyberespace aussi. Et à mesure que ce code change, il en va de même pour la nature du cyberespace. Le cyberespace est un lieu qui protège l’anonymat, la liberté d’expression et l’autonomie des individus, il est en train de devenir un lieu qui rend l’anonymat plus difficile, l’expression moins libre et fait de l’autonomie individuelle l’apanage des seuls experts.

Mon objectif, dans ce court article, est de faire comprendre cette régulation, et de montrer en quoi elle est en train de changer. Car si nous ne comprenons pas en quoi le cyberespace peut intégrer, ou supplanter, certaines valeurs de nos traditions constitutionnelles, nous perdrons le contrôle de ces valeurs. La loi du cyberespace – le code – les supplantera.

Ce que contrôle le code

Le code élémentaire d’Internet est constitué d’un ensemble de protocoles appelé TCP/IP. Ces protocoles permettent l’échange de données entre réseaux interconnectés. Ces échanges se produisent sans que les réseaux aient connaissance du contenu des données, et sans qu’ils sachent qui est réellement l’expéditeur de tel ou tel bloc de données. Ce code est donc neutre à l’égard des données, et ignore tout de l’utilisateur.

Ces spécificités du TCP/IP ont des conséquences sur la régulabilité des activités sur Internet. Elles rendent la régulation des comportements difficile. Dans la mesure où il est difficile d’identifier les internautes, il devient très difficile d’associer un comportement à un individu particulier. Et dans la mesure où il est difficile d’identifier le type de données qui sont envoyées, il devient très difficile de réguler l’échange d’un certain type de données. Ces spécificités de l’architecture d’Internet signifient que les gouvernements sont relativement restreints dans leur capacité à réguler les activités sur le Net.

Dans certains contextes, et pour certaines personnes, cette irrégulabilité est un bienfait. C’est cette caractéristique du Net, par exemple, qui protège la liberté d’expression. Elle code l’équivalent d’un Premier amendement dans l’architecture même du cyberespace, car elle complique, pour un gouvernement ou une institution puissante, la possibilité de surveiller qui dit quoi et quand. Des informations en provenance de Bosnie ou du Timor Oriental peuvent circuler librement d’un bout à l’autre de la planète car le Net empêche les gouvernements de ces pays de contrôler la manière dont circule l’information. Le Net les en empêche du fait de son architecture même.

Mais dans d’autres contextes, et du point de vue d’autres personnes, ce caractère incontrôlable n’est pas une qualité. Prenez par exemple le gouvernement allemand, confronté aux discours nazis, ou le gouvernement américain, face à la pédo-pornographie. Dans ces situations, l’architecture empêche également tout contrôle, mais ici cette irrégulabilité est considérée comme une tare.

Et il ne s’agit pas seulement des discours nazis et de pornographie enfantine. Les principaux besoins de régulation concerneront le commerce en ligne : quand l’architecture ne permet pas de transactions sécurisées, quand elle permet de masquer facilement la source d’interférences, quand elle facilite la distribution de copies illégales de logiciels ou de musique. Dans ces contextes, le caractère incontrôlable du Net n’est pas considéré comme une qualité par les commerçants, et freinera le développement du commerce.

Que peut-on y faire ?

Nombreux sont ceux qui pensent qu’il n’y a rien à faire : l’irrégulabilité d’Internet est définitive. Il n’est rien que nous puissions faire pour y remédier. Aussi longtemps qu’il existera, Internet restera un espace incontrôlable. C’est dans sa nature même.

Mais rien n’est plus dangereux pour l’avenir de la liberté dans le cyberespace que de croire la liberté garantie par le code. Car le code n’est pas figé. L’architecture du cyberespace n’est pas définitive. L’irrégulabilité est une conséquence du code, mais le code peut changer. D’autres architectures peuvent être superposées aux protocoles de base TCP/IP, et ces nouvelles couches peuvent rendre l’usage du Net fondamentalement contrôlable. Le commerce est en train de construire une architecture de ce type. Le gouvernement peut y aider. Les deux réunis peuvent transformer la nature même du Net. Il le peuvent, et le font.

D’autres architectures

Ce qui rend le Net incontrôlable, c’est qu’il est difficile d’y savoir qui est qui, et difficile de connaître la nature des informations qui y sont échangées. Ces deux caractéristiques sont en train de changer : premièrement, on voit émerger des architectures destinées à faciliter l’identification de l’utilisateur, ou permettant, plus généralement, de garantir la véracité de certaines informations le concernant (qu’il est majeur, que c’est un homme, qu’il est américain, qu’il est avocat). Deuxièmement, des architectures permettant de qualifier les contenus (pornographie, discours violent, discours raciste, discours politique) ont été conçues, et sont déployées en ce moment-même. Ces deux évolutions sont développées sans mandat du gouvernement ; et utilisées conjointement elles mèneraient à un degré de contrôle extraordinaire sur toute activité en ligne. Conjointement, elles pourraient renverser l’irrégulabilité du Net.

Tout dépendrait de la manière dont elles seraient conçues. Les architectures ne sont pas binaires. Il ne s’agit pas juste de choisir entre développer une architecture permettant l’identification ou l’évaluation, ou non. Ce que permet une architecture, et la manière dont elle limite les contrôles, sont des choix. Et en fonction de ces choix, c’est bien plus que la régulabilité qui est en jeu.

Prenons tout d’abord les architectures d’identification, ou de certification. Il existe de nombreuses architectures de certification dans le monde réel. Le permis de conduire, par exemple. Lorsque la police vous arrête et vous demande vos papiers, ils demandent un certificat montrant que vous êtes autorisé à conduire. Ce certificat contient votre nom, votre sexe, votre âge, votre domicile. Toutes ces informations sont nécessaires car il n’existe aucun autre moyen simple pour établir un lien entre le permis et la personne. Vous devez divulguer ces éléments vous concernant afin de certifier que vous êtes le titulaire légitime du permis.

Mais dans le cyberespace, la certification pourrait être ajustée beaucoup plus finement. Si un site est réservé aux adultes, il serait possible – en utilisant des technologies de certification – de certifier que vous êtes un adulte, sans avoir à révéler qui vous êtes ou d’où vous venez. La technologie pourrait permettre de certifier certains faits vous concernant, tout en gardant d’autres faits confidentiels. La technologie dans le cyberespace pourrait fonctionner selon une logique de « moindre révélation », ce qui n’est pas possible dans la réalité.

Là encore, tout dépendrait de la manière dont elle a été conçue. Mais il n’est pas dit que les choses iront dans ce sens. Il existe d’autres architectures en développement, de type « une seule carte pour tout ». Dans ces architectures, il n’est plus possible de limiter simplement ce qui est révélé par un certificat. Si sur un certificat figure votre nom, votre adresse, votre âge, votre nationalité, ainsi que le fait que vous êtes avocat, et si devez prouver que vous êtes avocat, cette architecture certifierait non seulement votre profession, mais également tous les autres éléments vous concernant qui sont contenus dans le certificat. Dans la logique de cette architecture, plus il y a d’informations, mieux c’est. Rien ne permet aux individus de faire le choix du moins.

La différence entre ces deux conceptions est que l’une garantit la vie privée, alors que l’autre non. La première inscrit le respect de la vie privée au cœur de l’architecture d’identification, en laissant un choix clair à l’utilisateur sur ce qu’il veut révéler ; la seconde néglige cette valeur.

Ainsi, le fait que l’architecture de certification qui se construit respecte ou non la vie privée dépend des choix de ceux qui codent. Leurs choix dépendent des incitations qu’ils reçoivent. S’il n’existe aucune incitation à protéger la vie privée – si la demande n’existe pas sur le marché, et que la loi est muette – alors le code ne le fera pas.

L’identification n’est qu’un exemple parmi d’autres. Prenons-en un deuxième, concernant la confidentialité des informations personnelles. RealJukebox est une technologie permettant de copier un CD de musique sur un ordinateur, ou de de télécharger de la musique sur le Net pour la stocker sur un disque dur. Il est apparu en octobre que le système était un peu trop curieux : il inspectait discrètement le disque dur de l’utilisateur, puis transférait à l’entreprise le fruit de ses recherches. Tout ceci en secret, bien entendu : RealNetworks n’avait prévenu personne que son produit collectait et transférait des données personnelles. Quand cet espionnage a été découvert, l’entreprise a tout d’abord tenté de justifier cette pratique (en avançant qu’aucune donnée personnelle n’était conservée), mais elle a fini par revenir à la raison, et a promis de ne plus recueillir ces données.

Ce problème est dû, une fois de plus, à l’architecture. Il n’est pas facile de dire qui espionne quoi, dans le cyberespace. Bien que le problème puisse être corrigé au niveau de l’architecture (en faisant appel à la technologie P3P, par exemple), voici un cas pour lequel la loi est préférable. Si les données personnelles étaient reconnues comme propriété de l’individu, alors leur collecte sans consentement exprès s’apparenterait à du vol.

Dans toutes ces circonstances, les architectures viendront garantir nos valeurs traditionnelles – ou pas. À chaque fois, des décisions seront prises afin de parvenir à une architecture d’Internet respectueuse de ces valeurs et conforme à la loi. Les choix concernant le code et le droit sont des choix de valeurs.

Une question de valeurs

Si c’est le code qui détermine nos valeurs, ne devons-nous pas intervenir dans le choix de ce code ? Devons-nous nous préoccuper de la manière dont les valeurs émergent ici ?

En d’autres temps, cette question aurait semblé incongrue. La démocratie consiste à surveiller et altérer les pouvoirs qui affectent nos valeurs fondamentales, ou comme je le disais au début, les contrôles qui affectent la liberté. En d’autres temps, nous aurions dit « Bien sûr que cela nous concerne. Bien sûr que nous avons un rôle à jouer. »

Mais nous vivons à une époque de scepticisme à l’égard de la démocratie. Notre époque est obsédée par la non-intervention. Laissons Internet se développer comme les codeurs l’entendent, voilà l’opinion générale. Laissons l’État en dehors de ça.

Ce point de vue est compréhensible, vu la nature des interventions étatiques. Vu leurs défauts, il semble préférable d’écarter purement et simplement l’État. Mais c’est une tentation dangereuse, en particulier aujourd’hui.

Ce n’est pas entre régulation et absence de régulation que nous avons à choisir. Le code régule. Il implémente – ou non – un certain nombre de valeurs. Il garantit certaines libertés, ou les empêche. Il protège la vie privée, ou promeut la surveillance. Des gens décident comment le code va se comporter. Des gens l’écrivent. La question n’est donc pas de savoir qui décidera de la manière dont le cyberespace est régulé : ce seront les codeurs. La seule question est de savoir si nous aurons collectivement un rôle dans leur choix – et donc dans la manière dont ces valeurs sont garanties – ou si nous laisserons aux codeurs le soin de choisir nos valeurs à notre place.

Car c’est une évidence : quand l’État se retire, la place ne reste pas vide. Les intérêts privés ont des objectifs qu’ils vont poursuivre. En appuyant sur le bouton anti-Étatique, on ne se téléporte pas au Paradis. Quand les intérêts gouvernementaux sont écartés, d’autres intérêts les remplacent. Les connaissons-nous ? Sommes-nous sûrs qu’ils sont meilleurs ?

Notre première réaction devrait être l’hésitation. Il est opportun de commencer par laisser le marché se développer. Mais, tout comme la Constitution contrôle et limite l’action du Congrès, les valeurs constitutionnelles devraient contrôler et limiter l’action du marché. Nous devrions examiner l’architecture du cyberespace de la même manière que nous examinons le fonctionnement de nos institutions.

Si nous ne le faisons pas, ou si nous n’apprenons pas à le faire, la pertinence de notre tradition constitutionnelle va décliner. Tout comme notre engagement autour de valeurs fondamentales, par le biais d’une constitution promulguée en pleine conscience. Nous resterons aveugles à la menace que notre époque fait peser sur les libertés et les valeurs dont nous avons hérité. La loi du cyberespace dépendra de la manière dont il est codé, mais nous aurons perdu tout rôle dans le choix de cette loi.

Lawrence Lessig est professeur de droit des affaires au Centre Berkman de la Harvard Law School. Son dernier livre, « Le code, et les autres lois du cyberespace » (Basic Books), vient d’être publié (voir http://code-is-law.org). Le site du Centre Berkman pour l’Internet et la Société est http://cyber.law.harvard.edu.

Notes

[1] Crédit photo : Chiara Marra (Creative Commons By))




Ouvrir ses logiciels mais fermer ses données à l’ère du cloud computing

Katayun - CC byVoici une courte traduction qui aborde furtivement deux sujets selon nous intéressants. Le premier n’est pas nouveau puisqu’il évoque la traditionnelle différence d’approche entre le logiciel libre cher à Richard Stallman et l’open source, à ceci près que l’avènement du cloud computing lui donne un nouvel éclairage.

Le second est peut-être plus original puisqu’il met en parallèle les logiciels et les données pour constater un mouvement opposé.

Nous sommes nombreux à souhaiter que les logiciels deviennent de plus en plus libres. Mais des Google et des Facebooks ont également envie que nos données suivent le même chemin pour pouvoir les manipuler tout à leur guise. C’est même fondamental pour eux puisque c’est tout leur business model qui est construit sur cela.

Or nous nous inquiétons chaque jour davantage du devenir de nos données, et si nous les souhaitons « libres » c’est avant tout libres de ne pas être contrôlées et exploitées sans notre consentement. Liberté et ouverture n’ont donc clairement pas le même sens chez les uns et chez les autres[1].

Il faut dire que dans les nuages : logiciels, formats, fichiers et données s’entrechoquent. Quand par exemple vous faites du traitement de texte directement en ligne (Google Docs, Zoho, etc.), c’est un peu tout à la fois qui est sollicité, sans qu’on n’arrive plus trop bien à les distinguer.

« Ouvrons » nos logiciels mais « fermons » nos données ? C’est en résumé, la question brutale que pose ce billet.

Libérez mes logiciels, pas mes données

Open source my software but not my data

Dana Blankenhorn – 27 avril 2010 – ZDNet (Blog Linux and Open Source)
(Traduction Framalang : Kovalsky, Barbidule et Goofy)

Comme Google avant lui, Facebook fait l’objet d’une attention accrue pour son interprétation du terme « ouvert » dans le monde en ligne.

Que les logiciels soient libres est une bonne chose. Mais que les données soient ouvertes ? Peut être pas tant que ça.

L’affirmation classique concernant le logiciel est qu’à moins que vous utilisiez l’AGPL, à moins que tout ne soit ouvert y compris vos sources secrètes, vous n’êtes pas vraiment ouvert, vous prétendez seulement l’être. Ouvert serait juste un autre mot pour dire que vous n’avez rien à cacher.

Je n’y ai jamais cru. L’open source n’est pas la même chose que le logiciel libre, c’est une des premières leçons qu’on m’a apprises quand j’ai commencé ce combat. (Richard Stallman s’en est chargé personnellement.)

L’open source est un continuum de choix, allant de l’idéal des logiciels libres de Stallman jusqu’au code de Microsoft sous restrictions serrées. L’open source est né en réaction logiciel libre de Stallman, et parfois en opposition à celui-ci.

Précédemment, j’ai mis au point une courbe de l’open source, pour illustrer l’étendue des choix disponibles. Plus vous avez besoin d’une participation de la communauté, plus vous êtes en bas de la courbe. Plus votre contrôle de la propriété du code augmente, plus vous êtes en haut.

Plus tard j’ai modifié cela en élaborant une courbe du développement open source, prenant en compte différents modèles de développement.

Ce qui est notable à propos de l’essentiel du code conçu pour être utilisé en ligne, c’est qu’il n’est généralement pas en bas de la courbe. Même Google n’est pas en bas de la courbe, bien qu’il soit un membre de la communauté open source tout à fait respectable. Google ne soutient pas l’AGPL.

Mais qu’en est il des données ? Qui décide du statut des données en ligne ? Est ce que la décision vous appartient, ou revient-elle aux entreprises qui hébergent les données ?

Facebook a assimilé les données à du logiciel, et il se permet alors de les diffuser dans la nature, en affirmant qu’il ne fait que suivre les principes de l’open source.

Quand vous comparez libre et propriétaire dans le monde logiciel, le libre semble formidable. Mais comparez-les sous l’angle des données, sur le mode « vos données seront ouvertes sauf si vous dites non », et les Sénateurs vont y voir une violation de la vie privée. En particulier si, comme Facebook, vous vous étiez vous-même défini jusqu’à récemment comme un réseau privé sans risque pour les enfants, et non comme un classique espace ouvert du Web.

Il est facile pour les logiciels de se déplacer vers le haut ou le bas de la courbe de l’open source. Pour les données cela se révèle problématique.

Notes

[1] Crédit photo : Katayun (Creative Commons By)




Geektionnerd : Google Je t’aime Moi non plus

Il y a peu nous avions traduit un article de la FSF souhaitant voir Google libérer la vidéo sur le Web. Et c’est ce qu’ils viennent de faire !

Mais encore plus récemment nous avons évoqué le possible déclin de Firefox croisant l’ascension de Google Chrome, une billet qui fit couler beaucoup de commentaires.

J’aime Google : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… pas du tout !

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Meurtre collatéral en Irak ou quand la censure se cache derrière le copyright

The US Army - CC byNouvelle traduction du blog de notre ami Glyn Moody qui, citant l’exemple d’une bavure de l’armée américaine en Irak[1], n’y va pas de mainmorte dans ses griefs contre le copyright : « Ce genre d’abus donne une raison supplémentaire pour laquelle nous devons abolir complètement le copyright : non seulement il est sans intérêt pour la vraie créativité (les artistes n’ont pas besoin de motivation pour créer — ils doivent le faire à cause de pulsions internes), mais il est également une menace grandissante pour la liberté du monde numérique. »

Difficile de lui donner tort…

Meurtre Collatéral, Dommages Collatéraux

Collateral Murder, Collateral Damage

Glyn Moody – 16 mai 2010 – Blog personnel
(Traduction Framalang : Joan et Goofy)

Si vous n’avez pas vu « Meurtre Collatéral », la vidéo choquante — mais importante — qui montre le mitraillage sans scrupules de civils irakiens (suivi d’un lancement de missile sur un minibus avec des enfants à l’intérieur), ne la manquez pas sur Wikileaks, sa source d’origine. Malheureusement, vous ne la trouverez peut-être pas sur YouTube ni sur les autres sites de partage de vidéo, puisqu’elle a été enlevée (bien qu’apparemment celle de YouTube soit à nouveau disponible).

Vous pourriez penser qu’il s’agit d’un exemple de censure caractérisée, mais d’une certaine façon, c’est encore pire :

« Collateral Murder, vue plus de 6 millions de fois, enlevée de YouTube après une requête en violation de copyright http://bit.ly/aS3bMk »

Vous avez bien lu, elle a été enlevée sur la base d’une accusation de violation de copyright, et non parce que quelqu’un la trouvait trop choquante pour être montrée. L’idée qu’une telle action puisse être entreprise sur la violation du monopole de quelqu’un, pendant que le massacre de sang-froid de civils irakiens est caché sous le tapis, est évidemment répugnante.

Mais c’est tout simplement un autre effet pervers de la loi obsolète qu’est maintenant le copyright — un dommage collatéral en quelque sorte.

Après tout, le copyright a grandi en Angleterre afin de contrôler le flux d’information, en permettant aux gens d’en devenir « propriétaires » — créant ainsi un robinet d’étranglement bien pratique.

La première loi sur le copyright était une loi de censure. Elle n’avait rien à voir avec la protection des droits des auteurs, ou avec l’encouragement à produire de nouvelles œuvres. Les droits des auteurs n’étaient pas en danger dans l’Angleterre du seizième siècle, et l’arrivée récente de la machine à imprimer (la première machine à copier au monde) donnait de l’énergie aux écrivains plutôt qu’autre chose. Tellement d’énergie en fait, que le gouvernement anglais commença à craindre que trop de travaux ne soient produits, et non trop peu. Cette nouvelle technologie rendait les lectures pernicieuses largement disponibles pour la première fois, et le gouvernement éprouva un besoin urgent de contrôler l’inondation de travaux imprimés, la censure étant à l’époque une fonction administrative aussi légitime que la construction de routes.

Nous ne devrions donc pas être surpris que le copyright soit encore aujourd’hui utilisé à des fins de censure – bien que souvent camouflé en simple problème commercial (bien qu’on se demande comment cela peut être possible lorsque l’on parle de vidéos tournées par des militaires dans une zone de guerre.).

Ce genre d’abus donne une raison supplémentaire pour laquelle nous devons abolir complètement le copyright : non seulement il est sans intérêt pour la vraie créativité (les artistes n’ont pas besoin de « motivation » pour créer — ils « doivent » le faire à cause de pulsions internes), mais il est également une menace grandissante pour la liberté du monde numérique.

Toute personne qui en doute devrait lire le type de clauses incluses dans les lois anti-piratage comme le Digital Economy Act, qui permettent de bloquer des sites s’ils sont supposés héberger des travaux violant le copyright de quelqu’un. Dans les faits, cela permet au gouvernement de Grande Bretagne d’empêcher toute fuite de ses documents, puisque la loi ne comporte pas la défense de l’intérêt public. Si ce dispositif avait été présenté explicitement comme une loi pour bloquer de telles fuites, il y aurait eu une protestation générale contre la censure que cela entraîne ; mais le travestir en « protection » des pauvres artistes créateurs, le fait passer sans encombres, les seules protestations viennent des agitateurs habituels (comme moi). Plus le copyright est fort, plus le champ de la censure possible est étendu : c’est aussi simple que ça.

Suivez-moi @glynmoody sur Twitter ou identi.ca.

Notes

[1] Crédit photo : The US Army (Creative Commons By)




Le Dividende Universel : valorisation de la couche libre et non marchande de la société

Zieak - CC byIl peut y avoir quelques nuances entre les différentes expressions, mais qu’on l’appelle Revenu citoyen, Revenu de vie, Allocation universelle ou Dividende Universel, l’idée principale consiste à verser tout au long de sa vie un revenu unique à tous les citoyens d’un pays, quels que soient leurs revenus, leur patrimoine, et leur statut professionnel. Ce revenu permettant à chaque individu de satisfaire ses besoins primaires tels que se nourrir, se loger, se vêtir, voire acquérir certains biens culturels de base.

À priori cela semble totalement fou. Mais quand on se penche sur les sites spécialisés, comme CreationMonetaire.info d’où est issu le billet reproduit ci-dessous, on réalise que c’est peut-être moins utopique qu’on ne le croit.

Du reste, nous pouvons témoigner : GNU/Linux, Wikipédia, OpenStreetMap… les projets utopiques existent, nous en avons rencontrés 😉

Et puis, reconnaissons surtout que c’est l’économie actuelle qui est devenue complètement folle et qui va finir par tous nous mettre à genoux. Alors folie contre folie…

En tout cas il n’est pas anodin de voir le logiciel libre et sa culture fournir des arguments aux partisans de cette idée folle. Et inversement, imaginez qu’on assure un jour à tous les membres de la communauté du Libre un revenu minimum pour vivre, ce serait à n’en pas douter une explosion d’enthousiasme et de projets !

Parce que c’est bien moins l’argent[1] qui nous manque que le temps. Un temps trop souvent occupé à devoir survivre…

PS : Comme ce n’est pas le premier article du Framablog qui tourne autour du sujet, je viens de créer un tag dédié pour l’occasion.

Les 4 arguments du Dividende Universel

URL d’origine du document

Stéphane Laborde – 17 mai 2010 – CreationMonetaire.info
Licence Creative Commons By

Depuis quelques semaines, je reçois des demandes d’arguments concernant le Dividende Universel, par des personnes connaissant le sujet, mais qui se trouvent confrontées à des interlocuteurs ignorants de la question. Il y a bien sûr la multitude de liens, d’explications et de justifications qui se trouvent sur l’article Wikipedia qui le concerne, mais je vais résumer ici les points fondamentaux nécessaires à l’introduction dans le sujet pour un novice :

1. L’argument massue de la propriété de la zone EURO (remplacer EURO par la monnaie de son choix).

La Zone EURO est une construction fondamentalement Citoyenne. Chaque Citoyen via son Etat respectif est co-propriétaire de la Zone Euro, et il est régulièrement convié à voter pour élire ses représentants tant locaux que continentaux, directement ou indirectement.

Or tout propriétaire d’une entreprise quelle qu’elle soit, reçoit, en proportion de sa détention du capital un Dividende annuel, généralement autour de 5% de la valeur de l’entreprise. La Zone Euro étant économiquement valorisable en proportion de sa Masse Monétaire en Circulation (voire du PIB, mais PIB et Masse Monétaire sont interdépendants).

Le Dividende Universel correspond donc simplement à la reconnaissance de la co-propriété de la zone économique par chaque Citoyen (présents et à venir, aucune génération n’a de droit privilégié de ce point de vue).

Cet argument conviendra à tout défenseur de la propriété et du droit économique.

2. L’argument de la création libre et non marchande

L’Art, les logiciels libres, les écrits libres de droit, le travail non marchand effectué par l’action associative ou individuelle etc… Que fournissent chaque citoyen de la zone euro, est une valeur, incommensurable, qui bénéficie au secteur marchand directement ou indirectement. (par exemple internet fonctionne avec une couche de logiciels libres qui ont été développés et distribués sans aucune reconnaissance monétaire).

Ces valeurs sont difficilement monnayables, parce que ce qui fait leur valeur, est justement l’adoption par le plus grand nombre, d’autant plus rapidement que c’est gratuit. Or sur ce substrat de valeur, se développent des valeurs marchandes, qui elles valorisent leurs produits raréfiés.

Le Dividende Universel est une valorisation de cette couche libre et non marchande de la société, qui est la juste compensation du droit d’usage de cette couche multi-valeur pour des activités marchandes.

Cet argument conviendra à tous ceux qui souhaitent travailler et créer pour autrui, sans contrainte marchande, en étant valorisé à minima, sans pour autant vouloir tirer un avantage économique de leur création (artistes, développeurs libres, auteurs libres, blogueurs, bénévoles associatifs, aides de voisinage etc…)…

3. L’argument anti-crises financières de la Création Monétaire neutre

La Création Monétaire par effet de levier est une dissymétrie qui accentue les écarts capitalistiques sans raison. Parce que X,Y ou Z ont un avantage capitalistique de départ, on leur permet de surévaluer cet avantage par un effet de levier de création monétaire, qui dévalue la monnaie existante, et leur permet à tout moment d’acheter ou de copier toute innovation par création de fausse monnaie momentanée (éventuellement détruite lors du remboursement de la fausse monnaie-dette émise, mais le mal est fait, et toute l’Histoire montre que jamais cette dette n’est réellement remboursée par les plus gros bénéficiaires, sommets de pyramides de Ponzi…).

Le Dividende Universel est une création monétaire neutre et symétrique dans le temps et dans l’espace, et rend à la monnaie tout sens sens premier : un Crédit Mutuel entre Citoyens, versé non pas en une fois, mais progressivement, tout le long de la vie, et de façon relative à la richesse mesurable (Proportionnelle à La masse monétaire / Citoyen), sans léser les générations futures.

Cet argument conviendra aux Scientifiques, Economistes et Ingénieurs, soucieux de justifications théoriques solides.

4. L’argument de la valeur fondamentale de toute économie

La valeur fondamentale de toute mesure est l’observateur lui même. En effet hors l’observateur il n’est point de mesure, alors que hors objet extérieur, l’observateur peut toujours se prendre lui même pour objet d’observation. C’est le point minimum et suffisant pour toute mesure.

L’homme est l’observateur de l’économie, autant que son acteur fondamental, et son service en est l’objectif premier. Or cette valeur fondamentale nécessite d’être valorisée sur une base éthiquement acceptable, afin que son potentiel de création, de travail pour autrui, de choix de développement économique, soit libre et non faussé.

En valorisant l’homme par un micro-investissement continu, tout le long de sa vie, c’est l’ensemble de l’économie qui investit dans chacune de ses composantes économiques fondamentales, le "risque" étant noyé dans la multitude.

Le Dividende Universel est un micro-investissement global et continu sur la valeur productive fondamentale de toute économie : l’homme.

Cet argument conviendra aux humanistes, philosophes, constitutionnalistes, et juristes soucieux des Droits de l’Homme.

Notes

[1] Crédit photo : Zieak (Creative Commons By)