Les brevets logiciels : une histoire de fous !

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Kalidoskopika - CC by-sa«  Les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant mutuellement des procès qu’en créant vraiment des produits.  » Tel est le cinglant résumé de ce récent éditorial du Guardian qui prend appui sur l’actualité, dont le fameux rachat de Motorola par Google, pour nous livrer un constat aussi amer qu’objectif[1].

«  Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer.  » Voilà où nous en sommes clairement maintenant.

Un nouvel exemple d’un monde qui ne tourne pas rond. Un nouvel exemple où le logiciel libre pourrait aider à améliorer grandement la situation si le paradigme et les mentalités voulaient bien évoluer.

Brevets logiciels  : une histoire de fous

Software patents : foolish business

Éditorial du Guardian – 21 aout 2011 (Traduction Framalang  : Goofy et Pandark)

Les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant mutuellement des procès qu’en créant vraiment des produits.

La plupart des gens comprennent les raisons et les arguments en faveur des brevets industriels. Ces derniers fournissent à un laboratoire pharmaceutique — qui a investi une fortune dans le développement d’un nouveau médicament — une sorte d’opportunité pour, pendant une période limitée, rentabiliser sa mise initiale avant que le reste du monde ne puisse en faire des versions moins chères. Mais les brevets logiciels, bien que semblables au plan juridique, sont très différents sur le plan pratique. Quand Google a racheté la division téléphone mobile de Motorola pour 12, 5 milliards de dollars la semaine dernière, l’événement a fait des vagues dans le commerce comme dans l’industrie, parce qu’il ne s’agissait pas d’acheter les mobiles de Motorola mais son portefeuille de plus de 17000 brevets logiciels, denrée devenue la poudre d’or de l’âge numérique.

Les brevets constituent une industrie qui brasse plusieurs milliards, et les entreprises trouvent plus intéressant de gagner de l’argent en se faisant des procès qu’en créant un produit. Jusqu’au milieu des années 90 l’industrie informatique — Microsoft compris — étaient opposée à cet abus de licences. essentiellement parce que l’industrie était suffisamment innovatrice pour pouvoir se passer de la protection des brevets, qui de toutes façons incluaient des avancées technologiques relativement ordinaires, considérées comme la routine du travail d’ingénieur.

Puis, la tentation entra en scène. Les juristes des entreprises prirent conscience qu’ils pouvaient poursuivre les autres pour infraction aux brevets souvent achetés par lots. Ils furent rejoints par des entreprises «  troll  », constituées dans l’unique but d’acheter des brevets et de faire des procès aux autres entreprises et aux développeurs, sachant pertinemment que la plupart accepteraient une transaction à l’amiable plutôt que d’affronter les coûts prohibitifs de leur défense juridique. Les entreprise qui étaient précédemment opposées aux brevets logiciels se sont aujourd’hui lancées dans la course à l’armement. Microsoft a accumulé un gigantesque arsenal de brevets et peut taxer un fabricant comme HTC à raison de 5 dollars par téléphone portable vendu — même si le système d’exploitation Android (développé par Google) utilisé sur les téléphones HTC est «  open source  » et supposé disponible pour tous. Avec des centaines, si ce n’est des milliers de brevets maintenant en jeu dans un téléphone mobile, il est pratiquement impossible de ne pas enfreindre un brevet d’une manière ou d’une autre. Dans le même temps Google, confronté au puissant aspirateur à brevet de ses rivaux, a été contraint de s’acheter son propre portefeuille en réaction d’auto-défense.

Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer. De telles acquisitions peuvent entraîner les entreprises de technologies de l’information bien loin de leur cœur de métier. Une recherche universitaire menée par le Berkman Center for Internet and Society a montré que les brevets logiciels n’ont procuré aucun bénéfice à l’industrie du logiciel, et encore moins à la société dans son ensemble. C’est dramatique, car un grand nombre d’entreprises qui étaient auparavant opposées aux brevets logiciels se sont ralliées à ce système, rendant plus difficile de trouver une solution efficace. Une fois de plus les consommateurs sont vent debout contre les entreprises. Où sont les forces régulatrices quand on en a besoin  ?

Notes

[1] Crédit photo  : Kalidoskopika (Creative Commons By-Sa)

12 Responses

  1. vvillenave

    Sur le même sujet, à lire (et traduire ? 😉 d’urgence, ce récent article d’un certain « Tim B. Lee » (rien à voir) qui pose clairement le problème qu’il y a à breveter une suite d’opérations mathématiques — et l’arbitraire de la justice qui s’interroge et tranche entre les mathématiques « basiques » et les mathématiques « complexes ». http://arstechnica.com/tech-policy/

    (Dans un autre genre, on appréciera aussi la police américaine qui décide depuis peu de la « valeur esthétique » du travail des photographes : http://www.techdirt.com/articles/20… )

  2. Lord BlackFox

    Pour ceux que le sujet intéresse, qu’ils regardent du côté des ADPIC. Ce sont des accords que doivent respecter ceux qui adhèrent à l’OMC ou veulent y adhérer. En gros, ça dit que si un pays ne respecte pas assez la propriété intellectuelle d’un autre pays, celui que se sent buser peut « porter plainte » et recevoir compensation, e.g. l’augmentation de taxes à l’importation, etc. (source: Un monde sans copyright, disponible chez Framabook pour ceux que ça intéresse encore plus)

  3. LD

    Tout cela n’est qu’une question d’argent.
    Vive GNU :p

  4. vive_la_joie

    ouais mais le Pognon n a plus aucune Valeur .

  5. anti-brevet

    Les brevets logiciels sont une véritable plaie. Et il ne se passe plus un jour sans qu’une entreprise fasse un procès à une autre pour des raisons aussi minables que ces choses inutiles.
    Il faudrait interdire définitivement le brevet logiciel. Bientôt, seule la communauté « open-source » va innover. C’est grave …

  6. fredix

    @anti-brevet
    Le problème c’est que la communauté « open-source » n’innove pas énormément. Cela coute du temps et de l’argent, que n’ont pas par définition les communautés. Par exemple il existe de plus en plus de services ou les données sont stockées sur des serveurs centralisés ainsi que le logiciel, le navigateur web n’étant qu’une coquille vide qui permet d’utiliser ces services et accéder à ses données. Voir les nombreux services de Google et Apple. Ou est le libre dans les services ? Nul part, néant, il n’y a tout simplement pas de services libres et ouvert, c’est à l’utilisateur à se démerder pour gérer ça ….
    L’opensource est resté sur le modèle des années 90, un logiciel un utilisateur sur une machine.

  7. pada

    @ fredix

    Ce n’est pas l’open-source qui est resté sur le modèle des années 90, mais vous (l’essor du logiciel libre a commencé à ce moment là !), et de plus vous ne semblez pas comprendre que la solution à l’abus des brevets repose justement sur le logiciel libre qui fait en sorte que le code est librement partagé (et son partage est protégé, lisez la GPL par exemple si vous n’en n’avez pas encore eu l’occasion).
    Le service (qui est un bien non rival, c’est-à-dire à usage unique à la différence du logiciel qui ne s’use pas quand on s’en sert) n’a pas de raison de ne pas être facturé directement ou indirectement, par exemple par l’usage que font ces prestataires des données qui lui sont confiées.
    Pour alimenter votre réflexion, savez-vous que Facebook est entièrement réalisé à partir de logiciel libres (ceux que vous appelez open-source).

  8. LIAR

    @fredix
    Bien au contraire !! Le libre innove beaucoup plus que le privateur. Tout simplement parce qu’il y aura toujours un développeur un peu fou pour tenter un truc sans se poser la question de savoir si ça sera rentable ou pas et que si c’est effectivement une bonne idée, d’autres se joindront à lui.
    Un simple exemple: Compiz… Est-ce qu’il existe un seul soft propriétaire qui lui arrive à la cheville au niveau innovation dans les IHM ? Non ! Et les exemples, si tu réfléchis 5 minutes tu en trouveras plein (oui, il faut effectivement oublier un peu le côté Gnome/KDE ou Open/LivreOffice, qui ne fait que copier la concurrence pour attirer les windowsien).
    D’autre part, des tas de chercheurs dans des institutions publiques proposent leur code sous licence libre. Tu trouveras bcp plus de produits innovants là dedans que chez les boîtes qui attendent des retours sur investissement (ImageMagick, le mp3 – qui a malheureusement été breveté après coup par un boîte, mais a été inventé dans un labo en Allemagne, le HDR pour le traitement d’images, les systèmes de fichiers sémantiques que M$ essaie veinement d’introduire dans Windows depuis des lustres, mais qui ne sont correctement intégrés que dans nautilus, etc.) des tas de logicels métiers ou appartenant à des niches qui ne seraient pas rentables n’existent que dans les logiciels libres (si tu ne t’y connais pas, regarde du côté des applications pour les handicapés visuals…).

  9. pada

    @ fredix à la suite de LIAR

    … et les blogs, les systèmes de gestion de contenus (CMS), les sites de commerce électronique (comme magento), wikipedia et tous ses dérivés, LaTeX et les logiciels comme LyX … tous des domaines innovants nés libres et où le libre domine. Des domaines encore peu touchés par les brevets à la différence du multimédia et des communications qui sont un champs de prédilection des « breveteurs » et qui se protègent ainsi du logiciel libre et de ses innovateurs et économies.

  10. pierre

    Les labos pharmaceutiques sont des industries capitalistes comme les autres et comme les autres ils rachètent des labos, concurrents ou pas, pour les couler et s’approprier leurs brevets. De plus ils innovent que si cela leur rapporte du fric (voire la non recherche et la non production de médicaments pour les pays qui n’ont pas les moyens financiers)
    Dire que « Les brevets étaient censés protéger l’innovation. Maintenant ils menacent de l’étouffer. » ne tient pas.
    Les brevets ont toujours étouffé, sinon retardé l’innovation sauf à avoir assez de fric pour les acheter.
    Si les sciences (dures et molles) et les techniques ont évolué rapidement jusqu’à la création juridique des brevets, c’est surtout grâce à la diffusion, à la mise comme bien commun à tous, des découvertes et inventions diverses.
    Le secret des brevets est uniquement là pour faire du fric et gaver les actionnaires.
    Nous voyons sur ce site (et sur d’autres) que la COOPÉRATION et le PARTAGE de la CONNAISSANCE sont techniquement, économiquement et SOCIALEMENT efficaces !

    Depuis des années les labos de la recherche publique passaient des contrats avec le privé « pour mettre du beurre dans les épinards » mais depuis l’arrivé du président des riches ils sont obligés de le faire, sinon ils disparaissent, et bien évidemment tous les résultats seront brevetés.
    C’est beau la Liberté et Responsabilité des Universités, du CNRS, de l’INRA etc…

    Dans quel état serions nous si le gugus qui a découvert le principe de la roue avait eu la possibilité et l’envie de déposer un brevet (pas forcement limité dans le temps) sans parler de celui qui a pensé et réussi à maitrisé le feu.