20 ans de plus pour le Copyright musical en Europe : C’est là qu’est le véritable Vol !

Temps de lecture 5 min

image_pdfimage_print

Alan Stanton - CC by-saL’Europe prolonge de 20 ans les droits des interprètes et producteurs de musique pouvait-on lire dans Le Monde il y a un mois.

Pourquoi 20 ans au fait  ? Et nous a-t-on jamais demandé notre avis  ? D’ailleurs pourquoi 20 ans de plus et pas de 20 ans de moins  ?

C’est ce que se demande, non sans une certaine (acide) ironie, l’un de ceux que nous traduisions le plus à Framalang  : notre ami Glyn Moody[1].

Le copyright c’est le vol

Copyright Theft

Glyn Moody – 13 septembre 2011 – Blog personnel
(Traduction Framalang  : Nilux, ZeHiro, Duthils et Penguin)

L’idée de «  vol de copyright  » est très répandue et l’idée que les gens «  volent  » du contenu numérique aux créateurs, sont des figures de style récurrentes chez les maximalistes du droit d’auteur. Tout ceci n’est bien sûr que des âneries. La loi stipule clairement qu’il ne s’agit que d’infraction au droit d’auteur, et la logique nous prouve que la copie numérique n’est pas du vol, puisqu’elle ne prive de rien, mais multiplie.

On peut effectivement se poser la question de savoir si la duplication non autorisée engendre une perte de revenus, mais la réponse n’est pas aussi simple que ce que l’on voudrait nous faire croire. Un large éventail d’études démontre que ce partage stimulerait les ventes, agissant comme une sorte de marketing officieux – et gratuit.

C’est pourquoi j’ai longtemps préconisé des recherches indépendantes sur ce sujet – après tout, si les industries liées au droit d’auteur sont si sûres que le partage de fichiers engendre des pertes de revenus, qu’auraient-elles à craindre d’études objectives à ce sujet  ? Pourtant, elles semblent réticentes ne serait-ce qu’à envisager cette idée.

Mais quels que soient vos avis sur ce problème en particulier, il y a de grandes chances que ce qui suit ne fasse que l’aggraver  :

Le Conseil Européen a adopté aujourd’hui, à la majorité qualifiée, une directive qui fait passer de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs d’enregistrements musicaux dans l’UE.

Sur le plan pratique, cela signifie qu’il y a très peu de chances que je – ou n’importe lequel de mes contemporains qui soit plus mélomane que moi – puisse un jour utiliser la musique d’aujourd’hui pour créer de nouvelles œuvres. Tout comme avec les autres médias, la musique enregistrée aujourd’hui vivra pendant près d’une centaine d’années dans une bulle aseptisée dans laquelle personne ne sera autorisé à entrer.

Tout ceci est théorique et très éloigné de nous  ; il n’est peut-être pas évident de voir où est le problème. Examinons donc de plus près ce qu’il s’est passé en imaginant un étrange monde parallèle, remarquablement identique au nôtre, dans lequel ceci se serait produit :

Le Conseil Européen a aujourd’hui adopté à la majorité qualifiée une directive réduisant la durée de protection des droits des des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs d’enregistrements musicaux dans l’UE de 50 à 30 ans.

Comme vous pouvez le constater, ce monde est presque strictement identique au nôtre, à la légère différence que la durée de validité du droit d’auteur pour les enregistrements musicaux a été raccourcie de 20 ans au lieu d’être allongée. Légère différence, penseriez-vous – après tout, 20 ans de plus ou moins, qu’est-ce que cela change  ? Si on peut rallonger cette durée, on peut aussi la raccourcir, non  ?

Mais dans ce monde parallèle, imaginez les hurlements de douleur et de colère qui émaneraient de l’industrie musicale face à cette réappropriation outrageuse et injustifiée de ce qui leur revient de droit. Les musiciens descendraient manifester dans la rue, et les compagnies vivant sur leur dos activeraient comme jamais leurs groupes de pression pour inverser cette terrible décision.

Heureusement pour eux, il ne s’agit que d’un monde parallèle. Mais grâce à la symétrie du droit d’auteur – c’est-à-dire le fait qu’il soit une aubaine aussi bien pour les créateurs que pour leur public, les premiers obtenant un monopole temporaire en échange d’un passage dans le domaine public une fois ce monopole expiré – c’est vous, moi et chaque membre de ce nébuleux public – qui sommes dépossédés. À la seule différence que personne n’est descendu dans la rue pour protester.

Quand les musiciens ont enregistré leurs chansons, l’accord était qu’ils recevraient des droits d’auteurs pendant 50 ans (ou moins, selon l’époque à laquelle ils les ont enregistrées). En contrepartie de ces 50 ans, ils acceptaient que le domaine public s’en voie enrichi pour que nous, le public, puissions faire ce que bon nous semble de cette musique.

Ce pacte, accepté librement par les deux parties, vient tout juste d’être brisé. Les enregistrements n’entreront plus dans le domaine public à la date convenue  ; au lieu de ça, nous devrons attendre 20 années de plus. Dans les faits, on nous a volé 20 ans de domaine public, vu que rien ne nous a été donné en échange de cette perte soudaine.

Il n’y a donc pas à chipoter pour savoir s’il s’agit de vol ou non, puisque quelque chose nous a été pris sans que l’on nous en demande la permission. Oui, le Conseil Européen est censé, en théorie, agir en notre nom, mais je ne me souviens pas que l’on m’ait, à aucun moment, demandé mon accord. Le fait est que le Conseil a agi de façon unilatérale, à l’injonction de l’industrie musicale qui voulait le beurre et l’argent du beurre – et non parce que nous, le public, demandions aux politiciens de changer la loi en ce sens pour nous rendre plus pauvres que nous ne l’étions.

Voilà ce qu’est le vrai vol de droit d’auteur  : on vole le public par une extension injustifiée et non démocratique du droit d’auteur.

Notes

[1] Crédit photo  : Alan Stanton (Creative Commons)

22 Responses

  1. dorian07s

    La est la preuve qu’une partie des décideurs sont de mèche avec les labels. A qui viendrait l’idée de rallonger la durée du copyright musical ? Personne.
    Ils n’agissent pas en notre nom, pourquoi de pas faire un référendum ? (même si je suis conscient qu’on ne peut pas en faire pour tout et n’importe quoi). On ce posent beaucoup de questions sur cette industrie, et jusqu’à maintenant il n’y a pas eut de solution, le Conseil Européen devrait nous demander notre avis, je suis sur que nos idée seraient bien plus intéressante que les leurs.
    Et pourquoi ne pas faire comme avant, à l’époque ou il n’y avait pas de disque ou cassette ?
    On pourrait bien imaginer la musique gratuite (ou un copyright d’un an), encourager les dons, mieux payer les artistes lors des représentations (comme les troubadours ^^), concerts…
    Seulement ses artistes ne veulent pas redevenir des travailleurs comme les autres, et les labels des simples agences marketing.

  2. VyGER91

    Juridiquement il s’agit de « contrefaçon » et c’est puni plus sévèrement que le vol simple (3 ans de prison dans les deux cas, mais 300.000 euros d’amende contre 45.000 euros pour un vol).

    Pour envoyer un message aux majors de la musique, c’est simple : il suffit d’arrêter d’acheter de la musique. Il y a pléthore de solutions légales pour écouter gratuitement des morceaux et s’apercevoir que c’est la merde habituelle qui ne vaut pas le coup de l’écouter et donc de l’acheter.

  3. jeanphy

    Normal.
    Il y a des clients qui donnent de leur vie pour écouter et acheter à prix d’or de la ‘musique’ de merde, insipide, inodore, incolore..
    C’est normal et utile que les industriels de média les exploitent le plus possible.

  4. Galuel

    La création monétaire agit elle même de façon arbitraire et unilatérale.

    Comment alors s’étonner que les conséquences pour agir au sein de ce système monétaire soit alors des actions arbitraires et unilatérales de même nature ?

    Ne serait-il pas fort étonnant de voir quelqu’un protester contre le fait qu’il ne peut pas créer un serveur d’informations sur le réseau Minitel quand le code même de ce réseau implique que c’est son propriétaire qui décide de qui fait quoi ?

    Je ne lasse pas de m’étonner qu’on dénonce des conséquences secondaires sans dénoncer l’ordre premier…

    Autant avoir pesté contre les verrous numériques sous Windows au lieu d’avoir développé Linux…

    http://www.creationmonetaire.info/2

  5. Incontinentia Buttocks

    « Il y a des clients qui donnent de leur vie pour écouter et acheter à prix d’or de la ‘musique’ de merde, insipide, inodore, incolore.. »
    C’est toi qui le dis. Eux ont probablement un avis très différent de ce qu’ils écoutent.

  6. DrTutut

    Le plus drôle est que cette extension profitera bien plus aux éditeurs de musique qu’aux musiciens. Le musicien toucherait des droits pendant 70ans ! Ben voyons ! La belle affaire ! Je veux bien que l’espérance de vie s’allonge mais faudrait pas exagérer non plus. Il s’agit une fois de plus d’une captation de revenus indus par une industrie.

    (tiens c’est marrant, je viens de me rendre compte que dans «industrie» il y a «indu»)

  7. popart

    (…) c’est vous, moi et chaque membre de ce nébuleux public – qui sommes dépossédés (…)
    (…) on nous a volé 20 ans de domaine public (…)

    Curieux point de vue…

    La valeur d’une société se mesure à l’aune de ses préoccupations 🙂

  8. RilaX

    Partageant le point de vue de l’auteur sur le vol que nous venons de subir via cet allongement des droits des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs d’enregistrements musicaux, j’aimerai beaucoup savoir quel est le point de vue d commentateur précédent (popart), et en quoi il trouve le notre « curieux » ?

    Pour être un peu plus disert, je m’émeus que les mêmes qui accusent les internautes de vol pour un acte de partage culturel trouvent étonnant que se voir retirer 20 ans de domaine public puisse être considéré comme un vol.

  9. personne

    Et si tous les libristes adeptes du ‘tout gratuit partout’ se retrouvaient à devoir travailler gratuitement, qu’en penseraient-ils ?

    Parce qu’au train où vont les choses, la durée des copyrights va devenir un sujet sans importance par rapport à comment gagner un peu sa vie.

    Chaque fois que l’on ajoute de la gratuité, ce sont des emplois qui se perdent. Et ça ce n’est pas le monde viruel, c’est la réalité, la vraie vie.

  10. dub

    Un brevet industriel, c’est 20 ans de durée de vie.
    Une chanson, 70 ans.
    Qui rapporte le plus en terme d’emploi ?
    Pourquoi un secteur est-il surprotégé ?

  11. Cricri

    Ils ne pourront pas contrôler les échanges à force de tirer sur la corde , ils se tirent une balle dans le pied ! Même à supposer que quelques milliers de personnes arrivent à imposer des DRM et des mouchards partout sur Internet , des millions d’autres passeront leur temps à essayer (et réussirons) un moyen de passer à travers !
    Le fait qu’on arrive à accepter les impôts, les limites de vitesse sur la route, les remontrances de la Police est qu’il y a un juste retour de l’investissement pour son propre compte. Quand on voit que ces hommes politiques à tous niveau se battent comme des beaux diables pour des sujets qui pourraient sembler futiles pour le français moyen, on sent bien qu’on titille finalement un des cadenas de notre démocratie.
    Mais de plus en plus de Français lisent sur Internet et regardent le journal de TF1 avec
    un peu plus de recul ! Ils savent que ces moment de publi-information ne sont que
    du théatre pour défendre des valeurs de plus en plus faussées.
    Le fait de pouvoir écrire sur ce blog ou twitter les irritent au plus haut point !
    D’ailleurs, les chaînes de télévision redoutent qu’ont puisse marier TF1 avec twitter sur le même écran et luttent de toute leur force sur les télé connectées …
    Alors ils vont essayer juridiquement de bloquer les contenus libres sur Internet (et ailleurs) de toute leur force et le plus longtemps possible pendant que nous inventerons
    de plus en plus de moyens d’échange et plus la pression sera forte , plus ces moyens seront nombreux !

  12. JM

    C’est là qu’il faut rappeler la polémique à l’égard des droits d’auteurs encore prélevés sur le Boléro de Ravel à hauteur d’un à deux millions d’euros par an semble-t-il. Le lien indiqué par la page Wikipedia française de l’œuvre de Ravel indique qu’un ancien cadre de la SACEM serait le seul bénéficiaire des ces droits. Le lien est en anglais malheureusement, c’est un article du Guardian :

    http://www.guardian.co.uk/education

    De quoi faire réfléchir…

  13. popart

    Je ne vois pas en quoi quelque chose nous serait dû juste parce que quelqu’un (ou quelques-uns) le décide(nt). De plus c’est un peu fort d’en traiter certains de voleur quand les autres téléchargent des fichiers musicaux à tout va. Ces téléchargeurs qui pour justifier leurs rapines martèlent que la soupe ambiante ne mérite pas d’être achetée, mais n’hésitent pas du reste à la pirater (on se demande bien pourquoi).
    Vous-même devez faire partie de ces « autres » puisque vous qualifiez ce vol pur et simple d’acte de partage culturel (comme tout devient beau avec les bons termes).
    Alors certes, en se masturbant le neurone on peut partir dans des raisonnements qui aboutissent à ce qui est dit plus haut mais c’est tout de même un peu tiré par les cheveux.
    En passant, je trouve cela plutôt comique qu’un voleur se dise volé. Voleurs grâce auxquels je devait (je ne suis plus dans l’hexagone) payer des taxes sur les CD vierges, les disques durs et p-être bientôt une licence globale alors que je m’en carre le popotin de la musique.
    Ceci étant dit, je suis assez d’accord avec le principe du domaine public mais qui ne devrait s’appliquer qu’à la mort de l’auteur selon moi et pas au bout de vingt ans, cinq ans ou cent ans. En attendant il est légitime que l’auteur perçoive ses droits, vous travailler gratuitement vous ?

  14. popart

    mince, j’ai oublié de préciser que je m’adresser à RilaX 🙂

  15. popart

    j’ajoute qu’à votre place je plaiderais plutôt pour une redéfinition, une réforme, du droit d’auteur et du montant de ces mêmes droits. N’oublions pas non plus que tout le monde n’a pas le portefeuille de notre ineffable Johnny Halliday…

  16. Ginko

    @popart:

    > La valeur d’une société se mesure à l’aune de ses préoccupations 🙂

    > En attendant il est légitime que l’auteur perçoive ses droits, vous travailler gratuitement vous ?

    CQFD, nous n’avons pas les mêmes valeurs 😀

  17. ensemble

    la base d’un peu d’equité serait une préevaluation a la louche du temps necessaire pour la creation de telle musique ou ecrit… etc

    et d’en fixer (au cout moyen de l’heure planetaire travaillée) un plafond de droits (une bonne chanson = une journée paroles et musique.. x$ de plafond)

    ensuite on pourrait laisser une marge de sur »don » volontaire (pour gratifier… les excellentes chansons ou sonates ou…!)
    et puis la aussi un plafond… apres c’est consacré a des taches utiles et necessaires…

    johnny et depardieu comme ca pourront arreter de se pourrir la santé via picole fric et desespoir…