Les codeurs sont la nouvelle élite politique

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Au moment même où le citoyen est affaibli par un bulletin de vote qui a de moins en moins de valeur, on voit émerger un nouveau contre-pouvoir disparate, mutant et original  : les codeurs.

Analysant la mobilisation contre SOPA et le début des élections américaines, le journaliste du Washington Dominic Basulto n’hésite pas à y voir une forme de nouvelle élite politique dans le sens où une minorité détient un savoir propre à peser réellement sur le cours des choses.

Dans le monde d’aujourd’hui «  soit tu programmes, soit tu es programmé  »[1].

C’est aussi pour cela que le logiciel libre est si important et que l’informatique doit enfin et pleinement pénétrer le monde éducatif.

James Morris - CC by

Rencontrez la nouvelle élite politique  : Les programmeurs

Meet the new political elite : Computer programmers

Dominic Basulto – 10 janvier 2012 – Washington Post
(Traduction Framalang  : Clochix, Lolo le 13, Goofy)

Le code devient la nouvelle lingua franca des activistes du Web dans tout le pays, propulsant les mouvements similaires aux Anonymous contre les politiciens et le statu quo. Dans ce processus, les développeurs aident à créer une nouvelle base politique au sein de l’électorat. Si vous savez coder, vous pouvez lancer de nouveaux mouvements, bouleverser les dynamiques des campagnes traditionnelles et mettre la pression sur les candidats de manière peu coûteuse, high tech et très efficace.

Est-ce que cela signifie que les développeurs de logiciels et les experts du code sont la nouvelle élite politique  ?

Prenez par exemple la loi SOPA en cours de discussion au Congrès. Elle a déclenché une tempête de protestations sur tout le Web. La base de la campagne anti-SOPA en ligne, qui comporte des sites essentiels comme #BlackoutSOPA et de nouvelles applications qui aident à boycotter les supporters de SOPA, est en grande partie bâtie par des gens qui savent mettre à profit leurs propres compétences en programmation, ou celles des autres. L’«  esprit de ruche  » de l’Internet est soudain partout dans le cyberspace, il met la pression sur des compagnies comme GoDaddy.com pour qu’elles retirent leur soutien à SOPA, il lance des campagnes contre les législateurs favorables à SOPA, comme le membre du Congrès Paul Ryan, et oblige impitoyablement les individus et les organisations à prendre position quand il faut défendre la liberté de parole sur l’Internet.

Et donc, que se passe-t-il si un candidat prend la mauvaise position sur un sujet brûlant  ? Si vous êtes le parlementaire Paul Ryan (élu de la première circonscription du Wisconsin), cela signifie adopter clairement et vigoureusement la volonté collective de l’Internet.

La capacité de ces nouveaux développeurs de faire passer leurs frustrations sur un candidat est rapide, chirurgicale et impitoyable. Voyez ce qui est arrivé au site social d’actualité Reddit, qui est devenu un missile nucléaire politique, manié par des programmeurs et des internautes qui essaient de changer le débat en ligne. En plus de coordonner les attaques contre les partisans de SOPA comme le sénateur de Caroline du Sud Lindsey Graham («  l’Opération Graham-le-menteur  »), Reddit a été la caisse de résonance pour amplifier les attaques contre des politiciens comme Rick Santorum. Satorum, qui avait été la cible de «  bombes Google  » il y a des années, continue d’attirer la colère des partisans sur Internet du mariage entre personnes du même sexe et des droits des homosexuels.

Comme l’a écrit le gourou techno et média Douglas Rushkoff, nous sommes entrés dans une ère où «  Tu programmes ou tu es programmé  ». Soit vous apprenez à parler le langage des multitudes rebelles et high-tech, soit vous assumerez les conséquences d’être un candidat qui promet de faire de la politique du siècle dernier.

En réponse à cette nécessité, les collectifs de codeurs, les cours et les ateliers poussent comme des champignons, s’appuyant sur un esprit conquérant du secteur technologique et le mécontentement général vis-à-vis de l’immobilisme politique. Une des expériences les plus intéressantes de 2012, c’est l’année du Code, ayant rassemblé plus de 290 000 personnes qui ont placé parmi leurs bonnes résolutions pour l’année nouvelle  : apprendre à coder. Dès cette semaine, tous ceux qui ses sont enregistrés sur Codeacademy recevront des emails comprenant des tutoriels de programmation à pratiquer soi-même. Le premier mail est parti le 9 janvier.

Au sein des incubateurs technologiques de toutes les villes du pays, apparaissent de nouveaux cours qui promettent d’apprendre à coder à tout le monde. Même le maire de New York, Michael Bloomberg, a déclaré qu’il voulait apprendre à coder cette année (peut-être le baiser de minuit qu’il a reçu de Lady Gaga au nouvel an a-t-il altéré temporairement ses facultés intellectuelles).

En 2011, Les Anonymous ont démontré qu’Internet avait le pouvoir de contraindre à une plus grande transparence, Occupy Wall Street a démontré qu’il était possible de mobiliser des manifestants en ligne, et le secteur technologique a continué à faire tourner des outils très faciles à prendre en mains, avec lesquels on peut créer des applications et des sites Web en quelques heures, pas des semaines ou des mois. Ajoutez à ce cocktail détonant la super vacherie d’un super PAC et une escouade de jeunes idéalistes politisés qui savent coder, et vous pourriez être tout à fait capable de changer la face de la campagne électorale de 2012. À mesure que la vague électorale gagne le New Hampshire, la leçon devient de plus en plus limpide  : si vous ne parlez pas le code, vous ne parlez pas la même langue que les nouveaux activistes de ces élections, eux qui sont capables de changer l’esprit du temps dans la sphère politique.

Notes

[1] Crédit photo James Morris (Creative Commons By-Sa)

13 Responses

  1. jgjgjgjg

    mouais mouais. Pour l’instant les codeurs et hackers ne peuvent faire que des coups et parfois reellement influencer comme wikileaks. Je suis désolé mais quand ils se mêlent de politique les partis pirates ne savent parler de grand chose à part de creative commons et de neutralité du net. cf http://partipirate.org/blog/com.php
    après faire le buzz par du google bombing là il y a du monde.

  2. Henri

    @jgjgjgjg : Ok mais mettons que tu ne sois plus satisfait de Facebook qui change constamment sa politique de confidentialité. Tu peux alors gueuler un bon coup sur Facebook et lui mettre la pression pour qu’il change mais c’est tout. Si jamais tu sais coder tu peux avec d’autres développeurs t’essayer à faire autre chose ailleurs comme le projet Diaspora. Que Diaspora réussisse ou pas, c’est un autre problème, mais au moins tu as la possibilité car les capacités de le faire.

  3. totopipo

    «tu programmes ou tu es programmé» : très darwinien, très prédateur. Et tout semble ici s’articuler autour de cette « évidence ».
    Car on aurait pu tout autant écrire «tu contrôles ou tu es contrôlé», «tu chasses ou tu es chassé» ou encore «tu tue ou tu es tué». Plus… universaliste.
    Et comme par hasard avec un peu de chance, il y aura toujours des meilleurs codeurs qui auront des têtes de bisounours pour aider des moins bons codeurs ou ceux qui ont décidé de faire autre chose pour passer leur temps. Un peu comme la politique, où les dizaines de millions de non-professionnels souhaitent s’en remettre aux meilleurs. D’ailleurs ils ne demandent que ça : des cours de soutien autrement que télévisés, comme des cours d’éducation civique dès le plus jeune age. Après ils lisent un canard d’experts reconnus.

    J’ai eu comme un frisson au début, mais rien que ça je me suis senti soulagé : finalement, de changement, y en aura pas.

  4. ours-blanc-

    Et les personnes qui rament à utiliser seulement un ordinateur ? Et la génération Y qui passe son temps devant des écrans mais ne sait rien de comment ça fonctionne ? Et les personnes perdues devant n’importe quel outil technologique ?
    Il existe des gens qui n’ont pas d’ordinateurs chez eux, pas de smartphone, et qui n’en auront jamais. Alors la philosophie universelle du libre qui proclame les programmeurs parmi l’élite…
    Ce texte est un beau morceau d’idéologie libriste qui ne libère que l’égo de ceux qui la proclame. On est pas sorti de l’auberge.

  5. p_p

    Au delà de tout prosélytisme dont cet article est peut être un peu trop imprégné, il me semble clair aujourd’hui que nous baignons (nous autres occidentaux) dans une société informatisée, et cela va s’empirant (ou s’améliorant ?).
    Cela soulève beaucoup de questions lié à l’autonomie de l’humain face à la machine, et en effet on peut se poser la question mais qui contrôle les machines ? c’est assez légitime quand on consomme des machines à longueur de journée (smartphones, réseaux sociaux, ordi, carte à puce, transport….).
    La question du codeur c’est avant tout une référence à l’autonomie et l’indépendance de l’utilisateur de ces machines : qui comprend le fonctionnement des TIC est moins sujet à se faire manipuler, duper, arnaque etc.
    Donc comme nous sommes immergé dans un monde numérique et que le code en est un de ses fondements, que par ailleurs c’est de plus en plus ce monde numérique qui modèle notre environnement, alors il est bon je pense que les citoyens sachent appréhender au mieux le fonctionnement des TIC et de cet univers numérique.
    Donc à partir de là, une certaines compréhension du code, devient un acte politique.
    Ce qui ne réduit pas la question à : les codeurs sont ils l’avenir de la politique ? mais
    Le code est il essentiel à l’humain politisé du XXIe siecle ?

  6. Ginko

    Cet article dresse un constat réaliste (mais également évident pour de nombreuses personnes depuis un bon bout de temps) : les codeurs politisés influencent de plus en plus le monde.

    Par contre son analyse est assez légère (pour ne pas dire minable). Il n’y a aucun lien direct entre savoir programmer et avoir une telle influence politique. Entre les deux, il y a cette couche de transport d’information que l’on appelle Internet et sans laquelle, il ne se passerait rien (ou du moins des choses bien moins visibles et immédiates, beaucoup plus profondes et à long terme, comme le logiciel libre). C’est parce qu’Internet est ouvert et donc manipulable (en l’occurrence par le biais du « code ») que les codeurs ont une influence.

    Et ils en auront de plus en plus à mesure que l’intelligence (comprendre des processeurs + du code) envahit tous les aspects de notre vie, accompagné par une généralisation du réseau.

    Quant à appeler ça une « élite politique »…

    C’est léger comme article… digne d’un media mainstream.

  7. totopipo

    @p_p
    «Le code est il essentiel à l’humain -p-o-l-i-t-i-s-é- robotisé du XXIe siecle ?»
    => oui.
    Politisé ? Quelle futilité quand nous sommes tous gouvernés par l’efficacité et que cette gouvernance a été admise par tous.

  8. PhilippeMC

    Sous Firefox (ça fait un moment, +sieurs versions) les fontes de (presque, en fait tous les « p ») tout le site sont vilaines, aliasées, berk. Sans ça bisoux à tous, j’aime votre site.

  9. xaccrocheur

    Bonjour ; Cet article est à classer en « littérature romantique » (Je pense tout comme « Ginko »). Je suis développeur , assez au jus (pour le moment, car bientôt je serai vieux et largué) et je me sens parfaitement impuissant à changer la marche des choses. J’ai pas de TV, pas de facebook, pas d’apple ni de microsoft, j’étais là à la naissance d’internet, j’ai toujour eu un ordinateur, depuis toujours, et j’ai toujours eu à coeur de piger comment il tourne. mais je suis incapable d’influer ne serait-ce que d’un bit de poids faible les choix de société de mes gentils co-animaux. Un mouton dans un couloir de comptage, voilà ce que je suis.

    « Code or be coded ». Celà dit, ça sonne bien, on dirait un slogan de TShirt, comme « skateboarding is not a crime » 🙂 Ca pourrait aussi faire une bonne accroche pour un projet privateur, histoire de retourner le concept à l’envers, façon droite française… Enfin je dis française (et même je dis droite..?) mais je dis n’importe quoi.

    Pff, la vérité c’est que je suis déprimé. Don’t mind me.

    @xaccrocheur

  10. totopipo

    @xaccrocheur
    Moi aussi je suis déprimé, et en toute honnêteté ce serai avec un grand soulagement le jour où je quitterai ce monde. Je ne suis pas pressé pour autant. En attendant, je compte bien faire un peu ce que j’ai envie, de voler quelques plaisirs au passage et de regarder déjà les grands décideurs prendre de mauvaises décisions et persister dans de mauvaises directions malgré tous les signaux d’alerte.
    Alors les codeurs pro ou du dimanche, comme les autres… ils peuvent bien gesticuler et se faire des gros trip à coté. 🙂

  11. pada

    Ça doit être le climat de morosité qui s’impose en France qui guide vos commentaires. Je trouve quand même intéressant, et même surprenant, que le Washington Post publie un tel article au moment ou internet est menacé par la loi.

    Il ne faut pas oublier le rôle de gens comme ceux qui ont créé le site http://www.regardscitoyens.org/ . Si vous ne connaissez pas, visitez le et vous verrez que pour exploiter les données publiques il faut savoir coder et être motivé politiquement. À quoi sert le mouvement open data si on ne peut ou ne sait pas programmer (ou faire appel à un programmeur)?

    Il est clair que ce ne sont pas les financiers de Wall Street, ni les propriétaire des grands media et pas plus nos politiciens actuels qui vont régler le problème de la dette, ils l’ont créée et en sont devenus très riches. Seul espoir les mouvements citoyens et dans notre monde numérique cela passe par un internet neutre et des programmeurs compétents et autonomes.

  12. versleouest

    @pada: «Seul espoir les mouvements citoyens»
    Il y en a évidemment beaucoup en France, de cet espoir. Seulement, si tout le monde se contente d’espérer (et par manque de ressources ne peut pas se permettre d’agir) rien de bien arrive de tout ces mouvements… Il y a l’ESS, il y a April, il y a Pierre Rhabi et une douzaine de ces amis, il y a les auto-/eco-constructeurs et plain des agriculteurs bio «militantes». Bien pour eux.

    Non.

    Je dis, qu’il faut l’action des riches. S’ils ne sont pas prêts, il faut les «travailler» afin qu’ils recommencent d’apprendre et enfin comprendre ce monde. On n’arrive nulle part sans eux. Désolé.

    «Il y a trop des intelligentes et non pas assez des courageux» (un boulanger)

  13. versleouest

    Et pardonnez mon français d’Outre Rhin (de nouveau)