Crime d’impression, par Cory Doctorow (copiez cette histoire)

Classé dans : Communs culturels | 5

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Début 2006, Cory Doctorow publiait une courte nouvelle de science-fiction qui à peine sept ans plus tard, avec l’explosion de l’impression 3D (et le climat ambiant de guerre contre la bidouille et le partage) prend malheureusement déjà des accents prémonitoires…

Printcrime - Cory Doctorow

Crime d’impression

Printcrime

Cory Doctorow – janvier 2006 – Nature.com
(Traduction  : Rigas Arvanitis, relecture aKa)

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Les flics ont bousillé l’imprimante de papa quand j’avais huit ans. Je me souviens son odeur de pellicule fondue dans le micro-ondes et le regard d’intense concentration de papa quand il la remplissait de produit, ainsi que l’odeur de produit chaud qui en sortait.

Les flics sont rentrés les matraques à la main, l’un d’eux récitait l’ordre d’arrestation dans un haut-parleur. C’était un des clients de papa qui l’avait dénoncé. La iPolice payait en produits pharmaceutiques de haute qualité  : des produits d’amélioration des performances, des suppléments de mémoire, des booster métaboliques. Le type de produits qui coûtent une fortune dans une pharmacie  ; le type de produits que l’ont pouvait imprimer à la maison, si on n’avait pas peur de voir sa cuisine envahie soudain par des mecs gros et gras, les matraques à la main, cassant tout sur leur passage.

Ils ont aussi détruit le buffet de grand-mère, celui qu’elle avait ramené de la campagne. Ils ont aussi détruit notre petit réfrigérateur et le purificateur d’air sous la fenêtre. Mon oiseau a échappé à la mort en se cachant dans un coin de la cage quand l’un des flics gros et gras transformait la cage en un amas de fil de fer informes sous sa botte.

Papa, ce qu’il a souffert  ! Quand ils ont fini, il donnait l’impression de s’être battu contre toute une équipe de rugby. Ils le traînèrent à la porte et laissèrent les journaleux le regarder de près avant de le pousser dans la voiture, tandis qu’un porte-parole disait au monde que l’organisation criminelle de papa était responsable de contrebande pour au moins 20 millions et que mon papa, parfait méchant désespéré, avait résisté pendant son arrestation.

J’ai tout vu sur mon téléphone. En regardant les restes du salon sur l’écran, je me suis demandé comment on pouvait imaginer, en voyant notre modeste petite maison, que c’était là la demeure d’un baron du crime organisé. Evidemment, ils emportèrent l’imprimante et la montrèrent comme un trophée aux journaleux.

La petite étagère où elle se trouvait auparavant paraissait comme un autel bien vide dans la cuisine. Quand je me suis rendu à la maison pour récupérer mon pauvre petit canari affolé, j’y ai posé un robot de cuisine qui avait été monté avec des pièces imprimées par notre imprimante, afin de ne pas attendre plus d’un mois avant d’avoir à imprimer de nouvelles pièces mobiles et des accessoires. A cette époque, je savais monter et démonter n’importe quel objet imprimé.

A mes 18 ans, ils ont relâché papa de prison. Je ne l’avais visité que trois fois  : le jour de mes 10 ans, le jour de mes 50 ans et à la mort de maman. Cela faisait 2 ans que je ne l’avais pas vu et il était devenu l’ombre de lui-même. Il avait été handicapé suite à une bagarre en prison et jetait en permanence des coups d’œil derrière lui. J’étais pas fière quand le taxi nous a lâché devant la maison et j’essayais de garder mes distances à côté de ce squelette ruiné et boiteux qui montait les marches.

«  Lanie,  » dit-il en s’asseyant, «  Tu es une fille intelligente, je le sais. Tu saurais pas, par hasard, où je peux me procurer une imprimante et un peu de produit  ?  »

Je serrais les poings si fort que mes ongles s’enfonçaient dans ma paume. Je fermais les yeux  : «  Tu as été 10 ans en prison, papa. 10 ans  ! Tu ne vas pas risquer de rempiler en imprimant encore des robots et des produits pharmaceutiques, des portables et des chapeaux de mode  ?  »

Il sourit. «  Je ne suis pas stupide, Lanie. J’ai appris la leçon. Aucun portable et aucun chapeau ne vaut la peine d’aller en prison. Je ne vais plus imprimer ces trucs, plus jamais.  » Il avait une tasse de thé à la main qu’il sirotait comme si c’était un verre de whisky. Il ferma ses yeux et s’étendit sur la chaise.

«  Viens là, Lanie, laisse moi te souffler à l’oreille. Laisse moi te dire ce que j’ai décidé pendant ces 10 ans passés derrière les barreaux. Viens écouter ton stupide papa.  »

Je sentis un peu de honte pour l’avoir rabroué. Il avait l’air d’avoir perdu la boule, c’était clair. Dieu seul savait ce qu’on lui avait fait subir à la prison. «  Oui, papa  ?  » dis-je en me penchant vers lui.

«  Lanie, je vais imprimer des imprimantes. Des tas d’imprimantes. Une pour chacun. Ça oui, ça vaut la peine d’aller en prison. Ça vaut tout l’or du monde.  »

5 Responses

  1. cym13

    Très beau texte, on retrouve son style.
    Petite coquille dans le septième paragraphe en partant de la fin « le jour de Ses 50 ans ».

  2. Internet notre ennemi

    On peut jouer à se faire peur, à se dire que les gouvernants ne sont rien que des salops qui veulent nous empêcher de vivre et nous parquer dans des usines capitalistes.

    Mais on peut aussi regarder la réalité en face : article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (OUI DE 1789 !) : « tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

    Pas la peine de vous exciter, ça fait 200 ans qu’on est libre d’imprimer. A moins que le but ici est de nous dire « trop dur la vie, je ne peux pas imprimer les .mp3 et les livres des autres, c’est une atteinte à ma liberté d’imprimer ».

    Quant à militer pour changer le monde (ie. avoir le droit de pirater), quelle est votre légitimité démocratique ? Imposer son changement du monde aux autres n’est pas démocratique.

  3. Séverin

    J’aime assez finalement ce deuxième commentaire ; il incarne avec brio notre myopie collective. En confondant :

    – le nécessaire respect du droit d’auteur, et la nécessaire rémunération des auteurs,

    – avec des lois absurdes et liberticides qui interdisent la libre mutualisation des savoirs et des arts et qui tentent de recréer artificiellement de la rareté comme si de rien n’était alors qu’il est urgent de faire preuve d’imagination.

    Mécénat global ?

  4. grouik

    @Internet notre ennemi
    Zappons sur le fait que la révolution de 1789 d’où découle la déclaration en question est une révolution bourgeoise soutenu par un mouvement populaire (dont quelques membres un peu trop révolutionnaires virent leur vie très rapidement révolue). Terreau du beau capitalisme mondialisé comme on le connaît aujourd’hui et qui apporte bonheur pour tous, même pour les ingrats qui n’en veulent pas.

    «Quant à militer pour changer le monde (ie. avoir le droit de pirater), quelle est votre légitimité démocratique ?»
    Clairement plus (il paraît qu’on est vraiment plusieurs millions à vouloir la mort de quelques artistes) que la légitimité accordée à un pincée de scribouillards pleurnichards qui représente cette industrie du divertissement holiste qui écrit les lois pour les autres. Les plus mauvais comédiens qui soient, mais ils ont le public qu’ils méritent chez les parlementaires.
    Mais bon, la démocratie et l’abus de liberté, ça doit être surtout une question de gueule, celle qui plaît à toujours plus de légitimité, et les pires sont ceux qui sont les plus prompts à se farder de Loi. Dingue ! Manquerait plus que les pirates de frama aient le droit de vote pour faire entendre leur voix sur l’assèchement du DP !

    «Imposer son changement du monde aux autres n’est pas démocratique.»
    (mouarf!) Amenez-donc toutes les compagnies pétrolières en priorité et les représentant qui semblaient plus que complaisant à leur égard dans un TPI en ce qui concerne le changement climatique. On en reparlera après et on pourra accepter des leçons de démocratie par le premier commentateur venu. 🙂

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