Si rien ne bouge en France dans les cinq ans je demande ma mutation à Genève

Temps de lecture 8 min

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Broma - CC byCe billet souhaite avant tout saluer l’action du SEM qui, dans le cadre des MITIC, favorise les SOLL au sein du DIP. Gageons cependant que si vous n’êtes pas familier avec le système éducatif genevois, cette introduction risque de vous apparaitre bien énigmatique  !

Le DIP, c’est le Département de l’Instruction Publique du Canton de Génève et le SEM, le Service Écoles-Médias chargé de la mise en œuvre de la politique du Département dans le domaine des Médias, de l’Image et des Technologies de l’Information et de la Communication, autrement dit les MITIC.

Mais l’acronyme le plus intéressant est sans conteste les SOLL puisqu’il s’agit rien moins que des Standards Ouverts et des Logiciels Libres.

En mars dernier en effet le SEM a élaboré un plan de déploiement 2009-2013 sur cinq ans des postes de travail pédagogiques (autrement dit les ordinateurs des élèves[1]) qui présente la particularité d’être peu ou prou… exactement ce qu’il nous faudrait à nous aussi en France  ! Lecture chaudement recommandée.

L’objectif du présent plan de déploiement est de parvenir d’ici la rentrée 2013 à doter les écoles d’un poste de travail fonctionnant uniquement sous GNU/Linux, dans sa distribution Ubuntu.

Impressionnant non  ! Proposez aujourd’hui la même chose de l’autres côté de la frontière et c’est le tremblement de terre (assorti d’une belle panique du côté des «  enseignants innovants  » de Projetice, du Café pédagogique et de Microsoft)  !

Mais ainsi exposé, il y a un petit côté radical à nuancer  :

Le solde constitue les exceptions pour lesquelles il n’aura pas été possible de trouver une solution ou pour lesquelles les systèmes propriétaires restent manifestement mieux adaptés au métier.

Et comment ne pas souscrire à ce qui suit (que je m’en vais de ce pas imprimer et encadrer dans ma chambre)  :

Il s’agit en fait d’opérer un changement de paradigme  : aujourd’hui, le standard est Windows, l’exception MacOS. Demain, le standard sera GNU/Linux, les exceptions MacOS et Windows.

Tout est dit ou presque. Ce n’est ni un désir, ni une prédiction, c’est à n’en pas douter le choix technologique d’avenir de nos écoles. Et plus tôt on prendra le train en marche, mieux ça vaudra.

Je n’ai pu résister à vous recopier intégralement la première page du plan tant elle est pertinente et pourrait se décliner partout où l’on analyse sérieusement la situation.

Depuis 2004, l’État de Genève a annoncé son intention d’orienter progressivement son informatique vers les standards ouverts et les logiciels libres (SOLL).

Cette décision est motivée par la prise de conscience que «  l’information gérée par l’État est une ressource stratégique dont l’accessibilité par l’administration et les citoyens, la pérennité et la sécurité ne peuvent être garanties que par l’utilisation de standards ouverts et de logiciels dont le code source est public  ».

Un intérêt économique est aussi présent  : diminution des dépenses de licences bien sûr, mais également en favorisant les compétences et les services offerts par des sociétés locales plutôt que de financer de grands comptes internationaux.

Dans le domaine de l’informatique pédagogique, l’intérêt pour les SOLL est bien antérieur. En effet, les logiciels libres offrent pour l’éducation des avantages spécifiques, en plus des avantages communs à tous les secteurs de l’État. Ces logiciels permettent de donner gratuitement aux élèves les outils utilisés en classe et donc de favoriser le lien entre l’école et la maison  ; ils offrent un apprentissage affranchi de la volonté des grands éditeurs de créer des utilisateurs captifs  ; et la large communauté qui s’est développée autour des SOLL produit des solutions de qualité adaptées aux besoins de l’éducation.

La question des ressources pédagogiques est également au centre de cette problématique. S’appuyant sur le fonctionnement collaboratif propre au logiciel libre, il s’agit de mettre à disposition des enseignants et des élèves des environnements numériques technologiques performants à même de valoriser les contenus créés par les enseignants, de leur offrir la possibilité de les partager et de les échanger tout en protégeant les auteurs.

Conscient de ces enjeux, le DIP a validé en juin 2008 une directive formalisant sa décision «  d’orienter résolument son informatique tant administrative que pédagogique vers des solutions libres et ouvertes  ». La responsabilité de cette démarche a été confiée au SEM.

On peut toujours qualifier la Suisse de «  neutre  » et «  conservatrice  » mais certainement pas pour ce qui concerne les TICE du côté de Genève  !

L’excellente directive dont il est question à la fin de l’extrait, nous en avions longuement parlé dans un billet dédié du Framablog. On notera qu’il est également questions des ressources pédagogiques, évoquées (malheureusement en creux) lors du billet L’académie en ligne ou la fausse modernité de l’Éducation nationale.

Vous me direz peut-être que cette belle intention ne se décrète pas. Et vous aurez raison  ! Mais on en a pleinement conscience et c’est aussi pour cela qu’on se donne du temps, cinq ans, en commençant progressivement par quelques écoles pilotes.

Comme lors de tout changement, la transition vers un poste de travail logiciels libres va susciter des oppositions importantes, liées à des critères objectifs ou à des craintes non fondées. Pour assurer la réussite du projet, il conviendra donc d’identifier les risques et de mettre en œuvre les moyens de les réduire.

Les principaux risques identifiables dès maintenant sont les suivants  :

– résistance au changement des utilisateurs parce que celui-ci demande un effort d’apprentissage et d’adaptation  ;

– habitudes acquises lors de la formation (notamment universitaire) d’utiliser certains produits propriétaires, même si ceux-ci sont onéreux et parfois moins performants ou pratiques  ;

– difficultés à récupérer les contenus déjà réalisés avec les nouveaux logiciels proposés  ;

– difficultés à échanger les documents entre l’environnement mis à disposition par le DIP et les divers environnement acquis dans le domaine privé (même si les logiciels libres peuvent gratuitement être installés à domicile)  ;

– ressources insuffisantes pour accompagner le changement et assurer une aide locale aux utilisateurs  ;

– manque de clarté des objectifs de l’Etat dans le domaine des SOLL et impression que le DIP fait cavalier seul (ou, plus grave, renoncement de l’Etat à ses objectifs)  ;

Et pour se donner le maximum de chances de franchir l’obstacle  :

Dans la plupart des cas, la réponse aux préoccupations décrites passe par un effort d’information et de formation. Il faudra en particulier  :

– rendre très clairement lisibles les objectifs de l’Etat et du DIP  ;

– assurer lors de chaque migration une réelle plus-value pour les utilisateurs, soit pour la couverture des besoins, soit dans la mise à jour et la maintenance du poste, soit pour le support et la maintenance ou encore l’autoformation en ligne  ;

– être en mesure d’apporter une aide spécifique, personnalisée, locale, efficace et rapide pour résoudre les problématiques soulevées.

Le plan décrit dans ce document est évolutif. Il pourra être adapté en fonction des opportunités ou difficultés rencontrées au sein du périmètre concerné, ou en fonction de l’évolution du contexte (politique des éditeurs de logiciels, modification des orientations globales de l’Etat, etc.).

Face à ce types d’initiatives, vous pouvez être certain que la politique de certains éditeurs, que l’on ne nommera pas, va évoluer, et évoluer dans le bon sens (ce n’est pas autrement que s’y prend le Becta en Angleterre).

Et pour conclure  :

Le but visé par la transition vers les standards ouverts et les logiciels libres consiste en premier lieu à améliorer la qualité et la pérennité des outils informatiques mis à la disposition de l’enseignement.

Les avantages sont évidents dans une perspective globale. Vue du terrain, la réalité est nettement plus nuancée étant donné l’effort personnel que demande le changement d’habitudes et de moyens.

C’est la raison pour laquelle la compréhension par chacun des enjeux est essentielle, de même que la qualité de l’accompagnement qui devra soutenir la démarche.

Voilà une démarche que nous allons suivre de près.

Si vous voulez mon humble avis, on serait bien inspiré d’inviter nos amis du SEM au prochain Salon de l’Éducation à Paris, avec le secret espoir d’être remarqués par notre ministre et ses experts conseillers.

PS  : La source de ce billet provient de l’article Écoles  : l’informatique en logiciels libres du quotidien suisse indépendant Le Courrier, qui cite souvent le directeur du SEM Manuel Grandjean  : «  On ne va pas changer une Ferrari pour une 2CV juste parce qu’elle est open source  » ou encore «  Le travail d’enseignant intègre largement la collaboration et la mise en commun de ressources (…) On est véritablement dans une défense du bien commun  ».

Notes

[1] Crédit photo  : Broma (Creative Commons By)

14 Responses

  1. korbé

    Le SEM devrait fournir une Framakey Ubuntu Remix à chaque élève, vous ne pensez pas?

    Ça leur fournirait tous les logiciels libres utilisés en cours (les Framakey pouvant être modifié si il en manque) pour le PC de papa (ou maman) si il est sous XP et aussi de booter sur Ubuntu sans rien installer.

    Framasoft devrait prendre contacte avec le DIP pour le leurs proposer en leur expliquant qu’ils peuvent télécharger gratuitement la partie logiciel et qu’ils sont libre de choisir qui fournit les clefs USB (Framasoft ou autre), comme ça pas d’obligation d’achat. Bien sûr, profitez en pour leur rappeler le rôle de Framasoft, ça devrait les motiver à vous soutenir en achetant le pack (clefs USB + logiciels) chez vous.

    Qu’en pensez-vous?

  2. Alix Cazenave

    Il n’y a pas à dire, ça fait envie. En tout cas c’est encore un bel exemple à faire valoir auprès des autorités françaises. Merci Alexis pour cette info !

  3. Charles

    Dramatique quand on entends MAM déclarer dans l’hémicycle concernant la loi HADOPI et la demande d’interopérabilité et de gratuité des mouchards "Si tout devait être gratuit sous prétexte qu’un projet de loi impose un dispositif, on n’avancerait pas " mettant à mal tout une filière et une économie .
    C’est un peu comme si on autorisait une classe de pesticide dans les produits Bio en faisant mine d’ignorer cette économie. Nous avons vraiment des nullards dans ce gouvernement ! Et des tas de larves qui les suivent …

  4. Poupoul2

    Il y a des jours où on rêverait de s’appeler Jauni à l’Idée…ou pas (quand même).

  5. Serein

    Voilà une nouvelle qui fait bien plaisir, et on sent l’enthousiasme du rédacteur !

    Je ne crois pas (malheureusement) que l’exemple suisse fasse à lui seul bouger l’administration française, mais enfin d’ici quelques temps, quand l’adaptation sera bien entamée, ça fera au moins un bon argument à présenter.

    Comme quoi, quand on veut, on peut.

  6. Incontinentia Buttocks

    Hmm… C’est pas un exemple suisse, mais un exemple genevois. Outre le fait que le canton de Genève est presque un département français (ils sont à peine suisses, ces gens-là), la majorité des cantons restent fidèles à Microsoft.
    Si ma mémoire est bonne, le canton du Jura voulait passer à OpenOffice. Microsoft a offert des ordis pour les écoles jurassiennes, et depuis on n’a plus entendu parler d’OpenOffice dans ce petit canton sans le sou.

  7. korbé

    Personne n’est intéressé par ce que j’ai proposé dans mon premier comm?

  8. Surf

    Bonjour,

    A aKa, oui, toute la Suisse bouge, mais à un rythme… disons… précautionneux 😉

    A Incontinentia Buttocks, un autre exemple: le canton de Fribourg.
    Lu sur dans la newsletter de juin de Educa:
    "4. Pas à pas vers le libre
    Le site fri-tic propose de nombreuses ressources destinées à soutenir les écoles ayant décidé de faire le pas et de migrer vers une solution libre pour leur suite bureautique, que ce soit par soucis d’économie ou par principe.
    http://www.fritic.ch/dyn/44600.asp"
    Source: http://www.educa.ch/dyn/202230.asp

    A Korbé, si si, très intéressé, déjà téléchargé la Framakey Ubuntu et testé, génial 🙂
    (sauf le start.ini, que j’ai mis du temps à comprendre 😉
    A voir par la suite:
    * Peut-être pourrait-elle être proposée via le DVD GeLibrEdu qui doit être réédité à la rentrée?
    * Comment stabiliser les versions des softs sur celles utilisées à l’Etat en 2009-2010?
    * quelle clé précisément (Pack Framakey Full 1.9.0.0 http://framakey.org/Pack/PackFull ou Framakey Ubuntu Remix http://framakey.org/Pack/Framakey-U… ou ?)
    * …

    A tous, pour info, flux RSS des billets marqués LL sur SEMActu:
    http://www.sem-experimentation.ch/s

    Plus de nouvelles de Genève dans pas longtemps

    Bien à vous et merci

  9. David

    A propos du Café pédagogique, j’aime bien les messages subliminaux qu’ils laissent sur leur Expresso de juillet :
    http://www.cafepedagogique.net/lexp

    Citation : "Quand on demande aux enseignants des Landes pourquoi ils utilisent peu ou jamais l’informatique, les arguments avancés mettent tous en question la forme pédagogique. On a peur de perdre du temps, de perturber le cours. On ne voit pas l’intérêt pédagogique de l’utilisation de l’ordinateur ou d’Internet. Il est intéressant d’observer que les enseignants apprécient le TBI parce qu’ils pensent qu’il augmente la concentration des élèves, ce que les élèves partagent mais eux disent qu’ils sont encore davantage concentrés quand ils travaillent sur leur propre ordinateur. Il est intéressant de voir que les logiciels utilisés sont des utilitaires, comme Word ou Encarta. Les usages d’Internet sont orientés surtout vers les vidéos de l’INA ou de France 5 que le prof montre."

    Encarta, ça existe encore ça ?

  10. Téthis

    Hahaha ! Vous les français, toujours à envier les autres.

    Téthis, Franc-comtois avec du sang suisse dans les veines, vivant actuellement à l’étranger, dans le sud de la France.

  11. al.jes

    Euh… Suis pas d’accord, c’est pas GNU/Linux qui devrait devenir la norme, c’est Unix (le vrai, pas un Unix-like…)