L’ADULLACT, l’AFUL et Framasoft soutiennent l’amendement limitant les racketiciels du groupe GDR défendu par Mme Fraysse

21/06/2013 18:20 (Dernière modification : 21/06/2013 19:51)

Dans le cadre du projet de loi relatif à la consommation, L’ADULLACT, l’AFUL et Framasoft apportent leur soutien, sans réserve, à l’amendement 711 déposé par le groupe GDR et défendu par Jacqueline Fraysse. Cet amendement va dans la bonne voie pour mettre un terme au scandale des racketiciels, c’est-à-dire à la vente forcée de logiciels non demandés lors de l’achat de matériel informatique.

Les associations du logiciel libre appellent donc tous les députés, de toute tendance politique, à soutenir vivement cet amendement !

Au dernier épisode…

À l’automne 2011, le gouvernement de François Fillon avait proposé un projet de loi de protection du consommateur. Plusieurs députés avaient proposé des amendements censés apporter une meilleure protection du consommateur face aux pratiques commerciales déloyales de vente forcée des logiciels inclus dans le matériel informatique. Comme l’AFUL l’avait souligné à l’époque, le remède était pire que le mal puisque après une lecture juridique attentive, ces textes aboutissaient à un résultat totalement opposé au but recherché.

Lors des débats, les députés avaient bien identifié les faiblesses juridiques des uns et la dangerosité des autres et avaient finalement laissé la législation en l’état afin de réfléchir à de meilleures rédactions pour la seconde lecture. Seconde lecture qui n’a jamais eu lieu suite au retrait du texte par le gouvernement.

Aujourd’hui, un nouveau projet de loi de consommation est présenté à la nouvelle législature. Forts de l’enseignement tiré des débats de 2011 et des arguments issus des divers bancs, le groupe Gauche démocrate et républicaine sous l’impulsion de Jacqueline Fraysse, députée de la 4e circonscription des Hauts-de-Seine, propose un amendement ayant pour objectif de mettre fin aux pratiques commerciales déloyales de l’informatique grand public, dans le respect de la législation européenne.

Analyse de l’amendement proposé

L’amendement propose d’ajouter des obligations d’informations à la charge des professionnels dans un nouvel article L. 113-7 (l’article L. 113-6 étant créé dans l’article 54 du projet de loi) du Code de la consommation.

Après l’article L. 113-6 du code de la consommation, est inséré un article L. 113-7 ainsi rédigé :

« Art. L. 113-7. – Le matériel informatique proposé à la vente avec des logiciels intégrés constitue une vente par lots. »

« Tout professionnel vendeur de matériel informatique fournissant des logiciels intégrés doit, avant tout paiement du prix par le consommateur, l’informer par voie d’affichage des caractéristiques essentielles et du prix public toutes taxes comprises du lot ainsi que du prix de chacun des logiciels composant individuellement le lot. L’indication de ces prix doit figurer sur la facture remise au consommateur. »

« La violation de ces dispositions entre dans le champ d’application de l’article L. 122-3. ».

Vente par lots

Tout d’abord, l’alinéa 1 aborde la question de la vente par lots en précisant désormais expressément que le matériel informatique vendu avec des logiciels préchargés constitue une vente par lots.

En effet, si la jurisprudence applique depuis longtemps ce principe (notamment depuis un arrêt de 2005 de la Cour de cassation), il est régulièrement contesté devant les tribunaux, forçant les consommateurs qui estent en justice à expliquer encore et toujours pourquoi matériel et logiciels constituent deux produits parfaitement distincts (l’un est un bien meuble, l’autre une prestation de services). En précisant désormais clairement qu’il s’agit d’une vente par lots, la réglementation spécifique à l’information due par les professionnels sur les lots, issue de l’article 7 de l’arrêté du 3 décembre 1987, s’appliquera.

Obligations d’information

L’alinéa 2 détaille les obligations d’information nécessaires : informer le consommateur par voie d’affichage des caractéristiques essentielles des produits proposés dans le lot.

Les caractéristiques essentielles sont l’ensemble des éléments permettant au consommateur d’effectuer un choix éclairé : par exemple, préciser que le matériel et les logiciels peuvent être vendus séparément, que les logiciels ne sont que des options non obligatoires ou encore que les logiciels fournis sont payants. S’agissant du prix des produits, il devra fait l’objet d’une information précise, non seulement pour le prix des produits composant le lot, mais également le prix de chacun des éléments du lot. La facture qui sera remise au consommateur comprendra donc le prix détaillé de tous les produits. Les procès initiés par les consommateurs ont mis en évidence que le prix des logiciels fournis préchargés, jusque là vendu de force, pouvaient représenter plus de 30 % du prix de la machine seule.

Sanctions

Le 3e alinéa aborde la question des sanctions. La directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 rappelle, au paragraphe 29 de son annexe 1, que la vente forcée est une pratique commerciale déloyale « en toutes circonstances » c’est-à-dire qu’il suffit théoriquement à un juge de constater que le professionnel a exigé un paiement sans commande expresse et préalable du consommateur pour que la pratique soit déclarée déloyale. Cette disposition a été intégrée dans le Code de la consommation par les lois des 3 janvier et 4 août 2008. Les textes ont d’ailleurs été remaniés avec la loi Warsman de 2011 qui a proposé une lecture plus claire de l’article L. 122-3 du Code de la consommation. Cet article prévoit des sanctions civiles de nullité du contrat avec une obligation de remboursement, ainsi que des sanctions pénales. Le texte est donc parfaitement adapté à la situation et permet aux consommateurs d’agir autant par la voie civile que par la voie pénale et d’espérer avoir ainsi du poids face aux entreprises concernées, le plus souvent multinationales.

Voter ce texte malgré les pressions

C’est ce texte qui doit être favorisé et que les députés sont encouragés à adopter massivement. Il faut tout de même rappeler qu’à l’occasion du précédent projet de loi consommation de 2011, des députés s’étaient plaints des pressions qu’ils subissaient pour ne pas voter ces textes favorables aux consommateurs et le député de la 5e circonscription d’Isère, François BROTTES, avait clairement dénoncé cette situation inadmissible. Sous la présente législature, c’est aujourd’hui que se mesurera le courage politique et l’engagement des députés pour l’intérêt général.

L’intérêt général d’abord !

L’intérêt du consommateur et l’ouverture du marché à tous les acteurs, notamment français, étant la priorité des élus de la nation, nous sommes confiants dans le fait que l’ensemble des députés verront le point d’équilibre atteint par cet amendement et qu’ils le soutiendront unanimement.

Cyprien Gay, membre du groupe de travail « non aux racketiciels » de l’AFUL indique « Voilà 15 ans que nous interpellons les politiques de toutes tendances sur cette question. Depuis le début des années 2000 ce sujet est évoqué à l’Assemblée. Cependant, la pression des éditeurs qui bénéficient de cette vente forcée a réussi jusqu’ici à conserver un statu quo qui leur est favorable, avec la complicité inexplicable des divers gouvernements. »

Christophe Masutti, président de Framasoft, déclare « Il est est plus que nécessaire de clarifier les pratiques de vente liée qui maintiennent une tension évidente entre d’un côté le droit du consommateur à l’information et de l’autre côté le recours providentiel aux directives européennes qui empêche les États membres d’interdire les “offres conjointes” assimilées à une pratique commerciale comme une autre, bien que la “vente forcée” soit, elle, condamnable. Ceci constitue un frein artificiellement entretenu au déploiement du formidable potentiel compétitif du logiciel libre. »

Dimitri Robert, administrateur de l’AFUL souligne « Les logiciels vendus de force avec les matériels informatiques sont édités hors d’Europe par des entreprises réputées pour leur évasion fiscale et l’évitement à l’impôt sur leurs activités en France. Il n’y a donc aucun intérêt pour la France ou pour l’Europe d’entretenir leur rente sur le dos du consommateur Français. »

Également interrogé, l’avocat de l’AFUL, Maître Frédéric CUIF, estime que « Il s’agit d’un texte de consensus qui devrait à la fois permettre une meilleure information des consommateurs mais aussi leur offrir la possibilité de dénoncer moins difficilement ces pratiques commerciales déloyales devant les tribunaux. Bien sûr, il faudra toujours passer par un juge pour faire cesser la pratique commerciale déloyale de vente forcée, mais c’est un premier pas évident en faveur des consommateurs en attendant une véritable prise de conscience nationale sur la question. »

Laurent Séguin, président de l’AFUL conclut : « Il est temps de faire cesser cette situation de concurrence faussée où l’on impose, depuis trop longtemps, un choix uniforme aux consommateurs. Des acteurs européens et français portent d’ores et déjà des solutions concurrentes crédibles et innovantes, notamment sous licence libre, aux logiciels vendus de force avec du matériel informatique. Malheureusement, ces racketiciels les empêchent d’accéder au marché sur un pied d’égalité. Aujourd’hui, avec ces textes justes et équilibrés, les parlementaires ont l’opportunité de faire triompher enfin l’intérêt général en faisant en sorte qu’en France, les effets de ce hold-up planétaire soient amoindris. »

À propos de l’Adullact (http://adullact.org/)

Née fin 2002, l’Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales s’est donnée pour tâche de constituer, développer et promouvoir un patrimoine commun de logiciels libres métiers, afin que l’argent public ne paie qu’une fois. L’Adullact dispose d’une équipe permanente, pour encourager et aider les membres à mutualiser leurs développements sur la forge adullact.net, qui compte aussi les projets de la forge admisource. Structure unique en son genre, l’Adullact était accréditée pour le Sommet Mondial de Tunis.

À propos de l’AFUL (http://aful.org/)

Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres, l’AFUL a pour principal objectif de promouvoir les logiciels libres ainsi que l’utilisation des standards ouverts. Ses membres, utilisateurs, professionnels du logiciel libre, entreprises ainsi que d’autres associations, sont issus d’une dizaine de pays ou de régions francophones (France, Belgique, Suisse, Afrique francophone, Québec).

Interlocuteur de nombreux médias, l’AFUL est présente sur nombre de salons, conférences et rencontres. Elle agit notamment activement contre la vente liée (site Non aux Racketiciels, comparatif bons-vendeurs-ordinateurs.info et bons-constructeurs-ordinateurs.info), pour l’interopérabilité (membre de l’AFNOR, participation aux référentiels d’interopérabilité et d’accessibilité de la DGME, site formats-ouverts.org, etc.), intervient sur les problématiques du droit d’auteur ainsi que pour la promotion de l’utilisation de logiciels et ressources pédagogiques libres pour l’éducation entendue au sens large.

À propos de Framasoft (http://framasoft.org/)

Issu du monde éducatif, Framasoft est un réseau d’éducation populaire consacré principalement au logiciel libre et s’organise en trois axes sur un mode collaboratif : promotion, diffusion et développement de logiciels libres, enrichissement de la culture libre et offre de services libres en ligne.  Pour plus d’informations, vous pouvez vous rendre sur le site Web à l’adresse suivante : http://www.framasoft.org/ et nous contacter par notre formulaire de contact http://contact.framasoft.org/

 

Contacts presse :

  • Laurent Séguin, président de l’AFUL, laurent.seguin@aful.org +33 (0)6 63 94 87 16
  • Me Frédéric Cuif, avocat au barreau de Poitiers, +33 (0)5 49 88 70 61
  • Cyprien Gay, membre GdT Racketiciel, cyprien.gay@aful.org +33 (0)6 61 89 49 82
  • Alexis Kauffmann, fondateur et chargé de mission Framasoft, aka@framasoft.org +33 (0)6 95 01 04 55
  • Relations presse – AFUL : presse@aful.org



Quand le politique se met au service du privé pour que le public arrête le libre !

« L’affaire OpenJustitia » qui se déroule actuellement en Suisse est un cas très intéressant.

Comme on peut le lire sur le site du projet, OpenJustitia est « un ensemble de logiciels spécifiques pour les tribunaux. Le Tribunal fédéral a développé ces derniers de sa propre main et les a personnalisés à ses propres besoins. OpenJustitia permet notamment une recherche efficace dans les décisions du tribunal. »

Il a donc été développé en interne et, comme son nom le suggère, il est libre (sous lience GNU GPL v3) et a d’ailleurs reçu un prix dernièrement aux CH Open Source Awards 2012.

OpenJustitia

Nous voici donc en présence d’un logiciel libre métier développé et mutualisé par l’administration. D’ailleurs le canton de Vaud a d’ores et déjà signé une convention de collaboration avec le Tribunal fédéral.

C’est exactement ce que prône en France une association comme l’ADULLACT avec la fameuse citation de son président François Elie : « l’argent public ne doit payer qu’une fois ».

Sauf qu’un parti politique (et derrière lui un éditeur de logiciels propriétaires) ne l’entendent pas de cette oreille, comme nous le rapporte l’ICTjournal.

Pour ce qui concerne l’éditeur, c’est (plus que) maladroit mais (malheureusement) compréhensible :

L’entreprise bernoise Weblaw, éditrice de logiciels de tribunaux propriétaires, estime que le Tribunal fédéral et sa solution font de l’ombre aux fournisseurs privés de logiciels. Le Tribunal fédéral doit-il s’occuper de droit ou de logiciels ?

Mais ce qui l’est moins c’est de voir l’UDC lui emboîter le pas et ne pas saisir l’intérêt, voire le bon sens, à utiliser du logiciel libre dans les institutions publiques :

Le Conseil fédéral doit examiner, à la demande de l’UDC, si le Tribunal fédéral a le droit de d’agir comme fournisseur du logiciel open-source Openjustitia. En agissant de la sorte, ce dernier délivrerait des services non liés à ses compétences judiciaires.

Il est « totalement absurde » que le Tribunal fédéral fonctionne comme distributeur de logiciels, a déclaré Martin Baltisser, secrétaire général de l’UDC. Selon lui, d’une part le Tribunal fédéral n’aurait aucun intérêt prépondérant à agir en tant que fournisseur de logiciels, d’autre part il serait également dépourvu de base légale. Selon la Constitution et la Loi sur les finances de la Confédération, l’Etat ne peut intervenir au niveau commercial uniquement s’il n’existe pas d’offre privée et qu’une loi l’y autorise. Le Tribunal fédéral réplique qu’il ne réalise «aucun service commercial», comme le projet est open source, le logiciel est mis à disposition gratuitement.

Comme on peut le voir ci-dessous, on en a même parlé le 20 octobre dernier à la RTS mais, triste classique, en occultant complètement le libre pour n’évoquer que le gratuit :

D’autres voix se font heureusement entendre, comme celle de l’élu des Verts François Marthaler qui conteste, à juste titre et avec vigueur, cette demande de clarification de l’UDC sur son blog :

Je veux bien croire que la situation économique de Weblaw soit menacée. Mais je ne peux pas imaginer que les pouvoirs publics se trouvent empêchés de développer des solutions plus performantes et surtout moins onéreuses, dans l’intérêt de tous les contribuables et du bon fonctionnement de l’Etat. Plus encore que les coûts du développement initial du logiciel, ce qui est en jeu, c’est la maintenance et l’évolution du système au profit de l’administration, des justiciables et, finalement, des contribuables.

Sans le dire, Weblaw s’attaque au modèle économique des logiciels libres (open source). Un modèle dans lequel le prestataire ne peut prétendre encaisser plus que la réelle valeur ajoutée au produit et pas une rente de situation. Que se serait-il passé si une société privée avait conçu le logiciel OpenJustitia et avait décidé de le mettre sous licence GNU/GPL ? Rien ! L’UDC n’aurait pas pu invoquer le « moins d’Etat » pour défendre les intérêts privés de cette petite société.

Espérons que comme le dit le dicton : les chiens aboient, la caravane passe…




Et si l’on créait ensemble une forge libre pour les métiers de l’édition ?

Forgeron - Nadège DauvergneVoilà, on y est. Après la musique, c’est désormais la sphère du livre qui est pleinement impactée, voire bousculée, pour l’arrivée inopinée et intempestive du numérique.

Le second connaîtra-t-il les mêmes difficultés et résistances que le premier ?

On en prend le chemin… Sauf si l’on décide de s’inspirer fortement de la culture et des outils du logiciel libre.

Le samedi 24 septembre prochain, dans le cadre du BookCamp Paris 4e édition, Chloé Girard animera avec François Elie un atelier intitulé « Fabrication mutualisée d’outils libres pour les métiers de l’édition ».

Il s’agira de réflechir ensemble à comment « soutenir et coordonner l’action des professionnels du livre pour promouvoir, développer, mutualiser et maintenir un patrimoine commun de logiciels libres métiers » en développant notamment un forge dédiée destinée à « l’ensemble des acteurs de l’édition (éditeurs, distributeurs, diffuseurs, privés, publics, académiques…) »

L’expérience et l’expertise du duo sont complémentaires. François Elie, que les lecteurs du Framablog connaissent bien, sera en effet ici Monsieur Forge (en théorie dans son livre Économie du logiciel libre et en pratique depuis de nombreuses années au sein de la forge pour les collectivités territoriales ADULLACT). Chloé Girard, partenaire de Framasoft dans le cadre du projet Framabook, fera quant à elle office de Madame Métiers de l’édition.

C’est un entretien avec cette dernière que nous vous proposons ci-dessous.

C’est évidemment l’occasion de mieux connaître l’ambition et l’objectif de cette forge potentielle, en profitant de la tribune pour lancer un appel à compétences. Mais nous avons également eu envie d’en savoir davatange sur la situation générale et spécifique de l’édition d’aujourd’hui et de demain, sans taire les questions qui fâchent comme celle concernant par exemple Google Books 🙂

Remarque : Même si le site est encore en construction, nous vous signalons que les avancées du projet pourront être suivies sur EditionForge.org.

Edit : Finalement François Elie ne sera pas disponible pour l’atelier. Mais il reste bien entendu partie prenante du projet.

Une forge Métiers de l’édition – Entretien avec Chloé Girard

Chloé Girard bonjour, peux-tu te présenter succinctement à nos lecteurs ?

Chloé GirardJe travaille depuis quatre ans avec David Dauvergne au développement d’un logiciel libre pour les éditeurs, La Poule ou l’Oeuf. C’est une chaîne éditoriale destinée à une édition mixte, papier et électronique.

Nous avons parallèlement créé une entreprise de service en informatique libre pour l’édition et travaillons avec plusieurs éditeurs et prestataires de services aux éditeurs pour de la production, parfois industrielle, de livres numériques. Nous travaillons également à la mise en place d’un processus interne de fabrication électronique lié au traditionnel processus papier.

Je suis également responsable de fabrication papier et électronique pour l’éditeur suisse d’érudition La Librairie Droz, et aborde le problème depuis le point de vue de l’éditeur, aspect financier compris.

Je suis donc au croisement entre l’édition associative, l’intégration et le service en logiciel libre métier et la fabrication de livres, papier et numérique chez un acteur traditionnel de la profession. Ces différentes expériences m’ont naturellement portées à me poser certaines questions qui sont à l’origine de mon intérêt pour cette notion de forge. Questions que nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à nous poser. Les différents BookCamp, salons du livre, commissions du CNL (Centre national du livre), associations professionnelles et éditeurs s’interrogent eux aussi sur les besoins, les outils, les limites, les possibles interactions, les manques, les évolutions, les formes, ou encore les formats dans la fabrication et l’exploitation des livres dans leur(s) version(s) numérique(s).

Comment vois-tu l’évolution actuelle du monde de l’édition, fortement impacté si ce n’est secoué, par les nouvelles technologies ?

Chez les petits éditeurs rien n’a changé. Les processus de fabrication sont toujours les mêmes, les livres sont conçus pour sortir en version papier, les processus de fabrication électronique, quand il y en a, sont externalisés et fortement subventionnés. Car peu d’éditeurs ont les ressources techniques, humaines et financières pour mettre au point de nouveaux mode de production en interne. Et leurs partenaires traditionnels n’en savent souvent pas plus qu’eux, d’autant que la question se pose encore de ce qu’il faut faire, de la pérénité des sources électroniques produites aujourd’hui, de ce qu’il faudra re-produire demain. Le marché s’amorce grace aux subventions à la production électronique. Elles se tariront forcément une fois le marché établi.

Pour autant il faudra bien le suivre ! Or les acteurs en bout de chaîne sont difficilement contrôlables. Par exemple les exigences de validité des fichiers ePUB par Apple sur le eBook Store changent régulièrement et renvoient des messages d’erreur que seuls des développeurs peuvent comprendre, et encore. Bref, beaucoup reste à faire. Une chose a changé au cours des trois dernières années c’est que les éditeurs ont compris qu’ils n’ont plus d’autre que d’y aller.

Je pense qu’il faut donner les moyens à tous les éditeurs de prendre les rênes de ces nouvelles technologies pour maintenir dans l’offre électronique une diversité de contenus et de formes que eux seuls, avec leurs auteurs, peuvent imaginer.

Une « forge Métiers de l’édition », mais quel est donc cet ambitieux nouveau projet ?

Une forge est une forme de département de recherche et développement (R&D) externalisé et, surtout, mutualisé. L’idée est de donner aux professionnels de l’édition les moyens de faire développer et évoluer ensemble les logiciels dont ils ont besoin pour leur métier.

Cela consiste en deux choses : d’une part réunir en un même lieu, atelier et magasin, les outils et compétences informatiques qui peuvent travailler ensemble, si nécessaire. Et, d’autre part, encadrer les éditeurs, imprimeurs, distributeurs, dans la rédaction des cahiers des charges de ces nouveaux outils (bureau d’étude).

Évidemment il est plus que souhaitable que ces outils soient libres, pour des questions d’interopérabilité, d’extensibilité, de transfert de compétences… mais aussi d’économies. Le code étant libre il est payé une fois pour son développement puis disponible pour tous. Disponible pour utilisation mais aussi pour le faire évoluer en fonction de nouveaux besoins, de nouveaux outils, de nouveaux support…

Tu évoques aussi « une place de marché entre clients métier, entrepreneurs et communauté du logiciel libre ». Peux-tu nous en dire plus et nous donner quelques exemples réels ou fictifs de situations où la forge est potentiellement un avantage ?

Les forges logicielles, horizontales, réunissent les acteurs du développement d’une application. Ici nous avons une forge cliente mise en place par les utilisateurs (professionnels de l’édition) qui y rencontrent les développeurs (représentés par les forges logicielles) aussi bien que les sociétés leur permettant de créer et de mettre en production ces outils. Les professionnels de l’édition peuvent donc lancer des appels d’offre auprès de prestataires qui peuvent y répondre ensemble ou séparément. Nous avons donc une réelle place de marché métier avec des clients et des vendeurs.

L’intérêt, par rapport à un système d’achat/vente classique de service informatique, c’est la mutualisation des expertises, du code et des services. Les éditeurs aujourd’hui rencontrent de nouveaux besoins, très techniques. Juger de la façon d’y répondre demande une expertise rare et coûte cher (voire très cher). Très peu d’éditeurs savent et peuvent assumer cela seuls et risquent d’y perdre beaucoup.

Imaginons qu’un éditeur convertisse aujourd’hui son catalogue d’ouvrages dans un format donné de livres électroniques. Que fera-t-il, ou plutôt comment fera-t-il si les supports de lecture de livre de demain, ebooks, tablettes ou PC, lisent un autre format que celui-là ou une version plus récente ? Nous sommes ici dans une situation parfaitement concrète et déjà réelle.

Sachant que la conversion d’un ouvrage papier en ePUB aujourd’hui coûte au minimum 1€ la page, qu’environ 60 000 ouvrages sont publiés par an en France et que le patrimoine à convertir regroupe des centaines de milliers d’ouvrages on peut imaginer les conséquences s’il faut re-produire ces fichiers.

Aujourd’hui cette conversion est largement subventionnée. Mais lorsque le marché du livre électronique sera suffisamment amorcé, ces subventions baisseront ou disparaîtront. Il faudra alors que les éditeurs assument seuls l’évolution de leur catalogue électronique. Et qu’ils en assurent l’évolution régulière. Une forge leur permettrait par exemple, si le format de départ est ouvert, de faire développer collectivement un outil de mise à jour automatisée du catalogue. Et de faire évoluer cet outil, avec une réactivité bien plus importante que s’il fallait attendre d’un éditeur de logiciel propriétaire qu’il décide lui-même de la sortie de la mise à jour nécessaire.

Les éditeurs y gagnent en matière d’autonomie, de réactivité sur leur marché et de capacité d’innovation. D’autant que les acteurs logiciels de la forge peuvent y déposer des « appels de demandes » c’est-à-dire des propositions d’innovation ou de développements auxquels les clients n’auraient pas forcément pensé. On a donc un lieu de propositions techniques en même temps que de marché, dans un cadre d’expertise partagée.

L’exemple simple d’évolutivité des formats est un problème que les éditeurs connaissent déjà bien ou qui les retient de se lancer dans l’édition numérique. Mais ils sont confrontés à bien d’autres problèmes : la réunion des processus papier et électronique (PDF imprimeur/ePUB, XML InDesign/XML divers…), l’exploitation des contenus en réseau (schémas de métadonnées, protocoles de communication entre catalogues et serveurs, schémas XML de description de contenus), le chiffrement des fichiers électroniques garantissant l’intégrité d’un document, l’enrichissement d’un ouvrage avec des contenus dynamiques ou multimédia, le lien livres et réseaux sociaux, l’offre de sorties s’adaptant à des écrans divers (graphisme), à des lecteurs divers (niveau de lecture, multilinguisme), sans perdre la notion de référence intellectuelle commune, les livres-applications, la gestion documentaire, les liens éditeurs/distributeurs/diffuseurs, la gestion des droits d’auteur, le lien entre l’exploitation du catalogue et les outils internes de gestion, de facturation, etc. Et encore, ces exemples ne sont qu’un petit apperçu des besoins et questions. Sachant que les réponses vont devoir évoluer au même rythme que les supports de lecture et les systèmes d’exploitation. Et que les problématiques ne sont pas les mêmes selon que l’on édite des romans, des thèses, des livres d’art, des manuels scolaires de la documentation technique ou des revues scientifiques.

Évidemment, chaque éditeur peut faire développer ses propres outils ou payer des licences pour chaque logiciel nécessaire. Mais gérer l’interopérabilité entre ces applications et un système un peu intégré deviendra impossible ou extrêmement onéreux. J’en suis témoin au quotidien. Les professionnels de l’édition ne pourront suivre l’évolution de leur métier, et la maîtriser, que collectivement.

Sauf s’ils décident de tout confier à Google Books !

Il faut considérer Google comme un prestataire comme les autres. Sauf que, étant donné la puissance du prestataire il vaut mieux être théoriquement et technologiquement averti et exigeant ! D’où la nécessité d’avoir ses propres outils pour ne pas être trop vulnérable.

En ce qui concerne leurs livres épuisés Google offre aux éditeurs une solution de facilité pour remettre sur le marché des livres qui n’y sont plus et n’y seront plus sans cela, étant donné le coût que cela représente. Pourquoi pas. La difficulté est alors de rester maître du cahier des charges et il vaut sans doute mieux posséder ses propres sources à négocier auprès de Google Books que de laisser Google convertir puis discuter des conditions.

Dans le passé beaucoup d’éditeurs ont confié la mise en page et l’impression de leurs ouvrages à des prestataires extérieurs, plus petits, plus locaux que Google, sans jamais réclamer en retour ni leurs fichiers natifs ni même les PDF imprimeurs ! Ils sont ainsi aujourd’hui dans certains cas obligés de racheter leurs propres fichiers à ces prestataires ou repartent du papier pour reconstituer leurs sources ! À eux de voir si ils veulent renouveler l’expérience.

Avoir des outils disponibles pour produire leurs sources efficacement et les faire évoluer, leur permettrait de négocier différemment avec Google aujourd’hui mais aussi demain. Parce que demain Google va offrir de nouveaux services sur ces sources. S’il est encore le seul à pouvoir, techniquement, les offrir, il sera à nouveau en position de force. Or ces épuisés constitueront sans doute une part non négligeable des ventes. Il vaut donc mieux se préparer à récupérer ces sources et à les exploiter intelligemment soi-même. Face aux équipes de développement de Google un éditeur seul, ou n’importe lequel de ses prestataires en édition numérique, à intérêt à avoir de sacrés moyens pour offrir des solutions concurrentes.

Pour les publications récentes et nouvelles la question se pose différemment. La question n’est pas seulement de mettre en ligne, de mettre à disposition pour achat, mais bien aussi de créer des versions numériques qui apportent quelque chose de plus par rapport au papier : pour le lecteur, pour l’exploitation des savoirs, pour la conservation du patrimoine. C’est un acte éditorial, ce n’est donc pas Google qui peut s’en charger.

Après, si Google offre des solutions libres assurant l’interopérabilité avec les outils internes de fabrication et de gestion des éditeurs, distributeurs, imprimeurs, etc. Si Google produit des sources ouvertes que les éditeurs peuvent récupérer, retirer, si l’on peut interfacer des outils libres de gestion de droits avec Google Books, si… alors bienvenue à Google au sein de la forge « métiers de l’édition » ! À voir…

Face à Google comme face à n’importe quel prestataire et plateforme d’exploitation il faut que les éditeurs travaillent ensemble, et avec leurs distributeurs, diffuseurs, etc, à des solutions qui leurs permettent de maîtriser leurs oeuvres et leur métier.

Après Google, en quoi cette forge se distingue-t-elle des API censés « ouvrir le contenu aux développeurs » telles que proposées par Amazon ou tout récemment par Pearson ?

L’initiative de Pearson est géniale ! « L’idée est de regarder si la créativité des développeurs permet d’amener l’exploitation de ces contenus dans des directions que les éditeurs n’avaient pas explorées jusqu’alors ». Mais ce qui est intéressant dans l’article de Guillaud c’est aussi sa dernière phrase : « Assurément, Pearson lance un mouvement que les plus gros ne devraient pas tarder de prolonger… »

Que vont faire les petits et moyens éditeurs pendant ce temps-là ? Et les diffuseurs, les libraires ? Je crois que la forge, la mutualisation, un patrimoine d’outils communs, leur permettront justement d’accéder à ce type de moyens d’exploitation, de plateformes éditoriales ouvertes aux codeurs, aux innovations. Demandez aux éditeurs, au hasard, si ils savent ce qu’est une API ! Il faut une sacrée expertise pour mettre en oeuvre ce type d’accès et les faire évoluer, sur les plans technique mais aussi juridique d’ailleurs. Même les gros éditeurs ont besoin, pour la plupart, de mutualiser, au moins en partie, les frais de R&D pour développer et innover dans de tels services. Or c’est ce que tous cherchent à faire. Mais je ne suis pas sûre que Pearson va leur donner ses trucs demain !

Est-ce une application directe et concrète des propositions de François Elie dans son livre Économie du logiciel libre ?

Oui, absolument. Et François Élie nous accompagne dans la réflexion et la présentation du projet, fort de son expérience de l’Adullact (Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales) et de son verbe coloré. La killer application openCimetiere fait toujours son petit effet !

« On ne peut utiliser que des logiciels qui existent » et « un logiciel libre est gratuit une fois qu’il a été payé ». Ces deux phrases extraites de son livre résument bien l’intérêt que peuvent trouver clients et développeurs libres au sein d’une telle forge : 1) coté client : maîtriser ses outils métier, gagner en réactivité, faire, éventuellement, des économies 2) coté développeurs : financer en amont le développement libre, intégrer une place de marché active réunissant des compétences multiples pour ne pas réinventer la roue.

Quels sont les principaux freins que vous risquez de rencontrer et qu’il faudra dépasser d’après toi ? Le poids des habitudes ? L’absence d’une réelle culture de la mutualisation ? La concurrence non libre ?

La forge Adullact, comme son nom l’indique, s’adresse à des clients et des fonds publics. L’idée de dépenser des fonds publics une seule fois pour tous est (semble !) naturelle. Dans le cas d’une forge métiers de l’édition nous nous adressons en grande partie à des acteurs privés. Et le premier frein que nous avons rencontré est bien celui de la mutalisation des fonds : « pourquoi est-ce que je paierais pour des logiciels dont tous bénéficieront, y compris ceux qui n’auraient pas participé ? » Le problème n’est pas seulement celui du partage mais de la perte d’un avantage concurenciel.

En ce qui concerne le partage ce n’est pas très difficile à argumenter : ceux qui en profiteront ne tarderont pas à participer, à hauteur de leurs moyens et de leurs besoins. D’autre part plus un logiciel sera utilisé plus il sera pérenne.

Pour la question de la concurrence c’est plus délicat puisque le service autour des livres électroniques devient un enjeu économique. Il ne s’agit plus seulement de vendre des exemplaires mais aussi des services sur les contenus. Or les outils de fabrication ont un impact sur les possibilités de services commerciaux en aval. Imaginons par exemple un outil offrant de fabriquer des livres avec plusieurs niveaux de contenus auxquels les lecteurs auraient accès ou non selon qu’ils sont acheteur unique, abonnés ou abonnés premium.

Mais les éditeurs sont libres de faire développer certains outils, qui leurs semblent moins concurrenciels dans cette logique de mutualisation, et de faire développer chacun pour soi des extensions ou des modules d’exploitation qui leurs seraient propres. Une forge n’implique pas d’y faire produire tous ses projets. Quitte à se rendre compte finalement qu’il est plus intéressant de les y verser pour les faire maintenir et évoluer collectivement.

Cette logique de mutualisation dans une économie privée et auprès d’acteurs dont les finances sont souvent fragiles n’est pas gagné. Pourtant nous travaillons avec plusieurs éditeurs qui en rêvent. Ils n’ont ni les compétences ni les moyens de faire développer seuls les outils qu’il leur faut et que personne ne leur propose aujourd’hui.

Un autre obstacle est l’absence de culture du logiciel libre dans l’édition : elle était celle que l’on peut imaginer dans un milieu très peu technophile et surtout préoccupé de ne pas avoir à mettre les mains dans le cambouis, l’image du logiciel libre étant celle de la ligne de code dans un terminal. D’autant que les besoins étaient en (très) gros jusqu’ici celui d’un seul outil, de mise en page, propriétaire, cher, produisant un PDF, unique besoin des imprimeurs.

Depuis quelques années la notion de format ouvert fait cependant son chemin, notamment avec le format ePUB et le XML. Mais on est encore dans la logique du bon format, plutôt que dans celle du format ouvert.

J’ai quand même entendu il y a un an et demi un responsable de l’édition électronique chez un éditeur important affirmer qu’il n’utiliserait plus en fabrication que des logiciels libres. Pour des questions de pérénité et de maîtrise de son catalogue.

Mais pour répondre à cela il faut des acteurs et des outils libres qui répondent aux besoins de marchés importants, de volumes importants et d’éditeurs pressés. Il faut des partenaires libres solides, aisément identifiables, dans un écosystème libre métier qui permet de répondre rapidement aux évolutions des besoins.

C’est ce à quoi nous appelons aujourd’hui. Nous devons présenter dès l’origine de cette forge les acteurs du logiciel libre, éditeurs de logiciels, communautés, intégrateurs, pertinents, compétents et innovants pour répondre aux besoins de ces métiers. Nous connaissons un certains nombre de ces ressources et acteurs, mais pas tous. D’autant que certaines des compétences dont ont besoin les éditeurs aujourd’hui étaient jusque-là exploitées dans d’autres domaines métiers, telles que la gestion documentaire.

Nous avons besoin de constituer un catalogue de ressources libres à présenter aux éditeurs pour amorcer cette forge.

Ensuite se posera la question de sa gouvernance puisque, comme pour l’Adullact, la forge est un outil monté par les clients pour les clients, donc par les éditeurs pour les éditeurs. Je pense qu’une association professionnelle métier devrait prendre en charge ce projet comme une forme de nouveau service offert à ces membres.

Deux réunions sont prévues pour envisager concrêtement les actions à mettre en oeuvre pour que cette forge soit effective : le 24 septembre au BookCamp Paris 4 qui se tiendra au Labo de l’Édition (atelier 13) et début octobre dans une réunion organisée par le MOTif, organisme de politique du livre de la Région Île de France.




Prix unique du livre, même numérique ?

Michael Mandiberg - CC-by-sa Nouvel exemple du refus des tenants d’industries du siècle dernier de considérer l’ère du numérique (ouverte par l’informatique et Internet [1]) comme une opportunité nouvelle et non comme une menace passagère, les sénateurs examineront bientôt une proposition de loi visant à imposer une recette sociale adaptée à l’économie matérielle d’objets, au commerce que l’on qualifiait encore il y a peu de « virtuel », des œuvres numériques, disponibles en-ligne et à volonté.

Tel est en effet l’objectif de cette proposition de loi : appliquer le prix-unique du livre également sur Internet. Si, naïvement, l’idée peut sembler bonne de prime abord, puisqu’elle a sûrement contribué à sauver les petites librairies françaises, elle dénote surtout une incompréhension chronique par la classe politique et les marchants de culture, de la notion de fichier d’ordinateur, ce support numérique réplicable en un instant et sans véritable coût à l’échelle de la population mondiale.

Sans en arriver aux extrémités répressives qu’instaure la loi HADOPI II, ce nouveau mouvement législatif se traduit par une énième tentative de limitation des fantastiques possibilités d’une économie nouvelle, dans le but de la faire entrer dans le moule rassurant des précédents modèles. Ici encore, au lieu d’explorer et d’exploiter au mieux ce qu’Internet rend possible, le législateur s’entête à refuser le potentiel d’un réseau numérique mondial, en s’entêtant aveuglément à transposer avec le minimum de réflexion possible ce qui marchait bien avant. D’autres pays plus pragmatiques vivent avec le Net, s’y adaptent et connaissent (est-ce lié ?) les plus forts taux de croissance de la planète depuis ces dix dernières années, mais pendant ce temps, nos sénateurs ont à cœur de préserver les recettes du passé, quitte à gâcher, pour un temps, celles du futur.

Si le Framablog parle rarement d’économie, nous vous parlons plus régulièrement d’œuvres libres, partagées par leurs auteurs à grande échelle via Internet. Or, cette loi ignore tout simplement la question et entre en contradiction avec l’essence même des licences libres, confirmant pour le moins que si la voie est libre, la route semble encore bien longue avant que les paradigmes du libre ne soient connus, compris et reconnus en haut lieu.

À l’heure de la sortie imminente de deux nouveaux Framabooks, Framasoft se joint donc aux inquiétudes soulevées par ses partenaires Adullact et AFUL dans leur dernier communiqué commun :

Le prix unique du livre numérique doit-il s’opposer à la création libre ?

14/10/2010 – URL d’origine

L’ADULLACT et l’AFUL s’inquiètent de la proposition sénatoriale de loi sur le prix [unique] du livre numérique, dont la rédaction actuelle menace sans nécessité la création sous licence libre. Leurs représentants au CSPLA s’en expliquent dans ce communiqué.

Nous avons eu récemment connaissance de la proposition de loi faite au Sénat par Mme Catherine DUMAS et M. Jacques LEGENDRE [2] relative au prix [unique] du livre numérique.

Nous comprenons le souci de la représentation nationale de préserver la filière du livre dans le monde numérique [3], en reprenant une formule qui s’est montrée efficace pour le livre imprimé traditionnel [4].

Cependant le monde numérique n’est pas le monde des supports matériels traditionnels et, s’il pose les problèmes que nous connaissons depuis plusieurs années, notamment en ce qui concerne la multiplication des copies illicites, c’est précisément parce qu’il obéit à des lois économiques nouvelles. En un mot : une fois l’œuvre créée, la production de copies peut se faire à un coût essentiellement nul.

Cela n’implique nullement qu’il soit légitime de faire ces copies sans l’accord des titulaires des droits, mais cela implique la possibilité et, de fait, l’existence de nouveaux modèles de création et d’exploitation des œuvres, modèles qui sont tout aussi légitimes que les modèles traditionnels issus du monde de l’imprimé.

Pour ne citer qu’un exemple, l’association Sésamath produit des livres numériques "homothétiques" (selon la terminologie de l’exposé des motifs), disponibles sous licence Creative Commons By-Sa. Cette licence implique que ces livres peuvent être exploités commercialement par quiconque, quelle que soit la forme que pourrait prendre cette exploitation, mais que les livres sont toujours cédés avec cette même licence sans contrainte nouvelle. Cela exclut en particulier toute contrainte de prix, ce qui est essentiel à la dynamique de création mutualisée et de maximisation du public recherchée par les auteurs.

Il ne s’agit nullement d’un phénomène marginal, même s’il est ignoré par certains rapports officiels [5]. Les versions imprimées des livres de Sésamath représentent environ 15% du marché qui les concerne, ce qui est loin d’être négligeable. Ces œuvres participent déjà au rayonnement de la France dans plusieurs pays francophones. C’est manifestement un modèle de création qui se développe : il a d’ailleurs fait l’objet des travaux d’une Commission Spécialisée [6] du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) où nous siégeons tous deux.

Il y a donc tout lieu de s’inquiéter de la compatibilité de la proposition de loi avec ces nouveaux modèles.

Ainsi l’article 2 prévoit la fixation d’un prix par le diffuseur commercial. Certes, les licences ouvertes – par exemple Creative Commons By-Sa – tout en permettant la diffusion gratuite et non commerciale, n’excluent nullement la diffusion commerciale, qu’elle soit le fait des créateurs initiaux ou de tiers. Mais le principe même de ces licences est par nature exclusif de toute fixation de prix puisqu’elles sont choisies par l’auteur précisément pour donner la liberté d’en décider, sans contrôle amont de l’aval de la chaîne de diffusion.

Cette loi n’a pas l’intention, on peut l’espérer, de tuer dans l’œuf ces nouveaux modes de création et d’exploitation, ce qui ne serait guère dans l’intérêt de notre pays, des créateurs concernés ou du public. Il faut donc préciser que la fixation du prix du livre numérique ne s’applique pas aux œuvres numériques libres ou ouvertes. Cela peut être réalisé très simplement par un amendement à l’article 2.3 qui prévoit déjà quelques cas d’exemption, sans aucunement porter atteinte aux modes d’exploitation commerciale que la loi vise à encadrer, au bénéfice des titulaires de droit qui souhaitent une telle protection.

Le monde du numérique et les modèles économiques associés sont complexes et mouvants, et la prudence doit probablement prévaloir avant d’y figer quoi que ce soit. Du moins faut-il préciser avec soin quels objets sont visés par le législateur. Il nous semble important que les nouveaux modèles de création et d’exploitation aient le droit de se faire entendre au même titre que les modèles traditionnels. Il y va de la compétitivité économique et culturelle de notre pays dans un univers bouleversé par le numérique. Le meilleur témoin de l’intérêt économique et social de ces modèles est le soutien que leur apportent les collectivités territoriales par leur adhésion à l’association ADULLACT présidée par l’un de nous.

Le rapport Patino préconise [7] de "mettre en place des dispositifs permettant aux détenteurs de droits d’avoir un rôle central dans la détermination des prix". Nous ne demandons rien d’autre.

Bernard LANG
Membre titulaire du CSPLA
Vice-président de l’AFUL
bernard.lang@aful.org, +33 6 62 06 16 93

François ELIE Membre suppléant au CSPLA
Président de l’ADULLACT
Vice-Président de l’AFUL
francois@elie.org, +33 6 22 73 34 96

Notes

[1] Crédit photo : Michael Mandiberg – Creative Commons Paternité Partage à conditions initiales

[2] http://www.senat.fr/leg/ppl09-695.html

[3] Le rapport de M. Bruno Patino, sur le livre numérique http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/conferen/albanel/rapportpatino.pdf s’inquiéte du moyen d’étendre la loi Lang au numérique (page 45).

[4] Sur ce point, discutable, voir Mathieu Perona et Jérôme Pouyet : Le prix unique du livre à l’heure du numérique http://www.cepremap.ens.fr/depot/opus/OPUS19.pdf

[5] C’est d’autant plus regrettable que les modèles explorés par Sésamath sont cités dans le monde entier comme précurseurs et innovants.

[6] http://www.cspla.culture.gouv.fr/travauxcommissions.html, Commission sur la mise à disposition ouverte des œuvres.

[7] C’est sa quatrième recommandation.




Rapport Fourgous – Notes de lecture de François Elie

François ElieFrançois Elie est co-fondateur et président de l’Adullact[1] ainsi que vice-président de l’Aful[2], professeur agrégé de philosophie et élu de la ville et de l’agglomération d’Angoulème dont il a été longtemps en charge des nouvelles technologies.


Vous comprendrez alors aisément pourquoi lorsqu’a été mis en ligne le rapport Fourgous Réussir l’école numérique[3] (dont nous avons publié ici-même quelques libres extraits), nous lui avons demandé son avis, qui a pris la forme d’une note de lecture que nous vous proposons ci-dessous.


François Elie est également l’auteur du livre Économie du logiciel libre[4] dont la première phrase annonce la couleur : « Cet ouvrage s’adresse à ceux qui font, vendent, utilisent ou achètent du logiciel libre, c’est-à-dire tôt ou tard… à tout le monde ».


Et puis l’on se souvient de sa lettre aux candidats à l’élection présidentielle de 2007[5]. Elle reste plus que jamais d’actualité. Mais nous en sommes déjà à mi-mandat et le constat est là. « En vous demandant de prendre la mesure des enjeux du développement du logiciel libre pour la France, j’écris ces mots en tremblant: l’avenir en effet nous jugera. Ceux qui pouvaient agir et ne l’auront pas fait porteront une lourde responsabilité devant l’histoire ».


Le rapport Fourgous est une belle occasion d’agir, a fortiori si l’on prend ces quelques notes en considération.

Remarque : Vous pouvez également voir sur le Framablog cette interview de François Elie réalisée par Intelli’n TV à l’occasion de la sortie de son livre.

Notes de lecture du rapport Fourgous par François Elie

Précaution


Même si je suis un geek, très loin d’être un technophobe, je crois pour d’assez fortes raisons comme Alain que « l’enseignement doit être résolument retardataire »[6] (relire les Propos sur l’éducation). On ne commence pas par la fin !

Pour ce qui nous occupe, ce qu’il faut craindre, ce sont les séductions du numérique. Apprendre le clavier avant de savoir écrire ? Non ! L’école doit éclairer et exercer l’esprit. Elle doit nous rendre libres, et non nous habituer/enchaîner à telle ou telle interface. Alors on aurait peut-être du parler de l’école à l’ère du numérique. Mais cela n’a pas d’importance si ce n’est qu’affaire de mots. Disons qu’il faut vraiment craindre l’école numérisée.

Le numérique ?


Je n’ai pas vu que le rapport définisse le numérique. En philosophie nous avons tendance à nous méfier des fausses évidences. Le numérique, tout le monde saist ce que c’est ! Pas si sûr. Alors je développe un instant. Car au fait, c’est quoi le numérique ?


La codification digitale de l’information sur des supports informatiques a deux conséquences énormes.


La première conséquence : là où l’imprimerie avait édifié une interface de pouvoir entre celui qui écrit et celui qui lit, l’internet rend à chacun le pouvoir d’écrire. L’école à l’ère du numérique n’est pas une école où l’on apprend surtout à lire, mais une école où l’on apprend aussi à écrire.

Le rapport le mentionne, 41% des jeunes ont un blog. Pensera-t-on à l’inclure dans leur e-portfolio ? Apprend-on aux enfants à écrire dans Wikipédia? Est-ce le pays qui a fait naître l’Encyclopédie de Diderot (et où Arago a racheté le brevet du daguerréotype pour le donner au monde) doit aider au financement de Wikipédia ? Mais je pose peut-être de mauvaises questions. Le rapport mentionne la création, la participation, comme ingrédient et adjuvant des enseignements, sans doute. L’école numérique peut être plus enthousiasmante: elle peut être le lieu où l’on accède au savoir, où l’on apprend à le produire et à le partager.


La seconde conséquence : dans le monde du numérique, copier n’est pas reproduire[7]. La diffusion du savoir peut se faire à coût marginal nul.

Cela change tout (ou devrait tout changer) de la façon dont l’école se situe par rapport aux éditeurs de contenu. Cela bouscule les systèmes juridiques, les modèles économiques. On sent comme une hésitation dans le rapport sur ce point. J’y reviendrai.

Sur le contexte

Analogie avec l’arrivée de la télévision – J’appartiens à la génération qui a vu se développer la télévision: on ne s’en est pas servi ou si peu ou si mal à l’école. Il y aurait eu là un instrument formidable pour accompagner la massification. Il y avait là aussi une menace terrible. L’école n’a pas réussi à en faire un instrument, sans doute faut-il le regretter. Elle a su résister à s’en faire l’instrument. Il faut s’en féliciter. Il y aura deux manières de rater l’école numérique : ne pas réussir à intégrer le numérique dans les situations d’enseignement, réduire le système éducatif à n’être qu’un client pour des industries numériques. Nous devons craindre davantage ce second danger.


Souvenir

La France qui était un géant de l’informatique est devenue un nain. Elle a retardé par exemple son entrée de plain pied dans l’internet grâce/à cause du minitel. Il me semble qu’il faut considérer cela comme un élément de contexte. Parmi les freins: notre aptitude à nous tirer des balles dans le pied, à ne pas voir nos atouts. Que serait une ligne Maginot numérique ?


Sur la méthode. Il est toujours important de regarder ce qui se fait ailleurs. mais attention à « l’herbe est toujours plus verte ailleurs ». Il faut aussi regarder ici, d’ailleurs. Regarder ailleurs ce qu’on nous envie! On s’extasie à l’étranger sur le développement du logiciel libre en France et sur Sésamath (Serons-nous les derniers à nous en apercevoir, et à miser vraiment, réellement sur nos atouts, pas sur ceux que nous envions aux autres). Et puis on ne gagne pas les guerres avec les armes de la précédente.

Comment ne pas partager le diagnostic du rapport ?

  • En France, l’orientation ressemble trop à une sélection par l’échec.
  • « L’impact du milieu socio-économique de l’élève a en France une très forte influence sur ses résultats scolaires ». Autrefois on disait « l’ascenseur social est cassé ».
  • « La France fait partie des pays dans lesquels l’écart de performance entre les élèves est le plus important, même s’il y a peu d’élèves brillants et une forte proportion d’élèves très faibles ». Ce que je réponds à des amis qui me demandent si le niveau baisse: « non, l’écart se creuse ».
  • Le discours tenu sur les enseignants et sur l’école est catastrophique. La (dernière) priorité du rapport: « médiatiser les enjeux du numérique en valorisant le travail des enseignants ».
  • « 97% des enseignants sont équipés d’un ordinateur à leur domicile et si 94% l’utilisent pour la préparation de leurs cours, seuls 12% des enseignants utilisent les Tice dans un quart de leurs cours ». On les décourage ou quoi ? Pourquoi feraient-ils davantage ? Ils seraient mieux notés, mieux payés, mieux considérés ?

Il me semble qu’il faut fixer des objectifs, évaluer. Comment mesurer si les mesures préconisées ont été efficaces ? Finalement, plutôt que d’expérimenter sans évaluer, je me demande s’il ne suffirait pas parfois de seulement mesurer… On gagnerait du temps !


On mentionne l’Académie en ligne. Dispose-t-on d’une évaluation de ses premiers résultats ?

Sur le rapport, dans son ensemble

Ce n’est pas toujours très lisible, trop d’items, où l’on trouve mélangés des détails d’équipement et des principes. Sans doute la loi du genre.


J’ai tendance à penser qu’il faut réfléchir aux buts avant de réfléchir aux moyens. J’observe que le rapport commence par mesurer que le haut débit n’est pas assez utilisé en France et l’on y parle d’abord « équipement ». Revenons aux fondamentaux: aux frontons de nos écoles figure la devise de la République: liberté, égalité, fraternité. Regardons comment le numérique pourrait aider l’école à redevenir ou rester l’école.


  • La liberté – Je la vois dans les logiciels libres, et dans les ressources libres. Nous sommes le pays des Lumières. C’est là que le monde nous attend. Le rapport l’évoque, mais très timidement.

  • L’égalité – Le rapport ne s’indigne pas assez de ce qu’introduit actuellement le numérique à l’école: l’inégalité! Entre les collectivités de rattachement, entre les écoles, entre les classes, entre les élèves. Il n’y a pas besoin de développer en détail. On lutte contre la fracture numérique en grattant la plaie. Equiper c’est bien, rétablir l’égalité c’est mieux!

  • La fraternité – Il faut encourager le travail collaboratif, la coopération, la coopétition, les formes de communication asynchrones et distantes, la production d’un patrimoine commun de ressources. Entre les élèves évidemment, entre les enseignants sans doute, mais aussi et surtout entre tous les acteurs (en particulier ceux qui financent, et qui peuvent massivement mutualiser).

Mesure 2 – Tableau numérique interactif

Je suis un peu surpris que dans un rapport d’un tel niveau on préconise en mesure 2 le déploiement d’un outil particulier.


D’autant que les videoprojecteurs intègrent désormais cette fonction[8] ! Mais pas exactement au même prix…


Ces matériels doivent être interopérables ! Actuellement ce n’est pas le cas. Il y a des établissements avec des TBI de plusieurs marques différentes, incompatibles et a fortiori non interopérables.

Mon inquiétude générale


Mon inquiétude, c’est que l’école soit vue après ce rapport par les industriels comme un simple marché pour leurs produits. L’école vaut mieux que cela. Oui au « serious game » ! Mais par exemple le critère d’évaluation ne sera pas la santé de l’industrie du serious game, mais le progrès des élèves. Si l’on voulait faire du serious game libre, avec des systèmes-auteurs à libre disposition ce serait possible! Mais est-ce cela que l’on veut ?


Je vais prendre un exemple plus parlant.

À propos des handicapés

La situation des personnes handicapées en matière de nouvelles technologies est alarmante. Oui, les nouvelles technologies sont un formidable instrument d’accessibilité. Mais à quel prix ? Dans cette niche les marchands ne sont pas exactement des philanthropes. Vous savez combien coûte un système mécanique pour tourner les pages d’un livre ? Est-ce qu’il serait utile de financer un système de visio-conférence libre ? Vous imaginez les conséquences pour le développement du télétravail ? Le frein, ce n’est pas l’usage des outils, c’est le coût exhorbitant des outils ! Il faut choisir entre promouvoir les usages et promouvoir les outils.


Promouvoir vraiment les usages (et l’économie qui va avec) c’est libérer les outils !


Plutôt que d’aider les gens à se payer des logiciels… libérons les logiciels. L’économie autour des usages est plus rentable que le commerce sur les outils.

Sur l’enseignement de l’informatique

C’est une très bonne chose ! Au sein du groupe ITIC[9], j’ai suivi ce dossier. C’est une chose qui me tient à coeur. Mais s’est-on demandé pourquoi cet enseignement n’existait pas, avait été supprimé ?


Il faut aller au bout des choses: créer une inspection d’informatique, proposer un concours, avec une certification ouverte à la VAE[10]. Tout cela est bel et bon.


L’enjeu de fond reste toujours quand même : faut-il enseigner à utiliser ou à maîtriser. Je ne suis pas rassuré sur ce point. Faut-il enseigner à « maîtriser l’utilisation » ? La Finlande, c’est le pays où sont nés Linux et Nokia. Excusez du peu. Il faut croire qu’ils ont du chercher à vraiment comprendre comment ça marchait !

Sur l’enseignement des langues

Sur les langues j’ai écrit[11] l’an dernier à tous les départements, toutes les régions, au ministère, pour leur dire qu’il serait intelligent d’investir dans le développement d’LLSOLL[12], le labo de langue libre qu’avait commencé la ville de Genève.


Je suis un peu désabusé, même si j’observe qu’en matière de langues on met le paquet dans la réforme de la seconde (avec une inquiétude sur l’enseignement de l’allemand, mais c’est une autre histoire…).

Naïveté ?

Le logiciel qui renforce l’estime de soi « bravo, continue ». Les enfants ne sont pas dupes… Pour parler philosophie, disons que le désir de reconnaissance d’un sujet n’est pas exactement le désir d’être reconnu par un objet.

ADNE


L’idée d’une structure de coordination nationale est-elle une bonne idée ? Cela me rappelle la formule de Clémenceau : « Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission ».


Va pour l’Agence pour l’Accompagnement au Développement du Numérique dans l’Education (ADNE). La vraie question c’est: que devra-t-elle faire ?


Ce serait l’occasion pour faire du collaboratif entre acteurs de l’école, pour donner l’exemple : on n’enseigne que ce qu’on est !

Opportunité pour le soutien scolaire

Accompagnement à la scolarité. Il faut impliquer les enseignants, en profiter pour transformer les relations avec les élèves. Sinon les élèves iront chercher tous chercher ailleurs.


Il manque une offre logicielle de qualité en la matière ? Il faut faire développer, la mettre en libre et distribuer partout. Il y a 70.000 établissements scolaires. On paie 1 fois le développement en amont et on économise 70.000 licences. Cela devrait s’appeler de l’efficience non ?

À moins que l’on se prépare à faire payer 70.000 fois ceci, et 70.000 cela.

Les ENT

Le développement des ENT[13] a été un poème… On aurait voulu qu’ils ne se développent pas ou le plus lentement possible qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Passons…


Au lieu de se mettre autour d’une table et de financer en mutualisant un système libre qui puisse 1) être déployé vite et bien et 2) être maintenu correctement partout, on a laissé chacun se débrouiller, et on y est encore…


La région Ile de France vient de notifier un marché pour un ENT libre. I had a dream…

Mesure 27 – Développer un ENT spécifique pour le premier degré aux fonctionnalités adaptées, en particulier cahier de textes, et de liaison, pour la relation école-familles.

Si les enseignants doivent rentrer leurs notes, pourquoi l’Institution ne développerait pas en libre (ou ne racheterait pas un logiciel de notes pour le mettre sous licence libre), pour une ergonomie commune.

La forge de l’Adullact[14] l’accueillera avec plaisir.

À propos du haut débit


C’est très bien de mettre du très haut débit partout. Mais il faudra aller au bout de la démarche. Est-ce que cela va nous conduire à nous déplacer… pour avoir tout à disposition, comme dans le télétravail, qui existe déjà: on se déplace… pour télétravailler ! Le rapport le mentionne : le temps et le lieu de l’école vont devoir changer. Décidement le haut débit pour tous, ça touche à tout !


L’école numérique ce n’est pas l’école + le haut débit…

Mesure 14 – Exception pédagogique

Comme suppléant de Bernard Lang au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistisque[15], je crains que voter une exception pédagogique en urgence ne soit une contradiction dans les termes. Le test en trois étapes peut-il passer ?


Il y a pourtant une solution simple et très rapide à mettre en place : miser vraiment sur les ressources libres et ouvertes (logiciels et ressources documentaires).

Sur le pilotage

Je n’ai pas compris le but. Ou alors il n’est pas lisible. Mutualisation ?

Dommage qu’il ne soit pas question des développements logiciels d’ENT (à partir de la souche de Dijon par exemple[16]).

Mesure 23 – Favoriser les ressources libres et la mise à disposition de ressources non payantes


À première vue c’est formidable. Mais la mesure précédente, la 22, est un fonds pour soutenir l’édition propriétaire. Doit-on comprendre alors que l’on va encourager/favoriser les ressources libres… sans argent.

Pourtant elles sont comme les logiciels : elle sont gratuites une fois qu’elles ont été payées… Dire (tandis qu’on finance par ailleurs les marchands) à ceux qui produisent bénévolement un patrimoine libre avec le souci du bien commun « Bravo, merci, continuez », ce n’est pas vraiment les y encourager !

Le collaboratif

Sésamath est présenté comme une référence (son influence sur d’autres associations professionnnelles dans d’autres matières que les mathématiques en atteste assez). Le rapport encourage-t-il l’Institution à promouvoir à grande échelle cette exception française ? Et dans toutes les matières ?


Il y a comme une hésitation dans le rapport. Il faudrait que les enseignants collaborent, coopèrent, surtout pour se former. Le fait qu’ils aillent jusqu’à produire des contenus, et les plus adaptés, semble un peu embêtant…


Comment dire aux enseignants: collaborez, tandis que les contenus et les logiciels s’achèteraient ailleurs. Ca va forcément clocher quelque part.

Mutualisation : qui paie ?

Une certitude: ce sont les collectivités qui paieront. Habituellement c’est celui qui paie qui finalement décide. (C’est celui met la pièce dans le juke-box qui choisit la musique).


Il y a deux scénarios possibles:


  • Mutualisation tous azimuts: on rétablit et on assure l’égalité en pariant sur les ressources logicielles et documentaires libres et ouvertes (ENT, visio-conférences, laboratoires de langue, forges de développement de ressources, outils d’administration, etc.)

  • Pas de mutualisation, les régions, départements et communes riches s’équipent richement et le fossé se creuse.

Dans les deux cas l’industrie du numérique se développera… mais dans le second cas l’école numérique sera une autre école.

Priorité forges de développement : ce qu’il faudrait bâtir

Le rapport parle de la mise en place de plate-formes collaboratives. Plus que des lieux de rencontre, ce sont des lieux de production: les places de marchés sont là, pas ailleurs !

C’est là que se produisent les ressources (logicielles et documentaires).


Conclusion:


Pourvu qu’on ne soit pas en train de passer à côté d’une opportunité formidable, en se trompant sur ce qu’est l’Economie Numérique. On risque de déplacer un modèle de l’édition (d’outils et de contenus) qui est totalement inadapté, et qui va se fonder sur des modèles instables et transitoires. Cela fera peut-être la fortune de quelques habiles, mais l’école en tirera-t-elle bénéfice? C’est ce que je saurais dire…


Ce que j’espère ? Que les collectivités, qui vont payer, aillent vers la mutualisation, pour produire ensemble des resssources libres. Mais je ne sais pas si ce choix sera fait, car il n’est pas simple d’organiser cette mutualisation et d’inventer. Mais à coup sûr nous aurions là une école à donner au monde !


De toutes manières, nous aurons l’école numérique que nous méritons.

Notes

[1] Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales : http://adullact.org et http://adullact.net

[2] Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres : http://aful.org

[3] Le rapport Fourgous dans son intégralité + brochure de synthèse

[4] Économie du logiciel libre – François Elie – Éditions Eyrolles – Novembre 2008

[5] Lettre aux candidats à l’élection présidentielle de 2007 – François Elie – Février 2007

[6] Voir cette formule reprise par André Maurois

[7] Pour le dire d’un mot: pour reproduire une automobile dans le monde réel, il faut en construire une; mais copier une ressource numérique ou un logiciel n’est pas le reconstruire, c’est le copier, et la copie du logiciel fonctionne aussi, et le livre est en deux exemplaires! Il est évident qu’on ne peut pas penser l’articulation de la production et de la diffusion des objets numériques comme dans le monde de choses !

[8] Voir Deux nouveaux vidéoprojecteurs « révolutionnaires» présentés au Bett 2010

[9] Groupe de travail ITIC au sein de l’ASTI

[10] VAE pour la Validation des Acquis de l’Expérience

[11] La lettre au sujet de la mutualisation du projet LLSOLL

[12] LLSOLL (Laboratoire de langues en Standards Ouverts et Logiciels Libres)

[13] ENT pour Espace numérique de travail

[14] Forge Adullact

[15] Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique

[16] Le projet Eole




Interview de François Elie par Intelli’n TV

J’ai lu le livre Économie du logiciel libre de François Elie, pendant les vacances de Pâques et je l’ai trouvé très intéressant et… enrichissant !

J’ai prévu d’en faire un billet dédié sur ce blog, expliquant pourquoi ce livre est assurément à posséder dans sa bibliothèque (la vraie, pas la virtuelle), et pourquoi j’oscillais entre l’accord total avec ses dires et quelques réserves d’ordre « politique » qui tiennent principalement de la différence d’approche entre « l’open source » et le « free software».

Or mon emploi du temps est en train de craquer… et moi avec ! Dans ce contexte il me semble plus sage de commencer par relayer cette tout aussi intéressante interview en quatre parties, réalisée tout récemment par Interlli’n TV (licence Creative Commons By-Sa).

1. Définition du libre

La vidéo au format OGG à télécharger (73 Mo)

2. La communauté et son rôle

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3. Les bénévoles et les GULs

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4. Oracle/Sun et les risques que courent l’open source

La vidéo au format OGG à télécharger (60 Mo)

PS : Un dernier mot sur le livre, son blog.




Ouvrons le débat de l’informatique à l’école

Reproduction de Informatique et TIC : une vraie discipline ?, un récent article de Jean-Pierre Archambault[1], que nous connaissions depuis longtemps comme héraut du libre éducatif, mais qui élargit ici la problématique au présent et à l’avenir de l’informatique et des TIC à l’école, et ce faisant pose finalement la question de la place des technologies de l’information et de la communication dans notre actuelle et future société.

L’occasion pour moi de citer en rappel deux initiatives liées à la récente campagne présidentielle française 2007, l’une de l’ADULLACT et l’autre de l’APRIL (avec son initiative Candidats.fr).

Extrait de la Lettre aux candidats à l’élection présidentielle de 2007 (ADULLACT)

C’est la jeunesse qui fera le monde de demain. Il est très urgent d’enseigner très tôt la maîtrise et non pas seulement l‘utilisation de l’informatique, les techniques et non pas les modes opératoires. Il faut promouvoir l’informatique comme discipline à part entière dans l’enseignement secondaire, et y encourager l’esprit et les outils de production et de partage, pour le savoir et les richesses. Il faut former les acteurs et non de simples consommateurs de la société de l’information. Pourquoi dans notre pays collégiens et lycéens ne peuvent-il s’initier à la programmation ou au travail collaboratif ?

Extrait du Questionnaire de Candidats.fr (APRIL)

Êtes-vous favorable à ce que l’informatique soit une composante à part entière de la culture générale scolaire de tous les élèves sous la forme notamment d’un enseignement d’une discipline scientifique et technique au lycée ?

Êtes-vous favorable à ce que les élèves soient formés non pas à une gamme de produits (e.g. la suite Microsoft Office) mais à des catégories d’outils (e.g. traitement de texte, tableur, logiciels de présentation…) ?

Avec des réponses contrastées (ADULLACT et APRIL) en particulier de celui qui est devenu dans l’intervalle le président de la République française (réponses PDF de Nicolas Sarkozy à l’ADULLACT et à l’APRIL).

Il est effectivement temps de faire bouger les lignes et ne pas se satisfaire de la situation actuelle qui ressemble parfois à de l’inertie pendant que le monde avance.

Heureusement que, dans un contexte proche de l’urgence, nous pouvons compter sur l’expérience (et l’expertise) de la communauté du libre qui, je crois, lui donne une perception fine des enjeux. Encore faut-il qu’elle soit écoutée en haut lieu…

Vous trouverez une version PDF de l’article en fin de page.[2]

Student in Class - foundphotoslj - CC-BY

Informatique et TIC : une vraie discipline ?

Jean-Pierre Archambault – Medialog 62 Juin 2007

Avec l’introduction de la maîtrise des TIC dans le socle commun de connaissances et de compétences et la généralisation du B2i, un consensus existe pour affirmer qu’il faut préparer les futurs citoyens de la société de la connaissance à devenir des utilisateurs « intelligents » et non « presse-boutons » des technologies. Mais il n’existe pas de consensus sur la façon de s’y prendre. Certains militent pour la création d’une discipline scolaire « Informatique et TIC ».

Tout le monde a en mémoire les débats qui ont accompagné en 2006 la transposition de la directive européenne sur les droits d’auteurs et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) [3]. Ils concernaient notamment l’exercice du droit à la copie privée, la possibilité d’écouter sur plusieurs appareils un morceau de musique acquis en bonne et due forme… c’est-àdire la vie quotidienne de millions de gens. Ils portaient également sur l’interopérabilité, les DRM (Digital Rights Management) ou mesures techniques de protection, les logiciels de peer to peer, le code source des programmes (il fut abondamment question des logiciels libres), le droit un peu abscons des bases de données… Il est difficile au simple citoyen de maîtriser la complexité de ces notions techniques et juridiques et donc de mesurer l’impact de la loi. Par exemple, dans l’article 13 de la loi finalement adoptée, on peut lire : « Ces mesures techniques sont réputées efficaces lorsqu’une utilisation visée au même alinéa est contrôlée par les titulaires de droits grâce à l’application d’un code d’accès, d’un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’objet de la protection ou d’un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection… Un protocole, un format, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que tel une mesure technique au sens du présent article… Les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en oeuvre effective de l’interopérabilité, dans le respect du droit d’auteur… » [4]

Une nouvelle forme d’illettrisme

Or, nul n’est censé ignorer la loi ! Mieux, chacun doit être en mesure de contribuer à sa manière à son élaboration et, pour cela, de comprendre ce dont il s’agit et de bien mesurer les enjeux et les conséquences des textes adoptés par le Parlement. Quelles sont les représentations mentales opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent qu’il en soit ainsi ? Ces questions valent également pour la vie de tous les jours, quand il faut décrypter l’offre d’un fournisseur d’accès à Internet, avoir une idée de l’origine et de la responsabilité d’un dysfonctionnement (savoir par exemple pour quelles raisons une page web peut se faire attendre). Nous sommes de plain-pied dans la problématique de la culture générale informatique qui doit être dispensée par l’École. Comment procéder pour former tous les élèves à la société de l’immatériel ? Car, comme le soulignent Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet, dans l’économie de l’immatériel « l’incapacité à maîtriser les TIC constituera (…) une nouvelle forme d’illettrisme aussi dommageable que le fait de ne pas savoir lire et écrire » [5]. Et comment, dans le même temps, dispenser un enseignement qui prépare au mieux la formation ultérieure des spécialistes de haut niveau dont le pays a besoin ? Car, comme le relevait un article du Monde du 18 octobre 2006 sur les métiers de l’informatique, « la profession, où l’âge moyen est de 35 ans, commence à connaître une forte tension sur les recrutements des meilleurs profils : chefs de projet, ingénieurs spécialisés dans les nouvelles technologies, commerciaux, consultants spécialisés… ».

La question n’est pas nouvelle. Depuis une trentaine d’années, pour l’essentiel, deux approches se succèdent, coexistent, suscitent de vifs et intéressants débats. Pour l’une, les apprentissages doivent se faire à travers les usages de l’outil informatique dans les différentes disciplines existantes. Pour l’autre, l’informatique étant partout, elle doit être quelque part en particulier, à un moment donné, sous la forme d’une discipline scolaire en tant que telle [6].

Dans sa thèse, La constitution de l’informatique comme discipline scolaire (1987), Georges- Louis Baron, professeur à l’Université Paris V, parle de « lent cheminement vers le statut de discipline scolaire », et rappelle les conclusions d’un colloque international organisé à Sèvres en 1970 par le CERI-OCDE : « L’introduction d’un enseignement de l’informatique dans l’enseignement de second degré est apparu comme indispensable » [7]. Il y a eu, dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, une option informatique dans les lycées d’enseignement général. Créée en 1982, elle a été supprimée en deux temps, alors qu’elle était en voie de généralisation (première suppression en 1992, rétablissement en 1995, deuxième suppression en 1997). Le « cheminement » est donc quelque peu tortueux. Le cours de technologie au collège comporte une composante informatique bien identifiée. Le B2i, quant à lui, s’inscrit dans la démarche qui situe les apprentissages dans les usages de l’outil informatique dans l’ensemble des disciplines. Il figurera dans les épreuves du brevet des collèges et du baccalauréat, ce qui constitue une reconnaissance institutionnelle qui n’est pas toujours appréciée à sa juste valeur, indépendamment des avis que l’on peut avoir sur les contenus et les modalités d’évaluation.

Il arrive que cette question de la culture générale informatique ne soit pas exempte d’une certaine confusion, dans la mesure où l’on ne distingue pas suffisamment les objectifs généraux, les compétences à acquérir, les contenus scientifiques permettant de les atteindre – que l’on doit expliciter très précisément –, les méthodes pédagogiques et didactiques des disciplines. Rappelons donc succinctement que les statuts et les enjeux éducatifs de l’informatique et des TIC sont multiples.

L’informatique, outil et objet d’ensignement

Il y a un enjeu d’intégration d’instruments modernes pour améliorer la qualité de l’enseignement dans le contexte de sa démocratisation. L’ordinateur enrichit la panoplie des outils de l’enseignant. Il se prête à la création de situations de communication « réelles » ayant du sens pour des élèves en difficulté. Il constitue un outil pour la motivation. Il favorise l’activité. Il aide à atteindre des objectifs d’autonomie, de travail individuel ou en groupe. L’ordinateur est aussi encyclopédie active, créateur de situation de recherche, affiche évolutive, tableau électronique, outil de calcul et de traitement de données et d’images, instrument de simulation, évaluateur neutre et instantané, répétiteur inlassable, instructeur interactif… L’informatique s’immisce dans l’ « essence des disciplines » et leur enseignement doit en tenir compte. Cela vaut pour tous les ordres et niveaux d’enseignement, et notamment pour les formations techniques et professionnelles, tant les métiers, les processus de travail, les profils et les qualifications requises ont évolué. L’ordinateur est outil de travail personnel et collectif des enseignants, des élèves et de la communauté éducative. Enfin, l’informatique et les TIC sont objet d’enseignement car composantes incontournables de la culture générale de notre époque. Tous ces statuts ne s’excluent aucunement. Au contraire, ils se complètent et se renforcent. Ainsi le professeur de SVT pourra-t-il d’autant mieux enseigner l’expérimentation assistée par ordinateur et la simulation qu’il pourra s’appuyer sur de solides connaissances de base que ses élèves auront acquises précédemment et ailleurs que dans sa discipline.

Une discipline scolaire ?

En fait, la vraie question posée est celle de savoir s’il doit y avoir, à un moment donné de la scolarité obligatoire, apprentissages en matière de TIC et d’informatique sous la forme d’une discipline scolaire à part entière, comme c’est le cas dans un certain nombre de pays, par exemple la Corée du Sud, la Pologne et dernièrement le Maroc. Différentes raisons, selon nous, militent en faveur d’une réponse positive. D’abord, peuton considérer que « s’immerger c’est apprendre » ? À l’École et hors de l’École. L’utilisation d’un outil, matériel ou conceptuel, suffit-elle pour le maîtriser ? L’existence des enseignements techniques et professionnels est là pour rappeler que la réponse est évidemment non ! Jean-Michel Bérard, Inspecteur général de l’Éducation nationale, dit sans ambages que « l’utilisation d’un outil, si fréquente et diversifiée soit-elle, ne porte pas en elle-même les éléments qui permettent d’éclairer sa propre pratique » [8]. Ce qui ne signifie pas qu’il ne faille pas s’appuyer sur les pratiques et les expériences des élèves, mais avec l’objectif de les dépasser. Jean-François Cerisier, maître de conférences à l’Université de Poitiers, s’étonne de propos selon lesquels « les jeunes seraient naturellement outillés pour mettre en oeuvre des dispositifs techniques complexes dans une logique d’immersion qui postule implicitement que la pratique naïve des outils suffirait à produire des apprentissages pourtant complexes » [9]. Il indique qu’une étude conduite auprès d’élèves du cycle 3 a montré que la plupart d’entre eux ne disposaient pas d’une représentation suffisamment structurée d’Internet pour engager des démarches de recherche d’information même simples, et qu’ils « peinent à élaborer une requête documentaire lorsqu’ils utilisent un moteur de recherche standard ». Cela ne saurait surprendre quand on sait que le sens des opérateurs logiques (ET, OU) diffère de celui qu’ils ont dans le langage courant, que des éléments de logique figuraient dans les programmes de mathématiques des classes de seconde dans les années soixante-dix, et que leur compréhension n’allait pas de soi. On ne peut donc que le suivre quand, dans un autre article, il demande : « Comment en effet procéder à une recherche d’information efficace lorsque l’on n’a aucune connaissance du mode de fonctionnement de l’instrument utilisé ? » [10]. Par ailleurs, on sait que la science progresse en dégageant du « simple » dans la réalité complexe. Et que la pédagogie recommande de ne pas faire compliqué quand il faut faire simple. Dans une discipline donnée, se fixer, dans le même mouvement, des objectifs cognitifs et d’autres relatifs à l’outil informatique que l’on utilise, risque d’amener à échouer sur les deux tableaux. Chaque chose en son temps. J.-F. Cerisier fait également référence à « l’École comme seul lieu possible de prise en compte systématique des conceptions naïves ». C’est aussi le seul endroit où les élèves rencontrent la connaissance sous une forme structurée et organisée, où ils s’approprient « l’intelligence » des outils conceptuels pour bien s’en servir.

On ne fait pas des sciences expérimentales, ou de la technologie, de la même façon à l’école primaire et au lycée. La culture informatique s’acquiert donc selon des modalités diversifiées dans le temps. À l’école primaire, le B2i correspond bien aux méthodes d’initiation des enfants aux sciences et aux techniques. De plus, et c’est fondamental, il y a un enseignant unique, qui maîtrise donc ses progressions pédagogiques et leurs cohérences, l’organisation du temps scolaire et qui se coordonne facilement avec lui-même ! Ce qui n’est pas le cas au collège : là résident pour une bonne part les difficultés constatées de mise en oeuvre du B2i. Il n’est déjà pas évident d’organiser des apprentissages progressifs sur la durée lorsque les compétences recherchées sont formulées de manière très générale (du type « maîtriser les fonctions de base » ou « effectuer une recherche simple »), éventuellement répétitives à l’identique d’un cycle à l’autre, et que les contenus scientifiques, savoirs et savoir-faire précis permettant de les acquérir, ne sont pas explicités. Mais, quand, en plus, cela doit se faire dans des contributions multiples et partielles des disciplines, à partir de leurs points de vue, sans le fil conducteur de la cohérence didactique des outils et notions informatiques, on imagine aisément le caractère ardu de la tâche au plan de l’organisation concrète. Ainsi, un rapport de l’IGEN souligne-t-il que, « si différentes circulaires précisent les compétences qui doivent être validées et le support de l’évaluation (feuille de position), elles laissent néanmoins dans l’ombre de l’autonomie les modalités concrètes de mise en oeuvre » [11]. Pour se faire une idée de ces difficultés, il suffit d’imaginer l’apprentissage du passé composé et du subjonctif qui serait confié à d’autres disciplines que le Français, au gré de leurs besoins propres (de leur « bon vouloir »), pour la raison que l’enseignement s’y fait en français.

Former des utilisateurs « intelligents »

Au collège, le cours de technologie nous semble être un lieu institutionnel adapté à l’acquisition d’une maîtrise des outils informatiques, dont les enseignants des autres disciplines peuvent alors bénéficier dans leurs démarches pédagogiques, d’une manière réaliste. La complémentarité objet-outil d’enseignement peut donner toute son efficacité quand on l’envisage dans cette optique.

Au lycée, dans le prolongement des acquis précédents, une approche spécifique et scientifique, dans le cadre d’un enseignement particulier, permet de les capitaliser et de favoriser les usages pédagogiques des TIC dans les autres matières. Elle constitue une étape qualitativement nouvelle permettant de se fixer des objectifs ambitieux et incontournables pour des générations appelées à évoluer dans la société de la connaissance, dans laquelle on sait le rôle éminent joué par les TIC, de former des « utilisateurs intelligents » et des citoyens à part entière. Quand une matière est omniprésente dans la société, elle devient un élément de la culture générale, et de la culture scolaire, sous la forme d’une discipline particulière que l’on étudie pour elle-même afin de mieux la mettre au service des autres disciplines. Avec des enseignants spécialisés, des programmes, des horaires et des épreuves au baccalauréat. Jacques Baudé, président d’honneur de l’EPI (association Enseignement Public et Informatique), rappelle opportunément que « pendant plus de dix ans, le Conseil scientifique national (CSN), pilotant l’option informatique des lycées, a montré que la mise au point de programmes d’enseignement n’a pourtant rien d’impossible ; ce n’est ni plus difficile ni plus facile que dans n’importe quelle autre discipline ! Les invariants enseignables au lycée se dégagent somme toute assez facilement à condition de pratiquer une large concertation avec les universitaires et les enseignants du terrain » [12].

Ces invariants, dont parle Jacques Baudé, doivent inclure des activités d’algorithmique et de programmation, non pas pour former des informaticiens professionnels – même si cela y contribue – mais pour que les élèves comprennent la logique de fonctionnement de l’ordinateur et des environnements informationnels (si l’on apprend à résoudre des équations du second degré ce n’est pas parce qu’on en résout tous les jours !). Charles Duchâteau, professeur aux facultés universitaires N.-D. de la Paix de Namur, s’exprime en ce sens : « J’ai été et je reste parmi ceux qui croient que l’apprentissage de la programmation est formatif et qu’il ne faut pas tout mesurer à l’aune de l’utilité immédiate. Je crois aussi que les méthodes et concepts typiques de l’algorithmique sont parmi les plus fondamentaux de l’informatique et que, de plus en plus, une certaine familiarité avec le “faire faire” qui est au coeur de la programmation, au sens large, fait partie d’une utilisation efficace de beaucoup d’outils logiciels récents » [13]. Écrire des programmes informatiques, même très simples, permet également de donner de la substance à ce que sont les codes source et objet, et donc de mieux percevoir les enjeux des logiciels libres. La « philosophie » de ces logiciels est en phase avec l’objectif de former des utilisateurs « intelligents » car la connaissance du code permet la compréhension de la logique et du fonctionnement des logiciels.

Pour Jean-Pierre Demailly, membre de l’académie des Sciences, « un enseignement des langages, des algorithmes et de la programmation serait bien utile à partir du lycée. Tout d’abord parce que c’est un véritable besoin économique de mieux préparer les élèves à acquérir des connaissances technologiques solides, mais aussi parce que cela intéresserait de nombreux jeunes – dont l’informatique est parfois une passion en dehors de l’école » [14].

Pour résumer, une approche équilibrée garante d’une bonne culture générale scolaire doit, selon nous, s’appuyer sur l’utilisation de l’ordinateur dans les disciplines pendant toute la scolarité, le B2i à l’école primaire, le cours de technologie au collège et une matière « Informatique et TIC » au lycée. Avec la conviction que pareille intégration résolue de l’informatique et des technologies modernes dans le système éducatif est de nature à faciliter les évolutions économiques, sociales et culturelles du XXIe siècle.

Notes

[1] Jean-Pierre Archambault – CNDP-CRDP de Paris – Chargé de mission veille technologique

[2] L’illustration est une photographie de foundphotoslj intitulée Student in Class issue de Flickr et sous licence Creative Commons BY-SA

[3] Jean-Pierre Archambault, « Innover ou protéger ? Un cyberdylemne », Médialog n°58.

[4] lien

[5] Maurice Lévy, Jean-Pierre Jouyet, L’économie de l’immatériel – La croissance de demain, rapport de la commission sur l’économie de l’immatériel remis à Thierry Breton, décembre 2006.

[6] Jean-Pierre Archambault, Démocratie et citoyenneté à l’heure du numérique : les nécessités d’un enseignement lien

[7] lien.

[8] Jean-Michel Bérard, « Ordinateur et système éducatif : quelques questions » in Utilisations de l’ordinateur dans l’enseignement secondaire, Hachette Éducation, 1993.

[9] Jean-François Cerisier, « Qui est derrière Internet ? Des représentations tenaces », Les Cahiers pédagogiques n°446, octobre 2006.

[10] Jean-François Cerisier, « La nature du B2i lui permet-elle d’atteindre ses objectifs ? », Les dossiers de l’ingénierie éducative n°55, septembre 2006.

[11] lien en page 17.

[12] Jacques Baudé, Pour une culture générale intégrant l’Informatique et les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), lien

[13] Charles Duchâteau, Peut-on définir une « culture informatique » ? lien

[14] Jean-Pierre Demailly, professeur à l’université Grenoble I, directeur de l’Institut Fourier, membre de l’académie des Sciences, in interview à l’EPI, avril 2005. lien




Deux représentants du logiciel libre sont nommés au CSPLA

La bonne nouvelle du jour sous la forme d’un communiqué que je reproduis ici.

CSPLA

Le 3 mai 2007, trois arrêtés du ministre de la culture et de la communication modifient la composition du Conseil supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) et nomment ses nouveaux membres pour une durée de trois ans. La création libre est enfin reconnue officiellement par la nomination de deux représentants du logiciel libre, Bernard Lang comme titulaire et François Élie comme suppléant.

Paris, le 15 mai 2007.

Nouveaux membres nommés au CSPLA, officiellement en tant que représentants des auteurs et éditeurs de logiciels et bases de données, Bernard Lang et François Élie y représenteront donc la création libre et se félicitent de cette reconnaissance officielle de son importance économique et culturelle.

Toutes les catégories de création représentées au CSPLA peuvent être concernées par la création libre, et l’ont été peu ou prou. Bernard Lang et François Élie estiment que leur nomination reflète l’importance particulière et le succès incontestable des logiciels libres, dont ils sont des représentants en tant que, respectivement, vice-président de l’AFUL et président de l’ADULLACT. Seuls représentants de la création libre et de la diffusion ouverte des oeuvres de l’esprit au CSPLA, ils considèrent qu’il sera de leur responsabilité de représenter au mieux toutes les autres catégories de ces modes de création et de diffusion (oeuvres ou interprétations, bases de données, encyclopédies, ressources pédagogiques, etc.), ainsi que les secteurs professionnels qui s’y rattachent, dans la mesure où les acteurs concernés l’estimeront utile.

La nomination de Bernard Lang, directeur de recherche à l’INRIA, est aussi une reconnaissance du dynamisme de l’INRIA concernant le logiciel libre, tant par le grand nombre de logiciels libres conçus et diffusés par ses chercheurs, que par son travail institutionnel de soutien, dont la création des licences libres francophones CeCILL. Il faut ajouter à cela, dans un autre domaine, la forte implication de l’INRIA dans les objectifs de la Déclaration de Berlin pour la diffusion ouverte des publications scientifiques.

Par la nomination de François Élie, cet arrêté reconnaît de même les actions soutenues de nombreuses collectivités territoriales et administrations pour s’informatiser avec des logiciels libres, et garder ainsi la maîtrise de leurs choix techniques, de leurs coûts et de l’ouverture concurrentielle des marchés publics.

Ces nominations sont également la conséquence du travail considérable de toutes les associations de la création libre, tant sur le terrain auprès du public et des décideurs que dans la bataille politique pour que ses spécificités sociales, économiques, juridiques, culturelles et techniques soient prises en compte par le législateur et que soit respecté un espace où elle puisse faire la preuve de sa capacité d’innovation, de l’efficacité de sa contribution à l’économie et la culture, et de sa particulière adéquation à la société de la connaissance et aux objectifs de Lisbonne. Elles sont aussi, en particulier, la conséquence des efforts de la Free Software Fondation (FSF) pour obtenir que le logiciel libre soit effectivement représenté au CSPLA.

C’est pour ne pas faire de différence entre tous ces acteurs, qui sont tous intéressés et ont tous contribué, chacun dans son domaine et selon ses méthodes, que nous avons choisi de publier ce communiqué à titre personnel, plutôt que de le faire publier par nos associations et/ou organismes respectifs. Qu’ils soient ici tous remerciés. Nous auront à coeur de ne pas les décevoir.

Nous voulons profiter de cette occasion pour rappeler que la création libre – tout particulièrement le logiciel libre – se fonde de façon essentielle sur le droit d’auteur, auquel nous sommes tous deux très attachés tant par notre culture d’origine de chercheur ou de philosophe que par notre participation à ce mouvement créatif.

Pour autant, nous ne souhaitons pas que le droit d’auteur devienne le prétexte de dérives législatives et réglementaires qui menacent la création elle-même, tant dans son rôle culturel, économique et social que dans sa diversité et sa pérennité, ou portent atteinte à d’autres valeurs essentielles comme la liberté de communication et d’expression ou la protection de la vie privée. Convaincus que le dialogue reste la meilleure façon de résoudre les problèmes, nous voulons croire que ces nominations sont annonciatrices d’une réflexion plus ouverte et partagée qui a tant manqué par le passé, notamment dans l’élaboration de la loi sur le Droit d’Auteur et les Droits Voisins dans la Société de l’Information.

Enfin, nous espérons que cette nomination n’est que le début d’une plus large reconnaissance par le pays des apports de la création libre. Il reste un espace immense pour des idées et des initiatives nouvelles et prometteuses.

Bernard Lang – Francois Élie

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