Le Royaume-Uni traite les journalistes comme des terroristes, croyez-moi, je le sais

« Sarah Harrison est une journaliste britannique et chercheur en droit qui travaille avec l’équipe de défense juridique de WikiLeaks. Elle a aidé le lanceur d’alerte Edward Snowden à obtenir l’asile, suite à ses révélations, en 2013, sur plusieurs programmes de surveillance de masse américains et britannique. »

Voici ce qu’on peut lire sur sa fiche Wikipédia et qui justifie aux yeux du gouvernement de son pays qu’on la considère plus comme une terroriste que comme une journaliste[1].

Un témoignage accablant.

Sarah Harrison

Le Royaume-Uni traite les journalistes comme des terroristes – croyez-moi, je le sais

Britain is treating journalists as terrorists – believe me, I know

Sarah Harrison – 14 mars 2014 – The Guardian
(Traduction : loicwood, MrTino, Kcchouette, Romane, r0u, lumi, aKa + anonymes)

Mes liens avec WikiLeaks et Edward Snowden signifient que je suis considérée comme une menace et que je ne peux pas revenir au Royaume-Uni. Nous avons besoin d’une feuille de route pour la liberté d’expression.

La liberté d’expression et la liberté de la presse sont attaquées au Royaume-Uni. Je ne peux pas revenir en Angleterre, mon pays, à cause de mon travail journalistique avec Wikileaks et le lanceur d’alerte de la NSA, Edward Snowden. Il y a des choses que je pense même ne pas pouvoir écrire. Par exemple, si je déclarais que j’espère que mon travail à WikiLeaks puisse changer les comportements du gouvernement, ce travail journalistique serait considéré comme un crime selon le « UK Terrorism Act » (NdT : Loi contre le terrorisme au Royaume-Uni) datant de 2000.

Cette loi définit le terrorisme comme « tout acte ou menace d’action ayant pour but d’influencer le gouvernement ou une organisation gouvernementale internationale » ou « conçue dans le but de faire prospérer une cause politique, religieuse, raciale ou idéologique » ou « conçue pour interférer ou perturber un système électronique ». Par ailleurs, la loi indique que « gouvernement » signifie le gouvernement de n’importe quel pays­ – y compris les États-Unis. Le Royaume-Uni a utilisé cette loi afin d’ouvrir une enquête pour terrorisme contre Snowden et les journalistes qui ont coopéré avec lui, et ont utilisé ce prétexte pour entrer dans les bureaux du Guardian et demander la destruction de leurs disques durs relatifs à Snowden. Ce pays est en train de devenir un pays qui ne différencie plus les terroristes des journalistes.

Le jugement récent de l’affaire Miranda le démontre. David Miranda assistait le journaliste Glenn Greenwald et transitait par l’aéroport d’Heathrow l’été dernier, en possession des documents du journaliste, quand il fut arrêtéen vertu de l’article 7 de la loi contre le terrorisme. L’article 7 permet aux autorités d’arrêter une personne dans tous les ports, aéroports et gares du Royaume-Uni, de la détenir jusqu’à neuf heures, et n’accorde aucun droit à garder le silence. Cette loi vous oblige à répondre aux questions et à fournir tous les documents que vous possédez, et c’est ainsi que Miranda a été forcé de remettre ses documents relatifs à l’affaire Snowden. Par la suite, Miranda a intenté un procès contre le gouvernement britannique sur la légalité de sa détention, afin de démontrer que cette loi bafouait son droit de faire son travail de journaliste librement. La cour a outrageusement utilisé une question de transparence politique pour ignorer la liberté d’expression telle que définie par la Convention européenne des droits de l’homme.

Si le Royaume-Uni se met à enquêter sur nous, les journalistes, pour terrorisme en prenant et en détruisant nos documents, en nous forçant à donner nos mots de passe et à répondre aux questions – comment être sûrs de pouvoir protéger nos sources ? Mais comme il y a désormais un précédent, aucun journaliste ne peut être certain que s’il sort, entre ou transite par le Royaume-Uni, cela ne peut lui arriver. Mes avocats m’ont conseillé de ne pas rentrer chez moi.

L’avocate américaine de Snowden, Jesselyn Radack, fut questionnée à propos de Julian Assange et de son client lors de son récent passage au Royaume-Uni. Je suis fortement liée à ces deux hommes : je travaille pour l’un, et j’ai aidé et protégé l’autre pendant quatre mois. En outre, si l’article 7 est utilisé pour m’arrêter dès que je débarque au pays, je ne pourrais pas répondre à de telles questions ou renoncer à quoi que ce soit, car ce serait un risque pour le travail journalistique de WikiLeaks, pour nos collaborateurs et nos sources. Comme je n’ai pas le droit au silence d’après cet article, je commettrais un crime aux yeux du gouvernement. Une condamnation pour « terrorisme » aurait de sévères conséquences pour ma liberté de circulation à travers les frontières internationales.

L’article 7 ne concerne pas vraiment la capture de terroristes, de part la façon même dont il a été rédigé. Le jugement de l’affaire Miranda établit qu’il a dans ce cas « constitué une interférence indirecte avec la liberté de la presse » et est certes « en mesure, selon le contexte, d’être déployé pour interférer avec la liberté journalistique ». Les forces de l’ordre peuvent détenir quelqu’un non pas parce qu’elles le suspectent d’être impliqué dans des activités terroristes, mais pour voir « si quelqu’un semble » – même indirectement – « faciliter » le terrorisme, tel qu’il est bizarrement défini par cette loi.

Le juge Ouseley, qui a également présidé l’affaire d’extradition d’Assange, a déclaré dans son jugement qu’un officier peut agir sur la base « d’un simple pressentiment ou d’une intuition ». Il est donc maintenant décrété par nos tribunaux qu’il est acceptable d’interférer sur la liberté de la presse, sur la base d’une intuition – tout cela au nom de la « sécurité nationale ». Aujourd’hui, au lieu d’« assurer la stabilité d’une nation pour son peuple », la sécurité nationale utilise ces lois pour justifier leurs propres infractions, que ce soit pour envahir un autre pays ou espionner leurs propres citoyens. Cette loi – c’est maintenant clair comme du cristal – est consciencieusement et stratégiquement mise en oeuvre pour menacer les journalistes. Elle est devenu un moyen pour sécuriser l’opacité derrière laquelle notre gouvernement peut construire un tout nouveau Big Brother du 21ème siècle.

Cette érosion des droits humains fondamentaux présente de dangereux risques de dérive. Si le gouvernement peut se permettre de nous espionner – pas seulement en collusion avec, mais aux ordres, des États-Unis – alors quels contrôles et contrepoids nous sont laissés ? Peu de nos représentants font quoi que ce soit à l’encontre de cette restriction abusive pour les libertés de la presse. La députée des verts Caroline Lucas a déposé une « Early Day Motion » (NdT : pratique parlementaire britannique consistant à déposer une motion à la Chambre des Communes afin de sensibiliser les députés sur un sujet particulier) le 29 janvier, mais seuls 18 députés l’ont signée jusqu’à présent.

Depuis mon refuge à Berlin, toute cette affaire à des relents d’adoption du passé allemand, plutôt que son futur. Je me suis demandé dans quelle mesure l’histoire britannique aurait été plus pauvre si le gouvernement de l’époque avait eu un tel instrument abusif à sa disposition. Que serait-il arrivé à toutes ces campagnes publiques menées afin d’« influencer le gouvernement » ? Je peux voir les suffragettes qui se battaient pour leur droit de vote être menacées d’inaction, les marcheurs de Jarrow être qualifiés de terroristes et Dickens être enfermé à la prison de Newgate.

Dans leur volonté de piétiner nos traditions, les autorités britanniques et les agences d’État sont saisies par un extrémisme qui est très dangereux pour la vie publique anglaise tout comme la (réelle ou imaginaire) lutte contre le terrorisme. Comme le souligne Ouseley, le journalisme au Royaume-Uni ne possède pas de « statut constitutionnel ». Mais il n’y a aucun doute que ce pays a besoin d’une feuille de route pour la liberté d’expression pour les années à venir. La population anglaise doit se battre pour montrer au gouvernement que nous préserverons nos droits et nos libertés, quelles que soient les mesures coercitives et les menaces qu’il nous lance.

Notes

[1] On notera que même Paris Match en a parlé : Elle a aidé Snowden, Sarah Harrison contrainte à l’exil.




Mon gouvernement me paye pour faire du Libre toute la journée !

C’est ce qui arrive à un développeur britannique.

Il s’en réjouit et nous avec 😉

Le gouvernement britannique me paye pour faire de l’open source toute la journée

The UK government pays me to write open source all day

Jake Benilov – 17 mai 2013 – QuickPeopleBlog
(Traduction : RyDroid, goofy, @zessx, Sylvain, MFolschette, Asta, Chuckman + anonymes)

Je suis développeur. Voici le graphique récapitulant mes contributions open source sur Github pour les 12 derniers mois (les carrés verts représentent les jours où j’ai fait des commits dans des dépôts open source) :

benilovj_oss_contributions.png

Bien que je fasse aussi de l’open source pendant mon temps libre, la plupart de ces points verts apparaissent pendant mes heures de travail au Government Digital Service (NdT. unité gouvernementale chargée de revoir le fonctionnement des services gouvernementaux en ligne), une équipe du Bureau du Cabinet britannique.

Je ne suis pas un cas isolé dans mon équipe. Si vous jetez un coup d’œil à la page Github du GDS, vous trouverez beaucoup de code. Mieux encore, notre travail ne se déroule pas seulement en marge des TIC gouvernementales : nous sommes responsables du site GOV.UK, la principale plateforme de publication du gouvernement britannique, et l’accès principal à toutes les opérations gouvernementales.

Un point où j’ai peut être exagéré : comme James Stewart (un des directeurs développement du GDS) le souligne, le GDS fait aujourd’hui du « code ouvert » plutôt que de « l’open source ». Cela signifie que le GDS rend les sources disponibles sous une licence de libre diffusion (LLD), mais ne soutient ou n’établit aucune communauté autour. Dans tous les cas, le « code ouvert » est génial pour de nombreuses raisons.

Équité envers le contribuable

Les sources gouvernementales devraient être ouvertes. Après tout, si le code a été écrit grâce aux impôts du contribuable, ce n’est que justice que le contribuable puisse l’avoir en retour. Fait intéressant, le critère n°15 du Digital by Default Service Standard (NdT. document explicitant les critères auxquels doivent répondre les services gouvernementaux en ligne) récemment publié devrait institutionnaliser cela et faire en sorte que tous les futurs projets du gouvernement britannique soient mandatés pour ouvrir leurs sources par défaut :

Rendez tout nouveau code source ouvert et réutilisable, et publiez-le sous les licences appropriées (ou fournissez une raison valable pour laquelle ce n’est pas possible pour certaines parties spécifiques du code source)

8522057158_fc88cc5041_n.jpg

Équité envers la communauté de l’open source

Nous utilisons des langages et frameworks open source (la majorité de GOV.UK est écrite en Ruby et Scala), des serveurs web open source, nous gérons et configurons nos sources avec des outils open source (Git et Puppet), et nous déployons sur les systèmes d’exploitation open source (tournant sous Linux). Redistribuer n’est que justice.

Transparence

Disposer de mon code source GDS sur GitHub facilite ma vie de développeur au GDS. Si j’ai besoin d’intégrer, de réutiliser ou d’étendre un autre composant du GDS, j’ai juste à cliquer dans mon navigateur ou à cloner le dépôt.

La transparence bénéficie aussi à ceux en dehors du GDS. Besoin de connaître les règles pour calculer une pension d’État ? Regardez les sources. Vous avez trouvé un bug dans la page des jours fériés ? Vous pouvez soumettre une pull request pour le corriger.

Je connais des sociétés qui ont des programmes open source internes, et c’est certainement un pas dans la bonne direction, mais le fait de rendre presque tout disponible nous rapproche de l’idéal d’une propriété commune du code.

En bonus, puisque les bidouilles et les raccourcis sont visibles par tout le monde, il en résulte une diminution des bricolages hasardeux.

Réutilisation

Bien qu’une bonne partie du code que nous écrivons est spécifique à nos problématiques, une large part est générique, et pourrait facilement être adaptée à l’usage d’autres administrations centrales, régionales ou locales, ou dans le secteur privé. En fait, les gens commencent déjà à le faire. Vous voulez du bon code pour un front-end ? Le voici. Vous voulez un système de login unique de qualité gouvernementale ? Le voilà. Vous voulez construire vos propres réponses intelligentes ? Ne vous gênez pas.

Marketing

Le « code ouvert » est un bon argument marketing pour l’image de marque du GDS. Quand je dis à d’autres hackers que je fais de l’open source au travail, les sourcils se lèvent. J’ai entendu des gens extérieurs au GDS en parler en termes de « startup gouvernementale » ; il est évident que l’open source améliore l’image de la marque.

Pour le CV

Pour des raisons purement égoïstes, il est vraiment agréable d’avoir un portfolio de mon travail, un endroit où je peux apporter aux gens une preuve tangible de ma capacité (ou mon incapacité ?) à coder en Ruby.

J’aimerais que davantage d’employeurs fassent cela (et pas seulement le secteur public). Si le vôtre ne le fait pas, peut-être que les raisons évoquées ci-dessus pourront aider à le convaincre de changer d’avis ?




Le Raspberry Pi sauvera-t-il le Royaume-Uni ?

Grand succès pour le mini ordinateur sous GNU/Linux Raspberry Pi, officiellement disponible à la vente depuis une semaine pour une trentaine d’euros. Plutôt que nous extasier (à juste titre) sur ses caractéristiques techniques, nous en avions souligné ses potentialités éducatives dans un article précédent.

Mais pour le mettre entre les mains des écoliers il faut bien le produire en masse. ce qui présente, d’après Pete Nelson, une belle opportunité économique pour le pays qui l’a vu naître.

Une traduction qui fait vibrer la fibre patriotique mais qui permet aussi en creux de s’interroger sur la situation française en cette période électorale. Angleterre et France, ces deux vieux pays rois de la Révolution industrielle[1], sauront-ils retrouver leur place dans le domaine du matériel et logiciel informatique ?

La réponse est peut-être une fois de plus à chercher du côté du Libre.

Katherine Johnson - CC by

Pourquoi le Raspberry Pi va sauver le Royaume-Uni

Why the Raspberry Pi will save the UK

Pete Nelson – 6 marc 2012 – Blog perso
(Traduction Framlang : OranginaRouge, ZeHiro, nh2, Lamessen)

Le Royaume-Uni a un riche passé d’ingénierie et d’industrie. La révolution industrielle y a commencé et depuis ce jour nous avons assisté au développement d’une ingénierie fiable, solide et bien pensée.

Malheureusement, durant le dernier quart du 20ième siècle, des décisions ont été prises pour mettre à mal l’assise de notre ingénierie et de nos industries de façon à ce que nous, société de consommation, puissions acheter des produits moins chers auquels nous ferions moins attention. Pour combler le déficit, nous nous sommes appuyés de plus en plus sur la City de Londres et nous l’avons dérégulée afin de s’assurer qu’elle attire les investisseurs du monde entier. Alors que la City générait de l’argent pour le pays, le reste d’entre nous se mettait au travail pour subvenir aux besoins de la nation – quelqu’ils soient – généralement en dépensant de l’argent dans de la nourriture de marque distributeur ou des débits de boissons. Pendant ce temps, ceux qui se démenaient à produire des biens réels perdaient leurs CDI au profit de contrats gérés par des sociétés de service afin que les entreprises puissent embaucher et licencier aussi vite qu’ils le souhaitaient, alors que ces suceurs de sang grattaient un gros pourcentage sur les salaires.

Mais il y a une industrie qui peut changer les choses au Royaume-Uni : le logiciel. Nous avons un solide héritage en matière de matériel informatique et de logiciel dans ce pays mais la beauté du développement logiciel est qu’il peut être réalisé par n’importe qui, à n’importe quel endroit avec un minimum d’investissement. Le coût le plus important est de loin la formation du personnel pour qu’il soit capable de développer un logiciel ; bien qu’il soit très simple d’acquérir les bases, ça reste un métier qui nécessite des connaissances en ingénierie et une expérience pratique.

C’est là que le Raspberry Pi peut nous sauver : il est désormais possible pour le gouvernement de fournir à moindre coût et à chaque enfant de ce pays une machine qu’il pourra emporter chez lui et avec laquelle il pourra jouer. En outre, si le gouvernement tient sa promesse d’arrêter de donner des cours sur l’utilisation de Microsoft Word et commence à enseigner des sujets dignes de ce nom, nous aurons bientôt une génération de travailleurs hautement qualifiés à portée de main, prêts à exporter des produits dans le monde.

La programmation n’est pas faite pour tout le monde, bien entendu, mais le développement d’un logiciel ne se résume pas à de la programmation, il y est aussi une question de conception , d’idées, de raisonnements et d’organisation. Nous avons déjà de super entreprises de design, de jeux, de développement web et logiciel dans ce pays (bien que minoritaires) – si les représentants de ces industries pouvaient aller dans cette direction et développer massivement ces industries au point de venir concurrencer les leaders américains alors nous serions sur la bonne voie.

C’est génial d’entendre que Nissan a créé de nouveaux emplois dans le pays mais je crois qu’il est nécessaire de commencer à s’éloigner de ces industries antiques et de créer une main d’œuvre locale, décentralisée et hautement qualifiée composée de créateurs, dans l’objectif d’exporter à nouveau.

Et nous devons commencer à donner à l’industrie du logiciel le respect qu’elle connaît aux États-Unis. Au moment où je vous écris, le Raspberry Pi se vend à 700 unités par seconde et cela me redonne confiance en ce monde – qu’une initiative à but non lucratif et une conception désintéréssée puisse avoir autant de succès. Et j’aime qu’il soit basé sur une autre technologie de Cambridge qui a changé le monde (et qui a confirmé que nous, britanniques, pouvons encore produire des choses) : la puce ARM.

Notes

[1] Crédit photo : Katherine Johnson (Creative Commons By)




Le code deviendra-t-il le latin du XXIe siècle ?

I Write CodeOutre sa dimension historique, culturelle et civilisationnelle, apprendre le latin c’est aussi mieux connaître les bases de notre langue française pour mieux la maîtriser.

Et si, pour mieux comprendre et avoir la capacité de créer (et non subir), la programmation informatique prenait peu ou prou la même place que le latin dans la nouvelle ère qui s’annonce ?

Même si c’est avec un léger train de retard, c’est la question que l’on se pose actuellement en France, mais aussi comme ci-dessous dans une Grande-Bretagne passablement secouée par le récent sermon de Monsieur Google.

« Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés ils deviennent des sujets. »
Alfred Sauvy

La programmation – le nouveau latin

Coding – the new Latin

Rory Cellan-Jones – 28 novembre 2011 – BBC
(Traduction Framalang : Goofy, Pandark, Penguin, e-Jim et Marting)

La campagne de promotion de l’apprentissage de l’informatique à l’école — en particulier la programmation — rassemble ses forces.

Aujourd’hui, Google, Microsoft et les autres grands noms du domaine technologique vont prêter leur soutien au dossier soumis au gouvernement plus tôt cette année dans un rapport appelé Next Gen. Il soutient notamment que le Royaume-Uni pourrait être un centre mondial pour l’industrie des jeux vidéos et des effets spéciaux — mais seulement si le système éducatif s’y emploie.

Les statistiques sur le nombre d’étudiants allant à l’université pour étudier l’informatique donnent à réfléchir. En 2003, environ 16 500 étudiants postulaient à l’UCAS (NdT : Universities and Colleges Admissions Service, service gérant les admissions à l’Université au Royaum-Uni) pour des places en cours d’informatique.

En 2007, ce nombre était tombé à 10 600, bien qu’il soit un peu remonté depuis, 13 600 l’année dernière, à cause de la hausse globale des demandes à l’université. Le pourcentage d’étudiants cherchant à étudier le sujet est donc descendu de 5% à 3%. Plus encore, la réputation de l’informatique comme domaine réservé aux hommes geeks a été renforcée, avec un pourcentage de candidats masculins en hausse de 84% à 87%.

Mais le problème, d’après les promoteurs du changement, commence dès l’école avec les ICT (NdT : Technologies de l’Information et de la Communication, TIC ou TICE chez nous), une matière vu par ses détracteurs comme l’enseignement de simples compétences techniques (NdT : Savoir mettre en gras dans un traitement de texte par exemple) plutôt que de la réelle compréhension de l’informatique.

Et il semble bien que les enfants reçoivent le même message car ils sont de moins en moins à étudier cette matière. La réponse, d’après les entreprises et associations qui appellent au changement, est de mettre des cours d’informatique appropriés au programme, sous forme d’apprentissage à la programmation.

Et il semblerait bien qu’ils aient trouvé ce qui pourrait être un bon slogan pour leur campagne. « Coder, c’est le nouveau latin », dit Alex Hope, co-auteur du rapport de Next Gen qui a donné le signal de départ à tout cela. « Nous devons donner aux enfants une compréhension correcte des ordinateurs si nous voulons qu’ils puissent comprendre et s’adapter à toutes sortes de futurs métiers. ».

M. Hope croit fermement que l’association des nouvelles technologies et de l’industrie culturelle est le meilleur espoir de la Grande Bretagne — et il est bien placé pour le savoir.

Son entreprise d’effets spéciaux Double Negative est une belle réussite, avec des apparitions aux génériques de Films comme Harry Potter, Batman ou Inception, pour lequel elle a gagné un Oscar. Il emploie désormais plus d’un millier de personnes depuis ses débuts éblouissants en 1998.

Alex Hope dit que sa société a besoin d’un riche mélange de talents : « nous cherchons des génies universels — des gens avec des connaissances en informatique, mathématiques, physique, ou arts plastiques qui peuvent toutes s’épanouir et se développer ». Il explique comment le travail pour donner une apparence réelle à la Tamise en image de synthèse dans Harry Potter implique des mathématiques et de la physique complexe.

Mais il trouve difficile de recruter des personnes avec une expérience en sciences dites dures. « Nous ne produisons tout simplement pas assez de diplomés avec des compétences en informatique ou en mathématiques ».

Comme bien d’autres tirant la sonnette d’alarme pour une éducation différente, Alex Hope en revient à 1980 lorsqu’il apprenait à programmer en utilisant un BBC Micro. Aujourd’hui, il va être rejoint par le principal ingénieur de Google au Royaume-Uni et le dirigeant de Microsoft éducation au Royaume-Uni pour proposer une nouvelle approche. Ils disent rien de moins que c’est le potentiel de croissance et d’emplois qui est en jeu pour une partie vitale de l’économie.

« Le gouvernement cherche des opportunités de croissance » dit Alex Hope. « Pour cela, ils y a nécessité à former les programmeurs dont les entreprises créatives et de hautes technologies ont et auront besoin pour monter leurs affaires ».

Et il semble que le gouvernement soit réceptif à ce message. Il y a deux semaines, j’ai posé des questions au premier ministre concernant le problème de l’éducation à l’informatique. David Cameron a admis que « nous ne faisons pas assez pour former la prochaine génération de programmeurs », et déclaré que des actions seraient menées à ce sujet.

Nous découvrirons bientôt de quels types d’actions il s’agit, lorsque le gouvernement publiera ses réponses au rapport de Next Gen écrit par Alex Hope et Ian Livingstone. On attend une réponse largement positive, bien qu’un engagement définitif de mettre tout de suite l’informatique au programme soit peu probable.

Mais ce qui pourrait être plus important, ce serait de changer l’image de cette matière. Et alors que « coder est le nouveau latin » est peut-être un bon message à envoyer aux parents et aux politiciens, quelque chose de plus sexy sera nécessaire pour convaincre les écoliers que l’informatique est quelque chose de cool.




Quand le patron de Google donne la leçon à l’Angleterre sur l’éducation

Rex Pe - CC byLittéraire ou scientifique ? Non, littéraire et scientifique !

La fameuse séparation culturelle française semble également de mise en Angleterre. Et selon le Directeur exécutif de Google, Eric Schmidt, elle est fortement handicapante dans le monde d’aujourd’hui.

Il est quelque part étrange de voir une multinationale faire la leçon à un État. Mais telle est l’époque dans laquelle nous vivons, et le pire c’est que Schmidt a raison. La critique fait mal pour un pays qui a été si innovant par le passé.

Il juge en outre tout à fait incohérent de ne pas enseigner l’informatique à l’école[1] pour comprendre comment les logiciels sont conçus plutôt que de se contenter de savoir les utiliser.

La situation est peu ou prou identique en France. Et nous risquons fort d’accompagner, voire devancer, la Perfide Albion dans sa chute si nous n’y faisons rien[2].

Eric Schmidt, président de Google, critique vertement le système éducatif britannique

Eric Schmidt, chairman of Google, condemns British education system

James Robinson – 26 août 2011 – The Guardian
(Traduction Framalang : DéKa)

Schmidt critique la division entre les sciences et les arts et lettres et affirme que le Royaume-Uni « devrait revenir sur les heures de gloire de l’ère victorienne ».

Le président de Google a très violemment critiqué le système éducatif britannique soutenant que le pays a échoué à exploiter sa position dominante en matière d’innovation technique et scientifique.

Au cours de la conférence annuelle Mac Taggard à Edimbourg, Eric Schmidt a évoqué « une dérive vers les sciences humaines » et a critiqué l’émergence de deux champs antagonistes « se dénigrant l’un l’autre, autrement dit, pour reprendre une expression locale, vous êtes soit un lettré, soit un matheux ».

Schmidt s’en est également pris à Lord Sugar, haut responsable du Parti travailliste et star du programme de la BBC The Apprentice, qui a récemment déclaré au cours de l’émission que les « ingénieurs n’étaient pas de bons commerciaux ». Schmidt a confié au MediaGuardian Edinburgh international TV festival : « Au cours du siècle dernier, la Grande Bretagne a brusquement cessé de former et d’encourager ses polymathes. Il faut à nouveau réunir les sciences et les arts ».

Ce vétéran de la technologie, qui a rejoint Google il y a dix ans pour aider les fondateurs Larry Page et Sergey Brin à développer la société, soutient que l’Angleterre devrait se pencher sur ses « heures de gloire » de la période victorienne pour se rappeler que les deux disciplines peuvent travailler ensemble.

« Il fut un temps où c’était les mêmes personnes qui écrivaient des poèmes et fabriquaient des ponts », dit-il, « Lewis Carroll n’a pas uniquement écrit l’un des contes les plus célèbres au monde. Il était également professeur de mathématiques à Oxford. Et Einstein disait de James Clerk Maxwell qu’il n’était parmi seulement l’un des meilleurs physiciens depuis Newton mais aussi un poète confirmé. »

Les commentaires de Schmidt font écho à ceux de Steve Jobs, qui a révélé cette semaine qu’il cessait son activité au sein d’Apple. Ce dernier a un jour confié au New York Times que « si le Macintosh a eu un tel succès c’est parce que les gens qui ont participé à sa conception étaient des musiciens, des artistes, des poètes et des historiens, qui se trouvaient être également d’excellents informaticiens ». Schmidt a rendu hommage à la si réputée innovation britannique, rappelant que le Royaume-Uni avait « inventé les ordinateurs aussi bien en théorie qu’en pratique », avant de souligner que le premier ordinateur de bureau « a été construit en 1951 par J. Lyons, originellement une chaîne de magasin de thé ».

« Cependant », dit il, « le Royaume-Uni n’a pas réussi à concrétiser ses idées pour créer de durables industries dominantes sur le marché ».

« Le Royaume-Uni est le berceau de temps d’inventions liées au médias. Vous avez inventé la photographie. Vous avez inventé la télévision », dit-il, « Pourtant aujourd’hui aucun des grands leaders de ces deux domaines ne provient du Royaume-Uni ». Et d’ajouter : « Merci pour vous innovations et vos brillantes idées. Vous n’en tirez cependant aucun bénéfice à l’échelle mondiale ».

Selon lui, les start-ups britanniques d’une certaine dimension ont toujours fini par se vendre à des sociétés étrangères, alors que c’est le contraire qui devrait se produire. « Le Royaume-Uni apporte un réel soutien à ses petites et moyennes entreprise, mais il n’y a pas grand intérêt faire germer des milliers de graines si c’est pour les laisser dépérir ou les transplanter à l’étranger. Les entreprises britanniques ont besoin d’être défendues pour pouvoir se faire une place sur le marché international, sans avoir à se vendre à des sociétés étrangères. Si vous ne relevez pas ce défi, le Royaume-Uni sera toujours le berceau de l’invention, mais pas du succès à long terme. »

Schmidt a expliqué qu’à force de ne pas enseigner la programmation à l’école, le pays inventeur de l’ordinateur était en train de « se débarrasser d’un important héritage informatique ». « J’étais sidéré », dit-il, « d’apprendre qu’il n’existe même pas d’enseignement de base de l’informatique dans les écoles britanniques aujourd’hui. Votre programme de technologie se concentre sur la manière d’utiliser un logiciel, mais n’explique pas comment il a été conçu. »

Barack Obama a annoncé en juin que les Etats-Unis formeraient 10 000 ingénieurs en plus par an. « J’espère que d’autres vont suivre. Le monde a besoin de plus d’ingénieurs », a continué Schmidt. « Pour que les entreprises innovantes britanniques puissent s’épanouir dans l’avenir digital, vous allez avoir besoin de gens capables de comprendre toutes ses facettes. Prenez exemple sur les Victoriens et ignorez les préjugés d’un Lord Sugar : Intégrez des ingénieurs dans vos sociétés à tous les niveaux, même les plus élevés. »

Notes

[1] Crédit photo : Rex Pe (Creative Commons By)

[2] On pourra également lire l’article de Slate.fr La programmation pour les enfants: et pourquoi pas le code en LV3 ?




Les cordons de la bourse de Londres se relâchent pour GNU/Linux

Jam_90s - CC-ByComme nous l’apprenait Lea-Linux le mois dernier :

GNU/Linux progresse sur les environnements dits critiques. On savait qu’il était utilisé sur les serveurs sensibles des militaires, des grands organismes de recherche, de la NASA et de nombreux industriels, ajoutons désormais le monde de la finance à cette liste. En effet, Computer World UK nous apprend que la Bourse de Londres mettra en production le 15 novembre prochain sa nouvelle plate-forme à base de GNU/Linux et Solaris, pour remplacer la plate-forme boguée « TradElect » basée sur Microsoft Windows, et la technologie .Net manifestement trop lente.

GNU/Linux a notamment été choisi par les britanniques pour ses performances (des temps de transmission de 0,125 milliseconde ont été enregistrés lors des tests). Le fait que le Chicago Mercantile Exchange, la Bourse de Tokyo et le NYSE Euronext soient déjà passés à GNU/Linux (Red Hat) n’y est sans doute pas pour rien non plus.

[1]

La Bourse de Londres a réalisé un premier test de sa plateforme « Millennium Exchange » basée sur Linux

London Stock Exchange completes first live Linux test

Leo King – 13 octobre 2010 – Computerworld UK
Traduction Framalang : Pablo, Barbidule, Siltaar, Kootox, Goofy, Petrus6, Martin, Don Rico, Daria

La Bourse de Londres a fait le premier test grandeur nature, avec des clients en ligne, d’un nouveau système fondé sur Linux et destiné à remplacer l’architecture actuelle basée sur des produits Microsoft et qui permettra d’échanger à la vitesse de 0.125 millisecondes.

Le système « Millennium Exchange » fonctionnant sur Linux et sur Unix (Sun Solaris) et utilisant les bases de données d’Oracle, remplacera le 1er novembre la plateforme TradElect, reposant sur Microsoft .Net, pour la plus grande bourse au monde. Il promet d’être le système d’échanges le plus rapide du monde, avec un temps de transaction de 0.125 milliseconde. La Bourse a terminé la migration de son système de gestion des transactions stagnantes/dormantes, ou anonymes, Turquoise, depuis différents systèmes, plus tôt ce mois-ci.

La BDL (Bourse De Londres) a refusé de dévoiler le verdict du test en avant-première du « Millenium Exchange », qui s’est déroulé samedi après plusieurs mois de tests hors ligne intensifs. Cependant, des sources proches de la Bourse ont indiqué qu’il se serait déroulé avec succès.

Une autre répétition générale aura lieu le 23 octobre, un peu plus d’une semaine avant le lancement dans le grand bain. La Bourse pousse pour lancer le service le 1er novembre, mais si les clients, les traders, ne sont pas prêts ou si des problèmes techniques apparaissent, une date de lancement alternative a été prévue au 15 novembre.

En attendant, la Bourse va continuer à travailler avec le système TradElect, basé sur une architecture Microsoft .Net et mis à jour par Accenture en 2008 pour 40 millions de livres (46 millions d’Euros). En juillet, elle a réservé 25,3 millions de livres (29,2 millions d’Euros) en coûts d’amortissement sur TradElect.

TradElect, sujet de nombreuses controverses ces dernières années, avait subi une série de pannes de grande envergure, la pire étant un arrêt de huit heures en 2008. À l’époque, la BDL avait maintenu que TradElect n’était pas responsable de la panne, mais a néanmoins, tenté de remplacer la plateforme depuis, en faisant l’acquisition de la société MilleniumIT, le fournisseur de ce nouveau système.

Les vitesses réseau sont aussi une des raisons principales de ce changement. La BDL a tenté désespérément de descendre les temps de transaction sur TradElect en-dessous des 2 millisecondes, une vitesse léthargique comparée à la concurrence comme Chi-X qui annonce des temps de moins de 0,4 millisecondes.

La BDL annonce que sa nouvelle plateforme d’échange aura des temps de réponse de 0,125 millisecondes, ce qui pourrait en faire une des plateformes d’échange les plus rapides du monde. Le changement est particulièrement important étant donné la progression des transactions algorithmiques, où des ordinateurs placent automatiquement des millions d’ordres d’achat et de vente alors que les prix des actions changent.

Lors d’une interview cette semaine dans le Financial Times, le directeur général de la Bourse de Londres, Xavier Rolet a déclaré que la Bourse avait « déjà prévu » la prochaine génération d’améliorations technologiques pour maintenir la plateforme Millenium à la pointe de la technologie en terme de vitesse de transaction.

Notes

[1] Crédit photo : Jam_90s Creative Commons By




Quand les musées anglais adorent Wikipédia !

Britain Loves WikipediaD’un côté vous avez le « copyright » qui fait semble-t-il perdre la tête de certains musées lorsque l’on en vient à interdire à un enfant de dessiner une œuvre ou lorsque l’on menace d’une action en justice un contributeur bénévole de Wikipédia souhaitant enrichir l’encyclopédie avec des reproductions de peintures du domaine public.

De l’autre côté vous avez le « copyleft », qui pousse les gens à se rencontrer pour faire de belles balades dans le but d’améliorer l’iconographie photographique de leur ville dans Wikipédia.

Gardons l’état d’esprit du second pour pénétrer dans le premier et vous obtenez l’opération « Britain Loves Wikipedia » dont nous partageons l’enthousiasme de Glyn Moody sur son blog.

Et ce n’est rien moins que le prestigieux Victoria and Albert Museum qui inaugure l’évènement.

Je me prends à rêver de manifestations similaires en France où l’enseignant que je suis pourrait emmener ses élèves découvrir des musées tout en les sensibilisant à ce bien commun qu’est Wikipédia…

La Grande-Bretagne adore Wikipédia. Pas trop tôt…

Britain Loves Wikipedia – And About Time, Too

Glyn Moody – 1 février 2010 – Open…
(Traduction Framalang ; Don Rico)

L’un des rôles majeurs des musées est de participer à l’éducation en permettant au public de découvrir et d’étudier les chefs d’œuvres que recèlent leurs collections. Il pourrait donc paraître logique que ces institutions ne demanderaient qu’à voir des photographies de ces œuvres exposées dans la plus grande galerie en ligne au monde, Wikipédia. Pourtant, cette idée rencontre une certaine résistance çà et là, en raison, vous l’aurez deviné, d’une crispation maladive concernant le « copyright ».

C’est inepte à deux titres : d’une part, il s’agit d’œuvres anciennes, aussi l’idée que leur image devrait être protégée par le copyright est aberrante; d’autre part elle est contradictoire, car ce serait empêcher les visiteurs potentiels de savoir ce que proposent les musées, ce qui va à l’encontre de leurs intérêts.

Face à cette situation regrettable, je ne peux évidemment qu’applaudir cette initiative :

« Britain Loves Wikipedia » (La Grande-Bretagne adore Wikipédia) est une compétition et une série d’évènements qui se tiendra pendant un mois dans les musées partenaires à partir du 31 janvier 2010. La compétition, ouverte aux participants de tous âges, tous milieux et toutes origines, encourage le public à photographier les trésors de nos musées d’art et les incite à prendre une part active dans l’archivage numérique des collections nationales. Toutes les photographies qui entreront en lice pour la compétition « Britain Loves Wikipedia » seront mises à disposition sous licence libre sur le site Wikimedia Commons et pourront alors servir à illustrer les articles de Wikipédia.

Quel dommage que cette initiative ne soit pas systématique partout dans le monde.




National Portrait Gallery vs Wikipédia ou la prise en étau et en otage de la Culture ?

Cliff1066 - CC byTous ceux qui ont eu un jour à jouer les touristes à Londres ont pu remarquer l’extrême qualité et la totale… gratuité des grands musées nationaux. Rien de tel pour présenter son patrimoine et diffuser la culture au plus grand nombre. Notons qu’à chaque fois vous êtes accueilli à l’entrée par de grandes urnes qui vous invitent à faire un don, signifiant par là-même qu’ils ne sont plus gratuits si jamais vous décidez d’y mettre votre contribution.

Parmi ces musées on trouve le National Portrait Gallery qui « abrite les portraits d’importants personnages historiques britanniques, sélectionnés non en fonction de leurs auteurs mais de la notoriété de la personne représentée. La collection comprend des peintures, mais aussi des photographies, des caricatures, des dessins et des sculptures. » (source Wikipédia).

Or la prestigieuse galerie vient tout récemment de s’illustrer en tentant de s’opposer à la mise en ligne sur Wikipédia de plus de trois mille reproductions photographiques d’œuvres de son catalogue tombées dans le domaine public. Le National Portrait Gallery (ou NPG) estime en effet que ces clichés haute-résolution lui appartiennent et ont été téléchargés sans autorisation sur Wikimedia Commons, la médiathèque des projets Wikimédia dont fait partie la fameuse encyclopédie. Et la vénérable institution va même jusqu’à menacer d’une action en justice !

Il est donc question, une fois de plus, de propriété intellectuelle mais aussi et surtout en filigrane de gros sous. Personne ne conteste que le National Portrait Gallery ait engagé des dépenses pour numériser son fond et qu’elle ait besoin d’argent pour fonctionner. Mais n’est-il pas pour le moins choquant de voir un telle institution culturelle, largement financée par l’État, refuser ainsi un accès public à son contenu, sachant qu’elle et Wikipédia ne sont pas loin de poursuivre au final les même nobles objectifs ?

C’est ce que nous rappelle l’un des administrateurs de Wikipédia dans un billet, traduit ci-dessous par nos soins, issu du blog de la Wikimedia Foundation. Billet qui se termine ainsi : « Quoi qu’il en soit, il est difficile de prouver que l’exclusion de contenus tombés dans le domaine public d’une encyclopédie libre à but non lucratif, serve l’intérêt général. »

Remarque : L’illustration[1] choisie pour cet article représente le moment, en janvier dernier, où le célèbre portrait d’Obama réalisé par l’artiste Shepard Fairey entre au National Portrait Gallery, non pas de Londres mais de Washington. Ce portrait a lui aussi fait l’objet d’une forte polémique puisqu’il s’est directement inspiré d’une image d’un photographe travaillant pour l’Association Press qui a elle aussi tenté de faire valoir ses droits (pour en savoir plus… Wikipédia bien sûr). Décidément on ne s’en sort pas ! Heureusement que le portrait s’appelle « Hope »…

Protection du domaine public et partage de notre héritage culturel

Protecting the public domain and sharing our cultural heritage

Erik Moeller – 16 juillet 2009 – Wikimedia Blog
(Traduction Framalang : Claude le Paih)

La semaine dernière, le National Portrait Gallery de Londres, Royaume Uni, a envoyé une lettre menaçante à un bénévole de Wikimédia concernant la mise en ligne de peintures du domaine public vers le dépôt de Wikimédia : Wikimédia Commons.

Le fait qu’une institution financée publiquement envoie une lettre de menace à un bénévole travaillant à l’amélioration d’une encyclopédie sans but lucratif, peut vous paraitre étrange. Après tout, la National Portrait Gallery fut fondée en 1856, avec l’intention déclarée d’utiliser des portraits « afin de promouvoir l’appréciation et la compréhension des hommes et femmes ayant fait, ou faisant, l’histoire et la culture britannique » (source) Il parait évident qu’un organisme public et une communauté de volontaires promouvant l’accès libre à l’éducation et la culture devraient être alliés plutôt qu’adversaires.

Cela parait particulièrement étrange dans le contexte des nombreux partenariats réussis entre la communauté Wikimédia et d’autres galeries, bibliothèques, archives et musées. Par exemple, deux archives allemandes, la Bundesarchiv et la Deutsche Fotothek, ont offert ensemble 350 000 images protégées par copyright sous une licence libre à Wikimédia Commons, le dépôt multimédia de la Fondation Wikimédia.

Ces donations photographiques furent le résultat heureux de négociations intelligentes entre Mathias Schindler, un bénévole de Wikimédia, et les représentants des archives. (Information sur la donation de la Bundearchiv ; Information sur la donation de la Fotothek).

Tout le monde est alors gagnant. Wikimédia aida les archives en travaillant à identifier les erreurs dans les descriptions des images offertes et en associant les sujets des photographies aux standards des métadatas. Wikipédia a contribué à faire mieux connaître ces archives. De même, les quelques trois cent millions de visiteurs mensuels de Wikipédia se sont vus offrir un accès libre à d’extraordinaires photographies de valeur historique, qu’ils n’auraient jamais pu voir autrement.

Autres exemples :

  • Au cours des derniers mois, des bénévoles de Wikimédia ont travaillé avec des institutions culturelles des États-Unis, du Royaume-Uni et des Pays-Bas afin de prendre des milliers de photographies de peintures et d’objets pour Wikimédia Commons. Ce projet est appelé « Wikipédia aime les arts ». Une nouvelle fois, tout le monde y gagne : les musées et galeries s’assurent une meilleure exposition de leur catalogue, Wikipédia améliore son service, et les gens du monde entier peuvent voir des trésors culturels auxquels ils n’auraient pas eu accès sinon. (voir la page anglaise de Wikipédia du projet et le portail néerlandais du projet).
  • Des bénévoles de Wikimédia travaillent individuellement, avec des musées et des archives, à la restauration numérique de vieilles images en enlevant des marques telles que taches ou rayures. Ce travail est minutieux et difficile mais le résultat est formidable : l’œuvre retrouve son éclat originel et une valeur informative pleinement restaurée. Le public peut de nouveau l’apprécier (le travail de restauration est coordonné grâce à la page « Potential restorations » et plusieurs exemples de restaurations peuvent être trouvés parmi les images de qualité de Wikimédia).

Trois bénévoles de Wikimédia ont résumé ces possibilités dans une lettre ouverte : Travailler avec, et non pas contre, les institutions culturelles. Les 6 et 7 Août, Wikimédia Australie organise une manifestation afin d’explorer les différents modèles de partenariats avec les galeries, bibliothèques, archives et musées (GLAM : Galleries, Libraries, Archives and Museums).

Pourquoi des bénévoles donnent-ils de leur temps à la photographie d’art, à la négociation de partenariat avec des institutions culturelles, à ce travail minutieux de restauration ? Parce que les volontaires de Wikipédia veulent rendre l’information (y compris des images d’importance informative et historique) librement disponible au monde entier. Les institutions culturelles ne devraient pas condamner les bénévoles de Wikimédia : elles devraient joindre leurs forces et participer à cette une mission.

Nous pensons qu’il existe pour Wikipédia de nombreuses et merveilleuses possibilités de collaborations avec les institutions culturelles afin d’éduquer, informer, éclairer et partager notre héritage culturel. Si vous souhaitez vous impliquer dans la discussion, nous vous invitons à rejoindre la liste de diffusion de Wikimédia Commons : la liste est lue par de nombreux bénévoles de Wikimédia, quelques volontaires liés aux comités de Wikimédias ainsi que des membres de la Fondation. Sinon, s’il existe un comité dans votre pays, vous pourriez vous mettre en contact directement avec eux. Vous pouvez également contacter directement la Wikimedia Foundation. N’hésitez pas à m’envoyer vos premières réflexions à erik(at)wikimedia(dot)org, je vous connecterai d’une manière appropriée.

La NPG (National Portrait Galery) est furieuse qu’un volontaire de Wikimédia ait mis en ligne sur Wikimédia Commons des photographies de peintures du domaine public lui appartenant. Au départ, la NPG a envoyé des lettres menaçantes à la Wikimedia Foundation, nous demandant de « détruire toutes les images » (contrairement aux déclarations publiques, ces lettres n’évoquaient pas un possible compromis. La NPG confond peut être sa correspondance et un échange de lettre en 2006 avec un bénévole de Wikimédia, (que l’utilisateur publie ici). La position de la NPG semble être que l’utilisateur a violé les lois sur le droit d’auteur en publiant ces images.

La NPG et Wikimédia s’accordent toutes deux sur le fait que les peintures représentées sur ces images sont dans le domaine public : beaucoup de ces portraits sont vieux de plusieurs centaines d’années, tous hors du droit d’auteur. Quoiqu’il en soit, la NPG prétend détenir un droit sur la reproduction de ces images (tout en contrôlant l’accès aux objets physiques). Autrement dit, la NPG pense que la reproduction fidèle d’une peinture appartenant au domaine public, sans ajout particulier, lui donne un nouveau droit complet sur la copie numérique, créant l’opportunité d’une valorisation monétaire de cette copie numérique pour plusieurs décennies. Pour ainsi dire, La NPG s’assure dans les faits le contrôle total de ces peintures du domaine public.

La Wikimedia Foundation n’a aucune raison de croire que l’utilisateur en question ait transgressé une loi applicable, et nous étudions les manières de l’aider au cas ou la NPG persisterait dans ses injonctions. Nous sommes ouvert à un compromis au sujet de ces images précises, mais il est peu probable que notre position sur le statut légal de ces images change. Notre position est partagée par des experts juridiques et par de nombreux membres de la communauté des galeries, bibliothèques, archives et musées. En 2003, Peter Hirtle, cinquante-huitième président de la Society of American Archivists (NdT : Société des Archivistes Américains), écrivit :

« La conclusion que nous devons en tirer est inéluctable. Les tentatives de monopolisation de notre patrimoine et d’exploitation commerciale de nos biens physiques appartenant au domaine public ne devraient pas réussir. De tels essais se moquent de l’équilibre des droits d’auteur entre les intérêts du créateur et du public. » (source)

Dans la communauté GLAM internationale, certains ont choisi l’approche opposée, et sont même allés plus loin en proposant que les institutions GLAM utilisent le marquage numérique et autres technologies de DRM (Digital Restrictions Management) afin de protéger leurs supposés droits sur des objets du domaine public et ainsi renforcer ces droits d’une manière agressive.

La Wikimedia Foundation comprend les contraintes budgétaires des institutions culturelles ayant pour but de préserver et maintenir leurs services au public. Mais si ces contraintes aboutissent à cadenasser et limiter sévèrement l’accès à leur contenu au lieu d’en favoriser la mise à disposition au plus grand nombre, cela nous amène à contester la mission de ces institutions éducatives. Quoi qu’il en soit, il est difficile de prouver que l’exclusion de contenus tombés dans le domaine public d’une encyclopédie libre à but non lucratif, serve l’intérêt général.

Erik Moeller
Deputy Director, Wikimedia Foundation

Notes

[1] Crédit photo : Cliff1066 (Creative Commons By)