Framasoft doit-il cesser d’être « Sage » pour ne plus être accusé de contrefaçon ?
Voici une histoire assez surréaliste mais malheureusement bien révélatrice du climat ambiant.
L’annuaire de logiciels libres Framasoft contient une notice d’une sympathique extension Firefox répondant au doux nom de « Sage » et qui permet de lire facilement les flux RSS depuis le célèbre navigateur.
Or il se trouve que c’est également le nom adopté, que dis-je adopté dé-po-sé, par un éditeur français de solutions logicielles (propriétaires) de gestion d’entreprise[1].
Accusé Framasoft levez-vous !
Du coup en tant que président de l’association qui anime Framasoft, j’ai eu droit à cette lettre recommandée avec accusé de réception que je vous reproduis intégralement ci-dessous en ayant simplement anonymisé son expéditeur.
FRAMASOFT
A l’attention du PrésidentParis, le 7 novembre 2006
Envoi par lettre recommandée avec accusé de réception.
OBJET : Interdiction d’utilisation des marques « Sage»
Monsieur,
Nous avons pu constater que votre association utilise la marque Sage pour désigner l’un des logiciels que vous avez développé et décrit sur votre site www.framasoft.net
Or cette marque est une marque déposée par notre société le 14 octobre 1988 sous le numéro 1360796 et concerne notamment la désignation des progiciels dont nous sommes éditeurs. Comme vous ne pouvez l’ignorer, toute utilisation de nos marques pas un tiers non autorisée constitue une contrefaçon entraînant la responsabilité pénale de son auteur, y compris des personnes morales.
Aussi, par la présente, nous vous mettons en demeure de cesser immédiatement toute utilisation de la marque « Sage ».
Nous vous remercions de nous confirmer par retour de courrier que vous cessez l’utilisation illicite de notre marque sans délai.
Dans cette attente, nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de notre considération distinguée.
C… P…
Juriste
Et voici donc Framasoft accusé carrément de contrefaçon et mis en demeure de cesser immédiatement toute utilisation de la marque « Sage » !
La parole est à la défense…
Heureusement, depuis le temps, on s’est fait quelques amis parmi les juristes 😉
Grand merci donc à leto_2 pour son aide apportée à la réponse ci-dessous envoyée le 18 décembre 2006.
Madame,
Je fais suite à votre lettre en date du 7 novembre 2006 et qui appelle de la part de notre association les réponses/précisions/rectifications suivantes.
Votre demande nous semble irrecevable sur la forme, comme mal dirigée, mais également mal fondée.1- Mal dirigée
En effet, vous affirmez que nous utilisons la marque Sage pour désigner un logiciel que nous aurions développé.
En réalité, notre association ne développe aucun logiciel répondant à ce nom.
La page à laquelle vous semblez faire allusion (http://www.framasoft.net/article2916.html) n’est qu’une description d’un logiciel développé par un tiers, dont le lien est clairement indiqué ("SITE OFFICIEL").Par conséquent, votre requête qui nous est adressée en tant qu’éditeur du logiciel litigieux est mal dirigée.
Si la contrefaçon que vous alléguez devait être confirmée par une décision définitive de justice, nous en tirerons toutes les conséquences.
Dans cette attente, notre association ne peut ni se substituer à une autorité judiciaire ni préjuger de sa décision.
2- Mal fondée
Sur le fond, il n’est d’ailleurs pas acquis que cette infraction soit retenue.
En effet, vous faites référence à une marque déposée par votre société le 14 octobre 1988 sous le numéro 1360796.
Ce numéro de dépôt correspond dans le registre de l’Institut National de la Propriété Industrielle à la marque GRANEROS, déposée par la Société anonyme RALSTON PURINA FRANCE, productrice de produits agricoles.
En réalité, le dépôt auquel vous faites référence est celui réalisé auprès du Patent Office du Royaume-Uni par la société The Sage Group plc.
Or comme vous devez le savoir, ce dépôt est inopposable en France, en vertu du principe de territorialité du droit des marques.
Cette société a procédé le 1er avril 1996 à un dépôt en tant que marque communautaire, qui lui est opposable en France, sous le numéro 2387.
Mais le droit des marques est également soumis au principe de spécialité, en vertu des articles L713-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ainsi l’enregistrement de la marque ne confère à son titulaire un droit de propriété que pour les produits et services qui auront été désignés au dépôt.
Or, le dépôt communautaire désigne en classe 9 les "Logiciels de finance et logiciels de comptabilité. Logiciels pour la gestion de la trésorerie comptable financière. Logiciels d’interface bancaire et logiciels pour la gestion de communications".En ce qui concerne le logiciel qui motive votre lettre, sa destination est toute autre. Il s’agit d’une extension au navigateur internet Mozilla Firefox qui permet de lire les fils de nouvelle RSS (Really Simple Syndication).
L’usage du mot Sage ne semble donc pas ici employé pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement. Dès lors, il ne constituerait pas une contrefaçon.Pour ces motifs, nous ne pouvons donner suite à votre demande.
Nous vous prions d’agréer, Madame, l’expression de notre considération distinguée.
Alexis Kauffmann
Président de l’association Framasoft
La suite au prochain épisode…