OOXML – Le discours d’Oslo
Le Framablog arrive un peu après la bataille pour ce qui concerne la triste nouvelle de la normalisation du format OOXML de Microsoft par l’ISO le 29 mars dernier.
Mais si nous avons perdu une bataille nous n’avons pas forcément perdu la guerre. Une guerre qui n’est pas dirigée contre Microsoft mais contre ses pratiques et pour la défense d’une certaine liberté.
C’est le sens et l’espoir porté par le discours[1] donné à Oslo juste après la normalisation par Steve Pepper accompagné de quelques manifestants légitimement scandalisés par les conditions générales du vote dont la Norvège ne fut pas la dernière à être soupçonnée d’irrégularité.[2]
Manifestation OOXML à Oslo : Le discours
OOXML demonstration in Oslo: The speech
Steve Pepper – 9 avril 2008 – Geir Isene
La manifestation a pris fin il y a à peu près une heure, nous en reparlerons (avec des photos). Je vous retranscris ici le discours que Steve Pepper a tenu durant la manifestation, il résume très bien toute l’histoire de la normalisation d’OOXML :
Amis, bloggers, codeurs libres, défenseurs des standards ouverts !
Nous ne sommes pas ici pour cracher sur Microsoft.
Nous sommes ici car nous croyons aux standards ouverts.
Nous ne sommes pas ici aujourd’hui parce que nous sommes opposés à OOXML.
Nous sommes là car nous sommes opposés à OOXML en tant que standard ISO.
Nous ne sommes pas là pour discréditer l’ISO.
Nous sommes ici parce que nous voulons défendre l’intégrité de l’ISO.
Nous ne sommes pas là pour attirer l’attention sur le comportement scandaleux des membres de Standard Norway dont le métier est de représenter les utilisateurs et les vendeurs de logiciels norvégiens.
Et nous sommes ici car nous voulons empêcher l’adoption d’un standard numérique nuisible en Norvège.
Je reviendrai à cela rapidement. Je voudrais d’abord prendre quelques minutes pour rappeler un peu le contexte aux personnes qui ne comprennent pas les tenants et les aboutissants du problème. Accrochez vous.
Ce problème ce rapporte entièrement aux documents, aux documents numériques pour être précis.
Je vous parle de la manière d’enregistrer les documents et de comment nous échangeons les documents entre nous. Je parle de ces documents que vous créez tous les jours : rapports, lettres, articles, dissertations, livres, thèses, feuilles de calculs et autres grâce à des programmes comme Microsoft Word et Excel.
Mais oublions les documents un instant et parlons plutôt de sèches-cheveux.
Voici un sèche-cheveux ordinaire que j’ai acheté dans un magasin ici en Norvège. Il a une prise. La prise a deux broches. Je peux brancher ce sèche-cheveux dans n’importe quelle prise électrique n’importe où en Norvège.
Si je peux le faire c’est parce que toutes les prises électriques sont les mêmes. Il existe un standard pour les prises électriques en Norvège.
Le même standard est utilisé dans une grande partie de l’Europe et même ailleurs dans le monde : si je vais au Danemark, je peux emmener ce sèche-cheveux, le brancher et il fonctionnera.
Ca serait pareil en Finlande, Suède, Allemagne et dans plein d’autres pays. J’ai juste à le brancher et il marche.
Mais si je vais en Angleterre je ne peux pas simplement le brancher parce que les prises électriques là-bas sont différentes. Elles ont trois broches carrées à la place de deux rondes.
Si je vais aux Etats-Unis ou au Japon je ne peux pas simplement le brancher parce que leurs prises électriques sont également différentes. Elles ont deux broches plates à la place de deux broches rondes.
Les documents sont comme les sèches-cheveux. On voudrait pouvoir les brancher dans n’importe quelle logiciel et pouvoir travailler dessus. Mais ce n’est pas possible aujourd’hui. Si vous créez un document avec Microsoft Word et que vous l’envoyez à quelqu’un d’autre, cette personne ne peut rien en faire à moins qu’elle ait Microsoft Word.
Je crois que ça n’est pas normal.
Les gens ne devraient pas avoir à donner de l’argent à Microsoft pour pouvoir lire des documents. Dans l’état actuel des choses, Microsoft a en réalité le contrôle sur les documents que vous et moi créons.
Il ne devrait pas en être ainsi.
Des standards ouverts peuvent résoudre ce problème et c’est pourquoi je crois en ces formats. C’est pourquoi j’ai passé ces 13 dernières années à représenter la Norvège en tant que volontaire dans un comité de standardisation international. J’ai travaillé sur plusieurs standards, dont SGML, XML et Topic Maps, et j’ai été Président du comité ISO norvégien depuis 1995.
Il y a deux ans, mon comité a approuvé la normalisation d’un standard ouvert pour les documents de bureau appelé ODF. ODF a été développé de manière ouverte et démocratique par une organisation appelée OASIS.
L’objet d’ODF était de proposer une alternative à ce que nous appelons les formats "propriétaires". Plutôt que des formats de documents qui sont détenus et contrôlés par une seule entreprise et qui vous obligent à utiliser un logiciel particulier, les gens à l’origine d’ODF voulaient définir un format ouvert qui permettrait de connecter vos documents à n’importe quel logiciel.
ODF a été développé, comme je l’ai dit, de manière ouverte et démocratique. Mais un membre important ne faisait pas partie du processus. Le vendeur qui domine le marché, Microsoft, a refusé d’y participer et il a refusé de supporter ODF depuis qu’il est devenu un standard.
Ils ont à la place décidé de créer un standard concurrent appelé OOXML et d’utiliser l’Ecma pour s’introduire à la dérobé dans l’ISO.
C’est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui.
Nous ne sommes pas contre OOXML en lui-même. En fait nous sommes reconnaissant envers Microsoft pour, après vingt années de domination du marché, avoir documenté son format avec des spécifications ouvertes.
Nous sommes cependant contre l’approbation par l’ISO de OOXML. La raison est simple : il n’est pas dans l’intérêt des utilisateurs comme vous et moi d’avoir deux standards pour le même objet. Ca serait un peu comme si Microsoft venait ici et commençait à installer des prises électriques à 3 broches plutôt que 2 et qu’ils nous forcent ensuite à acheter leurs sèches-cheveux.
Nous ne sommes pas contre l’ISO non plus. Non protestons contre la manière dont a été corrompu par une grande multinationale ce qui jusque là avait toujours été une organisation transparente et démocratique où chaque pays a un vote.
Je ne hais pas Microsoft. J’aimerai accueillir Microsoft dans la communauté des standards, mais uniquement si Microsoft respecte les règles et en particulier l’esprit du processus de standardisation.
Microsoft a une mauvaise réputation dans la communauté des standards. Ils représentent le grand méchant loup, tout comme IBM il y a 20 ans. Mais IBM a prouvé qu’il est possible de changer.
J’espère que Microsoft aussi changera. Je pense que c’est possible. Mais cela ne se produira que si nous, les utilisateurs, les forçons à changer.
Microsoft a besoin de notre aide. Nous devons leur dire d’arrêter de se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Nous devons les aider à comprendre que le travaille sur les standards se fait dans la coopération, pas par le conflit. Les standards ne devraient pas être créés par la guerre. Ils devraient être créés grâce à la collaboration.
Microsoft a beaucoup à apprendre et cela prendra du temps. Ca prendra aussi du temps pour que Microsoft gagne la confiance de tous ceux dont ils ont saboté le travail durant ces vingt dernières années.
Microsoft affirme qu’ils croient maintenant aux standards ouverts. Il faut qu’ils comprennent qu’il faudra du temps avant que tout le monde ne leur fasse vraiment confiance. Ils doivent commencer par se montrer moins arrogants et plus humbles et ils doivent prouver par la pratique qu’ils pensent vraiment ce qu’ils disent.
Ils peuvent faire le premier pas en admettant s’être trompé en ne supportant pas ODF.
J’en appelle à Microsoft, qu’ils admettent que tenter de forcer OOXML par la procédure rapide de l’ISO était une erreur et j’attends d’eux qu’ils supportent ODF.
J’attends d’Ecma qu’ils retirent OOXML de l’ISO et qu’ils en gardent le contrôle. Nous en avons besoin pour les documents anciens.
J’attends de Standard Norway qu’ils admettent qu’ils ont eu tort d’outrepasser la décision de leur propre comité d’experts et qu’ils modifient le vote de la Norvège du Oui en Non.
J’attends du gouvernement norvégien qu’il se montre fort face à Microsoft et qu’il n’approuve pas OOXML comme un standard norvégien.
Finalement, j’attends des utilisateurs de part le monde qu’ils tournent leur regard vers la Norvège et qu’ils suivent notre exemple. A votre tour de manifester ! Révélez les irrégularités qui se sont produites dans votre pays ! Exigez de vos gouvernements qu’ils modifient leur vote pour qu’il reflète les intérêts des gens ordinaires et non les intérêts des monopolistes et des bureaucrates.
Kjære nordmenn, vi er ikke alene. Chers norvégiens, nous ne sommes pas seuls.
Les pays représentants la majorité de la population du monde ont voté Non à OOXML et ils ont eu raison.
Permettez moi de citer juste un exemple. Il est tiré d’un discours donné par la Ministre Sud-africaine du Service Public et de l’Administration, Mme Geraldine J. Fraser-Moleketi. Elle l’a donné à la Conference on the Digital Commons and Open Source Software à Dakar au Sénégal il y a tout juste trois semaines. Voilà ce qu’elle disait :
« L’adoption de standards ouverts par les gouvernements est un facteur clé dans la construction de systèmes d’information interopérables qui sont ouverts, accessibles, justes et qui renforcent la culture démocratique et les pratiques de bonne gouvernance.
ODF est un standard ouvert développé par un comité technique au sein du consortium OASIS. L’Afrique du Sud a rejoint les rangs grandissants des gouvernements nationaux à avoir adopté ODF l’année passée.
Il est malheureux que le numéro un sur le marché des logiciels de bureautique, qui jouit d’une domination considérable du marché, ait choisi, plutôt que de participer et de supporter ODF dans ses produits, de développer son propre standard de document concurrent.
Si ce format rencontre le succès, il est difficile d’imaginer comment le chevauchement de ces deux standards ISO va profiter aux consommateurs. Je me tourne vers les vendeurs pour leur demander d’être attentifs aux demandes des consommateurs mais aussi à celles des développeurs de logiciels libres. Je vous en prie, travaillez ensemble pour produire des standards de documents interopérables. La prolifération de standards dans ce domaine est déroutante et coûteuse. »
Madame Fraser-Moleketi : Le peuple de Norvège est avec vous et nous vous demandons pardon pour le comportement inacceptable de notre organisme de normalisation.
Notre victoire à l’ISO nous a été volée de 3 petits votes.
Sans les irrégularités en Norvège, on n’en serait plus qu’à 2 votes. On entend parler d’irrégularités similaires dans d’autres pays comme la France ou le Danemark. Changeons ces votes non-représentatifs. Evinçons OOXML de l’ISO.
Microsoft pense avoir remporté une bataille, mais je déclare que ce n’est pas encore terminé.
Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué et cet ours est encore bien vivant.
Notes
[1] Une traduction Olivier (Framalang).
[2] Les photographies de la manifestation sont toutes issues du groupe OOXML du site Flickr.com.