Musique, industrie et industrie musicale

Notsogoodphotography - CC byNous le savions déjà : « musique » et « industrie musicale » sont deux entités distinctes. La révolution numérique n’a fait que nous le rappeler mais en apportant un petit quelque chose en plus : la possibilité pour le premier de ne pas être obligé d’en passer forcément par le second pour exister. Surtout si cette industrie musicale renonce à s’adapter et préfère mettre son énergie à chercher des mesures coercitives pour ramener ses clients dans le droit chemin de la rassurante situation d’avant (qui n’est déjà plus).

Et si nous commencions par prendre conscience des évolutions avant que d’envisager une éventuellement réconciliation ?

La traduction de ce court extrait du blog de Seth Godin y participe modestement.[1].

Musique vs L’Industrie Musicale

Music vs. the music industry

Seth Godin – 13 février 2009 – Blog
(Traduction Framalang : Claude le Paih)

Quelques extraits d’une interview sur le futur de l’industrie musicale. J’abordais une industrie spécifique, mais je pense que cela peut être généralisé.

L’industrie musicale privilégie surtout l’aspect « industrie » et moins l’aspect « musique ». C’est le meilleur moment de l’histoire de la musique si votre rêve est de distribuer autant de musique que possible à un maximum de personnes, ou si votre objectif en tant que musicien est d’être écouté par une large audience. Il n’y a jamais eu une telle époque auparavant. Donc si votre intérêt est la musique, c’est génial.
Mais si votre intérêt penche vers le côté industriel et ses limousines, ses acomptes, ses juristes, son polycarbonate et ses vynils, c’est tout simplement horrible. Le changement actuel étant que les personnes persistant à vouloir garder le monde tel qu’il était avant, seront de plus en plus contrariées par la nouvelle donne, ce qui peut aller jusqu’à la perte de leur emploi. Ceux qui veulent inventer un nouveau cadre, de nouvelles de règles du jeu, un nouveau paradigme, n’en reviennent pas de leur bonne fortune et réalisent combien ils sont chanceux que le monde de l’industrie ne remarque pas une telle opportunité…

Je définis une tribu comme un groupe de personnes partageant une culture, un but, une mission commune, et aussi souvent un leader commun. Il y a des tribus de gens, sortant parfois des sentiers battus, qui se sentent en phase parce qu’ils veulent repenser l’industrie musicale. Il y a ainsi la tribu de ceux qui suivent Bruce Springsteen et paient des sommes déraisonnables pour l’écouter en concert et comparer les titres.
Cela n’a plus rien à voir avec les anciennes habitudes des labels musicaux occupés à conquérir de l’espace commercial à la radio et dans les magasins de disques. L’industrie musicale a désormais besoin de se redéfinir et d’œuvrer à la recherche, l’interconnexion et la direction de tribus d’individus désirant suivre un musicien et se connecter avec ceux qui souhaitent en faire de même…

Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, vous écoutiez une chanson car « tous les autres » l’écoutaient aussi. C’est la définition de la pop music. À cette époque, nous définissions « les autres » comme des personnes de notre université ou des gens écoutant la radio WPLJ[2].
Aujourd’hui, « les autres » ne sont pas définis par le lieu de résidence ou la radio écoutée. Ils sont définis par le segment vertical ou horizontal du monde auquel vous vous connectez. Je peux écouter Keller Williams[3] parce que ma tribu connaît des Deadheads désenchantés[4]. N’ayant plus de nouveau Grateful Dead à écouter, nous écoutons Keller Williams : c’est de la pop music pour nous. Il n’est pas populaire chez les jeunes du collège qui n’ont jamais entendu parler de lui, n’est-ce pas ? Ainsi vous vous retrouvez avec une multitude de niches qui sont autant de manières différentes de regarder le monde…

Le tout numérique est en train de surpasser le CD, et une fois le mouvement amorcé cela va de plus en plus vite. Le plus intéressant pour moi est de connaître celui qui contrôlera la programmation musicale (NdT : la playlist). S’il y a une quantité infinie de musique offerte (et dès que la quantité de musique excède le temps disponible d’une vie, elle est infinie !), quelqu’un sera-t-il assez influent pour me suggérer quoi écouter ? Ce quelqu’un sera-t-il payé pour me le dire ou bien paiera-t-il pour me le dire ? La question reste pour le moment ouverte mais les réponses sont dans toutes ces niches. Qui sont les personnes influentes et comment se diffusent cette influence ?
L’analogie que j’aime donner est que si vous êtes un écrivain et qu’Oprah Winfrey[5] vous appelle, vous ne dites pas : « combien allez vous me payer pour participer à votre show et présenter mon livre ? » En fait, si vous le pouviez, vous paieriez pour collaborer avec Oprah.
Pendant très longtemps, l’industrie musicale a eu deux grandes idées : d’un côté, payer pour passer sur Clear Channel[6] ou MTV, de l’autre, faire payer pour écouter sa musique en concert ou sur votre chaîne Hi-Fi. Ces temps sont tous en train de se diluer actuellement. « Si je suis le directeur des programmes de ma propre radio, que devient mon bakchich ? »[7].

Notes

[1] Crédit photo : Notsogoodphotography (Creative Commons)

[2] Radio populaire aux USA

[3] Keller Williams est un chanteur américain un peu « décalé »

[4] Les Deadheads sont des fans du groupe Grateful Dead

[5] Oprah Winfrey est l’animatrice du célèbre talk-show qui porte son nom

[6] Clear Channel est un groupe de médias américains possédant de nombreuses radios et télévisions

[7] Bakchich ou payola dans le texte