La tragédie des pommes
« An apple a day keeps the doctor away » dit l’adage anglophone. Sauf que c’est désormais la pomme[1] elle-même qui a besoin d’un docteur.
Car si on nous suggère de « manger des pommes », encore faudrait-il que la pomme demeure effectivement plurielle. Ce qui est malheureusement de moins en moins le cas aujourd’hui.
La faute à qui ?
Peut-être aux mêmes forces et logiques économiques qui mettent à mal les biens communs (cf ce manifeste), de l’eau au logiciel en passant par la culture prise au piège des industriels[2].
L’enclosure des pommes
David Bollier – 10 novembre 2009 – OnTheCommons.org
(Traduction Framalang : Goofy)
L’agriculture moderne a drastiquement réduit les variétés naturelles de pommes.
Il y a un siècle, en 1905, il y avait plus de 6500 variétés distinctes de pommes comestibles, d’après Verlyn Klinkenborg du New York Times. Les gens avaient leur pommes saisonnières favorites en ce qui concerne la cuisine ou pour manger directement. Ils en utilisaient différentes sortes selon qu’ils voulaient faire des tartes, du cidre ou du jus de pomme. Ils avaient le choix entre de nombreuses variétés exotiques portant des noms tels que Scollop Gillyflower, Red Winter Pearmain, Kansas Keeper.
Maintenant d’après Klinkenborg, « seulement 11 variétés constituent 90% de toutes les pommes vendues dans le pays, et la Red Delicious en représente à elle seule la moitié ». Pour ceux qui se demandent ce que signifie enclosure, en voici un bon exemple.
Depuis que les forces du marché en sont venues à dominer la production et la distribution des pommes au cours du 20ème siècle, les variétés naturelles qu’auparavant nous croyions garanties ont pour la plupart disparu. Certaines variétés ont été abandonnées parce qu’elles avaient des peaux fines et s’écrasaient trop facilement, faisant d’elles des denrées moins transportables pour le commerce de masse. D’autres semblaient être trop petites ou répondaient uniquement à des besoins de niche du marché. La Red Delicious s’est probablement imposée sur le marché parce qu’elle était grosse et très brillante.
Le point clé est que notre système d’agriculture moderne, dirigé par l’efficacité à grande échelle et les motivations commerciales, ne trouve aucun intérêt à la diversité, la différence et la singularité.
Heureusement, les différentes variétés de pommes fantastiques dont nous pouvions profiter auparavant n’ont pas disparu pour toujours, fait remarquer Klinkenborg. Beaucoup des anciens pommiers existent toujours, et ils fonctionnent comme une sorte de conservatoire des variétés de pommes perdues ou abandonnées. Sur un terrain, une propriété ou dans un endroit abandonné, il y a toujours des pommiers qui produisent des fruits, témoins silencieux de la biodiversité des pommes qui était autrefois normale.
Klinkenborg note que « les chercheurs du Centre National pour la préservation des ressources génétiques étudient les marqueurs génétiques de 280 vénérables pommiers qui poussent dans de vieux corps de fermes dans le sud ouest. Certains proviennent de pépinières commerciales, d’autres de stations d’agriculture expérimentale, mais la plupart sont uniques. »
Il est triste de penser que, nous autres les consommateurs modernes, nous sommes habitués à une offre si restreinte de pommes standardisées. Dans un sens, nous sommes devenus des créatures conditionnées par les restrictions du marché. Nos goûts sont devenus aussi ternes et génériques que la nourriture que nous consommons.
Un des buts remarquables que vise le mouvement Slow Food, c’est de retrouver la diversité naturelle de notre nourriture locale. J’aime à penser que, à mesure que nous apprécierons de plus en plus la richesse de la diversité naturelle et de ses manifestations locales, nous ferons beaucoup plus pour rebâtir le bien commun.
Notes
[1] Crédit photo : Jeroen Kransen (Creative Commons By-Sa)
[2] Le titre de mon billet est un clin d’œil à la tragédie des biens communs.