Le changement le plus important dans la courte histoire de Wikipédia ?
Rappelant que le pouvoir de transformation est désormais entre les mains de ceux qui codent, c’est la venue prochaine d’une simple modification technique que The Economist n’hésite pas à qualifier de « changement le plus important dans la courte histoire de Wikipédia ».
Il s’agit de la très attendue amélioration de l’interface d’édition des articles de l’encyclopédie qui passera bientôt en mode WYSIWYG (voir tout de suite ici ce que cela donne en avant-première). L’espoir est alors d’abaisser la barrière à l’entrée pour voir arriver de nouveaux contributeurs, au moment même où l’on constate si ce n’est une érosion tout du moins une stagnation de la participation.
Parce qu’il est vrai que lorsque l’on a la curiosité de pousser pour la première fois le bouton « Modifier » d’un article (et de basculer alors dans un autre monde possible), on se retrouve face à un déroutant mélange de texte et de balises complexes à appréhender. Tellement complexes que certains pouvent abandonner avant même d’avoir pu commencer, laissant alors la place aux seuls téméraires, un peu geeks sur les bords, qui ont eux réussi à franchir l’obstacle.
Mais attention, l’opération comporte aussi ses risques. Un afflux massif de nouveaux contributeurs implique d’être capable de les accueillir comme il se doit et d’être patient et tolérant face aux inévitables erreurs commises lors des premières tentatives. Ce sera un test pour le beau et fameux principe wikipédien qui suppose la bonne foi de tous. La démocratisation n’est évidemment pas synonyme de médiocrité mais elle impactera forcément la situation et la culture de ceux qui étaient là avant.
Un peu comme quand Ubuntu a débarqué sans crier gare dans le monde tranquille des distributions GNU/Linux 😉
Des changements chez Wikipedia – Voir les choses
Changes at Wikipedia – Seeing things
Babbage – 13 décembre 2011 – The Economist
(Traduction Framalang : Lolo le 13, Goofy, Clochix, e-Jim et Martin)
Wikipédia vient tout juste de révéler la première version de sa nouvelle interface d’édition visuelle. Nous avons vu une avant-première de la nouvelle interface (à tester d’ores et déjà ici) avant qu’elle ne soit mise en ligne et ce ne sera pas exagérer que de dire que ce sera le changement le plus important dans la courte histoire de Wikipédia. L’espoir est qu’éditer l’encyclopédie en ligne avec un éditeur visuel deviendra aussi facile qu’écrire sur son blog ou sur Facebook et ne sera plus réservé à une minorité d’initiés seuls capables de comprendre le chinois des balises du code.
Pour le moment, l’éditeur visuel n’est encore qu’un prototype, ou la démo d’une démo, à la seule intention des développeurs et des testeurs pour le permettre d’apporter les dernière améliorations. Les options sont limitées à l’utilisation de listes préformatées et d’insertion de gras, d’italiques et de liens. Il y a aussi un menu déroulant avec une liste des formats des paragraphes (cf image ci-dessus) qui fait oublier le besoin de marquer explicitement les titres par la balise adéquate. Les utilisateurs avancés ont aussi la possibilité de voir les changements qu’ils opérent dans la wikisyntaxe, le HTML ou le JSON (une sorte de JavaScript allégé). Tout ce qui concerne les images et le reste seront inclus dans les versions ultérieures, avant le début de l’intégration officielle dans Wikipédia prévue en juin 2012. Wikipédia affirme que c’est le projet technique le plus stimulant qu’ils aient pu entreprendre.
Le nouvel éditeur s’avère nécessaire pour une simple et bonne raison : le nombre de contributeurs actifs sur la version anglaise est en déclin après avoir atteint son apogée en 2007. En accord avec le plan annuel 2011-2012 de la Wikimedia Foundation (l’organisation qui fait tourner Wikipédia), « le déclin de la participation est de loin le problème le plus sérieux auquel le projet Wikimedia fait face ». L’éditeur visuel est une « solution évidente » qui fait partie d’un projet de développement de nouvelles fonctionnalités soutenu à hauteur d’un million de dollars. C’est un changement qui était prévu depuis longtemps.
La nuit avant qu’ils créent Wikipedia, le 15 juillet 2001, ni Jimmy Wales ni Larry Sanger n’avait entendu parler d’un wiki. Lorsqu’on présenta l’idée à Sanger, il fut impressionné par sa simplicité, et écrivit qu’il s’agissait du format simple et ouvert ULTIME (les majuscules sont de lui). A cette époque, les wikis semblaient révolutionnaires et ils l’étaient effectivement. Ils représentaient un moyen simple d’éditer et mettre directement en ligne des pages Web en s’affranchissant de la connaissance du code HTML. Le balisage était toujours là mais il avait été fortement simplifié et allégé.
Mais c’était il y a longtemps, bien avant que votre grand-mère ne se crée un compte Facebook. Dix ans plus tard, la population connectée s’est élargie au point d’inclure la plupart des êtres humains (du moins, dans les pays industrialisés) et les internautes se sont de plus en plus habitués aux interfaces graphiques et ergonomiques. Aujourd’hui, le langage wiki semble impénétrable pour la majorité d’entre eux, ou à tout le moins faire l’effort de l’apprendre et le maîtriser ne semble pas valoir le coup. « Lors de la création de Wikipédia, tout était difficile sur Internet. Nous n’étions pas plus compliqués que les autres, bien au contraire. Mais aujourd’hui, la plupart des interactions en ligne sont plus faciles que l’édition d’un article d’un wiki, et cela crée une barrière à l’entrée qui n’est bénéfique à personne », explique Sue Gardner, directrice exécutive de la Fondation Wikimédia.
Imaginons que l’édition de pages Web soit un vaste espace ouvert dans lequel vous pouvez vous promener sans restriction de n’importe quelle direction. Alors Facebook est une ligne de tram, confortable et structurée mais restreignant les destinations possibles de ceux qui l’utilisent. Les wikis sont se situe entre les deux : la liberté de se déplacer est potentiellement là mais elle demande un apprentissage et une expérience pour pouvoir en jouir pleinement. Vous pouvez vous les réprésenter comme un réseau de sentiers et des pistes cyclables sur lesquels votre itinéraires dépend des besoins spécifiques de votre voyage. La syntaxe wiki prenait pour acquis que les utilisateurs connaissaient peu ou prou la configuration du terrain. La mise en place d’un éditeur visuel revient alors à distribuer des cartes à l’entrée.
La Fondation espère que cela va amener une nouvelle vague de contributeurs, dont « le succès du projet dépend entièrement ». Attention cependant car ce progrès a ses pièges. La dernière arrivée massive, en 2006-07, n’a pas été forcément bien traitée par les anciens contributeurs, qui n’ont pas pu, su ou voulu gérer cette arrivée soudaine. Incapables d’aider ou d’orienter correctement ces nouveaux éditeurs que Mme Gardner qualifie de « bien intentionnés mais nuls », ils ont érigé des barrières sous la forme de bannières d’avertissement et de réponses automatiques.
Cette fois-ci, la Fondation va faire les choses différemment. Comme pour l’édition des articles, les contributeurs n’auront plus besoin de connaître de codes secrets pour distribuer des « wikilove », ces médailles virtuelles qui félicitent les contributeurs pour la qualité de leur travail. Un nouvel outil rendra également plus simple la distribution d’étoiles et de badges, qui sont un moyen d’encourager les nouvelles recrues. Difficile de prédire si cela sera suffisant. Mais si les choses de déroulent bien, les fameux pionniers, vieux éditeurs grognons de Wikipédia, auront à nouveau du pain sur la planche.