Innovation et licence libre en biotechnologie

On le constate de plus en plus souvent aidé qu’il est en cela par Internet : quand l’esprit du Libre accoste un nouveau domaine, il interroge voire interpelle son modèle d’organisation antérieur (sans même le demander toujours explicitement).

Est-ce que la fermeture (ici les brevets) est la meilleurs voie vers le progrès et l’innovation ? Doit-on payer plusieurs fois l’usage d’une technologie qui devrait être au bénéfice de tous ?

Il pose alors des questions faussement naïves dont les réponses dessinent les contours du monde de demain.

Idaho National Laboratory - CC by

Oubliez les brevets : Pourquoi les licences libres sont facteurs d’innovation dans les biotechnologies

Forget Patents: Why Open Source Licensing Concepts May Lead To Biotech Innovation

Glyn Moody – 2 novembre 2012 – TechDirt.com
(Traduction : aKa, KoS, Dryt, Amine Brikci-N, Cyrille L., alexis, mazerdan, tanguy)

En direct du département du partage…

L’une des idées directrices conduisant au libre accès dans le domaine de la recherche est que si le public a déjà payé par l’intermédiare des impôts (ou du mécénat), alors il n’est pas légitime de demander à nouveau aux citoyens de payer pour lire l’article publié. La force de cet argument est en partie à l’origine d’une plus grande reconnaissance du libre accès à travers le monde.

Mais le même raisonnement peut s’appliquer à la mise sur le marché de la recherche sur fonds publics. Pourquoi devrait-on céder aux entreprises (qui cherchent naturellement à maximiser leurs profits) des prix si élevés pour des produits qui ont été initialement financés sur fonds publics (rendant par là-même leur mise sur le marché possible) ?

Tout comme pour le libre accès, la difficulté tient de la mise en place d’une nouvelle approche permettant aux traitements médicaux d’être le plus accessible possible. @MaliciaRogue a mis en exergue un article de Frangioni, paru récemment dans Nature Biotechnology, qui propose une solution innovante basée sur un développement open source mené par une fondation à but non lucratif.

Dans ce modèle open source, les structures commerciales sont encouragées à acquérir des licences d’utilisation, mais de manière non exclusive. Les entreprises utilisant la technologie sont encouragées à innover sur la plateforme, qui leur fournira des droits d’auteurs pour leur propriété intellectuelle, qui les aidera à franchir les barrières pour entrer sur le marché et fournir aux patients une version améliorée de la technologie. L’échange et l’évolution des informations ouvertes est encouragé plutôt que découragé, en supposant que les connaissances renforceront les entreprises qui veulent se creuser une niche de contenu protégé tandis que les scientifiques pourront continuer à se saisir d’une technologie de pointe.

C’est un exemple détaillé et fascinant qui nous fait explorer les problèmes que posent la mise sur le marché de la recherche, à commencer par la loi Bay-Dole de 1980 et son échec dans l’accélération des transferts de technologies entre le monde académique et l’industrie :

Au début de Bayh-Dole, la politique de transfert technologique de beaucoup de CMA (centre médico-académique) a été de chercher à breveter le plus d’inventions possible (tout ça à grands frais), parfois sans même se demander si la découverte permettait de compter les brevets comme des actifs ou d’en faire leur commercialisation. De la même façon, trop souvent, des startups émergent des CMA sans qu’une analyse raisonnable n’ait eût lieu, conduisant à un sous-financement de beaucoup d’entreprises.

L’approche de Frangioni est très différente. Puisqu’une structure à but non lucratif est financée par le public, l’accent est mis sur l’optimisation du service rendu au patient, plutôt que sur le retour sur investissement. La nouvelle façon de faire est de demander une forme de réciprocité de la part de ceux qui utilisent ces connaissances.

Les utilisateurs (chercheurs, chirurgiens, et utilisateurs de licences) peuvent acheter la technologie, mais uniquement après s’être formellement engagés à apporter les connaissances acquises par cette technologie dans une sorte de banque publique de connaissances (une base de données publique), à travers ce que nous appelons une boucle de retour d’informations. Ici encore, est mis en œuvre le principe de donner après avoir reçu : l’acheteur doit créer de nouvelles connaissances pour le bien de tous, afin d’avoir accès à la technologie.

C’est ainsi que les logiciels open source fonctionnent : tout le monde peut utiliser le code et bâtir dessus mais il faut redonner ses contributions à la communauté, de manière à ce que les autres puissent, exactement de la même manière, bâtir dessus. Les résultats dans le domaine des logiciels, où l’open source domine l’Internet, les super-ordinateurs et – grâce à Android qui est basé sur Linux – les smartphones, parlent d’eux même. Il reste à voir s’il est possible de généraliser la mise en pratique de ces idées, comme le montre l’expérience de Frangioni avec sa FLARE Foundation. Mais c’est certainement une approche qui vaut le coup d’être tentée.

Crédit photo : Idaho National Laboratory (Creative Commons By)