La quête du logiciel de qualité – (Libres conseils 22b/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Sphinx, peupleLà, lerouge, goofy, alpha, Sky, Julius22, lamessen, vvision, Garburst, okram

Le guichet de billetterie

La thèse de doctorat d’Alexander a servi de base à son livre Notes on the Synthesis of Form (NdT : Remarques sur la synthèse de la forme), paru en 1964. Il essayait de rationaliser le processus de conception en le définissant comme une progression depuis une série de conditions préalables jusqu’à un résultat final, grâce à une analyse des forces qui déterminent le design.

Permettez-moi de citer Richard Gabriel, dont je parlerai plus tard, quand il décrit l’époque où Alexander essayait de concevoir un guichet de billetterie en prenant appui sur ses idées mathématiques :

Alexander dit (à propos de la qualité sans nom) :

Il s’agit d’un type subtil de liberté issu de contradictions internes. (Alexander, 1979)

Cette assertion fait écho aux origines de sa recherche sur la qualité. Elle commença en 1964 alors qu’il était en train de réaliser une étude pour le San Francisco Bay Area Rapid Transit District (BART) basée sur le travail rapporté dans Notes on the Synthesis of Form (Alexander 1964), lui-même basé sur sa thèse de doctorat. L’une des idées-clés de ce livre était qu’avec une bonne conception, il doit y avoir une relation sous-jacente entre la structure du problème et la structure de la solution — les bonnes conceptions passent par la rédaction d’une analyse des besoins, l’analyse de leurs interactions sur les bases d’incompatibilités potentielles, produisant ainsi une décomposition hiérarchisée des différentes parties, et la reconstitution d’une structure dont

la hiérarchie structurelle est l’exact complémentaire de la hiérarchie fonctionnelle établie durant l’analyse du programme. (Alexander, 1964)

Alexander a analysé le système de forces mises en jeu dans la conception d’un guichet. Lui et son groupe avaient rédigé un cahier des charges en 390 points pour couvrir tous les cas de figure d’usage de l’édicule. Certaines spécifications concernaient des choses telles qu’être là pour obtenir des billets, pouvoir faire de la monnaie, pouvoir déplacer les personnes qui font la queue, réduire la durée d’attente pour obtenir des billets. Il a toutefois remarqué que certaines parties du système n’étaient pas concernées par ces spécifications et que le système lui-même pouvait s’enliser parce que ces autres forces — celles qui ne faisaient pas l’objet d’une spécification — agissaient pour arriver à leur propre équilibre au sein du système. Par exemple, si une personne s’arrêtait et qu’une autre s’arrêtait également pour parler avec la première, cela pouvait créer un embouteillage susceptible de mettre en échec les mécanismes mis au point pour maintenir une circulation fluide. Bien sûr, l’absence d’embouteillage faisait partie des spécifications. Mais il n’y avait rien que les concepteurs puissent faire pour l’empêcher par le biais d’un mécanisme adapté.

En tant que programmeur, ça doit vous rappeler quelque chose ? Vous pouvez élaborer une conception magnifique et parfaitement rigoureuse, mais qui s’effondrera quand vous la construirez effectivement parce que des éléments que vous n’aviez pas anticipés apparaitront alors. Ce n’est pas un échec de votre conception, mais de quelque chose d’autre ! Richard Gabriel poursuit :

Alexander disait ceci :

Il devint alors clair que le bon fonctionnement d’un système ne dépendait pas uniquement de la satisfaction d’une série de conditions préalables. Il s’agissait plutôt d’un système qui trouve sa cohérence en lui-même et en équilibre avec les forces internes générées par ledit système que de l’accord avec une série quelconque de conditions préalables que nous aurions arbitrairement définie. Cela m’intriguait beaucoup car l’idée qui prévalait en général à l’époque (en 1964) était que, pour l’essentiel, tout était fondé sur des objectifs. Toute mon analyse des conditions préalables tendait à converger avec le point de vue de la recherche opérationnelle qui pose qu’il faut établir des objectifs, etc. Ce qui m’ennuyait, c’est qu’une analyse correcte du guichet ne pouvait se baser uniquement sur des objectifs quelconques ; il y avait des réalités qui émergeaient du centre du système lui-même et qui, peu importe votre degré de réussite, avaient un rapport avec le fait que vous ayez créé une configuration stable au regard de ces réalités.

Et c’est le cœur du problème : comment créer une configuration stable avec les réalités qui en émergent au fur et à mesure que vous la construisez ?

La nature de l’ordre

Bien que Christopher Alexander ait eu conscience d’avoir produit quelque chose de précieux avec ses recherches et catalogues de modèles, il n’était pas complètement satisfait. D’où venaient les modèles ? Pouvait-on les créer à partir de rien ou devait-on se satisfaire de ce qu’avait produit jusque-là l’architecture traditionnelle ? D’ailleurs, les modèles étaient-ils réellement nécessaires ? Comment pouvait-on mieux définir et évaluer ou mesurer cette « Qualité sans nom » ?

Alexander passa les vingt années suivantes à tenter de répondre à ces questions. En étudiant le processus réel de création par lequel des environnements bien construits avaient vu le jour, il découvrit que certains processus sont indispensables pour créer des villes ou des édifices agréables — ou toute création humaine en fait. Il arriva aux conclusions suivantes :

  • La nature crée des choses qui ont toutes une quinzaine de propriétés en commun (je vous expliquerai plus tard). Cela se produit uniquement par des processus naturels — physique et chimie de base — bien que nous ne sachions pas clairement pourquoi des procédés très différents produisent des résultats similaires ;
  • On retrouve ces propriétés dans les architectures traditionnelles ou les villes qui ont simplement évolué au cours du temps. Tous les modèles décrits dans A Pattern Language peuvent être obtenus en suivant une méthode fondée sur ces propriétés ;
  • Chaque propriété peut également décrire une transformation de l’espace existant ;
  • La seule façon de réussir une bonne conception consiste à utiliser ces transformations, une à la fois.

Ceci a été publié en 2003 – 2004 en quatre tomes intitulés The Nature of Order (NdT : « La nature de l’ordre »).

Les quinze propriétés

Le premier tome de La nature de l’ordre traite de quinze propriétés qui apparaissent dans tous les systèmes naturels. Je les résumerai très brièvement (voir les références pour des illustrations et de plus amples explications).

  • Des niveaux d’échelle. La gamme de tailles est équilibrée, sans changement brutal dans la taille d’objets adjacents. Les éléments ont une échelle fractale ;
  • Des centres forts. Les différentes parties de l’espace ou de la structure sont clairement identifiables ;
  • Des frontières solides. Les lignes délimitent les choses. Dans les systèmes vivants, les bords sont les environnements les plus productifs (par exemple, toutes les créatures qui vivent au bord de l’eau) ;
  • Des répétitions alternées. Haut/bas, épais/fin, forme A et forme B. Les objets oscillent et alternent afin de créer un bon équilibre ;
  • Un espace positif. L’espace adopte une belle forme convexe et close. Ce n’est pas de l’espace excédentaire. Pensez à la manière dont les cellules d’un diagramme de Voronoï grandissent vers l’extérieur à partir d’un ensemble de points ou à la manière dont les grains d’un épi de maïs se développent à partir de petits points jusqu’à ce qu’ils touchent les grains adjacents ;
  • Une bonne forme. Les voiles d’un bateau, la coquille d’un escargot, le bec d’un oiseau. Ils parviennent à la forme optimale qui sert leur fonction, ce qui est magnifique ;
  • Des symétries locales. Le monde n’est pas symétrique dans son ensemble. Cependant, les petites choses tendent à être symétriques parce que, de cette manière, c’est plus facile. Votre maison n’est pas symétrique, mais chaque fenêtre l’est ;
  • Une profonde imbrication et de l’ambiguïté. Les rues sinueuses des vieilles villes. Les axones des neurones. Il est difficile de séparer la forme du fond, ou l’avant-plan de l’arrière-plan. Deux centres forts sont renforcés si un troisième est placé entre eux de manière à ce qu’il appartienne aux deux ;
  • Du contraste. Vous pouvez distinguer où une chose se termine et où la suivante commence parce qu’elles ne se fondent pas l’une dans l’autre ;
  • Des degrés. Les choses se confondent les unes les autres là où c’est nécessaire. Les concentrations dans des solutions, les congères ou les talus, les câbles supportant un pont. La manière dont la bande passante décroît alors que vous vous éloignez de l’antenne ;
  • Des aspérités. Le monde n’est ni exempt de frottement, ni doux. Les irrégularités sont bénéfiques car elles permettent à chaque élément de s’adapter à son environnement, plutôt que d’être une copie conforme qui n’irait pas aussi bien ;
  • Des échos. Les choses se répètent et se font écho. Elles sont uniques dans la précision de leur forme mais leurs contours généraux se répètent à l’infini ;
  • Du vide. Parfois, vous avez un grand espace vide pour la tranquillité de la forme. Un lac, une cour, le cadre d’une image ;
  • De la simplicité et du calme intrinsèque. Les choses sont aussi simples que possible, sans être simplistes ;
  • De l’interdépendance. Chaque chose est dépendante de tout le reste. On ne peut pas séparer un poisson du bassin et des plantes aquatiques. On ne peut pas séparer une colonne de la base du bâtiment.



La marque (du langage) Python est en péril en Europe et a besoin de votre aide !

Le célèbre (et libre) langage de programmation Python est en danger en Europe pour une sombre histoire de droit des marques.

Nous avons traduit ci-dessous l’appel à soutien de Van Lindberg, président de la Python Software Foundation.

Python Logo

La marque Python en péril en Europe : Nous avons besoin de votre aide !

Python trademark at risk in Europe: We need your help!

Van Lindberg – 14 février 2013 – Python Software Foundation
(Traduction : Moosh, lgodard, Alpha, QuébecTroll, jtanguy, Penguin, Uflex, ProgVal, goofy, maz, Nodel, Norore + anonymes)

Vous qui travaillez dans une entreprise qui a un bureau dans un pays membre de l’Union Européenne, nous avons besoin de votre aide.

Une entreprise au Royaume-Uni essaye de faire reconnaître le terme « Python » comme marque commerciale pour tout logiciel, service ou serveur, à peu près tout ce qui a quelque chose à voir avec un ordinateur. Plus précisément, c’est l’entreprise qui a acquis le domaine python.co.uk il y a treize ans. À cette époque, nous nous souciions peu des problèmes de marque et nous n’avions pas acquis ce domaine.

Ce n’était pas un problème jusqu’à présent car le domaine python.co.uk, la plupart du temps, se contentait de transférer son trafic vers les sociétés-mères, veber.co.uk et pobox.co.uk. Malheureusement, Veber a décidé qu’ils voulaient commencer à utiliser le nom « Python » pour leurs logiciels serveurs.

Nous avons contacté les propriétaires de python.co.uk à plusieurs reprises et essayé d’en discuter avec eux. Leur seule réponse a été de déposer une demande de marque communautaire réclamant les droits exclusifs d’utiliser le terme « Python » pour des logiciels, serveurs, et services web – et ce partout en Europe.

Nous avons fait appel à un conseiller juridique au Royaume Uni et nous, la Python Software Foundation (NdT :. la Fondation Python), opposons à cette demande une demande de dépôt de marque communautaire, mais notre propre demande n’est pas suffisamment mûre. Dans cette dernière, nous exposons les droits de propriété de la marque résultants de l’utilisation de “Python” au cours de ces 20 dernières années.

D’après notre avocat londonien, les meilleures preuves que nous puissions transmettre au bureau européen des marques déposées sont les lettres d’entreprises connues « utilisant le logiciel de marque PYTHON dans divers pays de l’Union Européenne » de telle sorte que nous puissions « obtenir des témoignages indépendants de leur part, prouvant l’origine de la signification de la marque PYTHON, en relation avec le logiciel et les produits/services associés ». Nous avons aussi besoin de preuves d’utilisation de Python à travers toute l’Union Européenne.

Que pouvez-vous faire ?

1- Vous travaillez pour une entreprise qui utilise Python ? Vous êtes basés en Europe, vous y embauchez ou vous y possédez un bureau ? Pourriez-vous écrire une lettre avec l’en-tête de votre entreprise que nous pourrions réutiliser par la suite ?

Nous aurions besoin des élements suivants :

  1. Une brève description de l’utilisation de Python dans votre entreprise :
  2. Comment votre entreprise associe le terme Python uniquement à la PSF ;
  3. Votre opinion sur le fait qu’une autre entreprise utilisant le terme Python dans ses services, logiciels et serveurs pourrait âtre source de confusion.

La lettre n’a pas besoin d’être très longue —- quelques paragraphes suffisent, mais nous apprécierions toute forme de description de votre utilisation de Python dans vos logiciels, votre hébergement internet, vos serveurs, vos VPN, dans le développement de logiciel ou de matériel ou encore dans l’utilisation de services de sauvegarde. Pour ceux qui sont intéressés par les classes descriptives légales, elles figurent au bas de ce message[1][2].

Vous pouvez envoyer une copie PDF de votre lettre à psf-trademarks@python.org

2. Connaissez-vous ou possédez-vous quoi que ce soit qui ait été publié au sein de l’UE et qui utilise “Python” pour faire référence au langage Python? Pouvez-vous nous transmettre des numérisations, photos ou copies? Cela comprend :

  • Des livres ;
  • Des brochures ;
  • Des programmes de conférences ou présentations ;
  • Des offres d’emploi ;
  • Des magazines ou autres publications ;
  • Des prospectus.

Vous pouvez envoyer un scan PDF de ces documents à psf-trademarks@python.org.

3. Vous pouvez également aider à protéger la propriété intellectuelle de Python en nous soutenant financièrement.

Comme le coût d’opposition d’une marque commerciale est de l’ordre de dizaines de milliers de dollars, nous aurons besoin de trouver un moyen de financer les coûts de procédure de l’opposition.

Merci d’envisager une donation à la Python Software Foundation ou de me contacter.

C’est la première fois que la PSF doit prendre des mesures juridiques pour protéger la propriété intellectuelle de Python. S’il vous plait, aidez Python comme vous le pouvez. La menace est réelle et elle est susceptible de nuire à votre entreprise en Europe, surtout si vous êtes dans le domaine de l’hébergement et que Python fait partie de l’offre que vous proposez.

S’il vous plaît, faites-moi savoir si vous avez des questions auxquelles je peux répondre. Si vous connaissez quelqu’un qui devrait avoir l’information, libre à vous de la partager.

Thanks, Merci,

Van Lindberg, Président
van@python.org
Python Software Foundation

Notes

[1] Classe 9 – Logiciels ; Serveurs pour l’hébergement de sites web ; Matériel informatique pour RPV (réseau privé virtuel) ; Serveurs Internet (NdT : Classifications légales traduites à l’aide de l’outil EuroClass).

[2] Classe 42 – Conception et développement d’ordinateurs et de logiciels ; Hébergement de sites sur Internet ; Hébergement de sites web de tiers ; Hébergement de sites web ; Hébergement de sites web de tiers sur un serveur d’ordinateurs pour un réseau informatique mondial ; Hébergement de contenu numérique, à savoir de revues et de blogues en ligne ; Fournisseur de services d’application, à savoir hébergement de logiciels d’application de tiers ; Hébergement de contenu numérique sur l’internet ; Hébergement de sites web pour le compte de tiers ; Hébergement de sites informatiques de tiers (sites web) ; Hébergement de sites informatiques sites web ; Location de serveurs web.




Geektionnerd : Google vs France

« Googlelisez-moi, Googlelisez-moi. Oui, mais pas tout de suite, pas trop vite. Sachez me convoiter, me désirer, me captiver. » (Juliette Gréco)

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Sources :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




La quête du logiciel de qualité (Libres conseils 22a/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Sphinx, peupleLà, lerouge, goofy, alpha, Julius22, SaSha_01, vvision, lamessen, Bob, lamessen, Garburst, okram

Le logiciel comme Qualité sans Nom

Federico Mena Quintero

Federico Mena Quintero est l’un des pères fondateurs du projet GNOME et fut auparavant le mainteneur de GIMP. Il travaillait aux Red Hat Advanced Development Labs durant les débuts de GNOME puis fut l’un des premiers à être recruté chez Ximian où il a principalement travaillé sur le calendrier d’Evolution. Il travaille toujours autour de GNOME pour Novell/Suse et vit au Mexique.

Lorsque j’apprenais la programmation, j’ai remarqué que je rencontrais souvent le même problème, encore et encore. J’écrivais souvent un programme qui fonctionnait relativement bien et était même bien structuré. Mais après quelques modifications et améliorations, je ne pouvais plus l’améliorer davantage. Soit sa complexité me surpassait, soit il était écrit de telle manière qu’il ne permettait pas d’évolution, comme une maison que vous ne pouvez pas agrandir à cause d’un toit pentu ou que vous ne pouvez pas étendre sur les côtés à cause des murs qui l’entourent.

À mesure que je progressais, j’ai appris à gérer cette complexité. Nous apprenons tous à le faire avec différents outils et techniques : l’abstraction, l’encapsulation, l’orientation objet, les techniques fonctionnelles, etc. Nous apprenons comment diverses techniques nous permettent d’écrire des programmes plus complexes.

Cependant, le problème d’un programme trop optimisé ou bien trop intimement enchevêtré pour être modifié a persisté. Parfois, je pensais tenir une superbe conception. Mais la modifier d’une façon quelconque l’aurait « amochée » et je ne le souhaitais pas. D’autres fois, j’avais quelque chose avec tellement de parties imbriquées que je ne pouvais plus y connecter quoi que ce soit sans que tout s’effondre sous son propre poids.

Il y a quelques années, la manie de la réécriture a débuté sans que j’y prête trop attention. Je me disais que c’était une façon de nettoyer le code, mais après ? Je sais déjà comment prendre un morceau de code et le transformer en fonction ; je sais déjà comment prendre des morceaux de code similaires et les transformer en classes dérivées. Je sais déjà écrire du code presque entièrement propre. Quel est donc le problème ?

J’ai écarté la refactorisation(1) en la considérant comme destinée aux programmeurs les moins expérimentés ; comme de jolies recettes de nettoyage de code mais rien qui ne puisse être découvert par soi-même.

La même chose s’est produite avec les canevas de conception. Je pensais qu’ils donnaient simplement des noms pompeux tels que Singleton et Strategy à des types de structures de tous les jours qu’on utiliserait naturellement dans un programme. Peut-être mon ego de programmeur était-il trop démesuré pour considérer ces travaux avec sérieux. C’est alors que quelque chose s’est produit.

Le travail de Christopher Alexander

Il y a quelques années, mon épouse et moi avons acheté une petite maison de plain-pied et nous souhaitions l’agrandir. Nous envisagions d’avoir un enfant et avions, par conséquent, besoin de plus d’espace. J’avais besoin d’un vrai bureau à domicile, pas une simple niche inoccupée dans laquelle mon bureau et mes étagères de livres tiendraient à peine. En tant que cuisiniers avides, nous avions tous les deux besoin d’une cuisine plus spacieuse et confortable que celle de notre maison. Mon épouse avait besoin d’une pièce bien à elle.

Nous ne voulions pas payer pour un architecte coûteux et aucun de nous deux n’avait la moindre connaissance en matière de construction. Comment allions-nous concevoir notre maison ?

Par moments, en naviguant sur le Web, je me rappelais que j’avais déjà vu le nom d’un auteur, le titre d’un livre ou quelque chose comme ça. Il se peut que je n’y aie pas vraiment porté attention par le passé mais, d’une manière ou d’une autre, plus je vois la même chose mentionnée, plus il est probable que je finirai par m’y intéresser suffisamment pour aller voir de quoi il s’agissait. « Oh, plusieurs personnes ont déjà mentionné ce nom ou ce livre ; je devrais peut-être y jeter un coup d’œil  »

C’est exactement ce qui s’est passé avec le nom de Christopher Alexander. J’avais lu que c’était un architecte assez spécial (de vrais bâtiments, pas de logiciels), connecté en quelque sorte au monde du logiciel par le biais de techniques orientées objet. J’ai été passionné par son travail dès que j’ai commencé à le découvrir par mes lectures.

Dans les années 1970, Christopher Alexander était un mathématicien et professeur d’architecture à l’université de Californie, Berkeley. Lui et un groupe d’architectes de la même mouvance que lui ont parcouru le monde, essayant de comprendre pourquoi il existait des endroits construits par des humains (cités, villes, parcs, immeubles, maisons) où il était très agréable de vivre, confortables, conviviaux et jolis, tandis que d’autres endroits ne l’étaient pas. Des lieux agréables étaient présents dans toutes les architectures traditionnelles du monde — européennes, africaines, asiatiques et américaines — amenant à l’idée que des facteurs communs étaient sans doute extractibles.

Alexander et son équipe ont réparti leurs découvertes au sein d’une liste de motifs architecturaux cohérents et publié trois livres : The Timeless Way of Building (NdT « L’art de la construction intemporelle » en français), où sont décrites la philosophie et la méthode nécessaires à une bonne construction ; A Pattern Language (NdT : « Un langage de schémas » en français), que je décris ci-après et The Oregon Experiment (NdT « L’expérience de L’Oregon » en français) où sont détaillés la conception et la construction d’un campus universitaire grâce à leur méthode.

Une grammaire de modèles

Un modèle (ou schéma) est un problème récurrent lors de la conception et de la construction d’objets, en lien avec les contraintes qui modèlent le problème et avec une solution connectée, quasi-récursivement à d’autres modèles-pères ou modèles-fils. Par exemple, considérons le GRADIENT D’INTIMITÉ, un modèle important dans le livre (les modèles étant en capitales dans ce livre pour en faciliter l’identification, je ferai donc de même) :

GRADIENT D’INTIMITÉ

<!-- wikipedia : patron de conception *

pour la compréhension : http://www.jacana.plus.com/pattern/P127.htm */ --> Modèles-pères, et préambule : … si vous savez à peu près où vous avez l’intention de placer les ailes du bâtiment, LES AILES DE LUMIÈRE, et combien d’étages elles auront, le NOMBRE D’ÉTAGES, et où L’ENTRÉE PRINCIPALE se trouve, alors il est temps de travailler sur la disposition approximative des zones principales de chaque niveau. Dans tout bâtiment, la relation entre les zones publiques et les zones privées est de la plus haute importance.

Énoncé du problème : à moins que les volumes d’un édifice ne soient disposés dans un ordre correspondant à leur degré d’intimité, les visites des étrangers, amis, invités, clients, famille seront toujours un peu gênantes.

Explication : je ne vais pas tout citer. Prenez, par exemple, un appartement où la seule façon d’atteindre la salle de bain est de passer d’abord par la chambre à coucher. Les visites sont toujours gênantes car vous avez l’impression de devoir d’abord ranger votre chambre si vous voulez que vos visiteurs puissent utiliser les toilettes. Ou bien considérez des bureaux dans lesquels vous ne voulez pas qu’un espace de travail calme soit à côté de la réception, car alors celui-ci ne sera pas calme du tout — vous voulez qu’il soit plus privé, à l’arrière.

Résumé de la solution : disposez les espaces de l’édifice de façon à ce qu’ils créent une suite qui commence avec l’entrée et la partie du bâtiment ouverte au public, puis conduit aux zones un peu plus privées pour finir avec les domaines les plus intimes.

Modèles-fils à consulter : ZONES COMMUNES AU CENTRE. HALL D’ENTRÉE pour les maisons ; UNE PIÈCE PROPRE À CHACUN pour les particuliers. UNE RÉCEPTION VOUS SOUHAITE LA BIENVENUE dans les bureaux avec, BUREAU SEMI-PRIVÉ à l’arrière.

Les modèles deviennent plutôt précis, ils n’imposent cependant jamais un style ou une forme déterminée au résultat. Par exemple, il existe un modèle qui s’appelle « ÉTAGÈRES OUVERTES ». Des placards profonds vous incitent à mettre les choses les unes derrière les autres, ainsi, vous ne pouvez plus voir ni attraper les objets qui sont au fond. Ils prennent aussi beaucoup de place. Les étagères dont la profondeur permet de ne mettre qu’un seul objet restent rangées et vous savez toujours, en un seul coup d’œil, où se trouve chaque chose. Les objets que vous utilisez fréquemment ne devraient pas être derrière une porte.

Vous pouvez ainsi entrevoir l’essence même des modèles de conceptions : de bonnes recettes éprouvées qui n’imposent pas de contraintes inutiles à votre implémentation

Les modèles ne demandent pas un style particulier ou des décorations superflues : le livre ne vous dit pas : « appliquez ces motifs floraux sur les rampes », mais plutôt : « les pièces d’une maison devraient être orientées de telle sorte que le soleil les éclaire harmonieusement, au moment de la journée où elles sont le plus utilisées — à l’est pour les chambres le matin, à l’ouest pour le salon l’après-midi ».

J’avais acquis un exemplaire de A Pattern Language peu avant de commencer à agrandir notre maison. Le livre fut une révélation : c’était le moyen d’aborder la conception de notre maison et nous pouvions alors la réaliser par nous-mêmes au lieu de payer très cher une solution inadaptée. Nous étions capables de faire un plan sommaire de notre maison et ensuite d’imaginer des détails plus fins au fur et à mesure de la construction. C’est le genre de livres qui, pendant que vous le lisez, parvient à confirmer les intuitions que vous éprouviez confusément — le genre de livres qui vous fait dire en permanence : « Bien sûr, c’est exactement à ça que je pensais  »

Design Patterns, le fameux livre publié par Gamma et autres, puise directement son inspiration dans les schémas architecturaux d’Alexander. Ils voulaient faire la même chose : dresser une liste de problèmes apparaissant fréquemment lorsque l’on programme et présenter de bonnes solutions qui n’imposeront pas de contraintes inutiles à votre implémentation.

Une chose dont j’ai pris conscience en lisant A Pattern Language, c’est une chose importante que l’on retrouve à la fois dans les modèles architecturaux et logiciels) : ils nous fournissent un vocabulaire pour discuter de la façon dont les objets sont construits. Il est beaucoup plus pratique de dire : « Les propriétés de cet objet ont des observateurs » plutôt que : « il est possible de lui attribuer des fonctions de rappel qui sont appelées lorsque ses propriétés changent ». Ce que je pensais être uniquement des termes pompeux ne sont, en fait, qu’une manière d’exprimer la connaissance de manière compacte.

La Qualité Sans Nom

La plus grande partie de l’explication d’Alexander sur les modèles de conception et leur philosophie se rapporte à quelque chose qu’il appelle « La qualité sans nom ». Vous connaissez des endroits qui ont cette qualité sans nom. Elle est présente dans le café où vous aimez aller lire car la lumière de l’après-midi entre avec exactement la bonne intensité. Et il y a là-bas des chaises et des tables, c’est toujours plus ou moins rempli de gens sans pour autant que vous vous sentiez oppressé. Elle est présente au coin d’un parc où un arbre ombrage un banc. Il y a peut-être un peu d’eau vive, et il importe peu qu’il pleuve ou bien que le temps soit ensoleillé, cela semble toujours être un plaisir d’y être. Pensez à une maison de hobbit où tout est à portée de main, où tout est confortable et où tout est fait élégamment.

Un objet ou un endroit possède la qualité sans nom s’il est convivial, s’il a évolué dans le temps selon sa logique propre, s’il ne recèle pas de contradiction interne, n’essaie pas d’attirer l’attention et semble réunir toutes les qualités archétypales — comme s’il avait suivi tout naturellement la voie optimale pour aboutir à sa conception. Plus important, Alexander affirme que c’est une qualité objective et non subjective, et qu’elle peut être mesurée et comparée. Bien que cela semble être une définition floue, c’est l’état le plus abouti dans lequel Alexander a pu l’amener lors de la première phase de son travail. La vraie révélation n’apparaitrait que plus tard.

En tant que développeurs, nous avons tous vu de beaux programmes à un moment donné. Ce sont peut-être les exemples de Programming Pearls, un beau livre que tout hacker devrait lire. Peut-être avez-vous vu un algorithme bien implémenté qui regorge de justesse. Vous vous souvenez peut-être d’un morceau de code très compact, très lisible, très fonctionnel et très correct. Ce logiciel possède la qualité sans nom. Il était devenu évident pour moi que je devais apprendre à écrire des logiciels qui atteignent le niveau de la qualité sans nom et que la méthode d’Alexander était le bon point de départ pour y parvenir.

(à suivre…)

(1) Refactorisation : bien que critiqué, cet anglicisme (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Refactorisation) semble d’un emploi courant chez les développeurs. On pourrait parler plus simplement de remaniement




Connivences entre lobbys américains et députés européens sur le dos des citoyens

Les lobbys ont toujours tenté d’influencer les politiques. Mais lorsqu’il s’agit de lobbyistes américains qui arrivent à faire passer mot pour mot certains textes de loi en Europe avec la complicité de nos députés, il y a d’autant plus de quoi s’interroger que cela va dans le sens des entreprises US et non du citoyen européen.

Un article traduit du chroniqueur anglais Glyn Moody, souvent traduit sur le Framablog)

Heureusement que nous avons désormais des sites qui permettent de mieux connaître le comportement individuel des députés et leurs éventuelles « sources d’inspiration ». Heureusement aussi que nous avons des structures comme la Quadrature du Net qui tente tant bien que mal d’agir et veiller au grain. Mais la vigilance reste de mise.

European People's Party - CC by

Protection des données dans l’Union Européenne : Les amendements proposés, écrits par des lobbyistes américains

EU Data Protection: Proposed Amendments Written by US Lobbyists

Glyn Moody – 11 février 2013 – ComputerWorld.uk
(Traduction : Fly, Alpha + anonymes)

Il devient évident que le lobby autour des directives européennes sur la protection des données est l’un des plus intenses lobbys jamais rencontrés, certains activistes ont déclaré que le phénomène était même pire que durant le projet de loi ACTA, alors que du côté des États-Unis, le bruit court qu’une guerre commerciale est sur le point d’être lancée si la loi est voté sous sa forme actuelle.

Etant donné la pression exercée pour affaiblir la protection de notre vie privée, une question-clé est : qui défend nos intérêts ?. La réponse évidente serait les députés européens, puisqu’il s’agit de nos représentants élus au Parlement Européen. Leur travail consiste précisément à nous représenter et dans ces circonstances particulières et à nous défendre. Et certains, tel le député européen Vert, Jan Albrecht, font probablement de leur mieux, comme j’ai pu l’écrire dans un billet précédent. Mais qu’en est-il du reste ? Que font-ils exactement ?

Dans le passé il était impossible de répondre à cette question, mais grâce aux miracles de la technologie moderne, et à l’avènement de l’ouverture des données qui permettent l’accès à toutes sortes d’informations. Il est désormais possible d’obtenir une vision claire de ce que font nos représentants européens.

Un nouveau site a été créé, il porte le nom plutôt lourd de LobbyPlag (NdT : Association des mots lobby et plagiat). Aussi disgracieux, que son nom puisse être, ce site ne décrit pas moins une vérité choquante : les députés européens proposent des amendements sur le projet de loi sur la protection des données qui reprennent mot pour mot les propositions des lobbyistes. En tout état de cause, ce qui est inquiétant ici n’est pas le plagiat, mais plutôt le fait que les mesures destinées à protéger les populations européennes soient supprimées ou altérées par les mêmes personnes que nous avons élues pour nous défendre.

Voici par exemple, un paragraphe important sur le fichage. On peut lire, sur la version originale :

Chaque personne physique (NdT : every natural person) doit avoir le droit de ne pas être soumis à une mesure entraînant des effets juridiques relatifs à cette personne physique particulière ou l’atteignant de manière significative, dès lors qu’elle se base uniquement sur un traitement automatisé ayant pour but l’analyse ou la prédiction de certains aspects personnels en lien avec cette personne physique, en particulier, l’efficacité au travail, la situation financière, la localisation, la santé, les préférences personnelles, la fiabilité, ou le comportement de cette personne physique.

Mais la Chambre de Commerce américaine, cette célèbre organisation européenne, n’aimait pas cette version et a souhaité la changer en :

Une personne concernée par la collecte des données (NdT : a data subject) ne doit pas faire l’objet d’une décision injuste ou discriminatoire uniquement basée sur le traitement automatisé ayant pour but l’évaluation de certains aspects personnels liés à cette personne.

Ce qui est sensiblement différent car on supprime ici un droit important.

Or quel texte a été proposé par des députés européens dans pas moins de trois commissions ? Le voici :

Une personne concernée par la collecte des données ne doit pas faire l’objet d’une décision injuste ou discriminatoire uniquement basée sur le traitement automatisé ayant pour but l’évaluation de certains aspects personnels liés à cette personne.

Ce qui correspond donc mot pour mot à la demande de la Chambre de Commerce américaine.

Voici un exemple explicite, issu d’une section extrêmement récente, rédigée par des députés européens, on peut y lire ce qui suit :

La personne responsable est supposée avoir accompli les obligations en exergue dans le paragraphe 1,lorsqu’il s’agit de choisir un organisme certifié de manière autonome ou ayant obtenu une certification, un sceau ou marqué comme étant conforme aux articles 38 ou 39 de ce Réglement, démontrant l’implémentation de normes techniques et de mesures organisationnelles appropriées en réponse aux exigences mises en exergue dans ce Règlement.

Ce qui rend la certification autonome quasiment suffisante pour les services de cloud computing. Alors, d’où vient ce texte sinon d’une modification précise suggérée par Amazon ?

La personne responsable est supposée avoir accompli les obligations en exergue dans le paragraphe 1,lorsqu’il s’agît de choisir un organisme certifié de manière autonome ou ayant obtenu une certification, un sceau ou marqué, démontrant l’implémentation de normes techniques et de mesures organisationnelles appropriées en réponse aux exigences mises en exergue dans ce Règlement.

Ce qui donc, par une autre extraordinaire coïncidence, est quasiment identique à ce que des députés européens ont choisi comme une très bonne idée.

LobbyPlag fournit une analyse intéressante sur le pourcentage d’amendements proposés avec du contenu repris des lobbyistes. Ci-dessous les chiffres pour les députés anglais calculés par le site :

  • Giles Chichester (giles.chichester@europarl.europa.eu): amendements repris des lobbys : 10 sur 44 (22.73%)
  • Malcolm Harbour (malcolm.harbour@europarl.europa.eu): amendements repris des lobbys : 14 sur 55 (25.45%)
  • Sajjid Karim (sajjad.karim@europarl.europa.eu): amendements repris des lobbys : 13 sur 55 (23.64%)
  • Emma McClarkin (emma.mcclarkin@europarl.europa.eu): amendements repris des lobbys : 1 sur 8 (12.50%)

Malheureusement, à l’heure actuelle, aucun de ces députés européens ne me représente donc je ne pourrais pas les contacter. Mais si l’un de vos députés apparaît, ils ont le devoir de vous répondre donc peut-être que vous devriez leur envoyer un courriel et leur demander pourquoi ils ont proposé ces amendements qui sont repris mot-à-mot ou presque d’entreprises américaines et de lobbyistes et que cela nuira à la population européenne tout en bénéficient à ces mêmes entreprises américaines.

Vous pourriez leur demander qui ils pensent représenter réellement : vous et 500 millions citoyens européens dont les impôts paient leurs salaire, qui s’élève actuellement à 80.000 £ par an (NdT : 93 000 € environ) ou alors, une poignée d’entreprises américaines ayant pour but de nous spolier notre vie privée pour pouvoir devenir encore plus riche ?

Si jamais vous recevez un réponse intéressante, merci de me l’envoyer à glyn.moody(AT)gmail.com que je puisse la partager avec mes lecteurs. Je suis certain que les explications seront passionnantes.

Crédit photo : European People’s Party (Creative Commons By)




Les Noénautes reviennent avec un livre encore plus libre ! (et un appel à soutien)

Nous ne pouvons plus vous le cacher. Nous vous devons la vérité.

Le romancier Pouhiou, de sinistre mémoire, ne laissera aucun droit d’auteur à sa succession ! Ses petits-petits-enfants maudiront cet arrière-arrière-grand-père qui ne leur aura pas laissé son œuvre en lucratif héritage, et ils baisseront la tête, honteux de revenir à pied de l’école virtuelle quand ils croiseront les petits-petits-enfants de Marc Levy en limousine holodynamique…

Pourquoi ? Parce que cet iconoclaste a décidé de directement placer ses livres dans le domaine public grâce à la licence CC-0. Il pousse d’ailleurs l’effronterie jusqu’à nous demander notre soutien pour accompagner la sortie du livre II du cycle des NoéNautes.

Ne répondez surtout pas à sa pernicieuse invitation, vous risqueriez d’être complice de dangereux criminels de la trempe d’Aaron Swartz !

Voyez dans cette interview de quelles fallacieuses diaprures il revêt ses noirs desseins… On vous aura prévenus.

Pouhiou sur Ulule

Alors ça y est, tu as déjà fini un deuxième tome ? C’est un vrai roman-feuilleton ton truc, et tu comptes aller jusqu’où au juste ? Une comédie musicale à Bercy ?

Quand comme moi on télécharge chaque année les Tommy awards, c’est Broadway sinon rien ! Pour les NoéNautes, j’ai été clair dès le début : Huit livres sont prévus. Huit livres de huit chapitres, chacun correspondant à un des 64 hexagrammes du yi-king (un des plus vieux livres au monde). Mais je t’avoue qu’après deux romans en un an, je crois que je vais me faire une pause… et écrire les trois pièces de théâtre qui me trottent dans la tête !

C’est bien joli tes histoires de noétie mais moi ce qui m’intéresse c’est qu’il y ait là-dedans un peu de sexe, de drogue et de rock’n roll. Est-ce qu’on en trouve dans MonOrchide(1) ?

Tu sais que je ne l’avais pas envisagé comme ça ? Mais nom de Zeus, c’est vrai ! Ce sont même des éléments essentiels de #MonOrchide. Le sexe, débridé, pluriel, polyamoureux, va être un levier important dans la narration… comme il peut l’être dans l’histoire de nos vies, note bien ! Quant à la drogue et au Rock’N’Roll, ils apparaissent avec de nouveaux personnages… Donc je garde le secret. Disons que qui a lu mes pièces de théâtre risque d’avoir de belles surprises !


C’est quoi cette histoire de souscription ? J’y comprends rien. Tu veux qu’on envoie des sous pour que d’autres n’aient pas à payer pour le bouquin ? Donc faut que je paie pour que les autres aient un livre gratuit, j’ai bon ?

Tu as tout bon. Il y a un adage qui dit « si c’est gratuit, c’est toi le produit ». La croyance générale est qu’il faut se méfier du gratuit. Que cela dévalorise l’art, la culture. Alors que ça ne fait que déprécier les marchandises, et pleurer les commerçants… L’idée, c’est de s’amuser autour de la « loi prisunic », imposant un prix unique au livre en France. Le prix des framabooks tient compte de toute une chaîne de distribution (stockage, distribution, librairie, etc.) Pour la souscription, on est en circuit court. Les livres iront directement de moi à toi, sans avoir à payer d’intermédiaires. Mais on est légalement tenus de conserver ce tarif de 22 €… Alors au lieu de s’en mettre plein les poches, on va prendre tous ces bénéfices, faire de jolis livres du tome 1, et les offrir à des curieux, des intéressées et autres bouquinovores. On aime tous partager un bon bouquin. L’emprunter gratuitement dans une bibliothèque, ou sur l’étagère d’un ami. Ce roman est d’autant plus précieux qu’il nous a été donné. Le principe de cette souscription est le même. Nos efforts collectifs ajoutent de la valeur à ce geste gratuit.


Ils sont marrants tes personnages (enfin certains font un peu peur hein). Mais bon, dans quel volume tu vas introduire (hum en tout bien tout honneur) un épicier tunisien, un cheminot à la retraite, une opératrice de centre d’appel, un lycéen rimbaudmane (oui je sais les rimbaudlogues disent rimbaldien), une chasseuse de palourdes… ?

On a déjà une concierge geekette et une jeune fille élevée dans une ferme ostréicole, je te ferais dire ! Alors bien entendu, les héros des deux premiers tomes tiennent plus du cadre que du prolo… Mais ça n’augure rien quant à la suite ! Je t’avoue que ces personnages sont en train de prendre un relief et une vie toute particulière. Je pense que les histoires et les personnalités vont s’étoffer et se multiplier au fil des volumes. À ce titre, le livre III en surprendra plus d’un !


Tu assures vachement bien la comm et la promo tes bouquins, mais l’énergie et le temps que tu y passes ne nuisent pas au temps d’écriture ?

Merci, et : OUI. Là, je devrais être en train de corriger et d’annoter les épisodes du chapitre 8 pour que l’équipe Framabook puisse travailler dessus. Mais non, je communique. Cela fait partie du travail. J’ai appris ça quand je faisais le comédien. Pour jouer mes pièces, j’ai téléphoné, tracté, fait des sites web, harcelé, pondu des dossiers, couru premières et vernissages, affiché… La plupart de mes amis artistes (chansonniers, comédiennes, auteurs, metteuses en scène, etc.) font ça, peu ont les moyens de déléguer ce genre de choses… Ce n’est pas plus mal. D’une part cela entraîne à parler de ce que l’on fait, à le défendre et à le diffuser… Et d’autre part ça ancre dans la réalité. Sauf dans mon cas, où si je ne trouve pas de boulot très vite, la réalité va venir me faire payer l’ardoise avec ses intérêts ;p !


Est-ce que tu vas bientôt arrêter de te prétendre « déjanté » ? C’est devenu une vraie tarte à la crème. Tu devrais demander à tes fidèles habitués du blog quels adjectifs correspondent le mieux à ta saga. Je propose une première série :

  • capricant
  • invertébré
  • supraconducteur
  • callipyge
  • caustique
  • métadiabolique
  • orchifrage

Tiens, un sondage pour voir

Je supprime invertébré (les huîtres c’est le mâââl !) et j’ajoute chalambré, parce que ce mot n’existe pas et qu’il devrait exister. Et OK : chiche ! Tu lances le sondage sur le framablog ? Si une solution remporte plus de 88 votes, quelle qu’elle soit, je l’utiliserai. Foi de Pouhiou !

— merci Pouhiou à la prochaine !

Pour s’y retrouver :

(1) Un titre vaguement graveleux, voyez l’étymologie. Ce Pouhiou ne recule devant rien. Mais il se ferme les portes du vertueux Appstore, le bougre.




La promesse de Firefox OS

La promesse du système d’exploitation mobile libre Firefox OS réside moins dans Firefox OS lui-même que dans le parti pris Web (et ouvert) de ses applications.

C’est d’ailleurs plus qu’une promesse : c’est un défi et une nécessité si l’on souhaite conserver ici comme ailleurs l’ouverture et la liberté.

Un billet un peu technique, mais s’il peut contribuer à ce que les développeurs (et utilisateurs) d’applications mobiles se posent de bonnes questions…

Rob Hawkes - CC by-sa

La promesse de Firefox OS

The promise of Firefox OS

Sergi Mansilla – 9 février – Blog personnel
(Traduction : + anonymes)

« Mais comment va t-il faire pour battre Android ou iOS ? »

C’est la réaction qu’ont beaucoup de personnes quand je leur dis que je travaille sur Firefox OS, le nouveau système d’exploitation mobile de Mozilla. C’est une réaction logique. Après tout, nous vivons une période où toutes les grandes entreprises informatiques n’ont qu’un mot à la bouche : sortir un système mobile tout en s’efforçant d’attirer les développeurs pour qu’ils utilisent leur nouvel écosystème propriétaire, les APIS, les bibliothèques, etc. Et en effet, bon nombre de ces entreprises réussissent un peu, voire pas du tout.

Mais Firefox ne se battra pas directement contre les autres plateformes mobiles. Son objectif principal est de modifier la manière dont sont développées les applications mobiles, et même dans la triste éventualité où Firefox OS disparaîtrait durant le processus, si les web-apps devenaient dominantes sur le marché, ce sera un succès.

Le fait que n’importe quel site web puisse devenir une application ne doit pas être sous-estimé. En utilisant des technologies flexibles et populaires comme HTML5, CSS3 et javascript, Firefox OS a promu instantanément des millions de développeurs web et javascript en développeurs d’applications. Tout ce qu’ils ont à faire est de télécharger un module complémentaire de simulation gratuit (et ce n’est même pas nécessaire si votre application n’utilise pas les API des téléphones). Les développeurs connaissent déjà l’environnement du navigateur et ses outils, et il ne leur est pas nécessaire d’apprendre un nouveau langage ou une nouvelle architecture.

Je vous entends déjà. Juste quand vous veniez d’en finir avec le bazar que suppose la manipulation de DOM et de ce sournois de JavaScript. Juste quand vous aviez appris à aimer les classes et gestionnaires d’Android tellement hiérarchisés ou la magnifique méthode de nommage d’iOS, pourquoi retourneriez-vous au désordre qu’est l’écriture des applications web ? N’étions-nous pas d’accord pour dire que le HTML n’était pas, après tout, assez bien pour faire de vraies applications performantes ?

Bon, ça a peut-être été vrai il y a quelque temps, mais nous vivons désormais dans un monde meilleur. Pour que les développeurs conçoivent des applications web robustes et réellement fonctionnelles, plusieurs approches sont possibles, via des architectures de grande qualité. Chez Telenor/Comoyo, où je travaille, nous nous penchons sur l’utilisation de l’architecture AngularJS pour construire nos applications, néanmoins il existe de multiples architectures fiables et bien conçues qui s’appuient sur des années d’expérience dans le domaine du développement d’applications. Et si vous considérez que vous avez un problème avec JavaScript en tant que langage, vous pouvez d’ores et déjà utiliser une myriade de langages qui le compilent de manière fiable. Vous avez l’habitude de travailler avec Java ? Vous allez probablement apprécier Dart, de Google. Vous avez un style plus “fonctionnel” ? Pourquoi ne pas essayer ClojureScript qui est une implémentation de Clojure s’appuyant sur du JavaScript, qui est impressionnante, vraiment bien documentée et vraiment bien maintenue. Vous utilisez Ruby ? Vous vous sentirez comme à la maison avec CoffeeScript. Vous voyez ce que je veux dire[1].

Alors que d’autres constructeurs comme Blackberry fournissent eux aussi des moyens de développer des applications en HTML5 pour leurs systèmes, Mozilla va plus loin en encourageant la standardisation de la WebAPI par le W3C, garantissant ainsi que votre application fonctionnera sur n’importe quel appareil respectant le standard WebAPI.

À mon humble avis, cela rend les choses plus claires dans ce casse-tête qu’est devenu le développement pour appareils mobiles, pour lequel le développeur doit connaître plusieurs langages, architectures et APIs, sans oublier de payer des frais, dans certains cas, pour créer des applis. Cela ressemble à un grand pas en arrière de la philosophie actuelle de l’open web vers les années 90 infestées de verrous payants mais avec la bonne musique en moins.

Mozilla a fait ses preuves en tant que protecteur du web, et ses utilisateurs lui font confiance. Par le passé, l’entreprise a joué un rôle important dans l’initiation d’un mouvement pour de meilleurs standards web auquel se sont rattachés des navigateurs comme Chrome, contribuant à un web meilleur, plus rapide et plus accessible pour chacun. Nous devrions nous efforcer d’en faire de même pour ce qui est des environnements mobiles. Moins de remparts, plus de standards et d’ouverture.

Telle est la promesse faite par Firefox OS.

Crédit photo : Rob Hawkes (Creative Commons By-Sa)

Notes

[1] Après hein, ça ne vous fera pas de mal d’apprendre un peu de JS pour savoir ce qu’il y a sous le capot, parce qu’après tout, c’est un langage puissant qui le sera encore plus avec la sortie d’ES6.




Aaron Swartz n’était pas un hacker solitaire mais le membre d’une armée

Nous ne sommes pas des criminels et nous sommes de plus en plus nombreux à rejoindre les rangs de l’armée d’Aaron Swartz.

Le 24 janvier dernier s’est déroulée une émouvante cérémonie à la mémoire d’Aaron Swartz, dans ce lieu hautement symbolique qu’est l’église de San Francisco qui abrite l’Internet Archive.

Parmi les personnalités qui se sont succédées, il y eut ainsi sa fiancée Taren Stinebrickner-Kauffman, le fondateur d’Internet Archive Brewster Kahle ( allocution remarquée par Calimaq qui en a fait un billet dédié) et son ami Carl_Malamud, fondateur de Public.Resource.org.

C’est cette dernière intervention que nous vous proposons traduite ci-dessous (disponible ici en vidéo).

« J’aimerais que nous puissions changer le passé, mais c’est impossible. Par contre, nous pouvons changer le futur, et nous le devons. »

Open Knowledge Foundation - CC by-sa

L’armée d’Aaron

Aaron’s Army

Carl Malamud – 24 janvier 2013 – PublicRessource.org
(Traduction : brandelune, aKa, Lamessen, KoS, Pouhiou, Garburst, Luc, Tr4sK, Astalaseven)

Ne croyez pas un instant que le travail d’Aaron sur JSTOR était l’acte incohérent d’un hacker solitaire, un peu fou, un téléchargement massif un peu dingue décidé sur un coup de tête.

Depuis longtemps, JSTOR a fait l’objet de critiques cinglantes de la part du net. Dans une conférence, Larry Lessig a qualifié JSTOR d’outrage à la morale et je dois vous avouer qu’il me citait. Nous n’étions pas les seuls à attiser ces flammes.

Emprisonner la connaissance derrière des péages, en rendant les journaux scientifiques accessibles uniquement à quelques gamins suffisamment fortunés pour aller dans des universités de luxe et en demandant vingt dollars par article pour le reste d’entre nous, était une plaie purulente qui choquait beaucoup de gens.

De nombreux auteurs de ces articles furent gênés que leur travail soit devenu la marge de profit de quelqu’un, un club privé du savoir réservé à ses adhérents.

Beaucoup d’entre nous ont aidé à attiser ce feu. Beaucoup d’entre nous s’en sentent coupables, aujourd’hui.

Mais JSTOR n’était qu’une des nombreuses batailles. On a essayé de dépeindre Aaron comme un hacker solitaire, un jeune terroriste à l’origine d’un carnage numérique qui fit 92 millions de dollars de dégâts.

Aaron n’était pas un loup solitaire, il faisait partie d’une armée, et j’ai eu l’honneur de m’engager à ses côtés pendant une décennie. De nombreuses choses ont été dites sur sa vie hors du commun, mais ce soir je ne parlerai que d’un aspect de celle-ci.

Aaron faisait partie d’une armée de citoyens qui pensent que la démocratie ne fonctionne que si les citoyens sont informés, s’ils connaissent leurs droits et leurs devoirs. Une armée qui estime que nous devons rendre la justice et le savoir accessibles à tous, et pas uniquement à ceux qui sont bien nés ou qui ont saisi les rênes du pouvoir, afin que nous puissions nous gouverner de manière plus éclairée.

Aaron faisait partie d’une armée de citoyens qui rejette les rois et les généraux et qui croit au consensus général et à son application pratique immédiate.

Nous avons travaillé ensemble sur une douzaine de bases de données gouvernementales. Lorsque nous travaillions sur quelque chose, les décisions n’étaient pas irréfléchies. Notre travail prenait souvent des mois, parfois des années, parfois même une décennie, mais Aaron Swartz n’a pas eu droit à sa part de décennies.

Longtemps, nous avons observé et bidouillé la base de donnée du droit d’auteur américain, un système si vieux qu’il utilisait encore WAIS. Le gouvernement , croyez-le ou non, avait revendiqué le droit d’auteur sur cette base de données du droit d’auteur. Il m’est impossible de concevoir qu’il puisse y avoir des droits d’auteur sur une base de données qui découle directement de la constitution des États-Unis, mais nous savions que nous jouions avec le feu en enfreignant les clauses d’utilisations. Nous étions donc très attentifs.

Nous avons récupéré ces données. Elles ont été utilisées pour alimenter l’Open Library d’Internet Archive ainsi que Google Books. Puis, nous avons reçu une lettre du Bureau du droit d’auteur indiquant qu’il abandonnait son droit d’auteur sur cette base de données. Mais avant cela, nous avons dû consulter de nombreux avocats par crainte que le gouvernement nous traîne devant les tribunaux pour téléchargement massif, malveillant et prémédité.

Ce n’était pas une agression irréfléchie. Nous travaillions sur les bases de données pour les améliorer, pour aider au fonctionnement de notre démocratie, pour aider notre gouvernement. Nous n’étions pas des criminels.

Lorsque nous avons libéré 20 millions de pages de documents de l’U.S District Court de leur péage à 8 cents par page, nous avons découvert que ces fichiers publics étaient infestés d’atteintes à la vie privée : noms de mineurs, noms d’informateurs, dossiers médicaux, dossiers psychiatriques, rapports financiers, des dizaines de milliers de numéros de sécurité sociale.

Nous étions des lanceurs d’alerte et nous avons transmis nos résultats aux juges en chef de 31 cours de justice de district et ces juges ont été choqués, consternés. Ils ont modifié ces documents puis ont incendié les avocats qui les avaient remplis. Finalement, la Conférence judiciaire a changé ses règles de respect de la vie privée.

Mais savez-vous ce qu’ont fait les bureaucrates qui dirigent le Bureau Administratif de la Cour des États-Unis ? Pour eux, nous n’étions pas des citoyens ayant amélioré les données publiques, nous étions des voleurs qui les privions d’1,6 millions de dollars.

Ils ont donc appelé le FBI et ont dit qu’ils avaient été hackés par des criminels, une bande organisée qui mettait en péril leur revenu de 120 millions de dollars provenant de la vente de documents publics du gouvernement.

Le FBI s’est installé devant la maison d’Aaron. Il l’ont appelé et ont essayé de le piéger pour qu’il les rencontre sans son avocat. Le FBI a installé deux agents armés dans une salle d’interrogatoire avec moi pour nous faire avouer les dessous de cette conspiration présumée.

Mais nous n’étions pas des criminels, nous étions seulement des citoyens.

Nous n’avons rien fait de mal. Ils n’ont rien trouvé. Nous avions fait notre devoir de citoyen et l’enquête du gouvernement n’a rien trouvé de répréhensible mais ce fut une perte de temps et d’argent.

Si vous voulez faire peur, faites asseoir quelqu’un avec deux agents fédéraux pendant un moment et vous verrez la vitesse à laquelle son sang se glace.

Il y a des gens qui affrontent le danger tous les jours pour nous protéger — les policiers, les pompiers et les services d’urgence — je leur en suis reconnaissant et je suis ébahi par ce qu’ils font. Mais le travail des gens comme Aaron et moi, faire des DVD et faire tourner des scripts shell sur des documents publics, ne devrait pas être une profession dangereuse.

Nous n’étions pas des criminels, mais des crimes furent commis, des crimes contre l’idée même de la justice.

Quand la procureure fédérale a dit à Aaron qu’il devrait plaider coupable de treize crimes pour avoir tenté de propager le savoir avant qu’elle ne puisse envisager de négocier sa peine, c’était un abus de pouvoir, une utilisation frauduleuse du système de justice criminelle, un crime contre la justice.

Et la procureure fédérale n’a pas agi seule. Elle fait partie d’un groupe dont l’intention est de protéger la propriété, pas les gens. Tous les jours, partout aux États-Unis, des démunis n’ont pas accès à la justice et sont confrontés à ces abus de pouvoir.

C’était un crime contre le savoir qu’une organisation à but non lucratif telle que JSTOR transforme un téléchargement qui n’a causé aucun préjudice ni dommage, en une procédure fédérale de 92 millions de dollars.

Et le monopole de JSTOR sur la connaissance n’est pas unique. Partout aux États-Unis, des sociétés ont planté leurs griffes sur les champs de l’éducation : universités privées qui volent nos vétérans, organismes de normalisation à but non lucratif qui rationnent les codes de sécurité publique alors qu’ils payent des salaires d’un million de dollars, et les conglomérats multinationaux qui évaluent la valeur des articles scientifiques et des documents juridiques à l’aune de leur marge brute.

Dans le procès JSTOR, la position plus qu’agressive des procureurs du Département de la Justice et des agents de la force publique était-elle une vengeance liée à l’embarras de nous avoir vu nous tirer à bon compte, en tout cas à leur yeux, de l’affaire du PACER ? Est-ce que la poursuite sans merci de JSTOR était la revanche de bureaucrates embarrassés d’avoir été ridiculisés dans le New York Times, d’avoir reçu un blâme du Sénat ?

Nous n’aurons probablement jamais la réponse à cette question, mais il semble certain qu’ils ont détruit la vie d’un jeune homme par simple abus de pouvoir. Ce n’était pas une question criminelle, Aaron n’était pas un criminel.

Si vous pensez posséder quelque chose et si je pense que ce bien est public, il me semble juste de vous voir au tribunal. Si vous avez raison et que je vous ai fait du tort, je prendrais mes responsabilités. Mais quand nous retournons le bras armé de la Loi contre les citoyens qui contribuent à accroître l’accès à la connaissance, nous brisons l’esprit de la loi, nous profanons le temple de la justice.

Aaron Swartz n’était pas un criminel. C’était un citoyen et un soldat courageux dans une guerre qui continue aujourd’hui, une guerre dans laquelle des profiteurs corrompus et vénaux essayent de voler, de profiter, d’assécher notre domaine public au profit de leurs gains privés.

Quand des gens essaient de restreindre l’accès à la loi, ou qu’ils essaient de collecter des droits de péage sur les routes du savoir, ou refusent l’éducation à ceux qui n’ont pas de moyens, c’est eux qui devraient subir le regard sévère d’un procureur outragé.

Ce que le Département de la justice a fait endurer à Aaron pour avoir essayé de rendre notre monde meilleur, ils peuvent vous l’infliger. Notre armée n’est pas réduite à un loup solitaire, elle est forte de milliers de citoyens, beaucoup d’entre vous dans cette pièce, qui se battent pour la justice et le savoir.

J’affirme que nous sommes une armée, et je mesure bien l’usage de ce mot car nous affrontons des personnes qui veulent nous emprisonner pour avoir téléchargé une base de données afin de l’examiner de plus près, nous affrontons des personnes qui croient qu’ils peuvent nous dire ce que nous pouvons lire et ce que nous pouvons dire.

Mais quand je vois notre armée, je vois une armée qui crée au lieu de détruire. Je vois l’armée du Mahatma Gandhi marchant pacifiquement vers la mer pour récolter du sel pour les gens. Je vois l’armée de Martin Luther King marchant pacifiquement mais avec détermination sur Washington pour réclamer ses droits, car le changement ne coule pas de source, il provient de luttes continues.

Quand je vois notre armée, je vois l’armée qui crée de nouvelles opportunités pour les pauvres, une armée qui rend notre société plus juste et plus égalitaire, une armée qui rend le savoir universel.

Quand je vois notre armée, je vois les gens qui ont créé Wikipédia et l’Internet Archive. Je vois ceux qui ont programmé GNU, Apache, BIND et Linux. Je vois ceux qui ont fait l’EFF et les Creative Commons. Je vois les gens qui ont créé notre internet en tant que cadeau au monde.

Quand je vois notre armée, je vois Aaron Swartz et j’ai le cœur brisé. Nous avons vraiment perdu l’un de nos anges gardiens.

J’aimerais que nous puissions changer le passé, mais c’est impossible. Par contre, nous pouvons changer le futur, et nous le devons.

Nous le devons à Aaron, nous nous le devons à nous-mêmes, nous le devons pour rendre notre monde meilleur, en faire un lieu plus humain, un endroit où la justice fonctionne et où l’accès à la connaissance est un droit de l’Homme.

Crédit photo : Open Knowledge Foundation (Creative Commons By)