Des ponts entre les hommes (Libres conseils 42/42)

Voici traduit en français le dernier épisode du recueil de conseils OpenAdvice, Notre expérience collaborative sur le pads de traduction s’est avérée un marathon (presque 42 kilomètres aussi) parcouru quelquefois au grand galop par une quasi-centaine de relayeurs. Merci à tous ceux qui sont passés parfois pour risquer un mot ou une phrase, parfois pour dévorer des paragraphes entiers, voire pour devenir des habitués indispensables d’une séance à l’autre.

L’aventure toutefois n’est pas terminée, des membres de Framalang vont maintenant réviser l’ensemble des traductions réunies sur la plateforme Booktype, et préparer un .PDF qui sera lui-même révisé avant le Framabook qui devrait paraître… quand il sera prêt.

Il est un peu tôt pour annoncer les dates avec certitude, mais Paris en mai et Bruxelles en juillet auront la primeur de la publication. Restez tunés !

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Traduction Framalang : Ouve, Julius22, Sphinx, AC!63, jcr83, goofy, peupleLà, merlin8282, Sinma, tcit, SaSha_01, lamessen, Sky, jpierre03

Lancer des ponts

Shane Coughlan

Shane Coughlan est un expert en méthodes de communication et en développement d’affaires. Il est surtout connu pour créer des passerelles entre les différentes parties, commerciales et non commerciales, dans le secteur des technologies. Au plan professionnel il a œuvré avec succès pour la création d’un département juridique pour la Free Software Foundation Europe (FSFE), la principale organisation non gouvernementale pour la promotion du logiciel libre en Europe. Il a également contribué à l’établissement d’un réseau professionnel de plus de 270 experts juridiques et techniques à travers 27 pays, à la fondation d’un projet d’outil de conformité de code binaire. Il a travaillé à rapprocher intérêts privés et communautaires pour le lancement du premier examen critique d’une loi dédiée au logiciel libre et open source. Shane a une connaissance étendue des technologies de l’Internet, des bonnes pratiques de gestion, de la construction de communautés et du logiciel libre et open source.

Lorsque j’ai commencé à travailler dans le logiciel libre, j’ai été frappé par ce qui était perçu comme une différence entre les parties prenantes « communautaires » et « commerciales » dans ce domaine. Selon l’opinion largement admise à l’époque, les développeurs s’intéressaient au bidouillage du code  et les commerciaux utilisaient leur travail de manière contestable s’ils n’étaient pas surveillés de près. C’était une supposition relativement infondée et presque entièrement défendue par des gens qui s’identifiaient à la communauté plutôt qu’à ceux qui se préoccupaient davantage des intérêts commerciaux. Mais elle était très répandue.

Bien que je sois principalement associé à la partie communautaire des choses, j’ai résisté à l’idée selon laquelle il y aurait deux camps intrinsèquement ennemis se faisant face à propos de l’avenir du logiciel libre. Cela semblait trop simple pour décrire les dynamiques de contribution, d’utilisation et de support comme une interaction entre les nobles créateurs et les sournois téléchargeurs de gratuit. Cela semblait en effet plus être une situation dans laquelle la complexité, les changements et l’incertitude avaient conduit à la création de récits simplistes destinés à rassurer un peu ceux qui sortaient de leur position confortable. Je pouvais ressentir la tension ambiante, entendre les querelles autour des stands lors des rencontres et les commentaires acerbes ou bien les montées en pression dans les conférences. Mais que signifiait tout cela ?

Que nous parlions de contribution à des projets de logiciels libres, de gestion de projet ou de respect des licences, les relations entre les parties prenantes s’accompagnaient souvent de préjugés, d’un manque de communication et d’émotions négatives. Ceci conduisait ensuite à une plus grande complexité, à une augmentation proportionnelle de la difficulté à prendre des décisions unifiées ainsi qu’à résoudre les problèmes. Je savais que l’un des plus grands défis était de jeter des ponts entre les individus, les projets et les entreprises. C’est une étape nécessaire pour assurer une compréhension commune et une communication croisée des règles, des normes et des raisons qui sous-tendent les licences et autres mesures officielles qui régissent ce domaine. Mais le savoir ne suffit pas à trouver le moyen de s’attaquer efficacement au problème.

C’était la période charnière où la GPLv3 était en cours de rédaction. Les technologies fondées sur Linux commençaient à apparaître dans toutes sortes de produits électroniques grand public et le logiciel libre était sur le point de se démocratiser. Il y avait du changement dans l’air et les investissements commerciaux autour des principaux projets de logiciel libre atteignaient des sommets. Tout à coup, on voyait des employés de grandes entreprises s’atteler à des tâches complexes, on avait des fonds importants pour les événements. De nombreux logiciels cessaient d’être une simple question de plaisir et commençaient à connaître les jalons, les livrables, l’assurance qualité et l’ergonomie.

Ce fut probablement un sérieux bouleversement pour ceux qui réalisaient du logiciel libre depuis longtemps : la majeure partie de l’évolution du logiciel libre ne concernait pas seulement l’exploration et la perfection technique, mais aussi l’interaction sociale. C’était un bon moyen pour des gens intelligents bien que parfois bizarres de partager un intérêt commun, de se lancer des défis et de coopérer au sein de projets bien définis et prévisibles. Tout comme collectionner des timbres, compter les trains ou connaître (par coeur) l’univers de Star Trek, c’était quelque chose qui fédérait des gens avec des centres d’intérêt bien particuliers en leur offrant de surcroît le bénéfice d’une agréable socialisation. Les premiers contributeurs ne s’attendaient sûrement pas à rencontrer là des cadres moyens et un développement orienté vers le volume de production. Pas étonnant que certains s’y soient cassé le nez.

Et pourtant… Tout s’est bien passé. Le logiciel libre est partout et sa position paraît être inexpugnable en tant que composant majeur de l’industrie des technologies de l’information. Des projets comme le noyau Linux ou le serveur Web Apache ont continué à se développer, à innover et à attirer de nouvelles parties prenantes, tant commerciales que non commerciales. L’équilibre des pouvoirs entre les individus, les projets et les entreprises a changé, parfois avec des conflits et des perturbations, mais jamais au détriment d’une coopération sur le long terme, ni en portant préjudice aux valeurs fondamentales du logiciel libre.

De mon point de vue, dans le domaine juridique — qui n’est après tout qu’un langage formel qui fournit un contexte pour l’interaction au travers de règles mutuellement comprises et applicables — la tension dans le logiciel libre ne s’est pas formée avec l’introduction d’une activité commerciale accrue, ni avec la participation grandissante d’employés dans des projets, ni avec le changement lui-même. Le vrai problème réside dans l’écart entre une élite précédente en perte de vitesse et de nouveaux venus parfois très différents.

Le défi était de créer un terrain de jeu équitable où les différents intérêts pourraient coexister dans un respect mutuel. Le logiciel libre devait devenir un point de rencontre où n’importe qui pouvait à tout moment obtenir des informations comme les compétences appropriées, les obligations d’une licence ou les pré-requis pour la soumission de code à un projet. La subjectivité et l’imprécision devaient être mises de côté pour permettre l’émergence de transactions plus formelles, ce qui agit alors comme le précurseur essentiel d’une forte activité économique, en particulier dans le contexte d’une communauté internationale voire mondiale.

Ce qui a fonctionné dans les premiers jours — qu’il s’agisse de la confiance de quelques-uns ou de l’entente mutuelle d’un groupe homogène ayant des intérêts communs — ne pouvait plus agir en tant que facteur social ou économique pour l’avenir du domaine. Parfois, il semblait que c’était une barrière insurmontable et que les tensions entre les contributeurs de longue date au logiciel libre et les nouveaux acteurs devaient conduire à un effondrement de la coopération et, peut-être, à celui des progrès accomplis. Mais un résultat aussi sombre supposait des conditions qui n’existaient tout simplement pas.

Le logiciel libre a apporté beaucoup de choses à des tas de personnes et d’organisations, en se fondant sur quelques concepts très simples comme la liberté d’utiliser, de modifier, d’améliorer et de partager la technologie. Ces concepts ont permis beaucoup de flexibilité. Et tant que les gens reconnaissaient leur valeur et continuaient à les respecter, les conflits portants sur des points secondaires comme la gouvernance ou les zones d’ombre des licences étaient plutôt sans importance — à long terme. Le reste est principalement du bruit. Les communications habituelles sont dérangées par tous ces pièges dramatiques qui arrivent inévitablement lorsqu’un groupe social est rejoint par un autre. Cela s’applique à toutes les discussions, que l’on parle d’un coin de pêche, d’un pays accueillant (ou non) les immigrants ou de deux entreprises fusionnant.

Les changements au sein du logiciel libre semblaient tous un peu confus à l’époque, mais ils se décomposent principalement en trois leçons utiles qui seront familières aux étudiants d’histoire ou de sciences politiques. Premièrement, chaque fois qu’il existe une élite, elle cherchera à préserver son statut et parlera du conflit perçu comme une évolution négative dans le but de l’ébranler. Deuxièmement, malgré la tendance inhérente de chaque base de pouvoir à être conservatrice, la participation statique dans un domaine en évolution aura pour seul effet de déplacer la possibilité d’une amélioration des parties existantes vers de tierces parties. Enfin, si quelque chose a de la valeur, alors les difficultés rencontrées en matière de gouvernance sont peu susceptibles de porter atteinte à cette valeur, mais fourniront au contraire une méthode pour redéfinir à la fois les mécanismes de gouvernance et les personnes en mesure de les appliquer.

Le développement du logiciel libre en tant que technologie démocratisée a connu une professionnalisation croissante parmi les développeurs comme dans la gestion de projets. Nous avons aussi vu s’accroître le respect envers les licences de la part des individus, des projets et des entreprises. Ce ne fut pas une mauvaise chose, et malgré quelques moments houleux le long du chemin — que l’on peut choisir parmi les querelles inter-communautaires, les entreprises qui ne tiennent pas compte des termes des licences ou l’agacement causé par un éloignement de l’esprit décontracté habituel — notre position en est consolidée, plus cohérente et de plus grande valeur.




Commons & Knowledge : l’avenir selon Framasoft

Les lecteurs assidus du Framablog le voient bien, Framasoft est en pleine mutation.

De nouveaux projets viennent régulièrement enrichir la galaxie Frama, afin d’amener un public toujours plus large à plus de liberté d’utilisation dans l’univers numérique. Des projets qui nécessitaient des moyens à la hauteur de nos ambitions. Ces moyens, vous le savez bien, nous avons jusqu’à présent peiné à les trouver, d’où les campagnes d’appels aux dons qui pouvaient susciter la controverse. Il nous a fallu des mois d’inventivité et d’ouverture d’esprit afin de trouver le partenaire idéal d’un développement durable..

Aujourd’hui, l’association Framasoft est fière d’annoncer l’aube d’une nouvelle ère, le début d’un projet de grande envergure nommé « Commons & Knowledge ». Mais laissons à Christophe Masutti, notre Président, le soin de tout vous dévoiler de l’avenir selon Framasoft.

Framablog : Christophe, explique-nous de quels besoins est né le projet Commons & Knowledge ?

Christophe Masutti : Le logiciel libre a fait ses preuves. Il est vrai que Framasoft s’adresse d’abord à un large public. On ne peut donc continuer à proposer des logiciels difficiles d’accès et dont l’efficacité dépend surtout de la bonne volonté de quelques jeunes passionnés dans leurs chambres d’étudiants. Nous devons avant tout au public des garanties de fiabilité et de sécurité.

F : C’est évident. Mais qui, dans notre communauté faite de bénévoles plus ou moins amateurs, est capable d’assurer de telles garanties ?

CM : Pour arriver à trouver un tel niveau d’exigence et d’excellence, nous avons dû chercher hors des sentiers battus. C’est ainsi que nous avons eu l’idée d’approcher Microsoft. Après des mois de tractations, nous pouvons fièrement annoncer qu’un partenariat privilégié sera signé dès le 15 avril 2013.

F : C’est en effet une bonne nouvelle. Mais de quel ordre sera l’apport de la firme de Redmond ? Et celui de Framasoft ?

CM : Ce partenariat permettra de voir comment il est possible d’implémenter la dynamique communautaire de Framasoft dans la base de connaissance Microsoft à destination des utilisateurs. Ce projet, intitulé C&K (Commons and Knowledge), nous permettra d’assurer l’embauche de 4 salariés : deux Community Managers, un Finance Officer et un Project Manager. Leur formation sera assurée et/ou financée par Microsoft France. Nous avons pensé avant tout à nos salariés, vu que c’est surtout grâce à leur travail que nous avons pu conclure ce partenariat en présentant de bonnes garanties. Bien entendu, c’est Alexis Kauffmann qui sera en charge des projets. Étant sur Paris, il entamera un stage de formation chez Microsoft France dès le 15 avril. Plus qu’un partenariat, c’est donc véritablement un accord gagnant-gagnant.

F : Ce sont, en effet, de gros moyens mis à notre disposition. Mais quelle est la finalité du projet C&K ?

CM : Le but est celui même qui est à la source de Framasoft, rien de moins ! L’annuaire que nous allons ainsi mettre en place comportera trois volets. Un volet Logiciels où les usages et appropriations des logiciels Microsoft – et affiliés – seront présentés et analysés sans complaisance. Un volet Culture où nous tâcherons de regrouper des données permettant aux utilisateurs de s’informer sur l’innovation logicielle. Enfin, un volet Cloud où nous présenterons toutes les solutions Cloud offertes aux professionnels comme aux particuliers, avec un accent particulier sur la sécurité des données, chiffrées et conservées sur les serveurs de notre partenaire.

F : Quid de Framapad, Framacalc, Framapack et les Framakeys ? Cela signifie-t-il la fin des projets phares de Framasoft…?

CM : Bien au contraire, ils vont se développer d’autant plus. Les milliers d’utilisateurs de nos services Cloud pourront ainsi en bénéficier dans le cadre d’activités professionnelles et associatives, un créneau largement apprécié par nos amis de Redmond. Quant au développement de nos autres produits, comme la Framakey et Framapack qui sont déjà orientés pour les utilisateurs de Windows, nous allons bénéficier de davantage de compatibilité. Encore une fois, le but est de satisfaire tous les utilisateurs, notamment en prévision du passage à Windows 8 et Windows blue. Plusieurs développeurs Microsoft remontent de multiples bugs que nous étions loin de pouvoir résoudre. Bien entendu, éviter les doublons nous permettra de mettre toute la belle énergie de nos bénévoles sur le projet C&K : nous sommes par exemple en pourparlers avec « le Café pédagogique » pour travailler en synergie avec leurs animateurs. Pourquoi poursuivre le développement de projets numériques dédiés à l’enseignement alors qu’ils assurent très bien ce rôle ?

F : En somme, c’est une révolution, non ?

CM : Oui, et même mieux : une évolution naturelle parfaitement dans la continuité de nos valeurs depuis la fondation de Framasoft . Nous sommes particulièrement fiers de ce résultat, et nous nous réjouissons d’avance de ce que nous pourrons ainsi procurer aux utilisateurs en termes d’offre de services et de connaissances.

Alexis Kaufmann dans son nouveau bureau

Alexis Kaufmann, fondateur historique de Framasoft, inaugure son nouveau bureau

Crédit photo : © Microsoft France – 2013