Des tablettes à l’école ?

Les tablettes ont le vent en poupe et il semble assez clair que leur introduction dans les milieux scolaires est en marche. Et cela, dès la maternelle, s’il vous plait… Hé oui, on aurait préféré que ceci fût un poisson d’avril. Vous me connaissez, les tablettes, ça n’a jamais été franchement mon truc. Mais alors qu’on essaie de nous faire avaler qu’il s’agit d’outils indispensables pour les écoliers… Raaaaaah !

(Notez que les exemples d’activités alternatives que je donne sont issus d’expériences personnelles, mais on aurait bien sûr pu citer d’autres outils comme le Raspberry Pi, Arduino ou encore Thymio.)

Des tablettes à l’école ?

S’il y a un truc à la mode en ce moment, c’est bien l’idée d’équiper les écoles, les collèges et les lycées… en tablettes.

Gee précise : « Personnellement, je vous dirais bien qu'une tablette en ardoise avec une craie, ça suffit pour apprendre des trucs… Mais je ne voudrais pas passer pour un vieux con du haut de mes 26 ans… »

Tout récemment, l’Éducation Nationale a publié un programme précisant qu’il fallait apprendre aux élèves de maternelle à utiliser une tablette.

Je n’irai pas par quatre chemins.

C’est une idée à la con.

Et pas seulement parce que personnellement, je n’ai jamais trouvé d’utilité aux tablettes…

Mais parce que même lorsque je parle avec des gens qui en ont une, voici ce que j’entends toujours :

Un mec avec une tablette tout content dit à Gee : « Ouais, tu vois c'est sympa ! C'est pratique quand tu veux regarder tes mails vite fait ou voir une vidéo… Bon par contre, clairement, c'est pas un outil de travail, hein. »

Précisément ! Une tablette, ça n’est pas un outil de travail. C’est tout au plus un outil de consommation passive.

Ce n’est pas que ce soit fondamentalement mal. Mais dans ma tête, le boulot de l’école, ce n’était pas d’apprendre aux gamins à consommer.

Ce que le Ministère s’imagine :

Avant : un cahier de maths. Maintenant : une tablette.

La réalité :

Avant : une télé. Maintenant : une tablette.

Alors bien sûr, la télé peut être utile dans l’éducation : quel prof de physique n’a jamais passé un « C’est pas sorcier » à ses élèves ?

Mais je vous laisse imaginer les réactions si un ministre avait déclaré dans les années 80 :

Le ministre, confiant, déclare : « Il faut moderniser l'école. Chaque élève devrait avoir sa propre télévision. »

La réalité, c’est que les tablettes sont des objets de divertissement souvent hors de prix, ultra-verrouillés et conçus pour ne nécessiter aucune compétence, pour être utilisés en réfléchissant le moins possible.

Une vieille dame sur un fauteuil roulant dit, heureuse, une tablette à la main : « C'est super ! J'ai 87 ans, je n'ai jamais touché à un ordinateur de ma vie et j'arrive à m'en servir sans aucun problème ! » Le mec qui la pousse dit d'un air blasé : « Ah. Bah tu vois, ton p'tit fils, on va lui apprendre à s'en servir. Parce que frotter un écran avec un doigt, ça demande un investissement éducatif. »

Et pourtant, si on voulait vraiment éduquer les mômes au numérique, il y aurait de quoi faire !

Une salle de classe. Une petite fille dit : « Moi z'envoie des mails à ma mamie, elle les lit sur son n'ipadeuh ! » L'institutrice répond : « D'accord. Et tu sais comment ça fonctionne ? Ton email, comment il arrive chez ta mamie ? Par où il passe ? C'est le facteur qui s'en occupe ? Il peut le lire, ton email ? » La petite : « Euuuuhhh… »

Personnellement, j’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises, de présenter Scratch à des élèves (de la 6e à la terminale). Scratch, c’est un logiciel libre développé par le MIT, pour apprendre de manière ludique la programmation aux enfants et ados sans qu’ils aient besoin de connaître un langage.

Gee avec une image de Scratch projetée dans le dos montre : « Voilà, donc là si je bouge ma souris, le chat suit le curseur, vous voyez ? » Hors-champ, des élèves disent : « Waaaaah ! » « Trop bien ! » « On peut lui faire attraper la souris ?! »

Ce n’est qu’un exemple, mais ça marche toujours. C’est simple à mettre en place et les mômes adorent.

Il n’est pas question d’en faire tous des programmeurs, mais ça les aide à comprendre vraiment le numérique : ce que c’est, comment ça fonctionne, pourquoi quand on clique, ça bouge !

TOUT LE CONTRAIRE D’UNE TABLETTE !

Un politicien : « Moui mais tout de même, il faut adapter les outils à la modernité, faut bien vivre avec son temps. On n'va pas ressortir les plumes et les parchemins, haha. » Un texte précise : « (Exemple de politicien qui ferait mieux d'appliquer ce principe à lui-même en allant se faire recycler ailleurs.) »

L’outil, c’est un faux problème.

Combien ont appris à programmer au tableau avec un marqueur ?

Vous n’avez pas de salle info avec des ordinateurs pour utiliser Scratch avec vos élèves ?

Proposez leur le jeu de l’enfant-robot !

Une institutrice avec sa classe explique, devant des chaises alignées en rangées : « Alors, vous devez expliquer à Mathéo comment sortir du labyrinthe de chaises en lui donnant TOUTES les instructions maintenant : avance d'un pas, tourne à droite, avance de 3 pas, etc. Mathéo, si à un moment, tu dois avancer dans une chaise, c'est que tes camarades se sont trompés ! »

Si le numérique ne demande pas de moyens autres qu’humains pour être abordé, pourquoi alors tient-on à nous refourguer des tablettes partout ?

C’est simple : ça permet de remplir les sites du Ministère de jolies photos d’élèves émerveillés par la technologie sur un fond bleu ciel accompagnées de slogans consensuels.

Une photo du genre avec pour slogan : « L'école du futur à l'ère du numérique. Parce que nos enfants sont l'avenir. Moderne. Avenir. DIGITAL. GNAAAAH. »

De la belle poudre aux yeux politicarde avec en sous-texte :

« Regardez comme on investit bien dans l’avenir de vos nienfants. N’oubliez pas de revoter pour nous. »

Et on peut donc, du même coup, continuer à considérer les profs comme des parasites incompétents qui coûtent trop cher à former. Et à déféquer sur le fameux numérique en enchaînant les lois sécuritaires liberticides avec la main #jeSuisCharlie sur le cœur.

Bref, contribuer à faire du numérique un outil d’aliénation et non l’outil d’émancipation qu’il pourrait être.

Elle est pas belle, la vie ?

Une petite demande : « Maîtreeesse ? Pourquoi “Petit Zouzou à la plage” il est plus sur ma tableeette ? » La maîtresse répond avec sérénité : « Parce qu'il y a des monsieurs en costumes très intelligents qui ont décidé que Zouzou n'était pas assez habillé sur la couverture.  Mais ne t'inquiète pas, ils sont là pour ça. Et heureusement qu'il y a des gens en costumes très intelligents qui sont là pour réfléchir à ta place ! C'est pratique, une tablette, hein ? » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 31 mars 2015 par Gee.

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)