Julie et le droit de copie

Classé dans : Communs culturels, Enjeux du numérique | 16

Temps de lecture 7 min

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Julie Guillot est une artiste graphique (son book en ligne) qui vient d’entamer le récit de son cheminement vers le partage libre de ses œuvres. Elle y témoigne de façon amusante et réfléchie de ses doutes et ignorances, puis de sa découverte progressive des libertés de création et de copie…

C’est avec plaisir que nous republions ici cette trajectoire magnifiquement illustrée.

Droit de copie #1

Une chronique de Julie Guillot publiée d’abord sur son blog

Quand j’ai créé ce blog il y a 2 ans, puis le second sur les violences scolaires, mes proches m’ont encouragée et soutenue. Mais beaucoup (parfois les mêmes) m’ont aussi mise en garde, voire se sont sérieusement inquiétés.

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Ces peurs étaient très liées à Internet, à l’idée d’un espace immense, obscur, peu ou pas réglementé, ainsi qu’à la notion de gratuité qui en fait partie. Y publier ses images et ses productions reviendrait à les jeter par la fenêtre.

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Mais la crainte était, au-delà d’Internet et du support blog, une crainte (vraiment forte) du pillage, de l’expropriation et de la copie.

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Personnellement, je ne pensais pas d’emblée à ces « risques ». J’avais envie et besoin de montrer mon travail, donc de le partager. Mais devant ces alertes, et voyant que tout le monde semblait partager le sentiment du danger et le besoin de s’en protéger, j’ai apposé un copyright en bas de mon blog, avec la mention « tous droits réservés », et j’ai supprimé le clic droit.

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En fait je n’avais pas du tout réfléchi à cette question. Je ne savais pas grand chose du droit d’auteur et du copyright.

Mais dès le début je ressentais une forme de malaise. Je savais que supprimer le clic droit n’empêcherait personne de récupérer une image. Et j’avais vaguement entendu que cette mention de copyright ne servait pas à grand-chose non plus.

Était-ce une saine prudence… ou une forme de paranoïa ?

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Et puis, j’ai commencé à recevoir des demandes de personnes qui souhaitaient utiliser mes images. Pour une expo, un travail de recherche, une conférence, un cours…. Spontanément, je disais toujours oui. Parce que je ne voyais aucune raison de refuser. Non seulement je trouvais cela flatteur, mais en plus cela m’apparaissait comme une évolution logique et saine de mon travail : à quoi sert-il s’il ne peut être diffusé, partagé, utile aux autres ?

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Petit à petit cela m’a fait réfléchir. Des gens venaient me demander mon autorisation simplement pour citer mon blog quelque part (ce qui n’est pas interdit par le droit d’auteur… !). Je ne pouvais pas le leur reprocher : après tout, j’avais apposé une mention « touts droits réservés ». Mais l’absurdité de la situation commençait à me parvenir.

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Un jour, j’ai reçu une demande d’ordre plus « commercial » : quelqu’un qui souhaitait utiliser mes images pour une campagne de financement d’une épicerie végane.

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Spontanément, j’ai hésité. Ne devais-je pas lui demander de l’argent ?
J’ai exprimé des conditions : je voulais être informée des images qu’il utiliserait, à quel endroit, des textes qu’il allait modifier, etc. Ce qu’il a accepté.
Mais très vite je me suis demandé pourquoi j’avais posé de telles conditions. Parce qu’en réalité, ça m’était égal.

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Finalement, il n’a pas utilisé mes images. Mais il m’a permis de réaliser que je n’avais pas de position claire sur la manière dont je voulais partager ou non mon travail, que je ne connaissais rien à la législation, aux licences d’utilisation et à de possibles alternatives.

 

J’ai donc commencé à m’intéresser de plus près à ces questions de copyright, de droit d’auteur, de culture libre et de licences.

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Ce qui m’a amenée à réfléchir à me conception de l’art, de la créativité, et même, plus largement, du travail.

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Gwenn Seemel explique très bien que le droit d’auteur n’est pas uniquement un système juridique, mais un paradigme :

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Nous envisageons l’art, la production de la pensée, comme des productions inaliénables ; nous assimilons la copie à du vol ; nous considérons l’imitation comme un acte malhonnête, une paresse, quelque chose de forcément blâmable. Il va de soi que nous devons demander l’utilisation à quelqu’unE pour utiliser ses écrits, ses images, sa musique, afin de créer quelque chose avec. Et nous ne remettons quasiment jamais ce paradigme en question.

Nous avons tous grandi avec l’idée que copier était (très) (très) mal. Et punissable.

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Quand j’étais à la fac, certainEs étudiantEs refusaient de dire quel était leur sujet de mémoire ou de thèse…de peur qu’on leur « pique » leur(s) idée(s). J’étais naïve…et consternée.

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C’était pour moi incompatible avec la conception que j’avais de la recherche et du travail intellectuel.

Bien sûr, ces comportements sont le résultat de la compétition qui structure notre société et une grande partie de nos relations. Toute production est considérée comme strictement individuelle, personnelle, comme si nous étions capables de créer à partir de rien.

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Je me suis sentie profondément enthousiaste de découvrir des artistes qui rendent leurs oeuvres publiques, c’est à dire qui en permettent la libre diffusion, la copie, l’utilisation, la modification, des gens qui réfléchissent à ces questions et militent pour une culture différente.

Comme Nina Paley, par exemple :

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J’étais convaincue, au fond, par la pertinence d’une culture sans copyright et je me sentais soulagée à l’idée de franchir le pas, moi aussi.

Je n’ai jamais ressenti un sentiment fort de propriété vis-à-vis de mes dessins.

J’ai toujours aimé copier, je m’inspire du travail des autres (comme tout le monde), et je trouve a priori naturel que mes productions puissent circuler, servir à d’autres, être utilisées et même transformées.

L’idée de pouvoir utiliser les œuvres des autres, comme me dessiner habillée en Gwenn Seemel, est tout aussi enthousiasmante.

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Cet élan spontané cohabitait en moi avec la persistance de craintes et de méfiances :

et si on se faisait de l’argent « sur mon dos » ? Et si je le regrettais ? Ne suis-je pas responsable de tout ce que je produis, et donc de tout ce que deviennent mes productions ? Ne devrais-je pas demander de l’argent pour toute utilisation de ce que j’ai fait ? Est-ce que je ne fais donc rien d’original et de personnel ? Et si cela m’empêchait de gagner de l’argent avec mon travail artistique ? Et comment faire dans une société où le principe du droit d’auteur est la règle ?

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J’avais besoin d’en savoir plus sur les aspects juridiques de la question, même si ça me semblait au départ rébarbatif.

Alors je me suis penchée sur le sujet. Comme dit Gwenn Seemel, personne ne va se brosser les dents à votre place.

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(mais il y a des gens qui fournissent le dentifrice, et ça c’est sympa).

[À suivre…]

Gwenn Seemel m’a beaucoup aidée à avancer dans ma réflexion sur le droit d’auteur, la culture libre, la pratique de l’art en général. Ses vidéos et ses articles ont répondu à beaucoup de mes questions (puisqu’elle s’était posé les mêmes que moi, logiquement). Je vous conseille la lecture de son blog, et de son livre sur le copyright.

Le blog de S.I.lex est aussi une mine d’informations sur le sujet.

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16 Responses

  1. thoran

    En tant que dessinateur/écrivain ; le problème s’est posé directement par un chantage :
    on m’a proposé d’être publié avec mon argent sans garantie de retour d’investissement donc pourquoi ne pas publier sans droits puisque le seul gagnant n’est pas l’auteur !

    Alors , sur le net, il a été expliqué que les dérivés profitent plus aux suivants qu’aux auteurs/créateurs : en effet, on s’inspire et on récupère nos bases, nos styles, notre travail comme étapes à d’autres travaux donc pourquoi publier sans droits puisque le seul gagnant n’est pas l’auteur !

    Le sujet m’a bien fait réaliser du pouvoir et de la valeur très importantes des « œuvres » mais l’auteur reste seul souvent face à la divulgation, présentation, exploitation de son travail. Les professionnels, eux, s’en rendent compte immédiatement.

    J’ai décidé de tout divulguer publiquement en copyleft ou sans droits pour trancher et sortir de ces pièges vicieux qui ne sont que des blocages commerciaux/d’imposition.

  2. Laurent Pointal

    Tu ne signes pas tes dessins (une petite marque perso dans un coin…) ?

    • restouble

      Mais si !
      Toujours et c’est totalement inconscient ou volontaire mais tout travail, action, création s’inspire de ce que vous avez vu lu ou entendu dernièrement ou même dans votre enfance.
      L’œuvre est la votre mais réalisé avec tout ce qui vous à construit jusqu’alors.

  3. tom

    c’est le devoir d’un artiste de créer une oeuvre originale. Les copieurs sont des parasites sans talent.

    • pyg

      @Tom : pas sûr qu’un artiste ait des « devoirs », mais oui, on est d’accord une œuvre copiée telle quelle n’a pas d’intérêt artistique à priori. Par contre, le détournement utilisant la copie peut clairement en avoir (cf les sérigraphies d’Andy Warhol, par exemple).
      Mais ici ce n’est pas le sujet. Julie nous explique pourquoi il peut être intéressant d’autoriser la copie, surtout pour *le public* (c’est quand même pour lui qu’on crée des œuvres après tout !)
      Voir aussi l’excellent article de Calimaq : https://scinfolex.com/2016/08/30/pepper-et-carrot-une-bande-dessinee-open-source-publiee-chez-glenat/

  4. restouble

    Je suis assez friand de blog BD mais celui-là, je ne le connaissais pas.
    Et je suis tombé par hasard en voulant découvrir votre travail sur l’article sur le concept « Gold Star », j’ai adoré et immédiatement collé le flux RRS dans mon Thunderbird.
    Il va me falloir prendre le temps de tout lire 🙂
    Pour votre engagement vers le libre, votre travail et votre personne vous avez tout mon respect.

  5. pivoleur

    un artiste crée pour lui-même et la copie est interressante pour des oeuvres récréatives ; à usage éducatifs , pour un public simple ou local oui bien sûr ; mais est-ce que l’initiative prendrait sur un public international et un public à la recherche d’un sens profond non-détaché du fond … sinon c’est du clip-art tout bêtement.

  6. GB

    Bonjour,
    A qui sert le droit d’auteur?
    Imaginons des artistes (producteurs d’œuvres) qui vendent leurs travaux directement aux amateurs. Avec ce cheminement plus de droits d’auteurs, ils sont directement perçus au moment de la cession de l’œuvre.
    Ajoutons une loi protégeant dans le temps la reproduction, c’est à dire que la copie conforme n’est pas possible sans l’accord de l’auteur, auquel on devra payer le droit de copie si et seulement si il est d’accord.
    Un monde simple et parfait.
    Maintenant dépossédons les artistes de la faculté de vendre directement leurs œuvres, mais faisons tout un tas de lois qui les « protègent » tout en les obligeant à passer par les fourches caudines d’un réseau de distribution.
    Un monde parfait pour déposséder (aliéner dirait l’autre) la production à la voracité d’un distributeur.

  7. madam

    @GB
    Mais non ! le droit d’auteur s’explique par le droit régalien et rien d’autre !
    Tous les artistes vendent en direct (ou l’espère !) ; et se fichent des copies et copieurs car cela augmentent leurs crédits/réputation/côte (un procès célèbre a eu lieu à ce sujet et c’est la partie adverse qui a demandé une forte somme pour avoir effectué une campagne de promotion alors qu’il lui était reproché d’avoir copié sans autorisation !)
    Avec un nouveau modèle _l’article ci-dessus par exemple_ on sort de la tutelle étatique et des statuts déclarés : on devient un artiste qui n’a de compte à rendre à personne , autome, indépendant, libre, hors contrôle.
    Pour ce qui des distributeurs ; si vous avez les moyens ou bien les connections pour vous auto-produire/financer ; le problème est réglé.

    • GB

      Tous les artistes vendent en direct (ou l’espère)????
      Le marché de l’art est aux mains des distributeurs à plus de 90%.
      Entendre par distributeurs : éditeurs, galeries……
      Le rapport léonin instauré de fait par les lois entre les distributeurs et les artistes est évidemment au détriment du travail des artistes (exemple: l’obligation de céder les droits pour des décennies à un éditeur lors de la signature d’un contrat, les droits d’auteurs qui courent pendant 70 ans après sa mort….).
      Quant à la capacité de vente d’un artiste elle est nulle ou quasi nulle. La raison est (je parle pour moi) que le besoin impérieux de créer est totalement déconnecté d’une quelconque demande ou marché potentiel. Penser vivre de son art est un non sens. Je faits un dessin accompagné d’un texte parce que telle est ma vision, vos commentaires ou points de vues m’importe peut, et comme la reine d’Angleterre à toute critique en bien ou en mal faire la réponse: « never explain, never complain ».
      Donner à voir, en pleine conscience du monde qui vous entoure, pas de tour d’ivoire ou de poète maudit, ça c’est bon pour les romans photo et les c.. de la télé.
      Travailler pour bouffer et créer par besoin. Une poignée de gens peut prétendre au titre d’artiste et vivre de ça, les autres….. ils bricolent 🙂

  8. UK

    @GB : vous êtes très mal informé et comme beaucoups de gens très mal introduits auprès de ces milieux -fermés- votre vision est donc faussée ,.. peut-être par colère ou mauvaise foi ou inaptitude … qu’importe … en vérité, depuis une centaine d’année, l’art n’est plus pris en charge et c’est avec vos sous que vous investissez à vos risques pour votre égo : tel est la position gelée étatique et celle de la plupart des autres acteurs/sponsors ; mais en contrepartie vos travaux vous appartiennent et il vous ait fortement conseillé de les vendre en direct donc de démarcher ; il n’ y a aucun marché de l’art réservé par 90% des autres acteurs ; vous avez 100 % de liberté … le marché de l’art tel que l’on vous le présente n’est pas la réalité ; c’est du show-biz (c’est la raison pour laquelle tous les faux circulent avec l’aval des commissaires).
    @il n’y a pas de marché ou de demande parce qu’il y a refus d’être sous chantage ou relation d’égalité : snobisme, arrogance, mesquinerie, radinerie, manque d’ouverture d’esprit … qu’importe .. c’est leurs entreprises et ils sont libres d’entreprendre des projets et des relations avec qui ils veulent et comme ils le souhaitent.
    @Penser vivre de son art est un non sens : on ne peut le faire qu’avec son argent ou par parraînage suite aux refus/positions exprimées au début de ce post.
    @Une poignée de gens peut prétendre au titre d’artiste et vivre de ça, les autres….. ils bricolent : si vous êtes artiste, vous n’avez pas besoin des autres, ni de leurs avis quant à vivre de cela ; l’époque a crée un public plus demandeur de pornographie, d’horreur,de sadisme (les auteurs en vivent très bien) ; ils faut donc ciblé son offre à la demande et non proposé les bras ballants un croquis+texte qu’une équipe de marketing est capable de faire par centaine à l’étude d’un projet. Les bricoleurs/cancres/médiocres ou corrompu(es)s ont aussi leurs publics qui leurs ressemblent mais ce n’est pas de l’art : https://framablog.org/2016/09/11/david-revoy-la-bd-et-les-licences-libres/
    c’est du bidon, du faux, du toc, de la com, de la reconversion pour handicapé, raté.

  9. mb

    discours des grands de ce monde dont les ministres du budget et de la culture sur plusieurs continents (envoyer vos réclamations à vos élus mdr)