Facebook, le Brexit et les voleurs de données

Du grand banditisme à une échelle jamais vue. Le résultat : une élection historique volée.

Les suspects sont connus, les cerveaux, les financiers, les hommes de main…

Il y a Nigel Farage, agent de change devenu politicien malgré lui, fondateur du parti politique UKIP contre l’euro, l’Union Européenne et l’immigration.

Il y a Steve Bannon, à la tête de Breitbart News, une plateforme média de propagande d’extrême-droite, dite « alt right », nommé stratège en chef à la Maison Blanche.

Il y a Robert Mercer, milliardaire des fonds spéculatifs qui a acheté SCL Elections alias Cambridge Analytica, entreprise de l’ombre, pour l’acquisition et l’analyse de nos données.

Il y a Dominic Cummings, petit homme de main conservateur, qui a fait la liaison entre les différents conspirateurs.

Pourtant il n’est pas sûr qu’on les verra sur le banc des accusés…

Et bien sûr il y a Facebook, un système de récolte en masse de nos données, données qui peuvent révéler des choses qui nous inquiètent et des sujets politiques qui sont pour nous parmi les plus brûlants.

Facebook qui est aussi le livreur de messages faits sur mesure. Avec son fil d’actualité qui mélange discrètement posts de nos proches et publicité lucrative, Facebook est le parfait cheval de Troie pour injecter de la propagande dans notre vie la plus personnelle.

L’un de nos traducteurs, un Britannique, nous dit que c’était perceptible, il a été témoin direct du tsunami d’exagérations, de fake news et de beaux mensonges (« nous aurons 350 millions de livres sterling de plus par semaine pour le service de santé britannique ») de la part de la campagne pour quitter l’Europe, autant que la frustration des gens ordinaires qui ont vu trop tard qu’ils étaient trompés.

Voici une traduction des extraits (dans la limite des 500 mots autorisés) de l’article « The great British Brexit robbery: how our democracy was hijacked » de Carole Cadwalladr, qui est paru récemment dans The Observer, l’édition de dimanche du quotidien britannique, The Guardian.

Un petit mot avant de commencer pour Framasphère (une instance de Diaspora*), un plateforme de réseau social libre et éthique où vos données sont sécurisées. Car un utilisateur qui migre vers la sécurité des services éthiques et libres, c’est tout de même un tout petit pas vers la liberté…

Traducteurs : goofy, MO, hello, PasDePanique, FranBAG

CC0 Domaine public https://pixabay.com/en/facebook-crime-internet-violent-2241419/

 

La grande escroquerie du Brexit : comment notre démocratie a été piratée

Le résultat du référendum sur l’Union européenne a été influencé par une opération globale menée dans l’ombre, qui implique le big data, les amis milliardaires de Trump et les forces disparates de la campagne pour le Leave (Quitter). Alors que la Grande-Bretagne se dirige à nouveau vers des élections, peut-on encore faire confiance à notre système électoral ?

Par Carole Cadwalladr

C’est Facebook qui a tout rendu possible. C’est d’abord grâce à Facebook que Cambridge Analytica a obtenu ses trésors de données. C’est Facebook qui a alimenté les outils psychologiques permettant à Cambridge Analytica de cibler individuellement des électeurs. C’est également le mécanisme grâce auquel ils ont pu toucher un si vaste public.

L’entreprise a également acheté en parfaite légalité des jeux de données sur les consommateurs et les a ajoutées, données psychologiques comprises, aux fichiers d’électeurs. Puis elle a lié toutes ces informations aux adresses, numéros de téléphone, voire, souvent, adresses électroniques des gens. «Le but est de récupérer le moindre élément de l’environnement informationnel concernant chaque électeur, » explique David, ex-employé de Cambridge Analytica. « Et les données sur la personnalité des gens ont permis à Cambridge Analytica de mettre au point des messages individualisés.»

Dans une campagne politique, il est essentiel de trouver des électeurs faciles à persuader et Cambridge Analytica, avec son trésor de données, pouvait cibler les gens au potentiel névrotique élevé, par exemple, et les bombarder d’images d’immigrants « envahissant » le pays. La clé consiste à trouver, pour chaque électeur individuel, des déclencheurs d’émotion.

Sur son blog, Dominic Cummings, stratège de campagne du Vote Leave, a publié des milliers de mots sur la campagne du Brexit. Sur ces analystes de données, rien ! Pourquoi ?

Le 29 mars, le jour où le Royaume-Uni a invoqué l’article 50, j’ai appelé le QG de l’une des petites équipes de campagne, Veterans for Britain. La stratégie de Cummings a consisté à cibler les gens au dernier moment et dans la semaine qui a précédé le référendum, Veterans for Britain a reçu 100 000 livres sterling de la part de la campagne Vote Leave. Un petit groupe de personnes considérées comme faciles à convaincre ont été bombardées de plus d’un milliard de publicités dans les tout derniers jours pour la plupart.

On s’est joué de nous, le peuple britannique. Sur son blog, Dominic Cummings écrit que le vote en faveur du Brexit s’est joué à 600 000 personnes près : à peine plus d’1% des inscrits. Il n’est pas très difficile d’imaginer qu’un membre des 1% les plus riches du monde a trouvé le moyen d’influencer ce petit 1% fatidique d’électeurs britanniques.

L’article 50 a été invoqué. La Commission électorale est impuissante. Et dans un mois un autre élection, avec les mêmes règles. Pourtant les autorités savent bien qu’il y a des raisons d’être inquiets. The Observer a appris que le Crown Prosecution Service a bien nommé un procureur spécial afin d’engager une une enquête criminelle pour savoir si les lois sur le financement des campagnes ont été enfreintes. Le CPS l’a renvoyé à la commission électorale.

Telle est la Grande-Bretagne en 2017. Une Grande-Bretagne qui ressemble de plus en plus une démocratie « encadrée ». Achetée par un milliardaire américain. Utilisatrice de technologie de type militaire. Livrée par Facebook. Tout ça rendu possible par nous. Si nous laissons passer le résultat de ce référendum, nous donnons notre consentement implicite. La question n’est pas de rester ou partir (Remain ou Leave). Ça va bien au-delà de la politique des partis. Il s’agit du premier pas vers un monde audacieux, nouveau et de plus en plus antidémocratique.