Écriture du blog : nous ne transigerons pas sur les libertés.

Attention, cet article va parler d’un sujet qui a été tellement polarisé qu’il transforme de nombreuses personnes en troll·e·s : l’écriture inclusive. Mais en fait on ne va pas du tout parler de ça. On va parler de Liberté et de libertés, tiens !

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

Premièrement : vous avez raison

On va mettre tout le monde d’accord d’un coup (quitte à vous mettre d’accord pour nous taper dessus)… quoi que vous pensiez sur l’écriture inclusive : vous avez raison.

Vous pensez que cela va changer les esprits et permettre de réduire les inégalités ? Vous avez raison. Vous pensez que c’est inefficace et inutile ? Vous avez raison.

Vous pensez que c’est une mode ? Vous avez raison. Vous pensez que c’est une évolution ? Vous avez raison.

Vous pensez que c’est un juste contrepoids à une masculinisation de notre langue par l’académie française lors de sa création au XVIIe siècle ? Vous avez raison. Vous pensez que l’académie française actuelle l’ayant officiellement comparée à un péril mortel, il ne faut pas l’utiliser ? Vous avez raison.

Vous vous en foutez royalement, tyranniquement ou démocratiquement…?

Vous. Avez. Raison.

Vous avez raison parce que vous avez vos raisons (ou même vos absences de raisons, pour les personnes qui s’en cognent). Vos opinions sur l’écriture inclusive peuvent être étayées par des faits, des autorités, des réflexions et de fait vous semblent parfaitement valides, mais elles restent cela : des opinions (ou absences d’opinions, n’oublions pas le droit de s’en foutre).

Car nos manières de pratiquer une langue vivante restent des choix : personnels, collectifs, politiques, poétiques… Mais des choix subjectifs. Ou des absences de choix, parce que saperlipopette, on a aussi le droit de se laisser porter !

L’informatique est-elle poétique ?
Vous avez une heure.
“School for Poetic Computation” par Roͬͬ͠͠͡͠͠͠͠͠͠͠͠sͬͬ͠͠͠͠͠͠͠͠͠aͬͬ͠͠͠͠͠͠͠ Menkman sous licence
CC BY 2.0

Deuxièmement : nous aussi

Chez Framasoft, cela fait plus de trois ans que ce choix est fait.

Le 27 février 2015, on pouvait lire dans cet article du Framablog :

On le sait, les libristes s’ennuient durant les week-end, tant ils croulent sous le temps libre, tant elles n’ont rien d’autre à faire que jouer à SuperTuxKart.

Quelques jours avant, c’est le mot « les rêveureuses » qui s’y affiche , quand on n’y parle pas carrément des « barbu-e-s » (déc. 2015) afin de désigner les informaticiennes et informaticiens libristes (pour tirer la langue à cette expression communautaire excluant, de fait, les visages glabres).

Quant à notre newsletter, suivie par plus de 95 000 inscrit·e·s, c’est pas mieux : dès 2015 les « ils et elles » y fleurissent, on y évoque « nos salarié-e-s » en 2016, ou on y imagine carrément les « chef-fe-s » du petit village libriste !

En fait, nos usages et manières ont progressé au fil de nos réflexions, et ce n’est que le 22 février 2017 que, suite à de rares commentaires ici ou là, notre comité communication décide d’ajouter cette réponse dans notre foire aux questions, afin de répondre par avance à toute interrogation, et d’expliquer pourquoi nous laissons des graphies novatrices s’exprimer dans nos communications.

Votre Contributopia est-elle riche de diversités ?
Vous avez deux heures.
Le monde des services de Contributopia, CC-By David Revoy

Troisièmement : ça pique un peu au début…

Alors oui, on le sait, lire de tels bidouillages de la langue française, ça perturbe. Nous le savons parce que nous aussi nous l’avons vécu. On est là, installé·e·s pépères dans une utilisation d’une langue que l’on s’est fait ch#£§ à apprendre durant de longues années, quand soudain des graphies nous rappellent que mémère existe aussi. Sans compter que, derrière tout cela, y’a une question -presque une accusation- qui vient se chuchoter dans nos pensées…

Aurais-je été sexiste tout ce temps, sans le savoir, juste en faisant des phrases…?

Alors là, c’est non : notre esprit se défend et sort les griffes… C’est normal, hein : il fait son boulot d’esprit. La neuro-biologie nous apprend que, lorsque nous sommes confronté·e·s à quelque chose qui remet en questions nos croyances les plus profondes, notre cerveau réagit comme si nous étions physiquement agressé·e·s.

Or les croyances « je ne suis pas sexiste » ou « je sais comment s’écrit le bon Français » sont souvent chères à nos esprits : elles sont identitaires. Nos esprits se défendent donc avec de multiples objections bien connues : « c’est moche », « c’est illisible », « c’est pas français », « c’est la novlangue de la pensée unique », « c’est excluant », etc. C’est un mécanisme de défense que les libristes connaissent bien. Qui n’a jamais entendu un « Je n’ai rien à cacher » après avoir remis en question la croyance « mes pratiques numériques sont saines »…?

Chez Framasoft, nombre de nos membres ont vécu ces objections : nous les connaissons intimement. Nous en avons discuté, débattu, argumenté (la question de l’accessibilité, par exemple, mérite que l’on se penche dessus, donc nous l’avons fait). Nous en avons déterminé qu’il ne s’agissait pas de nous, mais de Liberté.

Est-ce qu’une égoïste, c’est quelqu’une qui ne pense pas à moi ?
Vous avez trois heures.
“estupid ego” par !unite sous licence CC BY 2.0

Quatrièmement : …mais après ça passe

Parce qu’en fait, si on parvient à mettre en sourdine le « scrogneugneu, mais c’est pas comme ça que ça s’écrit » qui crie très fort en nous… eh bien on s’habitue ! Ne sous-estimons pas nos cerveaux : ils ont une capacité de résilience qui peut nous surprendre nous-mêmes…

D’expérience (et qui vaut ce qu’elle vaut, hein, z’avez le droit de ne pas être d’accord), on peut très vite s’habituer, ne plus trébucher mentalement sur des nouveautés linguistiques. De nos jours, écrire ou dire que « c’est relou », ne choque plus les esprits (sauf dans un contexte où on doit parler soutenu), mais à une époque pas si lointaine, lorsque l’on craignait les « loubards » en blousons noirs, le verlan était socialement choquant…

Car la seule chose qui nous empêche de nous habituer à des graphies novatrices : c’est nous.

C’est quand on ne veut pas, qu’on en a pas envie. Et pourquoi pas : vous avez le droit de refuser de voir votre langue, un outil profondément lié à nos identités, écrite de manière X ou Y. Vous pouvez ne pas en avoir envie…

Comme nous, dans notre association, nous pouvons avoir envie d’user de points médians (ou de smileys :p… ). Car, dans un cas comme dans l’autre, nous faisons un choix personnel, nous usons de notre Liberté.

Doit-on détester les emoji quand on ne supporte pas le point médian ?
Vous avez quatre heures.

Cinquièmement : pourquoi maintenant ?

Au-delà de ce débat qui, pour nous, se résume en une phrase (nous ne transigerons pas sur les libertés), il y a une question à se poser. Depuis plus de trois ans que nous expérimentons avec la langue (tout en faisant des efforts typographiques, orthographiques, et grammaticaux que personne ne vient saluer, snif !), les remarques et commentaires trollesques ne pleuvent que depuis environ neuf mois.

En novembre 2017, il y a eu un débat soulevé dans les médias de masse. Depuis, nous voyons quotidiennement combien il n’est plus possible de discuter paisiblement.

C’est comme s’il y avait une guerre, qu’il fallait choisir son camp, et pis si t’es pas avec nous t’es contre nous… La question s’est polarisée au point de caricaturer les pires personnages de jeux de baston :

HystéroFémiNazie VS FachoMascuMacho,
Round 1,
FIGHT !

Vous trouvez pas qu’on s’est un peu fait embourber nos esprits dans une ambiance de merde…? Combien de personnes, aujourd’hui, revendiquent le droit d’en avoir rien à foutre du point médian, de s’en cogner de la double flexion, et de n’avoir aucun avis sur la règle de proximité ? Qui pense encore, dans ce débat, au fait que dire « chacun et chacune » (la double flexion, donc) est tout autant une marque du langage inclusif que « chacun·e »…?

Mais surtout : où étaient nos critiques littéraires ces trois dernières années ? Que faisaient ces personnes, et pourquoi ne veillaient-elles pas à notre salut linguistique auparavant ? Il peut être bon de se demander, chacun et chacune (tiens !) en son for intérieur, pourquoi est-ce que l’on a commencé à avoir un avis sur la question (en novembre dernier)… plutôt que de bidouiller avec, juste pour voir comment ça fait, pour voir ce que ça change.

 

Est-ce qu’on n’aurait pas un peu le syndrome du grand méchant monde ?
Vous avez plus le temps, allez directement lire la réponse de Hacking Social.

Finalement : la liberté n’est pas négociable

Chez Framasoft, nous sommes attentifves : croyez-le ou non, mais nous veillons à rester intelligibles. Si nous publions un texte de telle ou telle manière, c’est que nous avons estimé, collégialement et dans notre entière subjectivité, qu’il est intelligible.

Intelligible ne signifie pas confortable, hein. Utiliser les dissonances cognitives que provoquent les expressions inhabituelles peut être un outil pour communiquer ce que l’on souhaite transmettre. C’est un choix dans la méthode, qui peut sembler approprié à l’auteur·rice d’un texte, et aux personnes qui relisent.

La Liberté, chez Framasoft, c’est pas négociable. Nous en avons parlé lors de notre dernière assemblée générale : nous faire aimer/apprécier/bien voir, vouloir séduire/éduquer/convertir les gens à la cause du libre, cela ne se fera pas à tout prix. Ce serait chercher une universalité quasi-impossible, et qui (à nos yeux) mène sur le chemin du plus petit dénominateur commun, celui des idiocraties googlesques qui nous rebutent. Bref, on va pas se renier, pas au prix de nos libertés ni de nos convictions.

Et les libertés des personnes qui, volontairement, refusent de supporter le langage épicène, les pauvres …?

Nous avons fait en sorte que vous ayez le droit de reprendre nos publications (sous licence CC-By-SA, sauf mention contraire) et les traduire en langage traditionaliste (comme d’autres les traduisent en italien, en anglais, et merci !). Nous avons fait en sorte de n’obliger aucun·e membre, aucune personne qui contribue à nos actions, à utiliser telles ou telles règles (d’ailleurs, nombre de nos textes sont aussi en langage traditionnel, et c’est OK pour nous).

Nous savons les internets assez grands pour que chacun·e (tiens !) puisse y trouver son bonheur… Sans forcément aller faire les gros n’yeux aux autres parce que « ielles ne font pas comme il faut, c’est à dire comme moi je veux ! ». On peut même renvoyer les ronchonchons aux conditions générales d’utilisations de nos services (dont le blog, la newsletter, etc. font partie), clause « si ça vous va pas, vous êtes libres d’aller voir ailleurs » (allez lire, ça prend 3mn et c’est bel et bien écrit dedans).

Extrait de ce que, entre nous, nous avons appelé « le post Framasphère du Démon », tant il a atteint des sommets trollesques.
Ceci n’est qu’un exemple. Un seul.

Offrons-nous la paix

C’est un peu violent, comme conclusion, non…? Il faut dire que le cumul des remarques trollesques et de mauvaise foi que nous essuyons depuis des mois est franchement frustrant, et cette accumulation, nous la vivons comme une violence… Il est temps de briser ce cercle vicieux.

Là où nous sommes d’accord avec nos détracteurices (soyons fous… et folles : hop, un mot-valise !), c’est que les questions de genre et de linguistique ne sont pas le but premier de Framasoft… Alors pourquoi venir les commenter ? Pourquoi détourner l’attention de ce que nous faisons en faisant remarquer quelques pauvres signes de ponctuation…?

Ne pourrait-on pas vivre, et laisser vivre…?

Peut-on passer à autre chose…?

Nous l’espérons, et vous faisons confiance.