De 0 à 52 numéros du Courrier du hacker, un an de lettre d’information du Logiciel libre

Le temps et l’attention sont des denrées précieuses, tandis que s’accroît toujours davantage le volume des informations disponibles. Aussi les outils de veille et curation sont-ils des alliés précieux pour qui souhaite disposer d’une sélection de qualité.

À ce titre le travail efficace de Carl Chenet pour nous proposer depuis un an Le Journal du hacker méritait bien d’être salué, et c’est avec plaisir que nous lui laissons la plume pour faire le bilan et la promotion de sa réalisation. Abonnez-vous !


Le Courrier du hacker est une lettre d’information résumant chaque semaine l’actualité francophone du Logiciel Libre, publiée le vendredi, que l’abonné reçoit directement dans ses e-mails. Après 52 numéros, le Courrier du hacker a donc récemment fêté sa première année.

1. Se hisser sur les épaules des géants

Le Courrier du hacker repose sur l’exceptionnel travail de la communauté FOSS francophone, médias, articles publiés par les blogs d’entreprise, les associations (comme le blog de Framasoft) et les blogueurs individuels, articles qui sont chaque semaine relayés par le Journal du hacker, l’agrégateur de liens du Logiciel Libre francophone (dont je suis l’un des fondateurs) et dont la base de données est librement accessible.

À partir de cette base de données et d’une suite de scripts maison, les articles ayant reçu le plus de votes de la semaine sont extraits. J’effectue ensuite moi-même une sélection pour ne retenir que les plus pertinents et offrir le contenu le plus intéressant tout en gardant à l’idée de représenter l’actualité de la semaine passée. La réalisation de la lettre d’information me prend entre deux et trois heures par semaine.

Après sélection des meilleurs articles de la semaine, cette lettre d’information a pu, après un an de publication ininterrompue, atteindre les 52 numéros et s’imposer comme un nouvel acteur FOSS au format original que plus de 1600 abonné⋅e⋅s utilisent pour effectuer leur veille technologique ou afin de rester en alerte sur les libertés individuelles et la vie privée.

2. Le meilleur du FOSS francophone en un e-mail

Le Courrier du hacker propose chaque semaine 16 liens dans un e-mail. Pourquoi 16 ? J’ai fait le choix de ne pas surcharger l’e-mail, afin que les principaux liens de la semaine restent bien visibles. L’idée est de proposer un contenu de grande qualité dans un format réduit.

En effet rester au courant demande aujourd’hui beaucoup de temps et de consulter chaque jour de nombreux médias. Cela s’avère souvent fastidieux et il est hélas facile de rater quelque chose qu’on trouve dine d’intérêt. Il est également important de prendre le temps d’analyser les événements, temps qui se raréfie quand on voit les notifications qui nous surchargent aujourd’hui. En se basant sur les articles écrits par la communauté FOSS, en effectuant un tri et en publiant les numéros à date fixe, le Courrier du hacker prend le temps de l’information dans une optique de qualité. Les e-mails des abonnés ne sont bien sûr utilisés que pour envoyer la lettre d’information.

3. Un contenu accessible à tous

Bien que le format premier soit celui de l’e-mail publié chaque semaine, je me suis rendu compte que ce format ne convenait pas à tous. J’ai également reçu des demandes afin d’ouvrir plus largement le contenu. Et il aurait été dommage de restreindre l’accès à un contenu de qualité pour une question de préférence de média.

J’ai donc rendu disponibles les archives directement depuis le site web. J’ai également commencé à relayer le contenu via les réseaux sociaux, en créant un compte Mastodon sur Framapiaf (merci Framasoft !) et un compte Twitter pour le Courrier du hacker.

Au niveau technique, le site officiel est un site statique servi par Nginx qui offre essentiellement le formulaire d’abonnement à la lettre d’information, les archives des numéros publiés et le flux rss dédié. À partir de ce flux rss, les outils Feed2toot et Feed2tweet (dont je suis l’auteur) permettent de diffuser le contenu du flux vers respectivement Mastodon et Twitter.

4. Le futur du Courrier du hacker

Le but est de continuer aussi longtemps que possible à publier et à faire connaître le Courrier du hacker afin de promouvoir les articles de grande qualité écrits en français chaque semaine dans les communautés FOSS. Des besoins apparaîtront sûrement dans le futur et je reste à l’affût des demandes qui me sont remontées. N’hésitez pas à me contacter en répondant simplement à l’e-mail de la lettre d’information.

5. Liens du Courrier du hacker

dessin humo du geektionerd generator : l’un s eplaibnt que son projet ne soit pas mentionné dans ce canard, l’autre lui répond que si on a 20 ans et qu’on n’est pas dans le journal du hacker c’est qu’on a raté sa vie
image https://framalab.org/gknd-creator/




Des métacartes « Dégooglisons Internet », Framasoft double vos dons ce jeudi 27 septembre

Cet été, à l’occasion de notre venue au Forum des Usages Coopératifs de Brest, Framasoft s’est vue remettre un prototype de jeu « Métacartes ». Prototype que nous avons pu immédiatement tester quelques jours plus tard lors des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, à Strasbourg, pour deux sessions d’animation : la première sur la situation et l’avenir des Groupes d’Utilisateurs de Logiciels Libres, et la seconde avec les membres du collectif CHATONS.

L’outil nous a paru intéressant et à soutenir. C’est pourquoi lorsque les concepteurs du projet nous ont contactés avec l’idée de produire des « Métacartes Dégooglisons Internet », nous n’avons pas hésité à répondre présents ! Nous pensons en effet qu’il pourrait être très utile (et efficace !) d’avoir un jeu de cartes – virtuelles, mais aussi physiques – permettant de présenter les nombreux services Dégooglisons Internet. Que le public puisse les « prendre en main » (littéralement !), les évaluer, les classer, en comparer les principales fonctionnalités, etc.

Nous leur avons proposé le soutien suivant : les dons effectués pendant toute la journée du jeudi 27 septembre seront doublés par Framasoft (dans la limite d’un don total de 800€ par Framasoft). Autrement dit, si le projet cumule — par exemple — 442€ de dons le 27 septembre, Framasoft fera un don de 442€ au projet.

Reste donc à vous présenter le projet Métacartes en détail, c’est pourquoi nous avons contacté Mélanie et Lilian, à l’origine de ce projet.

Prototype du jeu de Métacarte « Faire ensemble »
Prototype du jeu de Métacarte « Faire ensemble »

Bonjour Mélanie et Lilian, pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour !

Mélanie Lacayrouze, je viens de l’enseignement après un passage par des labos de physique… Je suis facilitatrice graphique. En gros : je dessine sur les murs, et j’aide les gens à clarifier leur vision par le dessin ! Je suis aussi facilitatrice de projets collaboratifs.

Lilian Ricaud, j’ai moi aussi un parcours non linéaire ! Je suis facilitateur et formateur. J’accompagne les collectifs dans la mise en œuvre de stratégies de co-construction.

Vous avez lancé un financement participatif autour d’un projet : les Métacartes. Mais… c’est quoi des métacartes ?

Les métacartes, on peut les définir de plusieurs façons.

Physiquement, ce sont des cartes, en papier, reliées à une ressource en ligne via un QR code.

Chaque carte présente un outil ou un concept-clé, et elle est rédigée de manière à faire ressortir l’essentiel du sujet.

On peut donc les utiliser pour manipuler des concepts et des savoirs avec ses mains, tout en ayant la possibilité d’aller facilement chercher la ressource numérique pour aller approfondir.

Après la définition physique des métacartes, on peut donner une définition globale du projet : il s’agit d’un ensemble de cartes qui reliées entre elles forment des combinaisons. Et tout va se jouer dans la puissance de ces combinaisons.

Enfin, au-delà du format lui-même on peut aussi les voir comme un média avec une ligne éditoriale particulière.

Notre société actuelle est dominée par des pratiques mortifères et prédatrices (compétition, manipulation, espionnage…). Par opposition à ces pratiques mortifères, nous choisissons de mettre en valeur spécifiquement des outils ou connaissances « vivifiants », c’est à dire qui favorisent un changement positif et nourricier/nourrissant, respectueux des humains et des écosystèmes qui les portent.

Le tout premier jeu de cartes de Métacartes que nous lançons se nomme « Faire Ensemble » et propose des méthodes créatives et collaboratives pour améliorer les réunions et les rencontres.

Métacartes en situation

Pouvez-vous nous présenter un exemple pratique d’usage de ces cartes, une mise en situation ?

Prenons un⋅e facilitateur⋅rice qui veut construire la séquence d’un évènement avec le client.

Il faut définir d’abord les objectifs : se rencontrer, faire émerger des idées, produire une trace, prioriser les actions à venir, faire un bilan, …

Ensuite, pour chaque objectif, on parcourt le jeu de cartes, et on choisit un/plusieurs formats qui peuvent convenir.

Exemple de préparation d'une journée d'animation à l'aide de métacartes
Exemple de préparation d’une journée d’animation à l’aide de métacartes

 

Au besoin, on peut aller vers la ressource en ligne pour avoir plus de précisions ou bien faire son choix autrement (originalité, déjà pratiqué avec succès…).

Mais les métacartes ne s’adressent pas qu’aux pros de l’animation ! Prenons un groupe qui se retrouve pour un atelier ou une réunion. Ses membres peuvent parcourir ensemble le jeu et cela va les aider à réfléchir à leur objectif, et au format le plus adapté pour y arriver.

D’où vous est venue l’idée de ce projet ?

Lilian : j’avais commencé à faire une collection de méthodes collaboratives d’abord sur support numérique puis sur papier sous forme de cartes faites maison et je les ai utilisées dans ma pratique professionnelle plusieurs années. Puis début 2018, j’ai commencé à travailler avec Mélanie Lacayrouze sur un format plus complet : les métacartes. Nous avons fait plusieurs itérations, des interviews d’utilisateurs, des ateliers tests pour obtenir des retours et aboutir à la version que nous allons imprimer.

Il y a actuellement un « bonus » en cours : si le financement atteint 200%, vous produirez — en plus — des métacartes relatives au projet « Dégooglisons Internet ». En quoi cela consiste-il ?

On est tous les deux très sensibles aux enjeux du libre, et donc on suit depuis longtemps à la démarche de Framasoft. Nos contenus de formations sont tous sous licence Creative Commons BY-SA !
L’idée de dégoogliser Internet, on tente de l’appliquer dans nos cercles proches depuis plusieurs années.

En tant que formateurs dans le coopératif, nous voyons aussi des réticences à l’usage du numérique chez certains de nos publics. On pense qu’avoir un « jeu » de cartes papiers ça peut aider à vulgariser, à favoriser l’usage d’outils numériques collaboratifs libres.

Sur le contenu de ce jeu : ce n’est pas finalisé, pour l’instant, mais nous envisageons des cartes outils présentant les différents services avec un condensé compréhensible par le grand public.

On pourrait aussi ajouter quelques cartes concepts pour expliciter des incontournables libristes.

Sur la ressource en ligne nous pensons compléter avec des contenus de formation, tutos, eux mêmes sous licences libres, ainsi que des liens vers les différents CHATONS qui proposent le service. L’idée est de commencer simple, avec une ressource évolutive qui sera enrichie par la suite.

Dans tous les cas, le jeu sera conçu en collaboration avec Framasoft. Comme nos contenus respectifs sont libres, pas besoin de repartir de zéro, c’est la force du libre !

Ce jeu de cartes sera accessible et téléchargeable gratuitement et librement, à la fois les contenus et les modèles.

Sur les délais, pour l’instant nous sommes en train de finir le jeu métacartes du faire-ensemble pour une sortie en décembre; on travaillera sur le jeu « Dégooglisons Internet » début 2019 pour une sortie au début du printemps !

Les différents éléments d'une métacarte
Les différents éléments d’une métacarte

Merci ! Il est d’usage de laisser la possibilité aux personnes interviewées de se poser « La question qu’on ne leur a pas posée » (et d’y répondre, évidemment !). Alors, une dernière question ?

« Est ce que vous pensez que les cartes sont le nouveau livre ? »

Oui. Nous pensons que les livres ont été et resteront utiles. Cet assemblage de pages permet de mettre à plat par écrit un raisonnement sur un sujet pour pouvoir transmettre des idées à plein de gens même loin dans l’espace et le temps. Augmenté par le numérique le format livre permet de partager instantanément des connaissances à grande échelle.

Mais lorsqu’il s’agit de travailler sur un sujet complexe avec un outil linéaire comme un livre ou un pad, forcément, on est limité ! Pouvoir manipuler les cartes (comme des post-its…) permet de faire des combinaisons, des enchaînements, et de visualiser tout ça. C’est alors un moyen puissant.

Et puis rien n’empêche de saisir le tout en co-écrivant ensemble sur un pad pour le partager. Nous séquençons les outils et les usages pour en tirer le meilleur.

 

Pour soutenir le projet : https://fr.ulule.com/metacartes-faire-ensemble/

Rappel : les dons effectués pendant toute la journée du jeudi 27 septembre seront doublés par Framasoft (dans la limite d’un don total de 800€)




Directive copyright : pourquoi l’échec, comment lutter

Oui, le vote de la directive Copyright est encore un violent coup contre les libertés numériques chères aux libristes. Notre mobilisation a-t-elle manqué de vigueur pour alerter les députés européens et faire pression sur leur vote ? 

Ont-ils été plus réceptifs une fois encore au puissant lobbying combiné de l’industrie du divertissement, des médias traditionnels et des ayants droit ? Outre ces hypothèses et sans les exclure, Cory Doctorow, militant de longue date (dont nous traduisons les articles depuis longtemps) pense qu’il existe chez les eurodéputés une sorte d’ignorance doublée d’une confiance naïve dans les technologies numériques.

Dans l’article dont Framalang vous propose la traduction, il expose également les conséquences concrètes de la calamiteuse Directive Copyright1 pour tous les internautes, et particulièrement les créateurs indépendants. Enfin, sans en masquer le niveau de difficulté, il indique les points d’appui d’une lutte qui demeure possible, et qui doit être incessante, au-delà des prétendues « victoires » et « défaites ».

Aujourd’hui, L’Europe a perdu Internet. Maintenant, nous contre-attaquons.

par Cory Doctorow

Article original sur le site de l’EFFToday, Europe Lost The Internet. Now, We Fight Back.

Traduction Framalang : rama, Sonj, FranBAG, goofy, hello, Util-Alan, dr4Ke, Savage, david, Piup

La semaine dernière, lors d’un vote qui a divisé presque tous les grands partis de l’Union européenne, les députés européens ont adopté toutes les terribles propositions de la nouvelle directive sur le droit d’auteur et rejeté toutes les bonnes, ouvrant la voie à la surveillance de masse automatisée et à la censure arbitraire sur Internet : cela concerne aussi bien les messages – comme les tweets et les mises à jour de statut sur Facebook – que les photos, les vidéos, les fichiers audio, le code des logiciels – tous les médias qui peuvent être protégés par le droit d’auteur.

 

Trois propositions ont été adoptées par le Parlement européen, chacune d’entre elles est catastrophique pour la liberté d’expression, la vie privée et les arts :

1. Article 13 : les filtres de copyright. Toutes les plateformes, sauf les plus petites, devront adopter défensivement des filtres de copyright qui examinent tout ce que vous publiez et censurent tout ce qu’ils jugent être une violation du copyright.

2. Article 11 : il est interdit de créer des liens vers les sites d’information en utilisant plus d’un mot d’un article, à moins d’utiliser un service qui a acheté une licence du site vers lequel vous voulez créer un lien. Les sites d’information peuvent faire payer le droit de les citer ou le refuser, ce qui leur donne effectivement le droit de choisir qui peut les critiquer. Les États membres ont la possibilité, sans obligation, de créer des exceptions et des limitations pour réduire les dommages causés par ce nouveau droit.

3. Article 12a : pas d’affichage en ligne de vos propres photos ou vidéos de matchs sportifs. Seuls les « organisateurs » d’événements sportifs auront le droit d’afficher publiquement tout type d’enregistrement d’un match. Pas d’affichage de vos selfies sur fond de spectacle, ou de courtes vidéos de pièces de théâtre passionnantes. Vous êtes le public, votre travail est de vous asseoir là où on vous le dit, de regarder passivement le match et de rentrer chez vous.

Au même moment, l’UE a rejeté jusqu’à la plus modeste proposition pour adapter le droit d’auteur au vingt-et-unième siècle :

1. Pas de « liberté de panorama ». Quand nous prenons des photos ou des vidéos dans des espaces publics, nous sommes susceptibles de capturer incidemment des œuvres protégées par le droit d’auteur : depuis l’art ordinaire dans les publicités sur les flancs des bus jusqu’aux T-shirts portés par les manifestants, en passant par les façades de bâtiments revendiquées par les architectes comme étant soumises à leur droit d’auteur. L’UE a rejeté une proposition qui rendrait légal, à l’échelle européenne, de photographier des scènes de rue sans craindre de violer le droit d’auteur des objets en arrière-plan ;

2. Pas de dispense pour les « contenus provenant des utilisateurs », ce qui aurait permis aux États membres de l’UE de réserver une exception au droit d’auteur à l’utilisation d’extraits d’œuvres pour « la critique, la revue, l’illustration, la caricature, la parodie ou le pastiche. »

J’ai passé la majeure partie de l’été à discuter avec des gens qui sont très satisfaits de ces négociations, en essayant de comprendre pourquoi ils pensaient que cela pourrait être bon pour eux. Voilà ce que j’ai découvert.

Ces gens ne comprennent rien aux filtres. Vraiment rien.

L’industrie du divertissement a convaincu les créateurs qu’il existe une technologie permettant d’identifier les œuvres protégées par le droit d’auteur et de les empêcher d’être montrées en ligne sans une licence appropriée et que la seule chose qui nous retient est l’entêtement des plateformes.

La réalité, c’est que les filtres empêchent principalement les utilisateurs légitimes (y compris les créateurs) de faire des choses légitimes, alors que les véritables contrefacteurs trouvent ces filtres faciles à contourner.

En d’autres termes : si votre activité à plein temps consiste à comprendre comment fonctionnent les filtres et à bidouiller pour les contourner, vous pouvez devenir facilement expert⋅e dans ce domaine. Les filtres utilisés par le gouvernement chinois pour bloquer les images, par exemple, peuvent être contournés par des mesures simples.

Cependant, ces filtres sont mille fois plus efficaces que des filtres de copyright, parce qu’ils sont très simples à mettre en œuvre, tandis que leurs commanditaires ont d’immenses moyens financiers et techniques à disposition.

Mais si vous êtes un photographe professionnel, ou juste un particulier qui publie son propre travail, vous avez mieux à faire que de devenir un super combattant anti-filtre. Quand un filtre se trompe sur votre travail et le bloque pour violation du copyright, vous ne pouvez pas simplement court-circuiter le filtre avec un truc clandestin : vous devez contacter la plateforme qui vous a bloqué⋅e, vous retrouvant en attente derrière des millions d’autres pauvres gogos dans la même situation que vous.

Croisez les doigts et espérez que la personne surchargée de travail qui prendra votre réclamation en compte décidera que vous êtes dans votre droit.

Bien évidemment, les grosses entreprises du divertissement et de l’information ne sont pas inquiétées par ce résultat : elles ont des points d’entrée directe dans les plateformes de diffusion de contenus, des accès prioritaires aux services d’assistance pour débloquer leurs contenus quand ceux-ci sont bloqués par un filtre. Les créateurs qui se rallieront aux grandes sociétés du divertissement seront ainsi protégés des filtres – tandis que les indépendants (et le public) devront se débrouiller seuls.

Ils sous-estiment lourdement l’importance de la concurrence pour améliorer leur sort.

La réalisation des filtres que l’UE vient d’imposer coûtera des centaines de millions de dollars. Il y a très peu d’entreprises dans le monde qui ont ce genre de capital : les géants de la technologie basés aux États-Unis ou en Chine et quelques autres, comme VK en Russie.

L’obligation de filtrer Internet impose un seuil plancher à l’éventuel fractionnement des grandes plateformes par les régulateurs anti-monopole : puisque seules les plus grandes entreprises peuvent se permettre de contrôler l’ensemble du réseau à la recherche d’infractions, elles ne pourront pas être forcées à se séparer en entités beaucoup plus petites. La dernière version de la directive prévoit des exemptions pour les petites entreprises, mais celles-ci devront rester petites ou anticiper constamment le jour où elles devront elles-mêmes endosser le rôle de police du droit d’auteur. Aujourd’hui, l’UE a voté pour consolider le secteur des technologies, et ainsi pour rendre beaucoup plus difficile le fonctionnement des créateurs indépendants. Nous voyons deux grandes industries, faisant toutes deux face à des problèmes de compétitivité, négocier un accord qui fonctionne pour elles, mais qui diminuera la concurrence pour le créateur indépendant pris entre les deux. Ce qu’il nous fallait, c’était des solutions pour contrer le renforcement des industries de la technologie comme de celles de la création : au lieu de cela, nous avons obtenu un compromis qui fonctionne pour elles, mais qui exclut tout le reste.

Comment a-t-on pu en arriver à une situation si désastreuse ?

Ce n’est pas difficile à comprendre, hélas. Internet fait partie intégrante de tout ce que nous faisons, et par conséquent, chaque problème que nous rencontrons a un lien avec Internet. Pour les gens qui ne comprennent pas bien la technologie, il y a un moyen naturel de résoudre tout problème : « réparer la technologie ».

Dans une maxime devenue célèbre, Arthur C. Clarke affirmait que « toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ». Certaines réalisations technologiques semblent effectivement magiques, il est naturel d’être témoin de ces miracles du quotidien et d’estimer que la technologie peut tout faire.

L’incapacité à comprendre ce que la technologie peut ou ne peut pas faire est la source d’une infinité d’erreurs : depuis ceux qui affirment hâtivement que les machines à voter connectées peuvent être suffisamment sécurisées pour être utilisées lors d’une élection nationale ; aux officiels qui claironnent qu’il est possible de créer un système de chiffrement qui empêche les truands d’accéder à nos données, mais autorise la police à accéder aux données des truands ; en passant par la croyance que le problème de la frontière irlandaise post-Brexit peut être « solutionné » par de vagues mesures techniques.

Dès que quelques puissants décideurs des industries du divertissement ont été persuadés que le filtrage massif était possible et sans conséquence néfaste, cette croyance s’est répandue, et quand les spécialistes (y compris les experts qui font autorité sur le sujet) disent que ce n’est pas possible, ils sont accusés d’être bornés et de manquer de vision, pas d’apporter un regard avisé sur ce qui est possible ou non.

C’est un schéma assez familier, mais dans le cas de la directive européenne sur le copyright, il y a eu des facteurs aggravants. Lier un amendement sur les filtres de copyright à une proposition de transfert de quelques millions d’euros des géants de l’informatique vers les propriétaires de médias a garanti une couverture médiatique favorable de la part de la presse, qui cherche elle-même une solution à ses problèmes.

Enfin, le problème est qu’Internet favorise une sorte de vision étriquée par laquelle nous avons l’illusion que la petite portion du Net que nous utilisons en constitue la totalité. Internet gère des milliards de communications publiques chaque jour : vœux de naissance et messages de condoléances, signalement de fêtes et réunions prochaines, campagnes politiques et lettres d’amour. Un petit bout, moins d’un pour cent, de ces communications constitue le genre de violation du droit d’auteur visé par l’article 13, mais les avocats de cet article insistent pour dire que le « but premier » de ces plateformes est de diffuser des œuvres protégées par le droit d’auteur.

Il ne fait aucun doute que les gens de l’industrie du divertissement interagissent avec beaucoup d’œuvres de divertissement en ligne, de la même façon que la police voit beaucoup de gens qui utilisent Internet pour planifier des crimes, et les fashionistas voient beaucoup de gens qui utilisent Internet pour montrer leurs tenues.

L’Internet est plus vaste qu’aucun⋅e d’entre nous ne peut le concevoir, mais cela ne signifie pas que nous devrions être indifférent⋅e⋅s à tous les autres utilisateurs d’Internet et à ce qu’ils perdent lorsque nous poursuivons nos seuls objectifs, aux dépens du reste du monde numérique.

Le vote récent de la directive sur le copyright ne rend pas seulement la vie plus difficile aux créateurs, en donnant une plus grande part de leurs revenus à Big contenus et Big techno – il rend la vie plus difficile pour nous tous. Hier, un spécialiste d’un syndicat de créateurs dont je suis membre m’a dit que leur travail n’est pas de « protéger les gens qui veulent citer Shakespeare » (qui pourraient être bloqués par l’enregistrement bidon de ses œuvres dans les filtres du droit d’auteur) – mais plutôt de protéger les intérêts des photographes du syndicat dont l’œuvre est « volée ». Non seulement l’appui de mon syndicat à cette proposition catastrophique ne fait aucun bien aux photographes, mais il causera aussi d’énormes dommages à ceux dont les communications seront prises entre deux feux. Même un taux d’erreur de seulement un pour cent signifie encore des dizaines de millions d’actes de censure arbitraire, chaque jour.

Alors, que faut-il faire ?

En pratique, il existe bien d’autres opportunités pour les Européens d’influencer leurs élu⋅es sur cette question.

* Tout de suite : la directive rentre dans une phase de « trilogues » , des réunions secrètes, à huis clos, entre les représentants des gouvernements nationaux et de l’Union européenne ; elles seront difficiles à influencer, mais elles détermineront le discours final présenté au parlement pour le prochain vote (difficulté : 10/10).

* Au printemps prochain, le Parlement européen votera sur le discours qui ressort de ces trilogues. Il est peu probable qu’ils puissent étudier le texte plus en profondeur, on passera donc à un vote sur la directive proprement dite. Il est très difficile de contrecarrer la directive à ce stade (difficulté : 8/10).

* Par la suite les 28 États membres devront débattre et mettre en vigueur leurs propres versions de la législation. Sous bien des aspects, il sera plus difficile d’influencer 28 parlements distincts que de régler le problème au niveau européen, quoique les membres des parlements nationaux seront plus réceptifs aux arguments d’internautes isolés, et les victoires obtenues dans un pays peuvent être mises à profit dans d’autres (« Tu vois, ça a marché au Luxembourg. On n’a qu’à faire la même chose. ») (difficulté : 7/10).

* À un moment ou à un autre : contestations judiciaires. Étant donné l’ampleur de ces propositions, les intérêts en jeu et les questions non résolues sur la manière d’équilibrer tous les droits en jeu, nous pouvons nous attendre à ce que la Cour de justice européenne soit saisie de cette question. Malheureusement, les contestations judiciaires sont lentes et coûteuses (difficulté : 7/10).

En attendant, des élections européennes se profilent, au cours desquelles les politiciens de l’UE devront se battre pour leur emploi. Il n’y a pas beaucoup d’endroits où un futur membre du Parlement européen peut gagner une élection en se vantant de l’expansion du droit d’auteur, mais il y a beaucoup d’adversaires électoraux potentiels qui seront trop heureux de faire campagne avec le slogan « Votez pour moi, mon adversaire vient de casser Internet » ;

Comme nous l’avons vu dans le combat pour la neutralité du Net aux USA, le mouvement pour protéger l’Internet libre et ouvert bénéficie d’un large soutien populaire et peut se transformer en sujet brûlant pour les politiciens.

Écoutez, on n’a jamais dit que notre combat se terminerait par notre « victoire » définitive – le combat pour garder l’Internet libre, juste et ouvert est toujours en cours.

Tant que les gens auront :

a) des problèmes,

b) liés de près ou de loin à Internet,

il y aura toujours des appels à casser/détruire Internet pour tenter de les résoudre.

Nous venons de subir un cuisant revers, mais cela ne change pas notre mission. Se battre, se battre et se battre encore pour garder Internet ouvert, libre et équitable, pour le préserver comme un lieu où nous pouvons nous organiser pour mener les autres luttes qui comptent, contre les inégalités et les trusts, les discriminations de race et de genre, pour la liberté de la parole et de la légitimité démocratique.

Si ce vote avait abouti au résultat inverse, nous serions toujours en train de nous battre aujourd’hui. Et demain. Et les jours suivants.

La lutte pour préserver et restaurer l’Internet libre, équitable et ouvert est une lutte dans laquelle vous vous engagez, pas un match que vous gagnez. Les enjeux sont trop élevés pour faire autrement.

*   *   *

Pour donner suite à cette lecture, nous vous recommandons l’article de Calimaq dont le titre est un peu à contre-courant : La directive Copyright n’est pas une défaite pour l’Internet Libre et Ouvert !




Bye bye Twitter, hello Masto !

C’est dans l’air du temps et c’est tant mieux. Comme à chaque fois que Twitter (ou Facebook) se signale par ses errements manifestes (et comment pourrait-il en être autrement ?), s’ensuit une vague de migrations.

Voici par exemple Laura Kalbag. Cette designeuse britannique qui est la moitié de indie.ie avec Aral Balkan et qui a publié le guide Accessibility for everyone a récemment pris ses distances avec Twitter pour expérimenter Mastodon au point de piloter sa propre instance…

Elle explique ses raisons et sa démarche au long de deux articles successifs sur son blog que Framalang s’est fait un plaisir de traduire tous les deux pour vous : What is wrong with Twitter et What is Mastodon and Why should I use it.

Bonne lecture… et à bientôt peut-être sur Mastodon, le réseau social qui vous redonne le contrôle ? Si vous êtes déjà convaincu⋅e, faites lire ce double article à vos ami⋅e⋅s qui hésitent encore.

Traduction Framalang : audionuma, Juliette, jums, goofy, Elodie, sonj, draenog, Nexofs, sonj + 4 anonymes

Quel est le problème avec Twitter ?

 par Laura Kalbag

Il y a quelques semaines j’ai publié une brève note pour signaler que j’ai désormais ma propre instance Mastodon. Mais commençons par le commencement : pourquoi ?

J’ai l’intention d’utiliser Mastodon comme alternative à Twitter. Bien que Mastodon ne soit pas l’équivalent de Twitter, nombre de ses fonctionnalités sont semblables. Et je cherche une solution alternative à Twitter parce que Twitter n’est pas bon pour moi.

Parfois, il m’arrive de croire qu’en disant : « Twitter n’est pas bon pour moi » je n’ai pas besoin d’expliquer davantage, mais ce n’est pas une opinion tellement répandue. Cela vaut la peine d’être expliqué un peu plus en détail :

Le capitalisme de surveillance

En bref, le problème avec Twitter c’est le capitalisme de surveillance. Au cas où ce terme vous serait étranger, le capitalisme de surveillance est le modèle économique dominant en matière de technologie grand public. La technologie nous traque, observe nos actions : c’est l’aspect surveillance. Cette information est alors utilisée afin de mieux nous vendre des biens et services, souvent par le biais de la publicité « pertinente », c’est l’aspect capitalisme. Pour dire les choses clairement, Aral Balkan appelle cela le people farming que l’on peut traduire par « élevage humain».

Nous sommes la plupart du temps conscient⋅e⋅s du fait que les publicités que nous voyons sur les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter financent leurs services. En revanche, nous sommes moins conscient⋅e⋅s du fait que des algorithmes affectent les articles ou billets que nous voyons dans les fils d’information de nos réseaux sociaux, et nous ne savons pas quelle information nourrit ces algorithmes ; ni comment ces algorithmes et leurs interfaces sont conçus pour manipuler notre interaction avec le service. Nous sommes largement inconscient⋅e⋅s de la manière dont la plupart des technologies utilisent le traçage et leurs propres algorithmes pour nous rendre dépendant⋅e⋅s et pour manipuler notre comportement d’une manière qui leur est financièrement bénéfique.

Si tout cela semble tiré par les cheveux, jetez un coup d’œil à la version blog de ma conférence intitulée : « Digital Assistants, Facebook Quizzes, et Fake News ! Vous n’allez pas croire ce qui va se passer ensuite. »

Qu’est-ce qui ne va pas avec Twitter, au juste ?

Le modèle économique de capitalisme de surveillance de Twitter a un impact sur chaque décision prise par Twitter. Twitter récompense les comportements abusifs à travers les algorithmes utilisés pour son historique car la controverse entraîne « l’engagement ». Twitter construit des cultes de la célébrité (qu’il s’agisse des individus ou des mèmes) parce que davantage de personnes s’inscriront sur une plateforme pour suivre l’actualité et éviter la peur de passer à côté.

À travers ses algorithmes Twitter décide de ce que vous voyez

Tout comme l’a fait Facebook auparavant, la décision de Twitter d’utiliser des algorithmes pour vous dicter ce que vous voyez dans votre fil au lieu de vous montrer les messages dans leur ordre chronologique signifie que vous ne pouvez pas faire confiance au flux pour vous afficher les messages des personnes que vous suivez (le contournement consiste à utiliser les « Listes », mais pour cette raison, je soupçonne Twitter de vouloir se débarrasser des listes à un moment ou à un autre…)

Vous ignorez si vos messages sont vus ou si vous voyez ceux de vos amis, puisque vous n’avez aucune idée de ce que fait l’algorithme. il semble que cet algorithme favorise les comptes et les tweets populaires et/ou viraux, ce qui fait de la viralité l’aspiration ultime des vedettes expérimenté⋅e⋅s des réseaux sociaux, au-delà du nombre spectaculaire d’abonné⋅e⋅s. (je ne porte pas de jugement… je décide moi aussi de suivre ou non une personne en fonction de son nombre d’abonné⋅e⋅s, pas vous ?)

En réalité, Twitter encourage les agressions

Twitter permet aux agressions et au harcèlement de continuer parce que l’engagement des utilisateurs prospère grâce à la polémique. Des trolls haineux qui chassent en meute ? C’est ça, l’engagement ! Des femmes et des personnes de groupes marginalisés sont harcelées sur Twitter ? Mais tous ces trolls sont si engageants ! Qu’est-ce que ça peut faire qu’une femme quitte Twitter si la polémique a pour résultat qu’un plus grand nombre de personnes vont tweeter, ou même s’inscrire pour avoir leur mot à dire sur la question ? Pourquoi Twitter, Inc. devrait-il se soucier des gens alors que les chiffres sont tout ce qui compte pour les investisseurs, et que ce sont eux qui gardent la mainmise sur les projecteurs ? Tout ce que les entreprises de réseaux sociaux ont à faire, c’est de maintenir un équilibre délicat pour ne pas mettre trop de gens en colère et à ne pas les aliéner au point de les faire quitter la plateforme en masse. Et étant donné qu’un si grand nombre de ces gens sont tellement engagés dans Twitter (est-ce nécessaire de mentionner que « engagement » n’est probablement qu’un euphémisme pour « addiction »), ils ont du mal à en sortir. C’est mon cas. Pas vous ?

Si Twitter se conformait rigoureusement à une politique stricte contre le harcèlement et les agressions, il y aurait moins de tweets. Si Twitter nous donnait des outils efficaces pour modérer nos propres fils, réponses et messages, il est probable que cela impacterait ce que l’algorithme choisit de nous montrer, et impacterait le modèle économique de Twitter qui monétise ce que l’algorithme met en priorité dans le flux des messages.

Twitter ne gère pas efficacement les cas d’agression

Il n’est pas facile de modérer les agressions. Décider de ce qui constitue une agression et de la façon de la traiter de manière appropriée est un problème pour toutes les plateformes de publication et tous les réseaux sociaux. Ce sont aussi des problèmes systémiques auxquels sont confrontées les communautés locales et le système judiciaire. Problèmes qui sont généralement traités (encore souvent de manière inadéquate) par ces communautés et systèmes judiciaires. Mais nous devons être conscients que la technologie amplifie les problèmes, en facilitant le ciblage d’un individu et la possibilité d’une attaque de manière anonyme. Et comme nous utilisons les plateformes de grandes entreprises, nous déléguons au contrôle de l’entreprise la responsabilité des décisions sur la manière de gérer les agressions.

Les personnels de ces entreprises technologiques ne devraient pas être ceux qui décident de ce qui relève de la liberté d’expression et de la censure sur ce qui est devenu notre infrastructure sociale mondiale. Les personnes qui ont des intérêts financiers dans le chiffre d’affaires ne devraient pas être en mesure de prendre des décisions concernant nos droits et ce qui constitue la liberté d’expression.

Nuances

Bien sûr, il y a aussi des situations diverses et certains choix de conception d’algorithmes de flux pour gérer le harcèlement et des agressions ne sont pas principalement destinés à servir le capitalisme de surveillance. Il se peut qu’il y ait des personnes qui travaillent dans l’entreprise et qui ont des intentions bienveillantes. (J’en ai rencontré quelques-unes, je n’en doute pas !)

Mais comme le modèle d’affaires de Twitter est concentré sur l’extraction de l’information des gens, les décisions de conception qui servent le modèle économique auront toujours la priorité. Les cas de comportements bienveillants sont des exceptions et ne prouvent pas que le modèle entier repose sur le principe de « l’attention bienveillante malgré tout ». De tels gestes de bonté sont malheureusement accomplis, ou plutôt consentis, pour améliorer les relations publiques.

Mon usage de Twitter

Quand je me demande sincèrement pourquoi j’utilise encore Twitter, je trouve de bonnes raisons et aussi des prétextes. Toutes mes bonnes raisons sont probablement des prétextes, tout dépend du degré de complaisance envers moi-même dont je suis capable tel ou tel jour. Je suis comme prise dans un tourbillon entre mes convictions et mon amour-propre.

Twitter me donne les nouvelles

C’est sur Twitter que je vais d’abord pour m’informer des actualités internationales et locales. Il est difficile de trouver un organe de presse qui couvre l’actualité et les questions qui me tiennent à cœur sans publier également du putaclic, des listes attrape-cons et des bêtises calculées avec du SEO. Malheureusement, c’est en grande partie parce que la publicité sur le Web (qui repose avant tout sur la surveillance) est le modèle économique de la publication de nouvelles. Je me tiens donc au courant des actualités en suivant quelques organes d’information et beaucoup de journalistes individuels.

Il existe une stratégie de contournement : suivre des comptes et des listes Twitter sur Feedbin, à côté des autres flux RSS auxquels je suis abonnée. Tous les tweets sont à disposition, mais l’algorithme ou les applications ne tentent pas de manipuler votre comportement.

Il s’agit d’une solution de contournement temporaire, car Twitter peut trouver un moyen d’interdire ce type d’utilisation. (Peut-être que d’ici là, nous pourrons passer au RSS comme principal moyen de publication ?) Et de toute évidence, cela ne servira pas à grand-chose et ne résoudra pas le problème de la dépendance des médias d’information au capitalisme de surveillance comme modèle économique.

Les abonnés

Beaucoup de personnes dans l’industrie Web ont accumulé un grand nombre d’abonnés sur Twitter, et il est difficile à abandonner (mon nombre d’abonnés est relativement modeste mais assez grand pour flatter mon ego lors d’une mauvaise journée). La façon positive de voir les choses, c’est que vous vous sentez responsable envers les gens qui vous suivent de les tenir au courant des nouvelles de l’industrie, et que vous avez une plateforme et une influence pour promouvoir les enjeux qui vous tiennent à cœur.

La façon plus cynique de voir les choses est la suivante : quelqu’un remarquerait-il vraiment si j’arrêtais de tweeter ? Je suis une goutte d’eau dans l’océan. Est-ce qu’un décompte de mes abonnés est juste devenu une autre façon de flatter mon ego et de prouver ma propre valeur parce que je suis accro à la dopamine d’une notification qui me signale que quelqu’un pense que je vaux un petit clic sur le bouton « suivre » ? Peut-être que me suivre n’est pas l’expérience heureuse que j’imagine avec autosatisfaction. Il n’y a pas d’autre solution que de s’améliorer et de devenir moins obsédé⋅e par soi-même. En tant que personne issue de la génération millénium dans une société dominée par le capitalisme, je me souhaite bonne chance.

Le cercle des ami⋅e⋅s

Malgré ce modèle suivre/être suivi de Twitter, j’ai des amis sur Twitter. J’ai déjà parlé d’amitié en ligne. Je me suis aussi fait des ami⋅e⋅s sur Twitter et je l’utilise pour rester en contact avec des gens que je connais personnellement. Je veux savoir comment vont mes amis, ce qu’ils font, à quoi ils s’intéressent. Je veux aussi pouvoir bavarder et échanger des inepties avec des inconnu⋅e⋅s, partager mon expérience jusqu’à ce que nous devenions ami⋅e⋅s.

Une solution : Mastodon. Un réseau social loin d’être parfait mais bien intentionné.

 

Qu’est-ce que Mastodon et pourquoi l’utiliser ?

Mastodon a démarré comme une plateforme de microblogging similaire à Twitter, mais a évolué avec davantage de fonctionnalités qui montrent une orientation éthique, progressiste et inclusive. À la place de tweets, vos billets sur Mastodon sont appelés des pouets (NdT : en anglais c’est amusant aussi, des “toots”).

l’éléphant de Mastodon soutenu en l’air par de petits oiseauxPourquoi utiliser Mastodon et pas un autre réseau social nouveau ?

Maintenant que vous savez pourquoi je quitte Twitter, vous avez probablement une vague idée de ce que je recherche dans un réseau social. Mastodon est unique pour plusieurs raisons :

Mastodon est fédéré

« Mastodon n’est pas seulement un site web, c’est une fédération – pensez à Star Trek. Les milliers de communautés indépendantes qui font tourner Mastodon forment un réseau cohérent, où, bien que chaque planète soit différente, il suffit d’être sur l’une pour communiquer avec toutes les autres. »

La fédération signifie qu’il y a beaucoup de communautés différentes faisant tourner le logiciel Mastodon, mais chaque individu de chaque communauté peut parler à un autre utilisateur de Mastodon. Chaque domaine où Mastodon tourne est appelé une « instance ».

Fédération vs centralisation

Dans mon billet à propos de Twitter, je mentionnais « comme nous utilisons les plateformes de grandes entreprises, nous déléguons la responsabilité des décisions sur la manière de gérer les agressions au contrôle de l’entreprise. » Cette manière dont le pouvoir est tenu par un individu ou un petit groupe est une forme de centralisation.

La centralisation se manifeste à travers le Web de diverses façons, mais pour les plateformes comme Twitter, la centralisation veut dire que la plateforme tourne sur un serveur appartenant à une entreprise et contrôlé par elle. Donc pour utiliser Twitter, vous devez aller sur Twitter.com, ou utiliser un service ou une application qui communique directement avec Twitter.com. Ceci signifie que Twitter a un contrôle absolu sur son logiciel, la manière dont les gens s’en servent, ainsi que le profil et les données de comportement de ces personnes. Aral explique ceci en disant que ces plateformes ne sont pas comme des parcs, mais comme des centres commerciaux. Vous pouvez entrer gratuitement, rencontrer vos ami⋅e⋅s là-bas, avoir des conversations et acheter des trucs, mais vous êtes assujetti⋅e⋅s à leurs règles. Ils peuvent observer ce que vous faites avec des caméras de surveillance, vous entourer de publicités, et vous mettre dehors s’ils n’aiment pas ce que vous faites ou dites.

L’inverse de la centralisation, c’est la décentralisation. Une alternative décentralisée à la publication sur Twitter consiste à poster de petites mises à jour de votre statut sur votre blog, comme je le fais avec mes Notes. De cette manière je suis propriétaire de mes propres contenus et je les contrôle (dans les limites de mon hébergeur web). Si tout le monde postait son statut sur son blog, et allait lire les blogs des autres, ce serait un réseau décentralisé.

logo de Indie.ie
Logo d’Indie.ie

Mais poster des statuts sur son blog passe à côté de l’intérêt… social des réseaux sociaux. Nous n’utilisons pas seulement les réseaux sociaux pour crier dans le vide, mais nous les utilisons pour partager des expériences avec les autres. Aral et moi travaillons sur des manières de le faire avec nos sites personnels, mais nous n’y sommes pas encore. Et c’est là que la fédération rentre en jeu.

J’ai ma propre instance Mastodon, mastodon.laurakalbag.com où je suis seule (avec Oskar).

Oskar, le chien de Laura
Oskar nous dit : « wooOOof ! Abonnez-vous à mon compte Mastodon @gigapup@mastodon.laurakalbag.com »

On peut appeler ça une « mono-instance ». Elle est hébergée sur mon propre domaine, donc j’en suis propriétaire et contrôle tout ce que je poste dessus, mais parce que j’ai Mastodon installé, je peux voir ce que les autres gens postent sur leurs instances Mastodon, et leur répondre avec des mentions,  des boosts (équivalents d’un retweet) de leurs pouets, bien qu’ils soient sur des instances différentes. C’est comme avoir mon propre Twitter qui puisse discuter avec les autres Twittos, mais où c’est moi qui décide des règles.

Mastodon est éthique

Vous pouvez trouver cette formule à propos de la conception de Mastodon sur la page Rejoindre Mastodon :

« Mastodon est un logiciel gratuit, libre, que chacun peut installer sur un serveur. »

Mastodon est libre et gratuit, c’est pour cela que nous pouvons avoir nos propres instances avec nos propres règles. Cela veut aussi dire que si Eugen Rochko, qui fait Mastodon, va dans une direction que les gens n’aiment pas, nous (suivant nos compétences) pouvons le forker et réaliser notre propre version.

« En utilisant un ensemble de protocoles standards, les serveurs Mastodon peuvent échanger de l’information entre eux, permettant aux utilisateurs d’interagir sans heurts… Grâce aux protocoles standards, le réseau n’est pas limité aux serveurs Mastodon. Si un meilleur logiciel apparaît, il peut continuer avec le même graphe social. »

Mastodon utilise des protocoles standards, ce qui signifie que vous pouvez vous fédérer avec Mastodon même si vous n’utilisez pas Mastodon vous-même. Ceci signifie que vous n’êtes pas enfermé⋅e dans Mastodon, vu qu’il est interopérable, mais aussi qu’une autre technologie peut marcher avec vos pouets à l’avenir.

« Il n’y a pas de publicité, monétisation, ni capital-risque. Vos donations soutiennent directement le développement à plein temps du projet. »

Voilà qui est important. Mastodon est financé par des donations, pas par de la publicité ou autre astuce néfaste de monétiser vos informations, et pas non plus par des investisseurs de capital-risque. Cela signifie qu’il n’y a pas de conseil d’administration qui décidera qu’ils doivent commencer à faire des choses pour vous monétiser afin d’obtenir un retour sur leur investissement, ou pour “croître”. Cela signifie que nous dépendons de la bonne volonté et de la générosité d’Eugen. Mais, comme je l’ai mentionné plus haut, puisque Mastodon est libre et ouvert, si Eugen devient un monstre (cela semble improbable), nous pouvons forker Mastodon et faire une version différente qui fonctionne pour nous, à notre goût.

Mastodon est inclusif

Un des plus gros problèmes de Twitter est la modération (ou plutôt l’absence de modération) du harcèlement et des agressions. Dans un article intitulé Cage the Mastodon (NdT : mettre en cage le mastodonte) Eugen explique comment Mastodon est conçu pour empêcher le harcèlement autant que possible, et vous donner des outils pour vous assurer que votre fil et vos réponses ne contiennent que ce que vous souhaitez voir.

« Mastodon est équipé d’outils anti-harcèlement efficaces pour vous aider à vous protéger. Grâce à l’étendue et à l’indépendance du réseau, il y a davantage de modérateurs auxquels vous pouvez vous adresser pour obtenir une aide individuelle, et des instances avec des codes de conduite stricts. »

Bien sûr, Mastodon est loin d’être parfait – cette critique constructive de Nolan Lawson aborde certaines des plus grandes questions et plusieurs approches possibles – mais Mastodon accorde la priorité aux outils anti-agressions et les gens qui travaillent sur Mastodon accordent la priorité aux décisions de conception qui favorisent la sécurité. Par exemple, vous ne pouvez pas simplement rechercher un mot-clé sur Mastodon. Cela signifie que les gens qui cherchent à déclencher une bagarre ou une attaque en meute ne peuvent pas se contenter de chercher des munitions dans les pouets d’autres personnes. Si vous voulez que les mots-clés de vos pouets puissent être recherchés, vous pouvez utiliser des #hashtags, qui peuvent être recherchés.

Une autre de mes fonctionnalités favorites de Mastodon, c’est que par défaut, vous pouvez apporter un texte de description alternatif pour les images, sans que l’option soit cachée dans un menu « Accessibilité ». Par défaut, une zone de saisie vous est montrée au bas de l’image avec la mention « Décrire pour les malvoyants »

un pouet de mastodon avec une image sur laquelle figurent la mention "décrire pour les malvoyants"C’est une façon astucieuse pour Mastodon de dire aux gens qu’ils doivent rendre leurs images accessibles à leurs amis.

Comment utiliser Mastodon

Je ne suis pas une experte et j’en suis à mes premiers pas sur Mastodon. Alors voici une liste des meilleurs guides d’utilisation réalisés par des personnes qui connaissent bien mieux que moi comment fonctionne Mastodon :

En français :

En anglais :

  • Un guide de Mastodon des plus exhaustifs par @joyeusenoelle – guide écrit de manière simple et suivant le format de la FAQ. Utile si vous voulez trouver une réponse à une question en particulier.
  • Guide du pouet : Introduction à Mastodon par Ginny McQueen – Couvre toutes les bases d’introduction à Mastodon dans le but de vous protéger.
  • Qu’est-ce que c’est que Mastodon et pourquoi est-ce mieux que Twitter par Nolan Lawson – Une introduction détaillée à Mastodon et à son histoire.
    • Le Mastodon apprivoisé par Eugen Rochko – Un aperçu des caractéristiques pour gérer les abus et le harcèlement, qui explique également les décisions prises dans les coulisses de Mastodon en termes de design.
    Comment fonctionne Mastodon ? Par Kev Quirk—Introduit des comparaisons entre Mastodon et Twitter à travers des exemples qui permettent d’améliorer la compréhension.
    La confidentialité des posts de Mastodon – Un pouet qui explique qui peut voir ce que vous pouettez sur Mastodon selon les différents paramétrages choisis.
    La liste ultime – Un guide pratique des apps et des clients web à utiliser avec Mastodon au-delà de son interface par défaut. D’autres points sont également référencés, tels les outils d’affichage croisé notamment.

Rejoignez une petite instance, ou créez la vôtre

Si vous êtes intéressé⋅e par Mastodon, vous pouvez choisir l’instance que vous souhaiteriez rejoindre, ou vous pouvez créer la vôtre. Je suis partisane de l’instance unique pour soi-même, mais si vous souhaitez juste tester, ou si vous avez eu de mauvaise expérience de harcèlement sur les réseaux sociaux ailleurs, je vous recommande de choisir une petite instance avec le code de bonne conduite qui vous convient.

Beaucoup de gens (moi incluse) commencent par se créer un compte sur mastodon.social, mais je vous le déconseille. C’est la plus grande instance anglophone mise en place par les développeurs de Mastodon, avec notamment Eugen Rochko (@gargron). Ils ont des règles anti-nazis et semblent être plutôt bienveillants. Toutefois, beaucoup de gens utilisent mastodon.social. La dernière fois que j’ai regardé, ils étaient 230 000. Cela veut dire beaucoup de pression sur les modérateurs, et sur le serveur, et ça contrevient grandement au concept de fédération si tout le monde rejoint la même instance. Rappelez-vous, vous pouvez facilement communiquer avec des personnes de n’importe quelle autre instance de Mastodon. Si des personnes insistent pour que vous veniez sur leur instance alors que ce n’est ni pour le code de conduite ni pour la modération, à votre place je m’interrogerais sur leurs motivations.

Soyez conscient⋅e que l’administrateur d’une instance peut lire vos messages privés. L’administrateur de l’instance de l’utilisateur avec qui vous communiquez peut aussi lire vos échanges. Cela vient du fait que les messages privés ne sont pas chiffrés de bout en bout. Même si je ne pense pas que ce soit catastrophique pour Mastodon (c’est tout aussi vrai pour vos messages sur Twitter, Facebook, Slack, etc.), [çà nous rappelle que l’on doit vraiment faire confiance à notre administrateur d’instance/un rappel sur la nécessité de pouvoir se fier à l’administrateur de votre instance]. Aussi, si vous souhaitez envoyer des messages de manière vraiment sécurisée, je conseille de toujours utiliser une application de messagerie chiffrée, comme Wire.

Pourquoi Ind.ie ne propose pas d’instance ?

Quelques personnes nous ont encouragés, Aral et moi, à lancer notre propre instance. Nous ne le ferons pas, parce que :

Avant tout : la décentralisation est notre objectif. Nous ne voulons pas la responsabilité de détenir et contrôler vos contenus, même si vous nous faites confiance (vous ne devriez pas !).
De plus, nous serions de piètres modérateurs. Les modérateurs et modératrices devraient être formé⋅e⋅s et avoir une expérience significative. Ils sont la principale défense contre le harcèlement et les agressions. Les modérateurs se doivent d’être des arbitres impartiaux en cas de désaccord, et faire respecter leur Code de Conduite. C’est une activité à temps plein, et je crois que ça ne peut être efficace que sur de petites instances.

Ma mono-instance

J’ai d’abord rejoint Mastodon.social fin 2016. Alors que j’étais assez active sur les comptes @Better et @Indie, mon propre compte était très calme. Mastodon.social était déjà plutôt grand, et je voulais avoir ma propre instance, et ne pas m’investir trop pour un compte qui pourrait finalement cesser d’exister.

Mais je ne voulais pas héberger et maintenir une instance Mastodon toute seule. C’est un logiciel vaste et complexe, et je ne suis pas développeuse backend de grande envergure ni adminsys. De plus, je n’ai tout simplement pas le temps d’acquérir les compétences requises, ni même de mettre à jour les nouvelles versions et faire les mises à jour de sécurité.

Alors quand Masto.host, un hébergeur pour « un hébergement de Mastodon entièrement géré » m’a été recommandé, j’ai su que c’était ce dont j’avais besoin pour franchir le pas pour l’hébergement de ma propre instance.

Pourquoi mettre en place une mono-instance ?

Tout ce que je publie est sous mon contrôle sur mon serveur. Je peux garantir que mon instance Mastodon ne va pas se mettre à tracer mon profil, ou à afficher de la pub, ou à inviter des Nazis dans mon instance, car c’est moi qui pilote mon instance. J’ai accès à tout mon contenu tout le temps, et seuls mon hébergeur ou mon fournisseur d’accès à Internet peuvent bloquer mon accès (comme pour tout site auto-hébergé). Et toutes les règles de blocage et de filtrage sont sous mon contrôle – Vous pouvez filtrer les personnes que vous voulez sur l’instance d’autres personnes, mais vous n’avez pas votre mot à dire sur qui/ce qu’ils bloquent pour toute cette instance.

Vous pouvez aussi créer des emojis personnalisés pour votre propre instance Mastodon que chaque autre instance pourra voir et/ou partager.

Pourquoi ne PAS mettre en place une mono-instance ?

Dans un billet précédent sur les niveaux de décentralisation qui se trouvent au-delà de mes moyens, j’ai examiné les facteurs qui nous permettent, ou non, de posséder et contrôler nos propres contenus. Il en va de même pour les réseaux sociaux, surtout en termes de sécurité. Parfois nous ne voulons pas, ou nous ne pouvons pas, modérer notre propre réseau social.

Je suis une personne privilégiée parce que je peux faire face au faible taux de harcèlement que je reçois. Ce n’est pas un indicateur de ma force mentale, c’est seulement que le pire que je reçois sont des pauvres types qui me draguent par MP (messages privés), et certains individus qui insultent notre travail à Ind.ie de manière non-constructive et/ou blessante. Ce n’est pas infini, c’est gérable avec les outils de blocage et de sourdine usuels. (Je suis également fan du blocage préventif, mais ce sera un billet pour un autre jour). Je n’ai pas (pas encore ?!) été victime d’une attaque en meute, de harcèlement ciblé, ou d’agression plus explicite.

Parce que beaucoup de gens sont victimes de ce type de harcèlement et d’abus, et ils ne peuvent pas s’attendre à maintenir leur propre instance. Parce que pour être en mesure de bloquer, mettre en sourdine et modérer efficacement les personnes et les choses malfaisantes, il faut voir ces personnes et ces choses malfaisantes.

De la même manière qu’à mon avis le gouvernement devrait fournir des filets de sécurité pour les personnes vulnérables et marginalisées de la société, le web devrait fournir également des filets de sécurité pour les personnes vulnérables et marginalisées du web. Je vois des petites instances comme ces filets de sécurité. Idéalement, je vous conseillerais de connaître votre administrateur d’instance en personne. Les instances devraient être comme des familles (entretenant de saines relations) ou des petits clubs du monde hors-ligne. Dans ces situations, vous pouvez avoir quelqu’un qui représente le groupe en tant que leader lorsque c’est nécessaire, mais que ce soit une hiérarchie horizontale sinon.

Connaître de bonnes personnes qui vous protègent est un sacré privilège, alors peut-être qu’une recommandation par du bouche-à-oreille pour une petite instance d’une personne que vous connaissez pourrait suffire. Je ne me suis pas retrouvée dans cette situation, alors prenez ma suggestion avec des pincettes, je veux seulement souligner les potentielles répercussions négatives lorsque vous décidez qui peut contrôler votre vie sociale en ligne. (Prenez en compte les exemples de ceux qui ont été confrontés aux répercussions de Twitter ou Facebook pour décider jusqu’où une agression raciste est acceptable ou  quel est leur véritable nom.)

Comment mettre en place une mono-instance

Si, comme moi, vous n’êtes pas un bon adminsys, ou si vous n’avez simplement pas le temps de maintenir votre propre instance Mastodon, je vous recommande masto.host. Hugo Gameiro vous fera l’installation et l’hébergement d’une petite instance Mastodon pour 5 €/mois. La procédure est la suivante :

  • Acheter un nom de domaine (si vous n’en avez pas déjà un à utiliser)
  • S’inscrire sur masto.host et donnez à Hugo votre nom de domaine. J’ai mis le mien en place à mastodon.laurakalbag.com ce qui est plutôt long, mais il apparaît clairement que c’est mon instance rien que par le nom.
  • Mettre en place les réglages DNS. Masto.host vous enverra alors quelques changements que vous devez effectuer sur votre configuration DNS. La plupart des fournisseurs de nom de domaine ont une page pour le faire. Puis, signalez à Masto.host une fois que vous avez effectué ces changements.
  • Créer votre compte Mastodon. Masto.host va installer votre instance Mastodon. Vous recevrez alors un message vous demandant de créer votre compte Mastodon. Créez le compte Mastodon pour votre administrateur/administratrice. Puis, indiquez à Masto.host que c’est celui que vous avez choisi comme compte administrateur. Masto.host vous donnera alors les droits administrateur/adminstratrice sur ce compte.
  • Modeler votre instance Mastodon à votre guise pour qu’elle corresponde à ce que vous souhaitez. Dès que vous avez les droits d’administration, vous pouvez personnaliser votre instance Mastodon de la manière qui vous plaît. Vous souhaiterez probablement commencer par fermer l’enregistrement aux autres personnes.

La procédure entière sur Masto.host a pris environ une heure pour moi. Mais gardez à l’esprit que c’est une procédure qui nécessite quelques interventions manuelles, ça peut donc prendre un peu plus de temps. Masto.host est géré par un seul véritable humain (Hugo), pas une société quelconque, il a besoin de dormir, manger, vivre sa vie, et maintenir d’autres instances, donc, si vous vous inscrivez à Masto.host, soyez sympas et polis s’il vous plaît !

Mais, mais, mais…

À partir du moment où vous commencez à recommander un réseau social alternatif, les gens auront leurs raisons pour vous dire en quoi ce n’est pas fait pour eux. C’est très bien. Tant que la critique est fondée. Comme l’a résumé Blain Cook sur Twitter…

Bien que j’aie réfléchi et travaillé à ce problème depuis le tout début de Twitter, je n’ai pas eu beaucoup de succès pour y remédier. Pas plus que n’importe qui d’autre.
Ce sont des problèmes difficiles. La critique facile d’efforts acharnés ne nous mènera nulle part. Ce n’est pas pour dire que la critique n’est pas fondée. De nombreux problèmes se posent. Mais si l’argument par défaut revient à « Il ne nous reste qu’à rester et nous plaindre de Twitter », cela sabote sérieusement la légitimité de toute critique.

— Blaine Cook sur Twitter

Cela dit, il y a quelques arguments qui valent la peine d’être rapidement évoqués :

– Tous mes amis / les gens sympas / les discussions intéressantes sont sur Twitter…

Tous vos amis, les gens sympas et les discussions intéressantes étaient-elles sur Twitter lorsque vous l’avez rejoint ? Voyez Mastodon comme une chance de nouveau départ, trouver de nouvelles personnes à suivre, peut-être même saisir l’occasion de suivre un groupe plus diversifié de personnes… ! Vous pouvez cross-poster sur Twitter et Mastodon s’il le faut. Évitez juste de cross-poster les retweets et @réponses, le rendu est moche et illisible.

Je m’abonne à des comptes et des listes sur Twitter en utilisant RSS avec Feedbin, ce qui me permet de garder un œil sur Twitter tout en me désintoxiquant.

– Je n’ai pas le temps de rejoindre un autre réseau social

Créer ma propre instance ne m’a pris qu’une heure. Rejoindre une instance existante prend moins de 30 secondes une fois que vous avez décidé laquelle rejoindre. Instances.social peut vous aider à trouver une petite instance qui vous convient. Assurez-vous d’avoir lu leur Code de Conduite !

Rejoignez-moi !

Si vous lisez ce billet et vous inscrivez à Mastodon, pouettez-moi ! Je serai heureuse de vous suivre et de répondre aux questions que vous vous posez à propos de Mastodon ou du lancement de votre propre instance (ou les booster lorsque je ne connais pas la réponse !)

Laura boit à son mug et son chien Oskar se lèche les babines dans l’image suivante
Oskar pense que l’accessibilité du mug c’est pour lui aussi (photos Laura Kalbag)

 

Mastodon ne sera peut-être pas notre solution optimale définitive en tant que réseau social, mais ce sera peut-être une étape sur le chemin. C’est une véritable alternative à ce qui existe déjà. Nous sommes actuellement bloqués avec des plateformes qui amplifient les problèmes structurels de notre société (racisme, sexisme, homophobie, transphobie) parce que nous n’avons pas d’alternatives. Nous ne pouvons pas échapper à ces plateformes, parce qu’elles sont devenues notre infrastructure sociale.

Nous devons essayer des solutions de rechange pour voir ce qui fonctionne et, en tant que personnes qui travaillent quotidiennement dans le domaine du Web, nous devrions nous charger de trouver une technologie sûre que nous pouvons partager avec nos proches.




TRACES, le nouveau Framabook qui vous invite à vivre et mourir au temps des IA

Mourir en Picardie, ça vous dit ? Pour traverser l’étroit passage de vie à mort, suffit de s’exercer un peu en se concentrant sur ses meilleurs souvenirs. Pour les éprouver post-mortem indéfiniment. Drôle de deal…

Écouter les voix des disparus ? Il paraît qu’en les entraînant bien les IA vont déchiffrer les chuchotis obscurs des âmes enfin libérées.

Une cyber-prophétesse dont le culte s’effondre quand ses messages déraillent ? Rendez-vous à la cathédrale d’Amiens, au cœur de la Picardie libre, nouvel état indépendant.

Vous codez ? Super. Mais vous êtes plutôt deathhacker ou thanatoprogrammeur ? Votre réseau, c’est plutôt unsecure ou MedIA ?

Vous trouverez tout cela et bien d’autres choses qui vous mettront les neurones à la centrifugeuse dans l’univers de Traces, le roman de Stéphane Crozat publié aujourd’hui chez Framabook.

Mais d’abord, l’équipe de Framasoft a interviewé pour vous le coupable.

Salut Stéphane ! Quelques mots pour te présenter ?

Bonjour. Tu sais, les profs ne sont pas habitués à décliner des CV… Bon. Stéphane Crozat. 43 ans, né en Picardie. Vie maritale, un fils, une maman, un papa, deux sœurs. Situation professionnelle : enseigne l’informatique à des élèves ingénieurs très sympas. Fait de la recherche appliquée sur les relations entre documents numériques et pédagogie dans un labo de sciences humaines assez cool pour accepter des informaticiens. Membre de la communauté du logiciel libre Scenari. Membre du Chaton Picasoft. Loisirs : pratiquer le karaté, faire des jeux, voir ses potes, regarder des films de Clint Eastwood (ou de Sergio Leone avec Clint Eastwood), écouter des vieux Renaud, faire des réponses longues aux questions qu’on lui pose.

Bon d’après toi il parle de quoi ton roman ? Parce que chez Frama on n’est pas d’accord hein : anticipation, fable philosophique, dystopie « avec des intelligences artificielles et une grande assiette de soupe », j’en connais même qui ont parlé de « thriller cybernétique », faudrait savoir ! Si tu t’essayais à résumer le propos de ton livre, l’idée directrice ?

Bon. Le titre c’est Traces, il y a une sorte de sous-titre sur la quatrième de couv’ : Vivre et mourir au temps des IA, et le site du livre s’appelle punkardie.fr, avec ça on a les mots-clés principaux, je vais partir de là. Le livre couvre un XXIe siècle dominé par une découverte concernant la vie après la mort (les « traces » du titre) et par la généralisation des IA. Et ça se passe pour l’essentiel dans une Picardie qui découvre un beau matin qu’elle est exclue de la France, et qui cherche à se réinventer pour ne pas disparaître.
Tous les personnages naissent et meurent plus ou moins avec ce siècle et ils essaient de s’en sortir au mieux pour pas trop mal vivre et pas trop mal mourir, et au passage essayer de rester libres.

Il y a deux brillantes informaticiennes qui consacrent leur vie (et leur mort) aux IA et aux traces. Il y a des personnages qui collaborent avec les géants de l’information, un peu naïvement comme le consultant Hector, d’autres plus cyniquement, comme le programmeur Alice.

Il y a aussi Bob et Charlie, qui sont un peu (et même beaucoup) paumés dans ce monde qu’ils subissent.

C’est donc plutôt un roman d’anticipation, avec des situations et des trajectoires qui peuvent nous faire réfléchir un peu sur notre monde actuel. Je prends donc avec plaisir le tag #philosophique. Mais j’espère que ça fera aussi un peu marrer, et en option un peu frissonner. Mais l’option n’est jamais obligatoire.

Avec ce roman, tu parles d’une région que tu connais bien, et tu lui imagines un avenir… particulier. Tu prends un pari sur le sens de l’humour des Picardes et des Picards ?

Le sens de l’humour l’emportera… C’est ce que je réponds à ma compagne quand elle me dit que mon fils risque de se faire jeter des cailloux à l’école ! Je plaisante. Note que les propos les plus durs à l’égard de la Picardie sont le fait de personnages (pas de l’auteur, hein, il y vit !) qui croient appartenir à une certaine élite. C’est assez facile si tu te penches depuis Paris — par exemple — de regarder la Picardie de haut :

Font des fautes de français, vont pas au théâtre, z-ont pas la 12G, même pas le tout-à-l’égout. Pis t’as vu comment y votent ?

C’est ce complexe de supériorité que je surjoue à travers les personnages qui ont des propos acerbes à l’égard des Picards. La Picardie libre, c’est une façon de dire : si on arrêtait de vouloir que tout le monde parle pareil, pense pareil, ait les mêmes ambitions ? Si on se lâchait un peu la grappe ? Si on arrêtait de vouloir dire à chacun comment il doit vivre ? C’est peut-être aussi l’espoir que les Picards d’ici et d’ailleurs essaient un jour autre chose que juste râler à chaque élection… Alors pourquoi pas cultiver des champs de cannabis, c’est plus sympa que de la betterave à sucre, non ? Bob Marley, c’est quand même plus classe que le Géant Vert !

C’est ton premier ouvrage de fiction, et tu y intègres énormément d’éléments de fond et de variétés de forme. Est-ce là un projet que tu portais en toi depuis longtemps ? Comment as-tu franchi le cap qui mène à la rédaction d’un roman ?

J’avais des bribes de textes qui traînaient dans des coins… et puis, il y a deux ans, en rentrant d’un week-end sur la côte Picarde avec ma compagne, je me suis lancé dans La Soupe. Un épisode que l’on retrouvera quelque part dans le roman. On avait déliré sur l’idée des derniers clients… Ensuite, j’ai ressorti certaines vieilles idées — comme l’indépendance forcée d’une région — et j’ai commencé à écrire quelques nouvelles, qui petit à petit se parlaient de plus en plus les unes les autres. Je me faisais vraiment plaisir, mes proches ont aimé ce que je sortais, alors, pendant six mois, un an, j’ai pris l’habitude d’écrire tous les jours et surtout les nuits. Je suivais des pistes différentes, c’est pour cela qu’il y a de la variété j’imagine. On peut aussi y voir ma déformation de chercheur en ingénierie documentaire qui aime faire travailler le fond et la forme, mon goût de la diversité, et sûrement encore l’influence de Damasio. Ensuite c’est le travail avec Framabook — gloire à Goofy — qui a conduit à un vrai roman.

Brrrr, ton roman est plutôt sombre, ça te va si on lui colle l’étiquette de dystopie ?

C’est sombre ? Dystopie ? Moi, je ne trouve pas tant que ça… Il y a quand même des pistes de sortie… Mais j’aime beaucoup les romans, films et chansons très tragiques, Le voyage au bout de la nuit, plus récemment La graine et le mulet par exemple ou l’univers désespéré de Damien Saez. Une façon d’équilibrer mon naturel très optimiste, je pense. Bref, peut-être que mon référentiel est décalé ! Après, je revendique, avec l’âge, un certain stoïcisme, j’aime bien l’idée qu’accepter le tragique du réel est au moins aussi important que de chercher à changer le monde.

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Tu parles de l’évolution des géants de la communication et du numérique sur plusieurs décennies, est-ce que le cycle que tu présentes, à savoir concentration puis effondrement, est basé sur une intuition ? Ou c’est juste pour des raisons narratives ?

La concentration est là, c’est un fait admis aujourd’hui, tout comme ses risques et dérives. L’idée d’une concentration telle qu’un seul acteur subsisterait, c’est plutôt une façon d’exacerber le phénomène pour le pousser à un point-limite. Et dans ce cas, oui, j’imagine que l’on espère que ça ne durerait pas ? On est dans la servitude volontaire, on a en main les haches pour casser les monopoles, mais pour le moment on n’a pas encore assez mal pour s’en servir. Ça gratte juste. Donc, l’idée est purement narrative, c’est pour jouer avec, mais ce n’est pas forcément gratuit pour autant…

L’usage que tu présentes des Intelligences Artificielles est-il également basé sur des éléments tangibles, dont on pourrait deviner des traces dès aujourd’hui ?

J’ai été formé en info dans les années 90. L’IA, c’était le truc qui ne marchait pas. La recherche en IA était sympa parce que ça permettait d’explorer de nouvelles pistes, mais c’était de la SF. Ces dernières années on a vu un retournement tout à fait fascinant. Après, que les machines ressemblent aux robots d’Asimov et parlent comme Hal dans un avenir proche ou pas, elles ont déjà totalement envahi et transformé nos quotidiens, ça c’est un fait.

Il y a des potes qui m’expliquent que l’allumage automatique des phares en voiture, ils ne pourraient plus s’en passer. Tu imagines ? Les machines ont convaincu les humains qu’ils n’étaient pas assez autonomes pour savoir quand ils avaient besoin d’allumer la lumière ! Alors tu les imagines se passer d’un GPS ? Pour moi une IA c’est une machine qui allume tes phares à ta place. Pas besoin de réseau de neurones, ni d’ordinateur quantique.

Les premières traces des IA, c’est un silex, une houe. Un tire-bouchon c’est une intelligence artificielle. Retrouve-toi avec une bonne bouteille en rando quand t’as perdu ton couteau suisse et tu verras. Une voiture qui parle, ce n’est que l’évolution technique de la charrette. Mais je pense en effet qu’on vit le début d’un moment charnière. On s’en souviendra comme le moment où les hommes se sont mis à regarder leur portable plutôt que leur copine aux terrasses des cafés.

Jeune femme casque orange aux oreilles qui programme devant 4 écrans face à des baies vitrées donnant sur des buildings à l’arrière-plan
Photo par WOCinTech Chat (licence CC-BY-2.0)

 

Quels sont les auteurs qui t’ont le plus influencé ou peut-être inspiré pour l’écriture de ce roman ?

Bon, dans les récents, clairement c’est Damasio. Inspiré, je ne sais pas, transporté en tous cas par La horde de Contrevent, possible que j’aie picoré un peu de La zone du dehors pour ma Picardie libre — une sorte de fork — et qu’il y ait du Golgoth qui traîne dans certains de mes personnages… C’est pas sous licence libre, Damasio ? Ça devrait ! Alain, si tu m’entends…
Sinon dans les classiques, on va mettre Le voyage pour le style oral, Borges pour les nouvelles, et Nietzsche parce que ça inspire forcément des trucs. Il y aussi l’influence de mon contexte pro, comme Simondon sur le rapport à la technique.

Bon alors tu publies sous licence libre chez Framabook, tu crois que c’est comme ça que tu vas gagner de la thune ?

Carrément ! J’achèterai ma première TeslAlphabet parlante avec les dons en Ğ1 que je vais recevoir, tu verras.
Les gens croient que le libre c’est un truc d’anar de gauche à tendance humanitaire. Mais c’est une couverture, ça. Moi, j’ai choisi de publier sous licence libre, parce que je sais que c’est LE modèle économique du XXIe siècle, celui qui va bientôt tout rafler.

  • Étape 1, Framasoft. Tu crois que je ne vous vois pas venir ? Vous montez en puissance grave, pour le moment vous êtes encore sous les radars des économistes, mais d’ici quelques mois, ça va se voir, votre prévision de hausse budgétaire de plusieurs millions, votre projet de rachat de La Quadrature et des nœuds Tor, ça va pas passer inaperçu. Je sais pas d’où vient l’argent, je me suis laissé dire que vous aviez trouvé des bitcoins sur une clé USB russe ? Ou alors, vous avez un labo sur une plage ? Bref, framasoft.org va bientôt devenir le site visité en France, et quand les gens auront tout lu le Framablog, qu’ils seront addicts, ils se jetteront sur les Framabooks.

Mon IA me prévoit 95 000 exemplaires la première année. D’ailleurs, je sais que vous ne voulez pas trop en parler, mais je pense que les lecteurs ont le droit d’être au courant : Lulu risque d’être saturé rapidement, donc il faut quand même leur conseiller de commander leur exemplaire papier rapidos.

  • Bon, étape 2, mes potes. J’ai demandé à chacun d’aller voir son libraire préféré et de le convaincre de lire, puis vendre Traces. Tu me diras, t’as quoi dix potes ? D’abord j’en ai plus, et puis ça va faire boule de neige, quand mes étudiants s’y mettront ça va commencer à envoyer du lourd (non, il n’y aura pas de point en plus au partiel, mais un prof bien dans sa peau, c’est toujours un plus, pensez-y). Avec le bouche-à-oreille, on est à 1250 librairies touchées la première année, un petit 50 % quoi, avec un taux d’acceptation de 71 %. Toujours mon IA. Tu penses que je suis sectaire, tu te demandes : et si des gens qui ne sont pas mes potes ni mes élèves veulent contribuer ? Eh bien j’ai préparé une lettre sur le site du livre, ils peuvent l’imprimer et l’apporter à leur libraire préféré avec un exemplaire et ils feront partie de ce grand réseau de distribution informel, basé sur le plaisir de partager.
    Mais, c’est pas fini !
  • Étape 3, le site du livre donc : punkardie.fr. C’est là que se cristallise la vraie économie du XXIe siècle, l’économie du don. Fini les achats d’objet ou les conneries illimitées. Tout va bientôt être libre. Donc l’avenir c’est le don. Et là, comme je suis en avance de phase, c’est le pactole, un premier million dès 2020 (en Ğ1 bien sûr). Promis, je reverserai une part à Framasoft. Voilà, tout est orchestré. Alors ceux qui pensent que les libristes sont des Bisounours ou des punks à chien, ils vont devoir revoir un peu leur conception du monde. Les traders et les banquiers de demain, c’est nous !

image de couverture de Traces, le roman de Stéphane Crozat. Détail d’une sculpture grise métal, quelques zones rouges

Donc tu veux distribuer ton roman aussi via les libraires indépendants. C’est quoi cette histoire de lettre ?

Je sais que Framabook n’est pas très chaud pour travailler avec les libraires, parce que c’est beaucoup de contraintes et de boulot pour une faible diffusion. Mais j’aime bien les librairies. C’est je crois le seul magasin où j’aime me rendre et perdre du temps. Ne me propose pas d’aller acheter des fringues, j’attrape des boutons, mais aller à la librairie pour moi, c’est comme aller au cinéma. Ce n’est plus vraiment « utile » — home cinéma et liseuse électronique obligent — mais il y a une ambiance… Alors je me suis dit, si certains lecteurs et lectrices veulent essayer de convaincre leur libraire et que cette personne est assez chouette pour faire l’effort d’accepter, on peut essayer. Donc j’ai préparé une lettre qu’ils et elles peuvent donner en accompagnement d’un exemplaire et de leur petit argumentaire à eux. Imagine, si ça marche, ce serait quand même super classe ? Et puis, ça permettrait aussi de diffuser un peu des valeurs du libre… Et même si c’est pas sûr, c’est quand même peut-être…

Dans ton roman, on ne peut pas dire que tu sois tendre avec l’avenir du Libre. Est-ce une crainte, une façon de conjurer le sort ?

D’abord, globalement, c’est pas un roman très tendre… Donc oui, il y a quand même beaucoup de second degré. Si vous êtes choqué à un moment, dites-vous que c’est du second degré ! Sur le libre, il y a quand même des résistances qui se maintiennent pendant la première moitié du roman, les réseaux anarchiques de Picardie ou les death hackers. Et puis tout de même, ensuite, c’est bien une communauté libre à l’échelle mondiale qui permet à Suzanne de mener à bien son projet. Après, que la route soit longue, c’est possible…

Tu penses déjà à la suite ou bien c’était un one-shot ? Peut-être que tes lecteurs et lectrices auront envie de voir se développer un personnage ou une période ?
Pour le moment, j’ai plutôt d’autres idées… On verra quand j’aurai des lecteurs et des lectrices !

Un dernier défi : ton mot de la fin en moins de 180 caractères…
Quelle poignée de secondes garderais-tu si tu devais les revivre pour l’éternité ?

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