La nouvelle #solarpunk du jour : « Qu’ai-je fait ? »
Pour la deuxième fois, Framasoft participe, au sein de l’Université de Technologie de Compiègne (UTC), à une semaine de cours sur le thème des lowtechs et du Solarpunk.
Les étudiant⋅es ont pour mission d’écrire (sans se faire aider par l’I.A. !) des nouvelles dans cet univers, qui sont publiées ici et participeront à un concours organisé par Low-Tech Journal. Ces nouvelles ont été lues en direct sur la radio indépendante Graf’Hit. La lecture de cette nouvelle est écoutable ici :
Aujourd’hui, nous allons suivre une héroïne amnésique découvrir une étrange cité apparemment idéale… mais où une étrange atmosphère règne.
Qu’ai-je fait ?
Auteur·rices : Marie, Apolline, Jade, Anatole, Ombeline, Agathe
Ce document est disponible sous licence CC-BY-SA.
Partie 1 : Le réveil
Tout le monde court autour de moi. J’essaye de bouger, de courir, mais je suis tétanisée. Je cherche des visages familiers parmi la foule, mais tout va trop vite. Les battements de mon cœur résonnent et le sang afflue dans mes tempes, brouillant mes sens. Je sens une main familière sur mon épaule :
— Mais… qu’est-ce que tu as fait ?
J’ai chaud. L’odeur de soufre me brûle les sinus. J’ouvre les yeux, les mains encore tremblantes.
— Encore ce rêve.., dis-je en me levant.
Depuis maintenant cinq jours, j’erre seule dans ce désert de déchets. J’ai le ventre tiraillé par la faim et la gorge sèche à cause du manque d’eau. J’avance sans but, me nourrissant de conserves trouvées dans des supermarchés laissés à l’abandon. Je me dirige maintenant vers le nord, restant à l’affût du moindre bruit autour de moi. Je ne me sens pas à ma place dans cet environnement hostile. Tout à coup, j’entends un craquement derrière moi. Je me retourne vivement et aperçois des enfants cachés derrière les montagnes de détritus. Ils m’observent en rigolant :
— Bonjour… ? commencé-je en m’approchant. Vous êtes du coin ? Vous savez…
Sans me laisser finir, les enfants se mettent à courir. Ils sont les seules personnes que je rencontre depuis que je me suis perdue, et sont sûrement ma seule porte de sortie. Épuisée, je fais alors appel à mes dernières forces pour partir à leur poursuite. Ils courent plus vite que moi, et je peine à les suivre. Soudain, je me revois à l’époque de ma propre enfance faisant des courses poursuites avec mes amis dans les rues de la ville. Le vent soulève mes cheveux et me ramène à la réalité. Cette vie-là n’est plus la mienne aujourd’hui. Je reprends mon souffle péniblement, et cherche des yeux les enfants. J’aperçois une foule qui s’éloigne. Je suis à bout de force, mais je ressens quelque chose que je pensais avoir perdu : l’espoir. Je puise dans mes dernières ressources. Je me faufile dans cette masse et suis le mouvement, ne voulant pas me faire remarquer. Au loin, les contours d’une ville se dessinent. Je me surprends à sentir des parfums familiers. Encore quelques pas et j’arrive enfin dans cette cité inconnue.
Partie 2 : La découverte d’un nouveau monde
J’ai l’impression d’entrer dans une civilisation qui ne ressemble à rien que je connais. Je décide de sortir de la foule agitée. J’emprunte une petite rue déserte et m’adosse contre un mur afin de reprendre mon souffle. Les lumières commencent à tourner autour de moi, je sens mes yeux se fermer et mon corps s’alourdir. Alors que je commence à m’évanouir, j’entends : « viens avec moi, il faut que tu manges ».
Je décide de suivre cette voix grave qui m’est inconnue. Une main m’incite à m’asseoir puis me donne de la nourriture. Je reprends peu à peu mes esprits et vois alors l’homme qui m’a amenée ici. Il doit avoir une cinquantaine d’années, les cheveux blancs, quelques rides, assez grand, d’une stature imposante et avec un regard perçant.
— Merci, merci pour votre aide… Je m’appelle Jaamao, balbutié-je.
— Maël. Tu viens pas d’ici toi. J’me trompe ?
— Je… pardon, je vais vous laisser, dis-je alors que la peur que l’on me renvoie dehors s’éveille en moi.
— Tu peux rester.
Après quelques jours de repos, je retrouve assez d’énergie pour aider Maël dans les tâches quotidiennes. Un matin, alors que je le rejoins pour notre petit déjeuner habituel, il me lance :
— Ça va, aujourd’hui ?
— Je me sens bien mieux, merci !
— Et ta mémoire ?
— Rien pour le moment… Je ne comprends toujours pas comment je me suis retrouvée dehors. Le seul souvenir qu’il me reste est cet horrible cauchemar qui ne me quitte pas.
Après une pause à regarder sa tasse de thé, Maël prend une décision :
— Avale vite ton p’tit dèj’. On visite la ville aujourd’hui.
Il me conduit dans un dédale de rues et de jardins qui s’entremêlent. Les odeurs de menthe et de persil montent jusqu’à mes narines et se mélangent à celles des légumes grillés, de l’autre côté de la rue. Une brise légère souffle, qui adoucit la chaleur accablante ; les feuilles dansent et s’agitent en rythme. Je profite de ce nouveau paysage et reprends plaisir à entendre la foule calme évoluer autour de moi. Cependant, je remarque que certaines personnes me regardent attentivement. Je me tourne vers Maël :
— J’aime beaucoup cette ville ! Tout le monde a l’air si gentil… mais certains me dévisagent.
— Tes yeux, me répond-il brusquement à voix basse. Les yeux vairons sont rares ici. La dernière fois qu’on en a vus, il paraît que des catastrophes sont arrivées.
Il me tend discrètement une paire de lunettes de soleil que je m’empresse de porter. Confuse, j’essaye de soutirer plus d’informations, mais Maël fait mine de ne pas m’entendre et continue sa route. Il m’explique l’organisation de cette cité réadaptée. Nous retournons à l’endroit où il m’a amenée le jour de mon arrivée : l’espace de rassemblement pour les repas. La nourriture qui y est servie provient d’élevages et de cultures raisonnées que les habitants pratiquent au sein même de la ville. Je découvre ensuite la zone résidentielle, où un logement est attribué à chaque famille, contenant le strict minimum pour se reposer. Les habitations sont organisées autour de zones communes, de nombreux parcs et espaces de jeux entourent les immeubles jusqu’aux écoles, bibliothèques et magasins de première nécessité. La ville contient également un espace spécialisé pour les soins avec un centre hospitalier. Maël m’explique que l’usage des médicaments a fortement diminué, au profit de soins plus doux et plus naturels.
— C’est très étrange, tout ce que je découvre est si différent, si ordonné et si réfléchi par rapport au peu de souvenirs qu’il me reste du monde d’avant.
— On ne surproduit plus. T’as vu comment c’était dehors. Trop pollué. Trop sale.
— Comment ?
— On revalorise, on composte, on traite, on réutilise.
Je remarque des panneaux solaires et des éoliennes disposés sur le haut des bâtiments. Je sais que cela permet à cette cité d’être autonome, cependant je ne parviens pas à expliquer comment je peux être si sûre de moi. Perdue dans mes pensées, j’entends à peine Maël qui me parle :
— … ta visite. Jaamao ?
Je tourne la tête vers lui.
— Tu apprécies ta visite ? reprend-il.
— C’est beau, bredouillé-je.
— On travaille dur pour ça. Mais c’est pas parfait.
Sur ces mots, il se retourne, désignant un semblant de puits dans le sol partiellement rebouché. Cet endroit me rappelle l’extérieur de la ville : « Et dire que le changement climatique ne préoccupait personne… », me dis-je.
— Il n’y a pas d’eau ?
— C’est le problème de notre quartier. Il y a six quartiers dans la ville, chacun géré de manière autonome. Sauf qu’on manque tous d’au moins une ressource. À cause de ça, on est dépendants les uns des autres. Par exemple, dit-il en pointant le Nord, le quartier Delfino n’a quasiment aucune culture à cause du sol pollué. Carlingo ne possède pas de système de recyclage des déchets. Et chez nous, c’est l’eau.
— Je trouve ça bien que vous arriviez à être en connexion avec les autres, remarqué-je surprise que Maël m’explique autant de choses.
— Oui… dans l’idée. Mais y’a pas assez d’échanges, on a du mal à parler… Il y a toujours des rivalités à deux balles entre les quartiers.
Sur ces mots, Maël soupire, et la ride sur son front se creuse un peu plus, avant de poursuivre :
— Tu vas penser que je suis qu’un vieux râleur. Mais c’est important qu’on s’entende bien. Il faut arriver à se mettre d’accord sur nos lois et nos échanges.
Comme il ne détaille pas plus, je lui demande alors :
— Comment vous faites ?
— Une fois par mois, les conseils de quartier se réunissent pour en parler. Mais une vraie démocratie avec tous les citoyens ? C’est pas si facile, conclut-il.
Partie 3 : « Qu’ai-je fait ? »
Nous avançons dans les rues sur le chemin du retour. Le soleil commence à baisser, je décide d’enlever mes lunettes.
— On va sur la place Luis Orogan. Elle est centrale à notre quartier. Tu vas aimer.
Je commence à sentir à nouveau les regards sur moi. Des murmures se font entendre lorsque je passe devant certaines personnes.
— C’est la fille aux yeux vairons, non ?
— C’est elle !
— Elle est revenue !
— Elle va nous porter malheur…
— Regardez ce qu’il s’est passé la dernière fois !
Les gens du quartier se sont agglutinés sur la place. Je me sens de plus en plus oppressée et commence à voir trouble. Je cherche des visages familiers parmi la foule, mais tout va trop vite. Je sens une main familière sur mon épaule :
— Mais… Qu’est-ce que tu as fait ?
Le regard inquiet de Maël me transperce. Tout se met à tourner autour de moi. Les souvenirs me frappent et un goût amer m’envahit. Je me souviens à présent : mon arrestation, mon exil… Pourquoi tout le monde me rejette, s’éloigne de moi… C’est de ma faute.
Quelques années auparavant, nous avons été confrontés à nos premiers gros problèmes d’accès à l’eau potable. J’ai cru pouvoir résoudre seule ce problème en créant une machine permettant de potabiliser les eaux rejetées. Les premiers tests ayant été réussis, j’ai tenté de créer une deuxième version, plus puissante, plus efficace, plus performante. Le conseil ne l’avait pas encore validé mais je l’ai quand même mise en place à leur insu. Malheureusement, la fuite de l’un des composés chimiques a pollué toute l’eau potable causant la mort de nombreuses personnes. Parmi eux, Gabi, mon meilleur ami.
En redécouvrant, avec un regard neuf, le fonctionnement de cette ville, je réalise à quel point j’ai été stupide. Je relève la tête, les larmes aux yeux, et regarde les visages autour de moi :
— J’ai cru… j’ai cru que je pouvais y arriver. Je voulais y arriver. Je ne vous demande pas de me pardonner. Je ne suis pas sûre de pouvoir moi-même.
Je cherche Maël du regard, et, la gorge nouée, je m’adresse à lui :
— Je veux apprendre à faire ce que tu fais. Je veux pouvoir apporter des choses ici, rattraper ce que j’ai détruit. Mais pas toute seule, plus toute seule. Je veux contribuer à cette cité, avec la communauté. Est-ce que tu peux m’aider ?
Bonus : « Comment tout s’est effondré », le préquel
Les membres du groupe n’ont pas voulu s’arrêter si vite et ont donc enchaîné avec la rédaction d’une courte histoire complémentaire, qui raconte le fameux événement qui a tout déclenché…
— Tu es sûre que tu ne te précipites pas trop ? Tu sais, le conseil n’avait vraiment pas l’air d’être partant pour mettre en place ta nouvelle invention.
— Oui, mais si on doit tout le temps attendre la validation du conseil, nous n’avancerons jamais !
Jaamao est convaincue que son invention pourrait nous sauver face à la pénurie d’eau qui touche tout le quartier. Elle voit que je doute toujours de son idée :
— Gabi, fais-moi confiance ! La pompe reprend les eaux usées et les purifie grâce à l’ajout de fluoferonitrate. Tous les tests que nous avons réalisés montrent que ça va fonctionner ! J’en suis certaine ! Tu vas m’aider ?
Je la connais, Jaamao. Une fois qu’elle a une idée en tête il est difficile de la lui enlever. De toute façon, je vais l’aider. Je préfère m’assurer que tout se déroule bien plutôt que de la laisser faire cela seule.
— Tu veux mettre en place la machine quand ? demandé-je.
— On peut le faire ce soir, quand tout le monde sera couché. Demain, c’est la fête du quartier, ce sera l’occasion rêvée de montrer que le conseil avait tort de ne pas me faire confiance.
Après nous être mis d’accord sur les différents détails pour l’installation, nous nous retrouvons à la tombée de la nuit quand seul le bruit d’un hibou rompt le calme pesant. Nous entrons dans le centre de traitement des eaux usées et Jaamao y branche sa pompe de purification. Je me positionne pour faire le guet devant la porte, je ressens presque l’envie que quelqu’un nous interrompe et que tout cela tombe à l’eau. Mais il n’y a plus personne dans les rues, à cette heure. Jaamao termine rapidement sa manipulation et nous repartons tout aussi vite. Nous nous quittons après nous être donné rendez-vous à la fête du quartier.
Le lendemain, Jaamao et moi arrivons sur la place principale du quartier Luis Orogan. Des éclats de rire percent à travers la foule. Les odeurs des brochettes de champignons grillés me titillent les narines et réveillent mon appétit. La peur me tétanise et l’atmosphère commence à être de plus en plus pesante. Que se passera-t-il si un habitant se rend compte de ce que l’on a fait ?
Au fond de la place, près de la fontaine, les gens se servent en eau. Je prends alors un verre et je le bois entièrement. L’eau a un léger goût, mais rien d’alarmant. Toutes les eaux ont un goût.
— Alors ? Tu vois que mon invention était nécessaire et fonctionne ! s’exclame Jaamao
Des bruits de toux commencent peu à peu à remplacer les rires, et mon cœur se serre. Une femme s’effondre à ma gauche. Encore une autre. Encore et encore. Les gens commencent à paniquer et à s’agiter. Tout le monde court autour de moi. Je vois Jaamao tétanisée. Elle cherche des visages familiers parmi la foule, mais tout va trop vite. Je transpire tellement. Que se passe-t-il ? Que m’arrive-t-il ? Je m’effondre, et me rattrape à elle :
— Mais… qu’est-ce que tu as fait ?