La nouvelle #solarpunk du jour : « Archipel »

Pour la deuxième fois, Framasoft participe, au sein de l’Université de Technologie de Compiègne (UTC), à une semaine de cours sur le thème des lowtechs et du Solarpunk.

Les étudiant⋅es ont pour mission d’écrire (sans se faire aider par l’I.A. !) des nouvelles dans cet univers, qui sont publiées ici et participeront à un concours organisé par Low-Tech Journal. Ces nouvelles ont été lues en direct sur la radio indépendante Graf’Hit. La lecture de cette nouvelle est écoutable ici :

Aujourd’hui, on fuit un monde dystopique pour découvrir une société organisée en villages interdépendants…

Archipel

Auteur·rices : MT, M, Paul, KC, Léa et Loul

Ce document est disponible sous licence CC-BY-SA.

— Bonjour Zaden, il est huit heures.

— Bonjour Alann, ouvre les volets, allume la lumière.

— Bien sûr ! Pour votre petit-déjeuner, souhaitez-vous de la confiture ?

— Du beurre. Ah ! Allume la salle de bain et lance la playlist.

— Tout de suite. Vos vêtements sont prêts, dans le tiroir du bas.

— Alann, quelles sont les nouvelles aujourd’hui ?

— Aujourd’hui 15 janvier 2042, 8h23, il fait 16°C et il pleut, la qualité de l’air est bonne. Le pic de particules epsilon se maintient au-dessus de la ville à cause d’un anticyclone. L’entreprise Tomaframe a annoncé le lancement des tests du projet ITER et le gouvernement déclare travailler sur l’exploitation durable des ressources aquifères du satellite Encelade.

— Merci, Alann. Il faut que j’y aille. Déverrouille la porte d’entrée.

— Zaden, avant que vous ne partiez, je viens de recevoir des informations à propos de votre ami Dariux.

— Hein ?

— Votre ami est décédé dans un accident de voiture hier soir.

Cette nouvelle m’assomme.

— Dis-moi où il est !

— Son corps a déjà été incinéré, je peux prévenir ses parents de votre arrivée si vous le voulez.

— D’accord, fais ça !

Déjà incinéré ? Mais pourquoi ? Jamais je n’ai parcouru le trajet reliant ma maison à celle de Dariux aussi rapidement. J’arrive devant sa porte mais quelque chose m’interpelle : elle est ouverte. Je m’interroge, cela pourrait être les militants écologistes de la TREV qui viennent encore faire pression sur la société de son père. Je glisse mon regard dans l’entrebâillement et je reconnais l’uniforme noir de deux membres du gouvernement ONAIME. Que peuvent-ils faire là ? Haletant, je m’approche sans faire de bruit.

« N’oubliez pas, les vraies circonstances de la mort de votre fils doivent rester secrètes… Tout ce que vous devez dire c’est que votre fils est mort d’un accident de voiture ». Cela me semble étrange. Qu’est-ce qu’il se passe ?

Les deux hommes continuent : « D’autant plus qu’un groupe TREV se rassemblerait sur le Belvédère. Il ne faudrait pas leur fournir un prétexte. »

Un prétexte à quoi ? Je ne comprends rien. Justement un tract du TREV a été collé sur le mur de la propriété. Je le reconnais, même si je ne les lis jamais. Cette fois j’en prends connaissance. « NOTRE GOUVERNEMENT NOUS MENT » dit-il. Bien que quelqu’un ait tenté de l’arracher, je peux déchiffrer ces quelques mots : epsilon, intoxication, écologie. La rage et l’incompréhension au ventre, je prends ma course. Je n’ai qu’une envie, celle de parler à une personne qui ne me mentira pas. Je n’entends plus que les battements de mon cœur à mesure que je me dirige vers le point culminant de la ville. Quelques personnes discutent. Une femme aux cheveux gris vient à ma rencontre, l’air soupçonneux.

— Bonjour, jeune homme. Tu t’es perdu ?

— Bonjour madame, c’est vous qui distribuez les tracts ? Mon ami est mort, et le gouvernement semble vouloir en dissimuler la cause… Ils ont aussi parlé de vous, je me suis dit que vous auriez peut-être des réponses.

Elle m’explique.

— Si le gouvernement s’en mêle, c’est sûrement que ton ami est mort à cause des particules epsilon.

Encore une pseudo-solution dite « verte » pour préserver cette maudite croissance.

— Alors Dariux serait mort à cause des epsilon ? Celles que le gouvernement juge inoffensives ? J’ai entendu les uniformes noirs. Ils savent que vous êtes là, c’est comme ça que je vous ai trouvés.

La femme alerte immédiatement ses amis.

— Il faut qu’on bouge ! Heureusement, ils sont lourdauds alors que nous, on voyage léger. Petit, tu peux venir avec nous si tu veux mais c’est maintenant !

D’autorité, le groupe m’embarque dans sa fuite.

°°°

Cela fait trois jours que nous marchons. Je suis éreinté. Manque d’entraînement. Nous arrivons enfin dans un camp. Une nommée Dalia nous accueille, nous fait visiter. Elle m’explique que leur société est constituée de plusieurs îlots d’individus organisés sous forme d’archipel.

— Ici nous sommes à Luton. Chaque îlot, ce que toi tu appelles « village », a des principes qui varient. Par exemple, ici nous ne renions pas totalement la technologie, mais nous la conservons dans son état, le plus lowtech possible. Dans l’îlot voisin, on vit encore plus proche de la nature. Ils refusent tout appareil électrique. Nos micro-sociétés sont interconnectées, communiquent entre elles et s’entraident pour répondre à des besoins communs. Tu savais que c’est comme cela que font les arbres ? Tu pourras choisir l’îlot dont les valeurs te correspondront le plus. Il y a tout de même trois enseignements communs que nous, archipéliens, nous efforçons d’honorer. Premièrement, respecter la Terre et toute forme de vie. Deuxièmement, partager. Troisièmement, ne pas retomber dans les pièges du passé. Bien sûr, chacun peut s’exprimer librement et nous votons pour des propositions formulées dans la « boite à idées ».

Illustration « Last light on The Two Thumb Rang » par
Bernard Spragg. NZ (CC0)

Nous traversons le Jardin commun, où plusieurs personnes de tous les âges s’affairent. Dalia salue un homme qui prépare des boutures. Un autre demande des informations à une jeune femme sur le fonctionnement technique du système de récupération d’eau en circuit fermé. Cette eau, une fois propre, est réutilisée dans le jardin, dans les habitations, partout. Je comprends que, malgré un solide bagage théorique, il vient chercher des compétences pratiques. L’entraide est un principe clé de cette civilisation.

C’est contraire à tout ce que j’ai pu vivre. De là où je viens, les connaissances étaient surtout descendantes, une personne enseignant à des centaines. Ici, le partage de connaissance est pluridisciplinaire et se fait lors de situations concrètes, en petits groupes.

— Au commencement, m’explique Dalia, nous n’étions qu’une dizaine ; chacun apportait son expertise dans son domaine. Cuisine, mécanique, organisation, bâtiment… Mais c’était limité. Aujourd’hui que nous sommes plus nombreux, nous avons gardé ce modèle et l’effet en est démultiplié.

— Pourquoi le savoir et les compétences ne seraient-ils pas communs à tous, de sorte qu’ils ne se perdent pas ?

—  Poste ça dans la boite à idées, me taquine Dalia.

°°°

Cela fait maintenant cinq ans que je suis là. Je ne m’ennuie jamais. La communauté s’élargit. Nous sommes passés à dix îlots. Ma proposition s’est concrétisée, voici ALANN, l’Académie Libre pour l’Accès aux Nouvelles Notions. Nous y développons les solutions de demain en mettant l’accent sur la collaboration, l’accès libre aux savoirs et la pluralité des idées. Aujourd’hui j’y anime l’atelier panneaux solaires, pour réparer ceux que nous avons récupérés l’été dernier.

— Euh, Zaden… je comprends pas pourquoi ça ne marche pas.

— Il faut y aller pas à pas, Jorj. Regarde, une des cellules sur cette ligne est morte. Le plus simple, c’est d’en récupérer une bonne sur un panneau irréparable.

— D’accord, je vais chercher le fer à souder. On le fait ensemble ?

— Bien sûr !

J’ai moi-même appris les rudiments de l’électronique avec Dalia.

— J’y pense, Jorj, après je te montrerai comment on transforme un vieux panneau en chauffe-eau solaire. On en a besoin pour l’habitation du nouvel arrivant.

— J’suis partant !

Je trouve fascinant que les connaissances puissent ruisseler de façon aussi fluide entre les archipéliens. Depuis son arrivée dans l’îlot, j’ai assisté avec fierté à l’évolution de Jorj. Il déborde d’enthousiasme. Dariux était comme lui. Il aurait adoré cette vie. En préparant un petit sac dans ma chambre, je me souviens de ma première leçon : voyager léger. Demain, avec un groupe d’amis, on s’en va explorer les autres îlots. J’ai hâte.

"Solarpunk flag, blue diagonal" by @Starwall@radical.town is licensed under CC BY-SA 4.0.