Le logiciel libre a fait de moi l’homme que je suis

Le témoignage simple et percutant d’un développeur qui a visiblement fait le bon choix 😉

Beshef - CC by

L‘open source a fait de moi l’homme que je suis

Open Source made me the man I am

Matteo Spinelli – 6 octobre 2013 – Cubiq.org
(Traduction : Asta, Joseph, GregR, aKa, Cyb, Spanti Nicola, Lydie + anonymes)

De la conception de sites web pour les entreprises nationales au développement d’applications web haut de gamme pour les plus grands acteurs internationaux, tout cela grâce aux logiciels libres.

J’ai longtemps été un (triste) programmeur PHP en freelance ayant quelques compétences en front-end. Je travaillais pour de petites boîtes locales. Mon job le plus sympa en ce temps-là a été avec un distributeur de jeux vidéo, chez moi, en Italie. Le client était sympa, mais le boulot était chiant, et si frustrant parfois.

Je savais que je pouvais donner plus, mais je me sentais pris dans des sables mouvants.

La décision la plus importante que j’ai prise dans ma carrière a été de commencer à développer un logiciel libre et de bloguer sur ce sujet. J’ai commencé avec des trucs un peu stupides, comme un générateur d’URL épuré en PHP ou la suppression du délai sur l’évènement onClick et j’ai fini avec iScroll et l’ajout de widgets à l’écran d’accueil.

J’ai choisi pour eux la licence la plus libre que j’ai pu trouver (MIT) et les entreprises à travers le monde m’ont contacté pour me demander de la personnalisation et des nouvelles fonctionnalités. Mon tarif horaire était autour de 60 $ et j’ai dû l’augmenter sur une base à la journée parce que je ne pouvais pas suivre avec l’augmentation des demandes. Maintenant je suis toujours travailleur indépendant mais je travaille pour Microsoft et Google et mon tarif horaire est de 150 $ .

L‘open source a augmenté ma visibilité mais ce n’est pas qu’une question d’audience. L‘open source fait généralement de vous un meilleur développeur. Cela vous force à vous comparer vous-même avec d’autres développeurs et c’est le meilleur entrainement pour votre cerveau de codeur.

J’ai plus appris sur le JavaScript des gens postant des suggestions sur le rapporteur de bogues que sur n’importe quel guide, tutoriel ou livre que j’aie jamais lu.

Les logiciels libres m’ont fait également devenir un développeur plus modeste. Je sais comment patcher de petites portions de code et je suis moins sévère quand je remonte des bogues sur les dépôts des autres.

Mais c’est juste une partie de l’histoire.

Vous ne faites pas des logiciels libres juste pour la gloire (et l’argent). Peut-être qu’au début c’était mon intention, mais une fois que vous êtes impliqué vous comprenez que vous faites bien plus.

Beaucoup de gens utilisent votre code, vous aidez les startups dans leur projet en créant potentiellement de nouveaux emplois. Avec peut-être 48h de votre vie, vous pouvez possiblement aider des dizaines d’entreprises et leurs employés. Une personne a fait un plugin pour WordPress qui était essentiellement une couverture PHP pour mon Ajouter à l’écran d’accueil et il a levé 50k$ de fonds (peut-être plus maintenant). Vous pouvez penser que je suis jaloux de lui, mais je suis en fait heureux pour lui (et tous ses utilisateurs).

En outre, plus je développe du logiciel libre plus j’apprécie les autres logiciels libres et j’en deviens accro. Je comprends ce que signifie coder pour la sécurité et, plus particulièrement, l’importance de la vie privée de l’utilisateur (et la mienne).

J’étais un fervent utilisateur d’Apple parce que c’est joli et bien rangé et cela fonctionne simplement, mais peut-être qu’il y a des choses plus importantes qu’une interface de qualité et un dégradé parfait de pixels. J’utilise maintenant les produits Apple seulement pour tester et ma plateforme principale est Linux.

Je peux sans hésiter dire que l‘open source a fait de moi un homme meilleur et je vous encourage à publier votre code sous une licence libre, parce que si ça a marché avec moi, ça marchera probablement avec vous aussi.

Crédit photo : Beshef (Creative Commons By)




Pourquoi le logiciel libre est plus important que jamais, par Richard Stallman

Richard Stallman a publié un article important dans le magazine Wired à l’occasion des 30 ans du projet GNU.

Article que nous avons traduit collaborativement avec la relecture attentive du groupe de travail « trad-gnu » de l’April et l’accord final de Richard himself.

Pour l’anecdote Stallman commence désormais toujours ses emails ainsi : « À l’attention des agents de la NSA ou du FBI qui liraient ce courriel : veuillez envisager l’idée que la défense de la constitution des États-Unis contre tous ses ennemis, étrangers ou nationaux, nécessite que vous suiviez l’exemple de Snowden. » (cf ce tweet)

Medialab Prado - CC by-sa

Pourquoi le logiciel libre est plus important que jamais

Why Free Software Is More Important Now Than Ever Before

Richard Stallman – 28 septembre 2013 – Wired (Opinion)
(Traduction Framalang : Asta, ckiw, Penguin, Amine Brikci-N, lgodard, Feadurn, Thérèse, aKa, Paul, Scailyna, Armos, genma, Figue + anonymes)
Licence : CC By-Nd – Version de la traduction : 5 octobre 2013

Cela fait maintenant 30 ans que j’ai lancé la campagne pour la liberté en informatique, c’est-à-dire pour que le logiciel soit free ou « libre » (NdT : en français dans le texte — RMS utilise ce mot pour souligner le fait que l’on parle de liberté et non de prix). Certains programmes privateurs, tels que Photoshop, sont vraiment coûteux ; d’autres, tels que Flash Player, sont disponibles gratuitement — dans les deux cas, ils soumettent leurs utilisateurs au pouvoir de quelqu’un d’autre.

Beaucoup de choses ont changé depuis le début du mouvement du logiciel libre : la plupart des gens dans les pays développés possèdent maintenant des ordinateurs — parfois appelés « téléphones » — et utilisent internet avec. Si les logiciels non libres continuent de forcer les utilisateurs à abandonner à un tiers le pouvoir sur leur informatique, il existe à présent un autre moyen de perdre ce pouvoir : le « service se substituant au logiciel » ou SaaSS (Service as a Software Substitute), qui consiste à laisser le serveur d’un tiers prendre en charge vos tâches informatiques.

Tant les logiciels non libres que le SaaSS peuvent espionner l’utilisateur, enchaîner l’utilisateur et même attaquer l’utilisateur. Les logiciels malveillants sont monnaie courante dans les services et logiciels privateurs parce que les utilisateurs n’ont pas de contrôle sur ceux-ci. C’est là le coeur de la question : alors que logiciels non libres et SaaSS sont contrôlés par une entité externe (généralement une société privée ou un État), les logiciels libres sont contrôlés par les utilisateurs.

Pourquoi ce contrôle est-il important ? Parce que liberté signifie avoir le contrôle sur sa propre vie.

Si vous utilisez un programme pour mener à bien des tâches affectant votre vie, votre liberté dépend du contrôle que vous avez sur ce programme. Vous méritez d’avoir un contrôle sur les programmes que vous utilisez, d’autant plus quand vous les utilisez pour quelque chose d’important pour vous.

Votre contrôle sur le programme requiert quatre libertés essentielles. Si l’une d’elles fait défaut ou est inadaptée, le programme est privateur (ou « non libre ») :

(0) La liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages.

(1) La liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu’il effectue vos tâches informatiques comme vous le souhaitez ; l’accès au code source est une condition nécessaire. Les programmes sont écrits par des programmeurs dans un language de programmation — comme de l’anglais combiné avec de l’algèbre — et sous cette forme le programme est le code source. Toute personne connaissant la programmation, et ayant le programme sous forme de code source, peut le lire, comprendre son fonctionnement, et aussi le modifier. Quand tout ce que vous avez est la forme exécutable, une série de nombres qui est optimisée pour fonctionner sur un ordinateur mais extrêmement difficile à comprendre pour un être humain, la compréhension et la modification du programme sous cette forme sont d’une difficulté redoutable.

(2) La liberté de redistribuer des copies, donc d’aider votre voisin. (Ce n’est pas une obligation ; c’est votre choix. Si le programme est libre, cela ne signifie pas que quelqu’un a l’obligation de vous en offrir une copie, ou que vous avez l’obligation de lui en offrir une copie. Distribuer un programme à des utilisateurs sans liberté, c’est les maltraiter ; cependant, choisir de ne pas distribuer le programme — en l’utilisant de manière privée — ce n’est maltraiter personne.)

(3) La liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées; en faisant cela, vous donnez à toute la communauté une possibilité de profiter de vos changements ; l’accès au code source est une condition nécessaire.

Les deux premières libertés signifient que chaque utilisateur a un contrôle individuel sur le programme. Avec les deux autres libertés, n’importe quel groupe d’utilisateurs peuvent exercer ensemble un contrôle collectif sur le programme. Ce sont alors les utilisateurs qui contrôlent le programme.

Si les utilisateurs ne contrôlent pas le programme, le programme contrôle les utilisateurs.

Avec le logiciel privateur, il y a toujours une entité, le « propriétaire » du programme, qui en a le contrôle — et qui exerce, par ce biais, un pouvoir sur les utilisateurs. Un programme non libre est un joug, un instrument de pouvoir injuste. Dans des cas extrêmes (devenus aujourd’hui fréquents), les programmes privateurs sont conçus pour espionner les utilisateurs, leur imposer des restrictions, les censurer et abuser d’eux. Le système d’exploitation des iChoses d’Apple, par exemple, fait tout cela. Windows, le micrologiciel des téléphones mobiles et Google Chrome pour Windows comportent chacun une porte dérobée universelle qui permet à l’entreprise de modifier le programme à distance sans requérir de permission. Le Kindle d’Amazon a une porte dérobée qui peut effacer des livres.

Dans le but d’en finir avec l’injustice des programmes non libres, le mouvement du logiciel libre développe des logiciels libres qui donnent aux utilisateurs la possibilité de se libérer eux-mêmes. Nous avons commencé en 1984 par le développement du système d’exploitation libre GNU. Aujourd’hui, des millions d’ordinateurs tournent sous GNU, principalement sous la combinaison GNU/Linux.

Où se situe le SaaSS dans tout cela ? Le recours à un Service se substituant à un logiciel n’implique pas que les programmes exécutés sur le serveur soient non libres (même si c’est souvent le cas) . Mais l’utilisation d’un SaaSS ou celle d’un programme non libre produisent les mêmes injustices : deux voies différentes mènent à la même situation indésirable. Prenez l’exemple d’un service de traduction SaaSS : l’utilisateur envoie un texte à traduire, disons, de l’anglais vers l’espagnol, au serveur ; ce dernier traduit le texte et renvoie la traduction à l’utilisateur. La tâche de traduction est sous le contrôle de l’opérateur du serveur et non plus de l’utilisateur.

Si vous utilisez un SaaSS, l’opérateur du serveur contrôle votre informatique. Cela nécessite de confier toutes les données concernées à cet opérateur, qui sera à son tour obligé de les fournir à l’État. Qui ce serveur sert-il réellement ?

Quand vous utilisez des logiciels privateurs ou des SaaSS, avant tout vous vous faites du tort car vous donnez à autrui un pouvoir injuste sur vous. Il est de votre propre intérêt de vous y soustraire. Vous faites aussi du tort aux autres si vous faites la promesse de ne pas partager. C’est mal de tenir une telle promesse, et c’est un moindre mal de la rompre ; pour être vraiment honnête, vous ne devriez pas faire du tout cette promesse.

Il y a des cas où l’utilisation de logiciel non libre exerce une pression directe sur les autres pour qu’ils agissent de même. Skype en est un exemple évident : quand une personne utilise le logiciel client non libre Skype, cela nécessite qu’une autre personne utilise ce logiciel également — abandonnant ainsi ses libertés en même temps que les vôtres (les Hangouts de Google posent le même problème). Nous devons refuser d’utiliser ces programmes, même brièvement, même sur l’ordinateur de quelqu’un d’autre.

Un autre dommage causé par l’utilisation de programmes non libres ou de SaaSS est que cela récompense son coupable auteur et encourage le développement du programme ou « service » concerné, ce qui conduit à leur tour de nouvelles personnes à tomber sous la coupe de l’entreprise qui le développe.

Le dommage indirect est amplifié lorsque l’utilisateur est une institution publique ou une école. Les services publics existent pour les citoyens — et non pour eux-mêmes. Lorsqu’ils utilisent l’informatique, ils le font pour les citoyens. Ils ont le devoir de garder un contrôle total sur cette informatique au nom des citoyens. C’est pourquoi ils doivent utiliser uniquement des logiciels libres et rejeter les SaaSS.

La souveraineté des ressources informatiques d’un pays l’exige également. D’après Bloomberg, Microsoft montre les bogues de Windows à la NSA avant de les corriger. Nous ne savons pas si Apple procède pareillement, mais il subit la même pression du gouvernement américain que Microsoft. Pour un gouvernement, utiliser de tels logiciels met en danger la sécurité nationale.

Les écoles — et toutes les activités d’éducation — influencent le futur de la société par l’intermédiaire de leur enseignement. C’est pourquoi les écoles doivent enseigner exclusivement du logiciel libre, pour transmettre les valeurs démocratiques et la bonne habitude d’aider autrui (sans mentionner le fait que cela permet à une future génération de programmeurs de maîtriser leur art). Enseigner l’utilisation d’un programme non libre, c’est implanter la dépendance à l’égard de son propriétaire, en contradiction avec la mission sociale de l’école.

Pour les développeurs de logiciels privateurs, nous devrions punir les étudiants assez généreux pour partager leurs logiciels ou assez curieux pour chercher à les modifier. Ils élaborent même de la propagande contre le partage à l’usage des écoles. Chaque classe devrait au contraire suivre la règle suivante :

« Élèves et étudiants, cette classe est un endroit où nous partageons nos connaissances. Si vous apportez des logiciels, ne les gardez pas pour vous. Au contraire, vous devez en partager des copies avec le reste de la classe, de même que le code source du programme au cas où quelqu’un voudrait s’instruire. En conséquence, apporter des logiciels privateurs en classe n’est pas autorisé, sauf pour les exercices de rétroingénierie. »

En informatique, la coopération comprend la redistribution de copies identiques d’un programme aux autres utilisateurs. Elle comprend aussi la redistribution des versions modifiées. Le logiciel libre encourage ces formes de coopération quand le logiciel privateur les prohibe. Ce dernier interdit la redistribution de copies du logiciel et, en privant les utilisateurs du code source, il empêche ceux-ci d’apporter des modifications. Le SaaSS a les même effets : si vos tâches informatiques sont exécutées au travers du web, sur le serveur d’un tiers, au moyen d’un exemplaire du programme d’un tiers, vous ne pouvez ni voir ni toucher le logiciel qui fait le travail et vous ne pouvez, par conséquent, ni le redistribuer ni le modifier.

D’autres types d’œuvres sont exploitées pour accomplir des tâches pratiques ; parmi celles-ci, les recettes de cuisine, les matériels didactiques tels les manuels, les ouvrages de référence tels les dictionnaires et les encyclopédies, les polices de caractère pour l’affichage de texte formaté, les schémas électriques pour le matériel à faire soi-même, et les patrons pour fabriquer des objets utiles (et pas uniquement décoratifs) à l’aide d’une imprimante 3D. Il ne s’agit pas de logiciels et le mouvement du logiciel libre ne les couvre donc pas au sens strict. Mais le même raisonnement s’applique et conduit aux mêmes conclusions : ces œuvres devraient être distribuées avec les quatre libertés.

On me demande souvent de décrire les « avantages » du logiciel libre. Mais le mot « avantages » est trop faible quand il s’agit de liberté.

La vie sans liberté est une oppression, et cela s’applique à l’informatique comme à toute autre activité de nos vies quotidiennes.

Nous devons gagner le contrôle sur tous les logiciels que nous employons. Comment y arriver ? en refusant les SaaSS et les logiciels privateurs sur les ordinateurs que nous possédons ou utilisons au quotidien. En développant des logiciels libres (pour ceux d’entre nous qui sont programmeurs). En refusant de développer ou de promouvoir les logiciels privateurs ou les SaaSS. En partageant ces idées avec les autres. Rendons leur liberté à tous les utilisateurs d’ordinateurs.

Crédit photo : Medialab Prado (Creative Commons By-Sa)




Rencontre avec L.L. de Mars

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Lors des dernières RMLL de Bruxelles, nous avons invité L.L. de Mars à venir nous parler de… ce dont il avait envie ! Vous trouverez la vidéo et la transcription de son intervention remarquée ci-dessous.

Pour nous, et ceux qui nous suivent, L.L. de Mars c’est celui qui a dessiné « nos » pingouins. Mais il est bien plus et autre que cela. C’est un artiste polymorphe et iconoclaste qui a été l’un des premiers à utiliser la Licence Art Libre et dont le site foisonnant et labyrinthique Le Terrier date de 1996 !

C’est pourquoi nous avons décidé d’illustrer l’article de quelques uns de ses dessins, divers et variés dans le fond comme dans la forme (tous puisés ici), quand bien même ils n’auraient rien à voir avec le propos 😉

Remerciements à tous ceux qui ont participé à la transcription dont l’April.

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Framasoft invite L.L. de Mars et ses pingouins sous licence Art Libre

—> La vidéo au format webm

Bonjour. Bienvenue. Je m’appelle Alexis Kauffmann. Je suis à l’origine du site Framasoft. L’intitulé de cette intervention s’appelle Framasoft invite LL de Mars et ses pingouins sous licence Art Libre.

Je vais me lever parce que j’ai un tee-shirt que ceux qui le connaissent ont déjà identifié. Voici le tee-shirt classique de Framasoft, le tee-shirt historique, et, ce qui est intéressant dans ce tee-shirt, d’abord il est très beau, ça c’est un détail, et en bas à gauche, vous avez un tout petit copyleft, un C, un copyright retourné, LL de Mars licence Art Libre.

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Historiquement ce qui s’est passé, c’est qu’il y a une dizaine d’années quand moi j’ai créé, ce n’était pas vraiment la première version du site mais c’était une première mise à jour, je ne suis pas du tout graphiste, je n’ai aucune compétence, aucun talent et il n’y avait que du texte, ce n’était pas très joli. Je cherchais quelque chose pour illustrer les pages du site, lui donner un petit peu de vie, quelques images. Juste quelques mois auparavant j’étais tombé sur le travail de LL de Mars et j’avais bien remarqué que la licence était très particulière, c’était la Licence Art Libre et je savais que j’avais le droit de réutiliser ses pingouins selon les termes de la licence. Je crois que je ne l’ai même pas prévenu. Je ne t’ai pas prévenu hein ?

LL de Mars : Ça ne fait pas partie des termes obligatoires de la licence.

AK : Non. Mais par contre par courtoisie on peut prévenir. Je l’ai prévenu, plus tard. Toujours est-il qu’il avait, tu raconteras peut-être à quelle occasion tu avais publié ce recueil ?

LL de Mars : Oui !

AK : Ou non ! Ou pas ! En tout cas c’étaient des pingouins. C’était assez serein, mais il y avait un humour, de l’ironie comme ça du second degré, ce n’était pas fondamentalement très très drôle. Moi j’ai choisi. Par exemple ce pingouin-là qui est devenu le logo Framasoft, s’insérait en fait dans une planche où il y avait une femme pingouin furieuse qui disait simplement « J’ai horreur quand tu fais ça ». Elle était là, elle est assise, elle est par terre. Ce pingouin-là est en train de s’élever, en train de voler ; elle lui dit « J’ai horreur quand tu fais ça ». J’ai juste pris ce pingouin parce que j’aimais bien l’idée de, il s’élève, rien n’est impossible, les pingouins peuvent voler, etc. Ça c’est sur une autre planche aussi, il y a quelqu’un qui fait du deltaplane, il y a un pingouin qui fait du deltaplane, tu as des petits pingouins qui le regardent. J’aime bien l’idée que vous aussi vous pouvez vous élever avec nous en diffusant et en promouvant le logiciel libre. Voila fin de l’intro !

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Ensuite j’ai communiqué pendant des années par mail avec LL de Mars. On a eu aussi des échanges de bons procédés. On lui a donné un coup de main et quand on lui demande quelques dessins il le fait de bonne grâce. Merci d’ailleurs ! Et puis, il y a quelques mois, nous nous sommes enfin vus en chair et en os, de visu, et du coup je lui ai proposé de venir aujourd’hui nous parler de….

LL de Mars : Peut-être un petit peu de cette Licence Art Libre et des difficultés auxquelles elle confronte les artistes plasticiens surtout en terme de compréhension de ses modalités.

La licence Art Libre est née dans un cercle de personnes qui était composé à la fois d’artistes mais aussi de techniciens et beaucoup des prérequis qui ont constitués la compréhension de la LAL, cette fameuse Licence Art Libre, viennent d’une pensée du code. Ça veut dire aussi qu’il y a là-dedans des énoncés qui sont presque incompréhensibles pour un artiste, et ça m’intéresse assez d’évoquer cette question. Je ne sais pas si vous connaissez la LAL ? Pas forcément très bien.

AK : La LAL, c’est l’acronyme pour la Licence Art Libre, pour ceux qui ne connaissent pas.

LL de Mars : C’est une licence assez radicale, elle implique ce qu’impliquerait une Creative Commons la plus radicale. C’est la « by SA » et elle implique en plus un processus de viralité assez intéressant à mon sens puisqu’il exprime de façon claire une position politique. Je sais que ce n’est pas forcément l’habitude, il y a une espèce de pudeur à cet égard, à dire de façon frontale « Oui, l’essentiel des notions du logiciel libre repose sur des convictions profondément ancrées à gauche », le dire de façon claire n’est pas toujours très bien pris, c’est comme si c’est la chose qu’on ne disait jamais. Pour moi c’était important de le dire, parce qu’il y a beaucoup, beaucoup des choses qui m’ont séduites dans cette licence qui ressemble à ce que Foucault appelait « un communisme immanent ». Et ça m’a beaucoup plu de retrouver là-dedans quelques-uns des sillages éthiques et politiques qui traversent des espaces communautaires qui eux sont soudés autour du politique et c’est une des premières choses qui m’a attirée là-dedans. Ce qui m’a attiré dans la LAL, c’est que pour beaucoup d’entre nous, enfin, le « Nous », excusez-moi, c’est grotesque, mais enfin, pour beaucoup d’artistes la pratique de la LAL était juste de fait.

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Quand on a pratiqué le fanzinard, de toute façon la plupart des modalités de travail étaient de fait libres. Nous avions un mépris complet, souverain, hérité probablement de Debord, sur la notion de fermeture des droits à l’image. Nous étions tous assez collagistes dans notre esprit. Quelqu’un qui aime les collages politiques d’Heartfield n’en a rien à carrer de savoir d’où vient telle ou telle photo. Ça ne le regarde pas. Il sait qu’il fait autre chose avec ça. La question d’un artiste n’est pas du tout de figer les choses dans l’endroit où elles se trouvent, mais de les prolonger vers un endroit où elles ne sont pas encore.

Et donc pour beaucoup d’entre nous, oui, nos fanzines étaient de toute façon libres. La mention qu’il y avait sur la revue Potlatch dans les années 50, donc la revue des situationnistes autour de Debord et ses amis, disait, invitait à la copie, de toute façon de leur tout petit magasine qui était tiré à 72 exemplaires. C’était ouvert en 80. De la reproduction, de l’emprunt, de la citation et des fanzines que nous faisions adolescents dans les années 80, c’était pareil. Pour rien au monde on aurait simplement imaginé une coupure, une rupture dans ce type d’économie même de pensée du travail.

Donc ça c’est pour le côté pur pratique, ordinaire, quotidien. La LAL était juste un moyen, pour moi, de mettre un cadre particulier, un peu plus formulé, formulé juridiquement pourquoi pas, sur une pratique qui était déjà quotidienne depuis longtemps. Il y avait cet aspect éthique, politique, il y avait ce côté technique aussi, technico-juridique.

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Après ce qui devient intéressant c’est comment on pense la pratique de l’art, au quotidien, avec ça ; ce qui est intéressant c’est de voir dans une pratique de l’art plastique. La question se pose moins pour un écrivain. Pour un plasticien ça devient vraiment rapidement cornélien de savoir ce qu’est une source en art. Qu’est-ce que c’est qu’une source pour un artiste et quels sont les moments de collectivité et les moments de collectivisation de la vie d’une œuvre, de son processus d’invention, de son processus de création si vous préférez. J’aime bien le terme d’invention parce qu’il laisse supposer que l’œuvre n’arrive pas seule, mais que l’artiste arrive avec elle. C’est-à-dire que ce qu’on produit c’est largement autant du sujet, même bien plus du sujet que de l’objet. C’est aussi comme ça que l’objet personnellement je m’en moque un peu.

L’objet artistique n’est jamais rien d’autre que la trace testimoniale d’un travail qui a été fait. Ça veut dire qu’il passerait par différents sas de compréhension de ce qu’il est. On a un sas de collectivité. Le sas de collectivité c’est juste l’état du monde dans lequel on travaille, avec ce qui vient jusqu’à nous. C’est un processus par exemple d’acculturation et un processus d’outillage. J’aime à penser, comme Barbeau, que le processus d’acculturation est un processus complètement chaotique, absolument pas dirigé, et sur lequel on n’a pas spécialement d’empire et qui nous traverse. Je pense, comme il le pensait, que tous les objets qui se présentent à nos yeux, qu’ils fussent d’art ou pas, sont traversés par bien plus qu’eux-mêmes et sont porteurs de toutes sortes de réseaux, de formes, de signes et de significations, qui ont, de façon spectrale traversé les temps et les espaces et s’y trouvent.

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Prenez un exemple très simple, on a tendance a beaucoup, quand on fait de l’histoire de l’art par exemple, a beaucoup discrétiser les moments de l’histoire, à s’imaginer qu’il y a un espèce de suivi assez rationnel, rigoureux, des périodes, enfin périodiser comme disent les historiens, les périodes, les formes. Puis quand on est confronté au tableau on se rend compte à quel point c’est complètement faux. Si vous approchez par exemple la très belle Assomption de la Vierge qui est dans la salle 43 des Uffizi à Florence de Botticelli, vous vous rendez compte que dans les cheveux peignés des anges de Botticelli, il y a des filets d’or. Ces filets d’or, au moment où Botticelli peint, pourraient sembler être un anachronisme. Mais pas du tout ! C’est un travail résiduel qui communique de façon harmonieuse et intelligente avec le passé proche de la peinture toscane. Vous y trouverez aussi dans un environnement plastique plutôt pensé comme celui d’une Renaissance bien établie, un étrange écho d’une peinture plus ancienne, celle de la fin du XIIIe et du début du XIVe, sous la forme de séraphins, six anges colorés de bleu et de rouge. En fait toute l’histoire des tableaux, pour peu que vous vous déplaciez de quelques kilomètres en Italie, vous découvrez que ce qui se pratiquait là et là c’était très différent parce que ce sont des mondes et ces mondes sont profondément impurs.

Pourquoi je dis ça ? Je dis ça parce que ça nous pose tout de suite la question de la source en art. Même cette source-là, cette source purement culturelle, elle est problématique parce qu’on ne peut pas la discrétisée. On ne peut pas découper des parties qui nous diraient là on a à faire à telle chose, je vais travailler avec cette forme objet qui est clôturée, qui est fermée sur elle-même, parce que c’est juste faux. Ces choses sont composites, hétérogènes et surtout elles sont en devenir. Ça aussi c’est important à mes yeux. C’est-à-dire qu’il n’y a aucune raison pour imaginer qu’un tableau du XIVe siècle soit fermé sur le XIVe siècle. Il suffit de traverser un musée pour se rendre compte que sa respiration produit des idées du XXIe siècle. Tout simplement parce que je suis un homme du XXIe siècle. Ma fréquentation des tableaux traverse également toutes sortes de salles, toutes sortes de pays, etc.

Cette source, ma source culturelle, est déjà profondément impure. On ne peut pas, en elle, créer une sorte de typologie idéale, c’est-à-dire qu’on s’écarte très très vite de l’idée qu’on puisse savoir, quand on emprunte, quelle est la nature de ce qu’on emprunte, comment on l’emprunte et quelle forme ça prend. Peut-être parce que ce n’est pas ça le problème d’un artiste. Peut-être que c’est là-dessus qu’il faut insister. Donc ??? à la LAL, quand il est question du partage artistique des sources d’une œuvre, de la mise en commun des sources, on est bien ennuyés. On ne sait pas ce qu’on a en commun. Est-ce qu’on met en commun nos outils de production par exemple ? Mettre en commun les outils de production je ne vois pas trop ce que ça veut dire.

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Il ne suffit pas de dire qu’un pinceau Raphaël, en poil de martre destiné par exemple à faire, moi j’utilise des pinceaux extrêmement fins qui sont normalement faits pour la typographie. Je prends généralement du numéro 6 parce qu’ils sont un petit peu trop longs et leur souplesse fait que la charge se répand tout du long, donc c’est un peu dangereux à utiliser, et du coup à cause de ça, on peut aller d’un trait d’un incroyable capillarité jusqu’à une grosse masse spongieuse de noir. Et le truc c’est que chaque pinceau est différent, chaque personne qui prend un pinceau est différente. Il ne suffira pas de dire pour aller là, prenez tel type de pinceau, d’une part parce que vous n’êtes pas moi, donc ça ne suffira pas. Il y a une expérience particulière de l’outil qui est une lente formation du monde. Ça est aussi c’est de l’individuation.

C’est une chose qu’on comprend quand on voit un sportif. On comprend que quand il travaille il change son corps. En fait on change tous nos corps en travaillant. On est tous les sujets de la transformation corporelle, par notre travail, de notre devenir. Ce devenir est en perpétuel changement. Donc l’outillage ça va être assez compliqué de dire voila la source ça va être ça. On va prendre tel type de pigment. Même ça on ne peut pas le décomposer. Il y a toutes sortes de perspectives aussi et de rapports intellectuels à ce qu’on produit qui aboutissent à des agencements qui sont complètement différents.

Il suffit pas d’être confronté par exemple à deux monochromes pour déduire que c’est la même chose. Deux monochromes ce n’est pas du tout la même chose. Il y a des bons et des mauvais monochromes tout simplement.

Alors ça peut être quoi la mise en commun des sources pour des artistes ? J’aurais tendance à dire que la question à ce moment-là de la production, on pourrait dire au moment premier, au moment où on appréhende la question de la production, elle est sans solution, vraiment ! Il faut donc trouver des réponses complètement ailleurs sur la notion de source. De l’autre côté du copyleft, il y a une autre question qui s’ouvre. Elle le double, le pendant en fait de cette question, c’est qu’est-ce que c’est partager et qu’est-ce qu’on partage quand on partage une œuvre ?

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Dans ce que je viens de vous dire on a déjà un embryon de réponse. En faisant des œuvres d’art nous participons déjà à ce que ces gens dont je parlais ont déjà fait. Nous continuons à envahir le monde de ce que nous pourrions appeler des procès du monde. Pourquoi je dis ça comme ça sur un ton un peu offensif ? Ne le voyez pas comme un mode de jugement mais plutôt comme un mode d’évacuation du lieu commun qui est peut-être une des caractéristiques de la pratique artistique.

Beaucoup de gens s’imaginent que quand on est confronté, au moment du départ du travail, on est confronté à une page blanche, une métaphore sympathique mais elle est assez idiote. En vérité le problème ce n’est pas le vide de la page ! C’est son plein ! La page grouille de lieux communs ! C’est une offense à l’esprit, mais quand vous commencez à travailler, vous savez que vous allez tomber dans tous les lieux communs les plus possibles, si vous n’avez pas pour premier travail de vous armer contre les lieux communs. Donc c’est bien plus un travail de lutte contre sa propre paresse ou sa propre normativité qui entame le processus de création.

L’autre pratique, enfin l’autre caractéristique je pourrais dire de la pratique artistique, c’est peut-être un rapport à l’inconnu. Ce n’est pas très éloigné du problème du lieu commun. On ne pas rêver l’espace du connu, le plus ratissé par le consensus, c’est évidemment un lieu commun mais il y en a plein d’autres. L’espace du connu c’est l’espace que je dirais dépourvu de la générosité du devenir. Si vous faites un travail artistique avec pour perspective de répondre à une attente précise, vous enfermez évidemment votre travail dans cette attente. Pire encore, vous imaginez des désirs, un visage et une fermeture à ceux qui vont venir vous regarder, etc. C’est absurde et ce n’est surtout pas très généreux.

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A mon avis, s’il y a quelque chose qui singularise, puisque le problème c’est ce de quoi on parle, qu’est-ce que c’est l’activité art ? En quoi est-elle si différente par exemple pour les codeurs, au moment du code, qu’est-ce qui la distingue ? Il y a plein de point communs, il y en a effectivement. J’en vois par exemple sur le mode du partage. Code et œuvre d’art ont ceci en commun c’est de ne pas être de la marchandise. Ni l’un ni l’autre ne sont de la marchandise, puisque quand vous consommez de la marchandise, vous la consommez, donc vous la partagez, elle diminue. Vous ne consommez pas du code, vous ne consommez pas une œuvre d’art parce qu’elle ne diminue pas, elle grandit ! Plus vous êtes nombreux à regarder un tableau, plus ce tableau grandit de chacun de vous-mêmes. C’est-à-dire que vous produisez du possible, quelque chose qui n’est pas anticipé par l’artiste lui-même et qui participe pleinement à cette fameuse effectuation d’un tableau du XIVe siècle dans le XXIe, par exemple. Et plein d’autres choses encore. Donc voilà un point commun entre partage du code et partage des œuvres d’art, ce n’est pas de la marchandise ! Du tout !

Donc comment l’en distinguer ? Peut-être cette petite chose, le rapport à l’inconnu. Je ne sais pas quel est le rapport au lieu commun du code, je suppose qu’il y a des prérequis pour que cela marche un petit peu, alors qu’une œuvre d’art n’a pas à marcher ou ne pas marcher, on s’en moque. Elle est ce qu’elle est. Un livre ne répond pas à des lecteurs, il produit ses lecteurs. Un tableau ne répond pas à des spectateurs, il produit des spectateurs tout à fait nouveaux qui n’étaient pas préparés à ce qu’il était et amenés à une nouvelle circonstance. Et c’est là qu’on en revient à cette histoire de circonstances, peut-être à une notion qui est intéressante, par rapport au processus artistique, et on en reviendra à la LAL (Licence Art Libre) du coup. Que fait un artiste ? Selon Georges Didi-Huberman, un artiste est un inventeur de lieux. Ah bon ? Il crée des lieux, il ne fait pas des tableaux, des sculptures ? Une sculpture, c’est le début d’un lieu. Cela veut dire par exemple qu’un tableau n’est pas simplement soumis aux règles de la visibilité ; il est aussi soumis aux règles de la visualité. C’est une chose de pouvoir le décrire, c’en est une autre que de pouvoir être confronté à lui dans l’espace, où il se trouve et qui vous change. Vous changez avec lui et il se change. L’exemple que prend volontiers Didi-Huberman, qui est très parlant, est celui du vitrail. C’est tout à fait autre chose que d’être coloré par la lumière qui traverse un vitrail de Bourges et de consulter un livre sur la cathédrale de Bourges. Cet espace de visualité très particulière, cet espace d’intensité, c’est un lieu unique qui ne se reproduira pas, même pour vous-même, c’est un lieu quasi héraclitéen, qui d’un seul coup substantifie ce moment particulier de rapport à une œuvre. Il peut très bien ne rien se passer, comme c’est le plus souvent le cas, mais quand cela se passe, c’est quelque chose d’assez intense et à quoi rien ne ressemble.

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Est-ce que l’artiste est seulement un créateur de lieux ? Là ça devient intéressant, on en revient à notre question des sources. De mon point de vue, c’est un créateur de lieux de passage, c’est-à-dire que c’est une chose effectivement que de se croire l’assembleur de sa culture, de croire qu’on est le collagiste formel d’un ensemble de données culturelles et qu’on recompose infiniment comme cela le chatoiement des choses déjà là et qu’on n’est pas des créateurs. Ce sont des foutaises, parce qu’on se concentre à ce moment-là uniquement sur les objets. Mais ce n’est pas cela qui est important ! C’est l’artiste, un créateur de lieux de passage. Ce qui est véritablement inattendu, ce n’est pas d’un seul coup de voir surgir un pont, une maison ou un bout de Fra Angelico. C’est que d’un seul coup, la syncope de certains éléments produit une situation complètement nouvelle à laquelle on n’était pas préparé. Ce n’est pas parce que l’on a cru reconnaître là un élément graphique que l’on a vu ailleurs qu’on a effectivement affaire à du même.

Il y a une différence énorme entre le fait de rendre possible l’ouverture à son propre travail par le copyleft et de supporter le plagiat. Parce que le plagiat, j’en reviens à mes marottes (= idées fixes), est une politique de droite et le copyleft est une politique de gauche. Le plagiat vise à re-discrétiser ce qui était devenu des signes marchands à l’intérieur d’une œuvre et par lesquels on espère, par leur reproduction, reproduire les mêmes effets.

Je vais vous raconter une anecdote, vous allez comprendre tout de suite. La droite sanctuarise tout ce qu’elle touche, c’est-à-dire qu’elle en gèle absolument l’avancée : dès l’instant où c’est touché par son doigt de mort, ça devient quelque chose de mort, avec quoi il n’y a plus aucune invention possible. Le plagiat, c’est ni plus ni moins que la brevetabilité, c’est rigoureusement la même chose et cela veut dire que l’on se place non pas du point de vue du mouvement créateur, cette singularité, mais du point de vue des petits objets qui en naissent, qu’on croit pouvoir thésauriser et reproduire à l’infini. L’anecdote vaut ce qu’elle vaut !

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J’ai assisté à un colloque auquel étaient conviés les Requins Marteaux, une équipe de types qui ont une boîte d’édition près d’Albi, je ne sais pas si ils y sont encore, ils sont toujours à Albi je crois, qui avaient une revue qui s’appelait Ferraille, marrante mais très inventive, joyeuse, bordélique, confuse, une forme d’humour assez agressive, plutôt crue, volontiers scatologique, plutôt pas mal, assez novateur dans son genre ! Enfin il y avait une façon d’abdiquer toutes les frontières du goût, il faut le dire. Je ne sais pas si vous connaissez le cinéma de Waters, Pink Flamingos, on peut dire que Ferraille est un peu à la bande dessinée ce qu’est Waters au cinéma de bon goût. C’est à peu près ça. Évidemment, il n’y a pas une chasse au flic ou un type qui parle avec son anus dans tous les numéros, mais on en est à deux doigts quand même. Et ces types ont inventé quelque chose, je ne dis pas que j’y suis sensible mais je dois admettre qu’il se passe un truc particulier dans cette revue.

Et sur la même scène, il y avait Delépine et les gens de Groland, qui sont juste des gros stupides vaniteux qui sont sûrs d’avoir leur mot à dire sur une certaine forme de subversivité, mais quand on les voyait sur scène, il y avait un trait qui était marquant et qui était très triste. Nous étions là pour voir la première de Choron Dernière, le film de Pierre Carles. Le film n’était pas encore sorti, le montage pas définitif. C’était un moment plutôt chouette, c’étatit un film assez bon. Je suis assez amateur de Pierre Carles, je dois avouer ! Après il y avait un débat, et le débat c’était terrible ! Il s’agissait de respecter l’esprit Choron, retrouver l’esprit Choron sur la chose perdue, ce fameux esprit Choron qui manquait tellement aux jeubes générations. Et les mecs de Groland n’arrêtaient pas de nous scander que eux respectaient l’esprit Choron et que les mecs de Ferraille étaient à dix mille kilomètres de là.

À quoi avait-on affaire ? On avait à notre droite un paquet de vieux cons desséchés qui, effectivement, avaient fait de Choron un mausolée qu’ils re-sculptent tous les jours sur Canal +, donc c’est déjà assez drôle pour des subversifs. Et chaque jour, ils vont mausoléifier ce qu’ils prétendent aimer, alors qu’en fait, ils tuent Choron qui est déjà mort.

À ma gauche, il y avait un troupeau de types qui se souciaient comme d’une guigne d’être dans ‘esprit Choron et qui en fait en étaient très proches. C’est-à-dire que leur mouvement, leur façon d’être drôle, leur façon de bousiller la forme d’humour des autres, eh bien c’était ça, l’esprit Choron. Et je crois que là, on a vraiment un bel aperçu de tout ce qui sépare effectivement l’attachement aux objets, c’est-à-dire cet entêtement à ressasser les mêmes formes, et celui au contraire de travailler avec les formes, en elles, et avec quelles de produire quelque chose de tout à fait nouveau, une circonstance complètement neuve. Je ne sais pas comment j’en suis arrivé là, mais je vais peut-être faire une pause parce qu’Alexis ne dit rien.

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AK : Non, je te laisse. Ce que j’ai noté parmi toutes ces… rires, difficiles à résumer ! Mais je vais y arriver ! Dans mon petit champ lexical, je remarque « lieu de passage, prolongement d’une œuvre, en devenir, en mouvement, ouverture, etc, » et si je te suis, la licence Art Libre favorise tout cela, alors que le droit d’auteur plus classique a tendance à figer les choses. C’est un petit peu ça ?

LL de Mars : Non seulement elle le sanctionne positivement comme possibilité, mais je crois que ce qui en fait un instrument un peu plus offensif que certaines licence c’est qu’elle y accule. Une œuvre sous copyleft, quelles que soient les choses qui découlent du copyleft, sont nouveau ré-insufflées dans le copyleft. C’est la règle du jeu. Donc on ne peut pas arrêter ce mouvement. A aucun moment on ne pourra privatiser et moi ça m’excite beaucoup. C’est aussi toute la différence. C’est vrai qu’à un moment la différence avec la licence que choisissait Christophe, Pouhiou, rires, n’impliquait pas. C’est plus qu’une question non pas de positionnement et de formulation politique. Effectivement ça m’intéresse toujours de dire fermement il y a un moment où on arrête de déconner. Oui on est de gauche. Votre modèle de société ne m’intéresse pas. S’il y a du libéralisme qui rentre moi je vais dans l’autre site.

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Public peu audible : Le fait d’avoir une finalité dans sa licence, de choisir ça, ça n’est pas non plus créer des objets, que l’objet soit l’œuvre. Ce qui est important c’est que l’objet soit l’œuvre de son artiste.

LL de Mars : Ce qui est résiduel là-dedans c’est juste le nom. Mais la question du nom, on pourrait dire qu’elle est purement celle d’un signifiant flottant qui serait le guide de ce virus. Quelque chose au fond qui vise moins, si tu veux, à ré-individuer, de façon sociale, le créateur qu’à créer un fil de passage par lequel elle est virale. Quand à l’objet lui-même il est assez insignifiant puisque sa nature, sa substance implique, une fois qu’il est sous LAL, que toutes les formes sont ouvertes. Il ne faut pas oublier qu’il est re-modifiable à l’infini. Si tu prends du copyleft.

Public : J’aime énormément cette vision justement à la fois et de l’oeuvre et de l’artiste qui ne sont pas des objets figés, non pas des sujets figés. Il n’y a pas d’objet, il n’y a pas de sujet, ce sont des flux quelque part, des choses qui se font, qui se défont comme ça, et des lieux qu’on marque un certain moment, que la temporalité marque. J’aime vraiment cette vision-là. Moi l’apport que j’ai eu, le réflexe que j’ai eu au niveau licence ça a été il faut que j’intervienne le moins possible quoi ! Et j’estime que ce côté SA, ce côté viralité est une intervention qui va peut être cristalliser trop de choses. Je ne sais pas.

LL de Mars : J’entends ce que tu dis, mais je ne suis pas d’accord. Je pense que ce n’est pas parce que les processus d’individuation t’échappent qu’ils n’ont pas lieu. Je veux dire par là que tu fais souvent appelle au fait que ce qui te traverse, tu te laisses traverser par elles, ces choses, mais le crible que tu es est irreproductible. C’est-à-dire qu’à la fois je fais appel à la notion de flux qui m’est très précieuse et je refuse effectivement les modèles de typologie. Je pense que les typologies ça n’aide pas à penser. Je refuse les modèles qui discrétisent, je pense que la discrétisation intellectuelle et artistique nous conduit dans le mur. Par contre la chose à laquelle je tiens fermement c’est à la singularité. C’est-à-dire que les mouvement d’effectuation, les mouvements d’individuation que nous sommes tous me semblent très très précieux à signaler.

Il y a quelque chose qui me semble vraiment beau. J’en parlais à l’instant avec Xavier, qui est parmi nous, qui me semble assez beau dans l’espèce humaine, c’est qu’il n’y a pas d’espèce humaine à mes yeux. Il y a des humains et des espèces. Nous ne sommes pas résumables à une seule forme en fait. Chacun d’entre nous est une expérience tout-à-fait nouvelle de la vie, tout-à-fait inattendue, saugrenue, imprédictible et stupéfiante pour cela. Chercher malgré tout à trouver un super sujet dans lequel nous soyons collectivement liés où nous nous trouvions si possible aimables les uns aux autres malgré cette incroyable singularité, ne nous accule pas pour autant à la solitude. Je crois que ce qui fait vraiment le mouvement de l’humanité le plus beau c’est ça en fait. C’est le fait que chaque humain soit si exceptionnel qu’il échappe à la notion d’espèce, qu’avec lui tout est imprévu et que pourtant nous devons considérer que nous avons quelque chose à faire ensemble et nous le faisons. Pour moi c’est assez précieux effectivement. Donc oui !

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Public : Tu as ouvert la question de la source !

LL de Mars : Oui.

Public : Je n’ai pas eu l’impression qu’il y avait une réponse qui était donnée ?

LL de Mars : J’ai bien établi le fait que pour un plasticien cette réponse était à proprement parler sans solution. Quand il s’agit de le faire, par exemple dans la licence Copyleft Attitude, donc en 2000, je crois que Copyleft Attitude naît en 1999, ça vient de se noyer au LAL, la licence Art Libre. Vous connaissez peut-être Copyleft Attitude ou Antoine Moreau, bref ça naît à ce moment-là. Cette question s’est posée. Si on partage, qu’est-ce qu’on partage ? Pour certains d’entre nous, c’était super simple. C’est sûr que pour ceux qui faisaient de la musique électro, il y avait des tas de segments du travail qu’on pouvait identifier, des choses qui reviennent très souvent. Dans l’art du mix, on peut identifier la nature du sample. Mais le truc, particulier aussi, c’est que ça ne me satisfait pas du point de vue de la pensée sur la production artistique. Au moment où on accepte cette notion, moi je ne l’accepte pas tu l’as bien compris, on finit par croire que le sample réellement ne bave pas comme signe à la fois culturel et artistique. En fait il bave. Ce n’est pas du tout indifférent que ce soit un poète par exemple comme Bacon qui emploie le mot moon ou que ce soit 50 ou 60 ans après un poète américain objectiviste comme Zukowski. Ça ne suffira pas du tout de nous arrêter sur un mot et de dire là on tient une unité. En fait on ne tient rien du tout. On ne tient qu’un pauvre squelette. Mechenik aime à dire qu’un dictionnaire ce n’est jamais qu’un squelette, c’est un squelette crevé. La langue ne produit rien. C’est le langage qui produit quelque chose.

Même si on arrivait musicalement à dire là on tient un truc, on a un sample. Oui mais ce sample est sans signification. C’est-à-dire que même que si on l’implique dans un processus, il se désosse de ce qui un moment l’a rendu nécessaire, du moment où il s’est imposé à celui qui avait travaillé avec. Je crois que peu à peu ce qui s’est passé dans la ???, le plus discrètement du monde, c’est que cette question qui semblait très centrale au début, c’est bizarre, mais elle est vraiment passée à l’as. C’est-à-dire que plus ou moins il a été entendu que les collectivités des objets qui étaient le réseau des significations, des actes pour un artiste, c’était juste le monde dans son dernier état et les choses qui viennent jusqu’à lui. Alors le copyleft s’est beaucoup plus concentré sur les autres étapes en négligeant beaucoup la seconde aussi qui n’est pas celle de la collectivité mais celle de la collectivisation des outils.

Il y a finalement très peu d’œuvres sous copyleft qui soient nées de kolkhozes artistiques ou quelque chose de ce genre, c’est-à-dire de la mise en commun d’un travail à plusieurs à un moment donné. Là s’il y a un moment pour abdiquer la position de sujet social, c’est celui-là. C’est l’idéal. C’est très beau. J’ai participé à pas mal d’expériences collectives. C’est effectivement le moment où, pour reprendre une terminologie deleuzième, on assiste à l’éclosion d’un grand sujet hétérogène. Mais en fait, tristement, le copyleft n’a pas créé beaucoup de solutions de ce genre, de situations de ce genre. Et c’est bien dommage ! A mon avis c’est encore à produire, à inventer, à multiplier. Je pense qu’il faudrait inventer des lieux précis qui soient des lieux d’anonymat total, où on rentre, on travaille à une chose en cours, on en pose une autre. Ça c’est à inventer. Ce serait très très excitant. Du coup le copyleft s’est concentré sur la suite. Nous on partage.

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Public : La question de la source n’est pas possible pour le plasticien. La question de la viralité ?

LL de Mars : On triche en fait. C’est-à-dire que d’un seul coup ce à quoi on assiste c’est qu’on résume la question de l’emprunt et de la citation à l’art du collage et de la citation. On dit bon, on n’arrive pas à résoudre le problème. Du coup ça ne devient plus que politique. On sait qu’on est là pour quelque chose qui porte en lui ses failles intellectuelles, tout simplement parce que l’héritage de la LAL est un héritage informatique. Et ce qui marchait là ne marche évidemment pas très bien sur un autre type de modèle. Surtout que le modèle activité art est un modèle assez insaisissable, il n’arrête pas de changer dans les pratiques, etc. Vous avez bien compris, vous l’avez bien remarqué les pratiques contemporaines de l’art sont incroyablement diversifiées : ça va du geste artistique à la continuation ou la pratique de la gravure. Tout ça est un champ d’activités toujours en train de se compléter les unes les autres et étend le sens et la forme de l’activité art. C’était évident, dans de telles conditions, emprunter un modèle informatique pour créer une licence propre à l’art, ça allait forcément rater quelque part, évidemment.

Donc en gros les gens du copyleft sont surtout des partageurs désormais, plutôt ça. Mais ça n’a pas abouti de l’aveu même d’Antoine Moreau et c’est une des choses un peu tristes dans l’affaire. Il me semble en regard des œuvres que je vois naître dans plein de mondes, monde des arts plastiques, monde de la bande dessinée, eh bien, de façon spontanée je reviens au communisme immanent de Foucault. Mais les artistes de bandes dessinées sont peut-être beaucoup plus spontanément copyleftiens que les gens qui s’intéressent réellement au copyleft. Le copyleft n’a pas abouti artistiquement à grand chose de très excitant. La plupart des œuvres sous copyleft sont assez insignifiantes. Elles n’arrêtent pas de signifier juste qu’elles existent, que c’est chouette le copyleft. Mais il y a un gros travail à faire.

Public : Même si la question ne se pose pas tellement dans le domaine des arts plastiques.

LL de Mars : Tu as peut-être raison !

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Public : Il est très difficile de créer à partir de rien ? Effectivement tu l’as dit toi-même, la page blanche (…) etc. On travaille avec un matériau qui (…) toutes les œuvres qui ont précédé aussi. Si on devait s’inquiéter de chaque élément qu’on pique, un jour !

Rires

LL de Mars : Ah oui tu touches un point assez intéressant. Sauf que, le petit trucage par lequel ça marche, c’est évidemment que l’homme qui travaille sous copyleft ne cite ses sources que dans le cas où on a ce qu’on appelle une œuvre première et qu’on a œuvre conséquente. C’est-à-dire que le travail sous copyleft ne cite que la source sous copyleft à laquelle il emprunte sa première forme, etc. Effectivement si je devais inventorier, par exemple dans mes dernières bandes dessinées, les chemins que prends mon travail, mais on n’en sortirait pas du tout. La moitié de l’Italie serait citée là-dedans. C’est vraiment débile quoi ! Ça pose un problème, et puis il y a plein de choses qui sont très contradictoires. C’est bien joli tout ce que je vous raconte sur la collectivité, mais si on parle de bande dessinée, la socialité réelle d’un artiste et son idéalité sociale ce sont quand même deux choses complètement différentes. Sa socialité réelle, c’est d’être enfermé dans son atelier, dans un état de solitude et de silence nécessaires pour bosser. L’idéalité sociale c’est le devenir œuvre de ce qu’il est en train de faire, c’est-à-dire sa collectivisation, la pluralisation. Ces choses sont très contradictoires au sein même de la pratique. Ce qui explique peut-être la rareté des expériences de collectivisation des outils. Sans doute. Il y a plein de choses effectivement qui peuvent nous éclairer. Il y a aussi la faible connaissance de cette licence. Aussi.

Public : Il y a aussi l’apolitisme insensé de l’artiste en général, pas très engagé, pas très conscient, très souvent.

LL de Mars : C’est marrant parce que ce culte de l’auto-personnalité, le type extrêmement superstitieux finalement de rapport à la production, à sa surveillance qu’évoquait Christophe, effectivement il y a une espèce d’obsession qui est super étrange. Ça veut dire qu’il y a un moment où certains artistes ont un regard de fermeture sur leur propre travail et je ne parle pas de fermeture physique mais juste mentale à ce moment-là qui est très surprenant, alors que dans les pratiques on assiste plutôt à des choses plus éclatées que ça. Mais il y a un moment de crispation, un moment d’angoisse, où d’un seul coup le mouvement s’arrête. Il y a beaucoup de superstition dans ce milieu, juridique également. Il y a une faible connaissance des implications du rapport au droit d’auteur. Il y a des grosses surprises.

Le copyleft est un outil tout-à-fait utilisable avec des éditeurs en place. Mes derniers bouquins, je n’ai pas mal d’éditeurs différents, que vous connaissez ou pas, peu importe, ça va être La Cinquième Couche bientôt. Je vous présente Xavier, vous ne le connaissez pas. C’est un peu débile, je suis en train de parler à un type dans la salle que vous ne connaissez sans doute pas. Xavier Löwenthal est des cocréateurs de l’édition La Cinquième Couche. Le prochain bouquin que je vais faire avec eux sera sous copyleft et des éditeurs comme Tanibis ou ??? Scutella ou Les Rêveurs sont des éditeurs avec lesquels j’ai pu imposer, sans difficulté, la mention copyleft. Il n’en avaient effectivement jamais entendu parler. Il y a eu un moment de frilosité. Puis ayant lu la licence, il n’ont pas vu en quoi ça leur coûtait quoi que ce soit, il n’y a pas de préjudice, ça décrispe vachement.

Public : Est-ce que tu publies aux Dargaud ?

LL de Mars : Je ne serai probablement jamais publié par ces gens. Xavier tu le sais très bien !

Rires

Public : Le gens qui travaillent sont des gens qui de toute façon ne tirent aucun revenu de leur activité d’éditeur.

LL de Mars : Scutella ce n’est pas le cas par exemple. Scutella, en plus elle est juriste donc. C’est l’heure ?

Intervention organisateur : On n’a pas respecté l’horaire.

LL de Mars : On peut y aller.

Intervention organisateur : Pensez à terminer.

LL de Mars : Scutella non. Tu as peut-être quelque chose à dire Alexis ?

Public : Pourquoi tu ne publies pas tes livres avec la licence Art Libre ?

LL de Mars : En fait c’est la même chose.

Public : La licence Art Libre fait partie de la mouvance du copyleft. La licence by SA fait partie aussi de la licence du copyleft qui demande à ce que la liberté de l’œuvre contamine les œuvres qui naîtront de l’œuvre originelle.

AK : Est-ce qu’il y a d’autres questions ? Profitez que Laurent soit là. Il est très prolixe aujourd’hui.

LL de Mars : J’ai essayé d’éviter de vous parler de pingouins. J’ai pensé que ça ne serait pas mal qu’on ne fasse pas une fixette là-dessus.

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AK : Peut-être une question. La licence Art Libre a une dizaine d’années, le mouvement Copyleft Attitude également. Est-ce que tu as regretté que ça reste encore, comment dire. D’abord tu as regretté que certaines œuvres ne soient pas produites collectivement. Mais plus globalement est-ce que la licence Art Libre n’est pas passée à côté de quelque chose ? Si oui pourquoi ? Est-ce qu’on a un petit recul maintenant après dix ans d’âge ?

LL de Mars : Il ne faut pas en parler au passé. Ce n’est pas cool. Si je fais mes bouquins sous copyleft, j’ai des éditeurs qui ne le connaissent pas, c’est justement pour que le copyleft sorte un petit peu du tout petit cercle des initiés qui viennent du monde informatique qu’on a entendu parler et que différentes personnes, d’autres mondes, s’en emparent. C’est ça qu’il nous faut à tout prix. Il faut que la licence Art Libre sorte de cette situation complètement incestueuse. Ça n’a aucun sens.

Ce que je regrette c’est la médiocrité générale des œuvres produites sous copyleft. C’est ça qui est triste. Il y a très très peu de choses qui en sortent. C’est comme si ayant franchi le premier cap d’avoir fait quelque chose d’éthiquement, politiquement bien, on ne se souciait plus du reste. Que c’était suffisant, on est des potes, c’est cool, on fait de l’art. C’est très nettement insuffisant. Mais je ne suis pas le seul à le dire, même Antoine Moreau est le premier à le dire dans son mémoire. Si même le fondateur dit « Globalement c’est naze, non », « Ouais, c’est assez naze », c’est qu’il y a un problème !

Rires

AK : On va conclure là-dessus.

Applaudissements.

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30 ans de GNU – Extrait du framabook sur la biographie de Stallman

Comme il est dit sur le site d’April[1] : Le 27 septembre 1983, Richard Stallman diffusait l’annonce initiale du projet GNU, projet fondateur du mouvement du logiciel libre.

Nous avons donc fêté récemment les 30 ans du projet GNU.

Pour participer nous aussi à l’hommage, nous vous proposons un court extrait de notre framabook Richard Stallman et la révolution du logiciel libre, une biographie autorisée qui est une excellente ressource pour aller plus loin dans la genèse et l’historique du mouvement 😉

Pour rappel ce livre est sous licence libre, vous pouvez librement (et gratuitement) le télécharger dans son intégralité sur le site Framabook mais vous pouvez aussi l’acheter dans notre boutique EnVenteLibre.

GNU fête ses 30 ans

Extrait de « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre. Une biographie autorisée »

Chapitre 7 : Une morale à l’épreuve (pages 119 à 121)
Auteurs : R. Stallman, S. Williams, C. Masutti
Licence : GNU Free Documentation License

Le 27 septembre 1983, les programmeurs se connectant au groupe de discussion Usenet net.unix-wizards reçurent un message peu habituel. Posté aux premières heures du jour, à minuit et demi exactement, et signé rms@mit-oz, l’objet du message était laconique mais attirait l’attention. « Nouvelle implémentation d’Unix », pouvait-on lire.

Pourtant, au lieu de présenter une version fraîchement disponible d’Unix, le premier paragraphe du message était en fait un appel à contribution :

Dès le Thanksgiving prochain, je commencerai à écrire un système logiciel complet, compatible Unix, appelé GNU (pour GNU N’est pas Unix), et le distribuer librement à tous ceux qui souhaitent l’utiliser. Je fais appel à toute contribution en temps, en argent, en programmes et en matériel pour faire avancer ce projet.

Pour un développeur Unix expérimenté, le message traduisait un mélange d’idéalisme et d’orgueil démesuré. Non content de s’engager à repartir de zéro dans la reconstruction du système d’exploitation Unix déjà abouti, l’auteur proposait en plus de l’améliorer par endroits. Le nouveau système GNU, prédisait-il, intégrerait tous les composants essentiels : un éditeur de texte, un shell pour lancer des applications compatibles Unix, un compilateur, « et diverses autres choses ». À cela s’ajouteraient de nombreuses fonctions particulièrement séduisantes, pas encore disponibles dans les autres systèmes Unix : une interface graphique basée sur le langage de programmation Lisp, un système de fichiers résistant aux pannes et des protocoles réseaux prenant modèle sur ceux du MIT.

« GNU sera capable d’exécuter des programmes Unix, mais ne sera pas identique à Unix, écrivait l’auteur. Nous ferons toutes les améliorations utiles, d’après notre expérience au contact d’autres systèmes d’exploitation. »

Prévoyant une réaction sceptique de la part de certains lecteurs, l’auteur poursuivait l’exposé de son ébauche de système d’exploitation avec une brève note biographique intitulée « Qui suis-je ? » :

Je suis Richard Stallman, l’inventeur de l’éditeur Emacs si souvent imité, et je travaille actuellement au Laboratoire d’intelligence artificielle du MIT. J’ai beaucoup travaillé sur des compilateurs, des éditeurs, des débogueurs, des interpréteurs de commandes, ainsi que sur l’ITS et le système d’exploitation des machines Lisp. J’ai été le premier à mettre au point un affichage indépendant du terminal pour ITS. De plus, j’ai mis en place un système de fichiers résistant aux pannes et deux systèmes de fenêtrage pour machines Lisp.

Le destin a finalement voulu que le projet fou de Stallman…

La suite sur Framabook 😉

Notes

[1] L’April a invité Stallman à Paris pour l’occasion le 21 septembre dernier (cf prises audio et vidéo de la conférence)




Framasoft accueille un troisième permanent

Après Pyg et aKa nous avons décidé d’entreprendre une troisième embauche en cette rentrée pour faire face à la croissance continue de notre réseau.

Pour illustrer l’état actuel de Framasoft, une image parfois vaut mieux qu’un long discours.

Framasoft - Infographie

Nous sommes fiers de ce résultat, parce que derrière ces chiffres se cache la réalité de notre action de promotion et diffusion du Libre. Mais le revers de la médaille c’est que le support, la maintenance technique et les tâches administratives sont devenus de plus en plus lourds à gérer. Tant et si bien que les bénévoles et les salariés doivent s’y employer au quotidien, trop souvent au détriment de la pérennisation et du développement de nos projets.

Ainsi par exemple, le secteur de nos libres services en lignes (Framapad, Framadate, Framacalc…) est en pleine effervescence actuellement et connaît un succès qui nécessite un redoublement d’attention.

C’est avant tout pour cela que nous avons décidé d’accueillir un troisième permanent. Pour fluidifier les processus, résoudre un maximum de petits détails et faire ainsi en sorte que les autres se dégagent plus de temps pour mieux se consacrer à leurs missions sur les projets.

Bienvenue à Aymeric donc, plus connu chez nous sous le pseudo JosephK !

Nous espérons que sa venue se traduira rapidement par un impact visible sur l’amélioration de nos projets.

L’équipe Framasoft




Apollinaire, domaine public et… Romaine Lubrique !

Hier, Apollinaire est (enfin) entré dans le domaine public !

Personne, ou presque, n’était au courant. Du coup, l’article Rebonds paru dans Libération du 30 septembre, et reproduit ci-dessous, a pour ainsi dire fait l’actu en étant repris par de nombreux autres médias : Le Point, Le Nouvel Observateur, Télérama, L’Express ou encore France Inter.

Ils ont cependant des excuses car il n’était pas évident de savoir que Guillaume Apollinaire s’élèverait dans le domaine public très exactement 94 ans et 272 jours après sa mort (sic !). Et d’en profiter au passage pour s’interroger sur le pourquoi du comment d’une si longue attente.

L’article de Libération a été co-signé par Lionel Maurel (Calimaq), Véronique Boukali et moi-même.

L’occasion également de vous présenter brièvement une nouvelle initiative soutenue par Framasoft[1] : le projet « Romaine Lubrique », qui comme son nom l’indique plus ou moins, s’intéresse à la valorisation culturelle du domaine public, vaste zone à dépoussiérer où le piratage n’existe plus et devient pleinement partage.

Vous y trouverez déjà une sélection de films, de photographies et évidemment une rubrique dédiée à Apollinaire avec un ePub d‘Alcools spécialement créé pour l’événement ainsi qu’une lecture audio des… Onze mille verges ! Romaine Lubrique a également récemment participé à deux émissions radios : Apollinaire’s not dead ! de Polémix et La Voix Off et une spéciale domaine public sur Divergence FM.

Une affaire à suivre donc, et pas seulement sur Twitter 😉

Apollinaire enfin dans le domaine public - Libération

Apollinaire enfin dans le domaine public !

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De l’eau a coulé sous le pont Mirabeau depuis la disparition de Guillaume Apollinaire. Et nous aurions pu patienter quelques années supplémentaires pour fêter en 2018 le centenaire de sa mort. Mais il nous semble plus opportun de célébrer comme il se doit ce 29 septembre 2013 car cela correspond très précisément à son entrée dans le domaine public.

On parle beaucoup plus en France du droit d’auteur que du domaine public. Pourtant, l’entrée d’une œuvre dans le domaine public constitue un événement d’importance, qui ouvre de larges possibilités en termes d’appropriation et de diffusion de la culture.

Durant leur période de protection, les œuvres font en effet l’objet de droits exclusifs, appartenant aux auteurs et à leurs ayants droit. Avec l’entrée dans le domaine public, l’extinction des droits de reproduction et de représentation va permettre à tout un chacun de citer, copier, diffuser et adapter l’œuvre d’Apollinaire. Un tel accès simplifiera la vie des enseignants et des chercheurs. Ses œuvres pourront faire l’objet de nouvelles éditions et traductions. De telles productions seront facilitées et pour cause : il ne sera plus nécessaire de demander une autorisation ni de verser de droits pour les faire. L’adaptation sous toutes ses formes devient également possible, qu’il s’agisse d’interpréter musicalement ses poèmes, de mettre en scène ses pièces de théâtre ou de réaliser des films à partir de ses contes et romans. Au-delà, les écrits d’Apollinaire pourront être librement diffusés sur Internet et c’est tout le champ de la créativité numérique qui s’ouvre pour son œuvre.

Contrairement à des idées reçues, l’arrivée dans le domaine public est souvent l’occasion de redécouvrir des œuvres et de leur donner une nouvelle vie. On ne « tombe » pas dans le domaine public, on y entre… voire on s’y élève. Nul doute que le passage dans le domaine public assurera à l’œuvre vaste et composite d’Apollinaire un nouveau rayonnement.

« Zone », « La Chanson du mal-aimé », « Le Pont Mirabeau » , les Poèmes à Lou, quelques uns de ses Calligrammes… Voilà à peu près ce que nos souvenirs d’adolescence nous ont laissé d’Apollinaire. Des formes nouvelles, un rythme si particulier, des images à la fois simples et saisissantes… Ce qui a fait de cet auteur le « poète de la modernité ». À partir de lundi, il sera plus aisé d’explorer l’étendue de son œuvre mais aussi de découvrir derrière l’Apollinaire des manuels scolaires une personnalité fascinante et polymorphe.

Certes, Apollinaire est bien sûr un poète, mais, on le sait moins, c’est aussi un journaliste chroniqueur, un critique d’art qui se rend aux expositions de ses contemporains, et même un scénariste de cinéma (La Bréhatine). Certes, Apollinaire a écrit une pièce d’avant-garde annonçant et baptisant le Surréalisme (Les Mamelles de Tirésias), mais il est aussi l’auteur de petits vaudevilles (À la cloche de bois). Certes, Apollinaire fut un amoureux transi réinventant le lyrisme poétique, mais c’était aussi un infatigable promeneur, observateur amusé se passionnant pour tout ce qui s’offrait à ses yeux gourmands (Le Flâneur des deux rives). C’était même l’auteur de plusieurs romans érotiques pleins de fantaisie et de drôlerie (on pourra relire, entre autres, le début réjouissant des Onze mille verges).

Mais pourquoi aura-t-il fallu attendre si longtemps ici ? Le cas Guillaume Apollinaire montre bien la situation complexe de la législation en la matière.

Aujourd’hui en France un auteur passe dans le domaine public le 1er janvier suivant les 70 ans de sa mort. Il n’en a pas toujours été ainsi, sans remonter au début du XIXe siècle avec son droit d’auteur réduit à 14 ans après la publication d’une œuvre, la période précédente était plus raisonnablement fixée à 50 ans post mortem (comme rien n’est simple le Canada en est resté lui à 50 ans, ce qui explique qu’on trouve déjà par exemple sur des sites québécois des œuvres d’Apollinaire que ne peuvent être légalement téléchargés depuis la France). En 2006, allongement de la peine donc, une directive européenne a fait passer la durée de protection de 50 à 70 ans… Mais ce n’est pas fini : il peut en outre y avoir des exceptions. On accorde ainsi un bonus à vos ayants droits si la période d’exploitation des œuvres traversent l’une ou les deux guerres mondiales (comme rien n’est simple cette prorogation repose sur l’ancienne durée légale de 50 ans) et si vous êtes « mort pour la France ».

Apollinaire fut blessé au front en 1916 par un éclat d’obus à la tempe alors qu’il était en train de lire dans sa tranchée. Il succomba deux ans plus tard de la terrible grippe de 1918. Jugeant que sa blessure l’avait affaibli, on reconnut cependant le sacrifice fait à la Nation. Résumons donc : né d’une mère polonaise et d’un père italien, Apollinaire est mort pour la France d’une grippe espagnole !

Et l’on obtient ainsi la longue somme suivante : 50 ans (durée classique) + 30 ans (mort pour la France) + 6 ans et 152 jours (1ère Guerre mondiale) + 8 ans et 120 jours (2nde Guerre mondiale). Soit un total de 94 ans et 272 jours qui s’en vont pour qu’enfin sonne l’heure de ce dimanche 29 septembre 2013. Ouf, il était temps…

L’œuvre du grand poète est désormais déposée dans le bien commun de notre patrimoine culturel : profitons-en pour la découvrir, la redécouvrir, la partager et s’en inspirer, comme le fait le site RomaineLubrique.org, et comme le feront bien d’autres à sa suite. Mais une question reste posée : celle de l’équilibre bien fragile entre le droit des auteurs (et de leurs héritiers) et ceux d’un public qui, à l’ère d’Internet, souhaite légitimement accéder plus facilement et rapidement à leurs œuvres.

Un domaine public plus vivant pour nos morts ? Le rapport Lescure, remis au ministère de la Culture en mai dernier, recommande de consacrer davantage la notion de domaine public et de favoriser son application. Fier d’avoir été in extremis naturalisé français, Apollinaire afficherait certainement la même volonté, et avec lui tous nos anciens, connus ou moins connus, qui attendent leur renaissance numérique.

Véronique Boukali, professeur de lettres modernes et co-fondatrice de RomaineLubrique.org
Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques et fondateur de Framasoft.org
Lionel Maurel, auteur du blog S.I.Lex, co-fondateur du collectif SavoirsCom1 et membre de la Quadrature du Net

Notes

[1] Parmi les autres projets soutenus par Framasoft, il y a Veni Vidi Libri et le Geektionnerd.




Richard Stallman, Rousseau et Kant

« Quel est votre philosophe préféré ? » Telle est la question posée par Véronique Bonnet à Richard Stallman, lors d’une récente conférence de ce dernier intitulée « Une société numérique libre ».

Ancienne élève de l’ENS, agrégée de philosophie et professeur de philosophie en classes préparatoires. elle nous propose ici une inédite analogie entre Richard Stallman, Rousseau et Kant.

Richard Stallman - Melikamp - CC by-sa

Richard Stallman, Rousseau et Kant.

Une lecture de sa conférence du 20 septembre à Télécom Paris Tech, par Véronique Bonnet.

« Please sir, who is your favourite philosopher? »

J’inaugure, lors du la conférence de Richard Stallman à Télécom Paris Tech, le 20 septembre, le moment des questions. Comme Richard Stallman, malgré un incident subi par le train qui le ramenait de Nice à Paris a eu la courtoisie, deux heures durant, de s’adresser à nous dans un français très maîtrisé, susceptible d’improvisations, sollicitant de temps à autre une confirmation, je préfère l’anglais, le supposant très fatigué de cette tension que l’on éprouve à s’écarter de la langue maternelle. Je lui demande, donc, dans sa langue, quel est son philosophe préféré, écartant l’énoncé auquel j’avais initialement pensé : « Si vous aviez à vous référer à un philosophe ou à un mouvement de pensée, vous référeriez-vous à la philosophie des Lumières ? »

La réponse de Richard Stallman, dans la démarche généreuse et ouverte qui est la sienne, est formulée dans ma langue : « aucun, je n’ai pas étudié les philosophes ». D’où la suite de ma question: « You seem to be inspirated by french philosophers of the eighteenth century …Rousseau, Diderot, l’Encyclopédie. » Et Richard Stallman, très gentiment, de répondre à mon endroit que ces références lui disent quelque chose. Je le remercie. Et les questions s’enchaînent, qui expriment aussi bien la gratitude envers le programmeur qui a généré tant d’outils. D’autres intervenants reviennent sur ses propositions de rémunération des artistes et des auteurs. D’autres demandent si vraiment, parfois, la fin ne justifie pas les moyens : avoir recours à un logiciel privateur, de manière temporaire et minimale, pour la bonne cause. Ce que Richard Stallman rejette absolument.

Alors que sa modestie de citoyen du monde exclut chez lui toute esbroufe, toute prétention à brandir la bannière d’une obédience philosophique qui ne serait que poudre aux yeux, Richard Stallman réunit en lui ce que le mouvement des Lumières a fait de mieux : la sympathie, qui fonde le contrat social, et l’intransigeance de qui ne confond pas l’efficacité et l’équité.

C’est la première fois que j’assiste in vivo à l’une de ces conférences. Le thème de celle-ci :« une société numérique libre » (« A free digital society »), propose de dissocier deux points de vue. Celui de l’efficacité (« practical convenience » dans l’argumentaire américain.) et celui de la moralité (« in terms of human rights »).

Plutôt que de postuler invariablement que l’utilisation de plus en plus massive du numérique par les individus est une bonne chose, le conférencier propose de lever une ambiguïté. Entre « bon » et « bon ». Ce qui peut être positif et pertinent dans une « culture du résultat » qui vise essentiellement l’efficience peut oublier de faire entrer en ligne de compte le respect dû et à l’autre et à soi.

L’argumentaire de cette conférence réactive une dissociation opérée notamment par deux philosophes des Lumières, Rousseau et de Kant. Et l’intention du mouvement libriste enclenché il va y avoir trente ans par Richard Stallman, programmeur au M.I.T, assume l’héritage de ces pionniers de l’émancipation et du respect.

Rousseau fait la différence entre une habileté technique, intelligible, et une ouverture aux autres, sensible. Chez Rousseau, aussi bien l’endurcissement que la sensiblerie sont bannis, puisqu’il est requis d’affiner la sympathie, cette faculté de « se mettre à la place de l’autre », d’éprouver, en juste proportion, ce qu’il éprouve, pour constituer ce que Kant appellera la « communauté des sujets ». Rousseau voit bien qu’un contrat social requiert une sensibilité effective, appelée sympathie, ou convivialité, pierre angulaire de l’esthétique, de la morale, de la politique de Rousseau. Dès les Confessions, Rousseau dit du jeune Jean-Jacques, voleur d’un ruban, quel fut le ressenti cuisant, par le fripon, du désarroi de la servante accusée à sa place.

Ressenti décisif, base de tout respect ultérieur C’est par la sympathie qu’est suggérée une compétence humaine à dépasser les inclinations particulières, pouvoir ainsi éviter ce qui fait mal à tout autre quel qu’il soit, pour se donner la loi de vibrer à l’unisson d’un ressenti jubilatoire et éclairant. Ce qui accable les autres créatures m’accable, ce qui les réjouit me réjouit. Dans la Profession de foi du Vicaire Savoyard, qui est une partie de son ouvrage sur l’éducation, l’Emile, livre qui fut officiellement brûlé à Paris parce que jugé scandaleux,  Rousseau se réfère à la voix de la conscience, à un ressenti, un quelque chose au dedans en soi qui ne relève pas d’une ingéniosité, mais de l’évidence d’une appartenance à la communauté des humains.

Kant, lecteur de Rousseau, dans sa Critique de la Raison Pratique, dissocie lui aussi l’habileté technique pratique et « la loi morale en moi », impérative, universelle, qui est la voix du devoir. Ce n’est pas parce que je suis intelligent que je serai, pour autant, bon. Ainsi, si je suis ingénieux au point de maintenir mes prérogatives d’être puissant, ce n’est pas pour autant que le principe de mon action sera respectable. Il conviendra ainsi de dissocier ce qu’on nomme l’intentionnalité (la compétence à connaître et à constituer des rapports efficaces entre moyens et fins), et la contre intentionnalité, qui  revient à s’interdire à soi-même de traiter les sujets comme des objets.

Par exemple, dans Qu’est-ce que les Lumières ? Kant est le premier théoricien de l’histoire à élaborer la notion de crime contre l’humanité. En effet, si un gouvernant prive ses sujets d’une éducation propre à les émanciper, refuse de les faire accéder à l’idéal d’autonomie des Lumières, sous le prétexte que la génération montante n’est pas mûre pour la liberté et qu’il convient alors d’ajourner ce projet, un tel comportement ne doit pas être toléré. Même si il prétend se référer à un principe de réalité, un pragmatisme politique.

Le tyran prend le prétexte d’un état du monde factuel, d’une réalité irrépressible pour présenter comme imaginable et tolérable ce qui ne doit l’être en rien : « Un homme peut certes, pour sa personne, et même alors pour quelque temps seulement, ajourner les Lumières quant à ce qui lui incombe de savoir ; mais y renoncer, que ce soit pour sa personne, mais plus encore pour les descendants, c’est attenter aux droits sacrés de l’humanité et les fouler aux pieds ».

Ainsi, ces deux philosophes des Lumières, Rousseau et Kant, opèrent une disjonction entre ce qui est opératoire et ce qui est moral. Celui qui s’endurcit au point d’avoir un comportement privateur, pour régner maintenant et toujours, se coupe de la communauté des sujets.

L’empathie de Richard Stallman, que d’aucuns appelleraient « maître en communication », que je préfère nommer, comme le fait Rousseau, « maître en sympathie », a pour enjeu de n’exclure personne d’une société numérique effectivement humaine. Il n’est pas indifférent que le site de Télécom Paris ait précisé : « cette présentation, non technique, sera donnée en français et s’adresse à un large public » : ce qui revient déjà à exclure une approche purement techniciste, élitiste, violente.

Dans nos pratiques contemporaines, qu’elles soient directement sociales, ou sociales à travers le numérique, nous avons à nous confronter à une forme d’évidence, de non vigilance, qui fait disparaître la réflexivité, la confrontation à un dehors, et aussi tout « pas de côté » qui ferait intervenir une interrogation éthique. Machines à voter ? Constitution de dossiers pour savoir qui lit quoi ? La figure militante d’un Richard Stallman, porteur de l’exigence éthique d’une pratique réfléchie de l’informatique, qui veut déterminer ce qu’elle fera et ce qu’elle ne fera pas, s’inscrit dans la double exigence d’une humilité, attentive, réflexive, consciente des appétits des puissants, et d’une fermeté qui exclut que la technologie tienne lieu de tyrannie.

Il l’a dit ce soir là, à Télécom Paris Tech, et ce fut un moment très beau : «  je lutte contre l’oppression, pas contre l’imperfection. »

Crédit photo : Melikamp (Creative Commons By-Sa)




Participons au financement d’une fonctionnalité de GIMP !

Jehan est un contributeur actif de l’excellent logiciel libre d’édition et de retouche d’image GIMP. Il se propose ici de développer la fonctionnalité « peinture en miroir » et s’en explique (fort bien) ci-dessous.

Il ne demande pas la lune mais quelques deux mille euros. Parce qu’il a besoin de temps et que le temps c’est souvent de l’argent.

Non, logiciel libre ne veut pas dire gratuit, et comme le rappelle François Elie, le logiciel libre est gratuit une fois fois qu’il a été payé (en temps et/ou en argent). L’avantage ici c’est qu’on le paye une seule fois et qu’il s’en va direct dans le pot commun.

L’occasion également de mettre en avant le projet (français) Open Funding, nouvelle et prometteuse plateforme de financement participatif du logiciel libre.

GIMP Peinture Symétrique

Proposition de Financement Participatif de Peinture Symétrique dans GIMP

Jehan – 16 septembre 2013

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Salut à tous,

comme vous vous en souvenez peut-être, je suis un des développeurs de GIMP. Je propose ce jour de co-financer une fonctionnalité qui m’intéresse, et qui intéresse apparemment d’autres personnes, d’après ce que j’ai pu voir: la peinture en miroir (ou plus largement « symétrique »).

Introduction

Sur la liste de diffusion de GIMP et ailleurs, j’ai vu plusieurs personnes demandant du financement collaboratif pour améliorer GIMP. J’ai donc décidé d’appliquer l’idée et de tester la viabilité du financement collaboratif pour améliorer du Logiciel Libre.

Notez que je suis un développeur avec un bon passif et partie de l’équipe principale du programme. Cela signifie qu’en cas de financement, j’implémenterai la fonctionnalité complète et m’arrangerai pour qu’elle soit intégrée dans le logiciel final. Ce ne sera donc pas un énième fork qui disparaîtra dans quelques années, mais une fonctionnalité faite pour durer.

La Fonctionnalité

Proposition

Implémentation d’un fonctionnalité de peinture en symétrie/miroir instantanée dans GIMP.

Description

GIMP est l’un des principaux outil de traitement d’image multi-usage et multi-platerforme (Windows, OSX, Linux, BSD…). Pour la peinture en particulier, certaines fonctionnalités manquent. L’une d’elle est de pouvoir dessiner en symétrie instantanée.

À l’heure actuelle, les seule possibilités sont soit de dessiner des formes très simples, soit d’utiliser des filtres ou plug-in après coup, soit de dupliquer puis retourner les calques. Toutes sont de loin moins pratiques que de pouvoir dessiner et voir son dessin apparaître en miroir en temps réel.

Usage

J’ai rencontré au moins un artiste qui utilisait un mode de miroir vertical dans un autre programme pour rapidement conceptualiser des personnages, lors des premières étapes du design de personnages, période pendant laquelle le temps vaut plus que l’art. Je peux aussi aisément imaginer que cela simplifiera la création de designs symétriques complexes (logo, etc.).

Et probablement de nombreux autres usages. Par exemple, jetez un œil au dessin original dans la vidéo ci-dessous. La dessinatrice, Aryeom Han, a testé ma première (instable et encore loin de la perfection) implémentation pour dessiner la réflexion d’un lac, ensuite redimensionnée, puis ajout de gradient et utilisation du nouvel outil warp pour donner un effet liquide.

Implémentation

Idée 1 Ma dernière implémentation de test implémentait la symétrie comme une option d’outil de peinture. Néanmoins je prévois de tester d’autres implémentations en même temps. Par exemple lier les axes de symétrie à l’image pourrait être une implémentation plus appropriée pour un travail de longue durée. Le design final n’est pas encore fixe.

Idée 2 Il doit y avoir des raccourcis pour rapidement activer/désactiver les symétries.

Idée 3 L’idée de base est d’avoir au moins 3 modes de symétries (horizontale, verticale, centrale) à utiliser ensemble ou séparément. Évidemment en allant plus loin, on devrait pouvoir faire faire des rotations sur les axes pour avoir une rotation d’angle arbitraire. Je n’implémenterai peut-être pas cette option avancée (à moins que le financement ait un succès phénoménal), mais si possible j’essaierai de rendre le système suffisamment générique pour être plus tard étendu et permettre la rotation des axes dans le futur.

Idée 4 Les axes/centres de symétrie doivent pouvoir être rendus visibles ou invisibles.

Idée 5 Les axes/centres de symétrie doivent pouvoir être déplaçables sur le canvas par simple drag’n drop, de manière similaires aux guides. J’ai une implémentation en cours, comme vu dans la vidéo et les photos d’écran. Mais le gros du travail pour rendre la fonctionnalité solide n’a pas encore débuté.

Ce à quoi s’attendre

  • J’écouterai les commentaires.
  • Le design peut évoluer pendant le développement. Je ne peux promettre exactement la forme finale car cela nécessite aussi discussion et approbation de mes pairs de l’équipe de GIMP. Je ne suis pas seul à décider.
  • Puisqu’il s’agit d’une toute nouvelle fonctionnalité, elle sortira avec GIMP 2.10 (pas de date de sortie encore), voire même plus tard si ce projet ne peut être financé correctement, ou toute autre raison hors de mon contrôle. Néanmoins dès que les patchs seront prêts, quiconque pourra compiler le projet lui-même à partir de la branche de développement. Notez aussi que si certains attendent vraiment cette fonctionnalité impatiemment et si j’ai obtenu un financement exceptionnel, j’essaierai de proposer des binaires à télécharger.
  • En fonction du succès du financement, s’il dépasse mes espérances, j’implémenterai éventuellement des options plus avancées de la fonctionnalité (comme le fait de pouvoir faire une rotation des axes de symétrie, etc.).
  • Je donnerai des nouvelles de l’avancée sur la page de nouvelles du Studio Girin, c’est à dire ce même site web.

À Mon Propos

Je suis un développeur de GIMP, indépendant, et travaillant dernièrement beaucoup avec une dessinatrice. J’ai participé aux deux dernières versions de correction de bug de GIMP (2.8.4 et 2.8.6) et suis une part active de la prochaine sortie majeure (2.10). Vous pouvez avoir une idée de mon activité dans le logiciel Libre sur Ohloh et sur le suivi de ticket de GNOME.

Liste non-exhaustive de fonctionnalités et corrections déjà intégrées dans GIMP :

  • support du XDG dans GIMP (fichiers de configurations dans $XDG_CONFIG_HOME) sur Linux ;
  • configuration dans le « Roaming Application Data folder » (répertoire utilisateur) sur Windows ;
  • support du standard de gestion des miniatures (Freedesktop’s Thumbnail Management Standard) ;
  • plusieurs améliorations de l’interface et corrections de bugs ;
  • plusieurs corrections de crashs sévères (en particulier le crash quand vous déconnectiez votre tablette graphique ! À partir de GTK+ 2.24.19, vous n’aurez plus à vous en soucier !) ;
  • amélioration de la liste de langages pour localisation (les noms de langages sont self-traduits) ;
  • déja plusieurs améliorations du plugin « Animation Playback » (scroll, zoom, refresh, sélection de la disposition des frames, pas en arrière, raccourcis…) ;
  • encore plus de travail-en-cours sur le plugin « Animation Playback » (dont je suis maintenant mainteneur) afin d’en faire un outil indispensable aux animateurs 2D ;
  • etc.

Je contribue aussi sur d’autres projets divers comme vous pouvez le voir sur la page Ohloh (pas tout n’y est listé, en particulier pour les projets qui utilisent encore CVS ou svn, qui perdent donc la paternité des patchs. Par exemple Blender, etc.).

Et Après ?

Si j’obtiens un financement, je proposerai d’autres fonctionnalités, pour GIMP principalement, mais probablement aussi pour d’autres logiciels que j’utilise. Je travaille actuellement en indépendant, et avoir la communauté des Logiciels Libres et OpenSource comme boss serait un job idéal. J’adorerais travail pour vivre sur des Logiciels Libres et faire du monde un endroit bien à vivre. Pas vous ?

Donc même s’il ne s’agit pas forcément de votre fonctionnalité préférée, je dirais que vous pouvez tout de même y gagner en finançant, si cela me fait continuer à travailler sur des fonctionnalités avancées de GIMP, peut-être même à temps-plein dans le futur, qui sait ? Bien sûr, je prévois de continuer à améliorer GIMP même sans financement, mais il y a des limites à ce qu’il est possible de faire quand on a besoin de vivre par ailleurs.

Une liste possible, non-exhaustive encore, de fonctionnalités qui m’intéressent, et que je pourrais éventuellement proposer dans de futurs projets de financement collaboratifs, est par exemple: faire du plug-in « animation-playback » un outil indispensable pour les créateurs d’animation, les macros, unlimited-sized layers, les images extérieures « liées » comme calques (proche du concept de Smart Object, mais encore plus proche des objets liés de Bender, ce qui est à mon avis bien plus puissant), édition non-destructive, sélection de plusieurs calques pour des modifications de masse, améliorations des options d’export (par exemple redimensionner à l’export sans toucher l’original), et bien plus.

Notez aussi que si cela fonctionne, ce serait aussi un bon précédent pour d’autres développeurs qui pourraient aussi penser à travailler ainsi et améliorer GIMP (et d’autres logiciels Libres et OpenSource). Je pense que c’est gagnant-gagnant ! 🙂

Pour conclure, sachez que je ne travaille pas seulement sur GIMP, mais aussi avec GIMP, ou en particulier avec la dessinatrice talentueuse qui a dessiné le « lapin près d’un lac » dans la vidéo, et nous prévoyons de produire des BDs et des animations, le tout avec des Logiciels Libres et sous des licenses d’Art Libre (comme CC by-sa). Donc en me finançant, vous financez aussi l’Art Libre. Juste au cas où vous ayez besoin de plus d’encouragement ! 😉

Vous n’avez pas encore cliqué sur le lien ?

Co-financez la Peinture en Symétrie dans GIMP !