Prestidigitateur ou sorcier ?

Aujourd’hui, Gee, qui fête actuellement les 10 ans de son blog Grise Bouille avec un livre best of et un site anniversaire, vous propose une petite BD de fiction (sans aucun rapport avec le monde réel, bien sûr), adaptée de sa dernière chronique radio, dont le podcast sera bientôt disponible.

Prestidigitateur ou sorcier ?

Notre histoire se passe dans un étrange pays lointain. Un pays qui, depuis de nombreuses années, est cerné par un gigantesque incendie.

Une femme regarde au loin avec des jumelles et dit : « Il approche. » Un type à côté hausse les épaules : « Boarf… et alors ? On mettra des combinaisons ignifugées. Pi on s'habituera à l'odeur de fumée. Pi la science trouvera une solution. Pas de quoi paniquer. » Une flèche indique sur la femme « Elle, c'est Cassandre. » et sur l'homme : « Lui, c'est un incendio-sceptique. »

Cassandre, ce genre de réflexion, ça l’agace, parce que la science, elle connaît ! Et la science, elle a déjà trouvé la solution à cet incendie :

Cassandre s'énerve sur le type : « ARRÊTEZ DE LANCER DES FEUX D'ARTIFICE VERS LA FORÊT ! » Le type, en train d'allumer une fusée : « Vous voulez couler l'industrie du feu d'artifice ? Irresponsable ! Vous voulez pas plutôt inventer le feu qui ne brûle pas ? L'innovation, voilà ce qui va nous sauver ! »

C’est dans cet étrange pays que débarque, un jour, un étrange magicien…

Un monsieur en costume montre le magicien et dit : « Sous vos yeux ébahis, le plus grand magicien de tous les temps ! Le grrrrrrrrrrrrand… GIPITI ! Charles Gipiti, de son prénom. Son talent va vous estomaquer ! » Le magicien est étincellant.

Devant une foule hypnotisée, Gipiti fait sortir un lapin de son chapeau : « Eeet… hop ! » La foule : « WAAAHOOOOUUU ! Je n'ai jamais vu quelqu'un faire apparaître un lapin comme ça ! Ça pourrait résoudre la faim dans le monde ! Quel incroyable magicien ! Il est si prompt ! C'est fou cette magie ! Vive la magie ! »

Cassandre, devant cet engouement général, est sceptique :

Elle a l'air méfiante et demande : « Attendez… quand vous dites “magicien”… vous parlez de prestidigitateur ou de sorcier ? » La foule, blase : « Kesseldi, elle ?  Dekoi jmemèle ? » Gipiti dit : « Je vous prie de m'excuser, je n'ai pas compris votre question. »

Cassandre précise : « Un sorcier, c'est un _vrai_ magicien, quelqu'un qui maîtrise la magie, qui peut faire des choses surnaturelles, inexplicables… Alors qu'un prestidigitateur ne fait qu'imiter la magie, il met en scène des choses qui paraissent surnaturelles mais sont en fait parfaitement explicables… À base d'illusions, de trucages… ». On voit la distinction entre les deux dans ses pensées.

Comme d’habitude, Cassandre a du mal à convaincre les gens de la différence de taille entre les deux…

Un type dans la foule : « On s'en fout non ? Si ça ressemble à de la magie, c'est comme si c'en était, non ? » Cassandre est furieuse : « Mais pas du tout !  Si on confond prestidigitateur et sorcier, on entretient une confusion dangereuse ! C'est un tapis rouge pour se faire manipuler et abuser ! » Le type : « En plus c'est chiant à dire, “prestidigatruc”…  magicien, c'est plus simple. Les scientos, vous nous emmerdez toujours avec des détails… »

Décidée à démasquer cet imposteur de Gipiti, Cassandre mène son enquête… et la réalité est encore pire qu’elle ne l’imaginait.

Un couple d'éleveurs en pleurs : « Ça c'est sûr qu'il peut en faire apparaître des lapins… il nous a volé quasiment tout notre élevage! Et en plus, impossible de vendre ceux qui nous restent : les gens préfèrent ceux qui sortent d'un chapeau, avec les paillettes, tout ça… On va se retrouver sur la paille. Des années de travail foutues en l'air… » Cassandre est stupéfaite.

Cassandre demande à la foule du début : « Alors ? C'est beau, ça, comme magie ? » Un type : « Ouais d'accord, il a volé des lapins, m'enfin vu ce qu'il arrive à faire avec, ça va, on va pas non plus l'attaquer en justice…  en plus les élevages n'auront qu'à s'adapter, c'est le progrès, c'est tout. » Cassandre : « J'hallucine ! »

Plus Cassandre fouille, plus elle met au jour les turpitudes de Charles Gipiti…

Un ouvrier avec une casquette « TGCM » tient un tuyau en direction de la forêt et y propulse un liquide. Cassandre : « C'est quoi, c'que vous balancez vers la forêt ? » L'ouvrier : « Du kérosène. C'est les machines que Gipiti utilise pour faire apparaître ses lapins… ça marche en propulsant du kérosènepar hectolitres. J'sais pas pourquoi. C'est la magie, c'est tout, c'est comme ça. » Cassandre : « MAIS ÇA VA PAS LA TÊTE ?! »

Elle se retourne vers le type du début : « ET ÇA ?! On était déjà mal barrés avec l'incendie AVANT, mais là c'est le pompon ! » La foule : « Mais Cassandre, si on finance la magie de Charles Gipiti, si on laisse ce magicien s'améliorer, alors c'est sûr, il va trouver une solution pour éteindre l'incendie ! Certes, son activité aggrave temporairement les choses, mais pour mieux les améliorer ensuite ! »

Cette fois, Cassandre n’en peut plus et explose :

Cassandre : « MAIS C'EST DÉBILE ! Ce que vous dites, c'est que si un prestidigitateur travaille suffisamment, il peut finir par devenir sorcier et faire de la vraie magie ? Comme ça, de Gérard Majax à Harry Potter ?! Ça n'a aucun sens ! » Le type dans la foule hausse les épaules : « Bah pourquoi pas ? J'y connais rien, moi, à la magie. On sait jamais. »

Cassandre, de plus en plus agacée : « En plus on sait très bien quelle est la solution pour éteindre l'incendie ! Ce que vous voulez, c'est continuer à vivre comme avant, tirer des feux d'artifice partout, en tablant sur le fait qu'un énergumène qui fait apparaître des lapins volés finisse par sortir de son chapeau le feu qui ne brûle pas ?! Vous êtes cinglés, ma parole ! »

Cassandre, très énervée : « Et si jamais, PAR LE PLUS GRAND DES HASARDS, Môssieur Gipiti ne trouve pas de solution magique une fois l'incendie aux portes du pays ? On fait quoi ? Hein ? On fait QUOI ? »

Un ange passe. La foule reste silencieuse.

Même image, mais on entend quelqu'un dire, hors-champ : « Approchez !  Approchez ! Sous vos yeux ébahis, un magicien encore plus impressionnant ! Et moins cher ! »

On voit un autre magicien, avec un présentateur à côté qui dit : « Le trrrrès grrrraaand… MAÎTRE SIQUE ! Œudipe Sique ! » À côté, Gipiti : « Grrrr… c'est lui qui m'a volé tous mes lapins… » Cassandre : « Ah bah dans le genre arroseur arrosé, vous vous posez là, vous… »

Rien à faire… les magiciens se multiplient, soulèvent des financements délirants, on en met partout : dans les écoles, les transports, les bureaux… qu’on en veuille ou pas, impossible d’y échapper.

Un roi dit : « En tant que roi de ce pays, j'ai décidé d'investir 110 milliards pour le Crédit Impôts Magiciens ! » Cassandre : « De KOUWA ?! Mais et les millions de pauvres qui bouffent par à leur faim ?! Et les hôpitaux saturés ? Et les services publics en ruine ? Et les… Et les… » Le roi : « Non mais tout ça, ça coûte un pognon de dingue… »

Le temps passe. Cassandre ne convainc personne. Les magiciens continuent à détrousser l’intégralité de la société aussi longtemps que possible, avec des illusions toujours plus réussies. Jusqu’à ce jour où…

Cassandre, résignée, regarde le feu : « Cette fois, l'incendie est là. C'est trop tard. Tout le pays va feu. » La foule : « Gipiti ! Sique ! Les autres ! Faites quelque chose ! »

La réalité saute alors crument aux yeux de toutes et tous : aucune solution n’a été trouvée par la « magie »… parce qu’aucune solution n’était compatible avec la poursuite des activités des prestidigitateurs.

Gipiti, Sique et les autres sont dans des montgolfières et s'envolent : « Allez, tchao les nazes ! Pratique cet air chaud ! » La foule : « Noooooooon, revenez ! Vous deviez nous sauver ! »

FIN.

Le smiley : « Ah ouais. C'est violent comme fin. »

Oui, c’est violent comme fin.

C’est ce que les anglophones appellent un cautionary tale, un récit de mise en garde.

Parce que si d’aventure, des prestidigitateurs de pacotille venaient se prendre pour des sorciers chez nous, en pillant des élevages pour faire apparaître leurs lapins, et en alimentant un gigantesque incendie en faisant mine de lutter contre…

Ce serait peut-être plutôt eux qu’il faudrait foutre au feu, avant qu’il ne soit trop tard.

Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 20 février 2025 par Gee.

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)

Voir aussi :




Mickey dans le domaine public

Vous en avez sans doute entendu parler : Mickey entre enfin dans le domaine public. Enfin… c’est un peu plus compliqué que ça… Notre dessinateur Gee vous explique tout ça.

Note : cette BD reprend partiellement la chronique que Gee a donnée mardi dernier dans l’émission de radio de l’April, Libre à vous ! (dont le podcast sera disponible prochainement). Si la chronique et la BD partagent une trame commune, elles ne sont pas identiques mais complémentaires.

Mickey dans le domaine public

Le copyright étatsunien est un drôle d’animal qui, pendant des décennies, a grandi avec un autre animal : une petite souris.

1976. Un cadre de chez Disney dit : « Dites, avec ce copyright qui expire au bout de 50 ans, notre Mickey Mouse de 1928 va entrer dans le domaine public dans 3 ans… Ça va pas du tout. » Un politicien indépendant et intègre répond : « Oula, en effet ! Passons la durée du copyright à 75 ans après la publication de l'œuvre ! »

1998. Même image, le mec de chez Disney dit : « Dites, avec ce copyright qui expire au bout de 75 ans, notre Mickey Mouse de 1928 va entrer dans le domaine public dans 5 ans… Ça va pas du tout. » Un politicien indépendant et intègre répond : « Oula, en effet ! Passons la durée du copyright à 95 ans après la publication de l'œuvre ! »

2020. Même image, le mec de chez Disney dit : « Dites, avec ce copyright qui expire au bout de 95 ans, notre Mickey Mouse… » Le politicien le coupe en criant : « ÇA VA BIEN, MAINTENANT ! »

Bon, je ne suis pas sûr que ce soit un vrai sursaut de décence qui soit à l’origine de cet arrêt de l’augmentation de la durée du copyright

Quoi qu’il en soit, après bien des années d’attente, cette fois c’est fait :

Mickey Mouse entre dans le domaine public.

Mais alors attention, pas n’importe lequel : juste celui de Steamboat Willie, le fameux film d’animation de 1928.

Une image montre le Mickey de 1928, en noir et blanc, avec des gros yeux, pas de gants blancs, etc. Lui, c'est bon. Une autre image indique « Mickey de Fantasia (1940) », mais montre un autre personnage, « Marcel Morbac », une alternative libre, vu qu'on n'a pas le droit de réprésenter l'officiel… Marcel : « Salut ma couille, ça biche ? »

Ajoutons à ça la tripotée de marques que Disney a pris soin de déposer autour de sa mascotte…

Gee et la Geekette regardent une image de Mickey au gouvernail d'un bateau. La Geekette demande : « Devinette : cette image est-elle extraite du dessin animé de 1928 dans le domaine public ? Ou bien de la séquence d'intro de TOUS les films d'animation de Disney depuis 2007, marque déposée ? » Gee, dubitatif : « Euuuh … » La Geekette : « Questions subsidiaires : quel droit s'applique donc à cette séquence ?  Disney peut-il te poursuivre si tu l'utilises ? » Gee : « Euuuuuuh… » Le smiley, blasé : « Dans le doute, on va s'abstenir. C'est bien le but. »

Ajoutons aussi le nouveau design rétro de Mickey, très ressemblant à celui de 1928, que Disney a balancé en 2013, entre le fromage et le dessert. Histoire qu’il y ait toujours un petit doute sur lequel vous utilisez…

Gee, ironiquement, devant un comparatif : « Comme on dit, le confort du nouveau dans le charme de l'ancien… Le copyright du nouveau sur le design de l'ancien… » Le comparatif montre le Mickey de 1928, et le Mickey de 2013, remplacé à nouveau par Marcel Morbak qui dit : « Me revoilà, les aminches. On s'fait un p'tit morpion pour passer le temps ? »

Après, ne rigolons pas trop fort sur les délires du copyright étatsunien… de notre côté de l’Atlantique, c’est pas beaucoup plus reluisant.

La Geekette explique d'un air blasé : « Chez nous, c'est 70 ans après LA MORT de l'auteur ou autrice que ça entre dans le domaine public… » Gee, souriant : « Et donc, comme Antoine de Saint-Exupéry est mort en 1944, le Petit Prince n'est entré dans le domaine public qu'en 2015. »

La Geekette s'exclame soudain : « NON ! En tout cas, pas en France ! » Gee fait un bond en arrière en criant : « Hein ?! » La Geekette explique : « Saint-Ex étant mort pour la France, il profite d'une extension de droits d'auteur de 18 ans et n'entrera dans le domaine public qu'en 2033 ! » Gee : « What ze feuk ?! »

Je sais, là, vous allez me dire…

Mais POURQUOI cette extension ?

La justification est très simple :

Un connard cravaté explique, souriant mais transpirant, devant la Geekette et le Geek, pas convaincus. Il dit : « Ben comment vous dire… comme il est mort pour la France, il est mort jeune… et du coup il a pas pu écrire tous les bouquins qu'il aurait dû écrire… À cause de la France… Donc c'est logique que ses livres publiés soient protégés plus longtemps, comme ça il peut… enfin, ses descendants… lointains…  en 2030 quoi… ses descendants pourront continuer à gagner de la thune dessus, et c'est…  j'sais pas, c'est juste ? C'est équitable ? »

Bon, vous en pensez c’que vous voulez, mais moi je trouve qu’on nous prend un peu pour des moutons dans une boîte, avec cette histoire.

Gee : « Notez que le livre est dans le domaine public ailleurs : en Belgique, par exemple*. Le lien est en note de bas de page, mais évidemment, si vous résidez en France, NE CLIQUEZ PAS DESSUS, parce que ce serait quand même pas très gentil. » Marcel Morbak est là et commente : « Faudrait être sévèrement burné pour cliquer là-dessus. » Le smiley le regarde d'un air mauvais en disant : « Tu veux pas foutre le camp, toi ? »

Vous pouvez télécharger le livre dans le domaine public belge depuis saintexupery-domainepublic.be. Sauf si vous êtes en France, bien sûr, je le répète, mais déconnez pas, hein.

De toute façon, chez nous aussi on sait faire joujou avec le droit des marques, donc les héritiers de Saint-Exupéry ont déposé le Petit Prince comme marque de commerce, et c’est plié.

Gee commente : « Je propose donc qu'on réédite cette jolie histoire sous un autre nom. En Belgique, bien sûr. Je suggère “Le Petit Prolo”, vu que j'ai jamais pu encadrer les nobles. » Le Petit Prolo est représenté à côté : « S'il vous plaît, dessine-moi un patron. En prison. »

Bref, je suis personnellement d’avis que l’art est libre par essence, parce qu’il forme notre imaginaire collectif et qu’il est donc démocratiquement juste de se l’approprier, de le transformer et de le partager.

Gee lit : « Une jolie citation, pour conclure : “Avant la publication, l’auteur a un droit incontestable et illimité. (...) Mais dès que l’œuvre est publiée l’auteur n’en est plus le maître. C’est alors l’autre personnage qui s’en empare, appelez-le du nom que vous voudrez : esprit humain, domaine public, société. C’est ce personnage-là qui dit : Je suis là, je prends cette œuvre, j’en fais ce que je crois devoir en faire, moi esprit humain ; je la possède, elle est à moi désormais.*” » Un politicien s'énerve : « Quelle est la crème d'intégriste islamo-gauchistes qui a pondu cette ânerie ? » Gee : « Victor Hugo. » Le politicien : « Ah. »

Citation extraite du Discours d’ouverture du Congrès Littéraire International du 17 juin 1878 (à retrouver sur Wikisource).

Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 19 janvier 2024 par Gee.

Sources :

Bon, et bien sûr, ce serait dommage de terminer cette BD sans vous proposer une affiche officielle pour le personnage de Marcel Morbak :

Parodie de l'affiche Steamboat Willie : « L'alternative libre à Mickey, Marcel Morbak, dans Steamboat Zizi ». On voit Marcel dans la même position que Mickey, tenant le gouvernail à deux mains, et avec également un gros joint allumé dans une autre main (vu qu'il en a quatre). Le sol semble être fait de peau humaine très poilue. Note : dessin sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessiné le 19 janvier 2024 par Gee.

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




En finir avec la taxe copie privée

Inspiré par le récent débat auquel il a participé dans la dernière édition d’Au café libre dans l’émission Libre à vous ! de l’April, Gee nous propose cette semaine un point sur la fameuse « taxe copie privée ».

En finir avec la taxe copie privée

Il paraît qu’il serait question d’étendre la redevance pour copie privée aux ordinateurs…

La Geekette, blasée : « En même temps, qu'est-ce qui n'est pas encore taxé pour copie privée, de nos jours ? » Gee, les bras croisés : « Ouais, il y a déjà les DVD, disques durs, clefs USB, bientôt le cloud et le replay… Taxez mon slip, tant que vous y êtes, j'y ai copié le dernier M. Pokora récemment. Une gastro fulgurante. »

Pour rappel, la fameuse « taxe copie privée » est prélevée sur les supports de stockage pour compenser le manque à gagner dû aux copies d’œuvres que les gens peuvent réaliser pour leurs usages personnels.

Années 90. Un ayant droit montre une image d'un couple dans une voiture : « Regardez, ce couple qui transfère le dernier CD de Bon Jovi sur cassette audio pour pouvoir l'écouter dans la voiture ! C'est une cassette de Bon Jovi de vendue en moins !  Taxons donc les cassettes enregistrables ! »

Le couple répond : « Euuh, mais en fait, si on n'avait pas pu copier le CD sur cassette, je pense pas qu'on aurait acheté le CD *et* la cassette. » L'ayant droit, surpris : « Hein ?! » Le couple : « Bah ouais, on aurait juste acheté la cassette directement, a priori. »

L'ayant droit met un coup de pied discret dans l'image (« Héééé ! ») en disant, avec une goutte de sueur : « Ahem, je disais donc : la copie d'œuvre dans le cadre familial est un GROS manque à gagner pour les ayants droit ! Haha ! Voilà voilà. »

Malgré sa justification pour le moins fumeuse, cette taxe est en place depuis 1985 et a petit à petit été étendue à tout et n’importe quoi.

2021. Deux mecs bourrés dans un bar : « T'sais quoi ! Les gens… sont tous collés à leur smartfeaunz, là… Pendant c'temps, z'achètent plus de dixes… de dikce… de disques, là ! » L'autre : « Bah on s'en fout, Roger, on les a d'jà taxé, les smortphanes… » Le premier : « Taratataaa ! Et les téléphones recon… reponditionnés, alors ? Reconsidionnés…  raah, recon-truc, là ! »

Eh oui, depuis 2021, les smartphones reconditionnés sont aussi taxés pour la copie privée.

Parce que l’écologie, c’est sympa, mais faudrait pas que la sobriété impacte les rentiers.

Gee, lisant un journal : « La taxe copie privée, c'est 300 millions d'euros par an, quand même. Avec une redistribution à peu près aussi opaque que celle de la SACEM. » La Geekette : « Ça concerne tellement de supports avec des coûts répercutés partout que c'est carrément un amplificateur d'inflation… »

Oui, car peu importe si votre support n’accueillera jamais la moindre copie d’œuvre, il sera taxé tout pareil. Même pour un usage professionnel.

L'ayant droit : « Ah, mais pour un usage professionnel, vous pouvez tout à fait demander le remboursement de la taxe. Il vous suffit de suivre ce plan, de demander le laissez-passer A38, avec le formulaire bleu, comme stipulé dans la nouvelle circulaire B65. » Le plan est une copie de la maison des fous d'Astérix et les 12 travaux.

Ce qui est fou, c’est que si on y réfléchit bien, quand bien même cette taxe serait justifiée…

La copie privée, ça ne se fait quasiment plus.

Gee, derrière son ordinateur : « Moi je sais encore ripper un DVD, mais c'est quoi la proportion de la population qui fait ça ? Et qui copie encore des trucs sur cassette ? Qui s'amuse à sauvegarder sa discothèque sur disque dur ? » Le smiley : « Et on parle même pas des DRM et autres protections qui empêchent de toute façon la copie privée, au passage… »

À l’heure de l’hégémonie du streaming où on possède physiquement de moins en moins d’œuvres – et où, mécaniquement, les occasions de les copier sur support deviennent donc rares –, il semble paradoxal que les revenus de la taxe copie privée continuent d’augmenter inexorablement.

L'ayant droit, avec un sourire carnassier : « Bah vous pensez bien, c'est justement parce que les revenus s'effondrent qu'on est obligés d'étendre de plus en plus les domaines d'application de la taxe, sinon on s'en sort pas. » Le smiley : « Tout s'explique. »

Vous allez me dire : « mais Gee, tu te bases juste sur ton ressenti, rien ne prouve que la copie privée diminue, c’est pas très scientifique comme approche. »

En effet, mais il se trouve que les études scientifiques sont étrangement refusées par… les ayants droit.

Auraient-ils peur de ce qu’une étude sérieuse pourrait révéler ?

Gee, montrant un document : « La Fédération Française des Télécoms a même publié un communiqué pour dénoncer ce refus de toute nouvelle étude fiable. » Le communiqué : « Une nouvelle fois, nous constatons le rejet en bloc par les ayants droit de toute méthode complémentaire aux études d’usages telles que réalisées depuis 2012, malgré des propositions de la part des industriels fondées sur un travail reconnu. (...)  L’opposition de principe des ayants droit à la réalisation d’une étude de faisabilité relative à un dispositif d’analyse des terminaux traduit le refus de toute modernisation. Pourtant, les usages en matière de copie ont significativement évolué, considérant en particulier le développement de l’offre légale de streaming sur abonnement pour la musique ou la vidéo. »

En réalité, c’est un secret de polichinelle que cette taxe est un prétexte pour compenser les pertes de ce que les ayants droit appellent « piratage », soit une copie pas du tout privée mais bien publique cette fois.

Gee, coincé entre une enclume « copie privée » et un marteau « Hadopi » : « Outre que la copie publique a elle aussi largement baissé avec le développement des offres légales, c'est un peu la double peine. Non seulement on se fait taxer, mais ça reste illégal. » Le smiley : « Un peu comme si les flics prélevaient une taxe sur le cannabis avant d'embarquer le dealer. »

Bref, de deux choses l’une :

Soit la taxe copie privée est vraiment une taxe sur la copie privée, et dans ce cas-là, adaptons-la aux usages actuels… et supprimons-la.

L'ayant droits explose : « KOUWA ?! Mais il y a encooooore de la copie privée, on peut paaas la supprimer ! » Gee lui lance deux piécettes : « Bon ok, j'avoue, j'ai numérisé deux vinyles cette année, voilà ta piécette. Va t'acheter des bonbons. »

Soit la taxe copie privée est plutôt une taxe sur la copie publique, et dans ce cas-là, foutez-nous la paix une bonne fois pour toutes avec le piratage.

La Geekette : « Tiens, le dernier Nolan est sur The Pirate Bay. » Mec lambda : « Mais ça te dérange pas de pas l'avoir payé ? » La Geekette : « Je l'ai déjà payé avec les taxes sur mon ordinateur, mon disque dur externe, mes clefs USB, mon téléphone… Et sur le slip de Gee. » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 27 novembre 2023 par Gee.

Sources :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




(Encore) un nouveau Fairphone ?

Le Fairphone 5 est sorti le 30 août dernier. La marque de téléphone dit « équitable » semble avoir réussi à se faire une place dans le paysage. Mais la sortie de ce nouveau modèle est-elle pour autant une bonne nouvelle ?

Note : cette BD reprend partiellement la chronique que Gee a donnée mardi dernier dans l’émission de radio de l’April, Libre à vous ! (dont le podcast sera disponible prochainement). La chronique et la BD sont complémentaires, et il n’est pas impossible qu’il réitère l’expérience d’un double-traitement à l’avenir 🙂

(Encore) un nouveau Fairphone ?

Si vous me suivez un peu, vous savez sans doute que j’ai été l’heureux propriétaire d’un Fairphone 2 pendant plusieurs années.

Gee, représenté avec la main bandée et une pile de batteries dans l'autre main : « Heureux, heureux… Si on met de côté le téléphone qui se transforme en charbon ardent et la batterie qui font comme neige en soleil. J'ai lâché l'affaire après en avoir racheté une quatrième en 6 ans.

Bon, même si mon Fairphone 2 a plutôt mal fini, OUI, je suis plutôt pro-Fairphone.

L’entreprise Fairphone semble bien fonctionner, car elle vient d’annoncer le Fairphone 5, dernier né des téléphones dits « équitables ».

Face à un personnage avec une casquette Fairphone, un businessman en costume s'écrie paniqué : « Quoi ? Vous voulez dire que vous ne faites pas construire vos téléphones par des enfants dans des usines-dortoirs avec bouteilles à pisse et filets anti-suicide ?! Mais vous pourriez respecter nos traditions de constructeurs de téléphones ! »

Le site officiel nous indique qu’il est conçu avec plus de 70 % de matériaux équitables ou recyclés, garanti 5 ans et facile à réparer.

Gee : « Bon, on peut voir le verre à moitié vide… enfin, à 30 % vide, et se dire qu'il reste du boulot pour avoir un truc 100 % propre. » La Geekette, en train de démonter un Fairphone : « Ouais, mais déjà, un téléphone que tu peux démonter/réparer/remonter avec un tournevis, QUEL BONHEUR ! »

Seulement, pour ne rien vous cacher, moi il reste un truc qui me chiffonne…

C’est que ce Fairphone est le cinquième en 10 ans : faites le calcul, on reste sur le bon vieux modèle du « un nouveau téléphone tous les deux ans ».

Un iPhone se moque : « Pfff, les amateurs ! Nous on en fait un nouveau par an, toujours à la pointe. » La Geekette : « Alors oui, c'est pas au niveau de l'iPhone, mais l'objet très énergivore et consommateur de ressources qu'on remplace tous les 2 ans… Ça va juste plus être possible d'un point de vue environnemental. » Le smiley : « Et allez, les Khmers verts, j'en étais sûr ! Steve Jobs, reviens ! Ils sont devenus fous ! »

Et malheureusement, le support logiciel des anciennes versions est bien sûr abandonné petit à petit. Tous ces efforts pour créer de nouvelles versions ne seraient-ils pas mieux employés à créer un téléphone vraiment durable et réparable très longtemps ?

Gee : « La production de terminaux, c'est 70 % de l'empreinte carbone du numérique en France*. Si on veut réduire cette empreinte, à un moment donné, il va falloir arrêter de fabriquer des nouveaux trucs dans tous les sens. » Un graphique montre l'empreinte carbone du numérique, avec 70 % pour les terminaux, suivi des datacenters à 20 % puis des réseaux à 10 %.

Voir le dossier de l’Arcep sur le sujet.

Au passage, vous constaterez que « trier ses mails pour la planète », c’est pas vraiment la priorité…

La Geekette : « Ça, c'est surtout du greenwashing pour continuer à nous faire consommer des trucs VRAIMENT merdiques pour le climat. » On voit une publicité pour une télé 4K, et une autre qui conseille de remplacer son vieux smartphone qui a déjà 18 mois. En bas, un petit message dit « Mais triez vos mails, bande d'irresponsables ! »

Bref, le Fairphone c’est un chouette projet, mais dont la gestion est assez symptomatique de « l’écologie pour les riches ».

Oui parce que le bouzin coûte quand même 700 boules, faut déjà pouvoir les sortir.

Un mec au volant de sa Tesla : « Ouais, nan mais suffit de payer les choses au juste prix du coût écologique, et tout va rouler, on va pouvoir continuer à consommer comme avant. » Le smiley : « Position confortable quand t'as assez de thunes pour absorber le choc. »

L’autre versant, « l’écologie pour les pauvres » en quelque sorte, il consiste à faire durer les objets, à ne pas gaspiller, à acheter du reconditionné…

Un businessman paniqué : « Quoi ?! Mais et la croissance alors ? Vous y avez pensé ? » Gee : « Oui, suffisamment pour piger que c'était la source du problème. » Le smiley : « Après, le reconditionné a ses limites aussi : c'est toujours dépendant de gens qui avaient acheté du neuf, et qui reconditionnent souvent pour racheter du neuf… »

Mais quoi qu’il en soit, comme d’habitude, les gestes isolés ne suffiront pas…

Le vrai impact écologique et social ne pourrait venir que d’une transformation du fonctionnement de l’économie, où l’on minimiserait collectivement la production dans l’optique de tout faire durer beaucoup plus longtemps.

La Geekette, pensive : « Tu veux dire… un fonctionnement qui serait conditionné aux capacités écologiques et humaines ? Et non plus dicté par le besoin croissance infinie ? » Gee : « Ouais, c'est ça ! Un fonctionnement qui ne serait plus… euh… Attendez, y'a un mot pour ça. » Il cherche le terme correct.

En clair : un fonctionnement qui ne serait plus capitaliste.

Le smiley, moqueur : « Gee a tenu toute une BD avant de sortir le mot magique, admirez l'effort. »

Souhaitons tout de même du succès au Fairphone, car les bonnes initiatives restent bonnes à prendre vu la merde dans laquelle on est…

Gee : « Mais n'oubliez pas : si vous avez le choix, faites durer vos appareils, réparez-les, achetez du reconditionné… » La Geekette : « Ouais voilà. Et surtout : saisissez les moyens de production. En gros. » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 21 septembre 2023 par Gee.

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




Refusons la surveillance biométrique

Vous avez hâte de voir les JO de Paris en 2024 ? Non ? Roooh… et la petite loi surveillance qui va avec ? Vous avez hâte de la voir appliquée aussi ? Non ? Alors cette BD est pour vous…

BD réalisée dans le cadre de la campagne de la Quadrature du Net contre l’article 7 de la loi JO.

Refusons la surveillance biométrique

Comme vous le savez, la France doit accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques en 2024.

Gee, blasé : « Euuuh… ouaaaaiis…  on a gagnééé… » Geekette, blasée aussi : « On va pouvoir dépenser plein d'argent public et encore bétonner plus de terres pour un concours à l'organisation opaque qui ne profitera qu'à une poignée de gens… »

En plus de ces joyeusetés, côté sécurité/surveillance, c’est pas jojo non plus.

Ainsi, l’Assemblée nationale va se prononcer en mars sur un projet de loi relatif à ces jeux, et dont l’article 7 consiste à autoriser la vidéosurveillance automatisée.

Politicien enthousiaste : « “Vidéosurveillance automatisée”, je n'aime pas ces mots. Je préfère “vidéoprotection intelligente”. » Gee, feignant l'enthousiasme : « Et pourtant, c'est complètement con et ça ne protège pas ! Étonnant, non ? »

La VSA, c’est la vidéosurveillance accompagnée d’algo-rithmes qui analysent les corps et les comportements pour détecter des personnes « suspectes ».

Geekette : « C'est un peu comme Big Brother, mais… » Gee : « Mais quoi ? » Geekette : « Non rien. C'est carrément Big Brother, en fait. » Smiley : « Quand 1984 cesse d'être un exemple de dérive possible mais un exemple tout court, ça pue. »

C’est donc un outil de surveillance de masse qui reproduira les biais bien humains de manière automatique et à grande échelle.

Gee, en panique : « On sait que les personnes noires sont largement plus victimes de faux positifs sur la reconnaissance faciale que les blanches…  Là, avec l'analyse des comportements, ça va être quoi ? Les gens qui ont le regard fuyant ou qui marchent de travers vont être déclarés suspects ? » Smiley : « Z'avez qu'à marcher droit !  GARDE À VOUS ! »

Le pire, c’est que la VSA est déjà déployée dans plus de 200 villes en France en toute opacité, avec notamment le logiciel Briefcam de Canon, utilisé à Nice, Roubaix ou encore Nîmes, et bien d’autres…

Politicien excité : « Bah justement, c'est déjà là ! Ça va pas trop vous changer ! » Geekette : « Quand ça pue, en général, la logique, c'est pas de rajouter une couche de merde dessus… c'est de nettoyer ! » Politicien : « Nettoyer ?  Interdire la vente de logiciels de VSA ? Mais et la CRÔASSANCE, alors ? »

Ajoutons que ces logiciels fonctionnent par des méthodes d’apprentissage automatique de type deep learning, des boîtes noires qui ne sont réellement maîtrisées que par une poignée d’experts pendant que les start-uppers jouent aux apprentis-sorciers avec…

Start-upper, enthousiaste : « Regardez, on a détecté un suspect ! C'est pas trop bien, sans déconner ?! » Gee, méfiant : « Mais c'est quoi, le raisonnement logique qui l'a marqué comme suspect ? » Start-upper : « Euuuh, bah j'sais pas, euuuh…  deep learning…  réseau de gneurones…  euuuh…  C'est magique, quoi. » Gee : « Hyper-rassurant. » Smiley : « Tu le sens, que les possibilités de contrôle diminuent un chouïa ? »

Avec évidemment, en prime, la petite excuse classique si ça déconne : « c’est pas notre faute, c’est l’algorithme ».

Du coup je me permets de recycler ce dessin de ma BD « Google, l’espion le plus con du monde » :

Image extraite de la BD en question. Politicien : « Ah non mais c'est pas nous, c'est l'algori… » Gee qui met une mandale (« SBAF ! ») au politicien : « La ferme ! L'algorithme, c'est vous qui l'avez codé !  Les données d'entraînement, c'est vous qui les fournissez ! Y'a pas d'intelligence supérieure ou externe à l'œuvre, assumez vos merdes ! » Smiley : « Et pi si vous maîtrisez pas vos outils… ARRÊTEZ-LES ! »

Alors bien sûr, on nous dit que ça ne sera qu’une expérimentation pour les JO…

Ce à quoi l’expérience d’à peu près toutes les lois de merde soi-disant temporaires devenues permanentes devrait nous amener à répondre :

Gee, avec un poulet à la place des fesses : « And my ass is chicken ?  You want a wing ? » Le poulet : « PWAAAK ! »

C’est pour toutes ces raisons que la Quadrature du Net lance une campagne avec un récapitulatif des problèmes et contre-arguments, ainsi qu’une plateforme pour contacter vos députés et députées afin de les appeler à voter contre :

www.laquadrature.net/biometrie-jo

Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 22 février 2023 par Gee.

Références :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




Mastodon, c’est chouette

On cause beaucoup de Mastodon en ce moment. Notre dessinateur Gee s’est dit que c’était le moment pour vous en parler, pas spécialement d’un point de vue technique, mais juste pour vous dire ce qui lui plaisait dans ce réseau.

On en profite pour vous rappeler qu’il existe un merveilleux guide de découverte de Mastodon (créé collaborativement par des mastonautes) si vous voulez en savoir plus

Sachez que Gee sera présent au Capitole du Libre avec la team Framasoft à Toulouse ce week-end ! Il y dédicacera les bouquins suivants :

Viendez beaucoup !

Mastodon, c’est pouet chouette

Avec le rachat de Twitter par Elon Musk, une nouvelle vague d’arrivées a atteint Mastodon, le réseau de microblog libre et décentralisé.

En bord de mer, une grosse vague avec plein de gens dedans qui disent : « Coucou, on arriiiiiive ! » Un homme court sur le ponton en criant : « Aaaaah vite, redimensionnez les serveurs ! »

Je ne doute pas que la vague retombera, à commencer parce que Mastodon ne vous manipule pas pour vous rendre accro à son utilisation.

Une image scindée en deux. À gauche, un homme regarde son téléphone : « Ouais, Mastodon c'est sympa, mais j'ai quand même envie de revenir à Twitter… » À droite, le même regarde un sachet de poudre (il a lui-même de la poudre dans le nez) : « Ouais, la farine c'est sympa, mais j'ai quand même envie de revenir à la cocaïne…

Ça fait partie des choses que j’aime sur Mastodon : un design qui tente de désamorcer les comportements malveillants.

Un homme regarde son téléphone, surpris : « Attends, on peut même pas citer un message ? » La Geekette : « Non : si tu veux réagir, tu réponds.  En général, les gens qui citent des messages veulent simplement se mettre en avant au détriment d'autrui, donc on ne le fait pas ici. »

Je pourrais aussi vous parler des CW, les « content warning » (avertissement sur le contenu) qui permettent de masquer un message en précisant juste le sujet en clair.

Deux hommes avec des chapeaux de Schtroumpfs discutent. Le premier, face à son ordinateur : « Mais, Groumpf Grognon, pourquoi tu ne regardes pas le contenu de ce message qui parle de groumpf ? » L'autre, les poings serrés : « Moi j'aime pas le groumpf. »

On peut également flouter les images par défaut, ce qui permet par exemple de commenter une image de film contenant un spoiler en prévenant les gens avant un clic malencontreux.

La Geekette, la langue tirée : « Ouais. Ou poster une image érotique floutée par défaut. » Un homme, choqué : « De kouwa ?! Y'a du sékse ?! » La Geekette : « Oui, mais avec un petit tag NSFW* pour la politesse. »

« Not Safe For Work », ne regardez pas ça au boulot.

Alors bien sûr, ce design qui se veut apaisé (et apaisant) implique aussi de se défaire de certains réflexes de Twitter…

Un homme, blasé, regarde son téléphone : « Mais c'est nul !  J'ai pas accès aux statistiques de vues de mon message ! » La Geekette : « Bah non. C'est pas la course à l'échalote, ici.  Même pour voir le nombre de partages et de likes, il faut cliquer sur le message, c'est pas affiché par défaut. » L'homme : « Mais… et mes shots de dopamine, alors ? »

En même temps, qu’est-ce que c’est reposant, même à un niveau purement technique.

Un homme, détendu allongé sur une chaise longue avec des lunettes de soleil : « C'est pas tous les jours que je vais sur un site avec zéro tracker et zéro pub. » Sur une autre chaise longue, le logiciel uBlock se repose aussi : « Moi, ça me fait des vacances… »

Même les liens sur lesquels vous cliquez ne vous pistent pas, encore une fois contrairement à Twitter.

Gee : « Sur Twitter, vous avez remarqué que le lien affiché n'est pas le même que la vraie destination sur laquelle vous envoie le lien ? » Une image de tweet montre un curseur sur le lien https://ptilouk.net, mais le lien affiché est https://t.co/48ISi6Z34Z. Gee : « C'est parce que tous les liens passent par le domaine t.co qui permet à Twitter de récupérer toujours plus de données comportementales sur vous. »

Après, Mastodon n’est pas non plus un havre de paix et de tranquillité. Le côté microblog encourage toujours les prises de bec et la recherche de la bonne réplique ciselée, au lieu des débats sereins. Même avec une limite de caractères plus haute que sur Twitter.

Un barbu derrière un gros écran cathodique : «Mouais, ceci dit, on s'engueulait déjà en 18 paragraphes de 10 lignes chacun sur les forums phpBB… » Le smiley : « Est-ce que ce ne serait pas encore un cas où le problème se situe entre la chaise et le clavier ? »

On fait également souvent le reproche qu’il n’y a pas d’outil intégré pour faire un « thread », un fil de message continu (il faut répondre manuellement à chaque message).

La Geekette, enthousiaste : « Après, si vous avez tant de trucs à dire d'un coup…  FAITES UN BLOG, BOUDIOU ! »

Pour finir, je ne peux m’empêcher de vous parler de ce que je préfère dans Mastodon, sans aucun doute la killer feature la plus disruptive #StartUpNation, face à laquelle Twitter ne pourra jamais rivaliser : les messages s’y appellent des « pouets ».

Un mec blasé : « Et alors ? » Gee : « Bah c'est rigolo. » Le mec : « Ça fait pas très sérieux. Avec ce genre de bêtise, Mastodon n'ira pas bien loin. J'imagine pas qu'on dise à un community manager « tiens, t'as fait combien de repouets, là ? » Gee : « Tant mieux. »

Oui je sais, la dernière version remplace « pouet ! » par « publier », mais ça restera toujours des pouets dans mon cœur. #TeamPouet

Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 16 novembre 2022 par Gee.

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)

Et nous vous rappelons qu’il existe un merveilleux guide de découverte de Mastodon et du fédiverse pour vous accompagner sur ce sujet !




Google, l’espion le plus con du monde

On le sait bien : Google se permet de tranquillement lire tous les mails qui passent sur ses serveurs, ceux des boîtes Gmail ainsi que ceux adressés à des boîtes Gmail

En général, le but est de refourguer de la publicité ciblée. Mais pas seulement. Une petite histoire (vraie) qui montre que les conséquences peuvent être autrement plus dramatiques…

Google, l’espion le plus con du monde

Aujourd’hui, je vais vous raconter une drôle d’histoire au pays des GAFAM. C’est l’histoire de Mark, Californien père au foyer d’un très jeune garçon. Mark est ultra-connecté, notamment aux services de Google.

Mark, souriant, derrière son ordinateur. Une flèche indique « compte Gmail vieux de 15 ans » sur son ordi ; une autre pointe sur un symbole Wi-Fi « milliers de photos/vidéos dans Google Cloud » ; une dernière pointe sur son smartphone « forfait téléphonique Google Fi ». Le smiley dit : « Diantre, comment cela pourrait-il mal tourner ? »

En février 2021, Mark remarque que le sexe de son fils est gonflé et douloureux.

Comme c’est un vendredi soir en pleine pandémie, un rendez-vous d’urgence en téléconsultation est pris avec l’hôpital.

La maman tient son bébé tout nu qui est en train de pleurer. Au téléphone, un médecin dit : « Est-ce que vous pouvez nous envoyer des photos pour qu'on puisse examiner le problème ? » La maman : « On vous envoie ça tout de suite ! » Mark prend des photos avec son téléphone : « Click !  Click ! »

Le mal est identifié, des antibiotiques sont prescrits, la santé du bambin s’améliore ensuite rapidement, bref tout va bien.

Sauf que bien sûr, l’histoire ne s’arrête pas là.

Deux jours plus tard…

Mark regarde son téléphone en transpirant, une notification indique : « Ding ! Ding ! Votre compte Google a été désactivé. Raison : activités pédopornographiques détectées. » Mark : « Euuuh… kouwa ?! » Le smiley : « Ah, ça y est ! SATOURNEUMAL ! »

Eh oui, car Google (tout comme Apple, Microsoft et les autres) est très engagé dans la lutte contre la pédocriminalité. Jusqu’à se permettre de lire et analyser vos conversations mail, qui, rappelons-le, sont des conversations PRIVÉES.

Un mec en costard : « Ah bah oui mais la fin justifie les moyens. Pi si vous n'avez rien à cacher… » Gee : « Si on va par là, on fait quoi, on met des capteurs chez tout le monde pour détecter qui abuse de ses gosses à la maison ? » Le mec : « Eh bien à ce sujet, je vous ai parlé de nos enceintes connectées ? »

Le pire étant donc que non contents d’espionner tranquillou tous les mails qui passent sur leurs serveurs, les empafés de chez Google sont infoutus de faire la différence entre une image pédopornographique et une photo d’ordre médical.

Le mec : « Ah non mais c'est pas nous, c'est l'algori… » Il est interrompu par une mandale de Gee, en colère, qui dit : « La ferme ! L'algorithme, c'est vous qui l'avez codé !  Les données d'entraînement, c'est vous qui les fournissez !  Y'a pas d'intelligence supérieure ou externe à l'œuvre, assumez vos merdes ! » Le smiley, en colère aussi : « Et pi si vous maîtrisez pas vos outils… ARRÊTEZ-LES ! »

La police est bien entendu prévenue par Google et arrive rapidement à la conclusion évidente qu’il s’agit de photos médicales et qu’il n’y a aucune raison de poursuivre Mark. Elle tente de le joindre mais…

Une policière et un policier discutent derrière un ordinateur : « T'as essayé son mail ? » « Son Gmail est désactivé. » « Et son téléphone ? » « Son forfait Google Fi est désactivé. » « Et son adresse physique ? » « Flemme. » Le smiley : « Manquerait plus qu'ils virent sa maison de Google Maps, tiens… »

Bien sûr, Mark, ingénieur logiciel de formation, est confiant : la police l’ayant déjà lavé de tous soupçons, il va faire une réclamation à Google, expliquer la situation qui est somme toute très claire et toute bête, et tout va rentrer dans l’ordre.

Un connard cravaté : « Mais bien entendu. » Mark, avec des yeux de chat mignon, plein d'espoir : « C'est vrai ? » Le connard : « Non. » Le smiley : « Ah bah quand on a algorithmisé la connerie, autant aller au bout du processus, hein… »

Le compte finit par être définitivement supprimé, et comme Mark y a attaché à peu près toute sa vie numérique (comptes liés, forfait de téléphone, sauvegardes, etc.)…

Un prêtre devant une tombe qui indique « markonator@gmail.com, 2005-2021, Rest in ~/.trash » : « Nous sommes réunis aujourd'hui pour dire adieu à la vie numérique de Mark, fauchée en pleine jeunesse par les aléas de la toute puissance imbécile des géants du web… »

L’identité numérique de Mark ne vécut pas heureuse et n’eut pas beaucoup d’avatars.

Fin.

Le smiley : « C'est vrai que les happy ends hollywoodiens, c'est surfait. »

L’histoire de Mark est une histoire vraie, et elle n’est pas un cas isolé.

Heureusement, il n’y a aucune fatalité à ce que cela nous arrive à nous aussi.

Pour cela, commençons évidemment par ne pas utiliser Gmail, Outlook et compagnie pour nos mails.

Gee : « Allons chez des fournisseurs comme Proton Mail…  … ou Gandi, quitte à débourser quelques euros par an. »

Si, parfois, nous n’avons pas d’autre choix que d’avoir un compte Gmail, ne l’utilisons pas pour des mails sensibles, et n’utilisons pas nos comptes Google/Facebook/autre pour nous identifier sur d’autres sites, même si c’est pratique.

La Geekette : « Un compte par site, enregistré avec une adresse mail pas chez un GAFAM. » Un mec : « Mais c'est chiant ! » La Geekette : « Moins que de tout perdre parce que ton fils avait mal au zgeg. »

Enfin, et surtout, même s’il peut nous arriver d’utiliser ces outils… n’obligeons pas les autres à le faire.

Gee : « Le piège, c'est quand Facebook devient l'unique porte d'entrée numérique à ton magasin ou à ton restaurant…  Garder un Signal à coté de WhatsApp permet de maintenir le contact sans participer à l'hégémonie de ces plateformes.  En ayant une adresse mail différente de Gmail, j'évite que les mails que mes proches dégooglisés m'envoient n'arrivent quand même sur les serveurs de Google.  C'est déjà ça ! »

(De manière générale : faisons au mieux. L’hygiène numérique, c’est pas simple, c’est pas à la portée de tout le monde. Faisons ce que nous pouvons.)

Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 6 septembre 2022 par Gee.

Sources :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




Le Petit Crypto-Prince

À l’heure où l’on en vient à vendre ses propres pets en NFT, notre dessinateur Gee nous offre une parodie du Petit Prince pour le moins… cryptique.

Notez que la BD a été réalisée en direct sur PeerTube ! Vous pouvez regarder la rediffusion ici :

Le Petit Crypto-Prince

Un petit garçon ressemblant au Petit Prince marche vers un homme en train de taper sur ordinateur. L'homme a une cigarette électronique à la bouche.

L'homme murmure plein de calculs : « Trois et deux font cinq. Quinze et sept vingt-deux.  Cinq et sept douze.  Vingt-deux et six vingt-huit.  Douze et trois quinze. » Le garçon : « Bonjour. Votre vapoteuse est déchargée. » L'homme : « Bonjour.  Peux pas la recharger, je mine d'la crypto.  Vingt-six et cinq trente et un.  Ouf ! Ça fait donc cinq cent un million six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. »

Le garçon : « Cinq cent un million de quoi ? » L'homme, l'air agacé : « Millions de ces petites choses que l'on voit quelquefois sur les pages web. » Le garçon : « Des pubs pour des rencontres chaudes dans ta région ? » L'homme : « Mais non, des petits trucs rectangulaires avec des couleurs. » Le garçon : « Ah ! Des images ? » L'homme : « C'est bien ça.  Des images. »

Le garçon, dubitatif : « Et que fais-tu de ces images ? » L'homme, se retournant : « Ce que j'en fais ? » Le garçon : « Oui. » L'homme : « Rien. Je les possède. » Le garçon : « Tu possèdes les images ? » L'homme : « Oui. » Le garçon : « Mais si je fais “Impr écran”… » L'homme : « Tu ne la possèdes pas. Tu la copies. C'est très différent. »

Le garçon : « Moi, si je possède un poster, je puis le punaiser au mur de ma piaule. Moi, si je possède un album photo, je puis l'emporter avec moi en voyage. Mais tu ne peux pas “emporter” une image numérique. » L'homme, agitant les bras : « Non, mais je peux en faire un NFT ! » Le garçon : « Qu'est-ce que ça veut dire ? »

L'homme : « Ça veut dire que j'ai une sorte de document numérique qui dit que cette image est à moi et à personne d'autre. » Le garçon, suspicieux : « Et ça suffit ? » L'homme, souriant : « Ah non, il faut que je crame une certaine quantité de la forêt amazonienne pour certifier ce petit document et que tout le monde soit bien sûr qu'il est authentique. »

Un silence. Le garçon est stupéfait, mais l'homme a plutôt l'air fier de lui.

Le garçon s'éloigne en disant : « Les grandes personnes sont décidément de sacrés gros cons. » L'homme est de nouveau concentré sur son ordinateur. Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 17 janvier 2022 par Gee.

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)