La quête du logiciel de qualité — suite et fin (Libres conseils 22c/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : peupleLà, lerouge, goofy, alpha, Sky, Julius22, vvision, okram, lamessen

Les transformations qui préservent la structure

Le deuxième tome de The Nature of Order décrit comment chacune de ces propriétés définit également une transformation. En voici des exemples.

  • Des frontières solides. Vous pouvez parfois transformer quelque chose positivement en lui adjoignant une frontière. Vous installez une palissade autour d’un jardin qui sert alors d’ornement, de coupe-vent afin que des vents forts ne viennent pas endommager le jardin, mais elle existe aussi comme structure en soi. Dans une interface graphique utilisateur, des boîtes à ascenseurs sans cadre sont difficiles à distinguer de l’arrière-plan de la fenêtre (pensez à toutes ces pages web blanches dont les formulaires d’entrée de texte n’ont pas de cadre). Vous placez une corniche sur le toit d’un immeuble afin que la transition entre l’immeuble et le ciel ne soit pas abrupte.
  • Des symétries locales. Il est plus facile de construire de petites parties de manière symétrique : parce qu’elles sont fabriquées sur un tour, parce qu’on doit y accéder des deux côtés, parce qu’elles se plient comme un livre. Faire des choses asymétriques, seulement pour l’intérêt de la chose, demande un travail supplémentaire et il est plus difficile d’obtenir quelque chose qui fonctionne bien.
  • Un espace positif. Vous vous sentez trop exposé quand vous êtes au bureau ? Ajoutez une étagère à mi-hauteur à côté de vous pour délimiter votre espace mais ne vous enfermez pas complètement. Est-ce que votre interface utilisateur donne l’impression qu’il y a beaucoup d’espace restant une fois que vous avez mis les contrôles en place ? Faites plutôt en sorte que les contrôles entourent l’espace utilisable.

Chacun des points qui précèdent est une transformation qui préserve la structure. Vous effectuez un changement dans la structure existante non pas en la démolissant et en la refaisant, mais en ajustant une chose après l’autre selon ces propriétés comme transformations.

En termes de logiciel, il s’avère que c’est ce en quoi le « Refactoring » consiste surtout, quand vous traduisez les concepts en code. Réorganiser, c’est seulement appliquer des transformations qui préservent la structure ou, comme Martin Fowler — l’auteur de Refactoring — l’aurait présenté, des transformations qui préservent le comportement. Vous ne changez pas ce que fait le programme ; vous changez seulement la manière dont il est construit à l’intérieur, morceau par morceau.

En extrayant un morceau de code et en l’insérant dans une fonction nommée, vous ajoutez essentiellement une frontière solide autour du code et créez un noyau robuste. En enlevant une variable globale et en ajoutant des variables de classe, vous permettez la robustesse, car chaque instance peut maintenant avoir une valeur différente dans cette variable, comme nécessaire. En ayant un producteur/consommateur, ou un émetteur/récepteur, vous avez des symétries locales, des imbrications fortes et ambiguës, et une bonne forme.

Richard Gabriel, l’une des principales personnalités du Common Lisp , a étudié comment appliquer les théories d’Alexander au logiciel (et aussi à la poésie ; le code n’est-il pas similaire à la poésie après tout ?). Il donne l’exemple suivant :

  1. Imaginez que vous créez la classe AppelTelephonique. C’est un objet central implicite, qui pourrait être beaucoup plus puissant.
  2. Gerard Meszaros dans le modèle DemiObjet + Protocole suggérait de séparer l’objet en deux demi-appels, liés par un protocole. On obtient ainsi une symétrie locale, un centre fort et un effet d’échelle.
  3. Maintenant, dessinons cela sous forme de diagramme. On obtient alors de la symétrie locale, de l’effet

    d’échelle, des frontières, une imbrication forte et de l’ambiguïté. C’est ici que Meszaros a arrêté sa démarche.

  4. Richard Gabriel suggère alors de renforcer les centres existants en appliquant d’autres transformations qui préservent la structure. Que faire de l’objet central implicite au milieu ? Vous lui ajoutez une frontière explicite (Appel) qui lie les demiAppels entre eux. Cela améliore les symétries locales, maintient l’imbrication forte et l’ambiguïté, et c’est composable.

  5. Oui, c’est composable. Des appels multidirectionnels, des conférences téléphoniques, tout cela s’effectue 

    grâce à la mise en œuvre de transformations qui préservent la structure.

Chaque développeur garde probablement une image mentale du programme qu’il est en train de créer ou de modifier. La partie la plus difficile dans la modification d’un code que vous n’avez pas écrit est de commencer par visualiser cette image mentale. Quand vous travaillez pour que le code affiche une image plus jolie, il s’améliore — et Alexander nous propose une bonne façon de le faire.

Le processus fondamental

Alexander argumente longuement pour expliquer l’intérêt de suivre ce processus : appliquer des transformations qui préservent la structure est la seule manière de réussir une conception de qualité et fonctionnelle. Cela ne vaut pas seulement pour les immeubles, mais pour tout ce que nous construisons. Peu importe que vous partiez de l’existant — un programme, un bâtiment ou une ville — ou que vous partiez de zéro. Nous imitons la nature dans ses processus d’évolution et de régénération, mais nous allons plus vite.

  1. Commencez avec ce que vous avez : un espace vide, un immeuble déjà construit ou bien un programme qui ne ressemble à rien et difficile à utiliser.
  2. Identifiez les centres existant dans cet espace. Trouvez le centre le plus faible ou le moins cohérent.
  3. Voyez comment appliquer l’une au moins des quinze transformations qui préservent la structure afin de renforcer ce centre faible. A-t-il besoin d’être délimité ? A-t-il besoin de se confondre avec son entourage ? A-t-il besoin de plus de détails ? A-t-il besoin d’être dégagé ?
  4. Trouvez les nouveaux centres qui sont apparus quand vous avez appliqué les transformations à l’ancien centre. Cette nouvelle combinaison rend-elle les choses plus fortes ? Les rend-elle plus jolies ? Les rend-elle plus fonctionnelles ?
  5. Assurez-vous que vous avez fait la chose la plus simple possible.
  6. Retournez au début pour l’étape suivante.

Un résumé extrêmement simple pourrait être : trouvez les mauvaises parties, améliorez-les de la façon la plus simple possible, testez les résultats, réitérez.

Alexander ne tient pas à détruire les choses juste pour les reconstruire de façon différente. Il ne s’agit pas de pas démolir des quartiers d’une ville pour les reconstruire mais de les améliorer progressivement. Pour les logiciels, il est bien connu que vous n’allez pas réécrire quelque chose juste parce que vous ne le comprenez plus. Démolir quelque chose, c’est perdre toutes les connaissances qui avaient été incorporées à cette chose en train d’être détruite, même si elle semble étrange dans son état actuel.

De même, Alexander s’oppose à la création de modèles détaillés au préalable. Il donne un bon argument montrant pourquoi les modèles pré-établis ne peuvent pas fonctionner en fin de compte : parce qu’on ne peut pas prévoir de manière absolue tout ce qui va se passer lors de la construction et de l’implémentation ; parce qu’on oubliera forcément une partie des détails de l’environnement au sein duquel notre création évoluera ; parce que la nature en elle-même n’est pas pré-ordonnée et croît plutôt de manière libre et pousse sans pitié à l’évolution jusqu’à ce que les éléments qui la constituent survivent d’eux-mêmes.

De cette façon, vous ne concevez pas l’interface utilisateur en entier ou la structure complète, pour un grand programme, en une seule étape. Vous allez du grand au petit ou du petit au grand (niveaux d’échelle) ; vous testez chaque partie individuellement jusqu’à ce que ce soit bon (des centres solides) ; vous vous assurez que les parties ne sont pas trop déconnectées les unes des autres (interdépendance). Vous déplacez quelques widgets là où ils sont plus accessibles ou plus proches des données auxquelles ils se réfèrent. Vous enlevez quelques cadres et séparateurs pour réduire le désordre. Par dessus tout, vous évaluez continuellement ce que vous avez créé avec de vrais utilisateurs et des cas d’usage réels pour confronter les choses à la réalité, et non à votre imagination.

Un nom pour la qualité

Tout au long de The Nature of Order, Alexander parvient à montrer que les environnements ou les structures construites selon cette méthode finissent toutes par avoir la Qualité sans Nom. Il appelle cela une structure vivante. Cela peut être mesuré et comparé. Ce n’est plus sans nom ; on peut parler d’environnements ou de programmes qui ont une structure plus ou moins vivante par rapport à d’autres — et nous tendons à développer et à obtenir toujours plus de cette propriété.

J’ai seulement intitulé cet article « Le logiciel comme Qualité sans Nom » parce que ça semblait ainsi plus mystérieux.

Je ne peux prétendre connaître la façon parfaite de concevoir et écrire des logiciels. Mais au moins, j’ai une bonne méthode basée sur ce qui produit de bonnes choses ailleurs. Cela a fonctionné pour ma maison et, jusqu’à présent, ça a très bien marché pour mes logiciels. J’espère que ça fonctionnera bien pour vous aussi !

Références

  • Christopher Alexander, A Pattern Language. Version en ligne : http://bit.ly/8n6igg (NdÉ : lien invalide, le 1er février 2013).
  • Christopher Alexander, The Nature of Order. Une page web très moche http://www.natureoforder.com (NdÉ : visité le 1er février 2013).
  • Photos et dessins des 15 propriétés – http://bit.ly/b82Dxu (NdÉ : visité le 1er février 2013).
  • Richard Gabriel, Patterns of Software. Un superbe libre qui traite d’un grand nombre d’aspects du développement des logiciels, en transposant les idées de Christopher Alexander pour atteindre les meilleures techniques possibles en développement de logiciel. Version en ligne : http://bit.ly/dqGUp4 (NdÉ : visité le 1er février 2013).
  • Richard Gabriel, Christopher Alexander, the search for beauty. Une excellente présentation des idées de Christopher Alexander et une galerie de modèles dans le domaine du logiciel. http://bit.ly/ztE6cp (NdÉ : visité le 1er février 2013).
  • Richard Gabriel, The Nature of Order. Le monde post-modèles. Une autre très bonne présentation, qui fait suite à la précédente, explique les 15 propriétés, le processus fondamental et comment cela peut s’appliquer au logiciel. http://dreamsongs.com/Files/NatureOfOrder.pdf (NdÉ : visité le 1er février 2013).
  • Federico Mena Quintero, Software that has the Quality Without A Name. Présentation Desktop Summit de Berlin en 2011. http://bit.ly/oYgJUf (NdÉ : visité le 1er février 2013).



La quête du logiciel de qualité – (Libres conseils 22b/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Sphinx, peupleLà, lerouge, goofy, alpha, Sky, Julius22, lamessen, vvision, Garburst, okram

Le guichet de billetterie

La thèse de doctorat d’Alexander a servi de base à son livre Notes on the Synthesis of Form (NdT : Remarques sur la synthèse de la forme), paru en 1964. Il essayait de rationaliser le processus de conception en le définissant comme une progression depuis une série de conditions préalables jusqu’à un résultat final, grâce à une analyse des forces qui déterminent le design.

Permettez-moi de citer Richard Gabriel, dont je parlerai plus tard, quand il décrit l’époque où Alexander essayait de concevoir un guichet de billetterie en prenant appui sur ses idées mathématiques :

Alexander dit (à propos de la qualité sans nom) :

Il s’agit d’un type subtil de liberté issu de contradictions internes. (Alexander, 1979)

Cette assertion fait écho aux origines de sa recherche sur la qualité. Elle commença en 1964 alors qu’il était en train de réaliser une étude pour le San Francisco Bay Area Rapid Transit District (BART) basée sur le travail rapporté dans Notes on the Synthesis of Form (Alexander 1964), lui-même basé sur sa thèse de doctorat. L’une des idées-clés de ce livre était qu’avec une bonne conception, il doit y avoir une relation sous-jacente entre la structure du problème et la structure de la solution — les bonnes conceptions passent par la rédaction d’une analyse des besoins, l’analyse de leurs interactions sur les bases d’incompatibilités potentielles, produisant ainsi une décomposition hiérarchisée des différentes parties, et la reconstitution d’une structure dont

la hiérarchie structurelle est l’exact complémentaire de la hiérarchie fonctionnelle établie durant l’analyse du programme. (Alexander, 1964)

Alexander a analysé le système de forces mises en jeu dans la conception d’un guichet. Lui et son groupe avaient rédigé un cahier des charges en 390 points pour couvrir tous les cas de figure d’usage de l’édicule. Certaines spécifications concernaient des choses telles qu’être là pour obtenir des billets, pouvoir faire de la monnaie, pouvoir déplacer les personnes qui font la queue, réduire la durée d’attente pour obtenir des billets. Il a toutefois remarqué que certaines parties du système n’étaient pas concernées par ces spécifications et que le système lui-même pouvait s’enliser parce que ces autres forces — celles qui ne faisaient pas l’objet d’une spécification — agissaient pour arriver à leur propre équilibre au sein du système. Par exemple, si une personne s’arrêtait et qu’une autre s’arrêtait également pour parler avec la première, cela pouvait créer un embouteillage susceptible de mettre en échec les mécanismes mis au point pour maintenir une circulation fluide. Bien sûr, l’absence d’embouteillage faisait partie des spécifications. Mais il n’y avait rien que les concepteurs puissent faire pour l’empêcher par le biais d’un mécanisme adapté.

En tant que programmeur, ça doit vous rappeler quelque chose ? Vous pouvez élaborer une conception magnifique et parfaitement rigoureuse, mais qui s’effondrera quand vous la construirez effectivement parce que des éléments que vous n’aviez pas anticipés apparaitront alors. Ce n’est pas un échec de votre conception, mais de quelque chose d’autre ! Richard Gabriel poursuit :

Alexander disait ceci :

Il devint alors clair que le bon fonctionnement d’un système ne dépendait pas uniquement de la satisfaction d’une série de conditions préalables. Il s’agissait plutôt d’un système qui trouve sa cohérence en lui-même et en équilibre avec les forces internes générées par ledit système que de l’accord avec une série quelconque de conditions préalables que nous aurions arbitrairement définie. Cela m’intriguait beaucoup car l’idée qui prévalait en général à l’époque (en 1964) était que, pour l’essentiel, tout était fondé sur des objectifs. Toute mon analyse des conditions préalables tendait à converger avec le point de vue de la recherche opérationnelle qui pose qu’il faut établir des objectifs, etc. Ce qui m’ennuyait, c’est qu’une analyse correcte du guichet ne pouvait se baser uniquement sur des objectifs quelconques ; il y avait des réalités qui émergeaient du centre du système lui-même et qui, peu importe votre degré de réussite, avaient un rapport avec le fait que vous ayez créé une configuration stable au regard de ces réalités.

Et c’est le cœur du problème : comment créer une configuration stable avec les réalités qui en émergent au fur et à mesure que vous la construisez ?

La nature de l’ordre

Bien que Christopher Alexander ait eu conscience d’avoir produit quelque chose de précieux avec ses recherches et catalogues de modèles, il n’était pas complètement satisfait. D’où venaient les modèles ? Pouvait-on les créer à partir de rien ou devait-on se satisfaire de ce qu’avait produit jusque-là l’architecture traditionnelle ? D’ailleurs, les modèles étaient-ils réellement nécessaires ? Comment pouvait-on mieux définir et évaluer ou mesurer cette « Qualité sans nom » ?

Alexander passa les vingt années suivantes à tenter de répondre à ces questions. En étudiant le processus réel de création par lequel des environnements bien construits avaient vu le jour, il découvrit que certains processus sont indispensables pour créer des villes ou des édifices agréables — ou toute création humaine en fait. Il arriva aux conclusions suivantes :

  • La nature crée des choses qui ont toutes une quinzaine de propriétés en commun (je vous expliquerai plus tard). Cela se produit uniquement par des processus naturels — physique et chimie de base — bien que nous ne sachions pas clairement pourquoi des procédés très différents produisent des résultats similaires ;
  • On retrouve ces propriétés dans les architectures traditionnelles ou les villes qui ont simplement évolué au cours du temps. Tous les modèles décrits dans A Pattern Language peuvent être obtenus en suivant une méthode fondée sur ces propriétés ;
  • Chaque propriété peut également décrire une transformation de l’espace existant ;
  • La seule façon de réussir une bonne conception consiste à utiliser ces transformations, une à la fois.

Ceci a été publié en 2003 – 2004 en quatre tomes intitulés The Nature of Order (NdT : « La nature de l’ordre »).

Les quinze propriétés

Le premier tome de La nature de l’ordre traite de quinze propriétés qui apparaissent dans tous les systèmes naturels. Je les résumerai très brièvement (voir les références pour des illustrations et de plus amples explications).

  • Des niveaux d’échelle. La gamme de tailles est équilibrée, sans changement brutal dans la taille d’objets adjacents. Les éléments ont une échelle fractale ;
  • Des centres forts. Les différentes parties de l’espace ou de la structure sont clairement identifiables ;
  • Des frontières solides. Les lignes délimitent les choses. Dans les systèmes vivants, les bords sont les environnements les plus productifs (par exemple, toutes les créatures qui vivent au bord de l’eau) ;
  • Des répétitions alternées. Haut/bas, épais/fin, forme A et forme B. Les objets oscillent et alternent afin de créer un bon équilibre ;
  • Un espace positif. L’espace adopte une belle forme convexe et close. Ce n’est pas de l’espace excédentaire. Pensez à la manière dont les cellules d’un diagramme de Voronoï grandissent vers l’extérieur à partir d’un ensemble de points ou à la manière dont les grains d’un épi de maïs se développent à partir de petits points jusqu’à ce qu’ils touchent les grains adjacents ;
  • Une bonne forme. Les voiles d’un bateau, la coquille d’un escargot, le bec d’un oiseau. Ils parviennent à la forme optimale qui sert leur fonction, ce qui est magnifique ;
  • Des symétries locales. Le monde n’est pas symétrique dans son ensemble. Cependant, les petites choses tendent à être symétriques parce que, de cette manière, c’est plus facile. Votre maison n’est pas symétrique, mais chaque fenêtre l’est ;
  • Une profonde imbrication et de l’ambiguïté. Les rues sinueuses des vieilles villes. Les axones des neurones. Il est difficile de séparer la forme du fond, ou l’avant-plan de l’arrière-plan. Deux centres forts sont renforcés si un troisième est placé entre eux de manière à ce qu’il appartienne aux deux ;
  • Du contraste. Vous pouvez distinguer où une chose se termine et où la suivante commence parce qu’elles ne se fondent pas l’une dans l’autre ;
  • Des degrés. Les choses se confondent les unes les autres là où c’est nécessaire. Les concentrations dans des solutions, les congères ou les talus, les câbles supportant un pont. La manière dont la bande passante décroît alors que vous vous éloignez de l’antenne ;
  • Des aspérités. Le monde n’est ni exempt de frottement, ni doux. Les irrégularités sont bénéfiques car elles permettent à chaque élément de s’adapter à son environnement, plutôt que d’être une copie conforme qui n’irait pas aussi bien ;
  • Des échos. Les choses se répètent et se font écho. Elles sont uniques dans la précision de leur forme mais leurs contours généraux se répètent à l’infini ;
  • Du vide. Parfois, vous avez un grand espace vide pour la tranquillité de la forme. Un lac, une cour, le cadre d’une image ;
  • De la simplicité et du calme intrinsèque. Les choses sont aussi simples que possible, sans être simplistes ;
  • De l’interdépendance. Chaque chose est dépendante de tout le reste. On ne peut pas séparer un poisson du bassin et des plantes aquatiques. On ne peut pas séparer une colonne de la base du bâtiment.



La quête du logiciel de qualité (Libres conseils 22a/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Sphinx, peupleLà, lerouge, goofy, alpha, Julius22, SaSha_01, vvision, lamessen, Bob, lamessen, Garburst, okram

Le logiciel comme Qualité sans Nom

Federico Mena Quintero

Federico Mena Quintero est l’un des pères fondateurs du projet GNOME et fut auparavant le mainteneur de GIMP. Il travaillait aux Red Hat Advanced Development Labs durant les débuts de GNOME puis fut l’un des premiers à être recruté chez Ximian où il a principalement travaillé sur le calendrier d’Evolution. Il travaille toujours autour de GNOME pour Novell/Suse et vit au Mexique.

Lorsque j’apprenais la programmation, j’ai remarqué que je rencontrais souvent le même problème, encore et encore. J’écrivais souvent un programme qui fonctionnait relativement bien et était même bien structuré. Mais après quelques modifications et améliorations, je ne pouvais plus l’améliorer davantage. Soit sa complexité me surpassait, soit il était écrit de telle manière qu’il ne permettait pas d’évolution, comme une maison que vous ne pouvez pas agrandir à cause d’un toit pentu ou que vous ne pouvez pas étendre sur les côtés à cause des murs qui l’entourent.

À mesure que je progressais, j’ai appris à gérer cette complexité. Nous apprenons tous à le faire avec différents outils et techniques : l’abstraction, l’encapsulation, l’orientation objet, les techniques fonctionnelles, etc. Nous apprenons comment diverses techniques nous permettent d’écrire des programmes plus complexes.

Cependant, le problème d’un programme trop optimisé ou bien trop intimement enchevêtré pour être modifié a persisté. Parfois, je pensais tenir une superbe conception. Mais la modifier d’une façon quelconque l’aurait « amochée » et je ne le souhaitais pas. D’autres fois, j’avais quelque chose avec tellement de parties imbriquées que je ne pouvais plus y connecter quoi que ce soit sans que tout s’effondre sous son propre poids.

Il y a quelques années, la manie de la réécriture a débuté sans que j’y prête trop attention. Je me disais que c’était une façon de nettoyer le code, mais après ? Je sais déjà comment prendre un morceau de code et le transformer en fonction ; je sais déjà comment prendre des morceaux de code similaires et les transformer en classes dérivées. Je sais déjà écrire du code presque entièrement propre. Quel est donc le problème ?

J’ai écarté la refactorisation(1) en la considérant comme destinée aux programmeurs les moins expérimentés ; comme de jolies recettes de nettoyage de code mais rien qui ne puisse être découvert par soi-même.

La même chose s’est produite avec les canevas de conception. Je pensais qu’ils donnaient simplement des noms pompeux tels que Singleton et Strategy à des types de structures de tous les jours qu’on utiliserait naturellement dans un programme. Peut-être mon ego de programmeur était-il trop démesuré pour considérer ces travaux avec sérieux. C’est alors que quelque chose s’est produit.

Le travail de Christopher Alexander

Il y a quelques années, mon épouse et moi avons acheté une petite maison de plain-pied et nous souhaitions l’agrandir. Nous envisagions d’avoir un enfant et avions, par conséquent, besoin de plus d’espace. J’avais besoin d’un vrai bureau à domicile, pas une simple niche inoccupée dans laquelle mon bureau et mes étagères de livres tiendraient à peine. En tant que cuisiniers avides, nous avions tous les deux besoin d’une cuisine plus spacieuse et confortable que celle de notre maison. Mon épouse avait besoin d’une pièce bien à elle.

Nous ne voulions pas payer pour un architecte coûteux et aucun de nous deux n’avait la moindre connaissance en matière de construction. Comment allions-nous concevoir notre maison ?

Par moments, en naviguant sur le Web, je me rappelais que j’avais déjà vu le nom d’un auteur, le titre d’un livre ou quelque chose comme ça. Il se peut que je n’y aie pas vraiment porté attention par le passé mais, d’une manière ou d’une autre, plus je vois la même chose mentionnée, plus il est probable que je finirai par m’y intéresser suffisamment pour aller voir de quoi il s’agissait. « Oh, plusieurs personnes ont déjà mentionné ce nom ou ce livre ; je devrais peut-être y jeter un coup d’œil  »

C’est exactement ce qui s’est passé avec le nom de Christopher Alexander. J’avais lu que c’était un architecte assez spécial (de vrais bâtiments, pas de logiciels), connecté en quelque sorte au monde du logiciel par le biais de techniques orientées objet. J’ai été passionné par son travail dès que j’ai commencé à le découvrir par mes lectures.

Dans les années 1970, Christopher Alexander était un mathématicien et professeur d’architecture à l’université de Californie, Berkeley. Lui et un groupe d’architectes de la même mouvance que lui ont parcouru le monde, essayant de comprendre pourquoi il existait des endroits construits par des humains (cités, villes, parcs, immeubles, maisons) où il était très agréable de vivre, confortables, conviviaux et jolis, tandis que d’autres endroits ne l’étaient pas. Des lieux agréables étaient présents dans toutes les architectures traditionnelles du monde — européennes, africaines, asiatiques et américaines — amenant à l’idée que des facteurs communs étaient sans doute extractibles.

Alexander et son équipe ont réparti leurs découvertes au sein d’une liste de motifs architecturaux cohérents et publié trois livres : The Timeless Way of Building (NdT « L’art de la construction intemporelle » en français), où sont décrites la philosophie et la méthode nécessaires à une bonne construction ; A Pattern Language (NdT : « Un langage de schémas » en français), que je décris ci-après et The Oregon Experiment (NdT « L’expérience de L’Oregon » en français) où sont détaillés la conception et la construction d’un campus universitaire grâce à leur méthode.

Une grammaire de modèles

Un modèle (ou schéma) est un problème récurrent lors de la conception et de la construction d’objets, en lien avec les contraintes qui modèlent le problème et avec une solution connectée, quasi-récursivement à d’autres modèles-pères ou modèles-fils. Par exemple, considérons le GRADIENT D’INTIMITÉ, un modèle important dans le livre (les modèles étant en capitales dans ce livre pour en faciliter l’identification, je ferai donc de même) :

GRADIENT D’INTIMITÉ

<!-- wikipedia : patron de conception *

pour la compréhension : http://www.jacana.plus.com/pattern/P127.htm */ --> Modèles-pères, et préambule : … si vous savez à peu près où vous avez l’intention de placer les ailes du bâtiment, LES AILES DE LUMIÈRE, et combien d’étages elles auront, le NOMBRE D’ÉTAGES, et où L’ENTRÉE PRINCIPALE se trouve, alors il est temps de travailler sur la disposition approximative des zones principales de chaque niveau. Dans tout bâtiment, la relation entre les zones publiques et les zones privées est de la plus haute importance.

Énoncé du problème : à moins que les volumes d’un édifice ne soient disposés dans un ordre correspondant à leur degré d’intimité, les visites des étrangers, amis, invités, clients, famille seront toujours un peu gênantes.

Explication : je ne vais pas tout citer. Prenez, par exemple, un appartement où la seule façon d’atteindre la salle de bain est de passer d’abord par la chambre à coucher. Les visites sont toujours gênantes car vous avez l’impression de devoir d’abord ranger votre chambre si vous voulez que vos visiteurs puissent utiliser les toilettes. Ou bien considérez des bureaux dans lesquels vous ne voulez pas qu’un espace de travail calme soit à côté de la réception, car alors celui-ci ne sera pas calme du tout — vous voulez qu’il soit plus privé, à l’arrière.

Résumé de la solution : disposez les espaces de l’édifice de façon à ce qu’ils créent une suite qui commence avec l’entrée et la partie du bâtiment ouverte au public, puis conduit aux zones un peu plus privées pour finir avec les domaines les plus intimes.

Modèles-fils à consulter : ZONES COMMUNES AU CENTRE. HALL D’ENTRÉE pour les maisons ; UNE PIÈCE PROPRE À CHACUN pour les particuliers. UNE RÉCEPTION VOUS SOUHAITE LA BIENVENUE dans les bureaux avec, BUREAU SEMI-PRIVÉ à l’arrière.

Les modèles deviennent plutôt précis, ils n’imposent cependant jamais un style ou une forme déterminée au résultat. Par exemple, il existe un modèle qui s’appelle « ÉTAGÈRES OUVERTES ». Des placards profonds vous incitent à mettre les choses les unes derrière les autres, ainsi, vous ne pouvez plus voir ni attraper les objets qui sont au fond. Ils prennent aussi beaucoup de place. Les étagères dont la profondeur permet de ne mettre qu’un seul objet restent rangées et vous savez toujours, en un seul coup d’œil, où se trouve chaque chose. Les objets que vous utilisez fréquemment ne devraient pas être derrière une porte.

Vous pouvez ainsi entrevoir l’essence même des modèles de conceptions : de bonnes recettes éprouvées qui n’imposent pas de contraintes inutiles à votre implémentation

Les modèles ne demandent pas un style particulier ou des décorations superflues : le livre ne vous dit pas : « appliquez ces motifs floraux sur les rampes », mais plutôt : « les pièces d’une maison devraient être orientées de telle sorte que le soleil les éclaire harmonieusement, au moment de la journée où elles sont le plus utilisées — à l’est pour les chambres le matin, à l’ouest pour le salon l’après-midi ».

J’avais acquis un exemplaire de A Pattern Language peu avant de commencer à agrandir notre maison. Le livre fut une révélation : c’était le moyen d’aborder la conception de notre maison et nous pouvions alors la réaliser par nous-mêmes au lieu de payer très cher une solution inadaptée. Nous étions capables de faire un plan sommaire de notre maison et ensuite d’imaginer des détails plus fins au fur et à mesure de la construction. C’est le genre de livres qui, pendant que vous le lisez, parvient à confirmer les intuitions que vous éprouviez confusément — le genre de livres qui vous fait dire en permanence : « Bien sûr, c’est exactement à ça que je pensais  »

Design Patterns, le fameux livre publié par Gamma et autres, puise directement son inspiration dans les schémas architecturaux d’Alexander. Ils voulaient faire la même chose : dresser une liste de problèmes apparaissant fréquemment lorsque l’on programme et présenter de bonnes solutions qui n’imposeront pas de contraintes inutiles à votre implémentation.

Une chose dont j’ai pris conscience en lisant A Pattern Language, c’est une chose importante que l’on retrouve à la fois dans les modèles architecturaux et logiciels) : ils nous fournissent un vocabulaire pour discuter de la façon dont les objets sont construits. Il est beaucoup plus pratique de dire : « Les propriétés de cet objet ont des observateurs » plutôt que : « il est possible de lui attribuer des fonctions de rappel qui sont appelées lorsque ses propriétés changent ». Ce que je pensais être uniquement des termes pompeux ne sont, en fait, qu’une manière d’exprimer la connaissance de manière compacte.

La Qualité Sans Nom

La plus grande partie de l’explication d’Alexander sur les modèles de conception et leur philosophie se rapporte à quelque chose qu’il appelle « La qualité sans nom ». Vous connaissez des endroits qui ont cette qualité sans nom. Elle est présente dans le café où vous aimez aller lire car la lumière de l’après-midi entre avec exactement la bonne intensité. Et il y a là-bas des chaises et des tables, c’est toujours plus ou moins rempli de gens sans pour autant que vous vous sentiez oppressé. Elle est présente au coin d’un parc où un arbre ombrage un banc. Il y a peut-être un peu d’eau vive, et il importe peu qu’il pleuve ou bien que le temps soit ensoleillé, cela semble toujours être un plaisir d’y être. Pensez à une maison de hobbit où tout est à portée de main, où tout est confortable et où tout est fait élégamment.

Un objet ou un endroit possède la qualité sans nom s’il est convivial, s’il a évolué dans le temps selon sa logique propre, s’il ne recèle pas de contradiction interne, n’essaie pas d’attirer l’attention et semble réunir toutes les qualités archétypales — comme s’il avait suivi tout naturellement la voie optimale pour aboutir à sa conception. Plus important, Alexander affirme que c’est une qualité objective et non subjective, et qu’elle peut être mesurée et comparée. Bien que cela semble être une définition floue, c’est l’état le plus abouti dans lequel Alexander a pu l’amener lors de la première phase de son travail. La vraie révélation n’apparaitrait que plus tard.

En tant que développeurs, nous avons tous vu de beaux programmes à un moment donné. Ce sont peut-être les exemples de Programming Pearls, un beau livre que tout hacker devrait lire. Peut-être avez-vous vu un algorithme bien implémenté qui regorge de justesse. Vous vous souvenez peut-être d’un morceau de code très compact, très lisible, très fonctionnel et très correct. Ce logiciel possède la qualité sans nom. Il était devenu évident pour moi que je devais apprendre à écrire des logiciels qui atteignent le niveau de la qualité sans nom et que la méthode d’Alexander était le bon point de départ pour y parvenir.

(à suivre…)

(1) Refactorisation : bien que critiqué, cet anglicisme (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Refactorisation) semble d’un emploi courant chez les développeurs. On pourrait parler plus simplement de remaniement




Les Noénautes reviennent avec un livre encore plus libre ! (et un appel à soutien)

Nous ne pouvons plus vous le cacher. Nous vous devons la vérité.

Le romancier Pouhiou, de sinistre mémoire, ne laissera aucun droit d’auteur à sa succession ! Ses petits-petits-enfants maudiront cet arrière-arrière-grand-père qui ne leur aura pas laissé son œuvre en lucratif héritage, et ils baisseront la tête, honteux de revenir à pied de l’école virtuelle quand ils croiseront les petits-petits-enfants de Marc Levy en limousine holodynamique…

Pourquoi ? Parce que cet iconoclaste a décidé de directement placer ses livres dans le domaine public grâce à la licence CC-0. Il pousse d’ailleurs l’effronterie jusqu’à nous demander notre soutien pour accompagner la sortie du livre II du cycle des NoéNautes.

Ne répondez surtout pas à sa pernicieuse invitation, vous risqueriez d’être complice de dangereux criminels de la trempe d’Aaron Swartz !

Voyez dans cette interview de quelles fallacieuses diaprures il revêt ses noirs desseins… On vous aura prévenus.

Pouhiou sur Ulule

Alors ça y est, tu as déjà fini un deuxième tome ? C’est un vrai roman-feuilleton ton truc, et tu comptes aller jusqu’où au juste ? Une comédie musicale à Bercy ?

Quand comme moi on télécharge chaque année les Tommy awards, c’est Broadway sinon rien ! Pour les NoéNautes, j’ai été clair dès le début : Huit livres sont prévus. Huit livres de huit chapitres, chacun correspondant à un des 64 hexagrammes du yi-king (un des plus vieux livres au monde). Mais je t’avoue qu’après deux romans en un an, je crois que je vais me faire une pause… et écrire les trois pièces de théâtre qui me trottent dans la tête !

C’est bien joli tes histoires de noétie mais moi ce qui m’intéresse c’est qu’il y ait là-dedans un peu de sexe, de drogue et de rock’n roll. Est-ce qu’on en trouve dans MonOrchide(1) ?

Tu sais que je ne l’avais pas envisagé comme ça ? Mais nom de Zeus, c’est vrai ! Ce sont même des éléments essentiels de #MonOrchide. Le sexe, débridé, pluriel, polyamoureux, va être un levier important dans la narration… comme il peut l’être dans l’histoire de nos vies, note bien ! Quant à la drogue et au Rock’N’Roll, ils apparaissent avec de nouveaux personnages… Donc je garde le secret. Disons que qui a lu mes pièces de théâtre risque d’avoir de belles surprises !


C’est quoi cette histoire de souscription ? J’y comprends rien. Tu veux qu’on envoie des sous pour que d’autres n’aient pas à payer pour le bouquin ? Donc faut que je paie pour que les autres aient un livre gratuit, j’ai bon ?

Tu as tout bon. Il y a un adage qui dit « si c’est gratuit, c’est toi le produit ». La croyance générale est qu’il faut se méfier du gratuit. Que cela dévalorise l’art, la culture. Alors que ça ne fait que déprécier les marchandises, et pleurer les commerçants… L’idée, c’est de s’amuser autour de la « loi prisunic », imposant un prix unique au livre en France. Le prix des framabooks tient compte de toute une chaîne de distribution (stockage, distribution, librairie, etc.) Pour la souscription, on est en circuit court. Les livres iront directement de moi à toi, sans avoir à payer d’intermédiaires. Mais on est légalement tenus de conserver ce tarif de 22 €… Alors au lieu de s’en mettre plein les poches, on va prendre tous ces bénéfices, faire de jolis livres du tome 1, et les offrir à des curieux, des intéressées et autres bouquinovores. On aime tous partager un bon bouquin. L’emprunter gratuitement dans une bibliothèque, ou sur l’étagère d’un ami. Ce roman est d’autant plus précieux qu’il nous a été donné. Le principe de cette souscription est le même. Nos efforts collectifs ajoutent de la valeur à ce geste gratuit.


Ils sont marrants tes personnages (enfin certains font un peu peur hein). Mais bon, dans quel volume tu vas introduire (hum en tout bien tout honneur) un épicier tunisien, un cheminot à la retraite, une opératrice de centre d’appel, un lycéen rimbaudmane (oui je sais les rimbaudlogues disent rimbaldien), une chasseuse de palourdes… ?

On a déjà une concierge geekette et une jeune fille élevée dans une ferme ostréicole, je te ferais dire ! Alors bien entendu, les héros des deux premiers tomes tiennent plus du cadre que du prolo… Mais ça n’augure rien quant à la suite ! Je t’avoue que ces personnages sont en train de prendre un relief et une vie toute particulière. Je pense que les histoires et les personnalités vont s’étoffer et se multiplier au fil des volumes. À ce titre, le livre III en surprendra plus d’un !


Tu assures vachement bien la comm et la promo tes bouquins, mais l’énergie et le temps que tu y passes ne nuisent pas au temps d’écriture ?

Merci, et : OUI. Là, je devrais être en train de corriger et d’annoter les épisodes du chapitre 8 pour que l’équipe Framabook puisse travailler dessus. Mais non, je communique. Cela fait partie du travail. J’ai appris ça quand je faisais le comédien. Pour jouer mes pièces, j’ai téléphoné, tracté, fait des sites web, harcelé, pondu des dossiers, couru premières et vernissages, affiché… La plupart de mes amis artistes (chansonniers, comédiennes, auteurs, metteuses en scène, etc.) font ça, peu ont les moyens de déléguer ce genre de choses… Ce n’est pas plus mal. D’une part cela entraîne à parler de ce que l’on fait, à le défendre et à le diffuser… Et d’autre part ça ancre dans la réalité. Sauf dans mon cas, où si je ne trouve pas de boulot très vite, la réalité va venir me faire payer l’ardoise avec ses intérêts ;p !


Est-ce que tu vas bientôt arrêter de te prétendre « déjanté » ? C’est devenu une vraie tarte à la crème. Tu devrais demander à tes fidèles habitués du blog quels adjectifs correspondent le mieux à ta saga. Je propose une première série :

  • capricant
  • invertébré
  • supraconducteur
  • callipyge
  • caustique
  • métadiabolique
  • orchifrage

Tiens, un sondage pour voir

Je supprime invertébré (les huîtres c’est le mâââl !) et j’ajoute chalambré, parce que ce mot n’existe pas et qu’il devrait exister. Et OK : chiche ! Tu lances le sondage sur le framablog ? Si une solution remporte plus de 88 votes, quelle qu’elle soit, je l’utiliserai. Foi de Pouhiou !

— merci Pouhiou à la prochaine !

Pour s’y retrouver :

(1) Un titre vaguement graveleux, voyez l’étymologie. Ce Pouhiou ne recule devant rien. Mais il se ferme les portes du vertueux Appstore, le bougre.




Pas de Web libre et ouvert sans navigateur

Nous reproduisons aujourd’hui le dernier billet de Tristan Nitot, dont nous avons traduit la version originale. Il attire notre attention sur un problème crucial aujourd’hui et vous propose d’apporter votre contribution au débat. Alors qu’un véritable raz-de-marée d’applications déferle sur les smartphones et que nous en sommes friands (— ah bon, pas vous, vraiment ?) il est temps de s’interroger sur ce qui fait la force d’un navigateur qui nous permet de tirer le meilleur parti du Web. Car il ne s’agit pas seulement d’y acheter des contenus mais bien d’en faire l’espace de nos libertés, de notre création, de notre vie en ligne.

Et si le navigateur disparaissait ?

Par Tristan Nitot, Mozilla Principal Evangelist

(Adaptation d’un article en anglais publié sur le blog officiel Mozilla, Beyond the Code, sous le titre What if the browser disappeared?. Sky, Slystone, goofy pour la traduction).

L’autre jour, je lisais un article provocateur intitulé The end of the browser? (NDT : « La fin du navigateur ? »). Cet article soutient fondamentalement que tout le monde utilisant de plus en plus d’appareils nomades, les applications mobiles remplacent les navigateurs Web pour diverses raisons, la principale étant qu’elles sont plus pratiques que les pages Web affichées dans les navigateurs.

Bien qu’en désaccord avec l’auteur, je pense qu’il s’agit d’une question très intéressante qui soulève deux problèmes :

  1. Et si le Web était remplacé par les applications mobiles ? En quoi serait-il dommageable de perdre les navigateurs Web en tant que canal principal d’accès à l’information et aux services ?
  2. Que pouvons-nous faire pour nous assurer que le navigateur Web ne devienne pas une relique du passé pendant que le monde devient mobile ?

Et si le Web était remplacé par les applications mobiles ?

— Je pense que le monde y perdrait énormément. Il y perdrait tellement que je ne sais même pas par où commencer…

Liberté d’expression

Le Web n’est pas seulement fait de contenu commercial. Avoir la possibilité de s’exprimer est fondamental. Le Web permet cela, et avoir une structure décentralisée sur laquelle publier des trucs est nécessaire. Les magasins d’applications centralisés, comme les Appstores, ont montré une certaine tendance à censurer agressivement les contenus pour éviter les litiges, qu’il s’agisse d’art, de politique, de liberté de la presse ou simplement de mauvais goût.

Liberté de façonner mon expérience

Les navigateurs Web modernes sont équipés d’un système d’extensions qui permet aux utilisateurs de personnaliser leur expérience. Mais même avant que Firefox ne rende les extensions si populaires, il était possible d’utiliser des feuilles de styles alternatives ou même les feuilles de style de l’utilisateur pour modifier la présentation du contenu d’un site. Il ne s’agit pas seulement des goûts et des couleurs, mais également de l’importance pour le contenu du Web d’être accessible aux personnes handicapées.

N’oublions pas que chaque plateforme majeure propose un navigateur Web, de Windows à MacOS en passant par GNU/Linux et tous les smartphones : les utilisateurs n’ont pas à acheter un matériel ou un logiciel spécifique pour accéder au Web. Tout ce dont ils ont besoin c’est un ordinateur qui puisse faire tourner un navigateur Web.

Liberté d’apprendre, de bricoler et de créer

Ce qui rend le Web différent des autres médias est la possibilité pour chacun de participer. Contrairement à la télévision, vous n’avez pas besoin de posséder une chaîne de télé pour partager votre point de vue avec un public. Tout le monde peut publier un billet de blog qui renvoie vers d’autres pages, partager des photos ou des vidéos, et c’est un progrès fantastique pour la démocratie, comparé aux temps de la télé, de la radio et des journaux.

Mais l’Internet et le Web ne sont pas seulement des médias. Ce sont des plateformes d’innovation. Comme tout le monde peut apprendre comment le Web fonctionne en regardant le code source, le Web permet à chacun de créer une application Web, ce qui conduit à plus d’innovations, provenant d’encore plus de gens.

Que pouvons-nous faire pour nous assurer que le navigateur Web ne devienne pas une relique du passé pendant que le monde devient mobile ?

La réponse à cette question est plus courte que la précédente, je vais vous présenter ce que fait Mozilla à ce sujet :

  1. Continuer de faire un super navigateur pour le bureau : Firefox ;
  2. Continuer de faire un super navigateur pour les mobiles : Firefox pour Android ;
  3. Travailler sur un système d’exploitation mobile ouvert pour faire du Web la plateforme mobile de choix : Firefox OS (bientôt sur les téléphones portables près de chez vous !).

La nature ouverte du Web donne à chacun toutes sortes de libertés, et c’est pourquoi Mozilla s’investit dans Firefox OS : c’est le meilleur moyen de s’assurer que le Web a un futur dans un monde où la plupart des gens utilisent Internet sur leur téléphone portable.

Que pensez-vous que le monde perdrait si le navigateur Web disparaissait ? Vous pouvez nous le dire dans les commentaires là-dessous.




Apprenez de vos utilisateurs (Libres conseils 21/42)

21/42 ! Tiens, nous voilà déjà à mi-chemin de la traduction d’Open Advice.

Deux ou trois articles petits ou grands chaque jeudi, traduits en un temps record par une bande de furieux, ceux qui sont là depuis le début et ceux qui débarquent et demandent s’ils peuvent participer, ceux qui travaillent d’arrache-clavier et ceux qui en profitent pour déconner échanger des propos sur le chat du pad, ceux qui choisissent un pseudo et ceux qui restent anonymous, ceux qui négligent tranquillement l’orthographe et les grammar nazis qui rectifient, ceux qui traduisent avec Google translate et ceux qui se battraient pour une majuscule à Libre… on rencontre tout un peuple là, et jusqu’à présent tout se passe dans l’enthousiasme et la bonne humeur, l’échange et l’entraide devant un passage un peu ardu sur lequel on s’amuse à chinoiser…

Mais cette fois-ci c’est l’auteur de l’article lui-même qui nous a fait le plaisir de nous rejoindre pour contribuer à la traduction, ce qui est tout de même assez confortable. Merci Guillaume !

Malgré nos relectures croisées, nul doute que des coquilles auront échappé à notre vigilance et que nous trouverons des lecteurs pour les signaler, ce qui nous est précieux car la révision avant l’édition du framabook en sera d’autant facilitée.

D’ici là, en avant pour la deuxième moitié : chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Nyx, Sphinx, peupleLà, Kalupa, Guillaume Paumier, Husi10, lenod, Sky, Julius22, Alpha, RavageJo, KoS, Sputnik, goofy, lamessen

Apprenez de vos utilisateurs

Guillaume Paumier

Guillaume Paumier est photographe et physicien, il habite à Toulouse. Wikipédien depuis longtemps, il travaille actuellement pour la Wikimedia Foundation, l’organisation à but non lucratif qui héberge Wikipédia. En tant que responsable de l’ergonomie multimédia, il a notamment étudié le comportement des utilisateurs afin de créer un nouveau système d’import de fichiers pour Wikimedia Commons, la médiathèque libre associée à Wikipédia.

Vous connaissez Wikipédia, l’encyclopédie libre et gratuite que tout le monde peut modifier ? Elle a été créée en 2001 et a récemment fêté son dixième anniversaire. Bien qu’elle soit l’un des dix sites les plus visités au monde, son interface reste très « 1.0 » quand on la compare aux possibilités qu’offrent les technologies web modernes. Certains peuvent trouver ça bien : Wikipédia est un « truc sérieux » et les utilisateurs n’ont pas à être distraits par des « paillettes » dans l’interface. Pourtant, si Wikipédia a eu du mal à recruter de nouveaux contributeurs ces dernières années, c’est en partie à cause de son interface que certains considèrent comme archaïque. Ceci explique peut-être pourquoi les enquêtes sur les participants à Wikipédia ont montré à maintes reprises qu’il s’agit principalement d’une population d’hommes jeunes, attirés par la technologie, la plupart ayant une formation en informatique et en ingénierie. En dehors du fait que la connaissance libre et les licences libres sont issues du terreau fertile du logiciel libre et open source, l’interface compliquée a découragé beaucoup de contributeurs éventuels.

En 2011, alors que la majorité des plates-formes de publication collaboratives en ligne (comme WordPress, Etherpad et Google Documents) offrent un éditeur graphique, même rudimentaire, Wikipédia utilise toujours, par défaut, un ancien éditeur de texte wiki qui utilise des guillemets (“”) et des crochets ([[]]) pour la mise en forme. Des efforts sont en cours afin de passer à un éditeur graphique par défaut en 2012, mais ce n’est pas un défi facile à relever.

Mais laissons l’éditeur de côté un moment. L’interface de Wikipédia demeure assez compliquée. Et de nombreuses fonctionnalités utiles sont difficiles à découvrir. Savez-vous que Wikipédia possède un système de contrôle de versions intégré ? Et que vous pouvez voir toutes les anciennes versions d’une page ? Savez-vous que vous pouvez voir la liste de toutes les modifications effectuées par un contributeur ? Savez-vous que vous pouvez créer un lien vers une version donnée d’une page ? Savez-vous que vous pouvez exporter une page en PDF ? Savez-vous que vous pouvez créer un vrai livre personnalisé à partir du contenu de Wikipédia ? Et que vous pouvez le faire livrer chez vous ?

Le modèle d’implémentation

La plupart des lecteurs de Wikipédia y arrivent via des moteurs de recherche. Les statistiques montrent qu’ils passent peu de temps sur Wikipédia une fois qu’ils ont trouvé l’information qu’ils cherchaient. Un petit nombre seulement s’attarde et explore les outils que propose l’interface. Par exemple, on critique régulièrement Wikipédia sur sa qualité et sur sa fiabilité. Nombre de ces outils rarement explorés et presque cachés pourraient s’avérer bien utiles aux lecteurs pour les aider à vérifier la fiabilité de l’information, telles que les « pages de discussion » qui témoignent des discussions (passées et en cours) entre les différents contributeurs de chaque article ayant abouti à son contenu actuel.

Wikipédia et ses projets frères (tels que Wikisource et Wikimedia Commons) sont propulsés par le moteur de wiki MediaWiki — et sont soutenus par la Wikimedia Foundation ; rien que ces noms, dans leur confusion, sont un péché contre l’ergonomie. Pendant longtemps, le développement de MediaWiki a été conduit par des développeurs de logiciels. La communauté MediaWiki est forte de nombreux développeurs ; à vrai dire, la communauté est presque exclusivement composée de développeurs. Ce n’est que récemment que des designers ont rejoint la communauté, et ils ont été recrutés par la Wikimedia Foundation pour ce rôle. Il n’y a quasiment aucun designer bénévole dans la communauté. De ce fait, l’application a été construite et « maquettée » exclusivement par des développeurs. Par conséquent, la forme de l’interface a naturellement suivi de très près le « modèle d’implémentation », c’est-à-dire la manière dont le logiciel est implémenté dans le code et les structures de données. Le modèle d’implémentation ne correspond que rarement au « modèle utilisateur », c’est-à-dire à la manière dont l’utilisateur imagine que le logiciel fonctionne.

Il serait injuste de dire que les développeurs ne se soucient pas des utilisateurs. Quand on crée un logiciel, le but — outre le plaisir d’apprendre des choses, d’écrire du code et de résoudre des problèmes — c’est de le publier afin qu’il puisse être utilisé. Ceci est particulièrement vrai dans le monde du logiciel libre et open source, où la plupart des développeurs donnent bénévolement de leur temps et de leurs connaissances. On pourrait avancer que les développeurs sont, de fait, des utilisateurs de leurs propres produits, notamment dans le monde du logiciel libre et open source. Après tout, ils les ont créés ou ont rejoint leurs équipes pour une bonne raison, et c’est rarement l’argent. Par conséquent, les développeurs de ce type de logiciels devraient être dans une position idéale pour savoir ce que veulent leurs utilisateurs.

Mais soyons honnêtes : si vous êtes en train de lire ceci, c’est que vous n’êtes pas votre utilisateur lambda.

Le point de vue du développeur

Si vous êtes développeur, il vous est particulièrement difficile de vous mettre à la place de l’utilisateur. Tout d’abord, votre connaissance du code et de l’implémentation du logiciel vous force à observer ses fonctionnalités et son interface à travers un prisme très particulier. Vous connaissez chacune des fonctionnalités de l’application que vous avez créée. Vous savez où trouver chaque menu. Si quelque chose paraît légèrement bizarre dans l’interface, il est possible que vous l’ignoriez sans le vouloir, parce que vous savez inconsciemment que c’est lié à la façon dont la fonctionnalité est implémentée.

Imaginons que vous soyez en train de créer une application qui enregistre des données sous forme de tableau (par exemple, dans une base de données). Quand vous devrez ensuite afficher ces données pour les montrer à l’utilisateur, il est très probable que vous les représentiez comme un tableau, car c’est la façon dont vous avez implémenté leur stockage. Il vous paraîtra logique d’afficher les données dans un format qui est cohérent avec le format de stockage. Vous aurez probablement le même réflexe pour tout autre type de structure de données séquentielles : vous aurez tendance à l’afficher sous forme de séquence dans l’interface, peut-être comme une liste. Et pourtant, un autre format d’affichage aurait peut-être été plus pertinent et facile d’utilisation pour les utilisateurs, par exemple sous forme d’une série de phrases, d’un graphique ou d’une autre représentation visuelle.

Un autre défi est votre niveau d’expertise. Comme vous souhaitez que votre application soit extraordinaire, vous allez probablement vous documenter sur le sujet pour la concevoir. En fin de compte, vous n’allez pas seulement connaître votre application sur le bout des doigts, vous allez également devenir un expert dans le domaine lui-même. Un grand nombre de vos utilisateurs n’auront pas ce niveau d’expertise — ou n’en auront pas besoin. Ils pourraient être perdus par le niveau de détail de certaines fonctionnalités ou ne pas être familiers avec des termes inconnus des profanes.

Alors, que pouvez-vous faire pour arranger cela ?

Observez les utilisateurs. Vraiment

Observer les utilisateurs à l’œuvre avec votre application est une expérience réellement révélatrice.

Bon, pour observer comment les gens utilisent votre application, vous pouvez faire appel à une société de conseil en ergonomie ; cette société va alors recruter des volontaires avec des profils différents au sein d’un vivier de plusieurs milliers de testeurs, elle va mettre au point une grille d’entretien, louer une salle dédiée aux tests d’ergonomie qui comprendra un dispositif pour enregistrer ce qui se passe sur l’écran et une caméra pointée vers le testeur, et vous serez derrière une vitre sans tain, dans une salle d’observation, à vous taper la tête contre les murs et à jurer à chaque fois que l’utilisateur fait quelque chose qui, selon vous, n’a aucun sens. Si vous avez les moyens de le faire, alors n’hésitez pas, foncez. Ce que vous y apprendrez vous permettra de complètement changer votre point de vue. Si vous n’avez pas les moyens de recourir à une procédure de test professionnelle, tout n’est pas perdu ; vous allez juste devoir le faire par vous-même. Asseyez-vous derrière un utilisateur pendant qu’il vous montre comment il effectue ses tâches et les intègre à son mode de travail. Soyez un observateur silencieux : votre but est d’observer et de noter tout ce qui se passe. Beaucoup de choses vont vous surprendre. Une fois que l’utilisateur a terminé, vous pouvez relire vos notes et lui poser des questions afin de mieux comprendre comment il fonctionne.

Pour vous aider à conduire ces tests vous-même, il existe d’excellents ouvrages comme Don’t Make Me Think: A Common Sense Approach to Web Usability [NdT: Traduit en français : Je ne veux pas chercher: Optimisez la navigation de vos sites et menez vos internautes à bon port], écrit par Steve Krug, About Face 3: The Essentials of Interaction Design, d’Alan Cooper, Robert Reimann et David Cronin, et le projet OpenUsability. Être observé peut être un peu intimidant pour les utilisateurs, mais je parie qu’ils seront nombreux à se porter volontaires pour vous aider à améliorer votre application. Les utilisateurs qui ne peuvent pas contribuer au code sont généralement heureux de trouver d’autres façons de contribuer au logiciel libre : vous montrer comment ils utilisent le logiciel est une manière simple de le faire. Les utilisateurs sont reconnaissants du temps que vous avez donné pour développer le logiciel et veulent vous rendre la pareille.

Vous devrez garder un esprit critique et ne pas forcément accepter toutes les modifications demandées par vos utilisateurs. Écoutez attentivement leurs histoires : elles vous donneront l’occasion d’identifier des problèmes. Mais ce n’est pas parce qu’un utilisateur réclame une fonctionnalité qu’il en a absolument besoin ; peut-être que le meilleur moyen de résoudre le problème sous-jacent est de mettre en place une fonctionnalité complètement différente. Gardez du recul par rapport aux commentaires de vos utilisateurs. Mais cela, vous le saviez probablement déjà.

Et au passage, ne faites pas non plus appel à votre famille.

Je ne dis pas ça méchamment, je suis sûr que vos parents, frères et sœurs sont des gens très bien. Mais si vous créez une application comptable et que votre sœur n’a jamais tenu la moindre comptabilité, elle sera sans doute perdue. Vous perdrez plus de temps à lui expliquer ce qu’est la comptabilité en partie double qu’à tester votre logiciel. Par contre, votre mère, qui s’est acheté un appareil photo numérique l’année dernière, pourrait être un cobaye idéal si vous travaillez sur une application de gestion de photos numériques ou d’envoi sur un site de partage en ligne populaire. Pour votre application de comptabilité, il vaut mieux demander à l’un de vos collègues ou amis qui a déjà quelques notions de comptabilité.

Variez vos cobayes

Pour des raisons qui resteront éternellement mystérieuses, les gens trouveront toujours d’innombrables façons d’utiliser et de maltraiter votre application. Ils trouveront des manières de la casser que vous n’auriez même pas imaginées dans vos pires cauchemars. Certains mettront en place des processus et des méthodes de travail avec votre application qui n’ont absolument aucun sens à vos yeux. Et, de désespoir, vous vous cognerez la tête contre les murs. D’autres utiliseront votre application avec tellement d’intelligence que vous vous en sentirez idiot. Essayez de rencontrer des gens qui utilisent votre application avec des objectifs différents.

Les utilisateurs sont de drôles d’oiseaux. Mais ils sont de votre côté. Apprenez d’eux.

Si vous ne retenez rien d’autre…

… alors retenez ceci :

  • Vous serez tenté de modeler l’apparence et le comportement de votre interface sur la façon dont le logiciel fonctionne en coulisses. Vos utilisateurs peuvent vous aider à éviter ce piège.
  • Les utilisateurs sont des oiseaux capricieux. Ils vont casser, maltraiter et optimiser votre application à un point que vous ne pouvez pas même pas imaginer.
  • Apprenez de vos utilisateurs. Améliorez votre application en fonction de ce que vous avez appris. Vous avez tout à y gagner.



Grandir avec son projet (Libres conseils 20/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : peupleLà, SaSha_01, lerouge, Kalupa, lenod, michel, KoS, michel, goofy, HanX, Asta, lamessenJulius22

Mon projet m’a appris à grandir

Runa Bhattacharjee

Depuis 10 ans, Runa Bhattacharjee a traduit et travaillé à la localisation(1) de nombreux projets open source — des interfaces de bureau aux outils de systèmes d’exploitation en passant par beaucoup de choses entre les deux. Elle croit fermement que les dépôts de codes en amont sont les meilleurs endroits pour soumettre toutes les modifications possibles. Elle gère également un portefeuille professionnel spécialisé dans la localisation chez RedHat. Runa traduit et maintient des traductions en Bengali (version indienne) mais est toujours heureuse d’aider quiconque débute dans la localisation.

Introduction

Carburer tard dans la nuit est l’une des formes de rébellion préférée des jeunes partout dans le monde. Que ce soit pour lire un livre avec une lampe de poche sous les couvertures, regarder les rediffusions TV ou (entre autres choses) traîner sur un canal IRC et s’acharner sur un problème agaçant dans son projet open source favori.

Comment tout a commencé

Voici comment tout a commencé pour moi. Permettez-moi d’abord d’écrire quelques lignes sur ma personne. Lorsque j’ai été présentée au groupe d’utilisateurs de Linux de ma ville, je partageais ma vie entre des emplois et mes études de master. Très vite, j’étais devenue contributrice sur quelques projets de localisation et j’avais commencé à traduire des interfaces de bureau (principalement). Nous utilisions des éditeurs de texte personnalisés avec des systèmes intégrés pour l’écriture et les polices. Les moteurs de rendu n’étaient pas assez matures pour afficher le scénario sans erreur sur les interfaces. Mais, malgré tout, nous continuions à traduire. Je me concentrais sur la méthode de travail que j’avais créée pour mon usage. Je récupérais le contenu à traduire des personnes qui savaient comment les choses fonctionnaient, je le traduisais du mieux que je pouvais, j’ajoutais des commentaires pour aider les réviseurs à comprendre comment j’avais appréhendé le texte, je renseignais les informations requises pour les copyrights et les crédits, puis je renvoyais tout ça aux coordinateurs.

Comment je faisais

C’était avant tout une manière simple de faire les choses. Mais, surtout, c’était ma manière à moi de les faire. Je prenais le temps de planifier mon travail sur les traductions. Celles-ci étaient ensuite révisées avant de m’être retournées pour modification. De nouveau, je planifiais quand je pourrais les reprendre en fonction de mon temps libre disponible entre les études et le travail. Lorsque je me mettais finalement au boulot, je m’asseyais pour neuf à dix heures d’un coup, en général jusqu’à l’heure où blanchit la campagne, ressentant alors un grand sentiment d’accomplissement, jusqu’à la fois suivante.

Ce qui comptait

Ce que je ne savais pas, c’est que je jouais un rôle crucial sur un plan plus global. À savoir, la planification des releases(2). Donc, quand j’achevais mes modestes contributions et les envoyais aux autres, je ne prenais pas en compte leur possible inutilité du fait qu’elles arrivaient trop tard pour la version en cours et trop tôt pour la suivante (qui inclurait forcément de nombreux changements qui obligeraient à se remettre au travail). Au-delà de ça, je n’avais aucune idée de l’importance que ça prenait dans le processus de release : intégration, création de paquetages, tests de l’interface, suivi et résolution des bogues.

Comment cela m’a fait grandir

Tout cela a changé radicalement quand je me suis tournée vers un rôle plus professionnel. Subitement, je faisais la même chose mais d’une manière plus structurée. J’ai appris que faire cavalier seul comme j’en avais pris l’habitude n’était pas adapté quand on devait jongler avec deux ou trois versions planifiées. Il fallait être méticuleusement synchronisé avec les feuilles de route des projets. En travaillant sur une traduction d’interface de bureau, je devais aussi vérifier que le calendrier de traduction concordait avec celui du projet principal.

Les travaux devaient idéalement commencer immédiatement après le gel de tous les messages d’origine de l’interface. Les traducteurs pouvaient alors travailler librement jusqu’à l’échéance de la période de traduction, après quoi ils pouvaient marquer la traduction comme stable dans le dépôt principal et, finalement, les paquetages pouvaient être générés. De plus, quelques distributions de systèmes d’exploitation se synchronisaient sur ce calendrier. Les traducteurs avaient donc la responsabilité supplémentaire de s’assurer que les pré-versions des systèmes d’exploitation embarquant ce bureau seraient un minimum testées afin de s’assurer que les traductions de l’interface avaient du sens et ne contenaient pas d’erreur.

Ce que j’aurais dû savoir

La transition ne fut pas aisée. Je fus soudain inondée par un flot d’informations que je devais gérer et par des tâches supplémentaires que je devais réaliser. Ce qui était au départ un passe-temps et plus important encore un anti-stress est devenu tout à coup une affaire sérieuse. En y repensant, je peux dire que cela m’a probablement aidée à comprendre le processus dans son intégralité étant donné que j’ai dû tout apprendre depuis le début. Ainsi armée de cette connaissance, je peux analyser des situations avec une meilleure compréhension de toutes leurs dimensions. Au moment où j’ai commencé à travailler sur les projets open source qui m’intéressaient, il y avait beaucoup moins de professionnels qui travaillaient à plein temps dans ce domaine. La plupart des contributeurs bénévoles travaillaient ailleurs la journée et voyaient ces projets comme un moyen d’alimenter les idées créatives qui s’étiolaient dans leurs tâches quotidiennes. Donc, beaucoup de nouveaux arrivants n’étaient jamais guidés vers une manière plus professionnelle d’organiser leurs projets. Ils ont grandi pour devenir merveilleusement doués dans ce qu’ils faisaient et ont finalement compris comment ils aimeraient équilibrer leur travail avec le reste de leurs activités.

Conclusion

Aujourd’hui, j’encadre les nouveaux arrivants et l’une des premières choses que je leur fais comprendre est comment et dans quelle partie du projet leur travail aura un impact. Élaborer un modèle de travail personnel est essentiel car cela permet de se construire un environnement où il est agréable de travailler. Cependant, avoir conscience de la structure qui est affectée par le travail inculque la discipline nécessaire pour pouvoir tenir bon face aux caprices.

(1) La localisation englobe tout le processus d’adaptation d’un produit logiciel ou documentaire à une région donnée. Cela comprend la traduction dans la langue de la région mais aussi l’adaptation aux normes, à la culture et aux besoins spécifiques de cette région du monde.

(2) Il s’agit de la publication d’un logiciel, sa mise à la disposition du public.




Apprendre à déléguer (Libres conseils 19/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Nyx, lamessen, Sphinx, peupleLà, lerouge, Sky, Julius22, Astalaseven, Alpha, HgO, michel, Sputnik, goofy, HanX, KoS

Ne vous inquiétez pas, faites confiance

Shaun McCance

Shaun McCance est impliqué dans la documentation de GNOME depuis 2003 en tant que rédacteur, chef de la communauté et développeur d’outils. Il a passé la plupart de ce temps à se demander comment inciter davantage de personnes à écrire une documentation de meilleure qualité, avec un certain succès à long terme. Il propose son expérience de la documentation communautaire à travers sa société de conseil, Syllogist.

Alors que je m’apprêtais à écrire cet article, il s’est passé quelque chose d’énorme : GNOME 3 est sorti. C’était la première version majeure de GNOME depuis neuf ans. Tout était différent et toute la documentation existante devait être réécrite. Au même moment, nous changions notre façon de l’écrire. Nous avions jeté nos vieux manuels et étions repartis sur une nouvelle base, avec un système d’aide dynamique par sujet, en utilisant Mallard.

Quelques semaines avant la sortie, une partie d’entre nous s’est réunie pour élaborer la documentation. Nous passions nos journées à travailler, à planifier, à écrire et à réviser. Nous avons écrit des centaines de pages malgré les changements incessants liés aux ultimes modifications du logiciel. Nous avions des contributeurs en ligne qui proposaient de nouvelles pages et corrigeaient ce qui existait déjà. Je n’avais jamais vu notre équipe de documentation aussi productive.

À quoi avons-nous finalement abouti ? Beaucoup de facteurs sont entrés en jeu, et je pourrais écrire un livre entier sur les nuances de la documentation open source. Mais ce que j’ai fait de plus important a été de m’effacer et de laisser les autres faire le travail. J’ai appris à déléguer ; et à déléguer dans les règles de l’art.

Revenons huit ans en arrière. J’ai commencé à m’impliquer dans la documentation de GNOME en 2003. Je n’avais pas vraiment d’expérience en tant que rédacteur technique à cette époque. Mon emploi m’amenait à travailler sur des outils de publication et j’ai commencé à travailler sur les outils et sur le visualiseur d’aide utilisés par la documentation de GNOME. Peu de temps après, je me suis retrouvé à la rédaction de la documentation.

En ce temps-là, la majeure partie de notre documentation était entre les mains de rédacteurs techniques professionnels de chez Sun. Ils s’occupaient d’un manuel, l’écrivaient, le relisaient et l’envoyaient sur notre dépôt CVS. Après quoi nous pouvions tous le regarder, y apprendre quelque chose et lui apporter des corrections. Mais il n’existait pas d’efforts concertés pour impliquer les gens dans le processus d’écriture.

Ce n’est pas que les rédacteurs de Sun essayaient de protéger ou de cacher quoi que ce soit. Ils étaient avant tout rédacteurs techniques. Ils connaissaient leur travail et le faisaient bien. D’autres personnes auraient pu les remplacer pour d’autres manuels mais ils auraient écrit leurs travaux d’une manière habituelle. Utiliser un groupe de collaborateurs novices, aussi enthousiastes soient-ils, pour chaque page, revient à perdre un temps inimaginable sur des détails. C’est tout simplement contre-productif.

De manière inévitable, le vent a tourné chez Sun et leurs rédacteurs techniques ont été affectés à d’autres projets. Cela nous a laissés sans nos rédacteurs les plus prolifiques, ceux qui disposaient des meilleures connaissances. Pire que cela, nous étions laissés sans communauté et personne n’était là pour ramasser les morceaux.

Il y a des idées et des processus standards dans le monde de l’entreprise. J’ai travaillé dans le monde de l’entreprise. Je ne crois pas que quiconque remette ces idées en cause. Les gens font leur travail. Ils choisissent des missions et les terminent. Ils demandent aux autres de faire une relecture, mais ils n’ouvrent pas leur travail aux nouveaux venus et aux rédacteurs moins expérimentés. Les meilleurs rédacteurs écriront sans doute le plus.

Ces idées sont d’une plate évidence, mais elles échouent lamentablement dans un projet communautaire. Vous ne développerez jamais une communauté de contributeurs si vous faites tout vous-même. Dans un projet de logiciel, vous pouvez avoir des contributeurs compétents et suffisamment impliqués pour contribuer régulièrement. Dans la documentation, cela n’arrive presque jamais.

La plupart des gens qui s’essayent à la documentation ne le font pas parce qu’ils veulent être rédacteur technique ni même parce qu’ils aiment écrire. Ils le font parce qu’ils veulent contribuer. Et la documentation est la seule manière qu’ils trouvent accessible. Ils ne savent pas coder. Ils ne sont artistiquement pas doués. Ils ne maîtrisent pas assez une autre langue pour faire de la traduction. Mais ils savent écrire.

C’est là que les rédacteurs professionnels lèvent les yeux au ciel. Le fait que vous soyez instruit ne signifie pas que vous puissiez écrire une bonne documentation pour l’utilisateur. Il ne s’agit pas simplement de poser des mots sur le papier. Vous devez comprendre vos utilisateurs, ce qu’ils savent, ce qu’ils veulent, les endroits où ils cherchent. Vous avez besoin de savoir comment présenter l’information de façon compréhensible et savoir où la mettre pour qu’ils puissent la trouver.

Les rédacteurs techniques vous diront que la rédaction technique n’est pas à la portée de tous. Ils ont raison. Et c’est exactement pourquoi la chose la plus importante que les rédacteurs professionnels puissent faire pour la communauté est de ne pas écrire.

La clé pour construire une communauté efficace autour de la documentation, c’est de laisser les autres prendre les décisions, faire le travail et en récolter eux-mêmes les fruits. Il ne suffit pas de leur donner du travail en continu. La seule solution pour qu’ils s’intéressent suffisamment et s’accrochent au projet, c’est qu’ils se sentent investis personnellement. Le sentiment de faire partie intégrante d’un projet est une source puissante de motivation.

Mais si vous ne travaillez qu’avec des rédacteurs débutants et que vous leur donnez tout le travail à faire, comment pouvez-vous avoir l’assurance que la documentation ainsi créée sera de qualité ? Une participation massive mais incontrôlée n’aboutit pas à de bons résultats. Le rôle d’un rédacteur expérimenté au sein de la communauté est d’être un professeur et un mentor. Vous devez leur apprendre comment rédiger.

Commencez par impliquer les gens tôt dans le planning. Planifiez toujours du bas vers le haut. La planification du haut vers le bas n’incite pas à la collaboration. Il est difficile d’impliquer les gens dans la réalisation d’une vue d’ensemble de haut niveau si tous n’ont pas la même perception de cette vue d’ensemble. Mais les gens sont capables de travailler sur des segments. Ils peuvent réfléchir à des sujets particuliers d’écriture, à des tâches que les gens réalisent, à des questions que les gens peuvent se poser. Ils peuvent regarder les forums de discussion et les listes de diffusion afin de voir ce que les utilisateurs demandent.

Écrivez vous-même quelques pages. Cela donne un exemple à imiter. Il faut ensuite répartir tout le reste du travail. Laissez à d’autres la responsabilité de rubriques ou de chapitres entiers. Précisez-leur clairement quelles informations ils doivent fournir, mais laissez-les écrire. C’est en forgeant qu’on devient forgeron.

Soyez constamment disponible pour les aider ou répondre aux questions. Au moins la moitié de mon temps consacré à la documentation est passée à répondre à des questions afin que les autres puissent effectuer leur travail. Quand des brouillons sont soumis, relisez-les et discutez des critiques et des corrections avec leurs auteurs. Ne vous contentez pas de corriger vous-même.

Cela vous laisse tout de même le gros du travail à faire. Les gens complètent les pièces du puzzle, mais c’est toujours vous qui les assemblez. Au fur et à mesure qu’ils acquièrent de l’expérience, les gens s’occuperont de pièces de plus en plus grandes. Encouragez-les à s’impliquer davantage. Donnez-leur davantage de travail. Faites en sorte qu’ils vous aident à aider plus de rédacteurs. La communauté fonctionnera toute seule.

Huit ans plus tard, GNOME a réussi à créer une équipe de documentation qui se gère elle-même, résout les problèmes, prend des décisions, produit une bonne documentation et accueille constamment de nouveaux contributeurs. N’importe qui peut la rejoindre et y jouer un rôle. Telle est la clé du succès pour une communauté open source.