Conférence : Entreprises du libre… et communauté.

En novembre 2014, plusieurs membres de Framasoft sont venus en force au Capitole du Libre de Toulouse pour y répandre bonne humeur, chatons, et la défense d’un Libre accessible à tou-te-s (oui : même aux Dupuis Morizeau !)

La fine équipe de Toulibre, le GUL toulousaing organisant avec brio le #CDL2014, a eu la bonne idée de capter ces conférences pour en faire profiter les internautes. Voici donc le deuxième d’une série de trois articles « Capitole du Libre ! »

Entreprises et communautés du Libre :

Quelles relations construire ?

Par Benjamin Jean.

Face à la question de la diffusion ou contribution à un logiciel libre, les licences cristallisent généralement toutes les attentions des entreprises, laissant croire que leur seul respect assure le succès de la démarche. Néanmoins bien d’autres engagements, pas uniquement juridiques, conditionnent le bénéfice de la confiance que doit apporter un acteur jusqu’alors inconnu : la communauté.

Que ce soit dans le cas de la diffusion d’un logiciel ou pour rejoindre un projet existant, les licences Libre et Open Source cristallisent généralement toutes les attentions des entreprises, laissant croire que leur seul respect assure le succès de la démarche. Nous verrons que cela n’est pas si évident et que bien d’autres engagements, pas uniquement juridiques, conditionnent le bénéfice de la confiance que doit apporter un acteur jusqu’alors inconnu : la communauté.

En effet et pour être réel, le bénéfice du logiciel Libre et de l’Open Source passe nécessairement par la constitution ou la rencontre avec une communauté. C’est cette communauté, protéiforme, qui concrétisera les promesses du Libre : communication, base d’utilisateurs, remontés de bugs à grande échelle, standardisation de la technologie, mutualisation de la maintenance — voire du développement de certaines contributions —, etc. Indomptable, elle se dilue beaucoup plus rapidement qu’elle ne se construit et demande un effort constant de la part des organisations qui souhaitent avoir son support. Sans cette communauté, il ne restera que les inconvénients et risques sans les avantages et opportunités.

Premier accord d’un dialogue qu’il faudra construire et maintenir, les licences libres et Open Source donnent le ton et sont à cet égard incontournables pour qui choisirait soit de diffuser son projet soit de contribuer à un projet préexistant. Néanmoins, elles ne suffisent pas à elles seules à assurer la confiance et le cadre nécessaires. Qu’ils soient professionnels ou acteurs individuels, les membres de cette communauté (qui ne sont pas uniquement des développeurs) seront fidèles et fiables à la seule condition que l’équilibre défini leur assure au moins autant de garanties que ne pourrait en avoir celui qui désire gagner cette confiance. Il ne peut y avoir que des gagnants, un objectif différent entraînera nécessairement le retrait de l’une ou l’autre des parties.

Avec un regard conscient sur les aspects juridiques sans pour autant se limiter à ces derniers, cette intervention délimitera la substance et le rôle des communautés, avant de dresser un panorama des multiples relations existantes. Elle permettra de dégager in fine quelques bonnes pratiques et conseils afin que les entreprises disposent de toutes les cartes pour tirer pleinement profit des avantages du Libre. Au-delà des entreprises, tout acteur (individuel, acheteur, acteurs public, autre communauté) pourra être intéressé et questionné par ces réflexions.




Dégooglisons Internet : LA conférence !

En novembre 2014, plusieurs membres de Framasoft sont venus en force au Capitole du Libre de Toulouse pour y répandre bonne humeur, chatons et défense d’un Libre accessible à tou-te-s (oui : même aux Dupuis Morizeau !)

La fine équipe de Toulibre, le GUL toulousaing organisant avec brio le #CDL2014, a eu la bonne idée de capter ces conférences pour en faire profiter les internautes. Voici donc le premier d’une série de trois articles « Capitole du Libre ! »

Dégooglisons Internet : des alternatives libres sont possibles.

Et si Google était le Skynet de 2024 ?

par Pyg.

Après « Et si on quittait Google ? », l’association Framasoft s’est lancé un nouveau défi : « Et si on dégooglisait internet ? ». Évidemment, il s’agit d’un projet ambitieux (qui a dit prétentieux ?;-)). Cependant, nous pensons réellement que le logiciel libre est la meilleure alternative au monde proposé (imposé ?) par Google.

Framasoft propose déjà plusieurs services alternatifs, Framapad (Google Docs like), Framacalc (Google Spreadsheet like), Framadate (Doodle like), etc. Ces services sont utilisables par tous, librement et gratuitement (Liberté 0), sans publicité, sans exploitation ou revente des données. Mieux, ils peuvent être auto-hébergés, afin de lutter contre la centralisation des données.

Mais ne pourrait-on pas aller plus loin ? Par exemple en proposant, pour chaque service privateur, une alternative libre ? Des services comme Google Groups, Google Forms, Google Search, Youtube, etc. mais libres et respectueux de vos données et de votre vie privée. Et pourquoi pas des alternatives à d’autres géants comme Skype, Dropbox ou même Facebook ? L’idée n’est évidemment pas de concurrencer ces services, mais de montrer que des alternatives existent, et peuvent être mise en place à moindre coût.

Nous ferons donc un bilan de ce qui a été accompli ces deux dernières années, et nous dévoilerons en détail notre Plan de Libération du Monde (rien que ça ! 😉 ).
cyperpolicus

Bonus : Accessibilité, le cas Framadate

Par Armony Altinier et JosephK.

Framadate est un projet de sondage libre porté par Framasoft, mais pas du tout accessible… Enfin, jusqu’à il y a peu.

Tour d’horizon technique des problèmes et solutions apportées.

 




Et si nous concevions une informatique pour le grand public  ?

Conference_Benjamin_Sonntag_17_mai_2014_2_CC-BY-SA_Lionel_Allorge.jpgEn mai dernier, sur l’événement « Vosges Opération Libre », j’ai eu la chance d’assister à une conférence de Benjamin Sonntag qui ne m’était pas adressée. Ce défenseur de la culture libre, du chiffrement et de la neutralité du net avait choisi de parler aux barbu-e-s, à ces personnes qui font l’informatique, qui développent nos systèmes d’exploitation, logiciels et services. Son message était simple. Si l’on veut revenir à un « ordinateur ami », celui qui ne se retourne pas contre nous pour aspirer nos données, il faut qu’un maximum de monde utilise des services décentralisés, du chiffrement et du logiciel libre.

Et pour cela, inspirons-nous des succès du logiciel libre. Firefox, VLC, Wikipédia… sont constamment utilisés par les Dupuis-Morizeau, sans que cette sympathique famille-témoin de Normandie n’aille regarder sous le capot. Coder ne suffit pas. Il faut s’efforcer d’impliquer à la source du développement des ergonomistes, des designeurs et des graphistes. Des gens qui rendront l’utilisation du libre décentralisé et chiffré tellement simple qu’elle en deviendra évidente et se répandra comme une trainée de poudre. Des gens qui sauront se mettre à la place de l’utilisateur lambda, d’une Jessica.

L’histoire de Jessica ne nous enseigne pas d’abandonner toute éducation à l’informatique, au Libre et aux sujets qui nous mobilisent. L’histoire de Jessica nous rappelle qu’il y a des personnes qui conduisent sans connaître le fonctionnement d’un moteur à explosion. Et que c’est à nous de ne pas les laisser au bord de la route.

L’histoire de Jessica

Par SwiftOnSecurity (CC-BY 4.0)
Article original paru sur le tumblr de SwiftOnSecurity
Traduction Framalang : audionuma, Penguin, Diab, nilux, Omegax, nilux, lumi, teromene, r0u et les anonymes…

Je veux que vous vous imaginiez quelqu’un pour moi. Son nom est Jessica et elle a 17 ans. Elle vit dans un petit 3 pièces avec sa mère, et elle a un vieil ordinateur portable récupéré d’un ex de sa mère. Elle s’en sert pour se connecter au portail communautaire de son lycée. Elle s’intéresse aux garçons, à l’amour et au versement de la prochaine mensualité du loyer qui permettra à sa mère et elle de garder leur logement.

Elle n’a pas d’argent pour un nouvel ordinateur portable. Elle n’a pas non plus d’argent pour le mettre à niveau. Elle ne sait même pas comment on fait ça. Elle a d’autres centres d’intérêt, comme la biologie. Ce qui l’inquiète, c’est de savoir comment elle va payer ses études à la fac, et si ses résultats seront assez bons pour, d’une manière ou d’une autre, obtenir une bourse.

innocent_girl_on_laption_CC-BY-SA_picture_youth.jpg

La seule personne de son entourage qui s’y connaisse en ordinateurs, c’est Josh, du cours d’anglais. Elle sait qu’il lui faut un antivirus, alors c’est à lui qu’elle demande. Il lui en propose un à 50$ par an, mais remarquant son soudain malaise, il mentionne gentiment un antivirus gratuit. Lorsqu’elle rentre à la maison, elle le télécharge et l’installe. Ça lui a demandé des efforts, ça semblait compliqué, ça a pris un peu de temps, mais il y avait maintenant une nouvelle icône rassurante en bas à droite de son écran qui indiquait « Protégé » lorsqu’elle passait sa souris dessus.

Jessica entend constamment aux infos des histoires d’entreprises piratées, de photos volées. Elle a entendu sur CNN qu’il fallait avoir un mot de passe complexe contenant quelque chose de spécial, comme un symbole dollar, alors elle obtempère. Au moins pour son compte Facebook — tout ça ne l’intéresse pas assez pour chercher comment changer les mots de passe de ses autres comptes. Ça semble tellement fastidieux, et elle est déjà assez occupée à retenir les équations abstraites de son cours de maths. Elle n’a pas envie de mémoriser une autre chaîne de caractères abstraite pour ses mots de passe. Et puis, c’est une adolescente ; son cerveau n’est doué ni pour l’organisation, ni pour prévoir et pallier les risques.

Elle a entendu parler d’un truc appelé gestionnaire de mots de passe, mais elle sait qu’il ne faut pas télécharger sur Internet. Elle ne sait pas à qui faire confiance. Une fois, elle a cliqué sur le bouton « Télécharger maintenant » pour un programme dont elle avait entendu parler aux infos, et ça l’a emmenée sur un site différent. Elle n’a pas de communauté à qui demander conseil. Et à côté de ça, elle essaie de trouver quoi porter pour son rendez-vous avec Alex samedi. Jessica se demande s’il l’aimera bien quand il la connaîtra mieux, après avoir passé du temps ensemble et parlé en tête à tête pour la première fois. Elle s’inquiète aussi de savoir s’il va briser son cœur, comme les autres.

Parfois, elle a des fenêtres qui lui demandent de mettre à jour un logiciel. Mais une fois, elle a mis à jour un truc appelé Java, et après avoir cliqué sur le E bleu qui la conduit sur Facebook, une nouvelle ligne d’icônes est apparue. Elle n’est pas sûre que ce soit lié, mais elle est du genre suspicieuse. L’ordinateur fonctionne toujours, et elle ne veut pas le casser en essayant de tirer ça au clair. Elle ne peut pas s’offrir une hotline comme Geek Squad pour 200$. C’est embêtant, mais ça fonctionne toujours. La prochaine fois que quelque chose lui demandera une mise à jour, elle dira non. Elle n’a pas besoin de nouvelles fonctionnalités, surtout si elles rendent sa fenêtre Facebook encore plus petite. Et si c’était important, elles s’installeraient toutes seules, non ? Pourquoi devraient-elles demander ? Il est 19H42, elle doit aller à son rendez-vous.

Un jour, Jessica reçoit un e-mail qui se dit être une lettre d’expulsion. Il dit aussi provenir de communication-locataires@hud.gov. Elle sait ce qu’est HUD, pour l’avoir vu sur les formulaires que sa mère remplit pour bénéficier d’une aide au paiement de l’appartement. Mais elle a entendu aux informations qu’il ne fallait pas ouvrir de fichiers inconnus. Elle s’improvise alors détective. Elle va sur le site hud.gov, et c’est bien ce à quoi elle s’attendait : le Département Américain de l’Habitation et du Développement Urbain. Elle navigue sur le site, qui ne semble pas avoir été écrit par un Russe. Elle ouvre donc le fichier. Adobe Reader s’ouvre, mais le mail dit clairement que si le document est vide, il n’y a pas à s’inquiéter. Elle essaie d’aller à la page suivante, mais il n’y en a pas. Tant pis. Elle n’en parlera pas pas à sa mère, car elle ne veut pas l’inquiéter.

Ce que Jessica ne sait pas, c’est que la lumière blanche qui a commencé à s’allumer sur son ordinateur est celle de la caméra intégrée. Elle ne sait même pas que son ordinateur a une caméra. Mais cette caméra a commencé à l’enregistrer. Et le logiciel qui enregistre sa caméra a aussi commencé à enregistrer tout ce qui s’affiche sur son écran. Y compris quand elle a envoyé à Alex les photos qu’elle a prise pour lui, lorsqu’elle est tombée amoureuse de lui. De toute façon, quand elle entre ses mots de passe, ils s’affichent sous la forme de ronds noirs. Même si quelqu’un était derrière elle et regardait son écran, il ne pourrait pas connaître son mot de passe. Elle ne sait pas que le logiciel enregistre aussi ce qu’elle tape sur son clavier. Rien ne l’a alertée. Tout comme rien ne l’a alertée que la caméra était allumée. Et le microphone.

De temps en temps, elle passe sa souris sur l’icône de l’antivirus. Ça lui dit « protégé ». Ça ne peut qu’être vrai. Après tout c’est le logiciel que Josh lui a conseillé…

internet_surveillance_CC-BY_Mike_Licht.png

Quel est le tort de Jessica dans cette histoire ? Est-ce le fait de ne pas s’être renseignée sur les avantages de l‘Open Source et de ne pas utiliser Linux, qui est gratuit ? Est-ce le fait de ne pas avoir d’amis ou de personnes de sa famille suffisamment calées en informatique et à qui elle pourrait demander conseil ? Est-ce le fait de ne pas s’être liée d’amitié avec Josh ? Est-ce le fait d’avoir d’autres priorités dans la vie ? Est-ce le fait de ne pas savoir que les sociétés qui lui fournissent des mises à jour en profitent pour envahir son ordinateur de logiciels malveillants, et qu’elle doive systématiquement décocher une case pour ne pas les avoir ? Est-ce le fait de ne pas savoir que le protocole SMTP est une vieille technologie qui ne demande pas d’authentification ? Pourquoi n’a-t-elle pas mis de ruban adhésif devant sa webcam ? Pourquoi n’a-t-elle pas démonté son ordinateur pour en retirer le microphone ?

Peut-être que ce n’est pas de sa faute. Peut-être que la sécurité informatique pour les gens normaux n’est pas la série d’étapes faciles et de vérités absolues que nous leur assénons avec notre prétendue sagesse, et qu’ils préfèrent ignorer par mépris pour la sous-classe de nerds que nous sommes.

Peut-être que c’est le fonctionnement même de l’informatique grand public qui en est la cause. Et qui a construit ce monde de libertés, un monde qui a si bien servi à cette Jessica de 17 ans ? C’est vous. C’est nous.

Alors ? À qui la faute ?
***

Crédits photos :

Conférence Benjamin Sonntag : CC-BY-SA Lionel Allorge

Innocent Girl on Laptop : CC-BY-SA Picture Youth

Internet Surveillance : CC-BY Mike Licht.




Méninges Frites : 6 jours pour propulser un poète dans le domaine public

La culture n’a pas attendu le logiciel pour expérimenter le Libre. Si l’on traîne dans les petits milieu du théâtre, de la chanson… bref : du spectacle vivant (presque) sans subventions, on découvre tout un tas d’artistes aux idées fondamentalement proches du Libre. Tels Monsieur Jourdain, ils font du Libre sans le savoir. Néanmoins, Stallmann et ses 4 libertés fondamentales nous ont apporté un regard neuf, en le recentrant sur l’utilisateur (le public). Le logiciel libre a prouvé qu’il existe d’autres modèles économiques permettant de nourrir les créateurs… Aujourd’hui, des artistes relient les derniers points de la boucle en s’emparant des outils et licences nés du logiciel libre…

J’ai rencontré Léopold dans mon ancienne vie, quand j’étais comédien. Acteur, poète, dessinateur… il touche à tout avec brio et propose ses créations de manière punk, brute, pour que le public s’en empare. Aujourd’hui, il propose de crowdfunder l’écriture d’un recueil de poésie populaire. De financer à la source cette production, afin de pouvoir l’élever dans le Domaine Public Vivant. Et là, quand on me parle d’éducation populaire à la poésie et de CC-0, je ne peux qu’adhérer. Et soutenir la démarche, en la faisant connaître. Voici donc un petite interview de celui qui veut intituler son recueil « Méninges Frites ».

Méninges Frites

Interview de Léopold Sauve


Bonjour Léopold. Tu peux te présenter ainsi que ton parcours auprès des lecteurs et lectrices du Framablog ?

Avec plaisir. Je m’appelle Léopold Sauve, je n’ai aucune référence convenable à afficher. Je suis un poète passionné, formé par l’autodidaxie la plus acharnée.

Bac scientifique en poche dans un lycée aux horaires aménagé pour futurs sportifs, je quitte le système scolaire sur ordonnance médicale. S’en suit plusieurs autres tentatives dans la marine marchande, les lettres modernes, le génie bio, et puis surtout, le théâtre. C’est en conservatoire de théâtre (Paris) que je découvre réellement la littérature et la poésie et que je m’y abandonne. Pour vivre de l’écriture, à 20 ans (il y a plus de dix ans), je comprends qu’il faut d’abord apprendre à être pauvre ; alors je m’y applique et vit dans plusieurs squats alternatifs. C’est dans ce cadre, et par la nourriture artistique choisie, que je fais de mon plaisir une activité naturelle et permanente : la création poétique.

Les années passent, avec elles les voyages, les rencontres, les lectures et tout ce qu’on peut faire avec une vie.

Aujourd’hui je suis auto-entrepreneur dans l’enseignement artistique. J’enseigne le théâtre partout ou je peux, j’écris les pièces pour mes élèves toujours volontiers. J’enseigne même la poésie de façon plus spécifique sur des cours en école de théâtre professionnelle (ça, c’est un gage de confiance plus valeureux qu’une maîtrise en caca sur toile). J’aime mon activité et m’amuse même à démarcher des structures comme le stade toulousain, à faire des représentations subversives dans des structures militaires… Je m’amuse aussi de mon travail.

Le site qui diffuse tes œuvres se nomme Collectif Tout Seul… Qu’est-ce qui se cache derrière cette invitation un poil schizophrène ?

La question, sans le savoir, traite déjà du CC0 et du crowdfunding. J’ai créé ce site il y a bientôt 6 ans. À l’époque, c’était pour être lu. Je savais que ce que je faisais avait de la valeur, et je m’étais confronté au monde de l’édition comme beaucoup de jeunes auteurs. Les retours étaient tous semblables : Très belle écriture, belle pensée, beau style, philosophique et artistique mais… pas assez fiable pour l’économie du livre (l’édition). J’ai décidé de m’éditer tout seul sur un site internet. L’évidence est que je n’aurais jamais eu autant de lecteur par l’édition papier. Ce qui était clair depuis le début, c’est que la poésie ne fait pas vivre son poète (mais elle donne une grande valeur à ses actions !).

La schizophrénie se trouve surtout dans le contenu. Au début j’avais besoin d’un monstre pour porter les montagnes à ma place, détourner les fleuves et créer des orgasmes symphoniques : C’était, et c’est toujours, Gustare Suave. Depuis plein d’autres types louches sont venus habiter mon hôtel cortical, certains dessinent, d’autres essaient la musique. Il y en a même qui font des enfants. Le site n’a aucune licence parce que le style et l’imaginaire sont des marques de fabrique inimitables et infalsifiables. C’est une signature imbriquée, même si un nom permet de savoir plus facilement où trouver d’autres textes semblables.

Tu proposes, sur Ulule, un projet de recueil de poésie nommé Méninges Frites. On est loin de l’image ampoulée du poète à écharpe qui met des trémolos dans ses alexandrins, je me trompe ?

C’est possible oui. Mais pourquoi pas. Ce qui est encore plus sûr, c’est que tout doit être intelligible, tout doit être possible à comprendre et que tout doit avoir un intérêt. Pas de mot pour le mot, pas de souffrances illégitimes, pas d’art pour le concept.

Du voyage, de l’esthétique, de la poésie qui aime être partagée, une vraie sorcellerie !

Imaginez-vous un sorcier qui met des sweets à capuche, pour se cacher, pour vous protéger de ses sorts.

J’aime bien ta phrase « Vous aimez la poésie », souvent couplée à cette idée que la poésie est, ou peut être quelque chose de populaire… C’est de l’éducation populaire à la poésie ?

Elle sera populaire oui, mais pas populiste. Mon but est clairement d’écrire des sensations, des sentiments qui plairont à n’importe quel lecteur. Surtout, il doit être un texte initiatique sur la poésie par la poésie.

Le poème n’est pas seulement un objet littéraire.

La poésie n’est pas partout, mais elle se pratique dans tout les domaines de l’exercice vivant et nous y sommes tous confrontés au quotidien. Nous aimons tous la poésie parce que c’est elle qui nous enseigne l’esthétique et qui nous aide à définir la beauté. L’éducation scolaire nous a donné une image psycho-rigide de la pratique poétique ; et donc une erreur diffusé en masse et sur des générations. Les chanceux qui sont un jour arrivés à toucher consciemment les plaisirs poétiques sont une minorité. Je veux participer à renverser cette tendance, parce que naturellement, nous sommes tous conçus pour vibrer la poésie.

Vous aimez la poésie, c’est sûr, je saurai rendre cela évident.

La licence CC-0, le fait de verser de ton vivant ce recueil dans le Domaine Public, c’est pour désacraliser la place du poète ou pour livrer l’oeuvre entre les mains de son lectorat ?

C’est parce que ce texte a pour réel vocation d’être lu, et si la gratuité peut provoquer l’accident de la lecture, alors ici elle a beaucoup de valeur.

Niveau « modèle économique », cela me fait penser à Nick de www.commonly.cc qui proposait avec des amis du monde du jeu vidéo de financer à la source la création de jeux, images, sons, etc… afin de les libérer ensuite dans le domaine public. Tu ne veux donc pas exploiter tes poèmes ad vitam ?

Pas celui-là. Je parle de ma culture alors je la partage. Mon langage est le langage poétique alors je poétise. L’exploitation de mon texte sera d’une autre nature, plus idéologique : Quand les gens qui m’entourent créeront de l’esthétique, alors je pense que le monde que j’habiterai sera plus intelligent, plus amoureux, plus agréable parce que plus vivant.

Mes revenus sont vivants.

Au delà de ça, la comparaison avec le monde de la programmation m’amuse. Une des définitions qu’on peu donner à la poésie, c’est qu’elle est avant tout un univers cohérent, et le poème est une fenêtre avec vue sur cet univers. Finalement, Les programmeurs font de la poésie, en tout cas ils baignent dedans au point où ils ont même inventé plusieurs langues (C+, python, java… etc). Le geek est un gros consommateur de poésies numériques, c’est un fait.

Si je te laisse le mot de la fin, tu en fais quoi ?

Une bonne nuit de sommeil.

Il ne reste quelques jours pour soutenir ce projet de recueil et permettre à Léopold de l’élever dans le domaine public… Rendez-vous sur sa page Ulule.

Méninges Frites




Rencontre avec le musicien Syrano, libre dans ses pratiques plus que par ses licences

Lors de ma conférence « Mes romans ont choisi d’être libres » au Capitole du Libre de 2013, Jérémie Zimmermann a posé la première question, sous forme de provocation. En gros, il évoque le fait que la culture et l’art sont — fondamentalement — libres depuis toujours, quelles que soient les lois ou les licences.

Tout en croyant qu’il faut sortir de l’omnicopyright (qui a prouvé son inefficacité à nourrir les artistes ou à financer la création à proprement parler), je suis on ne peut plus d’accord avec Jérémy. La plupart des artistes que je connais et aime (comédiens, chanteuses, auteurs, compositrices, etc…) sont libristes sans le savoir.

Hier, j’ai assisté à une expérience d’art libre. De l’art libre sous monopole du copyright, créé sur un Mac, diffusé sur une appli web non open-source (Howl)… ça fait bizarre, hein ? Et pourtant.

Pendant plus de six heures, le chanteur-rappeur Syrano a créé une chanson devant et avec le public qui le suit (sur Facebook). Six heures à expliquer, demander, échanger, chercher, et partager son processus créatif sans la moindre restriction.

On a utilisé un Framapad pour suivre l’évolution des paroles, Wikipédia pour trouver des infos sur les bourreaux au moyen-âge, des banques de sons libres, etc. Et nous avons vu un couplet et un refrain se créer sous nos yeux ébahis et dans nos oreilles ébaubies. La première moitié du travail a été accomplie, et elle s’écoute ici :

—> L’extrait au format ogg

Pour les curieux et les intéressées, la deuxième partie de la chanson s’écrira en direct le vendredi 24 janvier, sur howl. Mais en attendant, Syrano a accepté de répondre à mes questions…

Interview de Syrano

SyranoHier, j’ai assisté à tes 6h30 de création en direct. La première question est évidente : comment va ta gorge ?

J’avoue que ça grattait sur la fin. J’anime souvent des ateliers d’écriture dans des écoles et je me fais la remarque : être prof et parler toute la journée doit être un supplice. En tous cas, je n’ai pas vraiment vu passer tout ce temps. C’était vraiment enrichissant pour moi.

J’ai vu que tu pensais pouvoir écrire l’intégralité de la chanson en une journée. A priori, expliquer et montrer ce que tu faisais t’a ralenti. Mais qu’est-ce que ça a apporté à la chanson ?

Je pense que oui, ça m’a ralenti, c’est clair. D’habitude, je suis capable de me plonger une demi-journée complète sur le morceau et il est plus ou moins fini (maquetté) au terme de ce temps-là. Je pense par contre que ça m’a amené un recul, même si c’était épuisant de faire l’aller-retour entre les écrans et ma feuille, les recherches de tout le monde sur les bourreaux et les idées de vocabulaire m’ont aguillé sans aucun doute.

Écrire une chanson en direct devant ton public et en échangeant tout le long, c’est un défi, non ? Pourquoi tu te l’es lancé ?

J’aime le défi et puis j’aime les expérience innovantes. Je trouve ça intéressant de proposer aussi du contenu nouveau à mon public via Internet. C’est une source intarrissable de possibilités et de créativité. Je crois qu’il faut s’en servir et tenter des choses. J’ai vu les gens échanger entre eux au bout d’un moment, contents d’assister à ce processus, à la naissance de cette chanson, et c’est un contact finalement très humain qui s’est créé.

Si on parle de manière pragmatique, les liens se sont resserrés autour de cette expérience et c’est bénef pour tout le monde. Je pense que le bouche à oreille est et reste le meilleur moyen pour un artiste de se faire un nom. Un « fan » convaincu est le meilleur attaché de presse qui soit. Et Internet n’est qu’une version moderne du bouche à oreille.

J’aime aussi le concept du site howl, cette proximité possible, et c’est un peu tout ça mélangé qui m’a poussé à proposer cette expérience. Concluante puisque nous réitérons.

Écrire, composer, c’est souvent quelque chose de très perso, limite égocentrique. Durant le processus, tu as été très à notre écoute, tout en maintenant le cap de la création en cours… C’était facile pour toi de trouver cet équilibre ?

Oui, je ne suis pas quelqu’un qui crée pour nourrir son ego, ce genre d’artistes d’ailleurs sont souvent des cons… L’égocentrisme, quelle perte de temps. Moi (comme d’autres), je crée par nécessité, parce que le monde me fait réagir, parce que je suis une éponge, un baromètre de mon époque, je suis scandalisé, éhonté… Je cherche certainement un écho chez les autres de ce que je pense. En tous cas, je mets tellement de moi que ça en devient impudique.

Quelqu’un a recoupé mes interviews et mes chansons et a réécrit ma vie sur ma page Wikipédia. Bluffant ! En tous cas, si on se prête au jeu, il faut y aller à fond ! Donc j’ai pris en compte ce que je trouvais de pertinent dans tout ce que vous disiez.

Tu utilises aussi le crowdfunding afin d’aider à financer ta participation au festival d’Avignon. Pourquoi passer par ce biais-là ?

Pour les mêmes raisons citées ci-dessus. Je suis aussi parrain d’une association à Madagascar (SPV-Felana dans la ville d’Antsirabe) et je fais souvent appel aux gens pour soutenir nos projets sur place. Chacune de mes ventes de disque est aussi sujette à une « ponction », je reverse une part de mes bénéfices à l’asso. Je me suis dis que la souscription sur Internet était un bon moyen d’avancer sur ce projet : la location d’un théâtre pour jouer mon nouveau spectacle au Festival d’Avignon 2014 !

J’ai découvert ton côté geek-friendly avec Bazinga!, le 1er extrait de ton cinquième album. Tu connais les licences libres ? Tu les utilises ?

Yes ! J’ai des potes qui sont Linuxiens de la première heure et qui m’ont montré. J’avoue ne pas être assez calé pour me défaire de la contrainte d’un logiciel de son pro comme protools sous mac. En tous cas, LibreOffice, je m’en sers constament et si je trouve un logiciel libre qui me va, je fonce. Par exemple, aussi, j’ai mis en Creative Commons le premier morceau de ma nouvelle formation hip-hop, « L’Ombre qui rappait » , et tout ce qui sortira sous ce nom sera en téléchargement libre.

Dans ton rap tu samples, remixes, invites et métisses parfois avec des musiques glanées aux quatre coins du globe. Comme tous les créateurs tu puises à toutes les sources culturelles disponibles. Cependant comme tu le sais ces pratiques artistiques libres sont de plus en plus combattues par les bénéficiaires du monopole du droit d’auteur. Qu’en penses-tu ?


C’est simple, pour moi, on ne combattra pas le libre échange sur le net. Si on le fait, c’est la mort du net et de son utilité. Il y aura toujours une option pour le peer to peer et pour le libre de s’exprimer. Ces gens veulent de la rentabilité, de la productivité, mais ils n’ont pas compris que ces idées sont inadaptables au Web… C’est un espace de liberté, peut-être le dernier sur la planète dans son côté « entier ».

Est-ce que cela entrave ta créativité ?


Non, pas du tout. je suis plutôt motivé par tout ça. J’échange d’ailleurs de manière plus libre maintenant qu’avant. Je me suis débarassé de mes producteurs pour être indépendant. J’essaie maintenant de trouver un chemin vers l’autonomie.

Tu penses quoi du monopole du droit d’auteur qui se bat de plus en plus violemment contre ces pratiques artistiques libres ?

J’en pense que j’ai mis mes albums en téléchargement libre à contre-sens de beaucoup d’artistes archaïques et tenus en laisse par les labels. Je me rends compte que les gens téléchargent, apprécient et viennent finalement aux concerts où ils m’achètent les albums physiques. C’est une démarche que j’adore. Elle permet aux publics de choisir. Clairement, bientôt, l’écart entre le monde du divertissement et l’art va se creuser, et les chanteurs de merde qui pourrissent les ondes et les têtes des gamins seront découragés par le nombre de téléchargements de leurs pseudo-albums à durée de vie limitée. Internet, c’est la sélection naturelle. Les meilleurs, les talentueux, ceux qui ont quelque chose à dire, resteront… Les autres… Ils peuvent retourner au karaoké.

Et, encore plus simplement, la musique est une émotion, elle est faite pour être ressentie, vécue, expérimentée et partagée…

Alors je ne vois pas pourquoi on garderait pour soi ses œuvres comme de vulgaires produits de consommation. Si vous êtes artistes, assumez !!! L’intermittence du spectacle ou les droits d’auteur ne sont que des boulets, un système qui professionnalise l’artiste et l’asservit forcément. Alors ne soyez pas des esclaves, ne tentez pas de plaire, soyez libres, exprimez des idées, créez… C’est tout ce qu’on attend de vous !!! Voilà 🙂

Un dernier mot ?


— Lutte

Syrano