Quand l’Inde montre l’exemple en éducation (et en France ?)

Le gouvernement indien a inauguré cet été une plateforme de ressources éducatives.

Nous en avons aussi en France, comme par exemple l’Académie en ligne. Sauf que, comme il a été dit dans ces mêmes colonnes à son lancement, cette dernière plateforme est totalement verrouillée par le choix de sa licence (lire les Conditions d’utilisation du site pour comprendre d’un seul coup d’oeil où se situe le problème).

En Inde, par contre, on a tout compris. On a fait le choix par défaut de la licence Creative Commons By-Sa et on demande explicitement des formats ouverts pour les documents déposés.

Longue vie au National Repository of Open Educational Resources et ses ressources éducatives vraiment libres. Quant à nous, on va continuer à pousser pour qu’il en aille de même un jour en France, sachant que l’espoir fait vivre et que la route est longue mais la voie est libre.

On pourra également lire sur le Framablog (en faisant le rêve que nos décideurs tombent dessus) :

NROER logo

L’Inde lance un dépôt national de ressources éducatives libres

India launches National Repository of Open Educational Resources

Jane Park – 14 août 2013 – Creative Commons Blog
(Traduction : lamessen, pol, ProgVal, Asta)

L’Inde a lancé un nouveau dépôt d’apprentissage destiné à accueillir les ressources éducatives libres (RÉL). Le ministère de l’Éducation et de l’alphabétisation, le ministère du Développement des ressources humaines, le gouvernement indien, l’Institut central des technologies de l’éducation et le Conseil national de la recherche et de la formation pour l’éducation (NCERT) se sont associés pour développer le Dépôt national des ressources éducatives libres (NROER). Pallam Raju, ministre indien du Développement des ressources humaines, a lancé ce dépôt mardi. Shashi Tharoor, ministre d’État indien en charge des ressources et du développement humain, a annoncé que la licence par défaut de toutes les ressources du dépôt serait la Creative Commons Attributions-Partage à l’identique (CC BY-SA).

Ce dépôt contient actuellement des vidéos, de l’audio, des médias interactifs, des images et des documents. Il vise à « rassembler toutes les ressources numériques et numérisables pour le système éducatif indien, pour toutes les classes, toutes les matières et toutes les langues ».

D’après l’annonce du ministre Sashi Tharoor,

Cette initiative est également une étape importante vers une éducation inclusive. Ouvrir l’accès à tous nécessite un débat sur la question de la propriété, du copyright, des licences et un équilibrage des objectifs avec les intérêts commerciaux légitimes. C’est particulièrement important pour les institutions publiques et les projets financés sur fonds publics. Je suis heureux que le NCERT ait pris l’initiative de déclarer que le NROER utiliserait la licence CC BY-SA… Cette décision du NCERT est en accord avec la déclaration de Paris sur les ressources éducatives libres de l’Unesco et permettra de garantir que les ressources seront librement accessibles à tous. Pour le dire dans les termes des Creative Commons — pour réutiliser, réviser, modifier et redistribuer.

Pour contribuer au dépôt, chacun devra garantir qu’il « accepte de placer ces ressources sous licence Creative Commons » (CC BY-SA) et « que les documents chargés sont encodés en utilisant des standards ouverts, non privatifs ».

Pour en savoir plus sur la manière de contribuer au projet avec vos ressources éducatives libres, visitez http://nroer.in/Contribute/.




Tux Paint, interview du créateur du célèbre logiciel libre de dessin pour enfants

C’est la rentrée !

L’occasion de mettre en avant Tux Paint, l’un des meilleurs logiciels (évidemment libre) de dessin à destination des petits, mais aussi des grands 😉

HeyGabe - CC by-sa

Tux Paint en appelle à l’aide

Desperate times call for Tux Paint

Jen Wike – 25 juin 2013 – OpenSource.com
(Traduction : Antoine, Shanx, Asta)

Bill Kendrick a codé Tux Paint en seulement quelques jours. Un ami lui avait demandé pourquoi il n’existait pas un programme de dessin pour enfants libre et gratuit, comme GIMP. Bill fit un grand sourire, parce que beaucoup d’adultes ont des difficultés à apprendre à utiliser GIMP, alors que les enfants en ont beaucoup moins. Il répondit : « Je peux probablement créer quelque chose. »

C’était il y a 11 ans (la première bêta a été publiée en juin 2002). Aujourd’hui, Tux Paint est largement utilisé à travers le monde, dans les maisons, à des goûters d’enfants, et plus évidemment dans les écoles en général et celles plus défavorisées en particulier.

Une nouvelle étude publiée cette année et menée par le Conseil des Relations Étrangères rapporte que les États-Unis ont perdus 10 places ces 30 dernières années dans le classement du taux d’élèves diplômés sortant des collèges et universités. « Le véritable fléau du système d’éducation étasunien, et sa plus grande faiblesse compétitive, est le profond écart entre les groupes socio-culturels. Les étudiants riches réussissent mieux, et l’influence de la situation sociale parentale est plus forte aux États-Unis que nulle part ailleurs dans le monde développé. » affirme ainsi Rebecca Strauss, directrice associée des publications CFR’S Renewing America.

Tux Paint est un programme simple avec de profondes implications car il est libre, gratuit et facile à utiliser. Récemment, un enseignant d’une école située dans une région défavorisée a utilisé le programme de crowdfunding EdBacker pour mettre sur pied un cours estival de remise à niveau en utilisant Tux Paint. Brenda Muench rappelle qu’avant Tux Paint, elle n’a jamais rencontré, au cours de ses 16 années d’enseignement à l’école élémentaire d’Iroquois West, de logiciels de dessin véritablement adaptés pour les enfants .

Les fonds publics devenant plus rares, Bill a remarqué que les systèmes scolaires sont désormais plus souples et favorables que par le passé lorsqu’il s’agit d’utiliser ce genre de logiciel. Et les éducateurs du monde entier discutent les uns avec les autres des ressources qu’ils utilisent se passant volontiers les bons tuyaux.

Entretien avec Bill Kendrick

Comment avez-vous créé Tux Paint ?

J’ai opté pour la bibliothèque Simple DirectMedia Layer (libSDL), que j’avais déjà utilisée pour la conception de mes jeux au cours des 2-3 années précédentes (avant cela, j’avais connu des difficultés avec Xlib), et basée sur une combinaison de limitations et capacités qui a bien fonctionné : une seule fenêtre (qui garde la simplicité) et la possibilité d’utiliser le plein écran (ce qui contribue à empêcher les enfants de faire autre chose et des bêtises sur le bureau).

Un autre avantage était que Tux Paint pouvait être facilement porté vers Windows, Mac OS X et d’autres plateformes, et c’est exactement ce qui est arrivé. Je n’imaginais pas que je pouvais avoir un impact pour ces plateformes, étant donné qu’il existait déjà un grand nombre de programmes pour enfants, notamment le populaire et ancien (depuis les premiers jours de Mac) Kid Pix. Ce que je n’avais pas vu tout de suite c’est que, comme Tux Paint est libre, il est devenu une alternative peu chère (comprendre : gratuite) aux applications commerciales pour toutes les plateformes, et non pas que pour GNU/Linux. Cela s’est avéré très pratique pour les écoles, dont nous connaissons tous les problèmes actuels de financement.

Pourquoi l’interface est-elle facile d’utilisation pour les enfants de la maternelle jusqu’au primaire ?

Il y a une variété de choses que j’ai appliquées pour garder une interface simple d’utilisation :

  • de gros boutons qui ne disparaissent pas, même si vous ne les utilisez pas ;
  • toutes les actions ont une icône, ainsi qu’un texte descriptif ;
  • Tux le Pengouin fournit quelques indices, infos et états en bas de la fenêtre ;
  • des effets sonores, qui ne sont pas juste amusants, mais qui fournissent un feedback ;
  • un seul type de pop-up de dialogue, avec seulement deux options (ex. « Oui, imprimer mon dessin », « Non, retour »)
  • pas de défilement.

La raison pour laquelle Tux Paint ne vous demande pas : « Quelle taille pour votre dessin ? » est que lorsque les enfants s’asseyent avec un morceau de papier pour dessiner, ils ne commencent pas par le couper à la bonne taille. La plupart du temps, ils se contentent de commencer, et si vous leur demandez de décider quelle taille de papier ils souhaitent avant de commencer à dessiner, ils vont se fâcher et vous dire que vous ne les laissez pas dessiner !

Des effets sonores amusants et une mascotte dessinée sont importants et motivants pour les enfants, mais est-ce que les adultes utilisent Tux Paint ?

Oui, j’ai eu certaines suggestions comme quoi on l’utiliserait davantage s’il y avait un moyen de désactiver le manchot Tux. Je comprends à quel point les logiciels pour enfants peuvent parfois être énervants, c’est pourquoi j’ai créé une option « couper le son » dès le premier jour.

Quelles belles histoires à nous raconter ?

Un hôpital pour enfants a mis en place une sorte de borne d’arcade utilisant Tux Paint avec des contrôleurs spéciaux (plutôt qu’une souris).

Des élèves de CP ont utilisé la vidéo-conférence et des screencasts pour apprendre aux enfants de maternelle d’une autre école comment utiliser Tux Paint. Ces mêmes écoles utilisent aussi Tux Paint pour créer ensemble des images à partir des histoires sur lesquelles les enfants travaillent. Ils font ensuite des vidéos en intégrant ces histoires.

J’ai mis en ligne les textes de présentation de ces histoires et d’autres travaux pour encourager d’autres éducateurs à essayer et utiliser Tux Paint : « Oui, ce truc fou, libre et gratuit est génial pour les écoles ! » Bien sûr, une décennie plus tard, ce n’est plus la même bataille que d’expliquer ce qu’est le logiciel libre et quels sont ses avantages, ce qui est excellent.

Est-ce que les éducateurs utilisent Tux Paint en dehors des arts plastiques ?

Oui, tout à fait, et c’est exactement ce que j’imaginais.

Je n’ai pas créé Tux Paint pour qu’il soit uniquement utilisé en cours de dessin. Je l’ai créé pour être un outil, comme une feuille de papier et un crayon. Certaines écoles réalisent donc des vidéos à partir de contes racontés. D’autres l’utilisent en mathématiques pour apprendre à compter.

Ironie du sort, ces jours-ci, après avoir vu des choses comme M. Crayon sauve Doodleburg sur le Leapster Explorer de mon fils (qui, en passant, tourne sous Linux !), je commence à penser que Tux Paint nécessite des fonctionnalités supplémentaires pour aider à enseigner les concepts de l’art et de la couleur.

Comment les enseignants, l’administration scolaire, les parents et les contributeurs intéressés peuvent s’investir dans Tux Paint ?

Par exemple, envoyez un message à Bill pour contribuer à Tux Paint sur Android.

Il y a une liste de diffusion pour les utilisateurs (parents, enseignants, etc.) et une page Facebook, mais il y a assez peu d’activité en général car Tux Paint est vraiment facile d’utilisation et tourne sur un large panel de plateformes.

Nous avons besoin d’aide :

  • chasse aux bogues ;
  • test d’assurance qualité ;
  • traductions ;
  • œuvres d’art ;
  • idées d’amélioration ;
  • documentation ;
  • cursus scolaire ;
  • faire passer le mot ;
  • portage vers d’autres plateformes.

Crédit photo : HeyGabe (Creative Commons By-Sa)




Comment Isaac Asimov voyait 2014 en 1964

En 1964, le célèbre écrivain de science-fiction Isaac Asimov visitait l’Exposition Universelle de New York. Il se mit alors à imaginer, dans l’article traduit ci-dessous, ce qu’il pourrait bien advenir dans 50 ans, c’est-à-dire en 2014.

Force est de constater que bon nombre de ses hypothèses étaient prémonitoires…

Abode of Chaos - CC by

Visite de l’Exposition Universelle de New York de 2014

Visit to the World’s Fair of 2014

Isaac Asimov – 16 août 1964
(Traduction : Jeff, hilde, k, anonyme1, karec, Sky, pyro, aKa, Chloé, MalaLuna, tchevengour, simplementNat, bl0fish, pyro, @zessx, Underrated, lordgun, Beij, goofy, greygjhart, HgO, zer0chain, GregR, Asta + anonymes)

L’Exposition Universelle de New York de 1964 est consacrée à « La paix par la compréhension » (NdT : Peace Through Understanding). L’aperçu qu’elle donne du monde de demain écarte l’hypothèse d’une guerre nucléaire. Et pourquoi pas ? Si une telle guerre a lieu le futur ne mérite pas d’être évoqué. Laissons donc les missiles sommeiller éternellement dans leurs silos et observons ce qui pourrait advenir d’un monde qui ne serait pas atomisé.

Ce qui est à venir, du moins au travers de la lunette de l ‘Exposition, est merveilleux. Le futur vers lequel l’Homme se dirige est vu avec un espoir plein d’entrain, nulle part mieux montré qu’au pavillon de la General Electric. Ici les spectateurs tourbillonnent parmi quatre scènes, chacune contenant des mannequins souriants, quasiment vivants, qui bougent et parlent avec une telle aisance que, pendant près d’une minute et demie, ils vous convainquent qu’ils le sont vraiment.

Ces scènes, qui se déroulent en 1900, 1920, 1940 et 1960, montrent les progrès des appareils électriques et les changements qu’ils apportent à la vie quotidienne. J’y ai pris énormément de plaisir et je regrette seulement qu’ils n’en aient pas imaginé de semblables dans le futur. Que sera la vie, par exemple en 2014, dans 50 ans ? À quoi ressemblera l’Exposition Universelle de 2014 ?

Je ne sais pas, mais je peux essayer de deviner.

Une pensée qui me traverse l’esprit est que les hommes continueront à fuir la nature pour créer un environnement plus à leur convenance. D’ici 2014 les panneaux électroluminescents seront communément utilisés. Les murs et les plafonds brilleront doucement, dans une variété de teintes qui changera à la pression d’un bouton.

Les fenêtres seront devenues archaïques, et quand bien même présentes elles seront polarisées pour bloquer les rayons du soleil les plus durs. Le degré d’opacité du verre étant même fait pour varier automatiquement selon l’intensité de la lumière.

On trouve une maison souterraine à l’Exposition qui semble être un signe du futur. Si ses fenêtres ne sont pas polarisées, elles peuvent en revanche changer le « paysage » en modifiant l’éclairage. Les maisons en périphérie des villes, avec variateur de température, air filtré, et contrôle de la lumière, seront monnaie courante, libérées ainsi des vicissitudes de la météo. À l’Exposition Universelle de 2014, le « Futurama » de General Motors (NdT : attraction populaire réalisée par General Motors pour l’Exposition Universelle de 1939) présentera sans doute des visions de cités souterraines pleines de potagers sous lumière artificielle. La surface ainsi gagnée, expliquera General Motors, sera dédiée à l’agriculture à grande échelle, aux pâturages et parcs, avec moins d’espace gaspillé pour l’occupation humaine.

Des appareils continueront de soulager l’humanité des travaux fastidieux. Les cuisines seront conçues de manière à préparer des « auto-repas », chauffant l’eau et la transformant en café ; grillant le pain et le bacon ; cuisant, pochant ou brouillant des œufs, etc. Le petit-déjeuner sera « commandé » la veille afin d’être prêt à l’heure spécifiée le lendemain matin. Des repas et dîners entiers, avec des aliments semi-préparés, seront conservés au congélateur jusqu’au moment de leur préparation. Je soupçonne, cependant, que même en 2014, il sera bon d’avoir un petit coin dans la cuisine où des repas plus individuels pourront être préparés à la main, en particulier lorsque l’on reçoit des invités.

En 2014 les robots ne seront ni courants ni très élaborés mais ils existeront. L’exposition IBM n’a pas de robots aujourd’hui mais elle est dédiée aux ordinateurs, qui sont montrés dans toute leur incroyable complexité, notamment dans la tâche de traduction du russe vers l’anglais. Si les machines sont si intelligentes aujourd’hui, qui sait ce qu’elles feront dans 50 ans ? Ce seront des ordinateurs beaucoup plus miniaturisés qu’aujourd’hui, qui serviront de « cerveaux » aux robots. L’une des principales attractions du pavillon IBM à l’Exposition Universelle de 2014 pourrait être une femme de ménage robotique, gauche et grosse, bougeant lentement mais cependant capable de ramasser, ranger, nettoyer et manipuler divers appareils. Cela amusera sans aucun doute les visiteurs de disperser des débris sur le sol afin de voir cette ménagère robotique les enlever maladroitement et les classer entre « à jeter » et « mettre de côté ». (Des robots jardiniers auront aussi fait leur apparition.)

General Electric à l’Exposition Universelle de 2014 montrera des films en 3D de ses « Robots du Futur » élégants et profilés et ses appareils de ménage intégrés effectuant toutes les tâches promptement. (Il y aura une file d’attente de trois heures pour voir le film, il y a certaines choses qui ne changent jamais.)

Bien sûr les appareils de 2014 n’auront besoin d’aucun câble électrique. Ils seront alimentés par des batteries longue durée à énergie nucléaire (radioisotope). Le combustible ne sera pas cher car il sera le sous-produit des centrales à fission qui, en 2014, fourniront plus de la moitié des besoins énergétiques de l’humanité. Mais, une fois ces batteries à isotopes épuisées, elles ne seront éliminées que par des agents autorisés par le fabricant.

Et une ou deux centrales expérimentales à fusion nucléaire existeront déjà en 2014 (même aujourd’hui, une petite mais véritable fusion nucléaire est présentée régulièrement par la General Electric, à l’Exposition Universelle de 1964). De grandes centrales d’énergie solaire seront aussi en fonction dans plusieurs zones désertiques et semi-désertiques telles que l’Arizona, le Néguev ou le Kazakhstan. Dans les zones plus fréquentées, mais plus nuageuses et brumeuses, l’énergie solaire sera moins efficace. Une présentation à l’Exposition Universelle de 2014 montrera des modèles de centrales énergétiques dans l’espace, collectant les rayons solaires à l’aide d’immenses paraboles, renvoyant l’énergie ainsi collectée sur Terre.

Le monde d’ici 50 ans aura encore rétréci. À l’Exposition Universelle de 1964, la présentation de General Motors décrit, entre autres choses, des « usines de construction de routes » dans les tropiques et, plus près de chez nous, des autoroutes surchargées avec de long bus se déplaçant sur des voies centrales réservées. Il y a de fortes chances que l’utilisation de routes, du moins dans les régions du monde les plus avancées, aura passé son pic en 2014 ; l’intérêt se portera alors de plus en plus sur les transports réduisant au maximum le contact avec la surface terrestre. Il y aura l’aviation, bien sûr, mais les transports terrestres seront de plus en plus aériens (environ 50 cm au-dessus du sol). Les visiteurs de l’Exposition Universelle de 1964 peuvent s’y déplacer dans un « hydroptère », qui s’élève sur quatre pylônes et glisse sur l’eau avec un minimum de frictions. Ceci n’est sûrement que temporaire. En 2014, les quatre pylônes auront été remplacés par quatre jets d’air comprimé afin que le véhicule n’ait plus aucun contact avec les surfaces liquides ou même solides.

Les jets d’air comprimé serviront également à soulever les véhicules terrestres au-dessus des routes, ce qui, entre autres choses, réduira les problèmes de pavage. Une terre damée ou une pelouse tondue feront tout aussi bien l’affaire. Les ponts auront aussi une moindre importance dès lors que les voitures seront capables de traverser l’eau à l’aide de leurs jets d’air comprimé, bien que les arrêtés locaux décourageront cette pratique.

Beaucoup d’efforts seront consacrés à la conception de véhicules munis de « cerveaux-robot » qui pourront être configurés pour une destination particulière et s’y rendront sans l’interférence des lents réflexes d’un conducteur humain. Je soupçonne qu’une des attractions majeures de l’exposition 2014 sera la balade sur des petites voitures robotisées qui manœuvreront dans la foule 50 cm au-dessus du sol, avec dextérité et en s’évitant automatiquement.

Pour les voyages de courte distance, des trottoirs mobiles surélevés (avec des bancs de chaque côté, des places debout au centre) feront leur apparition dans les sections du centre-ville. Le trafic continuera (sur plusieurs niveaux dans certains endroits) uniquement parce que tout les parkings seront hors voirie et qu’au moins 80 % des livraisons par camion seront effectuées dans des centres précis en périphérie de la ville Des tubes à air comprimé transporteront biens et matériaux sur des distances locales, et les aiguillages qui achemineront les cargaisons spécifiques vers les destinations correspondantes seront une des merveilles de la ville.

Les communications se feront par visioconférence et vous pourrez à la fois voir et entendre votre interlocuteur. L’écran, en plus de vous permettre de voir les gens que vous appelez, vous permettra également daccéder à des documents, de voir des photographies ou de lire des passages de livres. Une constellation de satellites rendra possible les appels directs vers n’importe quel point de la terre, même la station météorologique en Antarctique (visible dans toute sa splendeur glacée sur le stand de General Motors en 64).

D’ailleurs, vous serez en mesure de joindre quelqu’un sur les colonies sélènes (sur la Lune), pour lesquelles General Motors présente une gamme de véhicules impressionnants (sous forme de maquettes) avec de larges pneus tendres prévus pour les terrains accidentés qui peuvent exister sur notre satellite naturel.

Quantités de conversations simultanées entre la Terre et la Lune pourront être facilement traitées par des faisceaux laser modulés, lesquels seront très faciles à manipuler dans l’espace. Sur Terre, par contre, les rayons laser devront être enfermés dans des tubes en plastique pour éviter les interférences atmosphériques, problème sur lequel les ingénieurs continueront à travailler.

Converser avec la Lune sera simple mais inconfortable à cause des 2,5 secondes de délai entre les questions et les réponses (le temps nécessaire pour que la lumière fasse l’aller-retour). Le même genre de communication avec Mars prendra 3,5 minutes même lorsque Mars est au plus près de la Terre. Cependant, en 2014, seules des sondes téléguidées s’y seront posées, mais une expédition habitée sera en préparation et, dans le Futurama de 2014, on pourra trouver une maquette de colonie martienne élaborée.

Quant à la télévision, des murs-écrans auront pris la place de l’équipement habituel, mais des cubes transparents feront leur apparition, dans lesquels la vision tri-dimensionnelle sera possible. En fait, une des présentations populaires à l’Exposition Universelle de 2014 sera une télévision 3D, grandeur nature, dans laquelle on verra des spectacles de ballet. Le cube tournera lentement pour montrer la vision sous tous les angles.

Nous pouvons poursuivre indéfiniment cette joyeuse extrapolation, mais tout n’est pas aussi rose.

Dans la file d’attente pour la présentation de la General Electric à l’Exposition Universelle de 1964, je me suis retrouvé face au menaçant panneau d’Equitable Life (NdT : une compagnie d’assurance américaine), égrenant l’augmentation de la population des États-Unis (plus de 191 000 000) d’une unité toutes les 11 secondes. Pendant le temps que j’ai passé à l’intérieur du pavillon de la General Electric, la population américaine a presque gagné 300 âmes, et la population mondiale environ 6 000.

En 2014, il est fort probable que la population mondiale sera de 6,5 milliards et que les États-Unis compteront 350 millions d’habitants. La zone de Boston à Washington, la plus dense de cette taille sur Terre, sera devenue une mégalopole avec une population de plus de 40 millions d’habitants.

La pression démographique va forcer l’urbanisation croissante des déserts et des régions polaires. Le plus surprenant, et d’une certaine manière le plus réconfortant, est que 2014 marquera le début des grands progrès dans la colonisation des plateaux continentaux. Le logement sous-marin sera prisé par les amateurs de sports nautiques, et encouragera sans aucun doute une meilleure exploitation des ressources maritimes, nutritives et minérales. La General Motors a exposé, dans sa présentation de 1964, une maquette d’hôtel sous-marin d’un luxe alléchant. L’Exposition Universelle de 2014 présentera des villes de fonds marins, avec des lignes de bathyscaphes transportant hommes et matériel dans les abysses.

L’agriculture traditionnelle aura beaucoup de difficultés à s’adapter. Des fermes se spécialiseront dans la culture de micro-organismes plus efficaces. Les produits à base de levures et d’algues transformées seront disponibles dans de multiples saveurs. L’Exposition Universelle de 2014 comportera un bar à algues, dans lequel des imitations de dinde et des pseudo-steaks seront servis. Ce ne sera pas mauvais du tout (si vous pouvez supporter ces prix élevés), mais il y aura une barrière psychologique importante à lever face à une telle innovation.

En 2014 la technologie continuera à suivre la croissance démographique au prix d’immenses efforts et avec un succès incomplet. Seule une partie de la population mondiale profitera pleinement de ce monde gadgétisé. L’autre, plus grande encore qu’aujourd’hui en sera privée et, en attendant de pouvoir accéder à ce qui se fait de mieux, matériellement parlant, sera en retard comparée aux parties du monde les plus développées. Ils auront même régressé.

La technologie ne peut plus continuer à suivre la croissance démographique si celle-ci reste incontrôlée. Pensez au Manhattan de 1964, avec une densité de population de 32 000 habitants au kilomètre carré la nuit, et de plus de 40 000 pendant la journée de travail. Si la Terre entière, y compris le Sahara, l’Himalaya, le Groenland, l’Antartique et chaque kilomètre carré des fonds marins, au plus profond des abysses, était aussi peuplée que Manhattan à midi, vous conviendrez sûrement qu’aucun moyen pour subvenir à une telle population (et encore moins pour lui apporter un certain confort) ne serait envisageable. En fait, ces moyens deviendraient insuffisants bien avant que ce Manhattan géant ne soit atteint.

Et bien, la population de la Terre approche maintenant des 3 milliards et double tous les 40 ans. Si cette croissance se confirme, le monde deviendra un Manhattan géant d’ici seulement 500 ans. Toute la Terre ne sera qu’une unique ville comme Manhattan d’ici l’année 2450 et la société s’écroulera bien avant cela !

Il n’y a que deux façon d’éviter cela: (1) élever le taux de mortalité (2) baisser le taux de natalité. Indubitablement, le monde de 2014 se sera mis d’accord sur la deuxième méthode. En effet, l’utilisation croissante des appareils mécaniques pour remplacer les cœurs et les reins défaillants, et le soin de l’arteriosclérose et de la rupture d’anévrisme auront repoussé le taux de mortalité encore plus loin et auront rehaussé l’espérance de vie dans certaines parties du monde à l’âge de 85 ans.

Il y aura, par conséquent, une propagande mondiale en faveur du contrôle de la natalité par des méthodes rationnelles et humaines et, en 2014, elles auront sans aucun doute de sérieux effets. L’inflation démographique aura sensiblement baissé, je suppose, mais pas suffisamment.

L’une des présentations les plus importantes de l’Exposition de 2014 sera donc une série de conférences, de films et de matériel documentaire au Centre de Contrôle de la Population Mondiale (pour adultes uniquement ; projections spéciales pour les adolescents).

La situation empirera du fait des progrès de l’automatisation. Seuls quelques emplois de routine persisteront pour lesquels les machines ne remplacent pas l’être humain. En 2014 l’humanité leur sera asservie. Les écoles devront être réorientées dans cette direction. Une partie de la présentation de la General Electric d’aujourd’hui est une école du futur dans laquelle les réalités actuelles comme la télé en circuit-fermé et les bandes pré-enregistrées facilitent le processus d’apprentissage. Cependant, ce ne sont pas uniquement les techniques qui évolueront dans l’enseignement, mais également les contenus. Tous les élèves de l’enseignement secondaire apprendront les fondamentaux de la programmation, deviendront des as en arithmétique binaire, et seront formés à la perfection à l’utilisation des langages informatiques qui auront été développés, comme le Fortran (NdT pour « Formula Translator », un langage utilisé en calcul scientifique).

Même ainsi l’humanité souffrira sévèrement d’ennui, un mal se propageant chaque année davantage et gagnant en intensité. Cela aura de sérieuses conséquences aux niveaux mental, émotionnel et social. La psychiatrie sera de loin la spécialité médicale la plus importante en 2014. Les rares chanceux qui auront un travail créatif seront la vraie élite de l’humanité, car eux seuls feront plus que servir une machine.

L’hypothèse la plus sombre que je puisse faire pour 2014 est que dans une société de loisirs forcés, le mot travail sera le plus valorisé du vocabulaire !

Crédit photo : Abode of Chaos (Creative Commons By)




Ceci est une page Web (avec juste des mots à lire)

Nous avons décidé d’apporter notre traduction française à une simple page Web (à voir dans sa version originale épurée).

Parce qu’il est vrai qu’on a parfois tendance à se perdre dans la forme et oublier les fondamentaux…

Ceci est une page Web

This is a web page

Justin Jackson – Juin 2013 – Site personnel
(Traduction : Lamessen, Asta, Pascal + anonymes)

Il n’y a pas grand-chose ici.

Juste des mots.

Et vous êtes en train de les lire.

Nous devenons obsédés par les dessins fantaisistes, les mises en forme adaptatives et les scripts qui font des choses magiques.

Mais l’outil le plus puissant sur le Web reste les mots.

J’ai écrit ces mots, et vous êtes en train de les lire : c’est magique.

Je suis dans une petite ville de Colombie-Britannique : vous êtes sans doute ailleurs. J’ai écrit ceci le matin du 20 juin 2013 : vous lisez probablement ceci à un autre moment. J’ai écrit ceci sur mon ordinateur portable : vous pourriez être en train de le lire sur votre téléphone, votre tablette ou votre PC.

Vous et moi pouvons nous connecter parce que j’ai écrit ceci et que vous êtes en train de le lire. C’est ça, le Web. Malgré nos emplacements différents, monnaies et fuseaux horaires, nous pouvons nous connecter ici, sur une simple page HTML.

J’ai écrit ceci dans un éditeur de texte. C’est 4 kb. Je n’avais pas besoin d’un CMS (système de gestion de contenu), d’un graphiste ou d’un développeur. Il n’y a pas vraiment de code sur cette page, simplement des balises pour les paragraphes, la hiérarchie et la mise en forme.

Je me rappelle avoir enseigné le code HTML à ma fille, elle avait 8 ans. La première chose qu’elle a écrit était une histoire à propos d’un écureuil. Elle n’écrivait pas de l’HTML ; elle partageait quelque chose avec le monde. Elle ne pouvait pas croire qu’elle pouvait écrire une histoire sur son ordinateur personnel et le publier pour que le monde le voit. Elle n’en avait rien à faire de l’HTML, elle souhaitait partager ses histoires.

Vous êtes toujours en train de lire.

Pensez à toutes les choses que vous pourriez communiquer avec une simple page comme celle-ci. Si vous êtes dans les affaires, vous pourriez vendre quelque chose. Si vous êtes un enseignant, vous pourriez enseigner quelque chose. Si vous êtes un artiste, vous pourriez montrer quelque chose que vous avez créé. Et si vos mots sont valables, ils seront lus.

Si vous êtes un web designer ou un client qui travaille avec un designer, j’aimerais vous défier de réfléchir à vos mots en premier. Au lieu de commencer avec style guide ou une maquette Photoshop, commencez avec des mots sur une page.

Qu’avez-vous à dire ? Si vous ne le savez pas, vous n’avez aucun intérêt à ajouter toutes les autres fioritures. Commencez simplement avec une seule page, avec un seul objectif. Écrivez et publiez-le, puis réitérez l’expérience. À chaque fois que vous ajouterez quelque chose, demandez-vous : Est-ce que ceci m’aide à mieux communiquer ? Est-ce que ce style additionnel, cette image ou ce lien me permet de mieux me faire comprendre par mon audience ? Si la réponse est « non », ne l’ajoutez pas.

En son cœur, le design web devrait concerner des mots. Les mots ne viennent pas après le design. Les mots sont le commencement, le noyau, la focalisation.

Commencez par des mots.

Amicalement,
Justin Jackson




Quand la connaissance rencontre le Libre ça donne un livre exemplaire

Un livre sur la théorie homotopique des types vient d’être publié par des mathématiciens. A priori ça ne concerne que les spécialistes du sujet…

Et pourtant ça concerne tout le monde, tant sa conception originale et les leçons qui en sont tirées ci-dessous ont valeur d’exemplarité.

Du Libre à tous les étages (LaTeX, Creative Commons By-Sa…) mais surtout dans son état d’esprit de partage et de collaboration. Un projet et un article passionnants, à faire lire dans la sphère académique et bien au-delà.

Remarque : Pour commencer, on pourra voir cette courte vidéo « making-of » du livre.

Homotopy Type Theory - The team

Le livre HoTT

The HoTT book

Andrej Bauer – 20 juin 2013 – Blog personnel
(Traduction : Lgodard, Ilphrin, tcit, Guillaume, igor_d, Yaf, ronanov, fif + anonymes)

Le livre HoTT est terminé !

Depuis le printemps, et même avant, j’ai participé à un super effort collaboratif pour écrire un livre à propos de la Théorie homotopique des types (NdT : HoTT en anglais pour Homotopy Type Theory). Il est enfin terminé et accessible au public. Vous pouvez obtenir le livre librement et gratuitement. Mike Shulman a écrit à propos du contenu de ce livre, donc je ne vais pas répéter cela ici. À la place, je voudrais commenter les aspects socio-technologiques de la création du livre, et en particulier de ce que nous avons appris de la communauté open source sur la recherche collaborative.

Nous sommes un groupe de deux douzaines de mathématiciens qui avons écrit un livre de 600 pages en moins de 6 mois. C’est assez impressionnant, d’autant que les mathématiciens n’ont pas l’habitude de travailler ensemble au sein de grands groupes. Dans un petit groupe ils peuvent s’en sortir en utilisant des technologies obsolètes, comme envoyer aux autres un fichier source LaTeX par email, mais avec deux douzaines de personnes, même Dropbox ou n’importe quel autre système de synchronisation de fichier aurait échoué lamentablement. Par chance, beaucoup d’entre nous sont des chercheurs en Informatique déguisés en mathématiciens, donc nous savions comment attaquer les problèmes de logistique. Nous avons utilisé git et github.com.

Au début, il a fallu convaincre les gens, et se faire à l’outil. Malgré tout, cela n’a pas été trop difficile. À la fin, le dépôt sur le serveur n’était pas seulement une archive pour nos fichiers, mais également un point central pour notre planification et nos discussions. Durant plusieurs mois j’ai consulté GitHub plus souvent que mes emails ou Facebook. Github était mon Facebook (sans les petits chats mignons). Si vous ne connaissez rien aux outils comme git mais que vous écrivez des articles scientifiques (ou que vous créez n’importe quel type de contenu numérique) vous devriez vraiment, vraiment vous renseigner sur des systèmes de gestion de versions. Même en tant que seul auteur d’un article, vous allez gagner à apprendre comment en utiliser un, sans même parler des belles vidéos que vous pouvez produire sur la manière dont vous avez écrit votre papier.

Mais de manière plus importante, c’est l’esprit collaboratif qui imprégnait notre groupe à l’Institute for Advanced Study (Princeton) qui était incroyable. Nous ne nous sommes pas éparpillés. Nous avons discuté, partagé des idées, expliqué certains éléments les uns aux autres, et avons totalement oublié qui avait fait quoi (à tel point que nous avons dû faire des efforts pour reconstruire un historique de peur que ce ne soit oublié pour toujours). Le résultat final a été une augmentation considérable de notre productivité.

Il y a une leçon à en tirer (mis à part le fait que l’Institute for Advanced Study est évidemment le meilleur institut de recherche au monde), à savoir que les mathématiciens ont à gagner à devenir un peu moins possessifs vis-à-vis de leurs idées et leurs résultats. Je sais, je sais, une carrière académique dépend de la juste répartition des mérites de chacun et ainsi de suite, mais ce sont seulement les idiosyncrasies de notre époque. Si nous pouvons faire en sorte que les mathématiciens partagent des idées à moitié développées, ne s’inquiètent pas de savoir qui a apporté quelle contribution à un article, ou même qui en sont les auteurs, alors nous atteindrons un nouveau niveau de productivité encore jamais imaginé. Le progrès est le fait de ceux qui osent enfreindre les règles.

Les milieux de recherche vraiment ouverts ne peuvent être gênés par le copyright, les éditeurs qui s’accaparent le profit, les brevets, les secrets commerciaux, et les programmes de financement qui sont basés sur des outils de mesures de réussite défectueux. Malheureusement nous sommes tous coincés dans un système qui souffre de ces maux. Mais nous avons fait un premier pas dans la bonne direction en mettant le code source du livre disponible librement sous une licence permissive Creative Commons (la CC-By-Sa). N’importe qui peut prendre le livre et le modifier, nous envoyer des améliorations et des corrections, le traduire, ou même le vendre sans même nous donner le moindre sou (si cette dernière phrase vous a quelque peu crispé c’est que vous avez été conditionné par le système).

Homotopy Type Theory - Couverture

Nous avons décidé de ne pas faire publier le livre par un éditeur académique pour le moment car nous voulions qu’il soit accessible à tous, rapidement et sans frais. Le livre peut être téléchargé gratuitement, ou bien acheté à peu de frais avec une couverture rigide ou souple sur lulu.com (quand avez-vous pour la dernière fois payé moins de 30$ pour une monographie de 600 pages à couverture rigide ?). Une fois de plus, j’entends déjà certaines personnes dire : « oh mais un vrai éditeur universitaire est synonyme de qualité ». Cette façon de penser rappelle les arguments opposant Wikipédia et Britannica, et nous savons tous comment cette histoire s’est terminée. Oui, la bonne qualité de la recherche doit être assurée. Mais une fois que nous acceptons le fait que n’importe qui peut publier n’importe quoi sur Internet permettant au monde entier de le consulter et en faire un livre bon marché à l’air professionnel, nous réalisons rapidement que la censure n’est plus efficace. À la place, nous avons besoin d’un système décentralisé d’approbation qui ne pourrait pas être manipulé par des groupes d’intérêts spéciaux. Les choses sont en train de bouger dans cette direction, avec la création récente du Selected Papers Networks (Réseaux d’écrits sélectionnés) et d’autres projets similaires. J’espère qu’ils auront un bel avenir.

Cependant, il y a quelque chose d’autre que nous pouvons faire. C’est plus radical, mais aussi plus utile. Plutôt que de laisser les gens se contenter d’évaluer les articles, pourquoi ne pas leur donner une chance de participer et aussi d’améliorer ces articles ? Mettez tous vos articles sur GitHub et laissez les autres en discuter, poser des questions, les utiliser comme bases pour leur travail (fork), les améliorer, et vous envoyer des corrections. Est-ce que cela paraît fou? Bien sûr que oui, l‘open source paraissait également une idée folle lorsque Richard Stallman a lancé son manifeste. Soyons honnêtes, qui va vous voler votre code source LaTeX ? Il y a bien d’autres choses de valeur susceptibles d’être volées. Si vous êtes un professeur titulaire vous pouvez vous permettre d’ouvrir le chemin. Faites-vous enseigner git par vos thésards et mettez vos trucs dans un endroit public. N’ayez pas peur, ils vous ont titularisé pour que vous fassiez des choses comme ça.

Donc nous invitons tout le monde à améliorer le livre en participant sur GitHub. Vous pouvez laisser des commentaires, signaler des erreurs, et même mieux, faire des corrections par vous-même ! Nous n’allons pas nous inquiéter de savoir qui vous êtes et combien vous contribuez et qui devrait recevoir les honneurs. La seule chose qui importe est de savoir si vos contributions sont bonnes.

Ma dernière observation est à propos de la formalisation des mathématiques. Les mathématiciens aiment imaginer que leurs publications peuvent en principe être formalisées dans la Théorie des Ensembles. Ceci leur donne un sentiment de sécurité, qui n’est pas différente de celui ressenti par un croyant entrant dans une cathédrale d’âge canonique. C’est une forme de foi professée par les logiciens. La Théorie homotopique des types est un fondement alternatif à la Théorie des Ensembles. Nous revendiquons nous aussi que les mathématiques ordinaires peuvent en principe être formalisées en Théorie homotopique des types . Mais devinez quoi, vous n’avez pas à nous croire sur parole ! Nous avons formalisé les parties les plus complexes du livre HoTT et vérifié les preuves avec des assistants de preuve électroniques. Pas une fois mais deux. Et nous avons formalisé en premier lieu, puis nous avons écrit le livre car c’était plus simple de formaliser. Nous sommes gagnants sur tous les plans (s’il y a une compétition).

J’espère que le livre vous plaira, il contient une impressionnante quantité de mathématiques inédites.

Homotopy Type Theory - Tor




Conférence de François Elie : Quelle école pour la société de l’information ?

Le 27 avril dernier François Elie[1] donnait une conférence remarquable et remarquée lors de la troisième édition de Fêtons Linux à Genève.

Nous l’avons jugée suffisamment importante pour en faire un article dédié (vidéo + transcript) et vous inviter à trouver vous aussi la demi-heure au calme pour l’écouter.

Les députés ont récemment abandonné la priorité du libre dans l’éducation. En écoutant François Elie, vous comprendrez pourquoi cette triste décision est tout sauf anodine.

Quelques extraits pour se motiver 😉

« Je vais vous décevoir tout de suite parce que vous vous attendez à ce que je dise qu’il est très très important d’utiliser le logiciel libre dans les écoles. Bon ça y est je l’ai dit. On peut passer à autre chose. »

« Si l’école doit être quelque chose, elle doit essayer de n’être ni l’école de l’initiation, ni l’école de l’apprentissage. Elle doit être au contraire l’école où on apprend à maîtriser les choses pour ne pas dominer les Hommes. »

« Il faut cesser d’opposer l’enseignement de la programmation d’une part et l’enseignement des usages, c’est important mais ça c’est l’école des maîtres et des esclaves. Ce qu’il faut enseigner, vite et à tous, c’est la science, pas la technologie ou l’usage. C’est en amont de la programmation, l’algorithmique. C’est en amont, de telle instanciation, du codage, du chiffrement, la théorie, quelque chose qui comme les maths n’ont besoin que d’une craie et d’un tableau noir. »

« Puisqu’on n’enseigne pas la physique dans une voiture, pourquoi devrait-on nécessairement apprendre l’informatique sur un ordinateur ? »

« L’école est le lieu, l’enjeu d’un affrontement colossal entre ceux qui voudraient ceux qui voudraient qu’elle reste l’école de la liberté et ceux qui voudraient en faire autre chose, une école qui serait cliente captive d’un marché, des industries numériques pour l’éducation. »

« On peut difficilement enseigner la liberté avec des outils qui cherchent à dominer. Ça va être compliqué d’utiliser des outils qui sont faits pour ne pas être partagés pour apprendre à des élèves à partager. Ça va être compliqué d’enseigner à des élèves comment il faut protéger ses données en utilisant des réseaux sociaux qui sont faits pour justement les capturer. Bref apprendre l’ouverture avec ce qui est fait pour fermer, c’est compliqué. »

« Je disais à une syndicaliste, vous aurez du mal à faire la révolution avec Word. Elle n’a pas compris ! J’avais été invité à une université d’été d’Attac, et là je leur avais dit : Je ne vais plus au MacDo mais vous êtes encore sous Windows. »

« L’école est l’endroit où on dit le plus de mal de Wikipédia, il faut le savoir. Par contre on dit beaucoup de bien de Diderot, de l’Encyclopédie, du siècle des Lumières. Embêtant quand même, parce que moi je suis persuadé que Diderot adorerait Wikipédia. Mais il n’adorerait pas Wikipédia pour lire mais pour écrire dedans. Il ne s’agit pas d’apprendre aux enfants à se méfier de ce qu’on lit dans Wikipédia, il faut leur apprendre à écrire dans Wikipédia. Mais ça il faut du temps. »

« L’école a tout à apprendre de la culture des hackers. Il faut apprendre à travailler comme des hackers. Nietzsche a une formule magnifique il dit « Plutôt périr que travailler sans joie ». On peut vouloir travailler comme un maître ou travailler comme un esclave. On peut aussi faire de sa vie quelque chose de plus joyeux, aimer son travail. On peut apprendre à aimer son travail à l’école. On peut apprendre à exister par la valeur de ce qu’on fait, par la valeur de ce qu’on montre, par l’image qu’on a, et pour ça, et bien le logiciel libre pourrait nous aider pour refonder l’école, pour apprendre à collaborer, pour apprendre à partager, pour apprendre à bricoler, produire ses propres outils, se former, se former sans cesse, être en veille permanente. Toutes ces qualités qui sont celles des hackers ce sont celles qu’on attend d’un élève. »

« Alors je reviens à Marx. Au 19ème siècle, il avait posé une bonne question : « À qui appartiennent les moyens de production ? » Et bien les moyens de production des contenus et des outils de l’école doivent appartenir à l’école. Donc la question du logiciel libre n’est pas une petite question, c’est la question même de l’école. Et la question n’est pas à l’utilisation. C’est de se mettre à l’école de ce mode de production, pour produire les savoirs, les contenus, pour rendre possible une éducation, une instruction des élèves qui leur permette d’accéder à la liberté, non par la technologie ou par les usages, mais par la science. »

François Elie : Quelle école pour la société de l’information ? Program or be programmed ?

Transcript

Nous devons cette transcription à Marie-Odile de l’April[2]. Nous nous sommes permis d’y ajouter quelques liens.

Bonjour à tous. On va commencer, on ne va pas attendre que les portes se ferment. Je vais me présenter rapidement. Je suis un petit peu impressionné parce que cette conférence et la suivante sont présentées comme des événements. Si je suis mauvais tant pis, enfin vous verrez. Je me présente rapidement, François Élie, j’ai un peu plus d’un demi-siècle, actuellement j’enseigne la philosophie. Je suis tombé dans l’informatique tout petit et puis il y a dix ans je suis rentré en politique un peu par hasard et j’ai fondé une association en France qui s’appelle l’Adullact avec quelques-uns pour non pas simplement utiliser les logiciels libres sur fonds publics, mais pour les développer et les développer sur un segment métier, sur ces logiciels qui sont adhérants et qui empêchent de basculer vers le libre. Mais ça j’en parlerai dans la conférence suivante.

L’objet ici ça va être de réfléchir sur le libre et l’éducation. Alors je vais vous décevoir tout de suite parce que vous vous attendez à ce que je dise qu’il est très très important d’utiliser le logiciel libre dans les écoles. Bon ça y est je l’ai dit. On peut passer à autre chose. Bien sûr que c’est important. On pourrait faire des listes de gens très courageux qui ont installé des salles en libre accès, des salles en libre. Mais j’ai envie de dire que ce n’est pas le plus important. Il y a beaucoup plus important. Il y a l’école elle-même.

Je voudrais vous parler du rapport entre le logiciel libre et l’école et vous verrez que les enjeux sont un petit peu plus importants que ça.

Pour ça il faut revenir à ce que c’est qu’une école. Alors je vous l’ai dit j’enseigne la philosophie pour manger et je vais essayer de revenir un peu en arrière, au moment où on a inventé les écoles. Ce n’est pas Charlemagne ou Jules Ferry qui ont inventé les écoles, ce sont les philosophes il y a 25 siècles.

Et puis je vais vous parler un peu de Platon pour vous mettre à température en vous parlant de l’allégorie de la Caverne. Pour ceux qui voudraient retrouver le texte, c’est dans le livre 7 de La République. Des hommes sont dans une caverne à regarder un écran, comme vous regardez un écran, regardent les images qui sont projetées. Ils sont là depuis leur enfance les jambes et le cou enchaînés de sorte qu’ils ne peuvent voir que devant eux. La lumière vient d’un feu allumé sur une hauteur loin derrière eux et entre le feu et les prisonniers passe une route élevée. Le long de cette route passe un petit mur et les long de ce petit mur des hommes font des marionnettes. Et ces hommes voient les ombres de ces objets qui passent. Alors Socrate s’adresse à son interlocuteur et lui dit mais qu’est-ce qui se passe si on les déchaîne, si on essaye de les faire sortir de la caverne. Et bien évidemment ils vont résister. Je ne sais pas si vous avez déjà vu en septembre des enfants se précipiter à l’école en disant chouette je vais apprendre à lire. En général, ils préféreraient rester avec leurs Pokémon, leurs Playmobil, leur Lego, bref leurs ombres. Et donc il y a une force de résistance. On ne veut pas le savoir. Le savoir n’est pas quelque chose de naturel. On résiste au savoir ! Alors ils faut les emmener à petits pas , pas les emmener trop vite sinon on leur brûle les yeux. Si vous emmenez un élève de Terminale qui aime beaucoup les maths, si vous l’emmenez au Collège de France tout de suite, il va détester les maths. Donc il faut l’emmener à petits pas. Et puis par habitude il va progressivement s’habituer aux objets de la région supérieure. Et un jour il redescendra parce que quand il verra le soleil en dehors de la caverne il redescendra parce qu’il comprendra que le savoir n’a de valeur que s’il est partagé. Il essaiera de sortir les gens de la caverne.

Alors qui sont les gens qui sont derrière le petit mur. Ce sont ceux qui sont montés et qui ne sont pas redescendus. On les appelle les sophistes. C’est ceux qui jouent avec le savoir, c’est ceux qui ont la tentation du pouvoir. Toute la question des écoles c’est de savoir si on enseigne comme les sophistes, si on fait des marionnettes ou si on cherche à libérer par le savoir.

Les premières écoles existent, elles existent avant, il y a très très longtemps. Il existe 2 types d’école. Dans les temples, il y a des écoles où on fait de l’initiation, des secrets, des arcanes, des choses qu’on ne répète pas. Et puis il y a d’autres écoles. Ce sont les écoles pour les esclaves. Pour donner de la valeur à un esclave il faut lui donner un métier. Il faut lui apprendre des choses utiles. Et on va s’arranger pour qu’à l’école il ait un bagage, quelque chose à vendre.

Vous reconnaissez un peu des écoles qui sont encore aujourd’hui. Il y a encore le tentation de vouloir enseigner des secrets à quelques-uns et puis un bagage pour tous les autres.

Alors il y a une école qui m’intéresse, c’est l’école de Pythagore. Ils font des mathématiques et il y a 2 écoles. Il y a l’école pour les mathématiciens, ils apprennent à faire des maths dans le secret et puis il y a l’école des acousmaticiens, ceux qui écoutent et on leur apprend à utiliser les mathématiques, mais pas à faire des mathématiques. Et un jour les philosophes vont libérer les mathématiques pour livrer le grand secret et le grand secret c’est qu’il n’y a pas de secret, c’est que tout le monde peut faire des mathématiques.

Vous voyez le rapport avec l’informatique ? Alors si l’école doit être quelque chose, elle doit essayer de n’être ni l’école de l’initiation, ni l’école de l’apprentissage. Elle doit être au contraire l’école où on apprend à maîtriser les choses pour ne pas dominer les Hommes.

Je voulais partir de ça pour essayer de comprendre quelles sont les écoles qui vous accueillir de l’informatique demain ou peut être aujourd’hui. L’éternel problème de l’école, Platon le disait déjà, Bourdieu appelle ça la reproduction, c’est éviter que les âmes d’or s’imaginent que leurs enfants sont des âmes d’or et permettre aux enfants des âmes de bronze, qui seraient des âmes d’or, de pouvoir percer et servir par leur mérite, par leur valeur. Alors il y a toujours le problème depuis l’origine, il y a des paramètres qui permettent de réussir : le fric, le piston, la triche, il paraît que ça existe encore dans les écoles.

Je voulais revenir maintenant venir sur un principe que propose Alain, philosophe du début du 20ème siècle, pour dire que « l’enseignement doit être résolument retardataire », je vous lis la formule « non pas rétrograde, tout au contraire, rétrograde ça voudrait dire partir du présent pour aller en sens inverse vers le passé. Non ! Retardataire c’est partir du passé et s’acheminer à petits pas vers le présent pour savoir d’où on vient. C’est pour marcher dans le sens direct qu’il prend du recul. Prendre du recul pour aller loin et pour ensuite marcher. Pour apprendre l’histoire des sciences, pour apprendre l’histoire de la langue, pour apprendre d’où on vient et comment on a fait. Bien sûr on va le faire non pas en 25 siècles mais en quelques années. Car si l’on ne se place point dans le moment dépassé, comment le dépasser ? Ce serait une folle entreprise, même pour un homme dans toute la force de prendre les connaissances en leur état dernier. Il n’aurait point d’élan ni aucune espérance raisonnable. Au contraire celui qui accourt des anciens âges est comme lancé sur le mouvement juste. il sait vaincre : cette expérience fait les esprits rigoureux. »

Vous avez compris encore le rapport avec l’informatique. Si on apprend l’informatique telle qu’elle se fait aujourd’hui, si on apprend les usages de l’informatique d’aujourd’hui, on n’a rien compris. Il faut apprendre d’où ça vient, pourquoi ça a évolué comme ça, sinon et bien on sera piégé.

Alors à la fin de l’allégorie de la Caverne, Platon nous dit il y a une leçon à tirer de ça. Celui qui se souvient qu’on a les yeux brûlés par l’obscurité ou par la lumière, il se souvient qu’on peut être dérangé par soit l’entrée vers l’enseignement soit l’entrée vers le savoir lui-même. Et notre première manière de nous situer par rapport à quelqu’un qui a envie de nous apprendre quelque chose ou qui au contraire a quelque chose à apprendre de nous, c’est de rire de lui. C’est de chercher à ne pas enseigner. Alors ça tombe bien il y a des tas de choses qu’ils savent déjà ! Forcément ! Donc il n’y a rien à leur enseigner ! Et puis ça tombe bien ! Il n’ont pas envie d’apprendre, alors on les livre à la séduction. Et c’est vrai Socrate le disait déjà. Un médecin a perdu d’avance devant un tribunal d’enfants contre les confiseurs, contre les gens de la séduction qui vont leur donner des objets designés, packagés, de la marque, quelque chose qui a une valeur extérieure et qui les séduira.

Alors on nous rebat les oreilles avec la génération Y. Ces enfants qui auraient eu des cours d’informatique intra-utérins et qui sauraient tout déjà et qui n’auraient rien à apprendre et qui en savent plus que nous. J’ai commencé avec un ZX81 et je plains sincèrement ceux qui commencent avec un smartphone. Ils jouent avec, ils ont un clickodrome et avec des gigas de mémoire vive, ils en font moins que nous avec 1 kilo, j’avais même acheté 1 kilo supplémentaire pour faire plus de choses. La vrai génération Y c’est la nôtre, c’est la mienne, ce n’est pas celle d’aujourd’hui. Ce sont les gens qui ont vu naître l’informatique qui arrivait et qui quittait les gros ordinateurs, juste avant le verrouillage du PC, au moment où on échangeait du code, on apprenait, on apprenait de l’assembleur, on jouait avec.

Comment apprennent-ils ? Ils apprennent par imitation. Alors c’est très bien l’imitation, c’est très utile et à la différence du singe qui lui est beaucoup plus intelligent. Je vous raconte une petite histoire. Il y a une expérience qui a été faite récemment par une américaine, expérience magnifique. Elle va présenter à des jeunes singes une boîte et elle fait toutes sortes d’opérations, elle tire un tiroir, elle tourne la chevillette, elle fait des opérations bizarres et puis à la fin il y a un tiroir avec des bonbons. Elle présente ça à des singes. Ils refont, ils reproduisent tout, ils tirent le tiroir, ils prennent les bonbons. Elle met des jeunes enfants, ils font exactement la même chose. Et puis ensuite elle enlève le cache et on voit que la boîte est transparente et on voit que la plupart des opérations ne servent à rien. Il suffit d’appuyer sur un bouton et le tiroir sort. Le singe appuie sur le bouton tout de suite, il prend les bonbons et s’en va et l’enfant reproduit. Il imite. Aristote avait raison : l’homme est un animal imitateur. Et pourquoi il imite ? Parce qu’on ne sait jamais, il n’a peut être pas compris, il y a peut être quelque chose, il y a du sens quelque part. Il ne compte pas sur lui. Et donc si l’imitation est importante, il faut distinguer entre le modèle et l’exemple. Il y a des enfants qui ne peuvent dessiner que s’ils ont un modèle, c’est-à-dire ils ne savent pas dessiner. Et puis il y a ceux qui ont appris par l’exemple, qui ont compris le mouvement, qui ont compris comment on utilisait l’outil et qui vont se l’approprier. Et d’ailleurs on enseigne par l’exemple, on n’enseigne pas parce ce qu’on dit, on enseigne parce qu’on montre.

Alors est-ce que l’informatique est dans une situation spéciale face à la question de l’enseignement. Je vais partir d’une formule de Bernard Lang, très très éclairant, je dois beaucoup à mon ami Bernard Lang sur cette question, il n’est pas enseignant mais il a tout compris. « Comme beaucoup de disciplines scientifiques, l’informatique est à la fois une science, une technologie de l’utilisation de cette science et un ensemble d’outils qu’elle permet de réaliser. Trois pas deux ! Trois. La confusion entre ces trois aspects est une première source d’incompréhension et de désaccord. Cette confusion en particulier entre la science et la technologie.

Alors on nous dit qu’il n’y pas besoin d’apprendre comment fonctionne une voiture pour apprendre à conduire. Et je voudrais revenir sur cette analogie avec l’automobile pour essayer de répondre à la question : est-ce que c’est si inutile que ça de soulever le capot ? Et c’est vrai qu’on n’apprend pas la mécanique auto dans les écoles. Mais on apprend la physique. On apprend la science. On n’apprend pas la technologie. Et donc si on fait cette comparaison, on s’aperçoit qu’on n’a pas besoin de soulever le capot, mais on apprend aux enfants, à tous les enfants, pas simplement ceux qui seront garagistes, pas les esclaves garagistes, mais à tous ceux qui utiliseront des objets, on leur apprend un peu de mathématique, un peu de physique pour qu’ils puissent ne pas être piégés qu’ils puissant savoir que ce n’est pas le ventilateur qui a éteint les bougies, qu’ils puissent avoir une petite idée de ce qui se passe dans la machine, que ce n’est pas magique.

Alors il y a 3 fractures numériques. Il y a une fracture numérique qui est très grave qui est celle de la naïveté de ceux qui croient que c’est magique, ceux qui ne comprennent rien, ceux qui jouent avec leur smartphone. Et puis en face il y a ceux qui comprennent, qui ne savent peut-être pas comment on fait mais qui savent comment ça marche. Qui savent quels sont les enjeux qui sont derrière.

Après il y a une autre fracture qui est la fracture entre ceux qui savent utiliser mais qui ne font qu’utiliser et puis ceux qui maîtrisent, ceux qui fabriquent les logiciels, ceux qui fabriquent les applications. Ça c’est une autre fracture.

Et puis il y a une fracture sur l’accès : est-ce qu’on a juste la possibilité d’utiliser ou pas. Je me souviens au SMSI à Genève puis à Tunis on nous avait expliqué que le problème de l’accès c’est d’abord l’électricité dans le monde ; qu’avant d’avoir des ordinateurs et du réseau, il faut d’abord avoir de l’électricité. Alors ça calme tout le monde. Mais il n’y a pas besoin d’électricité pour, au tableau noir, expliquer ce que c’est que l’informatique.

Donc il y a trois savoirs, 3 savoirs différents : il y a une compréhension des processus qui touchent à l’information, comment on produit l’information, comment on la code, comment on la transporte, comment on la traite, comment on l’exploite, qui peut avoir intérêt à l’exploiter. Cette science de l’information on la confond souvent avec un savoir-faire dans le domaine de la programmation effective, alors qu’on peut très bien apprendre en pseudo code de l’algorithmique théorique avec une craie et un tableau noir. On peut expliquer ce que c’est qu’un compilateur, sans avoir de machine, sans avoir à programmer à instancier dans un langage précis ce qu’on a compris comme algorithme. Et de ce point de vue là, c’est des maths. On devrait se poser la question : mais pourquoi continue t-on à enseigner des maths à des gens qui ne vont pas les utiliser ? Ben évidemment c’est parce qu’on n’est pas dans une école de l’initiation où les mathématiciens font ça entre eux et on n’est pas non plus dans une école de l’apprentissage où l’école a pour but de donner un métier, un bagage utilisable. L’école ne sert évidemment pas à ça. D’ailleurs heureusement parce que sinon on n’enseignerait pas la philosophie qui ne sert à rien à part fabriquer des profs de philosophie ! Enfin il y a une troisième savoir, qui est le savoir-faire dans le domaine des usages, j’aimerais bien écrire zzusages avec 2 z, où on est devant un savoir faire qui change sans arrêt, où on est simplement dans l’adaptation du consommateur à l’offre.

On retrouve nos 3 écoles : l’école de la liberté, la science pour tous et là elle n’a pas besoin d’ordinateurs ; l’école des maîtres, la technologie pour quelques-uns et puis l’école des esclaves, les usages pour le plus grand nombre. Avec 3 finalités différentes. Dans le premier cas on est formé à comprendre les fins, les buts. On ne sait pas coder mais on peut décider ce qui mérite d’être codé, ce qui doit être codé, ce qu’il faudrait coder, ce qu’il faut utiliser, ce qu’il ne faut pas utiliser ; on peut décider.

Les autres savoirs ont des finalités différentes. Elles sont non pas au niveau des fins, elles sont au niveau des moyens. On va former des codeurs. Alors il y a des tas de gens qui vous disent il faut former des informaticiens pour exister dans la compétition internationale. Sans doute, mais ce n’est pas le plus urgent. Et puis former des consommateurs qui savent s’adapter à ce qu’il y a, à ce qu’on leur vend. Et là il y a du monde ! Il y a du monde pour conseiller les ministres, pour conseiller les gouvernements, pour conseiller les partis : vous comprenez bien, s’ils veulent faire des achats lucides, s’ils veulent choisir les bons produits, il faut les aider, il faut les initier tout de suite. Et d’ailleurs on vous organise des programmes quasiment gratuits, on vous fournit les machines. La première dose est gratuite !

Alors le problème c’est qu’on ne peut plus se contenter d’un tableau noir. On est passé autour de 2004 du siècle de l’automobile au siècle de l’information. 2004 les investissements dans l’informatique et les nouvelles technologies ont dépassé les investissements dans l’automobile. On a quitté le siècle de l’automobile pour entrer dans le siècle de l’information. Au passage 2004 c’est aussi la date où le nombre de téléphones portables embarqués sur des machines a dépassé le nombre de téléphones portables embarqués sur les êtres humains. C’est bon à savoir, vos imprimantes, vos machines à café sont pleines de mobiles, il y en a plus dans les machines que sur vous. Ça aussi il faut y réfléchir. Alors on a 3 manières de faire entrer l’informatique à l’école. Je vous le disais on n’a pas besoin de tableau numérique pour enseigner l’informatique elle-même pour enseigner la science. De la même façon on n’a pas besoin de machine à calculer pour enseigner les mathématiques. Évidemment ! On n’a pas besoin d’une machine à calculer pour savoir faire une division. Au contraire, surtout pas ! On peut aussi enseigner l’informatique comme technologie, apprendre à programmer, à gérer les réseaux et on peut aussi se contenter d’utiliser, apprendre l’utilisation dans les fameuses TICE. Seulement on n’a plus le choix ! On n’a plus le choix parce qu’arrive la vague de ce qu’on appelle le numérique, c’est-à-dire que tous les savoirs sont maintenant numérisés et que le tableau noir et bien il va falloir résister pour n’utiliser que le tableau et on va devoir utiliser le numérique, alors ça pose problème.

Déjà je m’arrête un instant, on a dépassé un fait de base. Il faut cesser d’opposer l’enseignement de la programmation d’une part et l’enseignement des usages, c’est important mais ça c’est l’école des maîtres et des esclaves. Ce qu’il faut enseigner, vite et à tous, c’est la science, pas la technologie ou l’usage. C’est en amont de la programmation, l’algorithmique. C’est, en amont de telle instanciation, du codage, du chiffrement, la théorie, quelque chose qui comme les maths n’ont besoin que d’une craie et d’un tableau noir.

Seulement le numérique arrive et on ne peut plus se contenter d’un tableau noir. Il paraît que le numérique est partout, que tous les supports de transmission de l’information et tous les supports d’information sont maintenant numérisés. Et donc ça pose un problème très particulier. Ça pose un problème particulier parce qu’il y a une interaction très forte entre les trois. Comme si on devait enseigner la physique dans une voiture, si je reprends l’analogie. On peut enseigner la physique avec un tableau noir, mais là dans le cas de l’informatique, il faut enseigner la physique dans une voiture. Autrement dit l’école est le lieu, l’enjeu d’un affrontement colossal entre ceux qui voudraient ceux qui voudraient qu’elle reste l’école de la liberté et ceux qui voudraient en faire autre chose, une école qui serait cliente captive d’un marché, des industries numériques pour l’éducation. Parce que la technologie elle englobe les usages et il faudrait qu’on enseigne la science dans cette espèce de gangue, dans cette espèce de caverne où on vous projette des ombres avec des matériels particuliers, avec des formats particuliers. Comment faire ? Comment essayer de rester honnête et faire correctement les choses. La caverne est revenue !

Alors je vais citer une deuxième fois Marx, il n’y a plus que les libéraux pour citer Marx aujourd’hui : « Les armes de la critique passent par la critique des armes. » C’est hors contexte, car c’était dans la Critique de la philosophie du droit de Hengel, ça n’a rien à voir mais la phrase est pratique.

On peut difficilement enseigner la liberté avec des outils qui cherchent à dominer. Ça va être compliqué d’utiliser des outils qui sont faits pour ne pas être partagés pour apprendre à des élèves à partager. Ça va être compliqué d’enseigner à des élèves comment il faut protéger ses données en utilisant des réseaux sociaux qui sont faits pour justement les capturer. Bref apprendre l’ouverture avec ce qui est fait pour fermer, c’est compliqué. Donc on est dans une impasse, dans une contradiction. Alors je vais prendre la formule de Bernard Lang. Il encourageait à réfléchir sur les risques potentiels de ces nouveaux modes de médiation dans l’appréhension de la connaissance. Le numérique devient la médiation pour apprendre la science qui est amont du numérique. On doit enseigner la physique dans la voiture. Et vous le savez quand le sage montre la lune, l’ignorant regarde le doigt. Il n’entend pas ce qu’on lui dit. Les enfants ne regardent pas ce qu’il y a sous l’ordinateur, ils regardent l’ordinateur. Ils ne regardent pas ce qu’ils ont à lire, ils regardent la manipulation, ils ne savent pas ce qu’il y a à regarder.

Alors je vais prendre quelques exemples taquins. Premier exemple taquin : on fait une exposition sur les OGM, on mange bio à la cantine, pardon, au restaurant scolaire, mais par contre on fait l’affiche de l’exposition sur Mac ou sous Windows. Cherchez l’erreur. Il y a un petit souci. Je disais à une syndicaliste, vous aurez du mal à faire la révolution avec Word. Elle n’a pas compris ! J’avais été invité à une université d’été d’Attac, c’était assez bizarre un libéral invité à Attac et là je leur avais dit « Je ne vais plus au MacDo mais vous êtes encore sous Windows ».

Deuxième exemple taquin, toujours à l’école. L’école est l’endroit où on dit le plus de mal de Wikipédia, il faut le savoir. Par contre on dit beaucoup de bien de Diderot, de l’Encyclopédie, du siècle des Lumières. Embêtant quand même, parce que moi je suis persuadé que Diderot adorerait Wikipédia. Mais il n’adorerait pas Wikipédia pour lire mais pour écrire dedans. Il ne s’agit pas d’apprendre aux enfants à se méfier de ce qu’on lit dans Wikipédia, il faut leur apprendre à écrire dans Wikipédia. Mais ça il faut du temps.

Troisième exemple taquin : le tableau numérique interactif ; ça c’est la catastrophe, l’absurdité totale. Avec une craie et un tableau noir, je suis à égalité avec un élève. Il va au tableau, il prend la craie ; la craie c’est du calcaire, c’est comme dans son jardin. L’ardoise, il y en a sur son toit. Il n’y a pas d’interface technologique qui le sépare du savoir. Avec le tableau numérique interactif, Pythagore est de retour ! Vous ne pourrez faire des mathématiques simples, poser une division, que si vous disposez d’une interface extrêmement compliquée, si vous avez du 220, si vous avez du réseau, sinon la division va être compliquée. J’ai le souvenir de professeurs de physique qui pour étudier la chute des corps prenaient une capture avec une caméra numérique de l’objet qui tombait, moulinait ça, détection de mouvement et ensuite tout ça apparaissait dans un tableur avec quelques lignes. Je leur avais expliqué qu’avec une feuille de papier de chocolat, une prise RS232, on arrivait à faire beaucoup plus précis, 400 000 fois par seconde, mais non ce n’était pas bien, il fallait du dispositif !

Alors il y a des alternatives. Il y a une alternative qui essaye d’exploiter les outils numériques mais de manière intelligente. Par exemple prenez un smartphone et vous le connectez à votre PC de classe, il projette ça avec un vidéo-projecteur et puis vous transportez le tableau numérique interactif, vous le posez sur la table de l’élève, il peut écrire, c’est le même que son smartphone, c’est l’ardoise et la craie. Il n’y a de TNI chez lui mais il a aussi peut être un smartphone et puis là tout le monde peut écrire dessus. Voilà.

On peut arriver à subvertir ces médiations pour trouver plus intelligent. Alors je vais revenir au logiciel libre. L’école a tout à apprendre de la culture des hackers. Il faut apprendre à travailler comme des hackers. Nietzsche a une formule magnifique il dit « Plutôt périr que travailler sans joie ». On peut vouloir travailler comme un maître ou travailler comme un esclave. On peut aussi faire de sa vie quelque chose de plus joyeux, aimer son travail. On peut apprendre à aimer son travail à l’école. On peut apprendre à exister par la valeur de ce qu’on fait, par la valeur de ce qu’on montre, par l’image qu’on a, et pour ça, et bien le logiciel libre pourrait nous aider pour refonder l’école, pour apprendre à collaborer, pour apprendre à partager, pour apprendre à bricoler, produire ses propres outils, se former, se former sans cesse, être en veille permanente.

Toutes ces qualités qui sont celles des hackers ce sont celles qu’on attend d’un élève. Et donc il y a bien des rapports entre l’école les outils, les contenus. Mais pas simplement sur l’utilisation du logiciel libre. Puisque le numérique est partout, il n’y a vraiment plus que 2 écoles possibles : soit l’école programmée, c’est pour ça que j’avais sous-titré cette conférence « Programmer ou être programmé », c’est la devise des hackers. Soit l’école programmée. Le numérique sera partout dans le système éducatif, il sera désormais impossible de réguler quoi que ce soit, l’école sera un client captif. Les outils, les contenus seront produits par une sorte d’industrie numérique qui sera complètement extérieure à l’école et qui va lui dicter sa loi, qui va la transformer en autre chose.

Soit l’école de la liberté. Mais pour ça il faudra utiliser une technologie et des usages qui permettent d’enseigner la science de l’informatique. Autrement dit, la question n’est pas d’utiliser le logiciel libre, ce n’est pas la question. On ne peut utiliser que ce qui existe, ce n’est déjà pas beaucoup. Il s’agit de développer les logiciels libres dont a besoin l’école. Il s’agit de produire des contenus, partagés, qui pourraient être produits par des enseignants, ils sont quand même mieux placés que d’autres pour les produire, mais de manière collaborative pour libérer l’école de cette menace de l’industrie numérique éducative. Au passage, l’argent public pourrait être mieux utilisé qu’en achetant des produits qui en général sont faits par les mêmes enseignants mais avec une autre casquette.

Alors je reviens à Marx. Au 19ème siècle, il avait posé une bonne question : « À qui appartiennent les moyens de production ? » Et bien les moyens de production des contenus et des outils de l’école doivent appartenir à l’école. Donc la question du logiciel libre n’est pas une petite question, c’est la question même de l’école. Et la question n’est pas à l’utilisation. C’est de se mettre à l’école de ce mode de production, pour produire les savoirs, les contenus, pour rendre possible une éducation, une instruction des élèves qui leur permette d’accéder à la liberté, non par la technologie ou par les usages, mais par la science.

Je vous remercie.

Notes

[1] François Elie sur le Framabog.

[2] URL d’origine de la transcription avec les questions réponses en bonus.




Sensibilisation ou propagande ? Quand Hadopi souhaite s’incruster dans nos écoles

On nous a fait parvenir cette lettre d’un responsable d’Hadopi qui ne perd pas de temps et souhaite s’inviter dans l’Éducation nationale en animant des ateliers de « sensibilisation » en direction des professeurs et des élèves. Pour ce faire (et c’est malin), on contacte les personnes en charge de la vie lycéenne dans les rectorats.

Nous nous sommes dits que cela pouvait vous intéresser…

N’hésitez pas à manifester votre approbation ou réprobation dans les commentaires 😉

Jayneandd - CC by

Lettre d’Hadopi

Madame la déléguée,

Hier, mercredi 5 juin, l’Assemblée nationale a adopté définitivement le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

Ce texte est porteur d’un formidable élan pour le numérique à l’école.

Il modifie notamment la rédaction de l’article L. 312-9 du code de l’éducation qui prévoit désormais que la formation à l’utilisation des outils et des ressources numériques « comporte une sensibilisation aux droits et aux devoirs liés à l’usage de l’internet et des réseaux, dont la protection de la vie privée et le respect de la propriété intellectuelle ».

Il précise également que la prise en compte du numérique sera inscrite dans les plans académiques et nationaux de formation des enseignants et des corps d’inspection et d’encadrement.

Dans ce contexte, l’Hadopi souhaite contribuer à l’information et à la sensibilisation de la communauté éducative et des élèves au droit d’auteur et à la création artistique.

Aussi, nous vous proposons d’animer au sein de votre académie un atelier de sensibilisation à l’attention des enseignants, référents TICE, documentalistes et personnel d’encadrement. Ces ateliers sont composés de différents modules pédagogiques qui visent à apporter à la communauté éducative un éclairage clair et précis sur des enjeux relatifs au droit d’auteur, à la création artistique et aux usages responsables sur Internet mais aussi à répondre à des questions concrètes auxquelles les enseignants sont confrontés dans le cadre de leurs enseignements. Si ce projet vous paraît utile, nous vous proposerons de choisir parmi les 10 modules que nous proposons ceux qui paraissent le plus adaptés aux besoins dans votre académie.

Par ailleurs, nous vous proposons également d’animer un atelier d’information destiné aux élèves de collège / lycée, avec la possibilité éventuelle d’inviter un artiste à présenter son métier et la chaîne de création artistique.

Je me tiens à votre entière disposition pour vous apporter tout renseignement complémentaire et vous prie, Madame la déléguée, d’agréer l’expression de mes salutations distinguées.

XXX

Hadopi
4 rue du Texel
75014 Paris

Crédit photo : Jayneandd (Creative Commons By)




L’art de vivre de Richard Stallman

Goûts musicaux, culinaires, vestimentaires, etc. vous saurez tout (ou presque) sur Richard Stallman !

En récente conférence à l’Ubuntu Party de Paris, je cherchais un article simple et léger à faire faire à Internet pour illustrer la traduction collaborative sur Framapad. Je me suis souvenu de ce lifestyle de Richard Stallman qui intéressera peut-être ceux que le personnage interpelle ou fascine au delà de son action directe en faveur du logiciel libre.

Le passage sur le port (ou pas) de la cravate est particulièrement savoureux 😉

Preliminares - CC by-sa

Le mode de vie de RMS

RMS lifestyle

Richard Stallman – dernière version 2013 – Site personnel
(Traduction : goofy, P3ter, yanc0, Garburst, Cyb, kaelsitoo, yostral, Asta, VIfArgent, yostral, tcit, Chuckman, Jim, Framartin)

Je n’ai pas de préférence particulière pour ceci ou pour cela.

Je n’ai pas de nourriture favorite, de livre favori, de chanson favorite, de blague favorite, de fleur favorite ou de papillon favori. Mes goûts ne fonctionnent pas de cette manière.

En général, dans les domaines des arts ou des sensations, les choses peuvent être bonnes de trente-six manières et elles ne peuvent être comparées ni classées. Je ne peux juger si je préfère le chocolat ou les nouilles, car je les aime différemment. Ainsi, je ne peux pas déterminer quel est mon aliment préféré.

Domicile

Jusqu’en 1998 environ, mon bureau au MIT était aussi mon lieu de résidence. C’était même mon adresse officielle pour voter. Aujourd’hui ma résidence est à Cambridge, pas loin du MIT. Cependant, j’y suis rarement étant donné que je voyage beaucoup.

Musique

  • Parmi les genres musicaux que j’apprécie on trouve la musique folk espagnole (mais pas le Flamenco), la musique folk lettone, le fiddling folk suédois, la musique traditionnelle marocaine, la musique de danse des Balkans, la musique de danse folklorique turque, la musique classique turque, la musique arménienne classique, la musique chorale géorgienne, la musique classique indienne (j’ai tendance à préférer la carnatique à l’hindoustani), la musique orchestrale javanaise et balinaise, la musique traditionnelle vietnamienne, la musique de cour japonaise (Gagaku), la musique de danse folklorique japonaise (Minyo), la musique folklorique des Andes (sauf quand les paroles sont en espagnol et d’inspiration romantique), et la musique traditionnelle folk américaine quand elle est vivante.
  • J’aime les arts musicaux européens, mais j’ai moins d’attrait pour eux que je n’en ai eu il y a quelques décennies.
  • J’aime la musique polyphonique des époques médiévales. Surtout à partir de 1200, avec le hoquet. Toutefois, le chant grégorien a une complexité suffisante pour m’impliquer.
  • Je n’apprécie pas tellement le jazz, peut-être parce que je n’en connais pas assez à son sujet. Cependant, j’aime quelques fusions qui incluent le jazz. Par exemple, la musique de mariage bulgare (une fusion de la musique folk jazz et bulgare) et le jazz latino.
  • J’aime certaines œuvres avant-gardistes — par exemple, le pianiste Conlon Nancarrow.
  • Si quelque chose est populaire aux États-Unis, je le trouve la plupart du temps ennuyeux, mais il y a de temps à autres des exceptions. J’ai aimé la majeure partie de ce que j’écoutais à la radio avant les Beatles. Aux alentours de 1980, il y a eu une autre époque à laquelle j’ai entendu sur les radios des autres une quantité importante de musique que j’aimais.
  • Je déteste particulièrement la musique country. Je n’aime pas non plus le rock « dur », ou les ballades romantiques lentes. Le « heavy metal » est trop « dur » à mes oreilles ; de toute manière le son dans un gamelan de bronze est bien plus grave.
  • Quand un style de musique étranger commence à devenir populaire aux États-Unis, cela prend souvent une tournure que je n’approuve pas. Par exemple, j’aime la musique de danses folkloriques bulgares mais j’en ai assez des chœurs féminins qui sont devenus un hit aux USA dans les années 80. À cette époque, la musique de Youssou N’Dour était intéressante, mais quand il a commencé à faire des disques en visant les goûts américains et européens, l’étincelle s’est éteinte.

Nourriture

  • Je suis un omnivore : je vais tester presque n’importe quoi si cela ne me dégoûte pas.
  • Je refuse de manger les animaux les plus intelligents, comme les singes, les cétacés et les perroquets.
  • Une fois, à Taiwan, j’ai mangé des insectes, surtout des larves d’abeilles et des criquets. J’ai aimé les larves d’abeilles, et j’espère avoir l’occasion d’en manger à nouveau. Lors d’une autre visite à Taiwan, j’ai mangé du serpent (deux sortes de serpent, selon deux préparations différentes). J’ai bien aimé, mais pas énormément non plus.
  • Le thon cuit a un goût horrible. C’est une énorme perte de cuire le thon !
  • Je refuse de manger des ailerons de requin, parce que la pêche pour les ailerons décime les requins. Pour des raisons semblables, j’ai à présent des doutes sur les sushis de thon (bien que j’aime ça).
  • Je soutiens le boycott total de Coca Cola Company, en réponse au meurtre des délégués syndicaux en Colombie et au Guatemala. Je n’utiliserai aucun des produits de cette société et j’espère que vous les rejetterez aussi.
  • « Petit déjeuner » ? Est-ce cette chose que les gens mangent le « matin » ?

Religion

  • Je suis athée, pour des raisons scientifiques. La théorie de la religion sur le monde naturel (« c’est cette voie parce que Dieu l’a décidé ainsi ») n’explique rien du tout, elle remplace une question par une autre.
  • J’ai aussi rejeté l’idée que l’opinion de Dieu nous donnerait une ligne de conduite morale. Un dieu qui permettrait qu’autant de souffrances arrivent — la plupart n’étant pas le résultat du libre arbitre de quelqu’un — n’est certainement pas utile en tant que guide. Il aurait tout autant le droit à une opinion que vous ou moi mais son opinion n’aurait pas de droit à un quelconque respect supplémentaire.
  • La religion n’offre pas de raccourci moral. C’est à nous de juger ce qui est bon et ce qui est mauvais.

Vêtements

  • Toutes mes chemises ne sont pas rouges ou mauves, bien que beaucoup le soient. J’aime ces couleurs.
  • Aucune de mes chemises ne porte de messages (tels que des mots, ou des symboles). Cette pratique me semble manquer de dignité, c’est pourquoi je ne porte pas de vêtements ornés de symboles, même pour des causes que je soutiens. Ce n’est pas un refus basé sur des raisons éthiques, donc cela ne me dérange pas de vendre des casquettes et des t-shirts portant des slogans pro-logiciels libres au nom de la FSF mais je refuse d’en porter moi-même.
  • Par principe, je refuse de posséder une cravate.

Je trouve les cravates inconfortables, donc je n’en porte pas. Si les cravates étaient simplement une option vestimentaire, je refuserais simplement de les utiliser mais il n’y aurait aucune raison de faire tout un tapage à ce sujet. Cependant, il y a une pression sociale absurde sur les hommes pour qu’ils portent des cravates. Ils le font dans le but d’aspirer à devenir le patron.

Lorsque je travaillais au MIT, j’étais choqué que les diplômés du MIT, des gens qui auraient pu imposer eux-mêmes leurs conditions pour avoir un emploi, se sentaient obligés de porter des cravates à des entretiens d’embauche, même pour des entreprises qui (ils le savaient) avaient le bon sens de ne pas leur demander de porter des cravates au travail.

Je pense que la cravate signifie: « Je serai un employé tellement servile que je suis prêt à faire des trucs complètements stupides juste parce que vous me dites de les faire. » Se rendre à un entretien d’embauche sans cravate est une façon de dire que vous ne voulez pas travailler pour quelqu’un qui cherche des employés serviles.

Les gens qui portent des cravates dans ces circonstances sont des victimes-complices : chaque personne qui craque sous la pression et porte une cravate augmente la pression sur les autres. C’est un concept central pour comprendre d’autres formes de propagations de cochonneries, comme les logiciels propriétaires ou Facebook. En fait, c’est grâce aux cravates que j’ai d’abord compris ce phénomène.

Je ne condamne pas les victimes-complices, puisque ce sont d’abord des victimes avant d’être des complices. Mais je crois que je ne dois pas être l’un d’eux. J’espère que mon refus de porter une cravate rendra la chose plus aisée à refuser pour d’autres.

La première fois que j’ai visité la Croatie, il y avait dans ce pays une grande campagne de publicité basée sur l’origine de la cravate (« Cravate » et « Croatie » sont de la même famille). Vous pouvez imaginer mon dégoût pour cette pub — et donc j’ai appelé ce pays « Cravatland » pendant un moment.

La tenue correcte exigée par la Free Software Foundation nécessite une casquette à hélice, tout le reste est optionnel. Quand bien même nous n’appliquons pas cette règle.

« Cartes de fidélité »

Je refuse d’avoir des cartes de fidélité personnelles car elles sont une forme de surveillance. Je préfère payer un peu plus pour ma vie privée et résister à un système abusif. Allez voir sur nocards.org pour plus d’informations à ce sujet.

Cependant, ça ne me dérange pas d’utiliser la carte ou le numéro de quelqu’un d’autre de temps en temps pour faire des économies. Ça ne me surveille pas moi.

J’utilise les cartes Grand Voyageur des compagnies aériennes puisque de toute façon elles demandent à connaître mon identité. Cependant, je n’achèterai rien d’autre avec cette carte pour obtenir des miles, parce que je préfère payer comptant et rester anonyme.

Téléphones Portables

Je refuse d’avoir un téléphone portable car ce sont des dispositifs de localisation et de surveillance. Ils permettent au système du téléphone d’enregistrer les déplacements de l’utilisateur, et beaucoup (peut-être tous) peuvent être convertis à distance en dispositifs d’écoute.

En outre, la plupart d’entre eux sont des ordinateurs avec des logiciels non libres installés. Même s’ils ne permettent pas à l’utilisateur de remplacer le logiciel, quelqu’un d’autre peut le remplacer à distance. Dès lors que le logiciel peut être modifié, nous ne pouvons pas le considérer comme équivalent à un circuit. Une machine qui autorise l’installation de logiciels est un ordinateur, et les ordinateurs devraient tourner avec des logiciels libres.

Quand j’ai besoin d’appeler quelqu’un, je demande à une personne à proximité de me laisser passer un appel.

Vacances

La plupart du temps je ne m’occupe pas des vacances, sauf Grav-mass (NdT : L’anniversaire de Newton, le 25 décembre, i.e. Noël). Elles n’ont pas d’effet direct sur moi, étant donné que je travaille lorsque je le décide (c’est-à-dire la plupart du temps) et fais autre chose lorsque je le désire.

Si j’avais une famille, et que les vacances étaient une occasion particulière pour pratiquer une activité de loisir lorsque les autres n’ont pas à aller au travail ou à l’école, cela serait une raison rationnelle de s’y intéresser. Toutefois, j’ai décidé de ne pas avoir de famille, et je n’ai pas besoin d’attendre des vacances pour voir mes amis.

La plupart des fêtes sont devenues des événements commerciaux : les relations publiques des grandes compagnies ont inculqué aux gens qu’acheter des trucs pour leurs amis et leur famille était « la chose à faire » ces jours-là, qu’il s’agissait de la plus sincère expression d’amour. Je n’aime pas me sentir obligé d’offrir un cadeau pour un événement sans valeur, et je ne veux pas recevoir de cadeaux dans ces circonstances non plus ; ainsi, je m’abstiens.

Trains

J’aime les trains, et je préfère prendre le train pour plusieurs heures que prendre l’avion.

Toutefois, je refuse catégoriquement de prendre les trains Amtrak car ils vérifient les identités des passagers (parfois, pas toujours). Rejoignez-moi dans le boycott d’Amtrak jusqu’à ce qu’ils arrêtent d’exiger l’identification.

Apprentissage de langues

Dans un premier temps, j’utilise un manuel pour apprendre à lire la langue et des enregistrements audio pour m’initier à la prononciation des mots. Une fois le manuel terminé, je commence à lire des romans pour enfants (pour les 7-10 ans) avec un dictionnaire. Je passe ensuite aux livres pour adolescents quand je connais assez de mots pour que la lecture soit assez rapide.

Lorsque mon vocabulaire est suffisamment développé, je commence aussi à utiliser la langue dans les emails que j’échange avec des natifs.

Je n’essaie pas vraiment de parler une langue tant que que je ne connais pas suffisament de mots pour dire les choses complexes que j’ai, d’ordinaire, envie de dire. Les phrases simples sont à peu près aussi rares dans mes discours que dans cet article. En plus, je dois connaître la façon de demander comment dire telle ou telle chose, ce que signifie tel ou tel mot, comment différencier le sens de certains mots, et comment comprendre les réponses. J’ai commencé à parler français lors de ma première visite en France. Je décidai, lors de mon arrivée à l’aéroport que je ne parlerai que français pendant les six semaines de mon séjour. Ce fut frustrant pour mes collègues dont l’anglais était bien meilleur que mon français. Mais cela m’a permis d’apprendre.

J’ai décidé d’apprendre l’espagnol quand j’ai vu une page dans cette langue et me suis rendu compte que je pouvais en lire une grand partie (étant donné mon niveau de français et d’anglais). J’ai suivi l’approche décrite ci-dessus et j’ai commencé à parler espagnol lors d’une visite à Mexico quelques années plus tard.

Quant à l’indonésien, je n’ai pas assez de vocabulaire pour parler tout le temps cette langue quand je suis en Indonésie, mais j’essaie de le faire autant que je peux.

Éviter l’ennui

J’ai horreur de m’ennuyer, et comme j’aime accomplir beaucoup de choses, je n’aime pas perdre mon temps. Ainsi, j’ai toujours avec moi un ordinateur et un livre. Lorsque je dois attendre quelques minutes et que je peux m’asseoir, je travaille. Lorsque je dois rester debout, ou n’ai pas assez de temps pour accomplir quelque chose de significatif sur l’ordinateur, je lis.

Lorsque j’attends mes bagages à l’aéroport, je fais toujours une de ces deux choses. Et je vois les gens autour de moi, inquiets et passifs. Quel gâchis.

Crédit photo : Preliminares (Creative Commons By-Sa)