Boris, ébéniste libre

La culture libre, ce n’est pas que du logiciel, de la musique et des bouquins !

Boris nous parle d’ébénisterie libre, et rien que de voir ses vidéos ça donne envie de s’y mettre.

 


Qui es-tu ? D’où viens-tu ?
Je suis Boris Beaulant, un garçon qui a grandi en bricolant avec les outils de papa, un jeune ingénieur diplômé qui a passé dix années dans l’univers de la programmation et y a découvert le philosophie du logiciel libre. Et maintenant, un homme qui a eu envie de bifurquer en se reconvertissant pour devenir ébéniste.
Je crois pouvoir dire que mon parcours scolaire m’a appris à apprendre. Pour le reste, c’est donc en autodidacte que je me suis formé. Autant devant un ordinateur que devant un établi.

Quel est ton projet actuel ? En quoi consiste-t-il, exactement ?
Mon projet (enfin, le projet qui nous occupe ici) est grandement lié à mon parcours, à la manière dont j’ai appris les choses et à la philosophie qui était derrière. Ce projet, c’est L’Air du Bois. L’Air du Bois c’est un site web, mais pas que. Lancé en février 2013, L’Air du Bois est une plate-forme qui permet à chacun de partager ses connaissances autour du travail du bois et de venir en puiser d’autres. L’Air du Bois, c’est donc une communauté réunie autour d’un outil et d’une philosophie.
Cette philosophie maîtresse qui a guidé le développement du site est de permettre à chacun de contribuer simplement et à son niveau à un tout plus grand. Ce tout restant libre et gratuit.
Rien de complètement neuf. C’est finalement un mode d’échange qui existe naturellement chez l’homme. Là où pour moi l’outil avait tout son intérêt, c’est qu’il devait savoir réunir, classer, organiser, présenter… bref faire tout ce qui peut être rébarbatif pour les contributeurs et visiteurs.

Est-ce que ta démarche correspond à ce que les anglo-saxons appellent open-hardware ?
Je ne connaissais pas le terme open-hardware. À la lecture de la définition sur Wikipédia, je pense qu’il y a des similitudes dans la démarche.

Où veux tu aller ? Comment ? Avec qui et pourquoi ?
Ce qu’il faut voir, c’est qu’un tel projet peut aller très loin en terme de profondeur de contenu. Mon ambition, c’est qu’il puisse être une véritable boîte à outils de l’amoureux du travail du bois. Autant catalogue d’idées et de savoirs qu’annuaire de bonnes adresses. Bref, répondre au mieux aux questions qu’on peut se poser quand on travaille le bois.
Excepté pour des questions d’éthique, il n’y a pas de super contrôleur de contenu (modérateur) sur L’Air du Bois. Ce que j’aime à penser, c’est que ce type de plate-forme peut s’autogérer si elle a été pensée pour. Et c’est bien là qu’est la force du « qui ».
Par ailleurs, je ne vois pas L’Air du Bois comme un outil qui se contenterait d’exister seul. Je ne l’imagine pas sans chercher à collaborer avec les autres moyens d’échanger (forums, réseaux sociaux, wiki, etc.).

Le libre et la licence libre — pour toi, qu’est-ce que c’est ?
La notion du libre est assez large à mes yeux. D’autant qu’elle peut s’appliquer sur une multitude de domaines. Mais une chose reste générale pour moi, c’est la volonté d’échange et de mise en commun hors du système monétaire. Ce que A fait peut être complété par B pour servir à C. Et cet ensemble est mouvant. Chacun peut à son tour être soit contributeur, soit utilisateur.

Comment penses-tu l’inclure dans ton projet ou t’inclure dans le projet du libre ?
Sur L’Air du Bois, il y a plusieurs niveaux de partage. On y partage des projets concrets, des idées, des méthodes, du savoir. Chaque niveau peut avoir ses nuances. Mais d’une façon générale, les contributeurs auront le choix de partager suivant les diverses variantes de la licence Creative Commons. Et le panel est resté complet, parce que, à mes yeux, la philosophie du libre c’est aussi avoir le choix.

Nous, les libristes de l’informatique, on écume les salons et les conventions avec notre PC sous le bras. Est-ce que tu montres tes machines à bois ? Est-ce qu’on peut te rencontrer en vrai ?

Bien sûr, qu’on peut se rencontrer en vrai ! Et ça me ferait grand plaisir de montrer mes machines et mon atelier. Ma porte est grande ouverte.
Si tu as la curiosité de voir mon boulot tout de suite, je t’invite à jeter un coup d’œil sur mes vidéos.

Le Zélo - vélo couché en bois par Boris sur L'Air du Bois
Le Zélo – vélo couché en bois – photo Boris Beaulant – licence CC-BY-NC-SA

Comment est-ce qu’on peut t’aider à faire avancer ton projet ?
En en parlant, c’est déjà un gros coup de main. Après, pour aller plus loin, je me dis que l’Air du Bois ne doit pas rester comme un truc à part. Ça doit pouvoir s’intégrer dans une mouvement plus large. Et dans ce sens, je recherche des « partenaires » qui pourraient à la fois être utilisateurs et contributeurs (de contenu) de cet outil. Je pense aux FabLab, aux ateliers associatifs, etc.

Le message est passé !
http://www.lairdubois.fr/

logo l’air du boisMerci à Raymond Rochedieu, le doyen du groupe Framabook, d’avoir mené cet entretien.




Hypra : la révolution par l’humain

En s’inspirant des problèmes d’accès à l’informatique des personnes déficientes visuelles, Jean-Philippe et Corentin, les fondateurs d’Hypra (dont plusieurs membres sont aveugles ou mal voyants) ont conçu un modèle qui personnalise l’accompagnement de l’utilisateur.

Leur « Système à Accès Universel » facilite la migration vers le logiciel libre, y compris pour le grand public.

Bonjour ! Alors, dites-nous : comment utiliser un ordinateur quand on ne voit pas ?

Deux possibilités, soit je suis complètement aveugle (environ 100 000 personnes en France) et je recours à un transcripteur braille que je connecte à mon ordinateur (mais une minorité des aveugles lisent le braille), soit j’utilise un retour vocal.

Si je suis malvoyant, je vais utiliser un certain nombre de fonctionnalités d’assistance visuelle : le zoom, l’inversion des contrastes, un localisateur de curseur, de souris etc.

Dans bien des cas, le retour vocal et l’assistance visuelle se complètent utilement et permettent à la personne déficiente visuelle de gagner en confort d’utilisation, de limiter sa fatigue, voire tout simplement d’accéder à l’information.

Notre innovation tient d’abord à cela. Pour la première fois, Hypra fournit un système d’exploitation à ses utilisateurs qui leur assure cette complémentarité. Et là où JAWS, le retour vocal historique, coûte 1 500 euros (pris en charge sur les fonds publics), et où ZoomText, la solution leader sur la malvoyance, coûte 600 euros, notre couplage de solution est lui gratuit.

Conclusion, les personnes peuvent concentrer leurs moyens sur le nerf de la guerre, c’est à dire la maîtrise de leur outil à des fins d’autonomie et de productivité à long terme.

J’ai croisé des cannes blanches électroniques, des téléphones à synthèse vocale… Est-ce que l’autonomie passe forcément par la technologie ?

La technologie est une condition nécessaire mais non suffisante.

Dans notre vision, le vrai facteur critique d’émancipation, c’est le service à la personne.

Quand on parle de service à la personne chez Hypra, c’est un tout.

L’étape n°1, c’est la personnalisation du système. Nous avons choisi les composants logiciels les plus souples au monde, ils sont donc conçus, dès l’achat, pour s’adapter aux envies et aux besoins de chacun. Exemple : la taille et le type de police, la barre des menus sur le bureau, mais cela concerne aussi les raccourcis clavier dont la maîtrise est essentielle pour l’autonomie et idéale pour plus d’efficacité. Là où Windows et Mac proposent du standard auquel tout le monde doit s’adapter nous disons : « non, le système doit ressembler à la personne qui l’achète. » C’est à la technologie de s’adapter à l’Homme et non l’inverse. Nous installons, en outre, les logiciels que la personne souhaite à partir d’une étude rigoureuse de ses besoins. C’est donc du sur-mesure.

Encore faut-il apprendre à l’utiliser…

Jean-Philippe en conférence – CC BY SA – photo Hypra

Justement. Aujourd’hui, Windows ou Mac mettent un ordinateur dans les mains des gens en leur disant « débrouillez-vous », vous verrez, c’est intuitif, le grand mot à la mode. Oui, enfin, intuitif, plus on passe de temps avec les gens, déficients visuels ou pas, plus on se rend compte en fait qu’ils ne maîtrisent pas leurs outils. Personne ne leur a expliqué la base, comment se repérer, comment avoir les bons réflexes, comment faire évoluer leurs outils. Conclusion, c’est l’esprit de débrouille qui règne, qui est très loin de garantir ni un confort optimal d’utilisation, ni une utilisation des pleines potentialités de l’informatique en général. Les problématiques d’autonomie et de productivité sont certes plus critiques pour les déficients visuels, vu la place fondamentale du numérique pour eux, mais elles concernent le reste de la population au sens large.

L’étape d’après, c’est l’accompagnement sur la longue durée. Windows, Mac et une partie écrasante des éditeurs de logiciels vous fournissent les logiciels et vous livrent à vous-mêmes pour les mises à jour, les différents problèmes d’utilisation que vous pouvez rencontrer. Exemple : les mises à jour sur Mac OS. Non seulement les gens sont obligés de mettre à jour sous peine d’obsolescence programmée, mais nul ne leur explique comment faire. Il y a bien une option : repasser à la caisse dans des magasins tiers tout en se faisant déposséder de son ordinateur pendant une durée indéterminée avec le risque de perdre ses données. Chez Hypra, nous disons que cela est inacceptable. Le service à la personne doit être global, continu, intégré, proactif. Nos mises à jour, aussi parce qu’elles sont moins fréquentes que la frénésie de nos concurrents, sont anticipées. Nous dialoguons de personne à personne avec nos utilisateurs, nous leur expliquons, nous leur proposons les choses, nous les conseillons en leur exposant différentes options et en leur permettant de choisir de manière éclairée. Nous nous élevons contre le forçage inacceptable de Mac ou Windows ou d’autres logiciels qui consiste à dire : mettez à jour sous peine d’obsolescence !

Le cœur de notre métier, notre passion, c’est la personne humaine. Cela irrigue tout notre travail.

Comment rentabiliser un modèle aussi exigeant ?

En étant transparent, clair sur ses intentions, et sûr de ses forces comme de ses faiblesses, et surtout en étant pédagogue. Nous expliquons à nos utilisateurs ce pourquoi ils payent.

Capture d’écran avec loupe

Nos utilisateurs payent pour du service, c’est à dire justement la personnalisation de l’accompagnement. Au global, cela leur revient le prix qu’ils payeraient pour un simple ordinateur Mac ou Windows sur deux ou trois ans, c’est à dire 1 500 à 1 600 euros. Mais plutôt que de les payer sans visibilité sur deux, trois ans, ils payent d’une traite avec la garantie de ne plus avoir à subir de coûts cachés liés aux problèmes de mise à jour, de sécurité, mais aussi de matériel. Nous sommes en effet en train de ficeler un solide accord-cadre avec plusieurs constructeurs de manière à offrir un S.A.V. irréprochable et global (logiciel et matériel).

Nous fournissons donc un package clé en main payé d’un bloc qui leur permet justement de de prémunir contre de nouvelles dépenses imprévues qui ont également pour conséquence de rendre leur ordinateur indisponible pendant une durée indéterminée. Bien sûr, pour celles et ceux qui aiment la débrouillardise et qui ont du temps à y consacrer, il est possible de se passer de formation et d’accompagnement sur la durée, et le prix est alors ramené entre 800 à 1 000 euros. Nous ne le conseillons qu’aux utilisateurs très avancés.

Ce que nous proposons, nous, en définitive, c’est une continuité de service qui garantit de trouver un interlocuteur et un dialogue de qualité, une exigence de performance et de délais lorsqu’un problème quelconque se présente. Cela permet d’économiser sur l’autre grand coût caché de l’informatique : le temps. Aujourd’hui, le monde va vite, les gens sont très occupés, et l’informatique ne les intéresse parfois pas du tout. Il faut donc qu’ils y passent le minimum de temps possible en y consacrant le temps et le prix nécessaires à l’achat, de manière à être tranquille par la suite. C’est pour nous un défi de tous les jours : faire penser le long terme à nos utilisateurs. C’est une tâche difficile, harassante, mais très stimulante.

Vous insistez plusieurs fois sur le côté « on paie une fois et on est tranquille ». C’est tout de même une start-up qui dit ça ! Comment les utilisateurs peuvent-ils être sûrs de bénéficier d’un suivi sur le long terme ?

Parce qu’on fait du logiciel libre. Tout ce qu’on fait est reversé à la communauté. Du coup, sur le long terme, notre esprit et nos développements demeureront accessibles à tous, surtout qu’on les intègre dans Debian.

De plus, comme on ne ferme rien de nos développements, la seule chose qui nous fait vivre, c’est le service. Du coup, pour vivre, on n’a pas le choix que de maintenir le capital confiance et d’être irréprochables.
C’est, à mon sens, une garantie pour nos clients. Si on rompt notre pacte de confiance avec le public ou les communautés du libre, notre modèle économique est menacé. C’est pour ça que Hypra a un côté ultra démocratique.

Quelle est la place du logiciel libre dans l’offre d’Hypra ?

Elle est capitale. C’est parce que notre modèle repose sur une solidarité internationale des concepteurs de logiciels que nous pouvons nous concentrer sur le service à la personne et ne pas faire payer les logiciels. Nous nous engageons, par ailleurs, lorsque notre modèle sera arrivé à maturité, à attribuer une partie de nos gains à cette communauté internationale de gens bénévoles qui nous permettent d’exister aujourd’hui.

C’est donc du 100% ?

Notre engagement éthique en ce domaine est clair : nous ne recourons à des logiciels propriétaires que lorsque aucun autre choix non-handicapant pour l’utilisateur n’est possible. Nous l’avons fait pour le retour vocal, nous allons le faire pour un logiciel qui permet aux aveugles de lire leur courrier papier (via la reconnaissance optique de caractères). Seuls des logiciels propriétaires pouvaient assurer une performance suffisante. Nous avons déjà en tête de proposer dans le futur la même performance mais sous la forme de logiciels libres dont nous aurions coordonné le développement.

La plupart de nos lecteurs comprennent bien l’importance du Libre pour des valides. C’est pareil pour les handicapés, j’imagine ?

Dessin Gknd - Le geek dit C’est pas parce qu’on a une mauvaise vue qu’il ne faut pas aller sur Internet. Le smiley ajoute Ouais! Ce serait dommage de rater les trolls les imbéciles et les salauds.

 

Je dirais que c’est l’inverse. Les handicapés, mieux que personne, comprennent l’importance fondamentale du logiciel libre. Ce sont eux qui sont en première ligne des besoins de personnalisation, et seul le logiciel libre permet cette flexibilité.

Par ailleurs, ce sont aussi les premiers à souffrir des rentes de monopole que constituent les entreprises qui conçoivent et commercialisent des logiciels propriétaires. Notre grand sondage mené en janvier 2015 montrait qu’une grande partie de la population déficiente visuelle était consciente que JAWS (le retour vocal à 1 500 euros) était sur-tarifé pour les évolutions qu’il connaît dans le temps. Beaucoup s’indignaient sur l’effet d’aubaine de la prise en charge publique (par les Conseils Généraux) d’un logiciel aussi cher. Mais surtout, 75% des 450 répondants se déclaraient prêts à passer au logiciel libre si une offre de service de qualité était fournie.

Si l’on se tourne vers le grand public, l’équation n’est pas si différente, mais la prise de conscience est peut-être moins avancée. Je dis bien peut-être. Car les gens sont fatigués des mises à jour incessantes et déstabilisantes sous Windows dont le paroxysme est Windows 10, ils sont également fatigués de la sous-traitance du service de Apple à des organismes agréés qui sont des machines à cash. On s’est rendu compte également que les enjeux de vie privée avaient gagné en importance dans le choix de leur système d’exploitation.

Il est donc temps de leur proposer un autre modèle, et c’est exactement ce que nous sommes en train de faire.

Est-ce que vous expliquerez clairement aux utilisateurs que le système est basé sur du Libre ? Je pense à des gens qui cultivent un certain flou… et quand on farfouille on trouve une Debian modifiée…

Ça dépend avec qui. Il faut bien comprendre que le libre, ça n’a pas une bonne image parmi le public (au mieux l’indifférence, au pire le rejet par préjugé). Pour pleins de raisons et parce que sa compréhension exige de réfléchir à des choses que les gens ne soupçonnent pas. Ou elle renvoie à un historique, une image, pas toujours génial. Du coup, tout en affirmant notre ancrage libriste sans complexe, on ne le met pas en avant auprès de nouveaux clients, sauf si ça permet d’aborder un sujet qui préoccupe un utilisateur (vie privée, confidentialité des données, rapport aux développeurs de logiciels). Pour les autres, si on leur met ça sous le nez, ils tournent les talons. Mieux vaut donc leur mettre du libre par principe, qu’ils le sachent ou pas. Dans tous les cas, qu’ils en soient conscients à l’achat ou non, c’est une garantie de durabilité pour eux. Et malgré tout, on l’affirme haut et fort dans notre communication grande échelle. S’ils ne passent pas au libre par militantisme, or peu de gens militent, nos clients pourraient le défendre pour le modèle que ça véhicule et qu’ils vivent quotidiennement avec nous dans leur usage de l’informatique. C’est une autre façon de promouvoir le libre auprès d’un public moins sensible aux enjeux de la propriété intellectuelle en informatique.

Du coup, c’est très proche du comportement d’Ordissimo (qui ne cite JAMAIS Debian sur son site, j’ai vérifié), et qui cherche à séduire les débutants (âgés) en informatique.

À un détail près, on cite Debian, nous. Mais à des endroits où vont les gens plus intéressés par les aspects techniques (et à qui le nom même ne détournera pas de l’éthique). En outre, tous nos développements vont dans Debian (Compiz, mate-accessibility, etc.), donc très bientôt, Debian pourra ressembler nativement à Hypra si la communauté souhaite s’ouvrir à l’universalité qu’on propose. Enfin, quand on forme les gens, pas question d’empêcher les installations non Hypra, les mises à jour, contrairement à Ordissimo. Les gens apprennent bel et bien les mécanismes de Debian et ils le savent. Aucun logo Debian n’a été supprimé. Donc ils sont vite informés de ce qu’ils utilisent (une Debian adaptée le temps qu’elle s’adapte elle-même). Mais ce serait une erreur de communication de vouloir le dire à tout le monde haut et fort avant même de susciter un intérêt par d’autres moyens, ça agiterait trop de peurs et de préjugés.

Ordissimo se base sur Debian et protège son travail de paramétrage en ne le reversant pas et en n’y autorisant pas de modification. Hypra est transparent et dans une logique de dialogue mutuel constant avec Debian, et nous l’affirmons. Et nous y amenons les utilisateurs, mais au lieu de le dire à l’achat, on les acclimate à cet univers pour que le libre et Debian leur paraissent, en fin de compte, une évidence par-delà les préjugés.

Selon vous, c’est le moment pour que le logiciel libre atteigne enfin le grand public ?

Le terrain est favorable pour une percée du logiciel libre. Le succès, notre succès collectif, à nous, les acteurs du logiciel libre, est possible.

Il est possible si nous professionnalisons le service apporté à l’utilisateur, si nous montrons que nous apportons plus que les acteurs traditionnels pour un prix équivalent ou inférieur.

Il est possible si nous jouons collectif, si nous savons conjuguer nos efforts dans un juste équilibre communauté/entreprises, si nous savons dialoguer, nous écouter, nous faire confiance. C’est ce que nous cherchons à faire avec la communauté Debian, avec le leader de communauté Orca ou les développeurs Compiz. Cela suppose que les programmeurs, et en premier chef nos programmeurs chez Hypra, comprennent que les qualités relationnelles sont au moins aussi importantes que les qualités de programmations.

Il est possible à condition d’amorcer un virage philosophique. Il faut en finir avec la technocratie. L’émancipation ne doit pas viser seulement les concepteurs de logiciels. Je lisais récemment le chef informatique de chez Enercoop sur Framablog (dont les locaux parisiens sont 100% sous Debian) qui faisait un lien direct entre le logiciel libre et l’émancipation des programmeurs. Mais il ne parlait que très peu des utilisateurs et éludait les aspects critiques de conduite du changement. S’émanciper, du point de vue de l’utilisateur, c’est certes avoir les possibilités de changer, mais encore et surtout avoir la maîtrise du changement.

À noter que l’on a installé Hypra et formé un salarié déficient visuel chez eux qui est très content, à tel point d’ailleurs, qu’il veut que l’on installe le S.A.U. sur son Mac, une belle vitrine pour le logiciel libre…

De manière plus générale, le pouvoir doit être aux utilisateurs-citoyens et non aux programmeurs. C’est à eux que sont destinés les biens communs que sont les logiciels libres. Les programmeurs ont du mal à l’entendre. C’est là une des explications, selon nous, du plafond de verre du logiciel libre.

Il est possible, enfin, si chacun se trouve bien à sa place. La communication, c’est un métier, et ce n’est pas le métier des ingénieurs. Le logiciel libre est le seul monde dans lequel les ingénieurs s’imaginent être de formidables communicants. C’est un métier, il faut le professionnaliser. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons quitté la forme associative pour faire une entreprise.

Nous pensons que l’heure est venue que le logiciel libre démarre une métamorphose, nous avons envie d’amorcer ce mouvement avec tous ceux et toutes celles qui y sont prêts.

www.hypra.fr




Accès au code source des logiciels de l’État : pourquoi ça change tout…

Le 18 février dernier le tribunal administratif de Paris, après avis de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA), a rendu une décision autorisant l’accès d’un citoyen au code source d’un logiciel administratif. Génial, non ?

Non, pas vraiment, puisque dit comme ça on n’y comprend rien ! Et pourtant ce jugement pourrait avoir un grand impact sur l’avenir du libre en France et plus généralement sur la vie de tous les citoyens. On va donc essayer d’y voir plus clair.

Res Publicum, la chose publique

Pour comprendre ce qui s’est passé le 18 février dernier, il faut que je vous parle un peu des documents administratifs en France. Un document administratif c’est tout ce que peut produire une administration publique : statistiques, rapports, analyses et même logiciels.

Si certains de ces documents sont publics dès les départ (les communiqués de presse par exemple), d’autres n’ont pas forcément vocation à être rendus publics. Et pourtant la République c’est notre bien à tous (Res Publicum, ça veut dire la chose publique), tout citoyen peut donc demander à une administration de lui communiquer un document qu’elle a produit et qui n’est pas classé secret-défense, bien entendu.

Open data CC-BY Descrier
Open data CC-BY Descrier

Depuis 1978 une administration a même été créée pour s’occuper de cela spécifiquement, la CADA. En réalité, cette administration ne peut rendre que des avis et joue plus un rôle de médiateur entre une administration et un citoyen, mais elle reste très utile.

Un étudiant tenace…

Revenons à notre affaire. Un étudiant en économie un peu curieux a demandé en 2014 au Ministère de l’économie et des finances (Bercy) de lui transmettre le code source du logiciel de calcul de l’impôt. Un code source, c’est en quelque sorte la recette de cuisine du logiciel, ce qui permet de comprendre comment il fonctionne

Bercy a refusé et notre étudiant a alors saisi la CADA qui a dit que selon elle le code source devait être transmis. Deuxième refus de Bercy.

"ils ne m'ont pas oublié" CC-BY-SA Stephane Demolombe
« ils ne m’ont pas oublié »
CC-BY-SA Stephane Demolombe

Notre étudiant a alors saisi le tribunal administratif de Paris pour forcer Bercy à lui remettre le document demandé. À ce moment le ministère a compris que tout cela sentait mauvais pour lui et a préféré s’exécuter avant le jugement. Malgré tout le tribunal a rendu sa décision le 10 mars dernier et a dit que l’étudiant avait raison. Victoire !

Le code source, c’est la recette de cuisine du logiciel

Maintenant vous devez vous dire, tant mieux pour cet étudiant mais concrètement ça sert à quoi ? Et c’est vrai que dit comme ça ce n’est pas très utile. Ce n’est pas parce que le code du logiciel est connu qu’il est libre et donc vous n’aurez pas le droit de modifier ou partager librement ce code. Autrement dit, on peut lire, cuisiner, mais pas gribouiller sur la recette originale, même pour y ajouter de meilleures ingrédients. En revanche vous pourrez toujours le consulter et pourquoi pas trouver des erreurs, des améliorations possibles et les proposer à Bercy qui pourrait les intégrer à son logiciel.

attack of the scones CC-BY-SA Alpha
Je veux le code source de ces scones…

Imaginez un peu que vous arriviez à faire baisser le montant de vos impôts en remarquant une erreur dans le code. Pas si inutile, finalement ! En partant de cet exemple on peut imaginer beaucoup de cas où les citoyens pourraient contribuer à améliorer l’État. Prenons un exemple… Mme Dupuis-Morizeau a du temps libre et décide donc de consulter les statistiques d’accidents de la route de sa ville, qu’elle demande à la mairie. Elle remarque alors un carrefour particulièrement meurtrier, elle se rend sur place et constate que le panneau stop est caché par un buisson. Elle avertit sa mairie qui fait couper le buisson. Et voilà comment l’accès à des statistiques administratives peut sauver de vies !

La philosophie du Libre appliquée à l’État

Le problème, vous l’avez vu, c’est que demander un document administratif peut s’avérer très compliqué et que Mme Dupuis-Morizeau n’a pas forcément tout ce temps à perdre. On se dit alors que ce serait génial que tous ces documents soient librement téléchargeables sur un site internet.

Eh bien c’est exactement ce que s’est dit la ville de New-York qui publie tous les documents qu’elle produit (ou presque) sur le site https://nycopendata.socrata.com/. Depuis que la ville a adopté cette politique, des dizaines de citoyens se sont mis au travail pour créer des projets incroyables : dresser la carte des plages anormalement polluées, coder un GPS pour les ambulances en fonction des vitesses moyennes par rue pour optimiser les trajets, etc.

New York - CC-BY Kolitha de Silva
New York – CC-BY Kolitha de Silva

Voilà les avantages concrets de la philosophie du libre lorsqu’elle est appliquée à l’État. Nous pouvons tous contribuer à un fonctionnement meilleur de l’administration, ou du moins à signaler ses défauts. Rendre les documents administratifs libres, c’est faire du citoyen le réel propriétaire de l’administration qui le sert, comme nous sommes collectivement les propriétaires des logiciels libres. Beau projet non ?

 

Trois infos pour finir et approfondir le sujet si ça vous dit :

L’équipe du Framablog tient à remercier chaleureusement Róka, bénévole du forum des Framacolibris, pour la proposition et la rédaction de cet article !




Bon tant pis♫, le revoici !

Il revient et il en a gros

folie

Avertissement :

Si vous ne pouvez pas répondre un OUI franc et massif à au moins quatre des questions ci-dessous, la lecture de cet article est ajournée pour vous. Revenez pour la session de septembre.

Oui maintenant que nous sommes entre nous, je vous le confirme : le bon docteur Giraudot, aka Gee, aka Ptilouk,… revient, sans d’ailleurs être jamais parti, nous soigner par le rire la dépression post-adolescente avec la parution aujourd’hui du premier tome de Grise Bouille, et un tournant dans ce qu’on peut appeler une œuvre au sens plein du terme. Les fidèles de Simon ont suivi impavides et fébriles les épisodes successifs depuis un peu plus d’un an, voici l’heure de la publication de l’album, chez Framabook bien sûr (what else?)

Avant de déguster l’opus par le menu, profitons d’un instant ou il délaisse sa guitare électrique pour lui poser quelques questions.


Ce qui fait le prix de tes textes et dessins satiriques ce n’est pas seulement leur acidité corrosive, certes bien présente, mais la dérision et même souvent l’autodérision. Pourquoi, tu as peur qu’on te prenne au sérieux ?

photo3Il y a le fond et il y a la forme. Sur la forme, mes BD restent à peu près toujours sur le thème de la déconne, mais sur le fond, il y a parfois quelque chose de plus sérieux, un message, une opinion… L’autodérision permet aussi d’apporter un recul par rapport à ça, de montrer que même si je suis d’accord avec telle ou telle idée, je sais qu’elle est critiquable et que ce n’est pas la vérité absolue. Effectivement, je ne voudrais pas qu’on me prenne trop au sérieux. Je suis un mec qui gribouille des bêtises derrière son écran : si je dis parfois des choses intéressantes, ce sont ces choses qu’il faut prendre au sérieux, pas moi.

Quand tu étais petit (autrefois, au siècle dernier), quels sont les auteurs de BD qui t’ont donné envie de les égaler ? Will Eisner, Crumb, Kurzman, Gotlib, Giotto, Reiser… ?

HeyLookshuddup
Un dessin d’Harvey Kurzman, sur le site de Sherm Cohen

Au siècle dernier comme tu dis, j’avoue que j’étais très très classique sur mes lectures. J’adorais Spirou et Fantasio (surtout la période Tome & Janry) avec ce côté « grandes aventures » mais qui ne se prenait jamais trop au sérieux. On achetait pas mal le Journal de Spirou avec ma grande sœur, du coup je suis surtout familier de ce qui y était publié à l’époque : Kid Paddle, les Psys, le Petit Spirou, Passe-moi l’ciel, etc. Bien sûr, je lisais aussi les autres classiques franco-belges (Astérix, Lucky Luke). J’ai toujours été hermétique aux mangas et je n’ai jamais trop eu l’occasion de me mettre aux comics US, alors je suis resté sur ça.

Après, là où j’ai vraiment trouvé mon maître à penser, Gotlib, c’était plutôt à l’adolescence (et sans vouloir faire mon jeunot, c’était déjà le XXIe siècle :p). J’ai dévoré toutes les Rubriques-à-Brac de long en large. C’est sans aucun conteste mon auteur préféré, il a un ton tellement unique, avec ses propres codes et son propre vocabulaire, un peu comme l’a fait Alexandre Astier avec Kaamelott (dans un style bien différent, c’est sûr).

Pourquoi Grise Bouille ? Une référence au personnage de la Comtesse de Ségur dont la sœur a hanté tes premiers émois ? La tentation de te saouler la gueule en parcourant l’actualité ? Encore de l’autodérision pour nous faire croire que tes petits chefs-d’œuvre ne sont à tes yeux que des gribouillis de potache ?

Ah, le titre du blog… c’est ce que j’ai trouvé en dernier quand j’ai commencé à travailler dessus, et ça a été très dur. Comment tu veux nommer un truc qui n’a pas de ligne éditoriale ? Sans tomber dans le banal comme « Les dessins de Gee » ou le contraire, le truc pompeux à mort. J’ai fini par me dire que ce qui caractérisait le plus mes dessins, c’était le côté gribouillage (ce n’est pas de la fausse modestie hein, c’est objectivement le cas : quand tu vois par exemple ce que font des types comme David Revoy, on ne joue juste pas dans la même cour). Et puis j’aimais bien l’effet désuet du mot « bouille » et le fait qu’on puisse prendre « grise » à la fois comme la couleur et comme le verbe « griser » (le blog qui vous grise la bouille). Assez représentatif de la dichotomie entre l’actu déprimante exposée sur le blog et le côté déconne…

Dans les titres auxquels vous avez échappé (je ressors mon brouillon qui contient une groooosse liste d’idées de titres), il y avait : « La fourche et la plume » (déjà pris), « Sang d’encre », « Barouf Malade », « Joyeux Boxon », « Zone Libre » (quand je te parlais de titre pompeux…), « La plume et le pavé » (pour être fiché par les RG directement), « Libre entre les lignes » (ça c’était bien pourri), « Le lapin déchaîné », « Le lapin libéré », « Le lapin de semaines » (oui, j’aime bien les lapins – ça aurait été la mascotte du blog) ou encore « Figure de stylet ».

geeBlog

Depuis que tu as entamé Grise Bouille tes propos sont beaucoup plus radicaux et politiques, tu consacres autant de textes que d’images à démonter les ignominies étatiques et au passage, on se rend compte que quand tu es bien énervé, ton style est carrément bon. Ce n’est plus trop l’actualité du Libre que tu brocardes c’est plutôt l’actualité des conneries sécuritaires et liberticides que tu attaques à la scie circulaire. C’est toi qui as changé ou bien c’est l’urgence des événements qui te stimule ?

Il y a toujours eu un petit côté politique même sur le Geektionnerd. Mais la forme était très contraignante, trop de texte pour des cases trop petites avec des dessins qui se retrouvaient écrasés. Grise Bouille, c’est aussi le résultat de 5 ans d’expérience Geektionnerd : j’assume beaucoup plus l’aspect politique (qui est d’ailleurs carrément affirmé par l’entête de la catégorie « La fourche ») et je le maîtrise sans doute beaucoup mieux. Le truc, c’est que plus tu t’intéresses à l’actualité, au fonctionnement de

la Marianne de Gee n'est pas contente
la Marianne de Gee n’est pas contente

l’économie, de la politique française, etc., plus tu t’étonnes que ça ne gueule pas plus, que ça continue à fonctionner sans (trop de) heurts. C’est un peu en train de craquer avec la Loi travail, mais quand tu vois l’accumulation de trucs qu’on nous fait avaler année après année (et ça ne date pas de Hollande hein, ni même de Sarkozy), tu te dis qu’il y a quand même une sacrée grande force à l’œuvre pour maintenir tout le monde dans l’anesthésie. Et je ne suis pas complotiste, je pense que quand les différents pouvoirs (politique, médiatique, financier…) ont des intérêts communs, ils n’ont pas besoin de « comploter » pour maintenir la barque dans le même cap. Juste de se renvoyer la balle régulièrement…

Dis tonton Simon, raconte-nous la belle histoire de ton engagement dans le Libre. Tu es tombé dedans quand tu étais petit ou bien ça t’est venu tout d’un coup en buvant une chope de potion magique ?
Là, j’ai un parcours assez classique… On commence par en avoir marre de Windows XP, on voit Vista arriver avec une réputation catastrophique, on a un copain qui nous parle d’un truc bizarre appelé Ubuntu, on l’installe et voilà. La pente fatale. Après on galère un peu, on se dit que c’est cool, on s’intéresse un peu à ce qu’il y a derrière, on voit qu’il y a aussi des idées. Puis on se rend compte qu’elles s’appliquent aussi à l’art, que ça fourmille vachement de ce côté-là.

En fait, quand tu viens d’un monde hyper-cynique comme le nôtre, où on met en permanence les gens en compétition et en opposition, où tout le monde se méfie de tout le monde, où il y a une arnaque derrière chaque bon plan, où « si c’est gratuit, c’est toi le produit »… bah tu découvres le monde du Libre et t’as l’impression de revivre, tu retrouves de l’espoir, tu te dis qu’il y a des solutions pour s’en sortir ensemble, tu éteints BFM TV et tu arrêtes de croire qu’on est tous foutus et que le monde va s’écrouler. Ce n’est pas de l’optimisme béat, bien sûr que c’est globalement la merde, mais partout tu as des initiatives comme le Libre qui se mettent doucement en place et tu vois juste que, quand on sollicite ce qu’il y a de bien chez les gens (l’entraide, la solidarité), il y a une énergie et une volonté d’améliorer les choses qui sont complètement ignorées par le système actuel basé sur la compétition à tous les étages.

À chaque fois que tu publies, tu le fais en licence libre. Laquelle et pourquoi ? Allez, à nous tu peux le dire, tu ne regrettes pas un peu ? Tu ne crois pas que tu as raté ta carrière de dessinateur adulé des foules et partageant le saladier de coke avec des jeunes femmes compréhensives ?

Je publie en CC By Sa parce que c’est Libre et que ça peut potentiellement emmerder les gens qui voudraient l’utiliser pour faire du non-Libre (double rainbow donc). Pas de regret non. C’était quoi l’alternative ? Faire un truc à l’encontre de mes convictions puis me la jouer Ministre issue d’EELV qui va t’expliquer qu’elle ne s’est absolument pas corrompue et n’a pas du tout baissé son froc pour une place au soleil ? Même quand tu fais du non-Libre, la probabilité de devenir riche en gribouillant des bêtises est proche de zéro, et même si c’était le cas… au bout d’un moment c’est libérateur d’arrêter de lier la réussite financière à l’accomplissement personnel. Je n’en vis pas, mais personne n’en vit, ou presque. Arrêtons de blâmer les gens qui téléchargent et partagent des œuvres alors que c’est juste le système entier de rémunération des auteurs (et, au-delà de ça, de répartition des richesses en général) qui est moisi. Dirigeons notre colère vers ceux qui ont les clefs du système, par vers ceux qui sont juste un peu plus ou un peu moins lotis que nous.

Et ça rapporte, Tipeee ?

Doucement oui. J’en suis à une trentaine d’euros par mois. Je pense que je pourrais faire bien plus si je m’investissais vraiment là-dedans (en proposant des contreparties, en faisant régulièrement des appels à participer), mais je n’en ai pas la motivation. J’ai un boulot qui paie bien et je n’ai pas « besoin » de plus : Tipeee, Flattr, tout ça, c’est surtout pour montrer une alternative, pour donner l’occasion à ceux qui le veulent de soutenir un auteur qui publie du Libre. Si un jour je décide que je veux en vivre (mais rien ne dit que je puisse le faire, c’est sûr), ce sera une bonne piste à explorer, parce que c’est bien plus stable et plus efficace que Flattr à mon sens (même si l’initiative est louable également).

Au plan graphique tu as pas mal de cordes à ton ukulélé, on voit d’ailleurs dans cet album quelques aquarelles, mais qu’est-ce qui te fais revenir un peu au format du comic strip et au dessin dynamique après d’autres tentatives comme celle de Superflu ?

Ce blog, comme je l’ai dit, c’est une sorte de Geektionnerd débarrassé de ce qui me gonflait dans le Geektionnerd (la forme trop restrictive). Avant, je devais caler ce que je voulais dire/écrire dans le format Geektionnerd (tiens, Thierry Stoehr a bien raison de dire que tout part du format). Maintenant, j’écris et je dessine comme je pense, c’est le format qui s’adapte à ce que je veux faire.

Et puis, l’avantage du strip, c’est l’immédiateté du truc : avec Superflu (qui a été mis entre parenthèses récemment mais ça ne va pas durer), je dessine aujourd’hui des blagues que j’ai écrites il y a 2 ans… Avec Grise Bouille, je peux avoir une idée à midi, écrire le scénario à 17h, boucler le dessin dans la soirée et publier le lendemain. La plupart du temps, c’est un peu plus étendu (sur quelques jours) mais c’est l’idée.

Dis-donc on t’aime bien mais c’est un peu confus sur le site de Grise Bouille : tu as un tas de rubriques, comment on fait pour tout suivre ? Moi qui suis fan j’ai du mal à ne rater aucune de tes productions, ça serait pas plus simple de mettre tout dans l’ordre chronologique avec des tags de catégories et voilà ?

C’est comme ça que c’est rangé sur la page principale : tous les articles dans l’ordre chronologique (enfin, anti-chronologique pour être exact). Les catégories sont là pour préciser ce que le lecteur va voir et, pourquoi pas, sélectionner. Par exemple, quelqu’un qui aime mon humour mais pas mes opinions politiques peut zapper la catégorie « La fourche ». J’écris aussi des nouvelles dans « La plume » et je fais de la musique dans « Jukebox » : ceux qui s’en foutent peuvent les ignorer.
Tu vois, je ne suis vraiment pas dans le plan de carrière de dessinateur : j’aide carrément mes lecteurs à lire moins de trucs sur mon blog !

Bon, et cet album de Grise Bouille, c’est le premier d’une longue série ou c’est un one shot ?

À priori, on part sur un livre par an, pour résumer l’année précédente (celui-ci se concentre donc sur 2015). Ce ne sont pas à proprement parler des « intégrales » parce qu’il y a des articles non-inclus (ceux sur l’actualité du blog par exemple, sans parler des nouvelles et de la musique bien sûr), mais on n’en est vraiment pas loin. On verra aussi combien de temps dure le blog, s’il y a toujours matière à faire des bouquins et si le comité éditorial de Framabook est toujours d’accord, mais ça me semble plutôt bien parti.

Merci Docteur Gee pour cette consultation !

slapping

Puisque vous avez lu jusqu’ici, vous méritez bien de vous régaler en allant déguster le tome 1 de Grise Bouille !




La Blockchain, au-delà du Bitcoin

Il existe déjà sur le Bitcoin et la nombreuse famille des monnaies virtuelles une abondante littérature qui évoque les espoirs et les fantasmes que génèrent les crypto-monnaies. Mais pour qui n’est encore ni utilisateur dans ses paiements ni prosélyte convaincu, il n’est pas si facile de comprendre le principe de fonctionnement qui sous-tend le succès grandissant de cet argent dématérialisé sans intermédiaire.

Pour savoir ce qui se passe en coulisses, il est nécessaire d’appréhender correctement ce qu’est la blockchain. C’est bien délicat, et rares sont les explications limpides qui nous permettent de saisir l’essentiel. L’article « Chaîne de blocs » de Wikipédia utilise très vite des prérequis dont ne disposent probablement pas les Dupuis-Morizeau : « système cryptographique », « base de données distribuée », « nœud de stockage », etc.

Heureusement, il arrive que nous rencontrions un article qui présente des qualités de clarté telles que nous nous faisons un devoir de le partager. Qui plus est, nous y découvrons que le bitcoin n’est qu’un exemple aujourd’hui notoire des très nombreuses possibilités d’application de la blockchain dans des domaines très variés, ce qui pourrait à moyen terme changer beaucoup de choses dans notre vie quotidienne…

L’auteur, Jean-Paul Delahaye est un universitaire, mathématicien et informaticien, chercheur à l’Université de Lille 1. Nous le remercions d’avoir accepté que nous reprenions ici, mis à jour pour les données numériques, son texte déjà publié en 2014 sur le blog de Scilogs.

La puissance de la blockchain

jp_DelahayeImaginez qu’au centre de la place de la Concorde à Paris, à côté de l’Obélisque on installe un très grand cahier, que librement et gratuitement, tout le monde puisse lire, sur lequel tout le monde puisse écrire, mais qui soit impossible à effacer et indestructible. Cela serait-il utile ?

Il semble que oui.

– On pourrait y consigner des engagements : « je promets que je donnerai ma maison à celui qui démontrera la conjecture de Riemann : signé Jacques Dupont, 11 rue Martin à Paris ».

– On pourrait y déposer la description de ses découvertes rendant impossible qu’on en soit dépossédé  : « Voici la démonstration en une page que j’ai trouvée du Grand théorème de Fermat …».

– On pourrait y laisser des reconnaissances de dettes qui seraient considérées valides tant que celui à qui l’on doit l’argent n’a pas été remboursé et n’est pas venu l’indiquer sur le cahier.

– On pourrait y donner son adresse qui resterait valide jusqu’à ce qu’une autre adresse associée au même nom soit ajoutée, annulant la précédente.

– On pourrait y déposer des messages adressés à des personnes qu’on a perdues de vue en espérant qu’elles viennent les lire et reprennent contact.

– On pourrait y consigner des faits qu’on voudrait rendre publics définitivement, pour que l’histoire les connaisse, pour aider une personne dont on souhaite défendre la réputation, pour se venger, etc.

Pour que cela soit commode et pour empêcher les tricheurs d’écrire en se faisant passer pour vous, il faudrait qu’il soit possible de signer ce qu’on écrit. Il serait utile aussi que l’instant précis où est écrit un message soit précisé avec chaque texte déposé sur le grand cahier (horodatage).

Imaginons que tout cela soit possible et qu’un tel cahier soit mis en place, auquel seraient ajoutées autant de pages nouvelles que nécessaire au fur et à mesure des besoins. Testaments, contrats, certificats de propriétés, récits divers, messages adressés à une personne particulière ou à tous, attestations de priorité pour une découverte, etc., tout cela deviendrait facile sans avoir à payer un notaire, ou un huissier. Si un tel cahier public était vraiment permanent, infalsifiable, indestructible, et qu’on puisse y écrire librement et gratuitement tout ce qu’on veut, une multitude d’usages en seraient imaginés bien au-delà de ce que je viens de mentionner.

Un tel objet serait plus qu’un cahier de doléances ou un livre d’or, qui ne sont pas indestructibles. Ce serait plus qu’un tableau d’affichage offert à tous sur les murs d’une entreprise, d’une école ou d’une ville, eux aussi temporaires. Ce serait plus que des enveloppes déposées chez un huissier, coûteuses et dont la lecture n’est pas autorisée à tous. Ce serait plus qu’un registre de brevets, robuste mais sur lesquels il est coûteux et difficile d’écrire. Ce serait plus que les pages d’un quotidien qui sont réellement indestructibles car multipliées en milliers d’exemplaires, mais sur lesquelles peu de gens ont la possibilité d’écrire et dont le contenu est très contraint.

Place de la Concorde ?

Bien sûr, ce cahier localisé en un point géographique unique ne serait pas très commode pour ceux qui habitent loin de Paris. Bien sûr, ceux qui y rechercheraient des informations en tournant les pages se gêneraient les uns les autres, et gêneraient ceux venus y inscrire de nouveaux messages. Bien sûr encore, faire des recherches pour savoir ce qui est écrit dans le cahier (telle dette a-t-elle été soldée ? Telle adresse est-elle la dernière ? etc.) deviendrait vite impossible en pratique quand le cahier serait devenu trop gros et que ses utilisateurs se seraient multipliés.

Ces trois inconvénients majeurs :
a) localisation unique rendant l’accès malcommode et coûteux ;
b) impossibilité de travailler en nombre au même instant pour y lire ou y écrire ;
c) difficulté de manipuler un grand cahier…
… peuvent être contournés. L’informatique moderne avec la puissance de ses machines (y compris les smartphones) et ses réseaux de communication est en mesure de les surmonter.

D’ailleurs cette idée d’un grand cahier informatique, partagé infalsifiable et indestructible du fait même de sa conception est au cœur d’une révolution qui débute. Nous la baptiserons la  «révolution de la blockchain » (nous allons expliquer pourquoi) ou plus explicitement et en français : « la révolution de la programmation par un fichier partagé et infalsifiable ».

L’idée de Nakamoto

Le nom proposé vient de la blockchain du bitcoin, la monnaie cryptographique créée en janvier 2009, et qui a depuis connu un développement considérable et un succès réel très concrètement mesurable : la valeur d’échange des devises émises en bitcoins dépasse aujourd’hui 5 milliards d’euros. Au cœur de cette monnaie, il y a effectivement un fichier informatique infalsifiable et ouvert. C’est celui de toutes les transactions, baptisé par Satoshi Nakamoto son inventeur : la blockchain. C’est un fichier partagé, tout le monde peut le lire et chacun y écrit les transactions de bitcoins qui le concerne, ce qui les valide. La blockchain existe grâce à un réseau pair à pair, c’est-à-dire géré sans autorité centrale par les utilisateurs eux-mêmes. Certains de ces utilisateurs détiennent des copies de la blockchain, partout dans le monde. Ces centaines de copies sont sans cesse mises à jour simultanément, ce qui rend la blockchain totalement indestructible, à moins d’une catastrophe qui toucherait en même temps toute la terre. Ce fichier a été rendu infalsifiable par l’utilisation de procédés cryptographiques qui depuis sa création en 2009 se sont révélés résister à toutes les attaques : personne jamais n’a pu effacer ou modifier le moindre message de transaction auparavant inscrit dans la blockchain du bitcoin.

Bitcoin_Block_Data

C’est possible, cela existe !

Le rêve du grand cahier de la place de la Concorde est donc devenu possible, et en réalité ce que l’informatique moderne, les réseaux et la cryptographie ont su créer dans le monde numérique est bien supérieur à tout ce qu’on aurait pu tenter de faire avec du papier, du métal ou tout dispositif composé d’objets physiques. En particulier :

a) l’accès à la blockchain, grâce aux réseaux, se fait instantanément de n’importe où dans le monde, pourvu qu’on dispose d’un ordinateur ou simplement d’un smartphone ;

b) des milliers d’utilisateurs peuvent y lire simultanément sans se gêner ;

c) chacun peut gratuitement et sans limitation ajouter de nouveaux messages de transactions selon un procédé qui assure la cohérence et la robustesse du fichier blockchain.

La taille de la blockchain du bitcoin s’accroît progressivement, mais reste manipulable par les formidables machines dont nous disposons tous aujourd’hui. Elle comporte aujourd’hui 54 giga-octets (5,4 10^10 caractères), ce qui est l’équivalent d’environ 54 000 ouvrages de 200 pages. Cela semble énorme, mais nos ordinateurs sont maintenant assez puissants pour cela.

L’exploration par son ordinateur de ce qui est inscrit donne librement accès à tout le contenu de cette blockchain quasi-instantanément de n’importe quel endroit du monde. C’est d’ailleurs, dans le cas du bitcoin, ce qui permet de calculer le solde des comptes. Les systèmes de signatures cryptographiques garantissent que les messages de transaction que vous inscrivez sur la blockchain concernant vos comptes ont été écrits par vous. L’ordre des inscriptions fournit aussi une datation (horodatage) des transactions et donc les ordonne. Tout cela est fait, sans qu’aucune autorité centrale ne s’en occupe, puisque ce sont certains des utilisateurs (appelé « mineurs » dans le cas du bitcoin) qui en opèrent la surveillance, et qui se contrôlent mutuellement, assurant l’honnêteté des sauvegardes et leur cohérence.

L’exemple d’une monnaie est la plus spectaculaire et la plus visible aujourd’hui des merveilles que réalise une blockchain. Qu’on ait pu ainsi créer une monnaie, grâce à un fichier partagé, semble incroyable. Cela d’autant plus qu’il s’agit d’une monnaie d’un nouveau type : elle ne repose sur aucune autorité émettrice, autorise des transactions quasi-instantanées gratuitement d’un point à l’autre du globe.

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De nombreuses variantes

Au-delà du miracle que constitue cette monnaie (nous ne reviendrons pas sur le détail de son fonctionnement), c’est l’ensemble de tout ce que rend possible ce type d’objet qu’est une blockchain que nous voulons évoquer, car il semble bien qu’un nouveau monde économique, social, législatif, politique et monétaire en résulte. Aujourd’hui, nous n’en avons pas pris la mesure.

Le bitcoin utilise une blockchain qui lui est propre et ne sert a priori qu’à inscrire des transactions, mais l’idée de cette blockchain peut se décliner d’une multitude de façons donnant naissance à autant d’applications nouvelles. Nous avons sans doute pour l’instant entrevu que quelques aspects de ce que de tels dispositifs autorisent. Il s’agit rien moins que de l’apparition d’un nouveau type d’objets réels, aussi durs que le métal, contenant des informations d’une complexité sans limites. Nos ordinateurs aux extraordinaires capacités de calcul y accèdent instantanément grâce aux réseaux, explorant rapidement ce qui s’y trouve, y déposant de nouveaux messages éventuellement cryptés, et les extrayant aussi rapidement. Ces nouveaux objets du fait de leur nature numérique et de leurs propriétés de robustesse et d’ubiquité — ils existent partout dans le monde à la fois — ont des propriétés qu’aucun objet du monde n’a jamais possédées.

Il existe aujourd’hui des centaines de variantes du modèle bitcoin. Ce sont essentiellement d’autres monnaies — on parle de crypto-monnaies — qui chacune s’appuie sur une blockchain particulière. Cependant depuis qu’on a compris que l’idée de Nakamoto était beaucoup plus générale, d’autres systèmes avec blockchain sont apparus ou sont en cours de développement.

Une révolution en marche

Certaines des idées évoquées au départ peuvent se mettre en place soit grâce à une nouvelle blockchain, soit en essayant d’utiliser la blockchain du bitcoin qu’on détournera de sa fonction première pour lui faire réaliser des opérations non prévues par Nakamoto. Dom Steil un entrepreneur s’occupant du bitcoin et auteur de nombreux articles sur les nouvelles technologies a exprimé assez clairement l’idée de cette révolution :

« La blockchain est intrinsèquement puissante du fait que c’est la colonne vertébrale d’un nouveau type de mécanisme de transfert et de stockage distribué et open source. Elle est le tiers nécessaire pour le fonctionnement de nombreux systèmes à base de confiance. Elle est la feuille universelle d’équilibrage utilisée pour savoir et vérifier qui détient divers droits numériques. De même qu’Internet a été la base de bien d’autres applications que le courrier électronique, la blockchain sera la base de bien d’autres applications qu’un réseau de paiement. Nous en sommes aux premiers instants d’un nouvel âge pour tout ce qui est possible au travers d’un réseau décentralisé de communications et de calculs. ». Voir ici.

Jon Evans un ingénieur informaticien et journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies partage cet enthousiasme :

« La technologie blockchain au cœur du bitcoin est une avancée technique majeure qui, à terme, pourrait révolutionner l’Internet et l’industrie de la finance comme nous les connaissons ; les premiers pas de cette révolution en attente ont maintenant été franchis. »

« La « blockchain » —le moteur qui sert de base au bitcoin— est un système distribué de consensus qui autorise des transactions, et d’autres opérations à être exécutées de manière sécurisée et contrôlée sans qu’il y ait une autorité centrale de supervision, cela simplement (en simplifiant grossièrement) parce que les transactions et toutes les opérations sont validées par le réseau entier. Les opérations effectuées ne sont pas nécessairement financières, et les données ne sont pas nécessairement de l’argent. Le moteur qui donne sa puissance au bitcoin est susceptible d’un large éventail d’autres applications. »  ( ici et ici )

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La machine qui inspire confiance

comment la technologie derrière le Bitcoin pourrait changer le monde

Namecoin, Twister, Ethereum

Parmi les blockchain autres que celle du bitcoin et ayant pour objets des applications non liées à la monnaie, il faut citer le Namecoin un système décentralisé d’enregistrement de noms : on écrit sur la blockchain du Namecoin des paires (nom, message). Un des buts de Namecoin est la mise en place d’un système d’adresses pour les ordinateurs connectés au réseau internet qui pourrait se substituer au système actuel DNS (Domaine name system) en partie aux mains d’organisations américaines. Les créateurs de cette blockchain affichent les objectifs suivants : protéger la libre parole en ligne en rendant le web plus résistant à la censure ; créer un nom de domaine «.bit» dont le contrôle serait totalement décentralisé ; mémoriser des informations d’identité comme des adresses email, des clefs cryptographiques publiques. Ils évoquent aussi la possibilité avec cette blockchain d’organiser des votes ou des services notariés. Malheureusement cette blockchain est peu commode car les dépôts d’informations y sont payants (en namecoin), et même si les coûts sont très faibles, ils compliquent beaucoup son utilisation. Voir ici.

Plus récemment a été créé Twister, un système concurrent de Twitter (le système de micro-blogging bien connu) mais totalement décentralisé et donc libre de toute censure ou contrôle. La blockchain de Twister ne sert dans ce cas pas à stocker toute l’information de la plateforme de micro-bloging  (qui est distribuée sur un réseau pair à pair évitant que les nœuds du réseau aient à gérer de trop gros volumes de données)  mais seulement les informations  d’enregistrement et d’authentification. Voir ici.

Un projet plus ambitieux car se voulant le support possible d’applications complexes basé sur une notion de contrat (smartcontract) est en cours de développement : il se nomme Ethereum. La blockchain associée à Ethereum émettra une monnaie (l’éther) sur le modèle de bitcoin, mais ce ne sera qu’une des fonctions de cette blockchain. Voir ici.

Une autre avancée toute récente a été proposée par Adam Back, inventeur déjà d’une monnaie électronique précurseur du bitcoin. Back a constaté que le bitcoin ne peut évoluer que très lentement car les décisions pour ces évolutions se font selon un processus qui exige un accord difficile à obtenir de la part de ceux qui travaillent à le surveiller et qui ne sont pas organisés en structure hiérarchique —c’est un problème avec les applications totalement décentralisées dont le contrôle n’est aux mains de personne. Il a aussi noté que beaucoup d’idées innovantes proposées par des blockchain nouvelles n’ont qu’un succès limité. En valeur, le bitcoin reste très dominant parmi les monnaies cryptographiques. Avec une équipe de chercheurs, il a mis au point une méthode liant les blockchains les unes aux autres. Ce système de « sidechain » permettra de faire passer des unités monétaires d’une chaîne A vers une autre B. Elles disparaîtront de la chaîne A pour réapparaître sur la chaîne B et pourront éventuellement revenir dans A. Chaque blockchain est un petit univers où il est utile de disposer d’une monnaie (par exemple sur Namecoin, il y a une monnaie). Cependant faire accepter une nouvelle monnaie et stabiliser son cours est difficile et incertain. De plus chaque blockchain est une expérience comportant des risques qui sont d’autant plus grands qu’elle est récente et innovante. Le système des sidechain une fois mis en place (ce n’est pas si simple et aujourd’hui aucune sidechain ne fonctionne) permettra de tester rapidement de nouvelles idées. Chacune pourra « importer » la monnaie d’une autre blockchain, sans doute la monnaie bitcoin qui est la mieux installée et celle pour laquelle la confiance est la plus forte. Le système est conçu pour que la chaîne qui « prête » de l’argent à une autre ne risque pas plus que ce qu’elle prête et donc ne prenne qu’un risque limité.

« Une forme d’anarchie à base numérique va poursuivre son développement »

On le voit, la complexité (de nos puces, de nos machines, de nos applications, de nos réseaux informatiques) a créé un univers où les nouveaux objets indestructibles que sont les blockchains changent les règles du jeu : moins de centralisation, moins d’autorité, plus de partages sont possibles. Une forme d’anarchie à base numérique va poursuivre son développement. Le monde qui en sortira est difficile à imaginer, mais il se forme et même si on peut le craindre autant que certains l’appellent de leurs vœux, il sera là bientôt.

 

Liens mentionnés par l’auteur de l’article
D’autres liens intéressants sur la question et autour

Crédits Images

  • « Bitcoin accepted here », Francis Storr (CC BY-SA 2.0)
  • Schéma des blocs par Matthäus Wander (CC BY-SA 3.0) via Wikimedia Commons
  • The trust machine, image de couverture du magazine The Economist du 30 octobre 2015,



Apprenez à lire une URL (et sauvez des chatons)

Vous voulez sauver des chatons ? Nous aussi. Tout le monde aime les chatons. Cet article ne vous dira pas comment faire. Mais il vous apprendra (ou vous permettra d’apprendre à votre neveu) comment lire une adresse web. Ce qui est, n’en doutons pas, indispensable lorsque l’on veut sauver des chatons.

Nous avons donc décidé de piller sauvagement le blog Grise-Bouille de Gee, dessinateur libriste, chanteur yukuléliste, et framasoftien chevronné… parce qu’il a dessiné là un article d’utilité publique qui mérite d’être partagé (rappel : si vous ne le faites pas pour vous, faites-le pour les chatons !)

URL über-lue

Aujourd’hui, parlons de l’une de ces nombreuses choses auxquelles on ne prête pas d’attention parce qu’elles semblent trop compliquées… alors qu’elles peuvent nous aider énormément : l’URL.

Je précise que cet article est une introduction pour novice et qu’il ne vise pas l’exhaustivité (on ne parlera pas de protocoles FTP, de ports ou de résolution DNS). En plus, il est déjà assez long comme ça !

Bonne lecture 😉

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Lien vers l’article original.




Le poivre, la carotte et la sorcière : une interview de David Revoy

Trouver des auteurs de logiciels libres, c’est relativement simple. Il n’y a qu’à se pencher sur un paquet Debian pour en trouver. Trouver des artistes qui mettent leurs productions sous licence libre, c’est déjà un peu plus rare.

Connaissez-vous David Revoy ? Non ? Et pourtant, vous avez sans doute déjà vu des projets auxquels il a contribué. Il a en effet travaillé (entre autres) à plusieurs projets de la fondation Blender : Sintel, Tears of Steel

Mais c’est plutôt son webcomic Pepper & Carrot qui nous a poussés à l’interviewer. D’une rare qualité, les aventures de cette jeune sorcière et de son chat nous ont séduits, tant par les dessins magnifiques que par son humour.

Un auteur Open-Source

Bonjour David. Tu peux te présenter un peu ? Ton parcours, ton travail, tes projets…

Bonjour, j’ai 34 ans et je suis un Montalbanais passionné de dessin et d’informatique depuis l’enfance. Au cours de ces quinze dernières années, j’ai eu un parcours de freelance passant par l’illustration (couverture de livre et jeu de société), par le concept-art (décors/engins et persos dans les jeux vidéos) et parfois par la direction artistique de projets.
L’an dernier, j’ai créé Pepper&Carrot, un projet de webcomic libre et open-source financé grâces au mécénat des lecteurs. Peu après et grâce au succès de la série, j’ai décidé d’arrêter le freelance pour me consacrer à plein temps à la création de nouveaux épisodes et aux extras (traductions, tutoriaux, wiki, téléchargements gratuits…).

Tu expliques sur ton site pourquoi tu as choisi l’Open Source. Tu peux nous faire un petit résumé pour nos lecteurs qui ne maîtrisent pas la langue de Shakespeare ?

Je vais essayer de résumer ça mais tout d’abord je tenais à vous remercier, car j’ai abordé le libre entre 2003 et 2005 grâce au portail de Framasoft d’il y a dix ans. A l’époque j’utilisais Windows XP et cela m’a permis d’adopter Blender, Inkscape, Firefox, LibreOffice et FileZilla. Mon abandon total des logiciels propriétaires s’est fait peu de temps après. Je venais d’acheter un nouveau PC livré avec ‘Windows Vista’ pré-installé. J’avais une licence ‘XP pro’ en boîte et je comptais réinstaller ce système car tous mes logiciels dépendaient de ce système. Malheureusement pour moi, la carte mère du PC Vista n’avais pas de pilote pour XP disponible et mes licences logicielles professionnelles (Photoshop, Painter, Manga Studio; plusieurs milliers d’euros) était toutes instables avec Windows Vista. Mettre tout à jour était très coûteux et n’apportait aucunes nouvelles fonctionnalités.

Cette stratégie de mise à jour forcée me paraissait injuste. Je ne voulais pas alimenter les créateurs d’un tel système avec mon argent. C’est donc cet événement qui m’a poussé vers le 100% GNU/Linux. Voici une vidéo d’époque :

Cliquez sur l'image pour accéder à la vidéo (Viméo)
Cliquez sur l’image pour regarder la vidéo (Viméo)

Tu as travaillé sur pas mal de jeux vidéos. Pourquoi faire une BD ? C’était quelque chose qui te trottait dans la tête ou ça t’est arrivé comme ça ?

J’aime beaucoup les jeux vidéos et le cinéma d’animation, mais être auteur de bande-dessinée c’est mon rêve d’enfance. C’est la passion que j’ai toujours essayé de préserver. La BD, c’est l’art qui me touche le plus et celui dans lequel je m’exprime avec le plus de liberté. Pour la création de Pepper&Carrot, c’est vrai que c’est arrivé un peu « comme ça ». Tout a commencé un dimanche soir d’avril 2014 particulièrement calme, j’ai fait un speedpainting (une peinture numérique à la tablette graphique). J’ai enregistré ce qui ce passait à l’écran par coïncidence ce jour-là :

Cliquez sur l'image pour accéder à la vidéo (youtube)
Cliquez sur l’image pour voir la vidéo (Youtube)

J’avais là une petite sorcière, un chat, une scène… La semaine qui a suivi j’ai ajouté d’autres cases et cela a formé une petite histoire. L’épisode 1 est né ainsi.

Ce petit projet personnel a eu beaucoup de succès, alors j’ai décidé de faire un épisode 2. Puis 3, puis 4… Ce mois-ci, je fais l’épisode 14. L’audience me porte par son enthousiasme. C’est ainsi qu’est né et continue de grandir Pepper&Carrot; un pas devant l’autre, très connecté au présent.

Tu utilises des logiciels libres ou open-source, mais lesquels ? Et qu’est-ce qui t’as décidé à libérer tes œuvres ?

J’utilise essentiellement Krita sur Linux Mint. Mes outils secondaires sont Inkscape, Blender, Gimp, Mypaint, G’Mic et Imagemagick.

J’ai commencé à libérer mes œuvres à la Blender Foundation quand je travaillais sur la direction artistique du court-métrage Sintel. C’était dans le cahier des charges de mettre tous les dessins préparatoires en Creative Commons Attribution. J’ai pu donc faire l’expérience directe de travailler avec cette licence très ouverte au sein d’une grande audience. L’expérience fût très positive. C’est ainsi que j’ai appris à connaître, et ensuite adopté les licence Creatives Commons.

Tes projets sont sous licence CC-BY, CC-BY-SA, CC-BY-NC-ND, copyright classique… Qu’est-ce qui détermine la licence que tu utilises ?

C’est déterminé par des préoccupations juridiques. D’abord il y a les dessins qui sont tellement « copyrightés » par mes clients que je ne peux ni en parler et ni même les montrer. Ce sont les contrats de jeux-vidéos, de cinémas sous NDA (Non Disclosure Agreement : accord de non-divulgation) que j’ai remplis durant mes années freelance. Les dessins « copyrightés » simplement sont ceux où je reçois l’autorisation d’afficher le dessin en basse résolution sur mon site.

La licence CC-By-NC-ND encourage le partage Internet mais empêche les travaux dérivés, les modifications et l’utilisation commerciale. J’ai longtemps utilisé ceci pour mes travaux personnels plus activistes comme pour le « Yin-Yang de la faim dans le monde ». Des groupements politiques m’ont déjà démarché pour détourner ou s’approprier ce dessin. Leur donner l’autorisation d’office serait trop dangereux.

La licence CC-By-Sa, c’est celle qui offre tout, mais demande la mise à disposition des sources de l’œuvre sur une licence également libre. Une façon de forcer l’évolution du libre à rester libre.

La licence CC-By, c’est quand je décide de tout partager, et de ne garder que le crédit participatif à l’élaboration du dessin. C’est la licence que je trouve la plus libre et aussi la licence que j’ai choisie pour tout Pepper & Carrot.

Pepper & Carrot Holiday special

Il y a des personnes qui ne connaissent pas (encore) Pepper&Carrot… Comment tu les présenterais ?

Je les présenterais en BD, tel qu’ils le sont mais si je devais le faire avec que du texte, je passerais la main à ce petit texte issu de l’article de LinuxFr, par l’auteur Eingousef (édité par ZeroHeure, Yvan Munoz, BAud, M5oul, Benoît Sibaud et palm123 et modéré par ZeroHeure / Licence CC by-sa) :

Des personnages mignons, des chats, une influence manga/anime, de l’héroic-fantasy, des clins d’œil au logiciel libre, de l’humour décalé et de la poésie dans un univers épique, des licences libres et des sources complètes, des contributions à des logiciels libres et jeux libres… David Revoy a tout pour plaire aux geeks. Ce dessinateur aux multiples talents, qui s’est fait connaître dans la communauté du libre surtout par son impressionnant travail de concept artist sur les trois derniers Open Movies de la Blender Foundation (Sintel, Tears of Steel et le projet Gooseberry), s’est lancé l’année dernière dans la réalisation d’un webcomic libre, « Pepper & Carrot ». Celui-ci met en scène les aventures décalées de Pepper, une petite sorcière courageuse et casse-cou, mais qui a tendance à sous-estimer ses capacités, et de Carrot, son chat à l’intelligence quasi-humaine, mais éternel esclave de ses instincts, dans l’univers féerique du Royaume d’Hereva, avec ses villes volantes, ses fées, ses phénix, ses dragons-vaches, ses canards-drakes et ses sorcières rivales…

Le mode de financement de Pepper & Carrot est basé sur l’économie participative (Tipeee, Patreon, les dons…). Comment y es-tu venu ? Ça marche bien ?

J’y suis venu car je ne voulais pas proposer Pepper&Carrot aux éditeurs papier. L’édition est un milieu en crise que je connais assez bien grâce à mes années de travail dans l’illustration. Un univers ou la loi du marché prime sur tout. Pepper&Carrot aurait été sans doute dénaturé, standardisé, aseptisé et réduit au bon vouloir des commerciaux, des distributeurs, des actionnaires… du pognon pour le pognon. Quand on élimine la voie de l’édition classique, il ne reste plus grand chose pour exercer la BD à plein temps. Je ne suis ni riche ni « fils de » pour vivre de la BD sans en demander une contrepartie financière. J’ai un loyer mensuel à payer, un corps à nourrir, un matériel informatique à entretenir, donc solliciter le mécénat des lecteurs était ma seule possibilité.
De nos jours, ça marche grâce à la générosité des lecteurs. Financièrement, je suis loin de mes années freelance. Je gagne un petit SMIC pour autant d’heures de travail par semaine qu’il en est humainement supportable (sans congé, sans arrêts maladies, sans retraite). Mon projet en 2016 : arriver à maîtriser la production des épisodes et réduire les heures pour retrouver une vie personnelle en dehors de Pepper&Carrot (une coquetterie que je me suis refusée au cours des 15 derniers mois).

Tu as plein de rêves pour Pepper&Carrot… Comment t’es venue l’idée d’afficher ces douces ambitions ? Cette liste avance bien ?

Pour l’idée, je me suis dit que d’afficher clairement mes rêves et mes motivations aiderait les visiteurs du site à me connaître.

Est ce que ça avance ? Difficile à évaluer pour certain rêves. Par exemple pour le rêve numéro 1 : « Donner une conférence au Japon dans une convention Manga à propos de Pepper&Carrot » c’est super difficile à quantifier l’avancement de ce rêve. Mais j’ai déjà une piste ; j’ai reçu un email d’un lecteur Japonais avec les coordonnées d’un événement Manga qu’il connaît. Je vais donc bientôt constituer un beau dossier pdf pour essayer de démarcher cet événement. Quand au rêve « Atteindre l’épisode 100 ! », ce rêve est très quantifiable et avec la publication le mois dernier de l’épisode 13, j’en suis exactement à 13% !

Un petit mot de la fin ? Ou un dessin ? 😀

Un dessin bien sûr ! Merci pour l’interview !

Dessin de David Revoy pour Framasoft

Toutes les illustrations de l’article sont bien évidemment de David Revoy, en CC-BY 🙂




Vieux Flic et Vieux Voyou : un polar tout neuf dans le Domaine Public !

Y a des jours où on a envie d’un bon vieux polar. Une enquête bien ficelée, une intrigue qui nous titille le ciboulot avec des personnages jubilatoires dont les déboires et les victoires nous chatouillent les zygomatiques.

La recette du roman policier est connue. De San-Antonio aux NCIS, elle fait littéralement partie de notre culture, de notre domaine public. Pourtant, aucun auteur (à notre connaissance) n’avait encore placé son polar flambant neuf dans le Domaine Public Vivant, livrant ses personnages et son univers aux fantaisies de vos imaginaires pour que vous puissiez jouer avec.

Voilà qui est chose faite grâce à Fred Urbain, auteur d’un nouvel opus paru chez Framabook : Vieux Flic et Vieux Voyou.

Quand Lucien, ancien flic et toujours amateur de bon pinard, tire son pote Maxime (ancien pickpocket) de la maison de retraite de la Pinède où ils coulent des jours paisibles… Ce n’est pas pour aller fricoter de la veuve dans un thé dansant !

Ces deux octogénaires vont mener tambour battant une enquête mêlant drogue, meurtres et kébabs avec toute l’insouciance, l’espièglerie et l’expérience que leur confèrent leurs quatre-vingts balais…

L’occasion donc d’une interview avec Fred, heureux papa de ces deux vieux… et d’un polar jubilatoire.

(entretien goupillé par Pouhiou, avec l’aide des relecteurs et relectrices du groupe Framabook)

 

Frédéric Urbain, sous le feu des projecteurs.
Frédéric Urbain, sous le feu des projecteurs.

Salut Fred… Je peux te présenter comme « Le monsieur qui m’a permis de changer le prénom d’un personnage »…

Eh eh, c’est vrai que je suis entré chez Framabook comme correcteur, à l’époque où il n’y avait pas beaucoup d’œuvres de fiction. À part les BD de Simon…
Je cherchais à aider dans le Libre, mais je ne suis pas informaticien. Relire des ouvrages, c’était dans mes cordes.
Et en effet, je me suis enthousiasmé pour tes romans, Pouhiou, au point de te proposer carrément des évolutions dans tes intrigues.

… mais comment te présenterais-tu à Béatrice Dupuis-Morizeau ?

Je suis un contemplatif. J’adore me mettre en retrait et observer le monde, noter les travers, les grandeurs, les beautés et les laideurs des personnes que je croise. Je me fais un album photo avec tous ces morceaux de vie, et ça ressort à l’improviste, ça s’assemble comme ça peut, ce sont les briques de mon petit jeu de construction intime.

Venons-en à ton polar. Les deux personnages principaux, Lucien et Maxime, ont dans les 80 piges… Pourquoi ne pas avoir fait dans le jeunisme ? Il arrive encore des choses aux gens à cet âge-là ? Ou c’est juste pour vendre plus d’ebooks gratuits à Mamie Dupuis-Morizeau qui va avoir une nouvelle liseuse pour Noël ?

Justement… Toute une partie de mon propos est là : on met les gens à la retraite comme s’ils avaient une date de péremption, comme s’ils n’avaient plus rien à vivre, plus rien à ressentir, plus rien à découvrir, plus rien à enseigner… On a tant à apprendre de nos anciens. Je ne suis pas le seul à jouer avec cette idée, regarde Gilles Legardinier, ou Jonas Jonasson. J’adore aussi Les vieux fourneaux. Et ta Madame Marquet, elle n’est pas de la première jeunesse !

Tous les codes du polar semblent délicieusement respectés dans cette enquête… comme si tu les avais étudiés. Tu peux nous expliquer la recette d’un bon roman policier ?

C’est que j’en ai lu beaucoup. Et je suis exigeant ! Ce n’est pas pour rien que je cite Agatha Christie et Alfred Hitchcock dans le bouquin. Je déteste les intrigues qui ne tiennent pas la route, les polars qui ne respectent pas les jalons du genre. Et en effet, j’ai étudié le scénario à la fac et j’en ai écrit pas mal quand je faisais du jeu de rôles.

Je me suis amusé avec les codes, par exemple l’obligatoire passage érotique, la poursuite, le super flic…

La recette d’un bon polar, c’est quand le lecteur croit avoir tout compris pour finalement se rendre compte que l’auteur a tout le temps gardé une longueur d’avance. Je me suis vraiment efforcé de tenir ça tout du long et de surprendre mon public, jusqu’à l’épilogue qui est une pirouette un peu facile, mais je l’assume.

[Yann] Comment conçois-tu ton récit ? Est-ce que tu as un plan détaillé ? Est-ce que tu « joues » les dialogues ? Bref, quels sont tes secrets pour élaborer ton histoire, construire ton intrigue ?

C’est bien mon problème… Je suis à la fois perfectionniste et laborieux. Je traînais cet ouvrage inachevé depuis dix ans. J’avais le début et la fin, l’ambiance générale, des personnages attachants, des idées rigolotes… Mais je galérais avec la chronologie, et je m’étais imposé des contraintes, comme notamment l’alternance des chapitres. J’ai eu la chance de discuter avec des auteurs, des gens de cinéma, de théâtre, qui m’ont tous dit la même chose : d’accord, il faut bosser, mais il s’agit aussi de savoir se laisser embarquer, se faire plaisir, permettre à l’histoire de monter toute seule.

Alors je m’y suis remis et je suis allé au bout, en acceptant d’y laisser des passages moins travaillés.

Je pense aussi que je me marrais tellement avec mes deux loustics, que je répugnais à terminer leur histoire.

Franchement, je peux l’offrir, le bouquin, j’ai déjà été largement payé !

Tu allies un humour (et une verve argotique) à la Audiard et San Antonio avec des éléments résolument modernes et geek-friendly… Comment as-tu géré ce grand écart ? Que font un flic et un voyou de la vieille école quand l’enquête mêle ordinateurs, tracking GPS, et autres codes de notre modernitude ?

Eh bien, ça m’est assez naturel. Je suis un geek avec une culture somme toute plutôt classique. Je suis fan des films de la période Audiard, des Gabin, Ventura, Bourvil, Blier, Darc, Belmondo. Pour moi, Lucien, c’est Julien Guiomar ! Alors ça se mélange sans trop de problème. Les gens de ma génération ont roulé en deux-chevaux, mais ils utilisent un PC depuis vingt-cinq ans.

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[Goofy] Tu reconnais volontiers ta dette et ton admiration pour des écrivains dont la langue est charnue et savoureuse comme René Fallet, tu pourrais mentionner tes trois bouquins préférés (je sais, c’est dur de choisir quand on aime) ?

Ça, c’est très difficile, comme exercice. Parce que mes préférences fluctuent en fonction de mes états d’âme et des périodes de ma vie.

Il y a un bouquin qui reste tout en haut de mon estime, toujours, c’est Kim, de Kipling. Justement à cause des dialogues, de l’impertinence du personnage principal dont la verve est fabuleuse.

Je vais citer aussi La vieille qui marchait dans la mer, de San-Antonio. C’est curieux, je n’ai pas pensé à ce livre en écrivant, et pourtant il a des similitudes avec le mien. Cette vieille saloperie qui, malgré tout, est croyante, juge inutile de prendre des gants quand elle s’adresse à Dieu. Alors elle prie comme un charretier. Ses soliloques sont extraordinaires.

Le troisième, c’est La folie Forcalquier, de Pierre Magnan. Là aussi, une langue magnifique. Je suis un admirateur éperdu de Monsieur Magnan, j’ai emmené toute ma famille en vacances dans ses montagnes. J’ai adapté un de ses romans pour l’écran, avec l’autorisation de son épouse. Mais vous ne le verrez probablement jamais, faute de sous pour le produire. Je n’ai pas tout lu, de lui, je m’en garde sous le pied pour quand j’aurai besoin de me faire du bien.

Revenons un poil sur la langue… Tu ne mégotes pas sur les argots, que ce soit dans la bouche de tes personnages ou dans les lignes du narrateur… D’où ça te vient cet amour pour ces langues ? Comment se sont-elles insérées dans ton écriture ?

J’ai surtout une passion pour les dialogues. Les mots qu’on s’échange, les histoires qu’on se raconte, c’est la vie ! Ça m’arrive tout le temps, de rencontrer des inconnu-es, et en trois minutes je sais tout de leur existence.
Alors, quand je fais parler un personnage, j’aime que ça roule.

[Mireille] Comment se fait-il qu’un (relativement) jeune comme toi jaspine aussi bien l’argomuche ? Moi-même, qui suis jeune seulement dans ma tête et dont la daronne est née dans l’faubourg St D’nis, je ne le jaspine pas aussi bien que toi… Chuis jalmince !

Au final, l’argot, je l’ai plus lu que parlé. J’ai grandi en province, moi ! Je connais bien quelques authentiques « titis » parisiens, mais j’ai surtout pratiqué l’argot des poètes, celui de San-Antonio, de Renaud, de Cavanna. C’est un langage très métaphorique, qui parle avec des images, parfois triviales, souvent astucieuses. C’est la créativité des petites gens qui se manifeste au détour d’une phrase. Et elle est loin d’être moribonde, la langue des rues de Paris. Je fais dire « daron » à un jeune dans la cité, c’est pas du chiqué, ce terme ancien est encore utilisé, je l’ai souvent entendu. Daron, on le lit dans Les Misérables !

Ce qui m’a surpris, c’est qu’au final, quand je testais le manuscrit, certains termes que je pensais passés dans le langage courant ont bloqué mes lecteurices. J’ai réfléchi à mettre un glossaire, ou des notes de bas de page, mais bon c’est un polar, pas un dictionnaire d’argomuche. J’ai fait le pari que le contexte suffirait à éclairer le sens des mots. Sinon, allez demander à Boudard, Le Breton, Perret.

Dis-moi, quand tu as commencé l’écriture de ce roman, tu envisageais déjà de l’élever dans le Domaine Public ?

Pas du tout ! Je pensais faire un polar bien classique, et aller le proposer sans grand espoir à un éditeur traditionnel, finir sans doute par le publier à compte d’auteur, avoir des centaines d’invendus dans ma cave, mangés par la moisissure… Je bricolais déjà avec des logiciels libres, mais je n’étais pas imprégné de culture libre.

Alors comment t’est venu ce choix de licence ? C’est juste pour faire comme moi et me piquer mes followers :p ?

Exactement ! C’est ton discours sur la confiance qui m’a influencé. Étant dans le groupe Framabook, je ne pensais plus le publier autrement que sous licence libre, mais je réfléchissais à une CC-BY standard. Et puis je me suis demandé quelle différence ça pouvait bien faire, une fois qu’on avait accepté la démarche, autant aller au bout du militantisme.

Ce qui m’a fait marrer, ce sont les copains qui me demandaient « tu l’as protégé, au moins, ton manuscrit ? Comment tu vas gagner des sous, si on peut le télécharger librement ? »

C’était l’occasion d’expliquer le partage, le domaine public vivant.

Les débats sur l’entrée du Petit prince dans le domaine public m’ont pas mal interpellé, aussi.

Cela fait quelques années maintenant que tu participes au projet d’édition collaborative Framabook… Qu’est-ce que ça t’a fait de te retrouver de l’autre coté des corrections ? [Goofy] Ils sont vraiment aussi ch*ants qu’on le dit, les relecteurs ?

Le plus pénible de la bande, je ne le craignais pas, c’est moi ! J’avais surtout peur que vous ne soyez trop indulgents avec un auteur « de la maison », que vous me fassiez trop confiance et que vous n’osiez pas me pousser à me dépasser comme on le fait avec d’autres postulants. Malgré la qualité de son texte original, qu’est-ce qu’on a enquiquiné Lilly, par exemple !

Je tiens absolument à ce que Framabook reste une vraie maison d’édition, exigeante, qui ne publie pas n’importe quoi sous prétexte que c’est du libre. Il y va de sa crédibilité. Moi qui, en comité de lecture, ai voté contre la publication de certains ouvrages, je ne voulais pas qu’on sorte mon bouquin parce que c’était le mien. Ça va peut-être vous faire rigoler, mais j’ai sérieusement envisagé de vous monter un bateau et de proposer le roman sous un pseudo, avec une fausse adresse mail. Et puis je me suis dit que de toute façon je me ferais vite gauler, vu que j’avais déjà parlé de mon projet à plusieurs d’entre vous.

Donc, bon, un soir j’ai pris mon courage et j’ai mis mon texte dans un mail.

Bon, c’est pas tout ça mais… la suite des aventures de Lucien et Maxime, elle te titille le ravioli ou bien tu vas partir sur d’autres projets ?

Je vais les laisser se reposer un peu, à leur âge ce ne serait pas raisonnable de recommencer à courir après les méchants tout de suite.

Mais j’ai bien un autre projet, encore un polar, dans lequel je vais encore jongler avec la langue.

Bon, pas d’affolement, je suis bien capable de le laisser mariner dix ans aussi, celui-là.

Et comme toujours lors de nos interviews, on te laisse le mot de la fin et/ou la question que tu aurais voulu qu’on te pose 😉

Difficile de sortir un roman rigolo en plein état d’urgence, mais si on attend que ça aille mieux on n’est pas sortis des roseaux !

Et puis, le vivre ensemble, c’est bien l’un de mes sujets, finalement.

J’ai retravaillé une description parce qu’une lectrice trouvait racistes les propos du narrateur.

En revanche, les préjugés sur les vieux que je balance à longueur de bouquin (au second degré, évidemment), les rhumatismes, les cors aux pieds, la prostate, les charentaises, ça n’a choqué personne.

L’intolérance est partout, et chacun essaie de se dépatouiller avec ses peurs, sa conscience, et le regard des autres.

SI on arrive à en rire, on a déjà fait un grand pas.

 

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