Tableau numérique interactif et interopérabilité

eBeam - CC byL’usage des tableaux numériques interactifs (TNI, également appelés parfois TBI pour tableau blanc interactif) se diffuse actuellement à l’Éducation Nationale, comme l’illustre par exemple le récent dossier de Sésamath. Personne ne songerait à mettre en cause leur potentiel pédagogique, quand bien même cela demande aux enseignants réflexion et adaptation (sans oublier que cela demande également de l’argent à l’Institution).

Pilotes, logiciels, formats de fichiers… il y a cependant quelques questions à se poser si l’on ne veut pas se retrouver pieds et poings liés autour d’une technologie propriétaire[1].

Le pilote c’est le programme informatique qui va permettre l’interaction entre l’ordinateur et le périphérique (ici le tableau). Il est généralement fourni par le constructeur du périphérique qui a le choix de le placer sous licence libre ou propriétaire et de le proposer pour un ou plusieurs systèmes d’exploitation (Windows, Mac, Linux).
Il y a également les logiciels spécifiques au périphérique, ceux censés en tirer sa substantifique moelle. Par exemple tous les TNI disposent d’un mode « paperboard », c’est-à-dire la possibilité d’envisager le TNI comme un tableau blanc où l’on peut non seulement écrire avec le stylet mais ajouter des images, des médias, des figures interactives, des liens internet, etc. Tout comme les pilotes, ces logiciels peuvent être libres ou propriétaires, liés ou non à un constructeur, disponibles uniquement pour Windows ou pour d’autres OS.
Enfin il y a les fichiers que vous générez avec ces logiciels (par exemple le fichier issu d’une session « paperboard » où vous retrouvez tout ce qui aura été écrit de pertinent sur le TNI pendant la séance et que les élèves sont susceptibles d’emporter avec eux si on leur offre cette opportunité). Ces fichiers ont un format qui là encore peuvent être ouverts ou fermés.

Sachant cela, le cauchemar c’est le TNI A d’un constructeur B disponible uniquement pour le système d’exploitation C (et pas même les anciennes versions de C) et ne pouvant être exploité qu’avec le logiciel propriétaire D (du constructeur B) ne produisant qu’un format de fichier fermé E lié au logiciel D. Enseignants et élèves sont alors obligés d’avoir un ordinateur sous l’OS C avec le logiciel D pour préparer, relire, échanger, modifier et archiver une séance « paperboard ». Quand à l’établissement, le jour où le constructeur B décide ne plus produire et suivre son TNI A et son logiciel D (pour x raisons : la faillite, la production d’un nouveau modèle bien plus mieux mais non compatible avec l’ancien modèle A+D, etc.), il se retrouve dans une position délicate avec tous ses profs et élèves disposant de fichiers au format E désormais illisibles et donc inutilisables.

Et le paradis ? Ce serait le TNI A d’un constructeur B qui proposerait des pilotes libres pour de nombreux OS (dont au moins un OS libre) avec des logiciels exploitant le TNI qui seraient eux aussi sous licence libre et disponibles pour de nombreux OS et qui produiraient des fichiers dans des formats ouverts et donc interopérables.

Quelle naïveté, me direz-vous ! Quel constructeur est en effet assez fou pour remplir ce cahier des charges qui non seulement ne ferait que rallonger le temps de travail (et donc les coûts) mais serait également susceptible de lui faire perdre des parts marché. On ne va tout de même pas offrir ainsi des années de R&D à la concurrence !

Certes. Mais alors le minimum vital à assurer, surtout en milieu non lucratif comme l’école, concerne le format de fichiers. Disposer en effet d’un format de fichiers ouvert, documenté et standardisé permet au plus gros verrou de sauter. Parce que du coup cela permet à tous les développeurs de logiciels pour TNI de se caler et proposer par défaut à leurs utilisateurs le même format pérenne quel que soit le TNI utilisé, l’OS utilisé et le logiciel utilisé (libre ou non).

Et comme il est assez rare de voir les constructeurs éditeurs créer spontanément un format ouvert pour les fichiers issus de leurs logiciels, il convient alors aux clients de leur mettre gentiment la pression pour les pousser soit à libérer leurs formats soit à adopter un nouveau format reconnu pas tous et par là-même interopérable (cf par exemple l’affaire du format OOXML de Microsoft).

Or c’est le Ministère de l’Éducation Nationale française qui est le principal client ici. Il en irait a priori de sa responsabilité. Mais n’ayant visiblement pas accordé une attention soutenue à la problématique des formats de fichiers des suites bureautiques, il ne risquait pas, en l’état actuel de la situation, de se préoccuper de celle des formats de fichiers TNI.

C’est donc une fois de plus vers l’Angleterre que nous nous tournons, et son agence gouvernementale Becta, avec ce récent communiqué intitulé Format de fichiers standard pour les tableaux interactifs : où en sommes nous ? dont nous avons traduit un extrait ci-dessous :

Becta et RM, en consultation avec des fournisseurs de tableaux interactifs, ont élaboré un brouillon de spécifications d’interopérabilité pour un format de fichiers standard destiné aux tableaux blancs interactifs. Notre objectif est de développer un format de fichiers universel qui pourra être adopté comme standard dans toute la branche d’activité.

Les syndicats d’enseignants et de formateurs ont aussi participé à la conception du brouillon de spécifications. Leur contribution vient renforcer l’idée qu’un format de fichiers standard présenterait d’immenses avantages pour la pédagogie, en permettant l’échange de ressources au sein des institutions et entre elles.

Le communiqué renvoie à ce brouillon (draft) où l’on peut lire la chose suivante :

Ce format de fichiers servira de support à du contenu destiné à être visionné sur un grand écran. Puisque la plus grande partie de ce contenu sera conçue pour être interactive, les objets pourront être déplacés dans la page.

L’objectif premier consiste à créer un format que l’on peut ouvrir, modifier, sauvegarder et utiliser avec de nombreux logiciels pour tableaux interactifs, de sorte que le contenu pédagogique puisse être échangé entre établissements. À cet égard, le format doit être d’architecture simple mais adaptable de façon balisée afin d’assurer la compatibilité.

Ce format porte le nom « d’Interactive Whiteboard File Format » (NdT : format de fichiers pour tableaux interactifs), ou IWB en abrégé.

Conclusion : longue vie au format IWB, qui profitera non seulement aux écoles britanniques mais à toutes celles des autres pays qui n’ont pas la chance d’avoir un Becta chez eux.

Notes

[1] Crédit photo : eBeam (Creative Commons By)




Logiciel libre et éducation : quand le Royaume-Uni montre le chemin…

Kifo - CC by-saOn s’active de l’autre côté de la Manche. Preuve en est cette fort bienvenue nouvelle initiative de l’agence britannique Becta, à savoir l’ouverture récente du très prometteur site Open Source Schools dédié, comme son nom l’indique, aux logiciels libres à l’école.

Ce site est l’une des conséquences du rapport Becta Microsoft Vista et Microsoft Office 2007, rédigé il y a un an, que nous avions traduit cet été. Ses conclusions étaient limpides et il en allait selon nous de la responsabilité des autres pays si ce n’est d’adopter la même posture tout du moins de se poser les mêmes questions en évaluant sérieusement la pertinence des produits Microsoft mais surtout des alternatives libres[1].

On pouvait notamment lire ceci en page 34 § 6.11 :

Au cours des douze prochains mois Becta prendra un certain nombre de mesures pour encourager un choix plus efficace dans le cadre d’un usage éducatif. Ce travail inclura la publication d’un programme de travail dont le but sera de :

– fournir plus d’informations sur le site de Becta sur ce qu’est un logiciel libre et quels sont ses avantages pour l’éducation en Grande-Bretagne;

– compléter la base de recherche actuelle qui recense les usages des logiciels libres dans le secteur éducatif et identifier des déploiements modèles de logiciels libres. Cela engloberait également l’esquisse d’un tableau national des usages des logiciels libres dans les écoles et les universités;ourceschools-montre-la-voie-a-suivre

– travailler avec la communauté du logiciel libre pour établir un catalogue en ligne des logiciels libres appropriés pour l’usage dans les écoles de Grande-Bretagne. Parmi les informations disponibles on retrouvera les moyens d’obtenir une assistance dédiée à ces logiciels et comment contribuer à leur développement futur. Ce catalogue sera publié sous une licence Creative Commons afin que les fournisseurs puissent le modifier pour leur propre usage;

– donner des indications aux sociétés de services en logiciels libres pour qu’elles puissent efficacement participer dans de nouvelles structures compétitives et pour qu’elles puissent proposer des logiciels libres via la structure de fournisseurs existante de Becta.

Le site Open Source Schools est donc clairement l’une des concrétisations de ce rapport. Nous vous proposons ci-dessous la traduction du communiqué de presse mis en ligne pour l’occasion sur le site du Becta :

Un service de support pour les établissements scolaires qui utilisent des logiciels libres

Support for schools on using open source software

Becta – 13 janvier 2009
(Traduction Framalang : Don Rico)

Les établissements scolaires peuvent à présent trouver des conseils sur un nouveau site communautaire leur permettant de mieux savoir en quoi l’utilisation de logiciels libres pourrait leur être avantageuse.

Le site Open Source Schools propose des ressources pour montrer en quoi les logiciels libres peuvent profiter à l’enseignement et à l’apprentissage, favoriser l’implication des élèves et des parents, faciliter la gestion des informations et des ressources, et simplifier l’administration de l’établissement.

On y accorde une place centrale à une série d’études de cas sur la mise en place et le développement des logiciels libres dans le milieu scolaire. On y trouve aussi des forums où proviseurs, enseignants, techniciens informatiques et d’autres encore peuvent partager leur expérience de ce modèle alternatif d’acquisition, de distribution et de développement de logiciel. Le site met en exergue des blogs qui traitent des logiciels libres dans l’éducation, des actualités et des liens vers des sites de développeurs de logiciels Open Source.

Ce site s’inscrit dans un projet soutenu par Becta, qui vise à faire connaître les logiciels libres.

Promenons-nous quelques instant sur Open Source Schools

On remarquera tout d’abord que le site est sous Drupal (avec inscription autorisant l’OpenID) mais on remarquera surtout que la licence par défaut est la Creative Commons By-Sa. Droit d’usage, de copie, de distribution, de modification, droit d’exploitation commerciale… autrement dit une licence qui offre à ses utilisateurs les mêmes droits que les licences des logiciels libres (et qui est donc approved for free cultural works).

Il y a un forum, un annuaire sélectif de logiciels libres (où l’on recense la crème de la crème sans oublier la spécificité éducative), et des études de cas (qui sont autant de témoignages d’expériences réussies susceptibles d’influencer positivement les collègues),

Une attention toute particulière a été donnée à l’entrée About OSS (à propos du logiciel libre). Outre une page d’accueil conséquente nous expliquant ce qu’est un logiciel libre, on y trouve également une dizaine d’autres articles abordant des sujets comme la pertinence du logiciel libre en milieu scolaire, le logiciel libre et la gratuité, la différence entre logiciel libre et web 2.0, une information sur les licences, etc.

Parmi ces articles Becta negotiations with Microsoft explique calmement et sereinement entre autres pourquoi il y a des problèmes avec la politique de licences et d’interopérabilité des produits Microsoft (rappelant au passage l’existence du fameux rapport), pourquoi le Becta s’en est plaint auprès de l’Office of Fair Trading, et pourquoi le Becta pousse à ce que Microsoft adopte réellement le format ODF.

On notera enfin que l’on ne craint pas (dans la colonne de droite) de référencer des fils d’actualités de sites ou blogs non institutionnels qui évoquent l’actualité du logiciel libre et sa culture.

Quant à la page About Us (qui sommes-nous ?), il nous a semblé qu’elle méritait elle aussi sa petite traduction :

Notre initiative Open Source Schools Community a pour but de sensibiliser les établissements scolaires aux logiciels libres (LL), de les aider à les adopter, à les utiliser et à les développer. De nombreux établissements ont déjà compris en quoi les LL étaient bénéfiques à leur stratégie TIC. Ce projet s’attachera donc à faire partager leur expérience (appuyée par des exemples de mise en pratique des LL réussie dans d’autres secteurs, aux personnels de l’éducation dans leur ensemble) parmi lesquels enseignants, décisionnaires et spécialistes des technologies de l’information.

Open Source Schools est un projet qui doit durer deux ans et qui bénéficie du soutien de Becta. L’objectif étant qu’au terme de cette période la communauté comptera suffisamment de membres actifs pour qu’elle se suffise à elle-même.

Notre site se veut un site d’information objectif visant à montrer quels avantages les LL peuvent apporter à l’apprentissage, à l’enseignement et aux infrastructures scolaires. Notre projet consiste à développer et à soutenir une communauté de pratiques impliquant ceux qui utilisent déjà les LL, accueillant et apportant de l’aide aux nouveaux membres qui souhaitent découvrir le potentiel des LL.

Notre but est de créer un site Internet centré sur l’éducation et dont le contenu sera dicté par les besoins de la communauté – on y répondra aux questions, fournira des conseils sur mesure, ouvrira les perspectives, encouragera les contributions et les débats au sein de la communauté, et donnera les moyens à ceux qui le souhaitent de prendre des décisions en ayant toutes les cartes en main et de devenir des utilisateurs confiants des LL qui répondront à leurs besoins. Pour commencer, il s’agit de développer des ressources avec l’aide de défenseurs chevronnés des LL, en les encourageant à partager leur expérience avec les nouveaux membres désireux de s’initier aux logiciels libres.

Nous sommes là pour compléter des initiatives déjà existantes de la communauté du logiciel libre au sein des établissements scolaires et ailleurs. Nous mettons à disposition un annuaire de logiciels libres et fournisseurs de services dans le domaine des LL, ainsi que des cas d’études de mises en pratique réussies fournis par la communauté, en mettant l’accent sur les bénéfices concrets qu’apportent les LL aux établissements.

Bien qu’il existe déjà une grande quantité d’informations disponibles, le cœur de ce projet consiste à développer une communauté de pratique en ligne rassemblant ceux qui souhaitent découvrir les solutions qu’offrent les logiciels libres pour améliorer l’apprentissage et l’enseignement dans les écoles, et en faire profiter la vie des établissements.

Impressionnant non ? Surtout si l’on envisage ce site tout jeune comme une sorte de version 1.0 sujet à de futures améliorations mais surtout de futures collaborations. Le souci d’accueillir les nouveaux entrants est bien là, tout comme celui de le rendre autonome via une communauté à construire.

Du coup la participation des acteurs éducatifs (enseignants, administrateurs, techniciens) est clairement encouragée. D’abord en permettant à quiconque de commenter et de poster dans les forums sans inscription (et avec modération a posteriori) mais également en invitant les visiteurs à s’inscrire pour rejoindre l’équipe constituée, s’impliquer et bonifier eux-mêmes le site de leur propre contenu

En un mot comme en cent : c’est bien pensé tout ça, chapeau bas le Becta !

Sauf que inévitablement on en vient à se poser la question de la situation française. Comparaison n’est pas raison, mais y aurait-il chez nous quelque chose qui ait l’ambition de ressembler de près ou de loin à ce que nous proposent ici nos amis anglais ?

La réponse à cette question fera l’objet d’un prochain billet où, contrairement à l’habitude, nous irons au delà de simple constat alarmant pour être source de concrètes propositions…

Notes

[1] Crédit photo : Kifo (Creative Commons By-Sa)




La vie est partage (du temps de cerveau disponible)

Nombreux sont les mouvements collectifs dont le message et les valeurs ont été récupérés, détournés, pour ne pas dire dévoyés par la publicité et le marketing.

Prochaine victime potentielle : « la culture libre ».

S’inspirant directement du phénomène des flash mobs, une vidéo de l’opérateur téléphonique T-Mobile (groupe Deutsche Telekom), tournée le 15 janvier dernier à la station Liverpool Street de Londres. Réalisée par l’agence Saatchi & Saatchi, elle a demandé 350 danseurs filmés par de nombreuses caméras « cachées ». Cette chorégraphie fut transformée en spot TV pour être diffusée deux jours après en prime time sur la chaîne de télévision britannique Channel 4.

L’annonce ne comporte aucun texte si ce n’est le slogan final de l’opérateur : « Life’s for sharing »

PS : C’est l’un des buzz du net actuel, mais, à de rares exceptions près, ne comptez pas surtout pas sur la blogosphère pour prendre du recul et se montrer critique. C’est à qui la référencera en premier, accompagnée d’une présentation toujours élogieuse et admirative. Il n’y aurait plus qu’à remercier T-Mobile de nous offrir ce petit moment divertissement en somme.




L’informatique doit-elle rester un simple outil à l’école ?

Laihiu - CC byIl y a un réel débat actuellement qui traverse l’Éducation Nationale autour de la « culture informatique » à transmettre à nos enfants. Pour les uns, on donne une culture à travers l’utilisation des outils (savoir se servir de la messagerie, du traitement de texte…) et c’est ce qui est proposé actuellement, notamment avec le B2i. Pour les autres cela ne suffit pas et il faut un enseignement en tant que tel, comme il y a un cours de français ou de mathématiques. J’en suis,(même si après il convient de voir avec précision ce que l’on met dedans).

Jean-Pierre Archambault, que le monde du libre éducatif français connait bien, fait clairement partie lui aussi de la deuxième catégorie comme en témoignent les deux articles que nous avons choisi de reproduire ci-dessous[1].

Rappelons que Xavier Darcos a dans l’intervalle finalement reporté sa réforme du lycée. Le module informatique dont il est question dans ces deux articles se trouve donc lui aussi suspendu aux futures décisions.

L’acquisition par les lycéens des fondements de la science informatique…

URL d’origine : Médialog (décembre 2008)

Le Ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, a annoncé le 21 octobre dernier, lors d’un point d’étape sur la réforme du lycée, qu’un module « Informatique et société numérique » sera proposé en classe de seconde à la rentrée 2009. Nous nous félicitons de cette initiative qui correspond à un besoin profond de la société du XXIème siècle dans laquelle l’ordinateur, l’informatique et le numérique sont omniprésents.

L’informatique irrigue la vie quotidienne de tout un chacun. Elle modifie progressivement, et de manière irréversible, notre manière de poser et de résoudre les questions dans quasiment toutes les sciences expérimentales ou théoriques qui ne peuvent se concevoir aujourd’hui sans ordinateurs et réseaux. Juristes, architectes, écrivains, musiciens, stylistes, photographes, médecins, pour ne citer qu’eux, sont tout aussi concernés.

L’informatique s’invite également au Parlement. Ainsi, on s’en souvient, en 2006, la transposition de la directive européenne sur les Droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), suscitait des débats complexes dans lesquels exercice de la citoyenneté rimait avec technicité et culture scientifique. S’il fut abondamment question de copie privée, de propriété intellectuelle, ce fut sur fond d’interopérabilité, de DRM (Digital rights management), de code source… La question est posée des représentations mentales, des connaissances incontournables qui permettent d’être un citoyen à part entière.

Par ailleurs, il y a de plus en plus d’informatique dans la société, mais les entreprises ont du mal à recruter les informaticiens qualifiés dont elles ont besoin, et cela vaut pour l’ensemble des pays développés. Le Syntec, la chambre syndicale des sociétés de service en informatique et des éditeurs de logiciels, se plaint du manque d’attractivité chez les jeunes pour les métiers de l’informatique.

Il y a donc pour le système éducatif, au nom de ses missions traditionnelles, un enjeu fort de culture générale scientifique et technique qui passe par une discipline scolaire en tant que telle, en complémentarité avec l’informatique outil pédagogique, de plus en plus présente dans les autres disciplines.

Répondant à une commande du Recteur Jean-Paul de Gaudemar, qui pilote la mission sur la réforme du lycée, le groupe « Informatique et TIC » de l’ASTI (Fédération des Associations françaises des Sciences et Technologies de l’Information) et l’EPI (Enseignement public et informatique) ont élaboré, pour ce module « Informatique et société numérique », une proposition de programme qui se veut contribution constructive. Elle comprend de l’algorithmique et de la programmation, la représentation des informations, l’architecture des ordinateurs et des réseaux, et vise également à ce que les élèves aient une idée plus globale de ce qu’est l’informatique.

Un chantier institutionnel majeur s’ouvre qui vise l’acquisition par les lycéens des fondements de la science informatique au service de leur compréhension et de leur action dans la société numérique : une ardente obligation !

Maurice Nivat
membre correspondant de l’Académie des Sciences
Jean-Pierre Archambault
président de l’EPI

Culture informatique et culture numérique

URL d’origine : EPI (décembre 2008)


L’année 2008 se termine qui a vu l’EPI prendre de nombreuses et diverses initiatives en faveur d’un enseignement disciplinaire de l’informatique au lycée. Nous pouvons donc exprimer notre satisfaction de la création à la rentrée 2009 d’un module « informatique et société numérique » en classe de seconde. Cette décision, annoncée le 21 octobre dernier par le Ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, correspond aux exigences de la société dans laquelle nous vivons. Elle s’inscrit dans une vision globale de l’informatique éducative. L’enjeu est clair, conforme aux missions traditionnelles de l’École : former l’homme, le travailleur et le citoyen de la société numérique.

Sur le plan économique, le défi est majeur. Lors de la table ronde organisée par notre association à l’occasion du salon Educatice 2008, Gérard Berry a souligné la différence essentielle qui existe entre la « consommation » et la « création » d’informatique. Il a rappelé que, dans le monde, plus de 30 % de la R&D était consacré à l’informatique (la France est en deçà). Il a posé la question de savoir si notre pays se destinait à utiliser des produits conçus et réalisés par d’autres. Dans cette même table ronde, Gilles Dowek a rappelé que les sciences physiques étaient devenues une matière scolaire car elles sous-tendaient les réalisations de la société industrielle (mécanique, électricité…). Or le monde moderne « se numérise » à grands pas. Ce qui a valu, et vaut toujours pour la physique, vaut aujourd’hui pour l’informatique (et ses fondamentaux : algorithmique, programmation, théorie de l’information, architecture des matériels et réseaux). Lors du récent Forum Mondial du libre, Roberto Di Cosmo indiquait qu’« écrire un programme » et « bien écrire un programme » étaient deux choses fort différentes ! Or l’on sait que le lycée est à la fois un moment de la vie et un lieu où naissent bien des vocations…

Il est bien connu que nous avons toujours considéré qu’un enseignement de l’informatique en tant que tel était indispensable et complémentaire de l’utilisation de l’informatique dans les autres disciplines. L’informatique est objet d’enseignement et outil pédagogique, mais aussi facteur d’évolution des autres disciplines, dans leur « essence », leurs objets et leurs méthodes, comme dans les enseignements techniques et professionnels ou dans les sciences expérimentales avec la simulation. L’informatique est aussi bien sûr outil de travail personnel et collectif de la communauté éducative dans son ensemble, par exemple avec les ENT. Ces différents statuts loin de s’opposer se renforcent mutuellement.

La culture informatique, scientifique et technique, est une composante nécessaire de la culture numérique.

Le citoyen éclairé participe aux débats de société sur le nucléaire ou les OGM. Pour cela il dispose d’un appareillage conceptuel que les enseignements des sciences de la vie et de la terre et des sciences physiques lui ont donné. Dans la société numérique, il doit pouvoir intervenir pleinement dans des problématiques comme les « droits d’auteurs et droits voisins dans la société de l’information » ou droits et libertés. Ce sont des domaines compliqués (interopérabilité, DRM, code source, adresse IP…), inaccessibles si l’on ne s’est pas approprié le noyau de connaissances stables et transmissibles qui sous-tendent la société numérique, si l’on ne s’en ait pas fabriqué une représentation mentale opérationnelle. Cela vaut également pour les usages des objets du quotidien qui intègrent de plus en plus des ordinateurs et de l’information numérique.

Répétons-le, en matière de formation solide et durable, la simple utilisation « spontanée » d’outils ne suffit pas. Il ne faut pas faire un sort particulier à l’informatique. Maîtriser sa langue maternelle, acquérir la culture mathématique nécessaire sont des processus longs où les élèves apprennent des notions que l’humanité a mis des siècles à élaborer. Les notions de lettre, mot ou nombre sont des abstractions difficiles pour un jeune enfant. Et pourtant… La culture scolaire au lycée est aussi faite de probabilités, de fonctions… et d’algorithmique, programmation, information, réseaux. Et, bien entendu, faut-il le répéter, la pédagogie impose de s’appuyer sur l’environnement des élèves, leurs pratiques du numérique, pour mieux les dépasser.

L’on entend parfois dire que, l’informatique ayant beaucoup changé en vingt ans, des concepts enseignés il y a vingt ans n’auraient plus cours aujourd’hui. Bizarre. Le monde bouge plus vite que les fondamentaux de la connaissance scolaire. C’est la nécessaire loi du genre. Le théorème de Pythagore est vieux de 25 siècles, ce qui n’empêche pas les collégiens d’encore l’étudier de nos jours ! Socrate et Platon n’ont pas été rendus caducs par Descartes et Kant. Molière est toujours très actuel car universel et « éternel ». La programmation est partie intégrante de l’informatique, moyen irremplaçable pour comprendre l’intelligence de la science informatique et outil pertinent pour les autres disciplines. Si elle s’enrichit en permanence, pour autant, du point de vue de la culture scolaire en classe de seconde, elle n’a pas vieilli.

L’EPI a été auditionnée par le groupe d’experts ministériel pour l’élaboration du module « Informatique et société numérique » pour la classe de seconde. La rencontre a donné lieu à des échanges riches et approfondis. L’EPI, association d’enseignants, se propose d’« accompagner », à sa manière et avec sa spécificité, la mise en œuvre du module de seconde. Avec l’objectif qu’il soit une « belle » réussite pérenne.

En attendant, bonnes fêtes de fin d’année à toutes et à tous.

Jean-Pierre Archambault
Président de l’EPI

Notes

[1] Crédit photo : Laihiu (Creative Commons By)




Le Centre Français d’exploitation du droit de Copie mène l’enquête à l’école

iLoveButter - CC byDans un récent billet intitulé De l’usage des « œuvres protégées » à l’Éducation Nationale, j’évoquais la situation difficile voire parfois carrément ubuesque dans laquelle était placé l’enseignant suite à des accords complexes avec les ayant-droits détenteurs des droits exclusifs d’exploitation.

L’idée générale de ces accords étaient de permettre aux enseignants d’utiliser ces « œuvres protégées » avec leurs élèves sans avoir à demander à chaque fois les autorisations aux ayant-droits quand bien même sous certaines conditions (voir le billet cité plus haut pour juger de la pertinence pédagogique et technique de certaines conditions !). En contrepartie les différentes sociétés de perception et de répartition de droits (selon le média : livre, presse, image, cinéma, musique…) ont reçu en deux ans, de 2006 à 2008, pas moins de quatre millions d’euros de la part du contribuable Ministère de l’Éducation Nationale.

Mais premier problème avec la redistribution de cette somme rondelette. Comment savoir en effet si une ressource donnée a été utilisée par un enseignant afin de justement rémunérer les ayant-droits de cette ressource ?

Pour le savoir les accords prévoyaient ceci :

La reproduction numérique d’une œuvre doit faire l’objet d’une déclaration pour permettre d’identifier les œuvres ainsi reproduites. Cette déclaration consiste à compléter le formulaire mis en ligne à l’adresse suivante.

Second problème, puisqu’à mon humble avis absolument aucun enseignant (ou presque) n’est venu remplir ce formulaire, tout simplement parce que rien n’a été fait pour le prévenir que cela faisait partie de ses « obligations de service ». Et puis quelle fiabilité peut-on accorder à un formulaire qui ne demande aucune identification (l’ayant-droit de la ressource X peut si cela lui chante entrer cinquante fois la ressource X dans le formulaire). Échec prévisible, échec sûrement constaté.

Qu’a cela ne tienne, on trouvait également ce paragraphe dans ces fameux accords :

Les représentants des ayants droit pourront procéder ou faire procéder à des vérifications portant sur la conformité des utilisations d’œuvres visées par l’accord au regard des clauses de l’accord. Les agents assermentés de chaque représentant des ayants droit auront la faculté d’accéder aux réseaux informatiques des établissements afin de procéder à toutes vérifications nécessaires. Ils pourront contrôler notamment l’exactitude des déclarations d’usage et la conformité de l’utilisation des œuvres visées par l’accord avec chaque stipulation de l’accord.

Je n’ai pas ouïe dire qu’à ce jour des « agents assermentés » soient entrés dans les lycées pour contrôler « l’exactitude des déclarations d’usage et la conformité de l’utilisation des œuvres visées par l’accord ».

Par contre voici le mail que m’a tout récemment envoyé un collègue (le CFC c’est donc le Centre Français d’exploitation du droit de Copie) :

Je suis un lecteur assidu du Framablog et accessoirement, je suis enseignant au lycée. J’avais bien ri (jaune …) en lisant ton billet sur les droits de reproduction d’oeuvres protégées dans notre belle maison. Sauf, qu’aujourd’hui, je ne rigole plus puisqu’on me demande d’endosser le costard d’inspecteur du CFC. En effet, mon établissement a été sélectionné pour participer à une enquête visant à recenser les œuvres copiées sur une durée d’un mois pour évaluer les reversements aux ayant-droits. Chaque prof doit donc se farcir le remplissage d’un tableau (voir copies jointes).

Le plus intéressant est que ce document était accompagné d’une note de notre chef d’établissement dont je ne peux m’empêcher d’en reproduire la dernière phrase : « Dans l’hypothèse où vos documents ne correspondraient pas à l’attente du CFC comme cela s’est passé dans d’autres établissements, le CFC nous demandera de recommencer et de bloquer notre système de photocopie. »

Ca fait froid dans le dos ! En ce qui me concerne, je vais leur rendre très rapidement leur papier en signifiant que je ne reproduis que des documents dont je suis l’auteur et à défaut des documents sous licences libres. Pas sûr que ça corresponde aux attentes du CFC !

Vous trouverez ci-dessous les copies jointes en question permettant à l’enseignant de renseigner l’enquête. Ici point de formulaire en ligne mais du bon vieux papier à remplir à la main en indiquant a chaque fois titre, auteur, éditeur, collection, niveau scolaire, nombre de pages par élèves, nombre d’élèves destinataires et nombre total de photocopies effectuées (ouf !). Dans la première page il est clairement stipulé que « cette enquête est une obligation prévue par le contrat signé entre votre établissement et le CFC (article 6 du Bulletin Officiel n°15 du 8 avril 2004). »

Allons bon, ce n’est pas des accords sectoriels sur l’utilisation des œuvres protégées à des fin d’enseignement et de recherche qu’il s’agit (Bulletin Officiel n°5 du 1er février 2007) mais d’un accord antérieur et spécifique au CFC : Mise en œuvre par les établissements d’enseignement secondaire publics et privés sous contrat du protocole d’accord du 17 mars 2004 sur la reproduction par reprographie d’œuvres protégées.

Ici en fait nous ne sommes plus dans le numérique mais autour de la photocopieuse[1]. Lorsque l’on se rend sur le site du CFC, on est accueilli par le slogan suivant qu’on ne peut pas louper : « photocopier oui, photocopiller non ». C’est le même glissement sémantique que l’on observe avec le « piratage » de la musique, parce que si j’en crois Wikipédia (si, si, j’y crois moi à Wikipédia), voici que ce nous donne l’article pillage : « Le pillage est un acte de guerre qui tient de la destruction et du vol massif, souvent accompagné de viols, et par extension, tout type d’actes civils semblables ».

Toujours est-il que dans le paragraphe « L’accord assure le respect de la loi » de ces accords spécial CFC, on peut lire ceci :

Le droit d’auteur, récemment consacré, comme le droit à l’éducation, par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est ancré dans la tradition juridique française depuis plus de deux siècles. Il reconnaît notamment à l’auteur le droit d’autoriser toute reproduction de son œuvre et d’obtenir une juste rémunération.

Le développement rapide de la photocopie depuis les années 1970 a conduit à une multiplication des atteintes aux droits des auteurs face à laquelle le législateur est intervenu, par la loi du 3 janvier 1995, pour mettre en place un régime de gestion collective obligatoire qui confie à des sociétés agréées par le ministère de la culture le droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction par reprographie de tout type d’œuvre.

Le service public de l’enseignement doit enseigner le respect du droit d’auteur, trop souvent méconnu voire contesté, alors qu’il est essentiel à la vitalité de la création littéraire et artistique. Cela suppose d’abord que l’éducation nationale montre l’exemple en le respectant pleinement elle-même. L’accord conclu avec le Centre français d’exploitation du droit de copie et avec la Société des éditeurs et des auteurs de musique, même s’il ne couvre qu’une partie des utilisations d’œuvres protégées au sein du service public de l’enseignement, apporte une contribution majeure au respect du droit d’auteur dans le cadre de l’enseignement.

Si l’accord traite principalement la question des droits patrimoniaux des auteurs et de leurs ayants droit, il faut rappeler sans cesse l’importance cruciale du respect du droit moral qui est profondément enraciné dans la conception française du droit d’auteur et qui la distingue du copyright anglo-saxon. Il impose de rappeler, à l’occasion de toute utilisation d’une œuvre protégée, le nom de l’auteur, et interdit de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre. Ces principes, qui sont inscrits dans les dispositions législatives du code de la propriété intellectuelle, constituent également des principes pédagogiques de base, inscrits dans l’éthique de l’enseignement. Ils se rattachent à l’exigence de rigueur et d’honnêteté intellectuelle qui est au cœur de la mission du service public de l’enseignement.

Certes. Je ne prône pas la « photocopie libre » dans le monde non marchand par excellence qu’est l’école, et je comprends bien les motivations des deux parties qui cherchent là un compromis satisfaisant. Mais de là à en appeler aux « principes pédagogiques de base, inscrits dans l’éthique de l’enseignement »…

J’ai vraiment hâte que les ressources éducatives numériques libres (c’est-à-dire sous licences libres ou en « copyleft ») se développent et se diffusent au sein du corps enseignant. Elles n’en sont qu’à leurs balbutiements, mais le jour où elles auront atteint une certaine masse critique, elles feront voler en éclat ces accord hérités du siècle précédent.

Notes

[1] Crédit photo : iLoveButter (Creative Commons By)




De l’évidence du choix Microsoft à l’Éducation Nationale

Outre la question des formats, le problème avec les sites de vidéos en ligne c’est qu’on ne sait jamais trop bien d’où provient la ressource et sous quelle licence est autorisée la diffusion (quand elle est autorisée !). Toujours est-il que je suis tombé sur une vidéo qui s’apparente fort à un reportage de promotion interne de Microsoft dans le secteur éducatif.

La société nous présente là en effet sa solution ENT-E dans le cadre des Espaces numériques de travail (ENT) qui commencent à se déployer un peu partout dans les académies.

Il y a aurait beaucoup à dire sur ces ENT, à commencer par rappeler qu’on en parle depuis plus de cinq ans, mais ce sera l’objet d’un futur billet. En attendait je vous laisse juge de la manière dont Sylvain Geron, Manager Éducation et Recherche chez Microsoft France, nous vend le sien :

Concrètement l’ENT-E c’est un portail web qui permet au chef d’établissement, à l’élève, à ses parents d’échanger entre eux des contenus. Par exemple le professeur peut mettre des contenus relatifs à un TP sur internet, l’élève peut les préparer depuis chez lui, peut poser des questions, le parent peut suivre le travail de l’élève, regarder ses notes… Le chef d’établissement peut faire des statistiques sur les notes ou vérifier les taux de présence des différents élèves dans l’établissement. Finalement l’ENT-E permet à toutes ses catégories de personnes de se retrouver ensemble autour de l’élève sur internet.

Puis une voix off qui tourne brillamment autour du pot du logiciel libre :

Microsoft propose aux collectivités territoriales une solution adaptée à leurs besoins grâce à un code spécifiquement développé pour créer un ENT. La preuve en est la mise à disposition gratuite de ce code spécifique, la possibilité de modification et de distribution dans les académies.

Et Sylvain Geron d’ajouter :

L’ENT-E s’appuie sous le code qui a été développé sur des briques de bases des produits Microsoft, et bien évidemment plus de gens utiliseront l’ENT-E plus les produits Microsoft sous-jacents seront utilisés.

Cela va sans dire mais cette franchise vous honore…

Mais ce qui a provoqué la rédaction de ce billet c’est l’ultime intervention que nous devons à Claudine Colomina, conseillère pour les TIC à l’académie de Montpellier, qui répondait visiblement à la question du choix Microsoft :

Pourquoi Microsoft ? Heu… Le problème ne s’est… on en a souvent discuté… le problème ne s’est absolument pas posé dans l’Académie. Il était évident que l’on voulait travailler sur des outils pérennes, sur du solide, que nous n’avions pas d’équipes de développement qui nous permettaient de travailler sur du libre par exemple, qu’il fallait un suivi dans toutes les activités, dans tout ce que l’on allait construire. Et il n’a jamais été question d’envisager un autre partenariat qu’avec Microsoft pour ce faire.

Et voici enfin la vidéo dont il est question dans tout ce billet :

Si un enseignant initié de Montpellier (ou d’ailleurs) passe par là, nous le remercions par avance des précisions qu’il pourrait apporter, parce que cette histoire « d’équipes de développement permettant ou non de travailler sur du libre » ne me semble pas très claire…

Edit du lundi 12 janvier : « L’initié » est bien intervenu en la personne de Benjamin Clerc qui précise dans les commentaires : « Je suis dans l’académie de Montpellier, chargé de mission à la Matice. Cette vidéo date … Mme Colomina est à la retraite depuis plus d’un an et c’est bien une solution libre qui a été retenue dans l’académie de Montpellier (en relation avec les académies de Bordeaux, Orléans et Lille), basée sur e-sup portal. »




Les drôles de conseils du site Educnet

Zara - CC by-saNous le savons, et n’ayons pas peur de paraphraser les Beatles pour appuyer notre propos (et montrer toute l’étendue de notre culture), « logiciel libre » et « éducation » sont des mots qui vont très bien ensemble.

Voici ce qu’en disait récemment le Département de l’instruction publique du canton de Genève : « Dans sa volonté de rendre accessibles à tous les outils et les contenus, le libre poursuit un objectif de démocratisation du savoir et des compétences, de partage des connaissances et de coopération dans leur mise en œuvre, d’autonomie et de responsabilité face aux technologies, du développement du sens critique et de l’indépendance envers les pouvoirs de l’information et de la communication. »

En France pourtant cette association ne va pas de soi. Nouvelle illustration avec le site Educnet, portail TICE du Ministère de l’Éducation Nationale et du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (autrement dit c’est ici que l’on traite des Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation ou TICE).

Sur ce site donc, dans la catégorie juridique Légamédia[1], on trouve, et l’intention est louable, une page consacrée non pas aux logiciels libres mais aux logiciels « Open Source » : L’utilisation et le développement de logiciels issus de l’Open Source.

Il est difficile pour un site qui aborde tant de sujets d’être « expert en tout » mais dans la mesure où il s’agit d’un canal officiel de l’Éducation Nationale, je n’ai pu m’empêcher de réagir[2] et d’en faire ici une rapide lecture commentée.

1- Définition technique et pratique : L’Open Source est le nom donné à leur mouvement en 1998 par les acteurs du logiciel libre. Fruit de la mouvance libertaire de l’Internet, les bases de l’Open Source ont été jetées en 1984 par Richard Stallman avec son projet GNU (GNU’s not Unix). Ce projet consistait à créer un système d’exploitation aussi performant qu’Unix et complètement compatible avec lui. Est ainsi né le premier système d’exploitation dit « libre », car son utilisation, sa copie, sa redistribution voire sa modification étaient laissées au libre arbitre de l’utilisateur. Sous le nom d’Open Source, sont fédérées toutes les expériences d’accès libre au code source des logiciels.

Le site Educnet s’adresse à la communauté éducative dont en tout premier lieu aux enseignants. Expliquer rapidement ce qu’est un logiciel libre n’est pas chose aisée mais on aurait tout de même pu s’y prendre autrement, à commencer par privilégier l’expression « logiciel libre » à celle d’« Open Source ». Par exemple en empruntant la première phrase de l’article dédié de Wikipédia : « Un logiciel libre est un logiciel dont la licence dite libre donne à chacun (et sans contrepartie) le droit d’utiliser, d’étudier, de modifier, de dupliquer, et de diffuser (donner et vendre) le dit logiciel ».

Une fois ceci posé et compris, on aura bien le temps par la suite d’entrer plus avant dans le détail et d’aborder les choses plus finement en évoquant le code source ou les différences d’approche entre « logiciel libre » et « Open Source ». Quant à la « mouvance libertaire de l’Internet » je n’évalue pas l’effet produit sur le lecteur mais elle oriente assurément le propos.

1.1- Les principes de l’Open Source : En réaction au monopole d’exploitation reconnu par le droit d’auteur ou le Copyright, la finalité de l’Open Source est la promotion du savoir et sa diffusion auprès d’un public le plus large possible. Il est proposé aux internautes utilisant et développant les logiciels issus de l’Open Source de créer un fonds commun de logiciels en ligne. Concrètement, l’utilisation de logiciels issus de l’Open Source permet le libre accès au code source du logiciel, sa copie et sa libre redistribution.

Je continue à me mettre à la place d’un enseignant qui découvrirait ici le logiciel libre et cela demeure complexe à appréhender ainsi présenté. Reprendre la traditionnelle introduction de Richard Stallman (« je peux résumer le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité  ») aurait eu certainement plus de sens et d’impact. Retenons cependant que la finalité est « la promotion du savoir et sa diffusion auprès d’un public le plus large possible », ce qui tombe plutôt bien quand on s’intéresse à l’éducation, non ?!

1.2- Les conditions d’utilisation : Afin de développer à un moindre coût un projet informatique, des élèves et leur enseignant peuvent utiliser des logiciels « Open Source », les modifier ou les améliorer afin de les adapter à leurs besoins. En revanche, les améliorations effectuées sur le logiciel initial doivent être versées dans le fond commun mis en ligne. Il est possible de puiser gratuitement dans le fond des logiciels libres, à condition qu’à son tour on enrichisse le fond de ses améliorations en permettant à d’autres de les exploiter gratuitement…

Qu’est-ce que c’est alambiqué ! Et faux par dessus le marché : nulle obligation d’enrichir le fond des logiciels libres pour les utiliser ! On voudrait nous faire croire que les logiciels libres sont réservés aux informaticiens que l’on ne s’y prendrait pas autrement.

2- Les points de vigilance : En utilisant des logiciels issus de l’Open source, les élèves comme leurs enseignants doivent avoir conscience des conditions d’utilisation particulières de ce type de logiciel. Cela permet d’avoir des outils logiciels performants à moindre coût, mais son apport dans l’amélioration du logiciel n’est nullement protégé. Il faut au contraire le mettre en libre accès en rappelant sur le site de téléchargement du logiciel les principes de l’Open Source.

Là ce n’est plus alambiqué c’est carrément de parti pris ! La tournure et le champ lexical adopté (« vigilance », « avoir conscience », « conditions », « mais », « nullement protégé », « au contraire »…) ne peuvent que conduire à inspirer une certaine méfiance au lecteur alors même qu’on devrait se féliciter de l’existence du logiciel libre, véritable facilitateur de vie numérique en milieu scolaire !

Et pour finir en beauté, l’ultime conseil, dans un joli cadre pour en signifier toute son importance (les mises en gras sont d’origine) :

Conseils : Il est donc déconseillé d’utiliser ce type de logiciel si les élèves, leurs enseignants, voire l’établissement scolaire souhaitent garder un monopole d’utilisation des travaux de développement du logiciel libre. Les principes de l’Open Source obligent les développeurs à garantir un accès libre aux améliorations du code source du logiciel libre.

La cerise sur le gâteau, pour définitivement convaincre le lecteur que non seulement le logiciel libre c’est compliqué mais qu’il est en fait à déconseiller alors même qu’il ne viendrait jamais à l’idée des élèves, enseignants et établissements scolaires de « garder un monopole d’utilisation des travaux de développement du logiciel libre ». Sommes-nous sur Educnet ou sur un site du Medef ?

Que l’Institution souhaite conserver un positionnement neutre vis-à-vis du logiciel libre, je le déplore et le conteste mais je peux le comprendre. Personne ne lui demande en effet de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant : logiciel libre, logiciel libre, logiciel libre ! Mais de là à présenter les choses ainsi…

Soupir… Parce qu’on avait déjà fort à faire avec Microsoft et ses amis.

Et ce n’est malheureusement pas terminé parce que, autre intention louable, il y a également une page consacrée (nouvel emprunt à l’anglais) à « l’Open Content » : L’utilisation de contenus issus de l’Open Content.

1- Définition technique et pratique : Dans le prolongement du mouvement Open Source qui concernait que les logiciels, l’Open Content reprend les mêmes principes de libre accès à la connaissance en l’appliquant cette fois à tout type de contenus en ligne (content). Sur l’Internet, des auteurs mettent en libre accès leurs créations musicales, photographiques, littéraires, etc. … Ils choisissent ainsi de contribuer à l’enrichissement d’un fonds commun de savoir mis en ligne. Lors de l’élaboration d’un site web ou de tout autre travail, les élèves ou les enseignants peuvent utilement puiser dans ce fonds et intégrer ces contenus issus de l’Open Content dans leurs propres travaux. Enfin, à leur tour, les élèves et leurs enseignants peuvent aussi verser leurs propres travaux dans le fonds commun de l’Open Content. Il faut pourtant garder à l’esprit quelques règles à respecter.

Cela commençait fort bien mais, comme précédemment, un bémol final : « il faut pourtant garder à l’esprit quelques règles à respecter ». C’est tout à fait juste au demeurant, il y a bien des règles à respecter, celles de la licence accolée à la ressource. Amusez-vous cependant à comparer par exemple la licence (« Open Content ») Creative Commons By-Sa avec les directives (non « Open Content ») concernant les usages des « œuvres protégées à l’Éducation Nationale, effet garanti !

2- Les points de vigilance : L’Open Content est un choix conscient et maîtrisé par l’auteur, comme le démontrent les licences d’utilisation de ce type de « contenus libres ». Les conditions d’utilisation sont claires.

Là encore, il faut que le lecteur soit « vigilant » en ayant la « maîtrise » des « conditions d’utilisation » et la « conscience » de ses choix. Faites mille fois attention avant d’adopter de telles licences ! Dois-je encore une fois renvoyer à cet article pour illustrer des conditions d’utilisation bien moins claires que n’importe quelle ressource sous licence libre ?

2.1- Les prérogatives morales : Tout d’abord, les licences sont l’occasion de rappeler aux futurs utilisateurs, élèves et enseignants les prérogatives morales de l’auteur : le respect de la paternité et de l’intégrité de l’œuvre. En utilisant ces contenus, le nom de l’auteur doit être mentionné et aucune modification à l’œuvre originale doit être apportée sauf si elle est mentionnée avec l’accord de l’auteur.

Avec l’accord de l’auteur… sauf dans le cas où la licence choisie confère d’office certains droits à l’utilisateur qui n’a alors rien à demander à l’auteur pour jouir de ces droits. C’est justement le positionnement adopté par les licences libres et les licences de types Creative Commons (voir ce diaporama à ce sujet), licences de la plus haute pertinence à l’ère du numérique surtout en… milieu scolaire. Imaginez-vous en effet devoir demander à chaque auteur les autorisations d’usage pour chaque œuvre que vous souhaitez utiliser et étudier en classe !

Et n’oublions pas non plus l’existence du domaine public qui n’est pas mentionné ici.

2.2- Les prérogatives patrimoniales : De même, la licence précise les conditions d’exercice des prérogatives patrimoniales de l’auteur : les droits de reproduction et de représentation. Sur ces points, selon le principe de libre accès, la licence permet la copie et la redistribution de l’œuvre à condition que les copies soient faites dans une finalité non commerciale. Il s’agit d’une cession à titre gratuit limitée. Les contenus issus de l’Open Content peuvent donc être utilisés sans restriction dans le cadre de l’activité scolaire à la condition de respecter les prérogatives morales des auteurs initiaux et en rappelant sur les pages où se trouvent les contenus « libres » les conditions des licences « Open Content ».

Encore du jargon juridique qui n’est pas de nature à être véritablement compris par l’enseignant, qui plus est sujet à caution puisque les licences libres autorisent généralement aussi bien la modification que l’exploitation commerciale d’une œuvre soumise à cette licence.

Et comme pour l’article précédent, un (étrange) conseil à suivre pour conclure :

Conseil : Il est par contre déconseillé au milieu scolaire d’utiliser ce type de contenus si on envisage de valoriser ses travaux en s’associant avec un partenaire privé pour une exploitation commerciale.

S’agit-il de « valoriser » ou de « monétiser » les travaux ? Et là encore, vous en connaissez beaucoup vous des enseignants qui envisagent de s’associer à un partenaire privé pour une exploitation commerciale ? De plus il n’y a aucune antinomie, on peut très bien adopter des licences libres et s’associer à un partenaire commercial pour exploiter (avec succès) ses travaux, Sésamath et ses manuels scolaires libres en vente chez l’éditeur Génération 5 nous en donne un parfait exemple.

Résumons-nous. Avec les licences libres appliquées aux logiciels et aux ressources, on tient de formidables instruments favorisant l’échange, le partage et la transmission de la connaissance en milieu scolaire (c’est ce que je tente de dire modestement au quotidien sur ce blog en tout cas). Mais de cela nous ne saurons rien si ce n’est que consciemment ou non tout est fait pour dissuader l’enseignant de les évaluer sérieusement en le noyant sous la complexité et les mises en garde avec des considérations économiques qui viennent parasiter un discours censé s’adresser à la communauté éducative.

Ces deux pages, non retouchées depuis un an, mériteraient je crois une petite mise à jour. Qu’il me soit alors permis de suggérer à leurs auteurs la lecture de ces quelques articles qui ne viennent pas d’un illégitime électron libre et « libriste » (comme moi) mais qui émanent du sérail : Les Creative Commons dans le paysage éducatif de l’édition… rêve ou réalité ? (Michele Drechsler, mars 2007), Un spectre hante le monde de l’édition (Jean-Pierre Archambault, septembre 2007) et Favoriser l’essor du libre à l’école (Jean-Pierre Archambault, juin 2008). Peut-être y trouveront-ils alors matière à quelque peu modifier le fond mais aussi la forme du contenu tel qu’il se présente actuellement.

Sur ce je souhaite une bonne rentrée à tous les collègues et à leurs élèves, ainsi qu’une bonne année à tous les lecteurs du Framablog. Il serait tout de même étonnant que l’année qui vient ne voit pas la situation évoluer favorablement pour le logiciel libre et sa culture, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école.

Notes

[1] On notera par ailleurs, bien mise en évidence dès l’accueil de la rubrique Légamédia, un « conseil de prudence aux agents publics souhaitant bloguer » qui doivent avoir le souci « d’éviter tout propos susceptible de porter atteinte à la fois à la dignité des fonctions qu’ils exercent et aux pouvoir publics  ». C’est bien de le rappeler mais on retrouve le même climat de méfiance voire de défiance, cette fois-ci vis-à-vis des blogs. J’espère que critiquer comme ici le contenu d’un site officiel ou s’interroger sur la pertinence des accords sur l’usage des « œuvres protégées » n’entrent pas dans ce cadre sinon je crains que ce billet soit l’un des derniers du Framablog.

[2] Crédit photo : Zara (Creative Commons By-Sa)




Brève de comptoir sur le logiciel libre et la crise des subprimes

Saad Akhtar - CC byL’autre jour, je passe furtivement devant un écran de télévision et tombe sur une scène du film Witness où un Harrison Ford des beaux jours s’associe à toute la communauté Amish pour faire sortir de terre une grosse grange en bois le tout en une seule petite journée.

Ce n’était que du cinéma mais qui correspondait à une vieille tradition agricole connue sous le nom de barn raising. Le challenge est de construire collectivement, et dans un temps limité, un édifice en impliquant tous les membres d’une communauté (les hommes au charbon, les spécialistes aux tâches critiques, les vieux à la direction des opérations, les femmes au ravitaillement, et les jeunes qui regardent en prenant de la graine pour le futur). Le fruit de cette réalisation pouvant bénéficier à l’un des membres de la communauté (tels de jeunes mariés) ou à l’ensemble de la communauté (hangar, école, four à pain, etc.).

De retour à la maison, recherche sur le net… Et voici l’extrait sous vos yeux ébahis (et vos oreilles germanophones). Pratique, soit dit en passant, les Youtuberies & co, quand bien même on soit très souvent border line en ce qui concerne le copyright :

Au final, on se retrouve donc avec une maison créée en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Certes, si on veut l’eau, le gaz ou l’électricité c’est un peu plus compliqué dans la pratique mais le principe coopératif est là, tout comme l’esprit festif et le sentiment de savoir pourquoi l’on travaille.

Ci-joint également une autre illustration vidéo, prise dans la vraie vie cette fois et en 2007, histoire de témoigner du fait que tout ceci n’a pas complètement disparu :

Prenez maintenant l’origine de la crise des subprimes, c’est-à-dire rien moins que l’origine de la crise actuelle qui a vu s’évaporer des centaines de milliards de dollars. Il s’agissait également au départ de maisons et du désir légitime de posséder un toit pour des millions d’américains à faible revenu.

Sauf qu’ici :

  • Vous êtes tout seul[1]
  • Enfin pas tout à fait seul puisqu’il y a votre banquier
  • Votre banquier ne fait pas preuve de la même empathie à votre égard que la communauté Amish
  • Votre maison n’a pas été bâtie pour vous à plusieurs mains sur un air de fête, sachant que vous-même aviez contribué à bâtir plein d’autres maisons pour les autres
  • Ce n’est pas la maison « en 24h chrono » mais la maison « en plusieurs dizaines d’années d’endettement chrono »
  • Vous risquez d’être bientôt à la rue car expulsé de votre maison insolvable et impayée

Bon, où est-ce que je veux en venir… Ah oui, j’avais promis une brève de comptoir dans le titre alors la voici : Dans un monde où les valeurs du logiciel libre seraient davantage partagées, l’immobilier serait assurément plus amish et moins subprimes.

Délire d’une fin d’année trop arrosée ou petit fond de vérité ?

Notes

[1] Crédit photo : Saad Akhtar (Creative Commons By)