We (Framasoft) are proud to present the 2025 roadmap for the project! PeerTube is improving thanks to (only) two developers, the financial support of donors, the support of the NLnet foundation, and external contributions, whether in the form of code, design (hi La Coopérative des Internets), or user feedback from hundreds of people! Thanks to all of you!
Already done at the beginning of the year
Before we list future improvements to PeerTube, we can already tell you what we’ve done at the beginning of the year.
Broadly speaking (since you can get the detailed version of what’s new in version 7.1 here), you’ll find the redesign of the « About » page, your PeerTube content as podcasts and improved playback comfort thanks to the update of the p2p-media-loader, the library that allows PeerTube to use P2P in the video player!
As for the released late 2024 app (available on F-Droid, the Play Store and the App Store), it allows you to watch videos (pretty handy for a video-viewing app, isn’t it?), have a local account so you can add videos to a « to watch later » list, explore platforms, channels and so on, all while avoiding the dark patterns of applications developed by the GAFAMs (like doom scrolling, ubiquitous notifications, etc.).
This year will see the arrival of a much requested feature: the ability to transfer ownership of a channel to another account! Currently, a channel is linked to the PeerTube account that created it. It will soon be possible for the account associated with the channel (or the admin of the instance) to transfer the ownership of this channel and propagate this change throughout the federation (as is already the case when changing the ownership of a video).
This feature goes hand in hand with the development of another much-requested feature: shared administration of a channel (see… below 👀).
Instance customisation
For many instance administrators, it is important to be able to customise their platform as they see fit (in their own image, in the image of the institution they represent, etc.). That’s why we’re working on making it easier to make changes such as the general colours of the interface, the ability to add a logo, customise the video player, allow or disallow the integration of videos according to an allowlist/blocklist, and much more… This extensive customisation of the interface will be accessible to admins directly from the PeerTube web interface.
Set-up wizard
PeerTube is designed for a wide range of audiences: institutions, non-profits, media, companies, etc. In order to simplify the configuration of a platform, we are going to develop a graphical configuration wizard that will allow, after the installation of PeerTube, to apply and display several recommended configuration rules according to the desired profile of the platform (with the installation of plugins depending on the use case: adding chat if lives are authorised, LDAP/OpenID, etc.).
Once the work on transferring channel ownership is complete, we’ll finally be able to offer the multi-user channel management! To the public, the channel will belong to a main account, but can be managed by several other users in the same instance. These co-manager accounts will have the same rights (upload videos, create and manage playlists, customise the channel, etc.) but will not be able to:
delete the channel;
transfer it;
manage the list of co-managers
These changes will be accompanied by a number of design and database changes, which is a lot of work!
But also…
This year will also see an improved warning system for sensitive content and « quality of life » features for the management and moderation of instances, allowing institutions, associations, media, administrations, etc. to use PeerTube more serenely. This will be done via shared lists of instances or accounts to be banned and also via auto-tags preventing video publication that contain specific keywords. We’re also planning to add batch action capabilities on videos, so you can update the licence of multiple videos in a single action, for example.
What the year holds for the mobile application
The mobile application is an excellent way to facilitate the adoption of PeerTube by a wide audience. We now want to expand the audience to also include tablet and TV users.
We’ll also allow you to connect to your PeerTube account, giving you access to all your subscriptions, likes, comments, history, notifications, settings and playlists.
By the end of the year, you’ll be able to play your videos in the background, stream them from your phone to your « smart » TV (initially Android; Apple TVs will take a bit more work) and receive notifications. The video player will also be improved.
For content creators, it will be possible to upload and manage your videos, start a live broadcast and manage your channels directly from the application!
PeerTube moves forward thanks to you!
It’s thanks to the trust you’ve placed in us over the years, your financial (and/or moral) support, the help of la Coopérative des Internets and the funding of the NLnet Foundation that we can offer you this roadmap.
We hope you like it enough to continue to help us!
Un grand pouvoir mais aucune responsabilité
Mise à jour – 2 avril 16:20 : Remplacement du terme « merdification » par « emmerdification ».
Cory Doctorow, blogueur, journaliste et auteur de science-fiction canado-britannique bien connu chez les lecteur·ices assidu·es du Framablog, et étant notamment à l’origine du néologisme d’ « emmerdification » des espaces numériques, a récemment publié sur son blog une transcription d’une conférence qu’il donnait lors de la conférence Ursula Franklin ayant lieu au Innis College de l’Université de Toronto. Si l’auteur parle avant tout de son point de vue de canadien, son analyse de la situation et ses pistes de réflexion nous semblent mériter toute votre attention.
Notez enfin que l’auteur a aussi récemment été publié en français chez C&F Éditions avec l’ouvrage « Le rapt d’Internet ».
Cet article est une traduction de la publication de Cory Doctorow. Il est traduit et republié avec l’accord de l’auteur selon les termes de la licence CC BY 4.0. Cette traduction apporte un certain nombre d’illustrations et de liens non présents dans la version originale, afin de rendre la lecture plus agréable. Une vidéo de la conférence est également disponible.
Hier soir, je me suis rendu à Toronto pour pour l’évènement annuel de la Conférence Ursula Franklin, pour lequel j’ai donné un discours, au Innis College de l’Université de Toronto.
La conférence était intitulée « Un grand pouvoir n’a impliqué aucune responsabilité : comment l’emmerdification a conquis le XXIème siècle, et comment nous pouvons la renverser ». Il s’agit du dernier grand discours de ma série sur le sujet, qui avait commencé avec la conférence McLuhan de l’année dernière à Berlin.
Ce discours aborde spécifiquement les opportunités uniques de désemmerdification créées par le « désassemblage imprévu en plein-air » du système de libre-échange international par Trump. Les États-Unis ont utilisé des accords commerciaux pour forcer presque tous les pays du monde à adopter les lois sur la propriété intellectuelle qui rendent l’emmerdification possible, et peut-être même inévitable. Alors que Trump réduit en cendres ces accords commerciaux, le reste du monde a une opportunité sans précédent pour riposter à l’intimidation américaine en se débarrassant de ces lois et en produisant les outils, les appareils et les services qui peuvent protéger chaque utilisateur·ice de la Tech (étasunien·nes y compris) de se faire arnaquer par les grandes entreprises étasuniennes de la Tech.
Je suis très reconnaissant à l’idée de pouvoir donner cette conférence. J’ai été accueilli pour la journée par le Centre for Culture and Technology, fondé par Marshall McLuhan, et installé dans le relais de poste qu’il utilisait comme bureau. La conférence, elle, s’est déroulée dans le Innis College, nommé en hommage à Harold Innis, le Marshall McLuhan des penseurs et penseuses. De plus, j’ai eu pour enseignante la fille d’Innis, Anne Innis Dagg, une biologiste féministe, brillante et radicale, qui a quasiment inventé le domaine de giraffologie (l’étude des girafes fossiles, NDT).
Cependant, et avec tout le respect que j’ai pour Anne et son père, Ursula Franklin est la Harold Innis des penseur·euses. Une scientifique, activiste, et communicante brillante qui a dédié sa vie à l’idée que ce n’est pas tant ce que la technologie fait qui est important, mais plutôt à qui elle le fait et pour le bénéfice de qui.
Avoir l’opportunité de travailler depuis le bureau de McLuhan afin de présenter une conférence dans l’amphithéâtre d’Innis qui tient son nom de Franklin ? Ça me fait tout chaud à l’intérieur !
Voici le texte de la conférence, légèrement modifié.
Je sais que la conférence de ce soir est sensée porter sur la dégradation des plateformes tech, mais j’aimerais commencer par parler des infirmières.
Un rapport de janvier 2025, provenant du Groundwork Collective, documente comment les infirmières sont de plus en plus recrutées par des applis de mise en relation — « le Uber des infirmières » — ce qui fait qu’elles ne savent jamais d’un jour sur l’autre si elles vont pouvoir travailler et combien elles seront payées.
Il y a quelque chose de high-tech qui se trame ici vis-à-vis du salaire des infirmières. Ces applis pour infirmières — un cartel de trois entreprises : Shiftkey, Shiftmed et Carerev — peuvent jouer comme elles l’entendent avec le prix de la main d’œuvre.
Avant que Shiftkey ne fasse une offre d’emploi à une infirmière, l’entreprise achète l’historique d’endettement de sa carte de crédit via un courtier en données. Plus spécifiquement, elle paie pour savoir combien l’infirmière a de dettes sur sa carte de crédit, et s’il y a un retard de remboursement.
Plus la situation financière de l’infirmière est désespérée, plus le salaire qu’on lui proposera sera bas. Parce que plus vous êtes désespérée, moins ça coûtera de vous faire venir travailler comme un âne à soigner les malades, les personnes âgées et les mourant·es.
Bon, il y a plein de choses qui se passent dans cette histoire, et elles sont toutes terrifiantes. Plus encore, elles sont emblématiques de l’ « emmerdification » (« enshittification » en anglais), ce mot que j’ai forgé pour décrire la dégradation des plateformes en ligne.
Quand j’ai commencé à écrire sur le sujet, je me focalisais sur les symptômes externes de l’emmerdification, un processus en trois étapes :
D’abord, la plateforme est bénéfique pour ses usager·es, tout en trouvant un moyen de les enfermer.
Comme Google, qui limitait les pubs et maximisait les dépenses en ingénierie du moteur de recherche, tout en achetant leur position dominante, en offrant à chaque service ou produit qui avait une barre de recherche de la transformer en barre de recherche Google.
Ainsi, peu importe le navigateur, le système d’exploitation mobile, le fournisseur d’accès que vous utilisiez, vous feriez toujours des recherches Google. C’était devenu tellement délirant qu’au début des années 2020, Google dépensait tous les 18 mois assez d’argent pour acheter Twitter tout entier, juste pour s’assurer que personne n’essaie un autre moteur de recherche que le sien.
C’est la première étape : être bon envers les utilisateur·ices, enfermer les utilisateur·ices.
La deuxième étape c’est lorsque la plateforme commence à abuser des utilisateur·ices pour attirer et enrichir ses client·es professionnel·les. Pour Google, il s’agit des annonceur·euses et des éditeur·ices web. Une part toujours plus importante des pages de résultats Google est consacrée aux annonces, qui sont signalées par des libellés toujours plus subtils, toujours plus petits et toujours plus gris. Google utilise ses données de surveillance commerciales pour cibler les annonces qui nous sont adressées.
Donc voilà la deuxième étape : les choses empirent pour les utilisateur·ices et s’améliorent pour les client·es professionnel·les.
Mais ces client·es professionnel·les sont également fait·es prisonnier·ères de la plateforme, dépendant·es de ces client·es. Dès lors que les entreprises tirent au moins 10 % de leurs revenus de Google, quitter Google devient un risque existentiel. On parle beaucoup du pouvoir de « monopole » de Google, qui découle de sa domination en tant que vendeur. Mais Google est aussi un monopsone, un acheteur puissant.
Ainsi, vous avez maintenant Google qui agit comme un monopoliste vis-à-vis de ses utilisateur·ices (première étape) et comme un monopsoniste vis-à-vis de ses client·es professionnel·les (deuxième étape), puis vient la troisième étape : Google récupère toute la valeur de la plateforme, à l’exception d’un résidu homéopathique calculé pour garder les utilisateur·ices prisonnier·ères de la plateforme, et les client·es professionnel·es enchaîné·es à ces utilisateur·ices.
Google se merdifie.
En 2019, Google a connu un tournant décisif. Son activité de recherche avait cru autant que possible. Plus de 90% d’entre-nous utilisaient Google pour leur recherches, et nous l’utilisions pour absolument tout. Chaque pensée ou vaine question qui nous venait en tête, nous la tapions dans Google.
Comment Google pouvait-il encore grandir ? Il n’y avait plus d’autre utilisateur·ice pour adopter Google. On allait pas se mettre à chercher plus de choses. Que pouvait faire Google ?
Eh bien, grâce à des mémos internes publiés dans le cadre du procès anti-trust de l’année dernière contre Google, nous savons ce qu’ils ont fait. Ils ont dégradé la recherche. Ils ont réduit la précision du système, de sorte que vous ayez à faire deux recherches ou plus afin de trouver votre réponse, doublant ainsi le nombre de requêtes et doublant la quantité de publicités.
Pendant ce temps, Google a conclu un accord secret et illégal avec Facebook, nom de code Jedi Blue, pour truquer le marché de la publicité, en fixant les prix de manière à ce que les annonceur·euses paient plus et que les éditeur·ices gagnent moins.
Et c’est ainsi que nous arrivons au Google merdifié d’aujourd’hui, où chaque requête renvoie une bouillie générée par IA, au dessus de cinq résultats payants signalés par le mot SPONSORISÉ écrit en gris police 8pt sur fond blanc, eux-même, placés au dessus de dix liens remplis de spam qui renvoient vers des sites SEO (Search Engine Optimization, des sites conçus pour être affichés dans les premiers résultats de Google, NDT) produits à la pelle et remplis d’encore plus de bouillie générée par IA.
Et pourtant, nous continuons d’utiliser Google, parce que nous y sommes enfermé·es. C’est l’emmerdification, vue de l’extérieur. Une entreprise qui est bénéfique pour ses utilisateur·ices, tout en les enfermant. Puis les choses empirent pour les utilisateur·ices, de manière à ce qu’elles s’améliorent pour les client·es professionnel·les, tout en enfermant ces dernier·ères. Puis elle récupère toute la valeur pour elle-même et se transforme en un énorme tas de merde.
L’emmerdification, une tragédie en trois actes.
Meme célèbre, généré à partir d’un dessin de Gee. CC0
J’ai commencé en me concentrant sur les signes extérieurs de l’emmerdification, mais je pense qu’il est temps de commencer à réfléchir à ce qu’il se passe à l’intérieur des entreprises qui rendent cette emmerdification possible.
Quel est le mécanisme technique de l’emmerdification ? J’appelle cela le bidouillage (« twiddling »). Les merveilleux ordinateurs qui les font tourner lèguent aux entreprises du numérique leur infinie flexibilité. Cela veut dire que les entreprises peuvent bidouiller les commandes qui contrôlent les aspects les plus fondamentaux de leur activité. Chaque fois que vous interagissez avec une entreprise, tout est différent : les prix, les coûts, l’ordre des résultats, les recommandations.
Ce qui me ramène à nos infirmières. Vous vous rappelez de l’arnaque, celle où vous consultez le degré d’endettement de l’infirmière pour réduire en temps réel le salaire que vous lui offrez ? Ça c’est du bidouillage. C’est quelque chose qu’on ne peut faire qu’avec un ordinateur. Les patrons qui le font ne sont pas plus malfaisants que les patrons d’antan, ils ont juste de meilleurs outils.
Notez que ce ne sont même pas des patrons de la Tech. Ce sont des patrons de la santé, qui se trouvent disposer des outils de la Tech.
La numérisation — tisser des réseaux informatiques à l’intérieur d’une entreprise ou d’un domaine d’activité — rend possible ce genre de bidouillage qui permet aux entreprises de déplacer la valeur depuis les utilisateur·ices vers les client·es professionnel·les, puis des client·es professionnel·les vers les utilisateur·ices, et enfin, inévitablement, vers elles-mêmes.
Et la numérisation est en cours dans tous les domaines — dont celui des infirmières. Ce qui signifie que l’emmerdification est en cours dans tous les domaines — dont celui des infirmières.
La juriste Veena Dubal a inventé un terme pour décrire le bidouillage qui comprime le salaire des infirmières endettées. Ça s’appelle la « Discrimination Salariale Algorithmique » (Algorithmic Wage Discrimination), et cela fait suite à l’économie à la tâche.
L’économie à la tâche est un lieu central de l’emmerdification, et c’est la déchirure la plus importante dans la membrane séparant le monde virtuel du monde réel. Le boulot à la tâche, c’est là où votre patron de merde est une application de merde, et où vous n’avez même pas le droit de vous considérer comme un employé·e.
Uber a inventé cette astuce. Les chauffeurs et chauffeuses qui font les difficiles pour choisir les contrats que l’appli leur affiche commencent par recevoir des offres avec de meilleurs paies. Mais si iels succombent à la tentation et prennent l’une de ces options mieux payées, alors les paies commencent à nouveau à réduire, à intervalles aléatoires, petit à petit, imaginés pour être en dessous du seuil de perception humain. Évitant de cuire la grenouille pour seulement la pocher, l’entreprise attend que lae chauffeur·euse Uber se soit endetté·e pour acheter une nouvelle voiture et ait abandonné tout boulot annexe qui lui permettait alors de choisir les meilleures contrats. Et c’est ainsi que leurs revenus diminuent, diminuent, diminuent.
Le bidouillage est une astuce grossière faite à la va-vite. N’importe quelle tâche assez simple mais chronophage est une candidate idéale à l’automatisation, et ce genre de vol de revenus serait insupportablement pénible, fastidieux et coûteux à effectuer manuellement. Aucun entrepôt du XIXème siècle rempli de bonhommes à visière vertes penchés sur des livres de compte ne pourrait faire ça. La numérisation est nécessaire.
Bidouiller le salaire horaire des infirmières est un exemple parfait du rôle de la numérisation dans l’emmerdification. Parce que ce genre de choses n’est pas seulement mauvais pour les infirmières, c’est aussi mauvais pour les patient·es. Pensons-nous vraiment que payer les infirmières en fonction de leur degré de désespoir, avec un taux calculé pour accroître ce niveau de désespoir, et donc décroître le salaire pour lequel elles vont sans doute travailler, aura pour conséquence de meilleurs soins ?
Voulez-vous que votre cathéter soit posé par une infirmière nourrie par les Restos du Cœur, qui a conduit un Uber jusqu’à minuit la nuit dernière, et qui a sauté le petit déjeuner ce matin pour pouvoir payer son loyer ?
Voilà pourquoi il est si naïf de dire « si c’est gratuit, c’est que c’est vous le produit ». « Si c’est gratuit » attribue aux services financés par la publicité un pouvoir magique : celui de contourner nos facultés critiques en nous surveillant, et en exploitant les dossiers qui en résultent pour localiser nos angle-morts mentaux, et en les transformant en armes pour nous faire acheter tout ce qu’un publicitaire vend.
Avec cette expression, nous nous rendons complices de notre propre exploitation. En choisissant d’utiliser des services « gratuits », nous invitons les capitalistes de la surveillance à notre propre exploitation, ceux-là même qui ont développé un rayon-laser de contrôle mental alimenté par les données de surveillance que nous fournissons volontairement en choisissant des services financés par la publicité.
La morale, c’est que si nous revenions à simplement payer pour avoir des choses, plutôt que de demander leur gratuité de manière irréaliste, nous rendrions au capitalisme son état fonctionnel de non-surveillance, et les entreprises recommenceraient à mieux s’occuper de nous, car nous serions les client·es, et non plus les produits.
C’est pour cette raison que l’hypothèse du capitalisme de surveillance élève les entreprises comme Apple au rang d’alternatives vertueuses. Puisqu’Apple nous fait payer avec de l’argent, plutôt qu’avec notre attention, elle peut se concentrer sur la création de services de qualité, plutôt que de nous exploiter.
Si on regarde de façon superficielle, il y a une logique plausible à tout cela. Après, tout, en 2022, Apple a mis à jour son système d’exploitation iOS, qui tourne sur les iPhones et autres appareils mobiles, ajoutant une case à cocher qui vous permet de refuser la surveillance par des tiers, notamment Facebook.
96% des client·es d’Apple ont coché cette case. Les autres 4% étaient probablement ivres, ou des employé·es de Facebook, ou des employé·es de Facebook ivres. Ce qui est logique car, si je travaillais pour Facebook, je serais ivre en permanence.
Il semble donc, à première vue, qu’Apple ne traite pas ses client·es comme un « produit ». Mais, en même temps que cette mesure de protection de la vie privée, Apple activait secrètement son propre système de surveillance pour les propriétaires d’iPhone, qui allait les espionner de la même manière que Facebook l’avait fait, et exactement dans le même but : vous envoyer des publicités ciblées en fonction des lieux que vous avez visités, des choses que vous avez recherchées, des communications que vous avez eues, des liens sur lesquels vous avez cliqué. Apple n’a pas demandé la permission à ses client·es pour les espionner. Elle ne leur a pas permis de refuser cette surveillance. Elle ne leur en a même pas parlé et, quand elle a été prise la main dans le sac, Apple a menti.
Il va sans dire que le rectangle à distractions à 1000 dollars d’Apple, celui-la même qui est dans votre poche, c’est bien vous qui l’avez payé. Le fait que vous l’ayez payé n’empêche pas Apple de vous traiter comme un produit. Apple traite aussi ses client·es professionnel·les — les vendeur·euses d’applications — comme un produit, en leur extorquant 30 centimes sur chaque dollar qu’ils gagnent, avec des frais de paiement obligatoires qui sont 1000% plus élevés que les normes dans le domaine, déjà exorbitantes. Apple traite ses utilisateur·ices — les gens qui déboursent une brique pour un téléphone — comme un produit, tout en les espionnant pour leur envoyer des publicités ciblées.
Apple traite tout le monde comme un produit.
Voilà ce qu’il se passe avec nos infirmière à la tâche : les infirmières sont le produit. Les patient·es sont le produit. Les hôpitaux sont le produit. Dans l’emmerdification, « le produit » est chaque personne qui peut être productifiée.
Un traitement juste et digne n’est pas quelque chose que vous recevez comme une récompense de fidélité client, pour avoir dépensé votre argent plutôt que votre attention. Comment recevoir un traitement juste et digne alors ? Je vais y venir, mais restons encore un instant avec nos infirmières.
Les infirmières sont le produit et elles sont bidouillées, parce qu’elles ont été enrôlées dans l’industrie de la Tech, via la numérisation de leur propre industrie.
Il est tentant de rejeter la faute sur la numérisation. Mais les entreprises de la Tech ne sont pas nées merdifiées. Elles ont passé des années — des décennies — à concevoir des produits plaisants. Si vous êtes assez vieille ou vieux pour vous souvenir du lancement de Google, vous vous souviendrez que, au départ, Google était magique.
Vous auriez pu interroger Ask Jeeves pendant un million d’années, vous auriez pu remplir Altavista avec dix trilliards d’opérateurs booléens visant à éliminer les résultats médiocres, sans jamais aboutir à des réponses aussi nettes et utiles que celles que vous auriez obtenues avec quelques mots vaguement descriptifs dans une barre de recherche Google.
Il y a une raison pour laquelle nous sommes tous passé·es à Google, pour laquelle autant d’entre nous ont acheté des iPhones, pour laquelle nous avons rejoint nos amis sur Facebook : tous ces services étaient nativement numériques, ils auraient pu se merdifier à tout moment, mais ils ne l’ont pas fait — jusqu’à ce qu’ils le fassent, et ils l’ont tous fait en même temps.
Si vous étiez une infirmière, que tous les patient·es qui se présentent aux urgences en titubant présentent les mêmes horribles symptômes, vous appelleriez le ministère de la Santé pour signaler la potentielle apparition d’un nouvelle et dangereuse épidémie.
Ursula Franklin soutenait que les conséquences de la technologie n’étaient pas prédestinés. Elles sont le résultat de choix délibérés. J’aime beaucoup cette analyse, c’est une manière très science-fictionnesque de penser la technologie. La bonne science-fiction ne porte pas seulement sur ce que la technologie fait, mais pour qui elle le fait, et à qui elle le fait.
Ces facteurs sociaux sont bien plus importants que les seules spécifications techniques d’un gadget. Ils incarnent la différence entre un système qui vous prévient lorsqu’en voiture vous commencez à dévier de votre route et qu’un système informe votre assurance que vous avez failli dévier de votre route, pour qu’ils puissent ajouter 10 dollars à votre tarif mensuel.
Ils incarnent la différence entre un correcteur orthographique qui vous informe que vous avez fait une erreur et un patrongiciel qui permet à votre chef d’utiliser le nombre de vos erreurs pour justifier qu’il vous refuse une prime.
Ils incarnent la différence entre une application qui se souvient où vous avez garé votre voiture et une application qui utilise la localisation de votre voiture comme critère pour vous inclure dans un mandat de recherche des identités de toutes les personnes situées à proximité d’une manifestation contre le gouvernement.
Je crois que l’emmerdification est causée par des changements non pas des technologies, mais de l’environnement réglementaire. Ce sont des modifications des règles du jeu, initiées de mémoire d’humain·e, par des intervenants identifiés, qui étaient déjà informés des probables conséquences de leurs actions, qui sont aujourd’hui riches et respectés, ne subissant aucune conséquence ou responsabilité pour leur rôle dans l’avènement du merdicène. Ils se pavanent en haute société, sans jamais se demander s’ils finiront au bout d’une pique.
En d’autres termes, je pense que nous avons créé un environnement criminogène, un parfait bouillon de culture des pratiques les plus pathogènes de notre société, qui se sont ainsi multipliées, dominant la prise de décision de nos entreprises et de nos États, conduisant à une vaste emmerdification de tout.
Et je pense qu’il y a quelques bonnes nouvelles à tirer de tout ça, car si l’emmerdification n’est pas causée par un nouveau genre de méchantes personnes, ou par de grandes forces de l’histoire joignant leur poids pour tout transformer en merde, mais est plutôt causée par des choix de réglementation spécifiques, alors nous pouvons revenir sur ces règles, en produire de meilleures et nous extraire du merdicène, pour reléguer cet internet merdifié aux rebuts de l’histoire, simple état transitoire entre le bon vieil internet et un bon internet tout neuf.
Sortie d’autoroute, par Gee. CC0
Je ne vais pas parler d’IA aujourd’hui, parce que, mon dieu, l’IA est un sujet tellement ennuyeux et tellement surfait. Mais je vais utiliser une métaphore qui parle d’IA, pour parler de l’entreprise à responsabilité limitée, qui est une sorte d’organisme colonisateur immoral et artificiel, au sein duquel les humain·es jouent le rôle d’une sorte de flore intestinale. Mon collègue Charlie Stoss nomme ces sociétés des « IA lentes ».
Vous avez donc ces IA lentes, dont les boyaux grouillent de gens, et l’impératif de l’IA, le trombone qu’elle cherche à optimiser, c’est le profit. Pour maximiser les profits, facturez aussi cher que vous le souhaitez, payez vos travailleur·euses et vos fournisseur·euses aussi peu que vous le pouvez, dépensez aussi peu que possible pour la sécurité et la qualité.
Chaque dollar que vous ne dépensez pas pour les fournisseur·euses, les travailleur·euses, la qualité ou la sécurité est un dollar qui peut revenir aux cadres et aux actionnaires. Il y a donc un modèle simple d’entreprise qui pourrait maximiser ses profits en facturant un montant infini de dollars, en ne payant rien à ses travailleur·euses et à ses fournisseur·euses, et en ignorant les questions de qualité et de sécurité.
Cependant, cette entreprise ne gagnerait pas du tout d’argent, pour la très simple raison que personne ne voudrait acheter ce qu’elle produit, personne ne voudrait travailler pour elle ou lui fournir des matériaux. Ces contraintes agissent comme des forces punitives disciplinaires, qui atténuent la tendance de l’IA à facturer à l’infini et ne rien payer.
Dans la Tech, on trouve quatre de ces contraintes, des sources de discipline anti-emmerdificatoires qui améliorent les produits et les services, rémunèrent mieux les travailleur·euses et empêchent les cadres et des actionnaires d’accroître leur richesse au détriment des client·es, des fournisseur·euses et des travailleur·euses.
La première de ces contraintes, c’est le marché. Toutes choses égales par ailleurs, une entreprise qui facture davantage et produit moins perdra des client·es au profit d’entreprises qui sont plus généreuses dans leur partage de la valeur avec les travailleur·euses, les client·es et les fournisseur·euses.
C’est la base de la théorie capitaliste, et le fondement idéologique de la loi sur la concurrence, que nos cousins étasuniens nomment « loi anti-trust ».
En 1890, le Sherman Act a été première loi anti-trust, que le sénateur John Sherman, son rapporteur, défendit devant le Sénat en disant :
Si nous refusons de subir le pouvoir d’un roi sur la politique, nous ne devrions pas le subir sur la production, les transports, ou la vente des produits nécessaires à la vie. Si nous ne nous soumettons pas à un empereur, nous ne devrions pas nous soumettre à un autocrate du commerce disposant du pouvoir d’empêcher la concurrence et de fixer les prix de tous les biens.
Le sénateur Sherman faisait écho à l’indignation du mouvement anti-monopoliste de l’époque, quand des propriétaires de sociétés monopolistiques jouaient le rôle de dictateurs, ayant le pouvoir de décision sur qui pouvait travailler, qui mourait de faim, ce qui pourrait être vendu et à quel prix.
En l’absence de concurrence, ils étaient trop gros pour échouer, trop gros pour être emprisonnés, et trop gros pour s’en préoccuper. Comme Lily Tomlin disait dans ses publicités parodiques pour AT&T dans l’émission Saturday Night Live : « Nous n’en avons rien à faire. Nous n’en avons pas besoin. Nous sommes l’entreprise de téléphone. »
Qu’est-il donc arrivé à la force disciplinaire de la concurrence ? Nous l’avons tuée. Depuis une quarantaine d’années, la vision reaganienne des économistes de l’École de Chicago a transformé l’anti-trust. Ils ont rejeté l’idée de John Sherman selon laquelle nous devrions maintenir la concurrence entre les entreprises pour empêcher l’émergence d’« autocrates du commerce », et installé l’idée que les monopoles sont efficaces.
En d’autres termes, si Google possède 90% des parts de marché, ce qui est le cas, alors on se doit d’inférer que Google est le meilleur moteur de recherche au monde, et le meilleur moteur de recherche possible. La seule raison pour laquelle un meilleur moteur de recherche n’a pas pu se démarquer est que Google est tellement compétent, tellement efficace, qu’il n’y a aucun moyen concevable de l’améliorer.
On peut aussi dire que Google est le meilleur parce qu’il a le monopole, et on peut dire que le monopole est juste puisque Google est le meilleur.
Il y a 40 ans, donc, les États-Unis — et ses partenaires commerciaux majeurs — ont adopté une politique de concurrence commerciale explicitement pro-monopole.
Vous serez content·es d’apprendre que ce n’est pas ce qui s’est passé au Canada. Le Représentant du Commerce étasunien n’est pas venu ici pour nous forcer à bâillonner nos lois sur la compétitivité. Mais ne faites pas trop les fier·es ! Ce n’est pas arrivé pour la simple raison qu’il n’y en avait pas besoin. Parce que le Canada n’a pas de loi sur la concurrence qui mérite cette appellation, et n’en a jamais eue.
Au cours de toute son histoire, le Bureau de la Concurrence (« Competition Bureau ») a contesté trois fusions d’entreprise, et a empêché exactement zéro fusion, ce qui explique comment nous nous sommes retrouvés avec un pays qui doit tout aux ploutocrates les plus médiocres qu’on puisse imaginer comme les Irving, les Weston, les Stronach, les McCain et les Rogers.
La seule raison qui explique comment ces prodiges sans vergogne ont été capables de conquérir ce pays est que les étasuniens avaient boosté leurs monopolistes avant qu’il ne soient capables de conquérir les États-Unis et de porter leur attention sur nous. Mais il y a 40 ans, le reste du monde adoptait le « standard de bien-être du consommateur » pro-monopole de la Chicago School (Consumer Welfare Standard, CWS), et on s’est retrouvé·es avec… des monopoles. Des monopoles en pharmaceutique, sur le marché de la bière, celui des bouteilles de verre, des Vitamine C, des chaussures de sport, des microprocesseurs, des voitures, des lunettes de vue, et, bien sûr, celui du catch professionnel.
Souvenez-vous : ces politiques spécifiques ont été adoptées de mémoire d’humain·e, par des individus identifiables, qui ont été informés, qui sont devenus riches, et n’en ont jamais subi les conséquences. Les économistes qui ont conçu ces politiques sont encore dans le coin aujourd’hui, en train de polir leurs faux prix Nobel, de donner des cours dans des écoles d’élite, de se faire des millions en expertise-conseil pour des entreprise de premier ordre. Quand on les interroge sur le naufrage que leurs politiques ont provoqué, ils clament leur innocence, affirmant — sans ciller — qu’il n’y a aucune manière de prouver l’influence des politiques pro-monopole dans l’avènement des monopoles.
C’est comme si on avait l’habitude d’utiliser de la mort-au-rat sans avoir de problème de rats. Donc ces gens nous demandent d’arrêter, et maintenant les rats nous dévorent le visage. Alors ils prennent leurs grands yeux innocents et disent : « Comment pouvez-vous être sûrs que notre politique contre la mort-au-rat et l’invasion globale de rats soient liées ? C’est peut-être simplement l’Ère des Rats ! Peut-être que les tâches solaires ont rendu les rats plus féconds qu’à d’autres moments de l’histoire ! Ils ont acheté les usines de mort-au-rat puis les ont fermé, et alors quoi ? Fermer ces usines après qu’on ait décidé d’arrêter d’utiliser de la mort-au-rat est une décision rationnelle et Pareto-optimale. »
Les marchés ne punissent pas les entreprises de la Tech parce qu’elles ne font pas de concurrence avec leurs rivaux, elles les achètent. C’est une citation, de Mark Zuckerberg :
Il vaut mieux acheter que d’entrer en concurrence.
C’est pour cela que Mark Zuckerberg a acheté Instagram pour un milliard de dollars, même si l’entreprise n’avait que 12 salarié·es et 25 millions d’utilisateur·ices. Comme il l’écrivait à son Directeur Financier dans un e-mail nocturne particulièrement mal avisé, il était obligé d’acheter Instagram, parce que les utilisateur·ices de Facebook étaient en train de quitter Facebook pour Instagram. En achetant Instagram, Zuck s’assurait que quiconque quitterait Facebook — la plateforme — serait toujours prisonnier·ère de Facebook — l’entreprise.
Malgré le fait que Zuckerberg ait posé sa confession par écrit, l’administration Obama l’a laissé entreprendre cette fusion, parce que tous les gouvernement, de tous les bords politiques, et ce depuis 40 ans, ont pris comme position de croire que les monopoles sont performants.
Maintenant, pensez à notre infirmière bidouillée et paupérisée. Les hôpitaux font partie des secteurs les plus consolidés des États-Unis. D’abord, on a dérégularisé les fusions du secteur pharmaceutique, les entreprises pharmaceutiques se sont entre-absorbées à la vitesse de l’éclair, et elles ont gonflé les prix des médicaments. Alors les hôpitaux ont eux aussi fusionné vers le monopole, une manœuvre défensive qui a laissé une seule chaîne d’hôpitaux s’accaparer la majorité d’une région ou d’une ville et dire aux entreprises pharmaceutiques : « Soit vous baissez le prix de vos produits, soit vous ne pouvez plus les vendre à aucun de nos hôpitaux ».
Bien sûr, une fois cette mission accomplie, les hôpitaux ont commencé à arnaquer les assureurs, qui mettaient en scène leur propre orgie incestueuse, achetant et fusionnant jusqu’à ce que les étasunien·nes n’aient plus le choix qu’entre deux ou trois assurances. Ça a permis aux assureurs de riposter contre les hôpitaux, en laissant les patient·es et les travailleur·es de la santé sans défense contre le pouvoir consolidé des hôpitaux, des entreprises pharmaceutiques, des gestionnaire de profits pharmacologiques, des centrales d’achats, et des autres cartels de l’industrie de la santé, duopoles et monopoles.
Ce qui explique pourquoi les infirmières signent pour travailler dans des hôpitaux qui utilisent ces effroyables applis, remplaçant des douzaines d’agences de recrutement qui entraient auparavant en compétition pour l’emploi des infirmières.
Pendant ce temps, du côté des patient·es, la concurrence n’a jamais eu d’effet disciplinaire. Personne n’a jamais fait de shopping à la recherche d’une ambulance moins chère ou d’un meilleur service d’urgences alors qu’iel avait une crise cardiaque. Le prix que les gens sont prêts à payer pour ne pas mourir est « tout ce que j’ai ».
Donc, vous avez ce secteur qui n’a au départ aucune raison de devenir une entreprise commerciale, qui perd le peu de restrictions qu’elle subissait par la concurrence, pavant le chemin pour l’emmerdification.
L’emmerdification des services médicaux, généré à partir d’un dessin de Gee, CC0.
Mais j’ai dit qu’il y avait 4 forces qui restreignaient les entreprises. La deuxième de ces forces, c’est la régulation, la discipline imposée par les états.
C’est une erreur de voir la discipline du marché et la discipline de l’État comme deux champs isolés. Elles sont intimement connectées. Parce que la concurrence est une condition nécessaire pour une régulation effective.
Laissez-moi vous l’expliquer en des termes que même les libertariens les plus idéologiques peuvent comprendre. Imaginons que vous pensiez qu’il n’existe précisément qu’une seule régulation à faire respecter par l’État : honorer les contrats. Pour que le gouvernement puisse servir d’arbitre sur le terrain, il doit avoir le pouvoir d’inciter les joueurs à honorer leurs contrats. Ce qui veut dire que le plus petit gouvernement que vous pouvez avoir est déterminé par la plus grande entreprise que vous voulez bien tolérer.
Alors même si vous êtes le genre de libertarien complètement gaga de Musk et qui ne peut plus ouvrir son exemplaire de La Grève tellement sont toutes collées entre elles, qui trépigne à l’idée d’un marché du rein humain, et demande le droit de se vendre en esclavage, vous devriez quand même vouloir un robuste régime anti-monopole, pour que ces contrats puissent être honorés. Quand un secteur se cartelise, quand il s’effondre et se transforme en oligarchie, quand internet devient « cinq sites internet géants, chacun d’eux remplit des d’écran des quatre autres », alors celui-ci capture ses régulateurs.
Après tout, un secteur qui comporte 100 entreprises en compétition est une meute de criminels, qui se sautent à la gorge les uns les autres. Elles ne peuvent pas se mettre d’accord sur quoi que ce soit, et surtout pas sur la façon de faire du lobbying.
Tandis qu’un secteur de 5 entreprises — ou 4 — ou 3 — ou 2 — ou une — est un cartel, un trafic organisé, une conspiration en devenir. Un secteur qui s’est peu à peu réduit en une poignée d’entreprises peut se mettre d’accord sur une position de lobbying commune.
Et plus encore, elles sont tellement isolées de toute « concurrence inefficace » qu’elles débordent d’argent, qu’elles peuvent mobiliser pour transformer leurs préférences régulatoires en régulations. En d’autres termes, elles capturent leurs régulateurs.
La « capture réglementaire » peut sembler abstraite et compliquée, aussi laissez-moi vous l’expliquer avec des exemples concrets. Au Royaume-Uni, le régulateur anti-trust est appelé l’Autorité des Marchés et de la Concurrence (« Competition and Markets Authority », abbrégé CMA), dirigé — jusqu’à récemment — par Marcus Bokkerink. Le CMA fait partie des enquêteurs et des régulateurs les plus efficaces du monde contre les conneries de la Big Tech.
Le mois dernier (le 21 janvier 2025, NDT), le Premier ministre britannique Keir Starmer a viré Bokkerink et l’a remplacé par Doug Gurr, l’ancien président d’Amazon UK. Hey Starmer, on a le poulailler au téléphone, ils veulent faire entrer le renard.
Mais revenons à nos infirmières : il y a une multitude d’exemples de capture réglementaire qui se cachent dans cette situation, mais je vais vous sélectionner le plus flagrant d’entre eux, le fait qu’il existe des courtiers en données qui vous revendront les informations d’étasunien·nes lambda concernant leurs dettes sur carte de crédit.
C’est parce que le congrès étasunien n’a pas passé de nouvelle loi sur la vie privée des consommateur·ices depuis 1988, quand Ronald Reagan a signé la loi appelée « Video Privacy Protection Act » ( Loi de Protection de la Vie Privée relative aux Vidéos) qui empêche les vendeur·euses de cassettes vidéo de dire aux journaux quelles cassettes vous avez emmenées chez vous. Que le congrès n’ait pas remis à jour les protections de la vie privée des étasunien·nes depuis que Die Hard est sorti au cinéma n’est pas une coïncidence ou un oubli. C’est l’inaction payée au prix fort par une industrie irrespectueuse de la vie privée, fortement concentrée — et donc follement profitable — et qui a monétisé l’abus des droits humains à une échelle inconcevable.
La coalition favorable à maintenir gelées les lois sur la vie privée depuis la dernière saison de Hôpital St Elsewhere continue de grandir, parce qu’il existe une infinité de façons de transformer l’invasion systématique de nos droits humains en argent. Il y a un lien direct entre ce phénomène et les infirmières dont le salaire baisse lorsqu’elles ne peuvent pas payer leurs factures de carte de crédit.
La régulation des entreprises, mème généré à partir d’un dessin de Gee. CC0.
Donc la concurrence est morte, la régulation est morte, et les entreprises ne sont punies ni par la discipline du marché, ni par celle de l’état. Mais il y a bien quatre forces capables de discipliner les entreprises, de contribuer à l’environnement hostile pour la reproduction des monstres merdifiants et sociopathes.
Alors parlons des deux autres forces. La première est l’interopérabilité, le principe selon lequel deux ou plusieurs autres choses peuvent fonctionner ensemble. Par exemple, vous pouvez mettre les lacets de n’importe qui sur vos chaussures, l’essence de n’importe qui dans votre voiture, et les ampoules de n’importe qui dans vos lampes. Dans le monde non-numérique, l’interopérabilité demande beaucoup de travail, vous devez vous mettre d’accord sur une direction, une grandeur, un diamètre, un voltage, un ampérage, une puissance pour cette ampoule, ou alors quelqu’un va se faire exploser la main.
Mais dans le monde numérique, l’interopérabilité est intégrée, parce que nous ne savons faire qu’un seul type d’ordinateur, la machine universelle et Turing-complète de von Neumann, une machine de calcul capable d’exécuter tout programme valide.
Ce qui veut dire que pour chaque programme d’emmerdification, il y a un programme de contre-emmerdification en attente d’être lancé. Quand HP écrit un programme pour s’assurer que ses imprimantes refusent les cartouches tierces, quelqu’un d’autre peut écrire un programme qui désactive cette vérification.
Pour les travailleur·euses à la tâche, les applis d’anti-emmerdification peuvent endosser le rôle du fidèle serviteur. Par exemple, les conducteur·ices de taxi à la tâche en Indonésie se sont monté·es en coopérative qui commissionnent les hackers pour écrire des modifications dans leurs applis de répartition de travail. Par exemple, une appli de taxi ne contractera pas un·e conducteur·ice pour aller cherche un·e client·e à la gare, à moins qu’iel soit juste à la sortie de celle-ci, mais quand les gros trains arrivent en gare c’est une scène cauchemardesque de chaos total et létal.
Alors les conducteur·ices ont une appli qui leur permet d’imiter leur GPS, ce qui leur permet de se garer à l’angle de la rue, mais laisse l’appli dire à leur patron qu’iels sont juste devant la sortie de la gare. Quand une opportunité se présente, iels n’ont plus qu’à se faufiler sur quelques mètres pour prendre leur client·e, sans contribuer à la zizanie ambiante.
Aux États-Unis, une compagnie du nom de Para proposait une appli pour aider les conducteur·ices chez Doordash à être mieux payé·es. Voyez-vous, c’est sur les pourboires que les conducteur·ices Doordash se font le plus d’argent, et l’appli Doordash pour ses conducteur·ices cache le montant du pourboire jusqu’à ce que vous acceptiez la course, ce qui veut dire que vous ne savez pas avant de la prendre si vous acceptez une course qui vous paiera 1,15$ ou 11,50$ avec le pourboire. Alors Para a construit une appli qui extrayait le montant du pourboire et le montrait aux conducteur·ices avant qu’iels ne s’engagent.
Mais Doordush a fermé l’appli, parce qu’aux États-Unis d’Amérique, les applis comme Para sont illégales. En 1998, Bill Clinton a signé une loi appelée le « Digital Millenium Copyright Act » (Loi du Millénaire Numérique relative aux Droits d’auteur, abrégé DMCA), et la section 1201 du DMCA définit le fait de « contourner un accès contrôlé par un travail soumis aux droits d’auteur » comme un délit passible de 500.000$ d’amende et d’une peine de prison de 5 ans pour une première condamnation. Un simple acte de rétro-ingénierie sur une appli comme Doordash est un délit potentiel, et c’est pour cela que les compagnies sont tellement excitées à l’idée de vous faire utiliser leurs applis plutôt que leurs sites internet.
La toile est ouverte, les applis sont fermées. La majorité des internautes ont installé un bloqueur de pubs (qui est aussi un outil de protection de vie privée). Mais personne n’installe de bloqueur de pubs pour une appli, parce que c’est un délit de distribuer un tel outil, parce que vous devez faire de la rétro-ingénierie sur cette appli pour y arriver. Une appli c’est juste un site internet enrobé dans assez de propriété intellectuelle pour que la compagnie qui l’a créée puisse vous envoyer en prison si vous osez la modifier pour servir vos intérêts plutôt que les leurs.
Partout dans le monde, on a promulgué une masse de lois qu’on appelle « lois sur la propriété intellectuelle », qui rendent illégal le fait de modifier des services, des produits ou des appareils afin qu’ils servent vos propres intérêts, plutôt que les intérêts des actionnaires.
Comme je l’ai déjà dit, ces lois ont été promulguées de mémoire d’humain·e, par des personnes qui nous côtoient, qui ont été informées des évidentes et prévisibles conséquences de leurs plans téméraires, mais qui les ont tout de même appliquées.
En 2010, deux ministres du gouvernement Harper (Premier ministre canadien, NDT) ont décidé de copier-coller le DMCA étasunien dans la loi canadienne. Ils ont entrepris une consultation publique autour de la proposition qui rendrait illégale toute rétro-ingénierie dans le but modifier des services, produits ou appareils, et ils en ont pris plein les oreilles ! 6138 canadien·nes leurs ont envoyé des commentaires négatifs sur la consultation. Ils les ont mis en garde que rendre illégale le détournement des verrous propriétaire interférerait avec la réparation des appareils aussi divers que les tracteurs, les voitures, et les équipements médicaux, du ventilateur à la pompe à insuline.
Ces canadien·nes ont prévenu que des lois interdisant le piratage des verrous numériques laisseraient les géants étasuniens de la Tech s’emparer du marché numérique, nous forçant à acheter nos applis et nos jeux depuis les magasins d’appli étasuniens, qui pourraient royalement choisir le montant de leur commission. Ils ont prévenu que ces lois étaient un cadeau aux monopolistes qui cherchaient à gonfler le prix de l’encre ; que ces lois sur les droits d’auteur, loin de servir les artistes canadien·nes, nous soumettraient aux plateformes étasuniennes. Parce que chaque fois que quelqu’un dans notre public achèterait une de nos créations, un livre, une chanson, un jeu, une vidéo verrouillée et enchaînée à une appli étasunienne, elle ne pourrait plus jamais être déverrouillée.
Alors si nous, les travailleur·euses créatif·ves du Canada, nous mettions à migrer vers un magasin canadien, notre public ne pourrait pas venir avec nous. Il ne pourrait pas transférer leurs achats depuis l’appli étasunienne vers l’appli canadienne.
6138 canadien·nes le leur ont dit, tandis que seulement 54 répondant·es se sont rangé·es du côté du Ministre du Patrimoine canadien, James Moore, et du Ministre de l’Industrie, Tony Clement. Alors, James Moore a fait un discours, à la réunion de la Chambre Internationale du Commerce ici à Toronto, où il a dit qu’il allait seulement écouter les 54 grincheux·ses qui supportaient ses idées affreuses, sur la base que les 6138 autres personnes qui n’étaient pas d’accord avec lui étaient des « braillard·es… extrémistes radicaux·ales ».
Donc en 2012, nous avons copié les horribles lois de verrouillage numérique étasuniennes dans notre livre de lois canadien, et nous vivons maintenant dans le monde de James Moore et Tony Clement, où il est illégal de pirater un verrou numérique. Donc si une entreprise mets un verrou numérique sur un produit, ils peuvent faire n’importe quoi derrière ce verrou, et c’est un crime de passer passer outre.
Par exemple, si HP met un verrou numérique sur ses imprimantes qui vérifie que vous n’êtes pas en train d’utiliser des cartouches d’encre tierces ou de recharger une cartouche HP, c’est un crime de contourner ce verrou et d’utiliser une encre tierce. Et c’est pour ça que HP peut continuer de nous racketter sur le prix de l’encre en le faisant monter, et monter, et monter.
L’encre d’imprimante est maintenant le fluide le plus coûteux qu’un·e civil·e peut acheter sans permis spécial. C’est de l’eau colorée qui coûte 10.000$ le gallon (environ 2000€ le litre, NDT) ce qui veut dire que vous imprimez votre liste de courses avec un liquide qui coûte plus cher que la semence d’un étalon gagnant du Derby dans le Kentucky.
C’est le monde que nous ont laissé Clement et Moore, de mémoire d’humain·e, après qu’on les ait avertis, et qu’ils aient tout de même appliqué leur plan. Un monde où les fermier·ères ne peuvent pas réparer leurs tracteurs, où les mécanicien·nes indépendant·es ne peuvent pas réparer votre voiture, où les hôpitaux pendant les confinements de l’épidémie ne pouvaient pas mettre en service leurs respirateurs artificiels défectueux, où chaque fois qu’un·e utilisateur·ice canadien·ne d’iPhone achète une appli d’un·e auteur·ice canadien·ne de logiciel, chaque dollar qu’iels dépensent fait un petit tour par les bureaux d’Apple à Cupertino en Californie, avant de revenir allégés de 30 centimes.
Laissez-moi vous rappeler que c’est le monde dans lequel une infirmière ne peut pas avoir de contre-appli ou d’extension pour son appli « Uber-des-infirmières » qu’elles doivent utiliser pour trouver du travail, qui les laisserait échanger avec d’autres infirmières pour refuser des gardes tant que les salaires pour celles-ci ne montent à des niveaux corrects, ou bloquer la surveillance de leurs déplacements et de leur activité.
L’interopérabilité était une force disciplinante majeure pour les entreprises de la Tech. Après-tout, si vous rendez les publicités sur votre site internet suffisamment inévitables, une certaine fraction de vos utilisateur·ices installera un bloqueur de pubs, et vous ne toucherez jamais plus un penny d’eux. Parce que personne dans l’histoire des bloqueurs de pub n’a jamais désinstallé un bloqueur de pubs. Mais une fois qu’il est interdit de construire un bloqueur de pubs, il n’y a plus aucune raison de ne pas rendre ces pubs aussi dégoûtantes, invasives et inévitables que possible, afin de déplacer toute la valeur depuis les utilisateur·ices vers les actionnaires et les dirigeants.
Donc on se retrouve avec des monopoles et les monopoles capturent les régulateurs, et ils peuvent ignorer les lois qu’ils n’aiment pas, et empêcher les lois qui pourraient interférer avec leur comportement prédateur — comme les lois sur la vie privée — d’être entérinées. Ils vont passer de nouvelles lois, des lois qui les laissent manipuler le pouvoir gouvernemental pour empêcher d’autres compagnies d’entrer sur le marché.
Un web sans pub, mème généré à partir d’un dessin de Gee. CC0
Donc trois des quatre forces sont neutralisées : concurrence, régulation, et interopérabilité. Ce ne laissait plus qu’une seule force disciplinaire capable de contenir le processus d’emmerdification : la main d’œuvre.
Les travailleur·euses de la Tech forment une curieuse main d’œuvre, parce qu’iels ont historiquement été très puissants, capables d’exiger des hauts salaires et du respect, mais iels l’ont fait sans rejoindre de syndicat. La densité syndicale dans le secteur de la Tech est abyssale, presque indétectable. Le pouvoir des travailleur·euses de la Tech ne leur est pas venu de la solidarité, mais de la rareté. Il n’y avait pas assez de travailleur·euses pour satisfaire les offres d’emploi suppliantes, et les travailleur·euses de la Tech sont d’une productivité inconcevable. Même avec les salaires faramineux que les travailleur·euses exigeaient, chaque heure de travail qu’iels effectuaient avaient bien plus de valeur pour leurs employeurs.
Face à un marché de l’emploi tendu, et la possibilité de transformer chaque heure de travail d’un·e travailleur·euse de la Tech en or massif, les patrons ont levé tous les freins pour motiver leur main d’œuvre. Ils ont cajolé le sens du devoir des travailleur·euses, les ont convaincus qu’iels étaient des guerrier·ères saint·es, appelant l’avènement d’une nouvelle ère numérique. Google promettait qu’iels « organiseraient les informations du monde et les rendraient utiles ». Facebook leur promettait qu’iels allaient « rendre le monde plus ouvert et plus connecté ».
Il y a un nom pour cette tactique : la bibliothécaire Fobazi Ettarh l’appelle la « fascination vocationnelle » (« vocational awe » en anglais, NDT). C’est lorsque l’intérêt pour le sens du devoir et la fierté sont utilisés pour motiver les employé·es à travailler plus longtemps pour de moins bons salaires.
Il y a beaucoup d’emplois qui se basent sur la fascination vocationnelle : le professorat, le soin aux enfants et aux personnes âgées, et, bien sûr, le travail d’infirmière.
Les techos sont différent·es des autres travailleur·euses cependant, parce qu’iels ont historiquement été très rares, ce qui veut dire que bien que les patrons pouvaient les motiver à travailler sur des projets auxquels iels croyaient, pendant des heures interminables, à l’instant-même où les patrons leurs ordonnaient de merdifier les projets pour lesquels iels avaient raté l’enterrement de leur mère pour livrer le produit dans les temps, ces travailleureuses envoyaient chier leurs patrons.
Si les patrons persistaient dans leurs demandes, les techos quittaient leur travail, traversaient la rue, et trouvaient un meilleur travail le jour-même.
Donc pendant de longues années, les travailleur·euses de la Tech étaient la quatrième et dernière contrainte, tenant bon après que les contraintes de concurrence, de régulation et d’interopérabilité soient tombées. Mais alors sont arrivés les licenciements de masse. 260 000 en 2023; 150 000 en 2024; des dizaines de milliers cette année, et Facebook qui prévoit d’anéantir 5% de sa masse salariale, un massacre, tout en doublant les bonus de ses dirigeants.
Les travailleur·euses de la Tech ne peuvent plus envoyer chier leurs patrons, parce qu’il y a 10 autres travailleur·euses qui attendent derrière pour prendre le poste.
Bon, j’ai promis que je ne parlerai pas d’IA, mais je vais devoir un tout petit peu briser cette promesse, juste pour signaler que la raison pour laquelle les patrons de la Techs sont aussi excités par l’IA c’est qu’ils pensent qu’ils pourront virer tous leurs techos et les remplacer par des chatbots dociles qui ne les enverront jamais chier.
Donc voilà d’où vient l’emmerdification : de multiples changements dans l’environnement. L’effondrement quadruple de la concurrence, de la régulation, de l’interopérabilité et du pouvoir de la main d’œuvre crée un environnement merdigène, où les éléments les plus cupides et sociopathes du corps entrepreneurial prospèrent au détriment des éléments modérateurs de leur impulsion merdificatoire.
Nous pouvons essayer de soigner ces entreprises. Nous pouvons utiliser les lois anti-monopole pour les briser, leur faire payer des amendes, les amoindrir. Mais tant que nous n’aurons pas corrigé l’environnement, la contagion se répandra aux autres entreprises.
Alors discutons des manières de créer un environnement hostile aux merdificateurs, pour que le nombre et l’importance des agents merdificateurs dans les entreprises retrouvent leurs bas niveaux des années 90. On ne se débarrassera pas de ces éléments. Tant que la motivation du profit restera intacte, il y aura toujours des gens dont la poursuite du profit sera pathologique, immodérée par la honte ou la décence. Mais nous pouvons changer cet environnement pour qu’ils ne dominent pas nos vies.
Discutons des lois anti-trust. Après 40 ans de déclin anti-trust, cette décennie a vue une résurgence massive et globale de vigueur anti-trust, qu’on retrouve assaisonnée aux couleurs politiques de gauche comme de droite.
Au cours des quatre dernières années, les anti-monopolistes de l’administration Biden à la Federal Trade Commission (Commission Fédérale du Commerce, abrégé en FTC) au Department of Justice (Département de la Justice, abrégé en DoJ) et au Consumer Finance Protection Bureau (Bureau de Protection des Consommateurs en matière Financière) ont fait plus de répression anti-monopole que tous leurs prédécesseurs au cours des 40 années précédentes.
Il y a certainement des factions de l’administration Trump qui sont hostiles à ce programme mais les agents de répression anti-trust au DoJ et au FTC disent maintenant qu’ils vont préserver et renforcer les nouvelles lignes directrices de Biden concernant les fusions d’entreprises, qui empêchent les compagnies de s’entre-acheter, et ils ont effectivement déjà intenté une action pour bloquer une fusion de géants de la tech.
Bien évidemment, l’été dernier Google a été jugé coupable de monopolisation, et doit maintenant affronter la banqueroute, ce qui explique pourquoi ils ont été si généreux et amicaux envers l’administration de Trump.
Pendant ce temps, au Canada, le Bureau de la Concurrence édenté s’est fait refaire un dentier au titane en juin dernier, lorsque le projet de loi C59 est passé au Parlement, octroyant de vastes nouveaux pouvoirs à notre régulateur anti-monopole.
Il est vrai que le premier ministre britannique Keir Starmer vient de virer le chef du Competition and Markets Authority (Autorité des Marchés et de la Concurrence, abrégé en CMA) et l’a remplacé par l’ex patron d’Amazon UK. Mais ce qui rend le tout si tragique c’est que le CMA faisait un travail incroyablement bon au sein d’un gouvernement conservateur.
Du côté de l’Union Européenne, ils ont passé la Législation sur les marchés numériques (Digital Markets Act) et le Règlement sur les Services Numériques (Digital Services Act), et ils s’attaquent aux entreprises de la Big Tech avec le tranchant de la lame. D’autres pays dans le monde — Australie, Allemagne, France, Japon, Corée du Sud et Chine (oui, la Chine !) — ont passé de nouvelles lois anti-monopole, et lancent des actions majeures de répression anti-monopole, donnant souvent lieu à des collaborations internationales.
Donc vous avez le CMA britannique qui utilise ses pouvoirs d’investigation pour faire des recherches et publier des enquêtes de marché approfondies sur la taxe abusive pratiquée par Apple sur les applis, et ensuite l’UE qui utilise ce rapport comme feuille de route pour sanctionner Apple, puis interdire le monopole d’Apple sur les paiements grâce à de nouvelles régulations. Ensuite les anti-monopolistes en Corée du Sud et au Japon traduisent l’affaire européenne et gagnent des affaires quasi-identiques dans leurs propres cours de justice.
Et quid de la capture réglementaire ? Et bien, on commence à voir les régulateurs faire preuve d’astuce pour contrôler les grosses entreprises de la tech. Par exemple, la Législation sur les Marchés Numériques et le Règlement sur les Services Numériques européens ont été imaginés pour contourner les cours de justice national des états membres de l’UE, et spécifiquement de l’Irlande, le paradis fiscal où les entreprises étasuniennes de la Tech prétendent avoir leurs bureaux.
Le truc avec les paradis fiscaux c’est qu’ils deviennent immanquablement des paradis criminels, parce qu’Apple peut prétendre être irlandaise cette semaine, être maltaise ou chypriote ou luxembourgeoise la semaine d’après. Alors l’Irlande doit laisser les géants de la Tech étasuniens ignorer les lois européennes sur la vie privée et autres régulations, ou le pays les perdra au profit de nations plus sordides, plus dociles et plus compétitives.
Donc à partir de maintenant, la régulation européenne sur le secteur de la Tech sera exécutée en cour fédérale européenne, et pas en cour nationale, en considérant les cours irlandaises capturées comme endommagées et en les contournant.
Le Canada doit renforcer sa propre capacité à appliquer les régulations sur le secteur de la Tech, en détricotant les fusions monopolistes comme celle de Bell et Rogers, mais par dessus tout, le Canada doit poursuivre son programme sur l’interopérabilité.
L’année dernière, le Canada a passé deux projets de loi très excitants: le projet de loi C244, une loi nationale sur le Droit de Réparation; et le projet de loi C294, une loi d’interopérabilité. Nommément, ces deux lois permettent aux canadien·nes de tout réparer, depuis les tracteurs aux pompes à insuline, et de modifier les logiciels dans leurs appareils, que ce soient les consoles de jeux comme les imprimantes, pour qu’ils puissent fonctionner avec des magasins d’applis, des consommables, ou des extensions tierces.
Pourtant, ces projets de loi sont fondamentalement inutiles, parce qu’ils ne permettent pas aux canadien·nes d’acquérir les outils nécessaires pour briser les verrous numériques. Vous pouvez modifier votre imprimante pour qu’elle accepte des encres tierces, ou interpréter les codes diagnostiques d’une voiture pour que n’importe quel mécanicien·ne puisse la réparer, mais seulement si il n’y a pas de verrou numérique qui vous empêche de le faire, parce que donner à quelqu’un l’outil qui permet de briser un verrou numérique reste illégal grâce à la loi que James Moore et Tony Clement ont fourré dans la gosier du pays en 2012.
Et chaque imprimante sans exception, chaque enceinte connectée, voiture, tracteur, appareil ménager, implant médical ou appareil médical hospitalier aura un verrou numérique qui vous empêchera de le réparer, de le modifier, ou d’utiliser des pièces, un logiciel ou des consommables tiers.
Ce qui veut dire que ces deux lois remarquables sur la réparation et l’interopérabilité sont inutiles.
Mème sur les lois canadiennes sur l’interopérabilité, généré à partir d’un dessin de Gee. CC0
Alors pourquoi ne pas se débarrasser de la loi de 2012 qui interdit de briser les verrous numériques ? Parce que ces lois font partie d’accords d’échange avec les États-Unis. C’est une loi dont on a besoin pour garder un accès sans taxe aux marchés étasuniens.
Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais Donald Trump va imposer 25% de taxe sur toutes les exportations vers le Canada. La réponse de Trudeau c’est d’imposer des taxes de représailles, qui rendront les produits étasuniens 25% plus chers pour les canadien·nes. Drôle de façon de punir les États-Unis !
Vous savez ce qui serait mieux encore ? Abolir les lois canadiennes qui protègent les compagnies des géants de la Tech étasuniens de la concurrence canadienne.Rendre légale la rétro-ingénierie, le jailbreak (le fait de contourner les limitations volontairement imposées par le constructeur) et la modification des produits technologiques et services américains. Ne demandez pas à Facebook de payer une taxe pour chaque lien vers un site d’information canadien, légalisez le crochetage de toutes les applis de Méta et de bloquer toutes les pubs qui en proviennent, pour que Mark Zuckerberg ne puisse plus se faire un sou sur notre dos.
Légalisez le jailbreak de votre Tesla par des mécanicien·nes canadien·nes, pour débloquer toutes les fonctionnalités normalement disponibles sur inscription, comme le pilotage automatique, et l’accès complet à la batterie, pour un prix fixe et pour toujours. Pour que vous puissiez mieux profiter de votre voiture et que, quand vous la revendrez, lae prochain·ne propriétaire continue de jouir de ces fonctionnalités, ce qui veut dire qu’iel paiera davantage pour votre voiture d’occasion.
C’est comme ça que l’on peut faire du tort à Elon Musk : pas en s’affichant publiquement comme horrifié·es par ses saluts nazi. Ça ne lui coûte rien. Il adore qu’on parle de lui. Non ! Frappez dans sa machine à sous incroyablement lucrative du marché de l’abonnement d’occasion sur lequel il se repose pour son entreprise de Swastikamions. Frappez-le en plein dans le câble d’alimentation !
Laissez les canadien·nes monter un magasin d’applis canadien pour les appareils Apple, le genre qui prend 3% de commission sur les transactions, pas 30%. En conséquence, chaque journal canadien qui vend des abonnements en passant par cette appli, et chaque créateur·ice de logiciel, musicien·ne ou écrivain·ne canadien·ne qui vend quelque chose en passant par une plateforme numérique verra ses revenus augmenter de 25% du jour au lendemain, sans enregistrer un·e seul nouvelle·eau client·e.
Mais nous pouvons rallier de nouvelles·aux client·es, en vendant des logiciels de jailbreak et un accès aux magasins d’applis canadiens, pour tous les appareils mobiles et les consoles, partout dans le monde, et en incitant tous les éditeur·ices de jeux vidéos et les développeur·euses d’applis à vendre via les magasins canadiens pour les client·es du monde entier sans payer 30% aux géantes entreprises étasuniennes de la Tech.
Nous pourrions vendre à chaque mécanicien·ne dans le monde un abonnement à 100$CAD par mois pour un outil de diagnostique universel. Chaque fermier·ère du monde pourrait acheter un kit qui leur permettrait de réparer leurs propres tracteurs John Deere sans payer 200$CAD de frais de déplacement à un·e technicien·ne de Deere pour inspecter les réparations.
Ils traceraient un chemin dans notre direction. Le Canada pourrait devenir un moteur de l’export des technologies, tout en baissant les prix pour les usager·ères canadien·nes, tout en rendant les affaires plus profitables pour tous ceux qui vendent des médias ou des logiciels sur des magasins en ligne. Et — c’est la partie la plus intéressante — ce serait un assaut frontal contre les entreprises étasuniennes les plus grandes, les plus profitables, les entreprises qui, à elles seules, maintiennent le S&P 500 à flot, en frappant directement dans leurs lignes de compte les plus profitables, en réduisant à néant, en l’espace d’une nuit et dans le monde entier, les centaines de milliards de revenus de ces arnaques.
Nous pouvons aller plus loin qu’exporter pour les étasuniens des médicaments à prix raisonnable. Nous pourrions aussi exporter pour nos amis étasuniens les outils extrêmement lucratifs de libération technologique.
C’est comme ça que vous gagnez une bataille commerciale.
Qu’en est-t-il des travailleur·euses ? Là, nous avons de bonnes et de mauvaises nouvelles.
La bonne nouvelle, c’est que la popularité des syndicats dans l’opinion publique est à son plus haut niveau depuis le début des années 1970, que le nombre de travailleur·euses souhaitant rejoindre un syndicat n’a pas été aussi haut depuis des générations, et que les syndicats eux-mêmes sont assis sur des réserves financières battant tous les records, qu’ils pourraient utiliser pour organiser la lutte de ces travailleur·euses.
Mais voilà la mauvaise nouvelle. Les syndicats ont passé toutes les années Biden — alors qu’ils disposaient de l’environnement réglementaire le plus favorable depuis l’administration Carter, que l’opinion public était à son maximum, qu’un nombre record de travailleur·euses voulaient rejoindre un syndicat, qu’ils avaient plus d’argent que jamais à dépenser pour syndiquer ces travailleur·euses — à faire que dalle. Ils n’ont alloué que des clopinettes aux activités de syndicalisation, aboutissant à la fin des années Biden à un nombre de travailleur·euses syndiqué·es inférieur à celui de leur début.
Et puis nous avons eu Trump, qui a illégalement viré Gwynne Wilcox du National Labor Relations Board, laissant le NLRB sans quorum et donc incapable de réagir à des pratiques professionnelles injuste ou de certifier des élections syndicales.
C’est terrible. Mais la partie n’est pas terminée. Trump a viré les arbitres, et il pense que cela signifie la fin de la partie. Mais je vais vous dire un truc : virer l’arbitre ne termine pas la partie, ça veut juste dire que l’on rejette les règles. Trump pense que c’est le code du travail qui crée les syndicats, mais il a tord. Les syndicats sont la raison par laquelle nous avons un code du travail. Bien avant que les syndicats ne soient légalisés, nous avions des syndicats, qui combattaient dans la rue les voyous à la solde des patrons.
Cette solidarité illégale a conduit à l’adoption d’un code du travail, qui légalisait le syndicalisme. Le code du travail est passé parce que les travailleur·euses ont acquis du pouvoir à travers la solidarité. La loi ne crée pas cette solidarité, elle lui donne seulement une base légale. Retirez cette base légale, et le pouvoir des travailleur·euses reste intacte.
Le pouvoir des travailleur·euses est la réponse à la fascination vocationnelle. Après tout, il est bon pour vous et pour vos camarades travailleur·euses de considérer votre travail comme une sorte de mission. Si vous ressentez cela, si vous ressentez le devoir de protéger vos utilisateur·ices, vos patient·es, vos patron·nes, vos étudiant·es, un syndicat vous permet d’accomplir ce devoir.
Nous avons vu cela en 2023, lorsque Doug Ford (premier ministre de l’Ontario, NDT) a promis de détruire le pouvoir des fonctionnaires d’Ontario. Des travailleur·euses de toute la province se sont soulevés, annonçant une grève générale, et Doug Ford a plié comme l’un de ses costumes bas de gamme. Les travailleur·euses lui on mis une raclée, et on le refera si il le faut. Chose promise, chose due.
Le « désassemblage imprévu en plein-air » du code du travail étasunien signifie que les travailleur·euses peuvent à nouveau se soutenir les uns les autres. Les travailleur·euses de la Tech ont besoin de l’aide des autres travailleur·euses, parce qu’eils ne sont plus rares désormais, plus après un demi-million de licenciements. Ce qui signifie que les patrons de la Tech n’ont plus peur d’eux.
En comparaison, les développeur·euses d’Amazon ont le droit de venir travailler avec des crêtes roses, des piercings au visage et des tshirts noirs qui parlent de choses incompréhensibles pour leurs patrons. Iels ont le droit de pisser quand iels veulent. Jeff Bezos n’est pas tendre avec les travailleur·euses de la Tech, de la même manière qu’il ne nourrit pas une haine particulière contre les travailleur·euses des entrepôts ou les livreur·euses. Il traite ses travailleur·euses aussi mal qu’il est permis de le faire. Ce qui veut dire que les dévelopeur·euses aussi connaîtrons bientôt les bouteilles de pisse.
Ce n’est pas seulement vrai pour Amazon, bien entendu. Prenons Apple. Tim Cook a été nommé directeur général en 2011. Le comité directeur d’Apple l’a choisi pour succéder au fondateur Steve Jobs parce c’est le gars qui a compris comment délocaliser la production d’Apple vers des sous-traitants en Chine, sans rogner sur la garantie de qualité ou risquer une fuite des spécifications de produit en amont des lancements de produit légendaires et pompeux l’entreprise.
Aujourd’hui, les produits d’Apple sont fabriqués dans une gigantesque usine Foxconn à Zhengzhou, surnommée « iPhone City« . Effectivement, ces appareils arrivent par conteneurs dans le Port de Los Angeles dans un état de perfection immaculée, usinés avec les marges d’erreur les plus fines, et sans aucun risque de fuite vers la presse.
Chantier de construction d’une usine Foxconn (sous-traitant principal d’Apple) à Zhengzhou. Photo sous licence CC BY-NC-SA par Bert van Dijk.
Pour aboutir à cette chaîne d’approvisionnement miraculeuse, Tim Cook n’a eu qu’à faire d’iPhone City un enfer sur Terre, un lieu dans lequel il est si horrible de travailler qu’il a fallu installer des filets anti-suicide autour des dortoirs afin de rattraper les corps de travailleur·euses tellement brutalisé·es par les ateliers de misère de Tim Cook qu’iels tentent de mettre fin à leurs jours en sautant dans le vide. Tim Cook n’est pas attaché sentimentalement aux travailleur·euses de la Tech, de même qu’il n’est pas hostile aux travailleur·euses à la chaîne chinois·es. Il traite simplement ses travailleur·euses aussi mal qu’il est permis de le faire et, avec les licenciements massifs dans le domaine de la Tech, il peut traiter ses développeur·euses bien, bien pire.
Comment les travailleur·euses de la Tech s’organisent-iels en syndicat ? Il y a des organisations spécifiques au domaine de la Tech, comme Tech Solidarity et la Tech Workers Coalition. Mais les travailleur·euses de la Tech ne pourront massivement se syndiquer qu’en faisant preuve de solidarité avec les autres travailleur·euses et en recevant leur solidarité en retour. Nous devons toustes soutenir tous les syndicats. Toustes les travailleur·euses doivent se soutenir les un·es les autres.
Nous entrons dans une période de polycrise omnibordélique. Le grondement menaçant du changement climatique, de l’autoritarisme, du génocide, de la xénophobie et de la transphobie s’est transformé en avalanche. Les auteurs de ces crimes contre l’humanité ont transformé internet en arme, colonisé le système nerveux numérique du XXIème siècle, l’utilisant pour attaquer son hôte, menaçant la civilisation elle-même.
L’internet merdifié a été construit à dessein pour ce genre de co-optation apocalyptique, organisée autour de sociétés gigantesques qui échangeraient une planète habitable et des droits humains contre un abattement fiscal de 3%, qui ne nous présentent plus que des flux algorithmiques bidouillables et bloquent l’interopérabilité qui nous permettrait d’échapper à leur emprise, avec le soutien de gouvernements puissants auxquels elles peuvent faire appel pour « protéger leur propriété intellectuelle ».
Ça aurait pu ne pas se passer comme ça. L’internet merdifié n’était pas inévitable. Il est le résultat de choix réglementaires spécifiques, réalisés de mémoire d’humain·e, par des individus identifiables.
Personne n’est descendu d’une montagne avec deux tablettes de pierre en récitant « Toi Tony Clement, et toi James Moore, tu ne laisseras point les canadien·nes jailbreaker leurs téléphones ». Ces gens-là ont choisi l’emmerdification, rejetant des milliers de commentaires de canadien·nes qui les prévenaient de ce qui arriverait par la suite.
Nous n’avons pas à être les éternel·les prisonnier·ères des bourdes politiques catastrophiques de ministres conservateurs médiocres. Alors que la polycrise omnibordélique se déploie autour de nous, nous avons les moyens, la motivation et l’opportunité de construire des politiques canadiennes qui renforcent notre souveraineté, protègent nos droits et nous aident à rendre toustes les utilisateur·ices de technologie, dans chaque pays (y compris les États Unis), libres.
La présidence de Trump est une crise existentielle, mais elle présente aussi des opportunités. Quand la vie vous donne le SRAS, vous faites des sralsifis. Il fut un temps où nous avions un bon vieil internet, dont le principal défaut était qu’il requérait un si haut niveau d’expertise technique pour l’utiliser qu’il excluait toustes nos ami·es « normalles·aux » de ce merveilleux terrain de jeu.
Les services en ligne du Web 2.0 avaient des toboggans bien graissés pour que tout le monde puisse se mettre en ligne facilement, mais s’échapper de ces jardins clos du Web 2.0 c’était comme remonter la pente d’une fosse tout aussi bien graissée. Un bon internet tout neuf est possible, et nécessaire. Nous pouvons le construire, avec toute l’auto-détermination technologique du bon vieil internet, et la facilité d’usage du Web 2.0.
Un endroit où nous pourrions nous retrouver, nous coordonner et nous mobiliser pour résister à l’effondrement climatique, au fascisme, au génocide et à l’autoritarisme.
Nous pouvons construire ce bon internet tout neuf, et nous le devons.
Framamèmes : vos mèmes préférés en versions libres et accessibles !
Vous voulez produire du mème libre, artisanal et remixé ? Framasoft sort (vraiment) le service Framamèmes. Vraiment. Promis.
Un générateur de mèmes libres ? C’est une blague ?
Noyons le poisson dans le bocal : Framamèmes est une blague… mais une blague durable, qu’on compte bien continuer de maintenir même après ce 1er avril.
Vous pouvez d’ores et déjà vous rendre sur Framamemes.org, et tester vous-mêmes les mèmes à faire… comme chez mémé. Même que mémé aime les mèmes de millenials : si Framasoft a 20 ans, ses membres en ont (en moyenne) deux fois plus 😊.
Notez que ce n’est pas la première fois qu’à Framasoft, on prend la blague au sérieux et maintient le petit projet fun au-delà de l’annonce (l’occasion de vous faire redécouvrir Framaprout, Framadsense ou le fameux bingo du troll).
Les mèmes sont hors la loi… sauf chez Framamèmes !
Il faut dire que la culture du remix et du partage est (à peine) tolérée par les industries culturelles qui capitalisent sur le droit d’auteur et le copyright.
Fi du fair use, exit l’exception pour parodie… les mèmes pourraient tout à fait être considérés comme illégaux, et mener à des poursuites judiciaires si leurs ayants droits y voyaient un intérêt (même que c’est déjà arrivé).
C’est pour cela que Gee s’est jeté sur sa tablette graphique au cours d’un stream (sur PeerTube, parce qu’ici, on est libres de bout en bout) et s’est dit : « tiens, et si je faisais mes propres versions libres des mèmes les plus populaires ? »
La route est longue, mais le mème est libre
Avec son propre style de dessin bien connu du lectorat du Framablog, et en n’hésitant pas à franciser les mèmes, que ce soit simplement en traduisant les textes inclus dans les images (« draw 25 » sur la carte Uno devient « pioche 25 cartes ») ou même en appliquant le style français aux panneaux autoroutiers !
À gauche, les versions originales ; à droite, les versions dessinées ET francisées par Gee !
Quelques mèmes plus tard, il est devenu évident qu’un site web était nécessaire pour les partager. En ajoutant une pincée de JavaScript pour inclure un éditeur (libre, évidemment), et même une police libre (parce que All Fonts Are Beautiful, comme on dit)… on obtient Framamèmes !
Pour l’instant, une sélection restreinte de mèmes est proposée, mais Gee compte bien continuer à enrichir l’éditeur dans les semaines à venir ! N’hésitez pas à proposer les mèmes que vous voudriez voir adaptés en commentaires.
Des mèmes libres… et accessibles !
Partager des images en ligne, c’est bien : si elles sont accessibles à toutes et à tous, c’est mieux ! Une bonne pratique consiste à systématiquement inclure une description des images porteuses d’informations dans la balise prévue à cet effet (la fameuse balise alt en HTML).
Pas mal de médias sociaux, notamment Mastodon (le réseau de microblogging libre et décentralisé que nous plébiscitons à Framasoft), permettent d’inclure un tel texte alternatif au moment d’intégrer une image dans un message.
Eh bien avec Framamèmes, on a décidé de vous simplifier la tâche : lorsque vous créez un mème, vous avez la possibilité de copier en un clic un texte descriptif de votre image dans le presse-papier ! Parce qu’il n’y a pas de raison que tout le monde ne puisse pas profiter de vos créations dont on ne doute pas qu’elles vaudront le détour…
Lancé sur un coup de tête et de crayon
Franchement : c’était pas prévu, à Framasoft, de faire un 1er avril cette année. On a du boulot plein le cloud. On a une Assemblée Générale ce week-end.
Alors faire un 1er avril qui en plus est un vrai service que vous pouvez vraiment utiliser… on ne l’imaginait pas. Sauf que Gee nous l’a servi sur un plateau. Et puis ça nous amuse. Et puis c’est une raison de rappeler que les monopoles de la propriété intellectuelle, ça peut très vite effacer de jolis sourires.
Alors on dit merci à Gee (et aux petites mains qui ont aidé à l’accouchement 😄) et on rappelle que cet artiste libre essaie de vivre de son art : vous pouvez le soutenir en achetant son nouveau livre, en jouant à ses jeux vidéo, ou encore par un don.
Et puis surtout : amusez-vous avec Framamèmes, faites tourner autour de vous, et faites des mèmes libres, quelle que soit la date !
Prestidigitateur ou sorcier ?
Aujourd’hui, Gee, qui fête actuellement les 10 ans de son blog Grise Bouille avec un livre best of et un site anniversaire, vous propose une petite BD de fiction (sans aucun rapport avec le monde réel, bien sûr), adaptée de sa dernière chronique radio, dont le podcast sera bientôt disponible.
Prestidigitateur ou sorcier ?
Notre histoire se passe dans un étrange pays lointain. Un pays qui, depuis de nombreuses années, est cerné par un gigantesque incendie.
Cassandre, ce genre de réflexion, ça l’agace, parce que la science, elle connaît ! Et la science, elle a déjà trouvé la solution à cet incendie :
C’est dans cet étrange pays que débarque, un jour, un étrange magicien…
Cassandre, devant cet engouement général, est sceptique :
Comme d’habitude, Cassandre a du mal à convaincre les gens de la différence de taille entre les deux…
Décidée à démasquer cet imposteur de Gipiti, Cassandre mène son enquête… et la réalité est encore pire qu’elle ne l’imaginait.
Plus Cassandre fouille, plus elle met au jour les turpitudes de Charles Gipiti…
Cette fois, Cassandre n’en peut plus et explose :
Rien à faire… les magiciens se multiplient, soulèvent des financements délirants, on en met partout : dans les écoles, les transports, les bureaux… qu’on en veuille ou pas, impossible d’y échapper.
Le temps passe. Cassandre ne convainc personne. Les magiciens continuent à détrousser l’intégralité de la société aussi longtemps que possible, avec des illusions toujours plus réussies. Jusqu’à ce jour où…
La réalité saute alors crument aux yeux de toutes et tous : aucune solution n’a été trouvée par la « magie »… parce qu’aucune solution n’était compatible avec la poursuite des activités des prestidigitateurs.
FIN.
Oui, c’est violent comme fin.
C’est ce que les anglophones appellent un cautionary tale, un récit de mise en garde.
Parce que si d’aventure, des prestidigitateurs de pacotille venaient se prendre pour des sorciers chez nous, en pillant des élevages pour faire apparaître leurs lapins, et en alimentant un gigantesque incendie en faisant mine de lutter contre…
Ce serait peut-être plutôt eux qu’il faudrait foutre au feu, avant qu’il ne soit trop tard.
Bonjour, vous avez sorti, en mars dernier, un ouvrage collectif traitant des communs, nous avons eu envie d’en savoir plus. Mais avant cela, pouvez-vous vous présenter pour le Framablog ?
Justine Loizeau : Cet ouvrage est le résultat d’un travail collectif au sein du groupe « Services de Proximité » de La Coop des Communs. Cette dernière est une association fondée en 2016 dont le but est de confronter l’expérience acquise entre praticien·nes et chercheur·es des communs d’un coté, et de l’économie sociale et solidaire (ESS) de l’autre. L’ambition est de favoriser une revitalisation de l’ESS à partir de la philosophie et des pratiques qui animent les communs tout en permettant aux communs de tirer partie de la longue expérience organisationnelle et institutionnelle de l’ESS. De manière plus concrète, la Coop des Communs se penche sur des thématiques précises (ex : les plateformes, la forêt, la comptabilité…) par groupes de travail.
Le groupe « Services de Proximité » a rassemblé de 2020 à 2023 une trentaine de membres dont une quinzaine active sur le terrain. Seule une partie a pris la plume : 11 auteur·ices. J’ai participé à la coordination de l’ouvrage avec Nicole Alix et Benjamin Coriat.
Logo de la Coop des Communs
Votre livre fait la lumière sur diverses expériences de communs de proximité, par le biais de plusieurs articles. Pourriez-vous nous donner une définition de ce qu’est un commun, et ce que vous désignez par « Communs de proximité » ?
Justine : C’est Benjamin Coriat qui propose une définition dans son chapitre. En se référant à Ostrom, on peut définir les communs selon le triptyque : ressource – communauté – règles. Un commun correspond à une forme d’organisation sociale selon laquelle une communauté humaine gère une ressource selon des règles qu’elle a auto-produite. On parle aussi d’auto-gouvernance.
Selon Benjamin Coriat, les communs de proximité correspondent à un type particulier de commun qu’il définit ainsi : « toute entité ancrée sur un territoire (sa population, sa géophysique…), d’initiative citoyenne et régie par des règles élaborées en commun, dont la visée est le service de l’intérêt général et du bien commun au sens où les services proposés sont conçus pour contribuer à la reproduction conjointe des écosystèmes et des communautés qui constituent le territoire considéré. » Le trait constitutif de ce type de commun est de répondre avant tout à l’intérêt général, et non à l’intérêt collectif. Quelle différence ? L’intérêt collectif, c’est quand une organisation, ici un commun, répond à l’intérêt de ses membres (et uniquement de ses membres). Pour répondre à l’intérêt général, il faut au moins que les bénéficiaires du commun dépasse le cercle de ses membres.
Dans la définition que vous explicitez d’un commun de proximité, une précondition est que le service proposé le soit sur la base d’une initiative citoyenne « auto organisée ». Aucun service public ne pourrait donc prétendre à être un commun de proximité ?
Justine : Dans notre groupe, nous avons beaucoup réfléchi à la notion de service public. J’ai appris que tous les pays ne donnaient pas autant d’importance à cette notion que la France. Jean-Claude Boual montre par exemple dans son chapitre, qu’au niveau européen, on utilise plutôt l’expression de « service d’intérêt économique général » qui est teintée d’une certaine vision politique, notamment que ces services seront plus efficaces s’ils sont régis par le principe de concurrence. Cette vision va à l’encontre de monopoles d’État pour fournir les services d’électricité, d’eau, de transport.
Et si la notion de service public est très présente dans le débat public français, c’est finalement très difficile d’en formuler une définition simple. On a donc choisi d’admettre au début de notre ouvrage, la simplification de qualifier le service public comme ce qui renvoie à une activité d’intérêt général (enseignement, police, justice) gouverné par l’administration publique qui les norme. L’administration ne les opère pas forcément directement. En effet, le service public peut être délégué au secteur privé marchand (ex : gestion des déchets ou de l’eau). Mais dans ce second cas, elle donne des obligations au gestionnaire. De plus, le service public répond en théorie à des grands principes : continuité (par exemple, en cas de grève, il est possible de procéder à une réquisition), égalité des usagèr·e·s devant le service public et adaptabilité aux évolutions. Enfin, dans la tradition française, les services publics ont la particularité d’être conçus comme des services universels. On observe même une tendance à l’universalisation d’un usager type. L’attention est alors plus faible aux spécificités de chaque personne.
En bref, on voit que la particularité des services publics en France c’est d’être régis par le haut. Or les communs sont des dynamiques par le bas. On part des besoins et des capacités des personnes, mais aussi des spécificités des territoires. Donc, les services produits par ces initiatives correspondent à des choses que le service public ne fait pas ou ne fera jamais. Par exemple, dans son chapitre, Julie Lequin évoque un projet de maison de l’alimentation dans le Pays Foyen (33). C’est un projet tellement construit sur les besoins spécifiques du territoire, qu’il n’aurait jamais pu être entièrement conçu par une administration publique. Pour preuve, ce projet a des difficultés à entrer dans les « cases administratives » pour obtenir des financements !
En France les Communs sont parfois menacés par les pouvoirs publics, en partie de façon délibérée, par exemple pour transférer des communs existants vers le privé, et parfois sans l’avoir vraiment conscientisé, en raison de la frontière très forte entre service public et usagers, d’une méfiance envers les projets collectifs, ou d’une croyance en l’incompétence des citoyen⋅es. Comment arriver à faire coexister les deux selon vous ? Quels secteurs / services publics sont les plus ouverts aux Communs, et au contraire les plus fermés ?
Nicole Alix : les « services publics » et les « communs » sont deux concepts difficiles à appréhender, aussi leurs rapports sont forcément compliqués ! Dans les chapitres 6 et 7, on précise : il ne faut pas confondre avec « le service public » ni avec les services rendus par les pouvoirs publics car certains sont délégués au « privé » comme mentionné dans la question ; et le privé peut être lucratif -transports, énergie..- ou privé non lucratif -service public hospitalier, par exemple, auquel participent de nombreuses associations et, désormais le « service public de la petite enfance). Et il ne faut pas non plus confondre service public et service d’intérêt général !
Ce que nous pensons, c’est que les communs peuvent, en insufflant des modes de gouvernance définis et mis en œuvre par les personnes participantes, être un élément de dynamisation et d’imagination dans la gouvernance des services publics parce qu’ils partent d’initiatives de proximité et de besoins concrets des populations.
La forme associative est choisie par beaucoup de personnes concernées par un besoin pour s’organiser entre elles, afin de bien le définir, en contrôler en permanence et dans le temps les modalités de fabrication de la
réponse et de la façon dont cette réponse aux besoins est délivrée. Chaque mot compte dans cette phrase un peu longue, comme expliqué dans le chapitre sur les liens entre associations et communs.
Et n’oublions pas qu’il existe des « secteurs » dans lesquels il n’y a jamais de définition de « service public » (le numérique par exemple ?) et que, donc, les forces citoyennes organisées pour servir l’intérêt général sont d’autant plus précieuses !
Vous rappelez qu’il y a eu une volonté politique, dans les années 1980 de séparer le pouvoir économique et le pouvoir citoyen des associations. Pouvez-vous nous expliquer l’intérêt de posséder ces deux pouvoirs pour les associations ?
Nicole : Jusqu’aux années 80, personne n’avait conscience de la puissance économique que représentaient les associations, qui géraient par exemple des activités sociales, d’éducation populaire, sportive, culturelles.. C’est à l’occasion de l’arrivée de la gauche au pouvoir qu’on l’a identifiée et, du coup, la gauche a pensé qu’il fallait faire un tri entre les associations « gestionnaires » et celles qui ne feraient que de la défense de droits et différencier les modèles et les règles applicables. Mais tout le milieu associatif a protesté, au motif que différencier l’objectif politique de la méthode pour y parvenir aboutit à priver de moyens d’action ! Si je fais de l’éducation populaire, je fais de la gestion aussi bien que de la recherche d’émancipation ! Donc les associations ont eu dès les années 80, de bonnes raisons de négocier la possibilité de garder des activités économiques sous chapeau associatif (cf chapitre 6) : c’est la garantie d’un rôle de contre-pouvoir. Une organisation qui cumule un pouvoir citoyen (politique donc), ET un pouvoir économique (c’est-à-dire la possibilité de répondre aux besoins des personnes qu’elles veulent défendre, promouvoir) est éminemment subversif. L’histoire montre que, lorsque des mouvements sociaux acquièrent un pouvoir économique, ils deviennent dangereux, car ils peuvent contrebalancer les forces de marché ou l’ordre public administré. L’État est alors tenté de les priver de leurs ressources financières : par exemple, il a enlevé aux syndicats ouvriers la gestion des œuvres sociales que ceux-ci avaient créées au sein des entreprises au 19ème siècle et les a confiées à des comités d’entreprise sans personnalité juridique, présidés par le chef d’entreprise.
Vous évoquez les réactions de l’état face à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou encore à Sainte-Soline, comment pourrait-on redéfinir la notion de commun foncier du XXIe siècle ?
Nicole : C’est une bonne question sur laquelle La Coop des Communs continue ses travaux, notamment avec la Chaire Valcom. Les communs fonciers ancestraux représentent une forme de vitalisation des espaces ruraux qui peuvent servir au-delà de ce pour quoi ils ont été conçus dans l’histoire. Peut-être pour un prochain livre ?
Le livre présente l’expérience de commun alimentaire par les habitant·e·s du Pays Foyen. Quels sont les éléments essentiels pour mettre en place une telle initiative ? Quels en sont les enjeux ?
Julie Lequin : Il me semble qu’on ne devrait pas poser la question de cette façon, notamment parce qu’elle masque l’essentiel : la question du QUI met en place (et pour qui) – surtout que cela permet de conduire ensuite à la question du pourquoi.
Ainsi, le point de départ d’une telle initiative, c’est un/des besoins d’habitants. Besoins qui n’arrivent pas toujours à s’exprimer, et qu’il faut donc parfois accompagner dans leur émergence et leur expression – a minima sans les dévoyer, si possible sans (trop) les transformer – c’est-à-dire sans y plaquer ses propres intentions. Dans le cas du Pays Foyen, on retrouve certaines populations éloignées cognitivement, géographiquement ou culturellement des espaces où se discutent une partie des enjeux sociétaux, politiques, etc. Il y a donc un enjeu, dans de telles initiatives, d’avoir une attention particulière à aller chercher cette parole.
Et ensuite, le chemin doit se construire AVEC les personnes – à la mesure de comment elles peuvent, elles-mêmes, s’impliquer dans ce type d’initiative. Bien souvent, de façon hétérogène et cette diversité doit être accueillie de façon à proposer, en retour, différentes modalités de participation. Dans le coin du Pays Foyen, c’est aussi bien participer à cultiver la parcelle collective du jardin partagé, qu’organiser un ciné-débat sur l’alimentation, que d’être bénévole aux Restos du Cœur, que de donner un coup de main sur des ateliers de cuisine de rue, etc. « Faire avec » demande du temps, de l’attention et de l’entretien de la part de la communauté et cela reste un des enjeux majeurs du commun alimentaire.
Un article traite d’un exemple de Communs en Italie. En quoi le traitement des pouvoirs publics envers les Communs est différent d’avec la France ?
Nicole : Dans leur chapitre, Daniela Ciaffi, Emanuela Saporito et Ianira Vassallo expliquent que la Constitution Italienne consacre le principe de subsidiarité « horizontal » : « L’État, les Régions, les Villes Métropolitaines, les Provinces et les Municipalités favorisent l’initiative autonome des citoyens, particuliers et associations, pour la réalisation d’activités d’intérêt général, sur la base du principe de subsidiarité ». Le principe de subsidiarité est également présent dans la loi sociale allemande, sous une autre forme. Dans ces traditions, il renvoie à une forme d’aide qui encourage et autorise l’autonomie des échelons « de base » avec le secours de l’échelon « supérieur ». Dans les Traités européens la subsidiarité signifie au contraire que l’UE n’intervient que « si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres ». En tout état de cause, non seulement ce principe n’existe pas en droit français, mais la façon dont nous avons construit l’État français s’y oppose souvent. D’où l’opinion que notre Etan français serait jacobin et l’idée qui en découle que tous les « services au public » devraient être réalisés par des fonctionnaires dans un service public.
Exemple de mise en œuvre en Italie avec un événement organisé avec le quartier dans le cadre des activités d’un Pacte de collaboration. Source : Marcella Iannuzzi.
Dans le chapitre 8, vous soulignez le risque que le service public s’accapare les communs. N’est-il pas paradoxal de s’appuyer sur deux études de cas qui sont déjà des services publics (Freinet et les lycées auto-gérés) ?
Nicole : Le chapitre de Thomas Perroud éclaire justement la situation française spécifique où le service public défini comme un service rendu par des fonctionnaires de la fonction publique s’oppose aux initiatives de participation et de contribution comme on le souhaiterait dans les communs. On aurait aussi pu connaître une situation similaire dans l’action sociale, mais, à la différence du monde de l’éducation, dans ce secteur de l’action sociale l’énorme majorité (90 % dans le secteur du handicap) était organisée sous forme associative. Ces associations se sont fédérées pour négocier avec les pouvoirs publics, en tentant de garder leur autonomie d’action (cf fin du chapitre 6).
Sans divulgâcher tout le contenu du livre, pourriez-vous nous expliquer en quelques mots les points communs et les différences entre l’ESS et les communs de proximité ?
Nicole : Nous le disons dans la conclusion notamment : l’ESS a été le lieu de la formation d’une série remarquable d’innovations institutionnelles visant à brider le pouvoir du capital (et à accroître le pouvoir des personnes concernées sur les services et solidarités qui leur sont nécessaires ainsi que le pouvoir des salarié·e·s sur leurs conditions de vie et de travail. Mais l’ESS est née avec l’industrialisation au 19ème siècle. Les communs se sont constitués dans l’histoire longue et se déploient désormais dans tout un autre âge, spécialement celui des limites écologiques atteintes et désormais franchies par cet industrialisme et l’extractivisme sur lequel il est bâti. L’ époque de l’Anthropocène oblige à un nouveau souci central, celui d’assumer le défi tout à la fois de l’accès à toutes et tous aux ressources essentielles à leur subsistance et de préserver l’intégrité des écosystèmes pour le présent mais aussi pour les générations futures. C’est ainsi que le commun comprend dans sa constitution même l’idée que lorsque les règles de « prélèvement » des ressources, conçues pour assurer la reproduction des communauté humaines, menacent la biodiversité ou l’écosystème, celles-ci doivent être modifiées pour assurer la préservation des écosystèmes menacés. Cette dernière idée n’est pas dans les gènes des formes institutionnelles de l’ESS. Dans la conclusion nous écrivons : « Ainsi et au total, il s’agit pour les communs d’une manière d’habiter le monde en rupture avec l’industrialisme et l’extractivisme qui en est le principe moteur. La question de l’écologie est au cœur des communs et en fonde le principe. Elle est ‘marginale’ ou sans objet pour l’ESS et ses entités qui peuvent décider – ou non – d’en faire un de ses objets. »
Vous dites qu’il reste quelques efforts à faire par les fablabs pour devenir de réels Communs. Il existe de nombreux fablab y compris dans les milieux ruraux, certains plus institutionnalisés que d’autres. Pour nos lecteurices agissant au sein de fablabs, qu’est-ce qui peut faire qu’un fablab devienne un commun, au niveau local / réseau des fablabs ?
Matei Gheorghiu : En deux mots, il faut de l’ouverture et de la structure.
Pour développer, il est capital que les fablabs et espaces du faire (lieux où se regroupent des « makers » ou « faiseurs » pour se réaliser et réaliser leurs projets et partager des solutions et des outils) au niveau local trouvent leur place dans l’écosystème de proximité (ce n’est pas uniquement, ou pas principalement de leur ressort, on sait bien que la plupart manque déjà de moyens pour subsister). Les fablabs doivent certes être ouverts (ce n’est pas toujours le cas) mais leurs différents partenaires doivent également engager de réelles ressources en contrepartie de ce qu’un outil tel que le fablab (équipé de machines mais surtout de compétences et « branché » sur un réseau mondial) peut leur apporter : une ressourcerie low-tech capable de développer des solutions techniques de manière frugale et dans un temps très court, une plateforme de formation et de partage, connectée aussi bien à des structures similaires qu’à d’autres de nature très différente (un fablab rural peut être en contact direct avec un fablab universitaire ou métropolitain, avec tout ce que ça implique de bénéfices croisés), une capacité d’action fulgurante en cas de crise, comme l’a démontré la mobilisation des makers lors du Covid-19, etc.
Les makers doivent donc soutenir le développement du fablab local et son articulation harmonieuse aux structures de l’environnement, et les responsables de ces structures (publiques et privées) doivent accepter de conférer aux fablabs une certaine autonomie et d’intégrer à leurs logiques de fonctionnement ce que leur nature (ouverture, fonctionnement en pair à pair et en réseau, primauté de l’expérimentation …) impose, et pas seulement les cantonner à un rôle de gadget de communication.
Les fablabs et leurs partenaires doivent aussi continuer leur travail de structuration en réseau, sans lequel ces caractéristiques avantageuses sont incertaines et précaires (elles ne reposent que sur une coïncidence et non sur une organisation qui veille à leur maintien et à son caractère équitable). Pour ce faire, la première obligation est de participer à la vie du réseau (passer une heure par semaine sur le forum, c’est augmenter les chances qu’un besoin ou une question soient pris en charge en mode pair à pair; participer à la vie démocratique du réseau, c’est s’assurer qu’il maintient son caractère de commun).
Le rôle du niveau Réseau et de ses animateurs est de soutenir le développement de la communauté, de favoriser le brassage des lieux et des personnes, d’accompagner l’enrichissement d’un capital informationnel commun, dans le respect des principes directeurs qui le constituent : inclusion (soin accordé à l’accueil d’autrui et à l’ensemble de ses « différences »), subsidiarité (préférence initiale pour l’action de proximité et remontée si besoin au niveau supérieur), articulation systématique à l’intérêt général (attention à prendre en considération l’ensemble avant la partie), internationalisme (ne pas préférer par exemple une solution 100% française quand il est plus évident et efficace de travailler avec le fablab de l’autre côté de la frontière, ou quand la solution vient, par la voie des ondes, de l’autre bout de la terre, mais aussi et surtout œuvrer en se rappelant que les fablabs et leur réseau sont d’abord et avant tout un outil de paix et de solidarité).
Quelles seraient les clés pour que les communs de proximité prennent de l’ampleur dans les prochaines années ?
Justine : Dans notre conclusion, nous proposons plusieurs pistes, qu’il est possible de consulter. Je retiens personnellement une chose : il est incontournable que les personnes se réapproprient la légitimé à s’organiser. Les personnes sont les premières expertes de leurs besoins et de leur territoire. Mais c’est très difficile de se sentir capable quand on assène que seules certaines entreprises, ou certaines institutions peuvent avoir la compétence de prendre les choses en charge, et à leur manière.
Un énorme merci aux différents auteurices pour le temps passé à répondre à nos questions !
20 anni di Framasoft… e uno in più grazie alle vostre donazioni ?
Grazie alle vostre donazioni, Framasoft aiuta più di 2 milioni di persone a diventare digitalmente indipendenti. Dopo un ventesimo anno difficile, la nostra associazione vi chiede i mezzi per continuare il suo lavoro… e per affrontare le sfide del futuro.
🎈 Framasoft compie 20 anni🎈 : contribuisci a finanziare il 21° anno!
Grazie alle vostre donazioni, l’associazione Framasoft lavora da 20 anni per far progredire un Web etico e conviviale. Per saperne di più su alcune delle nostre azioni nel 2024, visitate il sito web Support Framasoft.
Senza entrare nei dettagli o nell’autocommiserazione (perché questo è un momento di festa), quest’anno è stato doppiamente difficile per Framasoft.
Prima di tutto dal punto di vista umano, perché dei conflitti significativi (che possono verificarsi in qualsiasi associazione… e in qualsiasi avventura umana) hanno assorbito molte energie e indebolito il livello di motivazione.
Framasoft conclude quindi il 2024 con una stanchezza accumulata, un team più piccolo e un forte desiderio di focalizzarsi nel 2025 sulle nostre azioni al servizio di chi ha bisogno di strumenti digitali etici e popolari.
Ma anche dal punto di vista finanziario non c’è da rallegrarsi. Tra il fatto che abbiamo meno persone nell’associazione e un annata triste per tutti: l’inflazione, il fascismo alle porte del potere, un crescente bisogno di solidarietà…
Framasoft (come molti altri) ha visto le sue donazioni diminuire drasticamente. Il 1° ottobre 2024, Framasoft aveva ricevuto quasi 50.000 euro in meno di donazioni rispetto alla stessa data del 2023.
…Framasoft è orgogliosa dei risultati ottenuti nel 2024!
Da qui alla fine dell’anno, vi presenteremo in dettaglio su questo blog alcune delle azioni significative realizzate nel 2024. Naturalmente, Framasoft è molto di più di questa selezione (ad esempio, tutti i servizi Internet di Dégooglisons)… Ma dovete scegliere tra le 100 pagine dei resoconti delle nostre attività.
🦄 Framaspace, il cloud associativo, si arricchisce di importanti strumenti
Contabilità, gestione dei soci, moduli, gestione semplificata dei dati… tutte queste funzioni si aggiungono alle intro interattive, alla condivisione delle proprietà, alle agende, ai contatti, alla chat e alla sincronizzazione delle cartelle già disponibili in Framaspace.
Se desiderate che la vostra associazione o il vostro piccolo gruppo riceva un Framaspace e possa beneficiare di queste nuove funzionalità il prima possibile, non esitate: le iscrizioni sono ancora aperte!
• scoprire Framaspace
• Tutti i dettagli sul Framablog.
🤖 Framamia & [Project L]: demistificare l’IA attraverso la spiegazione (e l’esempio!)
Dal miracolo all’apocalisse, l’IA è oggetto di fantasie profetiche. Framasoft si è posta la sfida di precisare il dibattito e di ritornare alla concretezza condividendo alcune chiavi di lettura.
Con il sito web di Framamia, vogliamo spiegare chiaramente come vediamo oggi questa nuova sfida digitale…
Per quanto riguarda il [Progetto L], sarà un esperimento, una dimostrazione del tipo di strumenti che possono essere creati quando l’IA viene utilizzata senza cercare il profitto, la crescita o lo sfruttamento… ma solo per essere fondamentalmente utile.
📱 L’app PeerTube: un mondo di video nel palmo della mano
PeerTube non è una piattaforma di video e di live: è una rete di piattaforme autonome, autogestite e interconnesse.
Tuttavia, rimane difficile scoprire i contenuti su questa rete, soprattutto perché la maggior parte dei video online viene ormai guardata da un telefono cellulare.
Abbiamo quindi sviluppato un’applicazione mobile PeerTube, che sarà disponibile su F-Droid, PlayStore e iOS appstore (se tutto va bene).
• Tutti i dettagli sono in arrivo sul Framablog.
🐙 PeerTube versione 7: una riprogettazione per un’esperienza ancora più fluida
È stato un anno ricco di nuove funzionalità per il software che consente di creare la propria piattaforma di video e di live: esportazione e importazione di account, moderazione dei commenti, trascrizione automatica dei video, separazione dei flussi audio e video, navigazione nei sottotitoli, ecc.
🦆 Cancanons: bilancio delle azioni per rendere internet più collettivo e facile da usare
Annunciata alla fine del 2022, la roadmap di Collectivisons Internet / Convivialisons Internet (o « coin-coin », per i più veloci) può essere riassunta in un’unica ambizione: degooglizzare le associazioni.
Con ECHO network che si sta concludendo (brillantemente), Emancip’Asso che è stata lanciata e sta facendo buoni progressi, Framaspace che si sta evolvendo… sembra un buon momento per fare il punto su queste iniziative e sul futuro che abbiamo in serbo per loro.
Per noi, il 2024 è anche il 20° anno dell’associazione Framasoft, la cui fondazione è stata ufficializzata con la pubblicazione sul Journal Officiel del 03 gennaio 2004.
Annuncio della fondazione dell’associazione Framasoft nel Journal Officiel del 3 gennaio 2004.
… nel podcast di Projets Libres!
Non abbiamo intenzione di raccontare 20 anni di avventure associative in un post sul blog (non sappiamo se un solo libro sarebbe sufficiente!) Così abbiamo chiesto a Walid, autore del podcast Projets Libres! di aiutare alcuni membri storici a condividere alcuni ricordi di questi due decenni.
Inoltre, i membri volontari dell’associazione hanno messo a punto un sito web che illustra 20 anni di azioni e progetti sul software libero, sui beni culturali comuni e sull’educazione popolare alle tematiche digitali.
La storia di Framasoft dimostra che con tanti contributi, talento, duro lavoro, fortuna (anche) e determinazione… una piccola associazione con meno di 40 membri può offrire servizi e strumenti che migliorano la vita digitale di oltre due milioni di persone ogni mese.
Questa storia potrebbe essere un’anomalia statistica (anche se… vorremmo cogliere l’occasione per augurare alle amiche e agli amici di CLISS XXI, Thunderbird e Wikimedia France un buon 20° compleanno)! Eh sì: Framasoft ha un modello certamente difficile da riprodurre… ma è soprattutto un grande motivo di orgoglio per noi e una grande responsabilità, resa possibile dal sostegno di chi, ogni anno, ha donato a Framasoft.
Due possibili futuri, che dipendono interamente da voi
Le donazioni a Framasoft sono una dimostrazione di solidarietà: nel 2023, stimiamo di aver avuto circa 8.000 donatori per 2 milioni di beneficiari mensili.
Una persona che fa una donazione a Framasoft permette ad altre 249 persone di beneficiare gratuitamente dei nostri strumenti.
Essendo Framasoft un’associazione di interesse generale, le donazioni danno diritto ai contribuenti francesi a una detrazione fiscale del 66%. Una donazione di 200 euro quest’anno sarà di 67 euro, al netto della detrazione.
Sì, questo è il periodo dell’anno in cui facciamo appello al vostro sostegno per continuare e finanziare le azioni di Framasoft. E dopo un ventesimo anno difficile, la nostra associazione ha ancora più bisogno di voi, sia per per ripartire che per prendere il volo.
Con 200.000 euro, Framasoft prosegue nel suo 21° anno di attività
È la somma di cui abbiamo bisogno per completare il bilancio 2025 e continuare i nostri progetti con il team ridotto. Questo ci permetterà, ad esempio, di assicurare finalmente il posto di lavoro a Wicklow (che, tra le altre cose, sviluppa l’applicazione PeerTube), il cui contratto a tempo determinato è stato prorogato alla fine di agosto.
Tuttavia, non illudiamoci: se da un lato questa somma (già molto cospicua) consentirà a Framasoft di uscire dall’impasse, dall’altro avremo solo i mezzi per mantenere le nostre azioni attuali, i servizi online, ecc. senza poter davvero affrontare nuovi progetti.
Con 400.000 euro, Framasoft prende il volo per innovare!
Ecco perché quest’anno abbiamo aggiunto un secondo livello, un bonus nella nostra raccolta fondi. Qualsiasi cifra che superi i 200.000 euro ci darà i mezzi per fare di più, per fare meglio e per affrontare nuovi progetti.
Naturalmente abbiamo già una serie di progetti per migliorare drasticamente i servizi che oggi utilizziamo di più. Ma questo richiede tempo, talento… in breve: denaro.
Vogliamo anche dimostrare che una tecnologia digitale emancipatrice, compresa e controllata… è un tema attuale e importante di fronte alle urgenze climatiche e sociali.
Che si parli di usi mobili, di AI, di Commons, di strumenti resilienti (bassa tecnologia, riuso, ecc.), del posto della tecnologia digitale nell’attuale emergenza climatica… abbiamo grandi ambizioni nell’iniziare questo nuovo decennio della vita di Framasoft. Ci mancano solo i mezzi per realizzarle!
La sfida: 20.000 volte 20 euro di donazioni per il 20° anniversario di Framasoft!
Certo, lo slogan « 20 euro (20 balles/palloni) per 20 anni di Frama » suonava bene… ma se i più generosi tra voi limitassero le loro donazioni a 20 euro, dovremmo trovare 20.000 donatori! (contro i poco più di 8.000 del 2023).
Non vogliamo dirvi quanto contribuire, ma solo che (se siete disposti e in grado di farlo), il vostro sostegno sarà più che benvenuto. Ogni 20 euro donati saranno un nuovo palloncino per celebrare 20 anni di avventure e aiutarci a prendere il volo.
Il vostro sostegno e il vostro incoraggiamento saranno altrettanto preziosi per noi: insieme, abbiamo 42 giorni per convincere i nostri amici e raccogliere abbastanza denaro per far decollare Framasoft.
À l’occasion de la parution de L’amour en commun, essai de la collection Des Livres en Communs (Framasoft), nous avons questionné les auteurices. Leur cheminement peut se mesurer à l’aune du premier point d’étape que nous avions publié en avril 2023. Un impressionnant travail d’écriture et de questionnement !
Margaux, Timothé, vous venez d’écrire un livre à quatre mains dans la collection Des Livres en Commun. C’est le premier ouvrage de la collection subventionné sur notre modèle de mise en commun de la connaissance et pour lequel vous aviez proposé un projet très motivant. Après presque deux ans d’efforts voici un travail remarquable et stimulant sur l’amour et comment le fait de penser nos relations sociales à travers cette notion permet aussi de proposer une alternative au capitalisme et ses imaginaires. C’est une grosse dissert’ de philo ou c’est autre chose ?
Margaux — À vrai dire, j’ai du mal à définir ce que recouvre cet essai. C’est peut-être un OVNI, un ouvrage non-identifié, un projet tentaculaire qui partait d’un questionnement sur les limites des modèles relationnels dans lesquels nous évoluions et qui est allé vers quelque chose de plus grand.
En fait, une fois que nous avions posé le constat que les modèles classiques de la famille et de l’amour étaient à réinventer, ce qui nous semblait évident, c’est comme si tout l’ouvrage restait encore à écrire. Qu’est-ce qui fait que le changement individuel ne marche pas ? Quelles structures sociales nous empêchent de nous aimer mieux ? Comment faire autrement ? Dans les expérimentations qui ont tenté de sortir du capitalisme, qu’est-ce qui peut nous inspirer et qu’est-ce qui a été mythifié et nous aveugle au contraire ? Nous avons avancé dans le projet au fil de nos lectures, en changeant de direction, d’avis, de plan d’ouvrage. Donc je dirais que c’est un livre de cheminement de pensée, qui recouvre deux ans de formation politique à grand coup de fiches de lectures, de rencontres et de discussions. Nous n’avons rien inventé, nous avons collecté, mis en lien, synthétisé ce que nous amassions. Avec la spécificité de faire tout ça à quatre mains, donc en se donnant une confiance et une liberté totale, y compris celle de ne pas être forcément d’accord au mot près avec ce qu’écrivait l’autre.
En bref, c’est un livre qui a suscité plus de questions que de réponses. Il en reste encore plein !
Timothé — Une « Grosse disser’t » de philo, c’est à la fois un peu dur et un peu gentil. Personnellement je ne pense pas savoir écrire une disser’t, alors je doute d’en avoir écrit une à l’insu de mon plein gré. En plus notre sommaire n’est, je pense, pas adapté à une dissert, il part dans trop de directions. Cet essai est plutôt entre un panier en osier et un topo d’escalade. Dans le panier, les idées s’accrochent et se mêlent pour donner un ensemble solide qui peut servir à accueillir de nouvelles choses. Avec un topo d’escalade, les parties peuvent être prises individuellement pour partir affronter la face d’une montagne, mais collectivement ces parties décrivent l’ensemble de la montagne. En plus, comme ledit Margaux c’est tout à fait un cheminement, et qui continue souvent à cheminer dans ma tête, avec de nouvelles idées qui surgissent… Mais bon, aujourd’hui nous avons décidé de ne plus rien rajouter pour pouvoir sortir le livre. Nous avons fait notre part et maintenant c’est aux lecteurices de prendre la suite si iels ont en envie. C’est un livre libre, alors servez-vous-en et enrichissez-le si le cœur vous en dit.
De l’amour courtois médiéval aux princes et les princesses des contes, de Marivaux à Titanic, les représentations de l’amour sont surtout des émergences du romantisme et du couple sempiternellement revisité, et caricaturé. Pourtant face à la diversité des sentiments, on nous ressert bien souvent la même soupe. Qu’est-ce que vous entendez par une idéologie de la domination ? et vous répondez quoi ?
Margaux — Pour répondre à cette question, il faut définir rapidement ce que j’entends quand je parle d’amour romantique dans cet essai. C’est un ensemble de normes, véhiculé par la culture occidentale et façonnant des imaginaires largement partagés sur ce que l’amour (le vrai) devrait être.
D’une manière un peu ringarde en effet, c’est le·a princesse charmant·e, c’est l’idée d’un·e âme sœur complémentaire, d’un·e partenaire qui nous est prédestiné·e, avec lequel nous pourrions fusionner dans une histoire d’amour sans fin. Mais c’est plus complexe que ça. Si nous sommes à peu près tous·tes d’accord pour rejeter cette représentation, l’amour romantique n’a pas disparu pour autant de nos manières d’entrer en relation. Le problème, c’est que l’amour romantique est une construction sociale indissociablement liée à celle du couple hétérosexuel :c’est sa forme légitime. Or le couple hétérosexuel, dans le mythe de la complémentarité entre ses partenaires, vient lui-même renforcer l’idée que le sexe se confond avec l’identité de genre et un désir pour le sexe opposé.
Autrement dit, les discours qui me préexistent, dont ceux sur l’amour romantique, m’amènent à penser que si j’ai une vulve, je suis une femme et je suis attirée par les hommes, et que si je souhaite avoir accès au couple et à la famille, il va falloir m’en contenter. L’idéologie de la domination, j’y viens, c’est donc le fait que sous le voile de l’amour romantique, on en vient à justifier des violences patriarcales, des inégalités et l’exclusion de toutes les personnes qui ne se retrouvent pas dans les schémas hétérosexuels, monogames et genrés.
Ce que je réponds à l’idéologie de la domination… c’est qu’on n’est pas sorti·es de l’auberge ! Je pense que sortir du patriarcat (ce qui me semble essentiel à des relations amoureuses saines), c’est sortir du binarisme de genre. Ensuite, il faut penser la question du pouvoir. Je trouve que l’amour romantique vient souvent hanter nos tentatives de réinvention du sentiment amoureux. Par exemple, que la non-exclusivité est une passade jusqu’à ce qu’une relation monogame se stabilise et évince les autres. Ou au contraire, que la coexistence de plusieurs relations, au nom de la réinvention du modèle amoureux, va légitimer une mise en compétition des partenaires et un fort individualisme affectif. La solution la plus convaincante que j’ai trouvée pour le moment, ce sont les réseaux affectifs de Brigitte Vasallo, et de se décentrer du rapport amoureux pour valoriser l’amitié. Mais là, il va falloir lire le livre parce que je suis en train de le divulgâcher 🙂
Timothé — C’est Margaux qui a travaillé sur cette partie, alors je n’ai pas grande chose à ajouter.
Les pirates Ann Bonny et Mary Read (1724, B. Cole). Wikimedia. Domaine public.
Depuis les années 1980, il y a une sociologie de la famille, une géographie de la famille, on s’intéresse au mariage, aux transmissions culturelles, l’apport structurel de la parenté dans la société, la parentalité, la sexualité, etc… mais cette notion dans l’histoire des sciences est assez instable et ne recouvre pas toujours les mêmes choses. Vous parlez d’un imaginaire de la famille, qui serait même « de droite », et vous pensez l’alternative de la parentèle : les pratiques sont-elles en train de changer ?
Timothé — J’espère !!!
Une statistique importante c’est qu’aujourd’hui presque la moitié des enfants vivent dans des familles recomposées. C’est une énorme modification. Après, de là à dire qu’elle est de droite ou de gauche…
Dans sa partie sur les « couples » Margaux rapporte des interviews qu’elle a faites, ce qui appuie de façon directe son propos. De mon côté j’en ai fait 3. Une dans un habitat collectif dont les membres retapent collectivement un corps de ferme pour qu’à la fin chacun.e y ait son logement. Une d’un couple qui a une petite fille et qui vit avec un ou deux colocs suivant les moments. Et enfin une de deux ami.es qui, dans la mesure du possible, essayent de prioriser leur relation sur le travail. C’était mes premières interviews, et je n’ai pas réussi à en faire sortir des citations que je pouvais facilement incorporer au texte. Donc je ne l’ai pas fait. C’est 3 groupes qui sont déjà une marque de changement et créent des pratiques qui, si elles existaient avant, étaient inconnues. Le fait que ces pratiques soient mises en lumière, notamment par notre travail, ne peut que participer au changement. Néanmoins, même ce genre de différence par rapport à la norme est difficile aujourd’hui, car il n’existe pas de structure juridique qui les rend facilement accessibles.
Il y a des volontés de faire différemment, mais si elles ne sont pas accompagnées par la législation, il faudra plus de temps pour qu’elles prennent en amplitude. L’absence de cadre légal n’est pas un frein suffisant pour empêcher les humain·es de faire famille comme iels l’entendent. Alors, au bout d’un moment, il faudra bien reconnaitre que ces nouvelles familles existent et faire avec.
Cob House. Maison en torchis, Zad de NDDL. Hambinfo. 2016. Wikimedia. CC-By-Sa.
Le système capitaliste nous impose ses modèles et ses imaginaires. Selon vous, en quoi les expériences concrètes de résistances collectives, de préfiguration, en particulier les ZAD et plus généralement des projets de vie en commun, permettent de penser différemment notre rapport à l’amour ?
Margaux — Pour expliquer comment nous sommes arrivé·es à nous intéresser à la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes et à la piraterie, je vais retracer rapidement notre chemin de pensée. Notre hypothèse de base était que réinventer l’amour par le biais de nos relations individuelles en changeant simplement de contrat (non-exclusivité, polyamour, etc.) ne fonctionne pas, parce qu’il faut s’attaquer aux structures sociales qui le définissent, donc in fine au capitalisme et au patriarcat.
À partir de là, nous avons cherché du côté des expériences et des luttes qui tentaient de construire des « contre-mondes », c’est à dire des bulles de résistance au capitalisme et qui, par leur existence, affaiblissent le système social et tentent de préfigurer une vie en dehors de lui. Nous supposions que, dans ces espaces, penser un rapport à l’autre différent serait envisageable.
MAIS, et c’est un grand mais, la réalité de ces luttes est plus ambigüe. Pour la piraterie comme pour la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, j’ai été marquée par l’importance du mythe, qui est constamment utilisé pour les raconter. Pour les pirates par exemple, il existe une multitude d’interprétations contradictoires de ce phénomène social. Si j’ai choisi la piraterie comme agent révolutionnaire, qui a permis pendant un temps éphémère de mettre en cause le développement du commerce maritime international, je sais que cela n’embrasse pas tout ce que cela a pu être. Sur la question précise du rapport à l’autre, la mythification des pirates empêche par exemple de penser la place des femmes au sein de ces contre-mondes, où d’interroger le rôle des pirates dans le commerce triangulaire qui a participé à la colonisation.
Pour la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, qui est devenue une référence de militantisme quasi-universelle (qu’elle soit plébiscitée ou décriée), c’est pareil. C’est un très bon exemple des dangers de la mythification d’une lutte sociale. Parce que quand on parle de la ZAD, on parle de quoi ? De la victoire contre l’aéroport ? De l’opération César ? Du collectif qui est resté habiter sur les terres en négociant avec l’État ? De la volonté de créer un nouveau rapport au vivant ? De ce que j’ai lu, il me semble que l’histoire de la ZAD est multiple, complexe, pas toujours reluisante, mais surtout que le récit de ce qu’a été une lutte est souvent écrit par les vainqueurs, aux dépens de celleux qui ont participé à une lutte et en ont été évincé·es. Donc de là à en faire une terre magique où l’on pourrait tous.tes s’aimer quel que soit notre genre, notre classe sociale ou notre couleur de peau… pour moi on en est loin.
Et cela rejoint peut-être une idée importante à mon sens :si sortir du capitalisme est indispensable pour mieux s’aimer, la lutte des classes seule n’entraînera pas la fin du patriarcat. Il nous faut lutter pour nos conditions matérielles d’existence pour survivre, tout en pensant nos relations en dehors du prisme hétérosexuel, hiérarchique et inégalitaire.
Timothé — C’est dur d’essayer de s’astreindre à l’objectivité. Il serait tellement plus simple de créer des mythes et de les encenser plutôt que de les écorner. D’une certaine façon cela nous rendrait plus forts, nous aurions un modèle, des plans et nous saurions où aller. Si nous proposons des imaginaires et des moyens alternatifs au capitalisme, nous reconnaissons aussi qu’aucun n’est parfait et adaptable partout. Finalement… tout ça pour rien ? Non pas vraiment, car retrouver de la diversité dans les modes de vie c’est nécessaire. Nous n’allons pas revenir à ceux du passé, car le monde à changé (physiquement) et tous ont présentés de gros red flags. Margaux parle des pirates et de la Zad. Moi, dans la partie sur les liens aux vivants, je parle d’une relation à la terre, à l’espace et aux non humains qui le peuplent en montrant que nous devrions retrouver un lien que nous avons perdu. Ce lien il a disparu, c’est comme ça, il ne faut pas vouloir le recréer à l’identique, car beaucoup des sociétés qui l’ont fait perdurer étaient bien plus patriarcales et nationalistes qu’aujourd’hui. Il faut le retisser avec les connaissances et l’état du monde actuel.
Pour ce qui est de la préfiguration, Il y a une interview qui m’avait mis des étoiles dans les yeux. Celle d’Alessandro Pignocchi, auteur avec Philippe Descola de Ethnographies des mondes à venir. Il dit qu’un modèle serait de créer partout des Zad vivantes en réseau. Sur le moment j’avais adoré l’idée, mais d’une part, il met sous le tapis les difficultés de Notre Dame des Landes et, d’autre part, il oublie que les Zads, si elles savent fabriquer des cabanes, ne savent pas fabriquer les outils pour fabriquer les cabanes (c’est une remarque de Frédéric Lordon). Tout cela pour dire que l’on ne lutte pas contre un système qui a tout uniformisé (le capitalisme) avec une autre façon d’uniformiser. C’est une des conclusions de nos réflexions :il n’y a pas de contre-modèle parfait, en revanche il y a plein de contre-modèles chouettes où piocher.
The Ladies’ home journal (1948). Wyeth, N. C.. Wikimedia.
Pour de nombreuses représentations, la famille est d’abord perçue comme un cadre social dédié aux soins, notamment pour les enfants, et à la transmission des valeurs, ce qui structure les relations de couple dans un référentiel figé voire traditionnel. La société de consommation a modifié ces dynamiques. Pour beaucoup qui ont du mal à l’accepter, il s’agit de revenir à une vision réactionnaire de la famille ou du couple. Or, à y regarder de plus près, la société de consommation n’a-t-elle pas plutôt amplifié des tendances comme le patriarcat, l’exclusivité, la hiérarchisation des émotions ?… En somme, justement des tendances réactionnaires.
Margaux — De mon côté, je me suis intéressée à l’irruption des notions de marché et d’économie dans la sphère amoureuse, notamment à travers l’ouvrage Pourquoi l’amour fait mal d’Eva Illouz. L’autrice soutient que dans une société de consommation néolibérale, le désir comme moteur de choix et l’utilitarisme comme modèle de décision traversent nos relations. C’est ce qu’elle appelle l’individualisme affectif, c’est-à-dire l’injonction à l’autonomie du sujet dans son épanouissement, qui grâce à sa rationalité est capable de faire les meilleurs choix sur le marché amoureux. Dès lors, l’individu ne tend plus à faire un choix satisfaisant, mais le meilleur pour ellui. Cela explique selon elle la difficulté plus grande à s’engager, comment être sûr.e que cette personne soit « la bonne » pour moi, alors qu’il reste encore d’autres partenaires désirables potentiels sur le marché ? Parallèlement, elle observe les effets de l’émancipation de la sexualité de la sphère de l’amour et du mariage. Cela a créé, à côté du marché des relations à long-terme, un marché de la sexualité sérielle où le capital social des individus augmente avec leurs expériences et le nombre de partenaires rencontré·es. Paradoxalement, avoir un capital sexuel élevé favorise également les individus dans le marché des relations à long-terme.
Or ce contrat est asymétrique :là où les hommes jouissent d’un plus grand accès au marché sexuel et amoureux, les femmes, plus contraintes par la temporalité biologique de leurs corps, si elles ont envie d’avoir un enfant, vont souvent voir cohabiter des stratégies de sexualité sérielle (comme attribut du pouvoir) et monogames (comme accès à la reproduction). Cela nourrit la domination affective des hommes sur les femmes, et une organisation de l’amour où la femme prend en charge le travail émotionnel pour permettre l’indépendance masculine, là où l’homme performe la masculinité par le détachement et un rejet de l’engagement.
C’est un résumé à grands traits, mais cela montre bien en effet comment la société de consommation et les effets du marché peuvent renforcer le patriarcat et les inégalités de genre au nom de l’amour.
Timothé — En effet la société de consommation s’entend très bien avec le patriarcat, tout comme elle pourrait probablement faire aussi sans. D’après mes recherches, elle a surtout dynamité des solidarités à l’échelle de petites communautés qui se sont dispatché pour chercher du travail et aussi parce qu’il y avait dedans un fort contrôle social. C’est bien que le contrôle social ai diminué, mais il est dommage d’avoir perdu les solidarités. Comme je l’ai dit précédemment, il ne faut pas vouloir revenir à quelque chose de passéiste, mais se rappeler que certains de ses bons aspects sont encore possibles.
Confrontation courte de deux concepts :hétérosexualité et capitalisme. C’est quoi le problème ?
Margaux — Bon, là il faudrait écrire une thèse, mais je vais essayer de résumer ce que j’ai compris de Frederico Zappino, qui a été une lecture très importante pour cet essai. Pour lui, l’hétérosexualité en tant que système de production du genre binaire (homme, femme) est un sous-bassement du capitalisme, qui se nourrit des inégalités patriarcales pour exister.
Frederico Zappino se base notamment sur la Pensée Straight de Monique Wittig, dans lequel elle avance que les catégories de sexe, féminin ou masculin, ainsi que la répartition des rôles et des valeurs qui leur sont assignés, sont produites par le système hétérosexuel pour justifier une relation inégale. C’est l’inégalité qui préexiste, pas la différence entre les sexes ou le genre binaire, qui sont construits après pour justifier la domination masculine. Le problème, c’est que l’hétérosexualité est obligatoire. C’est à dire que l’on se pense et on se construit à partir d’elle, à partir du genre binaire, à partir de notre appartenance ou pas à la norme hégémonique hétérosexuelle et cisgenre. Le capitalisme, lui, est un système économique, politique, idéologique basé sur l’exploitation des travailleur·euses par les détenteur·ices des moyens de production, pour générer une plus-value, réinvestie dans ce capital. Or le capitalisme se nourrit de l’inégalité hétérosexuelle fondamentale :l’économie productive ne pourrait exister sans une économie reproductive, du soin, sans la reproduction concrète opérée par la famille hétérosexuelle où les parents produisent une force de travail future. Si on va plus loin, les minorités de sexe et de genre (les femmes et les personnes trans) sont en première ligne quand nos conditions matérielles de survie se dégradent :potentielle dépendance à un·e conjoint·e ou enfants à charge, difficulté d’accès au marché du travail pour les personnes qui ne se conforment pas à la binarité de genre, plus grand risque d’isolement social…
Lutter contre le binarisme de genre, pour la subversion de l’hétérosexualité, c’est saper un des soubassements du capitalisme, ça fait donc partie de la lutte des classes ! Or la lutte pour les conditions matérielles d’existence et le féminisme sont trop peu pensés de concert aujourd’hui.
Pour conclure : l’avenir en commun pour vous, c’est quoi ?
Margaux — Une dystopie, mais une dystopie queer et féministe.
Timothé — Beaucoup d’inconnues, la sensation ambiante qu’il y aura des évènements important mais l’espoir que nous nous nous surprenions pour arriver quelque part de chouette.
Marche des fiertés, Rennes, 2017. Missbutterflies. Wikimedia. CC-By-Sa.
Parution : L’amour en commun
C’est avec grand plaisir que nous annonçons la parution du premier ouvrage de la collection Des Livres en Communs !
Premiers lauréats de l’appel à projet Des Livres en Communs (Framasoft) en 2022, accompagnés par l’équipe éditoriale, Margaux Lallemant et Timothé Bodo ont travaillé durant deux ans à l’élaboration d’un essai original et fouillé dont la lecture est très stimulante ! En attendant une interview des deux auteurs, prochainement disponible sur ce blog, voici la présentation de l’ouvrage, sous licence Creative Commons CC-By-Sa.
L’amour en commun (couverture)
Comment libérer l’amour des carcans du couple et de la famille pour en faire un projet collectif ? Cet essai explore les effets du patriarcat et du capitalisme sur nos relations et montre que réinventer l’amour ne peut se faire isolément.
À travers une analyse de dynamiques interpersonnelles — amour romantique, amitié — en relation avec les structures sociales qui les façonnent — genre, soin, travail, rapport au vivant — les auteur-ices interrogent les oppressions qui traversent l’amour au sens large.
À la recherche de « contre-mondes » où l’affaiblissement du système capitaliste semble possible, iels s’intéressent à la piraterie et la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, dans leurs mythes et leurs écueils.
Une invitation à envisager l’amour sous un jour nouveau, comme un espace d’émancipation et de création collective.
Margaux Lallemant et Timothé Bodo, L’Amour en commun, Préface signée Yann Kervran (co-éditeur pour DLeC), Des Livres en Communs, oct. 2024.
Des Livres en Communs est un projet Framasoft. C’est un modèle alternatif radical (et anticapitaliste) à l’édition, basé sur l’expérience acquise avec dix ans de Framabook. Des Livres en Communs ne propose pas qu’un modèle alternatif d’édition théorique, c’est très concrètement que nous agissons pour créer des communs culturels pertinents et de qualité :
d’abord en accompagnant les auteur·ices tout au long du processus de création, car nous n’attendons pas que l’œuvre nous arrive toute cuite pour commencer notre travail éditorial ;
en mobilisant des fonds : dès le début du processus de création, les auteur·ices sont rémunérés pour leur travail, et non pas en attendant d’hypothético-faméliques émoluments basé sur un nombre de ventes (nous considérons qu’une œuvre versée dans les communs culturels n’est pas un capital rentier).
Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site DLeC.