Prix Nobel de la paix : libre détournement du discours d’Obama

ChrisAC - CC by-saNul ne l’ignore, Barack Obama a reçu récemment le prix Nobel de la paix 2009, déclenchant au passage une petite polémique quant à la légitimité d’un choix représentant alors bien plus un encouragement à poursuivre une action qu’une récompense couronnant l’ensemble d’une longue et fructueuse carrière.

Certains, parmi les plus critiques, sont même allés jusqu’à affirmer que Barack Obama méritait bien plus le « prix Nobel des discours » que celui de la paix ! Loin de moi l’idée de participer au débat, mais force est de reconnaitre qu’effectivement côté discours, Barack Obama est souvent au dessus de la mêlée. Je garde ainsi encore en mémoire l’exceptionnel discours de Philadelphie (vidéo 1 et 2) sur la question raciale le 18 mars 2008, lorsqu’en pleine campagne il était contesté par la découverte des propos radicaux de son ancien pasteur Jeremiah Wright.

Le discours de remerciement du président américain apprenant qu’on lui avait fait l’honneur du prix Nobel de la paix n’a pas fait exception : sobre, humble et rassembleur.

Soit, mais où veut-il en venir à nous parler d’Obama sur un blog censé nous parler de logiciel libre ?

Point d’impatience, nous y voilà. Il se trouve que le célèbre informaticien Jon « maddog » Hall[1] s’est amusé, ci-dessous, à transposer ce dernier discours au logiciel libre. Et vous constaterez peut-être avec moi que loin d’être anachronique, cette émouvante substitution est porteuse de sens…

Je n’ai jamais gagné le Prix Nobel de la Paix

I never won a Nobel Peace Prize

Jon maddog Hall – 11 octobre 2009 – Linux-Magazine.com
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler)

C’est à mon réveil, le 9 octobre que j’ai appris que le président Obama avait gagné le Prix Nobel de la Paix.

Les discussions allaient bon train quant au « mérite » du président Obama, on argumentait beaucoup sur le fait que le Prix Nobel de la Paix n’est pas nécessairement décerné comme une récompense pour un accomplissement passé, mais plutôt comme un encouragement à poursuivre les efforts déjà entrepris.

En lisant son discours de remerciement, j’ai joué à un petit jeu en le transposant à mon sujet de prédilection : les logiciels libres et open source.

« Soyons clair, ce prix n’est pas pour moi la reconnaissance de mes mérites propres. »

Beaucoup de personnes m’ont déjà dit « merci pour tout ce que vous faites pour le logiciel libre ». Je leur réponds que je suis juste la bonne personne au bon endroit, au bon moment. J’ai simplement fait fait ce que je pensais qu’il fallait faire, ce pour quoi j’avais les compétences.

Et s’ils veulent voir la personne la plus importante du monde des logiciels libres, je leur dis qu’ils n’ont qu’à regarder dans le miroir… le logiciel libre a besoin de tout le monde… chacun peut apporter sa contribution.

« Des hommes et des femmes qui m’ont inspirés, moi comme le reste du monde. »

Moi aussi j’ai été inspiré par certains des meilleurs ingénieurs informatiques de tous les temps, j’ai même eu la chance de pouvoir rencontrer et discuter avec la plupart d’entre eux. Le contre-amiral Grace Murray Hopper, Maurice Wilkes, Douglas McIlroy, Ken Thompson, Dennis Ritchie… et la liste ne s’arrête pas là.

Ce sont, eux aussi, des héros contemporains… tout comme chaque programmeur sacrifiant sa nuit pour corriger ce vilain bogue dans un logiciel libre. Celui qui traduit la documentation pour permettre à d’autres d’utiliser le programme est un héros. Tout comme celui qui organise une démonstration pour faire découvrir les logiciels libres aux autres et qu’ils puissent eux aussi les partager. Ce sont tous des « héros » pour moi.

« Ce prix reflète le monde que ces hommes et ces femmes, ainsi que tous les américains, veulent bâtir. »

Un monde de collaboration, où les gens bâtissent, en s’appuyant sur les travaux de leurs prédécesseurs… où ils ne « réinventent pas la roue » et où ils ne perdent pas leur temps à contourner les brevets logiciels. La Liberté d’étudier le fonctionnement des programmes et d’essayer de les améliorer.

« Il a aussi servi à donner une nouvelle dynamique à des causes déjà existantes. »

Le président Obama énumère alors une liste de causes, que nous connaissons tous, mais certaines d’entre-elles sont pour moi plus marquantes :

  • accepter nos responsabilités et modifier notre manière de consommer l’énergie
  • le droit à l’éducation et à une vie honorable
  • la crise économique mondiale

Je pense que les logiciels libres peuvent jouer un rôle dans ces domaines et je vais m’employer à les traiter grâce aux logiciels libres.

« Je sais que nous pouvons vaincre ces difficultés, du moment que nous reconnaissons qu’elles ne pourront être vaincues par une seule personne ou par un seul pays. Cette récompense ne couronne pas simplement les efforts de mon administration, elle couronne les efforts courageux de gens partout dans le monde. C’est pourquoi cette récompense revient également à chaque personne œuvrant pour la justice et la dignité. »

Nous ne pourrons affronter les difficultés actuelles sans l’effort de toute la communauté du logiciel libre. Nous ne pouvons évidemment pas régler les problèmes du monde tous seuls, mais le principe de collaboration régissant le logiciel libre se diffuse et sera l’une des clés de ces problèmes.

Peut-être un jour y aura-t-il un « Prix Logiciel Libre de la Paix ».

Carpe Diem !

Notes

[1] Crédit photo : ChrisAC (Creative Commons By-Sa)




WikiReader, un futur cas d’école ?

WikiReaderL’élève : Monsieur, je peux utiliser mon WikiReader en cours ?

Le professeur : Ton quoi ? Qu’est-ce que c’est que ce nouveau gadget encore !

L’élève : C’est génial, c’est tout Wikipédia dans un petit lecteur à écran tactile ! Même pas besoin d’être connecté à Internet, l’intégralité est enregistré dans un carte mémoire à mettre à jour quand on le souhaite. Pas besoin de fil non plus avec ses piles qui tiennent un an.

Le professeur : Vraiment ! Et comment ça marche concrètement ton truc ?

L’élève : C’est super simple d’utilisation. Il n’y a que trois boutons. J’ai une question sur un sujet donné, je clique sur « Rechercher » et il m’affiche sur l’écran l’article correspondant de l’encyclopédie libre. Enfin si l’article existe évidemment, mais je crois qu’il y a presque un million de pages dans la version francophone désormais. Après je fais défiler l’article avec mes doigts comme sur un iPhone, c’est trop classe ! Et le programme qui fait tourner la machine, c’est du logiciel libre et ça c’est encore plus classe !

Le professeur : Certes… Et les deux autres boutons ?

L’élève : Il garde trace de toutes mes anciennes recherches dans « Historique ». Et en cliquant sur « Au hasard », je peux découvrir de nouvelles choses, puisqu’on me propose alors un article aléatoire de l’encyclopédie.

Le professeur : Hum, et pourquoi veux-tu t’en servir en cours ?

WikiReaderL’élève : Ben, parce que des fois vous éveillez ma curiosité qui me donne tout de suite envie d’en savoir plus, ou bien alors j’ai besoin de retrouver un truc ponctuel et précis (une date, une définition, une formule scientifique, etc.). Vous savez comme moi que le retenir par coeur, c’est pas mon fort ! J’ai une phénoménale capacité d’oubli, que vous avez encore dit à mes parents la semaine dernière ! Bien sûr, je peux sagement lever le doigt et vous le demander directement, mais si c’est une chose que je devrais savoir et que j’ai oubliée, je vais pas oser vous déranger pour ça. Je peux aussi demander à mon voisin, mais il ne sais pas forcément, et puis ça peut perturber le cours…

Le professeur : Oui, enfin, la perturbation elle peut venir aussi directement de ton machin. Cela peut te déconcentrer, d’ailleurs rien ne me permet de savoir que tu es bien en train de faire une recherche dans le contexte de la leçon, surtout avec cette tentation du « Au hasard ». Et puis ça peut faire des jaloux si tu es le seul à en posséder et à l’utiliser en classe.

L’élève : Oui c’est vrai. Mais ça coûte vraiment pas cher. Enfin, tout est relatif je suis d’accord… Et pourquoi l’école n’en offrirait pas à ceux qui n’en ont pas les moyens ? Il suffit d’en acheter un une fois et ça sert pour toute la scolarité. En plus si on n’a pas de connexion à la maison c’est pas un problème, il suffira d’aller au centre de documentation pour actualiser notre carte.

Le professeur : D’accord, d’accord… Mais il reste la question de Wikipédia en tant que telle. Tu sais ce que je pense de l’encyclopédie…

L’élève : Oui Monsieur, vous nous avez dit que Wikipédia c’était souvent un excellent point de départ mais ça ne doit pas rester notre unique source de référence (surtout si c’est pour y faire bêtement du copier/coller !), qu’il fallait parcourir les liens proposés par un article pour aller plus loin. Et là, c’est vrai qu’on ne peut pas faire des sauts de puce ailleurs que dans l’encyclopédie même puisqu’on n’est pas sur Internet. Mais si c’est pour retrouver tout de suite la date de naissance de Victor Hugo ou la composition chimique de l’air, c’est suffisant non ?

Le professeur : Mais ça n’est pas tout…

WikiReaderL’élève : Je sais, je sais. Vous nous avez dit aussi que comme tout le monde peut écrire des articles, il y avait parfois de grosses bêtises momentanément présentes dessus, quand bien même ça a tendance à s’améliorer tout le temps. Il ne faut surtout pas lui faire une confiance aveugle, recouper avec plusieurs autres sources d’information. D’ailleurs, une autre source d’information ça peut être… vous !

Le professeur : Spirituel avec ça !

L’élève : C’est que je n’oublie pas que malgré tout votre topo sur les précautions d’usage, vous nous avez aussi expliqué pourquoi selon vous Wikipédia était l’un des plus beaux projets collectifs que l’homme ait jamais créé…

Le professeur : J’ai dit ça moi ?

L’élève : Eh oui, certainement un moment de faiblesse ou d’égarement !

Le professeur : Bon, écoute, prête-moi ton bidule. Je vais regarder ça de plus près, des fois que cela susciterait en moi quelques idées pédagogiques. Je compte également en parler aux collègues ainsi qu’à notre direction et je te fais une réponse dans quelques jours, ça te va ?

L’élève : D’accord Monsieur, mais n’oubliez pas de me le rendre !




Entretien avec Richard Stallman

Mlinksva - CC byCertains pensent que Richard Stallman a déjà tout dit et qu’il ne fait que répéter (voire ânonner) inlassablement le même discours aux quatre coins de la planète.

Ce n’est pas forcément vrai. Surtout quand l’exercice est un entretien et que celle qui pose les questions oriente habilement la conversation, en particulier sur l’activisme et les conditions de sa réussite.

Et pour vous en donner un avant-goût voici sa réponse à la question de son plus grand échec : « Le plus grand échec du mouvement des logiciels libres est ironique : notre logiciel libre et devenu si attirant pour les geeks que l’usage et le développement de logiciels libres se sont beaucoup plus répandus que l’appréciation de la liberté sur laquelle le mouvement se fonde. Le résultat est que nos points de vue en sont venus à être considérés comme excentriques dans la communauté que nous avons construite. »

Une traduction Framalang, avec l’aimable autorisation d’Hillary Rettig[1].

Interview de Richard Stallman

Interview with Richard Stallman

Hillary Rettig – 9 février 2009 – LifeLongActivist.com
(Traduction Framalang : Yonnel et Goofy)

Mon ami Richard Stallman est le fondateur du mouvement du logiciel libre. Ses idées sont à l’origine non seulement du système d’exploitation GNU/Linux, mais aussi de Wikipédia, Creative Commons, de la campagne anti-DRM Defective by Design et d’autres mouvements sociaux importants. Il est lauréat du prix MacArthur, et peut-être l’activiste le plus couronné de succès. Je suis honorée d’avoir pu l’interviewer.

Hillary Rettig : Qu’est-ce que le logiciel libre ?

Richard Stallman : Le logiciel libre, cela implique que l’utilisateur dispose de quatre libertés essentielles :

  • 0. La liberté d’exécuter le programme comme bon vous semble.
  • 1. La liberté d’étudier le code source du programme, puis de le modifier pour que le programme fasse ce que vous voulez.
  • 2. La liberté de distribuer aux autres des copies identiques du programme. (On appelle aussi cela la liberté d’aider son voisin.)
  • 3. La liberté de distribuer des copies de vos versions modifiées. (On appelle aussi cela la liberté de contribuer à votre communauté.)

Vous travaillez pour la cause du logiciel libre depuis plus de 20 ans. Comment gardez-vous le cap, comment restez-vous « attaché » à votre travail, avec le même sentiment d’urgence ?

J’utilise moi-même des ordinateurs, donc je serai moi-même un de ceux qui perdront leur liberté si le logiciel libre ne s’impose pas. J’ai donc toute la motivation nécessaire pour poursuivre la lutte.

Est-ce que vous ressentez souvent de la peur ou du découragement ? Comment gérez-vous ces sentiments ?

Je suis pessimiste de nature, donc il m’est facile d’imaginer la défaite, surtout étant donné la taille des entreprises contre lesquelles nous nous battons, et leur gouvernement lèche-bottes à Washington. Mais il n’en faut pas autant pour me mener au désespoir. Si je fais quelques tentatives pour corriger un bogue et qu’elles n’aboutissent pas, la frustration peut monter au point que je crie d’angoisse. Mais ce sentiment ne dure que quelques minutes, et ensuite je me remets au travail.

Quant à la peur, ma principale peur est la défaite de la liberté. Le meilleur moyen de l’éviter est de continuer, ce que je fais.

Pourquoi est-ce si important de travailler dans une équipe ou une communauté avec un but commun, et qu’est-ce que vous considérez comme une équipe/communauté efficace ou inefficace ?

La communauté du logiciel libre est très décentralisée – chaque programme a sa propre équipe de support. Il reste beaucoup de place. Si deux personnes ne s’entendent pas, elles n’ont pas besoin de travailler ensemble, elles peuvent travailler séparément. Cela n’élimine pas le problème des conflits de personnalité et des comportements insultants, mais au pire cela ne peut créer que du retard.

Quelles sont vos habitudes de travail, votre emploi du temps, et pourquoi ces habitudes et cet emploi du temps ont-ils évolué ?

Je n’ai pas ou ne veux pas de journée structurée. Quand je me lève, d’habitude je commence à répondre à mes messages. Quand je sens que j’ai besoin d’une pause, je la prends – je peux lire, rêver, écouter de la musique ou manger. Après un moment, je me remets au travail. Je ne suis pas un emploi du temps, sauf pour les voyages et les réunions. Mais quand même, en ce moment, cela représente une bonne partie de mon emploi du temps, ce qui d’une certaine façon est agaçant.

L’époque où j’étais le plus productif, c’était quand je programmais, en 1982. J’avais très peu de rendez-vous, donc je n’avais pas besoin de gérer un emploi du temps sur 24 heures. Quand j’étais fatigué, j’allais dormir. Quand je me levais, je recommençais à travailler. Quand j’avais faim, je mangeais. Aucun emploi du temps ! Cela me permettait d’être très productif, parce que quand je ne dormais pas, j’étais complètement éveillé.

Avez-vous déjà pris un congé sabbatique ou interrompu votre tâche d’activiste ? Pourquoi, ou pourquoi pas ? Si oui, quels bienfaits en avez-vous retiré ?

Dans les années 80, quand le mouvement était nouveau et que mon travail en son sein consistait principalement à développer des logiciels, je n’ai jamais pensé à vouloir me mettre en pause bien longtemps. À présent, comme mon travail est principalement de correspondre avec des personnes, je ne peux plus le faire. Les courriers s’accumuleraient horriblement si je ne les traitais pas jour après jour.

Comment jugez-vous votre efficacité à changer les choses ?

Je ne peux pas être impartial dans l’estimation de mes propres capacités, donc je ne puis répondre à cette question. Ce qui est clair, c’est qu’au moins nous avons mis la première pierre à l’utilisation libre d’ordinateurs, mais nous sommes encore loin de notre objectif : que tous les utilisateurs de logiciels soient libres. Mais au moins le mouvement des logiciels libres continue à grandir.

Que considéreriez-vous comme vos réussites les plus significatives en tant qu’activiste ?

Nous avons développé des systèmes d’exploitation libres, des environnements graphiques libres, des applications libres, des lecteurs média libres, des jeux libres – des milliers. Certaines régions ont adopté GNU/Linux dans leurs écoles publiques. Maintenant il nous faut convaincre le reste du monde d’en faire de même.

Que considéreriez-vous comme vos échecs les plus significatifs, ou dans quels domaines auriez-vous souhaité faire plus de progrès ?

Le plus grand échec du mouvement des logiciels libres est ironique : notre logiciel libre et devenu si attirant pour les geeks que l’usage et le développement de logiciels libres se sont beaucoup plus répandus que l’appréciation de la liberté sur laquelle le mouvement se fonde. Le résultat est que nos points de vue en sont venus à être considérés comme excentriques dans la communauté que nous avons construite.

Dans quelle mesure c’est un échec personnel, je ne le sais pas. Je ne sais pas si j’aurais pu éviter cela en agissant différemment.

Quels avantages naturels (cognitifs, émotionnels, dans votre style de vie, etc.) pensez-vous voir en tant qu’activiste ?

Mes plus gros avantages, autres que ma capacité naturelle en tant que programmeur, sont la persévérance et la détermination, ainsi qu’un sens du défi plein d’insolence et de moquerie qui me permet de faire des choses qui ne sont vraiment pas difficiles, mais devant lesquelles d’autres se déroberaient peut-être.

La plupart des gens semblent supposer que si on vous éloigne de la victoire alors on abandonne. Cela n’a aucun sens pour moi. Quel intérêt pourrait-il bien y avoir à laisser tomber ? Rien de ce que je peux imaginer réussir dans le monde n’est plus important que la défense des droits de l’homme. Tant que mes chances de victoire sont plus grandes si j’essaie que si j’abandonne, il serait absurde de laisser tomber.

Un autre avantage semblerait être que vous faites preuve d’une énorme résistance face aux critiques ou même aux railleries. On s’est moqué de vous pendant des années à propos de points de vue qui sont maintenant considérés comme valides et même majoritaires. Peu de gens savent s’accommoder de ce genre de critiques ou de railleries intenses. Est-ce que cela vous a été difficile, et si vous avez un mécanisme pour vous en accommoder, quel était-il ?

Tout ce que ces railleries disent vraiment, c’est « nous sommes plus gros que vous, nananère ! » Le but est d’intimider les insoumis, et le moyen de contrecarrer ceci est de refuser de se laisser intimider.

Parfois tous les insoumis sont intimidés, sauf un. Cela m’est arrivé plus d’une fois. C’était décourageant jusqu’à ce que j’ai appris à me souvenir que d’autres sont probablement du même avis, même s’ils ne le disent pas tout haut, donc dans les faits je suis leur porte-parole. Je me rends aussi compte que beaucoup d’autres, qui sont indécis, écoutent probablement en pesant les arguments. Rien qu’en restant sur ma position, en restant calme, et en réfutant les arguments des adversaires sans rancœur, je peux en rallier quelques-uns. Bien sûr, il est plus simple de rester calme par e-mail qu’en tête-à-tête, j’essaie donc d’avoir ces débats par e-mail. Une liste de diffusion est aussi susceptible de toucher un plus grand nombre d’indécis que je pourrais peut-être rallier.

Par contraste, dans une discussion en privé j’ai appris à ne pas perdre de temps à écouter les railleries. À la place, je fais quelque chose de plus utile, ce qui est d’habitude également plus agréable.

Quels défauts naturels avez-vous dû compenser ou vaincre ?

Mon principal défaut est une tendance à perdre mon sang-froid. Mais j’ai trouvé un moyen de contrôler cela la plupart du temps : je relis et je réécris mes e-mails avant de les envoyer.

Beaucoup d’activistes ont du mal à décider quels projets ou tâches entreprendre. Beaucoup font le mauvais choix, perdent du temps et compromettent leur efficacité. Comment décidez-vous des projets ou tâches à entreprendre ?

J’ai essayé de me demander à quels problèmes était confrontée la communauté, et ce que je pouvais faire pour changer la situation.

Quelles autres erreurs voyez-vous des activistes faire qui compromettent leur efficacité ?

Je trouve que de nombreux techos qui veulent soutenir le mouvement ne pensent qu’en termes de ce qu’ils peuvent faire seuls dans leur coin. Il ne leur vient pas à l’esprit de chercher des alliés pour agir avec plus de force.

Cependant, d’autres qui se trouvent apprécier les idées du mouvement du logiciel libre sont découragés par la taille de la tâche qui pourrait demander des années de travail, et abandonnent avant la première étape. Ils perçoivent une telle tâche comme impossible à surmonter, sans prendre en compte que nous avons déjà surmonté des tâches bien plus dures.

Quels sacrifices personnels avez-vous fait pour votre activisme ? En regardant en arrière, comment est-ce que vous les percevez ?

Je travaille dur, mais je n’appellerais pas cela un sacrifice. Comment pouvez-vous réussir quelque chose d’important sans travail ? La plupart des gens travaillent dur pour des choses qui n’en valent pas vraiment la peine.

Je me passe de certaines choses que l’on apprend à désirer à la plupart des Américains : je n’ai jamais eu une maison, une voiture ou des enfants. Mais je ne le regrette pas. Si vous avez ces choses, elles font de votre vie un combat désespéré pour pouvoir vous les payer. Souvent les hommes divorcent, après quoi c’est à peine s’ils arrivent à voir les enfants pour la subsistance desquels ils doivent se démener toute leur vie.

Quel gâchis de se battre toute sa vie pour pouvoir se continuer à se battre. C’est en rejetant ces lourds fardeaux que j’ai pu combattre pour quelque chose qui vaut ce combat.

Quels bénéfices personnels avez-vous tiré de votre activisme ?

Je passe le plus clair de mon temps à voyager là où l’on m’a invité à donner des conférences. Par certains aspects, c’est très agréable – je vois beaucoup de pays, je visite des endroits beaux et intéressants, j’essaie de nombreuses nourritures, j’écoute de nombreux styles de musique, et je me fais des amis. Il y a aussi des mauvais côtés : les voyages en avion prennent du temps, la sécurité est fascisante, et je ne peux suivre aucun cours parce que je ne suis pas assez longtemps à la maison.

Quel conseil donneriez-vous aux activistes qui voudraient avoir plus de réussite ou d’efficacité ?

Restez concentrés sur la façon de changer l’avenir. Ne vous reposez pas sur le passé sauf pour tirer les leçons sur le moyen d’être plus efficace à l’avenir. Ne perdez pas de temps à des gestes symboliques, ne mettez pas plus de la moitié de vos efforts dans des actions qui sont efficaces mais qui ne véhiculent aucun message. Dans l’idéal chaque action devrait créer une brèche dans le problème, et aussi inspirer les autres.

Quel est le meilleur moyen pour quelqu’un qui n’a pas beaucoup de temps ou d’argent pour aider le mouvement du logiciel libre ou tout autre mouvement à soutenir ?

Vous pouvez soutenir le mouvement du logiciel libre avec une petite somme d’argent, en devenant membre de la Free Software Foundation. Vous pouvez soutenir le mouvement en donnant un petit peu de temps, en vous inscrivant sur DefectiveByDesign.org pour participer à nos protestations contre les mesures de gestion numérique du droit d’auteur (DRM). Cela fait référence à la pratique qui vise à développer des produits pour restreindre les droits de l’utilisateur.

Vous pouvez aussi aider en économisant du temps et de l’argent, en n’achetant pas des médias que vous n’avez pas la possibilité de copier. N’achetez pas de BluRay ni de HD-DVD. N’achetez pas de lecteur de livre électronique comme le Swindle d’Amazon (NdT : jeu de mot avec le Kindle signifiant escroquerie) ou le Sony Reader. N’achetez pas de musique ni de films dans des formats cryptés. Insistez pour n’avoir que des médias sans restrictions.

Si vous n’étiez pas programmeur ou activiste du logiciel libre, quelle autre profession auriez-vous aimé embrasser ?

J’aurais apprécié faire de la recherche en physique. Tout comme j’aurais aimé faire du stand-up (NdT : du one-man-show comique cf Wikipédia). Quant à savoir si j’ai la capacité de faire l’un ou l’autre, qui sait ?

Du stand-up ! Quelle est votre blague préférée ?

Je n’ai pas de blague préférée, de plat préféré, de livre préféré, ou de quoi que ce soit préféré. J’ai besoin de notes pour me rappeler de toutes les blagues que je pourrais raconter si les circonstances me les rappellent. Et si je pouvais me souvenir de toutes, j’aurais du mal à les comparer pour en choisir une préférée.

Mais il me revient ce à quoi j’ai pensé aujourd’hui, en un éclair, quand c’était utile. J’ai fait un bilan médical, et le docteur m’a dit « Bon pour le service ! ». J’ai répondu « Quel service ? On n’a même pas de service de santé ! »

Notes

[1] Crédit photo : Mlinksva (Creative Commons By)




George Clooney a une sale gueule ou la question des images dans Wikipédia

George Clooney - Bad Dog - Public DomainÀ moins d’être aussi bien le photographe que le sujet photographié (et encore il faut faire attention au décor environnant), impliquant alors soit d’avoir le don d’ubiquité soit d’avoir un pied ou le bras assez long, c’est en théorie un pur casse-tête que de mettre en ligne des photographies sur Internet.

Il y a donc pour commencer le droit de l’auteur, le photographe. Mais quand bien même il aurait fait le choix de l’ouverture pour ses images, avec par exemple une licence Creative Commons, il reste la question épineuse du droit du sujet photographié (qui peut être une personne, un monument architectural…). Et pour corser le tout, n’oublions pas le fait que la législation est différente selon les pays.

Et c’est ainsi que le Framablog se met quasi systématiquement dans l’illégalité lorsqu’il illustre ses billets par une photographie où apparaissent des gens certes photogéniques mais non identifiés. Parce que si il prend bien le soin d’aller puiser ses photos parmi le stock d’images sous Creative Commons d’un site comme Flickr, il ne respecte que le droit du photographe et non celui du ou des photographié(s), dont il n’a jamais eu la moindre autorisation.

C’est peut-être moins grave (avec un bon avocat) que ces millions de photos que l’écrasante majorité de la jeune génération partage et échange sans aucune précaution d’usage sur les blogs, MySpace ou Facebook, mais nous ne sommes clairement qu’à la moitié du chemin.

Le chemin complet du respect des licences et du droit à l’image, c’est ce que tente d’observer au quotidien l’encyclopédie libre Wikipédia. Et c’est un véritable… sacerdoce !

Vous voulez mettre en ligne une photo sur Wikipédia ? Bon courage ! L’avantage c’est que vous allez gagner rapidement et gratuitement une formation accélérée en droit à l’image 😉

Pour l’anecdote on cherche toujours à illustrer le paragraphe Framakey de notre article Framasoft de l’encyclopédie et on n’y arrive pas. Une fois c’est le logo de Firefox (apparaissant au microscope sur une copie d’écran de l’interface de la Framakey) qui ne convient pas, parce que la marque Firefox est propriété exclusive de Mozilla. Une fois c’est notre propre logo (la grenouille Framanouille réalisée par Ayo) qui est refusé parce qu’on ne peut justifier en bonne et due forme que sa licence est l’Art Libre.

Toujours est-il donc que si vous souhaitez déposer une image dans la médiathèque de Wikipédia (Wikimédia Commons) alors le parcours est semé d’embûches. L’enseignant que je suis est plutôt content parce que l’encyclopédie participe ainsi à éduquer et sensibiliser les utilisateurs à toutes ces questions de droit d’auteurs, de propriété intellectuelle… avec moultes explications sur l’intérêt d’opter (et de respecter) les licences libres. Mais il n’empêche que l’une des conséquences de ces drastiques conditions d’entrée, c’est que pour le moment Wikipédia manque globalement de photographies de qualité (comparativement à son contenu textuel).

C’est particulièrement criant lorsqu’il s’agit d’illustrer les articles sur des personnalités contemporaines[1] (les plus anciennes échappant a priori au problème avec le domaine public, sauf quand ces personnalités ont vécu avant… l’invention de la photographie !). Et c’est cette carence iconographique que le New York Times a récemment prise pour cible dans une chronique acide dont le traduction ci-dessous nous a servi de prétexte pour aborder cette problématique (chronique qui aborde au passage la question complexe du photographe professionnel qui, craignant pour son gagne-pain, peut hésiter à participer).

La situation est-elle réellement aussi noire que veut bien nous le dire le vénérable journal ?

Peut-être pas. Il y a ainsi de plus en plus de photographes de qualité, tel Luc Viatour, qui participent au projet . Il y a de plus en plus d’institutions qui, contrairement au National Portrait Gallery, collaborent avec Wikipédia en ouvrant leurs fonds et archives, comme en témoigne l‘exemple allemand. Même le Forum économique mondial de Davos s’y met (dépôt dans Flickr, utilisation dans Wikipédia). Sans oublier les promenades locales et festives où, appareil photo en bandoulière, on se donne pour objectif d’enrichir ensemble l’encyclopédie.

Du coup mon jugement péremptoire précédent, à propos de la prétendue absence globale de qualité des images de Wikipédia, est à nuancer. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les pages « images de qualité » ou l’« image du jour ».

L’encyclopédie est en constante évolution, pour ne pas dire en constante amélioration, et bien heureusement la photographie n’échappe pas à la règle. Même si il est vrai que le processus est plus lent parce qu’on lui demande de s’adapter à Wikipédia et non l’inverse.

Wikipédia, terre fertile pour les articles, mais désert aride pour les photos

Wikipedia May Be a Font of Facts, but It’s a Desert for Photos

Noam Cohen – 19 juillet 2009 – New York Times
(Traduction Framalang : Olivier et Goofy)

Une question de la plus haute importance : existe-t-il de mauvaises photos de Halle Berry ou de George Clooney ?

Halle Berry - Nancy Smelser - Public DomainFacile, allez sur Wikipédia ! Vous y trouverez une photo floue de Mlle Berry, datant du milieu des années quatre-vingt, lors de la tournée U.S.O. avec d’autres candidates au titre de miss USA. La mise au point est mauvaise, elle porte une casquette rouge et blanche, un short, c’est à peine si on la reconnait. L’article de Wikipédia sur M. Clooney est, quant à lui, illustré par une photo le montrant au Tchad, portant une veste kaki est une casquette des Nations Unies. Avec son grand sourire et ses traits anguleux il est toujours aussi beau, en compagnie de deux femmes travaillant pour les Nations Unies, mais on est loin d’un portait glamour.

Certains personnages éminemment célèbres, comme Howard Stern ou Julius Erving, n’ont même pas la chance d’avoir leur photo sur Wikipédia.

George Clooney - Nando65 - Public DomainAlors que de nos jours les célébrités s’offrent couramment les services d’une équipe de professionnels pour contrôler leur image, sur Wikipédia c’est la loi du chaos. Très peu de photographies de bonne qualité, particulièrement de célébrités, viennent enrichir ce site. Tout cela tient au fait que le site n’accepte que les images protégées par la plus permissive des licences Creative Commons, afin qu’elles puissent être ré-utilisées par n’importe qui, pour en tirer profit ou pas, tant que l’auteur de la photo est cité.

« Des représentants ou des agents publicitaires nous contactent, horrifiés par les photos qu’on trouve sur le site », confie Jay Walsh, porte-parole de la Wikimedia Foundation, l’organisme qui gère Wikipédia, l’encyclopédie en plus de 200 langues. « Ils nous disent : J’ai cette image, je voudrais l’utiliser. Mais ça n’est pas aussi simple que de mettre en ligne la photo qu’on nous envoie en pièce jointe. »

Il poursuit : « En général, nous leur faisons comprendre que de nous envoyer une photo prise par la photographe Annie Leibovitz ne servira à rien si nous n’avons pas son accord. »

Les photos sont l’un des défauts les plus flagrants de Wikipédia. À la différence des articles du site, qui, en théorie, sont vérifiés, détaillés à l’aide de notes, et qui se bonifient avec le temps, les photos sont l’œuvre d’une seule personne et elles sont figées. Si un mauvais article peut être amélioré, une mauvaise photo reste une mauvaise photo.

Les wikipédiens tentent de corriger ce défaut, ils organisent des événements ou des groupes de contributeurs vont prendre des clichés de bonne qualité de bâtiments ou d’objets. De même, Wikipédia s’efforce d’obtenir la permission d’utiliser d’importantes collections de photographies.

L’hiver dernier, les archives fédérales allemandes ont placé cent mille photos basse résolution sous une licence permettant leur usage dans Wikipédia. Récemment, un utilisateur de Wikipédia, Derrick Coetzee, a téléchargé plus de trois mille photos haute résolution d’œuvres de la National Portrait Gallery de Londres, pour qu’elles soient utilisées, essentiellement, pour illustrer les articles se rapportant à des personnes historiques célèbres comme Charlotte Brontë ou Charles Darwin.

La galerie a menacé de porter plainte contre M. Coetzee, affirmant que même si les portraits, de par leur ancienneté, ne tombent plus sous la protection du droit d’auteur, les photographies elles sont récentes et du coup protégées. La galerie exige une réponse de M. Coetzee pour lundi. Il est représenté par l’Electronic Frontier Foundation. S’exprimant par e-mail vendredi, une porte-parole de la galerie, Eleanor Macnair, écrit qu’un « contact a été établi » avec la Wikimedia Foundation et que « nous espérons toujours que le dialogue est possible ».

On reste pourtant bien loin du compte et le problème des photographies sur Wikipédia est tout sauf réglé. Dans la galerie des horreurs, l’ancienne star de la NBA, George Gervin, aurait une place de choix. Debout, droit comme un I dans son costard, sur une photo aux dimensions pour le moins étranges, même pour un joueur de basket-ball. La photo, recadrée et libre de droit, provient du bureau du sénateur du Texas, John Cornyn.

Barack Obama - Pete Souza - CC byL’exemple de M. Gervin illustre un fait établi : le gouvernement alimente le domaine public de nombreuses photographies. Celle illustrant l’article du président Obama, par exemple, est un portrait officiel tout ce qu’il y a de posé et sérieux.

Mais les collections de photographies du gouvernement servent aussi aux contributeurs de Wikipédia. Ils espèrent y dénicher des images de rencontres entre célébrités et personnages politiques, qu’ils massacrent ensuite pour illustrer un article.

L’ancien roi du baseball, Hank Aaron, a l’honneur d’être illustré par une photo prise hors contexte, bizarrement découpée, prise en 1978 à la Maison Blanche. De même, l’illustration principale de l’article sur Michael Jackson a été réalisée en 1984 à l’occasion de sa visite à Ronald et Nancy Reagan.

Natalie Dessay - Alixkovich - CC by-saLes photos récentes sur Wikipédia sont, pour une large majorité, l’œuvre d’amateurs qui partagent volontiers leur travail. Amateur étant même un terme flatteur puisque ce sont plutôt des photos prises par des fans qui par chance avaient un appareil photo sous la main. La page de la cantatrice Natalie Dessay la montre en train de signer un autographe, fuyant l’objectif, l’actrice Allison Janney est masquée par des lunettes de soleil au Toronto Film Festival. Les frères Coen, Joel et Ethan, sont pris à distance moyenne à Cannes en 2001 et Ethan se couvre la bouche, certainement parce qu’il était en train de tousser. Et il y a aussi les photos prises depuis les tribunes où on distingue à peine le sujet. D’après sa photo, on pourrait croire que la star du baseball Barry Bonds est un joueur de champ extérieur. David Beckham, quant à lui, apparait les deux mains sur les hanches lors d’un match de football en 1999.

Placido Domingo- Sheila Rock - Copyright (with permission)Certaines personnes célèbres, comme Plácido Domingo et Oliver Stone, ont cependant eu la bonne idée de fournir elles-mêmes une photographie placée sous licence libre. Quand on pense à tout l’argent que les stars dépensent pour protéger leur image, il est étonnant de voir que si peu d’entre elles ont investi dans des photos de haute qualité, sous licence libre, pour Wikipédia ou d’autres sites. Peut-être ne se rendent-elles pas compte de la popularité de Wikipédia ? Rien que pour le mois de juin, par exemple, la page de Mlle Berry a reçu plus de 180 000 visites.

D’après Jerry Avenaim, photographe spécialisé dans les portraits de célébrités, il faut encore réussir à persuader les photographes, car placer une photo sous licence libre pourrait faire de l’ombre à toutes les autres. Il se démarque par le fait qu’il a déjà enrichi Wikipédia d’une douzaine de clichés en basse résolution, parmi lesquels un superbe portrait de Mark Harmon pris à l’origine pour un magazine télé.

Dans un interview, M. Avenaim semblait toujours indécis quant à l’idée de partager son travail. Sa démarche poursuit un double but : « D’abord, je voulais vraiment aider les célébrités que j’apprécie à apparaitre sous leur meilleur jour », dit-il, « Ensuite, c’est une stratégie marketing intéressante pour moi ».

Mark Harmon - Jerry Avenaim - CC by-saSa visibilité en ligne a largement augmenté grâce à la publication de ses œuvres sur Wikipédia, comme le montrent les résultats des moteurs de recherche ou la fréquentation de son site Web. Mais c’est une publicité qui peut aussi lui coûter très cher. « C’est mon gagne-pain », dit-il, rappelant que les photographes sont parfois très peu payés par les magazines pour leurs images de célébrités. L’essentiel de leurs revenus provient de la revente des images. Même si les images qu’il a mises gratuitement à disposition, par exemple le portrait de Dr. Phil, sont en basse résolution, elles deviennent les photographies par défaut sur Internet. Pourquoi payer alors pour une autre de ses photos ?

Et c’est bien là que la bât blesse pour les photographes qui voudraient mettre leurs œuvres à disposition sur Wikipédia, et seulement sur Wikipédia, pas sur tout Internet. « Wikipédia force à libérer le contenu déposé sur le site, c’est là que réside le problème à mes yeux », explique M. Avenaim. « S’ils veulent vraiment que la qualité des photos sur le site s’améliore, ils devrait permettre aux photographes de conserver leurs droits d’auteur. »

Notes

[1] Crédits photos : 1. George Clooney, par Bad Dog (domaine public) / 2. Halle Berry, par Nancy Smelser (domaine public) / 3. George Clooney, par Nando65 (domaine public)/ 4. Barack Obama, par Pete Souza (creative commons by) / 5. Natalie Dessay, par Alixkovich (creative commons by-sa) / 6. Placido Domingo, par Sheila Rock (copyright avec permission) / 7. Mark Harmon, par Jerry Avenaim (creative commons by-sa)




Rencontre avec le Parti Pirate suédois

Ann Catrin Brockman - CC by-saDans notre imaginaire collectif la Suède est un pays où il fait bon vivre, auquel on accole souvent certains adjectifs comme « social », « mesuré », « organisé », « tranquille, voire même « conservateur ».

C’est pourquoi l’irruption soudaine dans le paysage politique local du Parti Pirate (ou Piratpartiet) a surpris bon nombre d’observateurs.

Surprise qui a dépassé les frontières lors du récent et tonitruant succès du parti aux dernières élections européennes (7% des voix, 1 et peut-être 2 sièges).

Nous avons eu envie d’en savoir plus en traduisant un entretien réalisé par Bruce Byfield avec le leader du parti, Rickard Falkvinge (cf photo[1] ci-dessus).

Ce succès est-il reproductible dans d’autres pays à commencer par l’Europe et par la France ? C’est une question que l’on peut se poser à l’heure où les différents (et groupusculaires) partis pirates français ont, semble-t-il, décidé d’unir (enfin) leurs forces. À moins d’estimer que l’action, l’information et la pression d’une structure comme La Quadrature du Net sont amplement suffisants pour le moment (j’en profite pour signaler qu’eux aussi ont besoin de sou(s)tien actuellement).

Remarque : C’est le troisième article que le Framablog consacre directement au Parti Pirate suédois après l’appel à voter pour eux (vidéo inside) et la toute récente mise au point de Richard Stallman sur les conséquences potentielles pour le logiciel libre de leur programme politique (question précise que le journaliste n’évoque pas dans son interview).

Interview avec le leader du Parti Pirate : « Des libertés cruciales »

Interview with Pirate Party Leader: "These are Crucial Freedoms"

Bruce Byfield – 16 juin 2009 – Datamation
(Traduction Framalang : Tyah, Olivier et Severino)

Le 7 Juin 2009, les électeurs suédois ont élu un membre du PiratPartiet (Parti Pirate) au Parlement Européen. Ils bénéficieront même d’un second siège si le Traité de Lisbonne est ratifié, celui-ci octroyant à la Suède deux sièges supplémentaires.

Bien que relativement faibles, ce sont de bons résultats pour un parti fondé il y a à peine trois ans, et qui fait campagne avec très peu de moyens, s’appuyant essentiellement sur ses militants. Que s’est-il passé et pourquoi cet événement est-il important bien au-delà de la Suède ?

Pour Richard Falkvinge, fondateur et leader du Parti Pirate, l’explication est simple : les pirates ont fait entrer pour la première fois dans le débat public les préoccupations de la communauté libre concernant la question du copyright et du brevet, et cela en utilisant les réseaux sociaux, un média complètement ignoré par leurs opposants.

Falkvinge nous en a dit un peu plus sur le sujet à l’occasion d’une présentation au cours du récent congrès Open Web Vancouver, ainsi que dans une brève interview qu’il nous a accordée le lendemain.

Falkvinge, entrepreneur depuis son adolescence, s’est intéressé à l’informatique toute sa vie d’adulte, et naturellement aux logiciels libres. « J’ai participé à différents projets open source » dit-il en ajoutant promptement : « Vous ne risquez pas d’avoir entendu parler des projets auxquels j’ai participé. Je fais partie des gens qui ont la malchance de toujours s’engager dans des projets qui ne vont nulle part – excepté celui-ci, évidemment. »

Comme pour de nombreuses autres personnes, le tournant fut pour Falkvinge la volonté de l’Europe d’imposer des droits d’auteurs plus strictes encore en 2005. Selon Falkvinge, le sujet fut largement couvert et débattu en Suède par tout le monde – sauf par les politiciens.

« Je me suis donc demandé : que faut-il faire pour obtenir l’attention des politiciens ? J’ai réalisé que l’on ne pouvait sûrement pas capter leur attention sans amener le débat sur leur terrain. Le seul recours était de contourner totalement les politiciens et de s’adresser directement aux citoyens lors des élections, de nous lancer sur leur terrain pour qu’ils ne puissent plus nous ignorer. »

Si pour les nord-américains, le nom peut sembler provocateur, Falkvinge explique que c’était un choix évident étant donné le contexte politique. En 2001 fut fondé un lobby défendant le copyright nommé le Bureau Anti-Pirate, donc quand un think-tank adverse s’est créé en 2003, il prit tout naturellement le nom de Bureau Pirate.

Selon Falkvinge, « la politique pirate devint connue et reconnue. Chacun savait ce qu’était la politique pirate, l’important n’était donc pas de réfléchir à un nom, mais bien de fonder le parti. », ce qu’il fit le 1er janvier 2006.

Dès le départ, Falkvinge rejetta l’idée de s’appuyer sur les vieux média : TV, radio, presse.

« Ils n’auraient jamais accordé le moindre crédit à ce qu’ils considéraient comme une mouvance marginale. Ils n’auraient jamais parlé suffisamment de nous pour que nos idées se répandent. Il faut dire aussi qu’elles ne rentrent pas vraiment dans leur moule, alors comment expliquer quelque chose que vous avez du mal à saisir ? »

« Nous n’avions d’autre choix que de construire un réseau d’activistes. Nous savions que nous devions faire de la politique d’une manière jamais vue auparavant, de proposer aux gens quelque chose de nouveau, de nous appuyer sur ce qui fait le succès de l’open source. Nous avons essentiellement contourné tous les vieux médias. Nous n’avons pas attendu qu’ils décident de s’intéresser à nous; nous nous sommes simplement exprimés partout où nous le pouvions. »

Leur succès prit tous les autres partis politiques par surprise. Seulement quelques jours après avoir mis en ligne le premier site du parti, le 1er janvier 2006, Falkvinge apprit que celui-ci comptabilisait déjà plusieurs millions de visiteurs. La descente dans les locaux de Pirate Bay et les élections nationales suédoises qui se sont tenues plus tard dans l’année ont contribué à faire connaître le parti, mais c’est bien sur Internet, grâce aux blogs et à d’autres médias sociaux, qu’il a gagné sa notoriété.

Aujourd’hui c’est le troisième parti le plus important de Suède, et il peut se vanter d’être le parti politique qui rassemble, et de loin, le plus de militants parmi les jeunes.

« Ce n’est pas seulement le plus grand parti en ligne », dit Falkvinge. « C’est le seul parti dont les idées sont débattues en ligne. »

Les analystes politiques traditionnels avaient du mal à croire que le Parti Pirate puisse être régulièrement crédité de 7 à 9% d’intentions de vote dans les sondages.

« J’ai lu une analyste politique qui se disait complètement surprise » rapporte Falkvinge. « Elle disait : « Comment peuvent-ils être si haut dans les sondages ? Ils sont complètement invisibles ». Son analyse était évidemment entièrement basée sur sa connaissance classique de la politique. La blogosphère de son côté se demandait si elle n’avait pas passé ces dernières années dans une caverne. »

La plateforme du Parti Pirate

Aux yeux de Falkvinge, la lutte pour l’extension des droits d’auteurs et des brevets, c’est l’Histoire qui bégaye. Il aborde le sujet des droits d’auteurs en rappelant que l’Église catholique réagit à l’invention de l’imprimerie, qui rendait possible la diffusion de points de vue alternatifs, en bannissant la technologie de France en 1535.

Un exemple plus marquant encore est celui de l’Angleterre, qui créa un monopole commercial sur l’imprimerie. Bien qu’elle connue une période sans droit d’auteur, après l’abdication de Jacques II en 1688, il fut restauré en 1709 par le Statute of Anne. Les monopolistes, qui affirmaient que les écrivains tireraient bénéfice du droit d’auteur, ont largement pesé sur cette décision.

Dans les faits, explique Falkvinge, « le droit d’auteur a toujours bénéficié aux éditeurs. Jamais, ô grand jamais, aux créateurs. Les créateurs ont été utilisés comme prétexte pour les lois sur les droits d’auteur, et c’est toujours le cas 300 ans plus tard. Les politiciens emploient toujours la même rhétorique que celle utilisée en 1709, il y a 300 foutues années ! »

Aujourd’hui, Falkvinge décrit le droit d’auteur comme « une limitation du droit de propriété » qui a de graves conséquences sur les libertés civiles. Pour Falkvinge, les efforts faits par des groupes comme les distributeurs de musique et de films pour renforcer et étendre les droits d’auteurs menacent ce qu’il appelle le « secret de correspondance », la possibilité de jouir de communications privées grâce à un service public ou privé.

Partout dans le monde les pressions montent pour rendre les fournisseurs d’accès responsables de ce qui circule sur leurs réseaux, ce qui remet en cause leur statut de simple intermédiaire. « C’est comme si l’on poursuivait les services postaux parce que l’on sait qu’ils sont les plus gros distributeurs de narcotiques en Suède », raisonne Falkvinge par analogie.

Une autre conséquence concerne la liberté de la presse, sujet cher aux journalistes et aux dénonciateurs. « Si vous ne pouvez confier un scandale à la presse sans que des groupes privés ou gouvernementaux y jettent un œil avant qu’il ne parvienne à la presse, quels sujets allez-vous traiter ? Et bien, rien ne sera révélé, car personne ne sera assez fou pour prendre ce risque. À quoi vous servira alors la liberté de la presse ? À écrire des communiqués de presse ? »

Falkvinge défend un droit d’auteur beaucoup plus souple, réservé uniquement à la distribution commerciale et sévèrement restreint ; cinq ans serait une durée raisonnable, suggère-t-il. « Il faut que les droits d’auteurs sortent de la vie privée des personnes honnêtes. Les droits d’auteurs ressemblent de plus en plus à des policiers en uniformes qui font des descentes avec des chiens chez les gens honnêtes. C’est inacceptable. »

Il croit aussi que la copie privée est un progrès social, en faisant valoir que « Nous savons que la société avance quand le culture et les connaissances se diffusent aux citoyens. Nous voulons donc encourager la copie non-commerciale. »

De même, le Parti Pirate s’oppose aux brevets, particulièrement aux brevets logiciels, mais aussi dans d’autres domaines.

« Chaque brevet, dans sa conception même, inhibe l’innovation », maintient-il. « Les brevets ont retardé la révolution industrielle de trente ans, ils ont retardé l’avènement de l’industrie aéronautique nord-américaine de trente autres années, jusqu’à ce que la Première Guerre mondiale éclate et que le gouvernement des États-Unis confisque les brevets. Ils ont retardé la radio de cinq ans. » Aujourd’hui, suggère t-il, les progrès technologiques en matière de voitures électriques et d’infrastructures écologiques sont bloqués par les brevets.

« Tout cela n’est en rien différent de la réaction de l’Église Catholique », explique Falkvinge. « Quand il y a une technologie dérangeante, vecteur d’égalisation, la classe dirigeante n’attaque pas les personnes qui essaient de devenir égales. Elle s’en prend à la technologie qui rend cela possible. On le voit dans le monde entier, la classe dirigeante attaque Internet. »

« Les excuses varient. En Chine, c’est le contrôle. En Asie du Sud, c’est la morale publique, dans d’autres endroits, c’est l’ordre et la loi. En Égypte, je pense, la raison est de respecter les préceptes de la religion, l’Islam dans leur cas. Aux États-Unis, il y a trois excuses majeures : le droit d’auteur, le terrorisme et la pédophilie. Ces excuses sont en train d’être utilisées pour briser le plus grand égalisateur de population jamais inventé. »

« Voilà le véritable enjeu. Les libertés fondamentales doivent être grignotées ou abolies pour sauvegarder un monopole chancelant d’industries obsolètes. Il est compréhensible qu’une industrie déliquescente se batte pour sa survie, mais il appartient aux politiciens de dire que, non, nous n’allons pas démanteler les libertés fondamentales juste pour que vous n’ayez pas à changer. Adaptez-vous ou bien mourrez. »

C’est dans cette situation, déclare Falkvinge, que les perspectives du Parti Pirate sont si importantes.

Le Parti Pirate « adopte une position sur les droits civiques que les politiciens ne comprennent pas. Ils écoutent les lobbys et s’attaquent de manière extrêmement dangereuse aux libertés fondamentales. »

Les efforts du lobby pro-copyright pourraient se révéler en fin de compte futiles, pour Falkvinge ils se battent pour une cause perdue. Mais il met aussi en garde contre les dommages considérables que pourrait causer le lobby avant d’être finalement emporté par l’inéluctable.

Courtiser les Pirates

Cybriks - CC byÀ la prochaine séance du Parlement Européen, Christian Engstrom siègera dans l’hémicycle, un entrepreneur devenu activiste qui milite contre les brevets depuis ces cinq dernières années. Si le Parti Pirate obtient un second siège, Engstrom sera rejoint par Amelia Andersdotter (cf photo ci-contre), que Falksvinge décrit comme « un des plus brillants esprits que nous ayons dans le Parti Pirate ». Elle serait alors la plus jeune membre jamais élue du Parlement Européen.

Le Parti Pirate aborde des problèmes dont personne, jusqu’à maintenant, n’a vraiment pris conscience. Est-ce là l’explication pour le soudain intérêt dont bénéficie le parti ? Peut-être. Mais leur popularité chez les électeurs de moins de trente ans, un groupe que les autres partis ont toujours eu du mal à séduire, compte au moins autant.

De plus, avec un électorat divisé entre une multitude de partie, les 7% recueillis par le Parti Pirate sont loin d’être négligeables.

« Ces sept coalitions se mettent en quatre pour s’approprier notre crédibilité », résume Falkvinge. « Nous jouissons d’un vrai soutien populaire que ces partis se battent pour nous avoir. »

S’exprimant quelques jours après les élections, Falkvinge ne cachait pas sa satisfaction. Malgré tout, il se prépare déjà pour les prochaines élections nationales en Suède, où il espère que le Parti Pirate jouera un rôle dans un gouvernement minoritaire. Le prix d’une alliance avec les Pirates sera, bien sûr, l’adoption de leurs idées.

« Aux élections européennes nous avons gagné notre légitimité », constate Falkvinge. « Les prochaines élections nationales nous permettront de réécrire les lois. »

Si tel est le cas, l’Union Européenne et le reste du monde pourront peut-être en sentir les effets. Déjà, des Partis Pirates se mettent en place à l’image du parti suédois, et, comme le montre leur faculté à attirer les jeunes, pour des milliers d’entre eux le Parti Pirate est le seul parti politique qui aborde les questions qui les intéressent.

« Il y a deux choses qu’il ne faut pas perdre de vue » remarque Falkvinge. « Premièrement, nous faisons partie de la nouvelle génération de défenseurs des libertés fondamentales. C’est un mouvement pour les libertés fondamentales. Des libertés fondamentales et des droits fondamentaux essentiels sont compromis par des personnes voulant contrôler le Net, et nous voulons sauvegarder ces droits. Au fond, nous voulons que les droits et devoirs fondamentaux s’appliquent aussi bien sur Internet que dans la vie courante. »

« Le deuxième point que je voudrais souligner c’est que nous nous faisons connaître uniquement par le bouche à oreille. Nous avons gagné à peu près un quart de million de voix, 50 000 membres, 17 000 activistes, par le bouche à oreille, conversation après conversation, collègue, parent, étudiant, un par un, en trois ans. »

« C’est, je crois, la meilleure preuve que c’est possible. Vous n’êtes plus dépendants des médias traditionnels. Si vous avez un message fort et que les gens s’y reconnaissent, vous pouvez y arriver. »

Notes

[1] Crédit photos : 1. Ann Catrin Brockman (Creative Commons By-Sa) 2. Cybriks (Creative Commons By)




National Portrait Gallery vs Wikipédia ou la prise en étau et en otage de la Culture ?

Cliff1066 - CC byTous ceux qui ont eu un jour à jouer les touristes à Londres ont pu remarquer l’extrême qualité et la totale… gratuité des grands musées nationaux. Rien de tel pour présenter son patrimoine et diffuser la culture au plus grand nombre. Notons qu’à chaque fois vous êtes accueilli à l’entrée par de grandes urnes qui vous invitent à faire un don, signifiant par là-même qu’ils ne sont plus gratuits si jamais vous décidez d’y mettre votre contribution.

Parmi ces musées on trouve le National Portrait Gallery qui « abrite les portraits d’importants personnages historiques britanniques, sélectionnés non en fonction de leurs auteurs mais de la notoriété de la personne représentée. La collection comprend des peintures, mais aussi des photographies, des caricatures, des dessins et des sculptures. » (source Wikipédia).

Or la prestigieuse galerie vient tout récemment de s’illustrer en tentant de s’opposer à la mise en ligne sur Wikipédia de plus de trois mille reproductions photographiques d’œuvres de son catalogue tombées dans le domaine public. Le National Portrait Gallery (ou NPG) estime en effet que ces clichés haute-résolution lui appartiennent et ont été téléchargés sans autorisation sur Wikimedia Commons, la médiathèque des projets Wikimédia dont fait partie la fameuse encyclopédie. Et la vénérable institution va même jusqu’à menacer d’une action en justice !

Il est donc question, une fois de plus, de propriété intellectuelle mais aussi et surtout en filigrane de gros sous. Personne ne conteste que le National Portrait Gallery ait engagé des dépenses pour numériser son fond et qu’elle ait besoin d’argent pour fonctionner. Mais n’est-il pas pour le moins choquant de voir un telle institution culturelle, largement financée par l’État, refuser ainsi un accès public à son contenu, sachant qu’elle et Wikipédia ne sont pas loin de poursuivre au final les même nobles objectifs ?

C’est ce que nous rappelle l’un des administrateurs de Wikipédia dans un billet, traduit ci-dessous par nos soins, issu du blog de la Wikimedia Foundation. Billet qui se termine ainsi : « Quoi qu’il en soit, il est difficile de prouver que l’exclusion de contenus tombés dans le domaine public d’une encyclopédie libre à but non lucratif, serve l’intérêt général. »

Remarque : L’illustration[1] choisie pour cet article représente le moment, en janvier dernier, où le célèbre portrait d’Obama réalisé par l’artiste Shepard Fairey entre au National Portrait Gallery, non pas de Londres mais de Washington. Ce portrait a lui aussi fait l’objet d’une forte polémique puisqu’il s’est directement inspiré d’une image d’un photographe travaillant pour l’Association Press qui a elle aussi tenté de faire valoir ses droits (pour en savoir plus… Wikipédia bien sûr). Décidément on ne s’en sort pas ! Heureusement que le portrait s’appelle « Hope »…

Protection du domaine public et partage de notre héritage culturel

Protecting the public domain and sharing our cultural heritage

Erik Moeller – 16 juillet 2009 – Wikimedia Blog
(Traduction Framalang : Claude le Paih)

La semaine dernière, le National Portrait Gallery de Londres, Royaume Uni, a envoyé une lettre menaçante à un bénévole de Wikimédia concernant la mise en ligne de peintures du domaine public vers le dépôt de Wikimédia : Wikimédia Commons.

Le fait qu’une institution financée publiquement envoie une lettre de menace à un bénévole travaillant à l’amélioration d’une encyclopédie sans but lucratif, peut vous paraitre étrange. Après tout, la National Portrait Gallery fut fondée en 1856, avec l’intention déclarée d’utiliser des portraits « afin de promouvoir l’appréciation et la compréhension des hommes et femmes ayant fait, ou faisant, l’histoire et la culture britannique » (source) Il parait évident qu’un organisme public et une communauté de volontaires promouvant l’accès libre à l’éducation et la culture devraient être alliés plutôt qu’adversaires.

Cela parait particulièrement étrange dans le contexte des nombreux partenariats réussis entre la communauté Wikimédia et d’autres galeries, bibliothèques, archives et musées. Par exemple, deux archives allemandes, la Bundesarchiv et la Deutsche Fotothek, ont offert ensemble 350 000 images protégées par copyright sous une licence libre à Wikimédia Commons, le dépôt multimédia de la Fondation Wikimédia.

Ces donations photographiques furent le résultat heureux de négociations intelligentes entre Mathias Schindler, un bénévole de Wikimédia, et les représentants des archives. (Information sur la donation de la Bundearchiv ; Information sur la donation de la Fotothek).

Tout le monde est alors gagnant. Wikimédia aida les archives en travaillant à identifier les erreurs dans les descriptions des images offertes et en associant les sujets des photographies aux standards des métadatas. Wikipédia a contribué à faire mieux connaître ces archives. De même, les quelques trois cent millions de visiteurs mensuels de Wikipédia se sont vus offrir un accès libre à d’extraordinaires photographies de valeur historique, qu’ils n’auraient jamais pu voir autrement.

Autres exemples :

  • Au cours des derniers mois, des bénévoles de Wikimédia ont travaillé avec des institutions culturelles des États-Unis, du Royaume-Uni et des Pays-Bas afin de prendre des milliers de photographies de peintures et d’objets pour Wikimédia Commons. Ce projet est appelé « Wikipédia aime les arts ». Une nouvelle fois, tout le monde y gagne : les musées et galeries s’assurent une meilleure exposition de leur catalogue, Wikipédia améliore son service, et les gens du monde entier peuvent voir des trésors culturels auxquels ils n’auraient pas eu accès sinon. (voir la page anglaise de Wikipédia du projet et le portail néerlandais du projet).
  • Des bénévoles de Wikimédia travaillent individuellement, avec des musées et des archives, à la restauration numérique de vieilles images en enlevant des marques telles que taches ou rayures. Ce travail est minutieux et difficile mais le résultat est formidable : l’œuvre retrouve son éclat originel et une valeur informative pleinement restaurée. Le public peut de nouveau l’apprécier (le travail de restauration est coordonné grâce à la page « Potential restorations » et plusieurs exemples de restaurations peuvent être trouvés parmi les images de qualité de Wikimédia).

Trois bénévoles de Wikimédia ont résumé ces possibilités dans une lettre ouverte : Travailler avec, et non pas contre, les institutions culturelles. Les 6 et 7 Août, Wikimédia Australie organise une manifestation afin d’explorer les différents modèles de partenariats avec les galeries, bibliothèques, archives et musées (GLAM : Galleries, Libraries, Archives and Museums).

Pourquoi des bénévoles donnent-ils de leur temps à la photographie d’art, à la négociation de partenariat avec des institutions culturelles, à ce travail minutieux de restauration ? Parce que les volontaires de Wikipédia veulent rendre l’information (y compris des images d’importance informative et historique) librement disponible au monde entier. Les institutions culturelles ne devraient pas condamner les bénévoles de Wikimédia : elles devraient joindre leurs forces et participer à cette une mission.

Nous pensons qu’il existe pour Wikipédia de nombreuses et merveilleuses possibilités de collaborations avec les institutions culturelles afin d’éduquer, informer, éclairer et partager notre héritage culturel. Si vous souhaitez vous impliquer dans la discussion, nous vous invitons à rejoindre la liste de diffusion de Wikimédia Commons : la liste est lue par de nombreux bénévoles de Wikimédia, quelques volontaires liés aux comités de Wikimédias ainsi que des membres de la Fondation. Sinon, s’il existe un comité dans votre pays, vous pourriez vous mettre en contact directement avec eux. Vous pouvez également contacter directement la Wikimedia Foundation. N’hésitez pas à m’envoyer vos premières réflexions à erik(at)wikimedia(dot)org, je vous connecterai d’une manière appropriée.

La NPG (National Portrait Galery) est furieuse qu’un volontaire de Wikimédia ait mis en ligne sur Wikimédia Commons des photographies de peintures du domaine public lui appartenant. Au départ, la NPG a envoyé des lettres menaçantes à la Wikimedia Foundation, nous demandant de « détruire toutes les images » (contrairement aux déclarations publiques, ces lettres n’évoquaient pas un possible compromis. La NPG confond peut être sa correspondance et un échange de lettre en 2006 avec un bénévole de Wikimédia, (que l’utilisateur publie ici). La position de la NPG semble être que l’utilisateur a violé les lois sur le droit d’auteur en publiant ces images.

La NPG et Wikimédia s’accordent toutes deux sur le fait que les peintures représentées sur ces images sont dans le domaine public : beaucoup de ces portraits sont vieux de plusieurs centaines d’années, tous hors du droit d’auteur. Quoiqu’il en soit, la NPG prétend détenir un droit sur la reproduction de ces images (tout en contrôlant l’accès aux objets physiques). Autrement dit, la NPG pense que la reproduction fidèle d’une peinture appartenant au domaine public, sans ajout particulier, lui donne un nouveau droit complet sur la copie numérique, créant l’opportunité d’une valorisation monétaire de cette copie numérique pour plusieurs décennies. Pour ainsi dire, La NPG s’assure dans les faits le contrôle total de ces peintures du domaine public.

La Wikimedia Foundation n’a aucune raison de croire que l’utilisateur en question ait transgressé une loi applicable, et nous étudions les manières de l’aider au cas ou la NPG persisterait dans ses injonctions. Nous sommes ouvert à un compromis au sujet de ces images précises, mais il est peu probable que notre position sur le statut légal de ces images change. Notre position est partagée par des experts juridiques et par de nombreux membres de la communauté des galeries, bibliothèques, archives et musées. En 2003, Peter Hirtle, cinquante-huitième président de la Society of American Archivists (NdT : Société des Archivistes Américains), écrivit :

« La conclusion que nous devons en tirer est inéluctable. Les tentatives de monopolisation de notre patrimoine et d’exploitation commerciale de nos biens physiques appartenant au domaine public ne devraient pas réussir. De tels essais se moquent de l’équilibre des droits d’auteur entre les intérêts du créateur et du public. » (source)

Dans la communauté GLAM internationale, certains ont choisi l’approche opposée, et sont même allés plus loin en proposant que les institutions GLAM utilisent le marquage numérique et autres technologies de DRM (Digital Restrictions Management) afin de protéger leurs supposés droits sur des objets du domaine public et ainsi renforcer ces droits d’une manière agressive.

La Wikimedia Foundation comprend les contraintes budgétaires des institutions culturelles ayant pour but de préserver et maintenir leurs services au public. Mais si ces contraintes aboutissent à cadenasser et limiter sévèrement l’accès à leur contenu au lieu d’en favoriser la mise à disposition au plus grand nombre, cela nous amène à contester la mission de ces institutions éducatives. Quoi qu’il en soit, il est difficile de prouver que l’exclusion de contenus tombés dans le domaine public d’une encyclopédie libre à but non lucratif, serve l’intérêt général.

Erik Moeller
Deputy Director, Wikimedia Foundation

Notes

[1] Crédit photo : Cliff1066 (Creative Commons By)




Shine 4U de Carmen & Camille : le plus libre des tubes de l’été 2009 ?

Carmen & CamilleUn bail que je n’ai mis les pieds dans une discothèque estivale. Mais si cela m’arrivait demain , je ne serais guère surpris d’y être accueilli par la chanson Shine 4U du groupe Carmen & Camille (MySpace, YouTube).

Cette chanson a en effet tout du classique tube de l’été : jolies filles (cf photo ci-contre !), rythme entraînant (avec passages plus lents pour reprendre son souffle), synthé à fond, voix sucrées et saturées… Vous l’écoutez deux fois, vous l’avez dans la tête. Pas plus original que les autres, pas le meilleur, pas le pire non plus.

Pourquoi vous en parle-je ? Parce que cette chanson inédite est l’objet d’un concours qui lui pour le coup est assez original.

Les participants sont en effet invités, par la maison de disques Indaba, à remixer le morceau à condition que le résultat soit placé, comme la chanson d’origine, sous la très libre licence Creative Commons By (qui vous permet non seulement de modifier et diffuser mais aussi de vendre). Pour ce faire et leur faciliter la tâche, on a mis a disposition les différentes pistes de la chanson (voix principales, secondaires, guitare, basse, batterie, synthé, piano…).

On trouve deja de nombreux remix sur le site dédié à l’opération (et des remix de qualité), corroborant ce que l’on sait depuis longtemps : pourvu que vous lui en laissiez la liberté, Internet adore se montrer créatif en partant non pas de zéro mais de l’existant.

Quant aux artistes, voici ce qu’en pensent Carmen puis Camille, énième témoignage d’une situation gagnant-gagnant :

Carmen : « We are so lucky these days that through modern technology we are able to easily work with other artists from around the world. The door is open for artists from different cultures and countries to work together on projects without ever meeting. This technology opens all sorts of doors, and for us personally, we are so excited to have the chance to work with these talented people. »

Camille : « I think what makes us most excited about the outcome of this campaign is getting to hear our song redone in many different ways. We can’t wait to hear what people can add to the track. And the new versions of the song may bring us new fans that it would have taken us a long time to reach, which is great. »

Conclusion : Trémoussons-nous bêtement mais aussi librement en boîte cet été !




Le socialisme nouveau est arrivé

Copyleft FlagLe socialisme est mort, vive le socialisme ? À l’instar de Is Google making us stupid? c’est une nouvelle traduction de poids que nous vous proposons aujourd’hui.

Un socialisme nouveau, revu et corrigé, est en train de prendre forme sur Internet. Telle est l’hypothèse de Kevin Kelly, célèbre éditorialiste du célèbre magazine Wired. Et l’on ne s’étonnera guère d’y voir le logiciel libre associé aux nombreux arguments qui étayent son propos.

Vous reconnaissez-vous dans ce « socialisme 2.0 » tel qu’il est présenté ici ? Peut-être oui, peut-être non. Mais il n’est jamais inutile de prendre un peu de recul et tenter de s’interroger sur ce monde qui s’accélère et va parfois plus vite que notre propre capacité à lui donner du sens.

Le nouveau Socialisme : La société collectiviste globale se met en ligne

The New Socialism: Global Collectivist Society Is Coming Online

Kevin Kelly – 22 mai 2009 – Wired
(Traduction Framalang : Poupoul2, Daria et Don Rico)

Bill Gates s’est un jour moqué des partisans de l’Open Source avec le pire épithète qu’un capitaliste puisse employer. Ces gens-là, a-t-il dit, sont « une nouvelle race de communistes », une force maléfique décidée à détruire l’incitation monopolistique qui soutient le Rêve Américain. Gates avait tort : les fanatiques de l’Open Source sont plus proches des libertariens que des communistes. Il y a pourtant une part de vérité dans son propos. La course effrénée à laquelle on se livre partout sur la planète pour connecter tout le monde avec tout le monde dessine doucement les contours d’une version revue et corrigée du socialisme.

Les aspects communautaires de la culture numérique ont des racines profondes et étendues. Wikipédia n’est qu’un remarquable exemple de collectivisme émergeant parmi d’autres, et pas seulement Wikipédia mais aussi toute le système des wikis. Ward Cunningham, qui inventa la première page web collaborative en 1994, a recensé récemment plus de cent cinquante moteurs de wiki différents, chacun d’entre eux équipant une myriade de sites. Wetpaint, lancé il y a tout juste trois ans, héberge aujourd’hui plus d’un million de pages qui sont autant de fruits d’un effort commun. L’adoption massive des licences de partage Creative Commons et l’ascension de l’omniprésent partage de fichiers sont deux pas de plus dans cette direction. Les sites collaboratifs tels que Digg, Stumbleupon, the Hype Machine ou Twine poussent comme des champignons et ajoutent encore du poids à ce fantastique bouleversement. Chaque jour nous arrive une nouvelle start-up annonçant une nouvelle méthode pour exploiter l’action communautaire. Ces changements sont le signe que l’on se dirige lentement mais sûrement vers une sorte de socialisme uniquement tourné vers le monde en réseau.

Mais on ne parle pas là du socialisme de votre grand-père. En fait, il existe une longue liste d’anciens mouvements qui n’ont rien à voir avec ce nouveau socialisme. Il ne s’agit pas de lutte des classes. Il ne s’agit pas d’anti-américanisme. Le socialisme numérique pourrait même être l’innovation américaine la plus récente. Alors que le socialisme du passé était une arme d’État, le socialisme numérique propose un socialisme sans État. Cette nouvelle variété de socialisme agit dans le monde de la culture et de l’économie, plutôt que dans celui de la politique… pour le moment.

Le communisme avec lequel Gates espérait salir les créateurs de Linux est né dans une période où les frontières étaient rigides, la communication centralisée, et l’industrie lourde et omniprésente. Ces contraintes ont donné naissance à une appropriation collective de la richesse qui remplaçait l’éclatant chaos du libre marché par des plans quinquennaux imposés par un politburo tout puissant.

Ce système d’exploitation politique a échoué, c’est le moins que l’on puisse dire. Cependant, contrairement aux vieilles souches du socialisme au drapeau rouge, le nouveau socialisme s’étend sur un Internet sans frontières, au travers d’une économie mondiale solidement intégrée. Il est conçu pour accroître l’autonomie individuelle et contrecarrer la centralisation. C’est la décentralisation à l’extrême.

Au lieu de cueillir dans des fermes collectives, nous récoltons dans des mondes collectifs. Plutôt que des usines d’État, nous avons des usines d’ordinateurs connectées à des coopératives virtuelles. On ne partage plus des forêts, des pelles ou des pioches, mais des applications, des scripts et des APIs. Au lieu de politburos sans visage, nous avons des méritocracies anonymes, où seul le résultat compte. Plus de production nationale, remplacée par la production des pairs. Finis les rationnements et subventions distribués par le gouvernement, place à l’abondance des biens gratuits.

Je reconnais que le terme socialisme fera forcément tiquer de nombreux lecteurs. Il porte en lui un énorme poids culturel, au même titre que d’autres termes associés tels que collectif, communautaire ou communal. J’utilise le mot socialisme parce que techniquement, c’est celui qui représente le mieux un ensemble de technologies dont l’efficience dépend des interactions sociales. L’action collective provient grosso modo de la richesse créée par les sites Web et les applications connectées à Internet lorsqu’ils exploitent du contenu fourni par les utilisateurs. Bien sûr, il existe un danger rhétorique à réunir autant de types d’organisation sous une bannière aussi provocatrice. Mais puisqu’il n’existe aucun terme qui soit vierge de toute connotation négative, autant donner une nouvelle chance à celui-là. Lorsque la multitude qui détient les moyens de production travaille pour atteindre un objectif commun et partage ses produits, quand elle contribue à l’effort sans toucher de salaire et en récolte les fruits sans bourse délier, il n’est pas déraisonnable de qualifier ce processus de socialisme.

À la fin des années 90, John Barlow, activiste, provocateur et hippie vieillissant, a désigné ce courant par le terme ironique de « point-communisme » (NdT : en référence au point, dot, des nom de domaines des sites Web comme framablog point org). Il le définissait comme une « main d’œuvre composée intégralement d’agents libres », « un don décentralisé ou une économie de troc où il n’existe pas de propriété et où l’architecture technologique définit l’espace politique ». En ce qui concerne la monnaie virtuelle, il avait raison. Mais il existe un aspect pour lequel le terme socialisme est inapproprié lorsqu’il s’agit de désigner ce qui est en train de se produire : il ne s’agit pas d’une idéologie. Il n’y a pas d’exigence de conviction explicite. C’est plutôt un éventail d’attitudes, de techniques et d’outils qui encouragent la collaboration, le partage, la mise en commun, la coordination, le pragmatisme, et une multitude de coopérations sociales nouvellement rendues possibles. C’est une frontière conceptuelle et un espace extrêmement fertile pour l’innovation.

Socialisme 2.0 - HistoriqueDans son livre publié en 2008, Here Comes Everybody (NdT : Voici venir chacun), le théoricien des médias Clay Chirky propose une hiérarchie utile pour classer ces nouveaux dispositifs. Des groupes de personnes commencent simplement par partager, puis ils progressent et passent à la coopération, à la collaboration et, pour finir, au collectivisme. À chaque étape, on constate un accroissement de la coordination. Une topographie du monde en ligne fait apparaître d’innombrables preuves de ce phénomène.

I. Le partage

Les masses connectées à l’Internet sont animées par une incroyable volonté de partage. Le nombre de photos personnelles postées sur Facebook ou MySpace est astronomique, et il y a fort à parier que l’écrasante majorité des photos prises avec un appareil photo numérique sont partagées d’une façon ou d’une autre. Sans parler des mises à jour du statut de son identité numérique, des indications géographiques, des bribes de réflexion que chacun publie çà et là. Ajoutez-y les six milliards de vidéos vues tous les mois sur Youtube pour les seuls États-Unis et les millions de récits issus de l’imagination de fans d’œuvres existantes. La liste des sites de partage est presque infinie : Yelp pour les critiques, Loopt pour la géolocalisation, Delicious pour les marque-pages.

Le partage est la forme de socialisme la plus tempérée, mais elle sert de fondation aux niveaux les plus élevés de l’engagement communautaire.

II. La coopération

Lorsque des particuliers travaillent ensemble à atteindre un objectif d’envergure, les résultats apparaissent au niveau du groupe. Les amateurs n’ont pas seulement partagé plus de trois milliards de photos sur Flickr, ils les ont aussi associées à des catégories ou des mots-clés ou les ont étiquetées (NdT : les tags). D’autres membres de la communauté regroupent les images dans des albums. L’usage des populaires licences Creative Commons aboutit à ce que, d’une façon communautaire, voire communiste, votre photo devienne ma photo. Tout le monde peut utiliser une photo, exactement comme un communiste pourrait utiliser la brouette de la communauté. Je n’ai pas besoin de prendre une nouvelle photo de la tour Eiffel, puisque la communauté peut m’en fournir une bien meilleure que la mienne.

Des milliers de sites d’agrégation emploient la même dynamique sociale pour un bénéfice triple. Premièrement, la technologie assiste directement les utilisateurs, en leur permettant d’étiqueter, marquer, noter et archiver du contenu pour leur propre usage. Deuxièmement, d’autres utilisateurs profitent des tags et des marque-pages des autres… Et tout ceci, au final, crée souvent une valeur ajoutée que seul le groupe dans son ensemble peut apporter. Par exemple, des photos d’un même endroit prises sous différents angles peuvent être assemblées pour former une reproduction du lieu en 3D stupéfiante. (Allez voir du côté de Photosynth de Microsoft). Curieusement, cette proposition va plus loin que la promesse socialiste du « chacun contribue selon ses moyens, chacun reçoit selon ses besoins », puisqu’elle améliore votre contribution et fournit plus que ce dont vous avez besoin.

Les agrégateurs communautaires arrivent à d’incroyables résultats. Des sites tels que Digg ou Reddit, qui permettent aux utilisateurs de voter pour les liens qu’ils souhaitent mettre en évidence, peuvent orienter le débat public autant que les journaux ou les chaînes de télévision (pour info Reddit appartient à la maison mère de Wired, Condé Nast). Ceux qui contribuent sérieusement à ces sites y consacrent plus d’énergie qu’ils ne pourront jamais en recevoir en retour, mais ils continuent en partie à cause du pouvoir culturel que représentent ces outils. L’influence d’un participant s’étend bien au-delà d’un simple vote, et l’influence collective de la communauté surpasse de loin le nombre de ses participants. C’est l’essence même des institutions sociales, l’ensemble dépasse la somme de ses composants. Le socialisme traditionnel visait à propulser cette dynamique par le biais de l’État. Désormais dissociée du gouvernement et accrochée à la matrice numérique mondiale, cette force insaisissable s’exerce à une échelle plus importante que jamais.

III. La collaboration

La collaboration organisée peut produire des résultats dépassant ceux d’une coopération improvisée. Les centaines de projets de logiciel Open Source, tel que le serveur Web Apache, en sont le parfait exemple. Dans ces aventures, des outils finement ciselés par la communauté génèrent des produits de haute qualité à partir du travail coordonné de milliers ou dizaines de milliers de membres. Contrairement à la coopération traditionnelle, la collaboration sur d’énormes projets complexes n’apporte aux participants que des bénéfices indirects, puisque chaque membre du groupe n’intervient que sur une petite partie du produit final. Un développeur motivé peut passer des mois à écrire le code d’une infime partie d’un logiciel dont l’état global est encore à des années-lumière de son objectif. En fait, du point de vue du marché libre, le rapport travail/récompense est tellement dérisoire (les membres du projet fournissent d’immenses quantités de travail à haute valeur ajoutée sans être payés) que ces efforts collaboratifs n’ont aucun sens au sein du capitalisme.

Pour ajouter à la dissonance économique, nous avons pris l’habitude de profiter du fruit de ces collaborations sans mettre la main à la poche. Plutôt que de l’argent, ceux qui participent à la production collaborative gagnent en crédit, statut, réputation, plaisir, satisfaction et expérience. En plus d’être gratuit, le produit peut être copié librement et servir de socle à d’autres produits. Les schémas alternatifs de gestion de la propriété intellectuelle, parmi lesquelles Creative Commons ou les licences GNU, ont été créés pour garantir ces libertés.

En soi, la collaboration n’a bien sûr rien de spécialement socialiste. Mais les outils collaboratifs en ligne facilitent un style communautaire de production qui exclut les investisseurs capitalistes et maintient la propriété dans les mains de ceux qui travaillent, voire dans celles des masses consommatrices.

IV Le collectivisme

Socialisme 2.0 - Ancien / NouveauAlors qu’une encyclopédie peut être rédigée de façon coopérative, nul n’est tenu pour responsable si la communauté ne parvient pas au consensus, et l’absence d’accord ne met pas en danger l’entreprise dans son ensemble. L’objectif d’un collectif est cependant de concevoir un système où des pairs autogérés prennent la responsabilité de processus critiques, et où des décisions difficiles, comme par exemple définir des priorités, sont prises par l’ensemble des acteurs. L’Histoire abonde de ces centaines de groupes collectivistes de petite taille qui ont essayé ce mode de fonctionnement. Les résultats se sont révélés peu encourageants (quand bien même on ne tienne pas compte de Jim Jones et de la « famille » de Charles Manson).

Or, une étude approfondie du noyau dirigeant de Wikipédia, Linux ou OpenOffice, par exemple, montre que ces projets sont plus éloignés de l’idéal collectiviste qu’on pourrait le croire vu de l’extérieur. Des millions de rédacteurs contribuent à Wikipédia, mais c’est un nombre plus restreint d’éditeurs (environ mille cinq cents) qui est responsable de la majorité de l’édition. Il en va de même pour les collectifs qui écrivent du code. Une myriade de contributions est gérée par un groupe plus réduit de coordinateurs. Comme Mitch Kapor, membre fondateur de la Mozilla Open Source Code Factory, le formule : « au cœur de toutes les anarchies qui marchent, il y a un réseau à l’ancienne ».

Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Certaines formes de collectivisme tirent avantage de la hiérarchie, alors que d’autres en souffrent. Des plateformes tels qu’Internet et Facebook, ou même la démocratie, qui servent de substrat à la production de biens ou à la fourniture de services, profitent de l’absence quasi totale de hiérarchie, laquelle réduit les obstacles à l’intégration et permet la répartition équitable des droits et responsabilités. Lorsque des acteurs puissants émergent, la structure dans son ensemble souffre. D’un autre côté, les organisations bâties pour créer des produits ont souvent besoin de dirigeants forts, et de hiérarchies organisées capable de se projeter dans l’avenir : l’un des niveaux se concentre sur les besoins immédiats, l’autre sur les cinq années à venir.

Par le passé, il était quasi impossible de construire une organisation qui exploitait la hiérarchie tout en maximisant le collectivisme. Désormais, les réseaux numériques fournissent l’infrastructure nécessaire. Le Net donne la possibilité aux organisations concentrées sur le produit de fonctionner collectivement, tout en empêchant la hiérarchie d’en prendre totalement le pouvoir. L’organisation qui conçoit MySQL, une base de données Open Source, n’est pas animée par un refus romantique de la hiérarchie, mais elle est bien plus collectiviste qu’Oracle. De la même manière, Wikipédia n’est pas un bastion d’égalité, mais elle est largement plus collectiviste que l’encyclopédie Britannica. Le cœur élitiste que nous trouvons au centre des collectifs en ligne est en fait un signe que le socialisme sans État peut fonctionner à grande échelle.

La plupart des occidentaux, moi y compris, ont été endoctrinés par l’idée que l’extension du pouvoir des individus réduit forcément le pouvoir de l’État, et vice versa. Pourtant, dans la pratique, la plupart des politiques socialisent certaines ressources et en individualisent d’autres. Les économies de marché ont pour la plupart socialisé l’éducation, et même les sociétés les plus socialisées autorisent une certaine forme de propriété privée.

Plutôt que de voir le socialisme technologique comme une sorte de compromis à somme nulle entre l’individualisme du marché libre et une autorité centralisée, on peut le considérer comme un système d’exploitation culturel qui élève en même temps l’individu et le groupe. Le but, largement désarticulé mais intuitivement compréhensible, de la technologie communautaire consiste à maximiser l’autonomie individuelle et le pouvoir de ceux qui travaillent ensemble. Ainsi, on peut voir le socialisme numérique comme une troisième voie rendant les vieux débats obsolètes.

Ce concept de troisième voie est également rapporté par Yochai Benkler, auteur de The Wealth of Networks (NdT : La richesse des réseaux), qui a probablement réfléchi plus que quiconque aux politiques des réseaux. Il affirme voir « l’émergence de la production sociale et de la production collective comme une alternative aux systèmes propriétaires et fermés, basés sur l’État ou le marché », notant que ces activités « peuvent accroître la créativité, la productivité et la liberté ». Le nouveau système d’exploitation, ce n’est ni le communisme classique et sa planification centralisée sans propriété privée, ni le chaos absolu du marché libre. C’est au contraire un espace de création émergeant, dans lequel la coordination publique décentralisée peut résoudre des problèmes et créer des richesses, là où ni le communisme ni le capitalisme purs et durs n’en sont capables.

Les systèmes hybrides qui mélangent les mécanismes marchands et non marchands ne sont pas nouveaux. Depuis des décennies, les chercheurs étudient les méthodes de production décentralisées et socialisées des coopératives du nord de l’Italie et du Pays Basque, dans lesquelles les employés sont les propriétaires, prennent les décisions, limitent la distribution des profits et sont indépendants du contrôle de l’État. Mais seule l’arrivée de la collaboration à bas prix, instantanée et omniprésente que permet Internet a rendu possible la migration du cœur de ces idées vers de nombreux nouveaux domaines telle que l’écriture de logiciels de pointe ou de livres de référence.

Le rêve, ce serait que cette troisième voie aille au-delà des expériences locales. Jusqu’où ? Ohloh, une entreprise qui analyse l’industrie de l’Open Source, a établi une liste d’environ deux cent cinquante mille personnes travaillant sur deux cent soixante-quinze mille projets. C’est à peu près la taille de General Motors et cela représente énormément de gens travaillant gratuitement, même si ce n’est pas à temps complet. Imaginez si tous les employés de General Motors n’étaient pas payés, tout en continuant à produire des automobiles !

Jusqu’à présent, les efforts les plus importants ont été ceux des projets Open Source, dont des projets comme Apache gèrent plusieurs centaines de contributeurs, environ la taille d’un village. Selon une étude récente, la version 9 de Fedora, sortie l’année dernière, représenterait soixante mille années-homme de travail. Nous avons ainsi la preuve que l’auto-assemblage et la dynamique du partage peuvent gouverner un projet à l’échelle d’une ville ou d’un village décentralisé.

Évidemment, le recensement total des participants au travail collectif en ligne va bien au-delà. YouTube revendique quelques trois cent cinquante millions de visiteurs mensuels. Presque dix millions d’utilisateurs enregistrés ont contribué à Wikipédia, cent soixante mille d’entre eux sont actifs. Plus de trente-cinq millions de personnes ont publié et étiqueté plus de trois milliards de photos et vidéos sur Flickr. Yahoo héberge près de huit millions de groupes sur tous les sujets possibles et imaginables. Google en compte près de quatre millions.

Ces chiffres ne représentent toujours pas l’équivalent d’une entière nation. Peut-être ces projets ne deviendront-ils jamais grand public (mais si Youtube n’est pas un phénomène grand public, qu’est-ce qui l’est ?). Pourtant, la population qui baigne dans les médias socialisés est indéniablement significative. Le nombre de personnes qui créent gratuitement, partagent gratuitement et utilisent gratuitement, qui sont membres de fermes logicielles collectives, qui travaillent sur des projets nécessitant des décisions collectives, ou qui expérimentent les bénéfices du socialisme décentralisé, ce nombre a atteint des millions et progresse en permanence. Des révolutions sont nées avec bien moins que cela.

On pourrait s’attendre à de la démagogie de la part de ceux qui construisent une alternative au capitalisme et au corporatisme. Mais les développeurs qui conçoivent des outils de partage ne se voient pas eux-mêmes comme des révolutionnaires. On n’est pas en train d’organiser de nouveaux partis politiques dans les salles de réunions, du moins pas aux États-Unis (en Suède, le Parti Pirate s’est formé sur une plateforme de partage, et il a remporté un piètre 0,63% des votes aux élections nationales de 2006).

En fait, les leaders du nouveau socialisme sont extrêmement pragmatiques. Une étude a été menée auprès de deux mille sept cent quatre-vingt-quatre développeurs Open Source afin d’analyser leurs motivations. La plus commune d’entre elles est « apprendre et développer de nouvelles compétences ». C’est une approche pratique. La vision académique de cette motivation pourrait être : « si je bosse sur du code libre, c’est surtout pour améliorer le logiciel ». En gros, la politique pour la politique n’est pas assez tangible.

Même ceux qui restent et ne participent pas au mouvement pourraient ne pas être politiquement insensibles à la marée montante du partage, de la coopération, de la collaboration et du collectivisme. Pour la première fois depuis des années, des pontes de la télévision et des grands magazines nationaux osent prononcer le mot tabou « socialisme », désormais reconnu comme une force qui compte dans la politique des États-Unis. À l’évidence, la tendance à la nationalisation de grosses portions de l’industrie, à l’établissement d’un système de santé public et à la création d’emplois avec l’argent du contribuable n’est pas dû en totalité au techno-socialisme. Ainsi les dernières élections ont démontré le pouvoir d’une base décentralisée et active sur le Web, dont le cœur bat au rythme de la collaboration numérique. Plus nous tirons les bénéfices d’une telle collaboration, plus nous nous ouvrons la porte à un avenir d’institutions socialistes au gouvernement. Le système coercitif et totalitaire de la Corée du Nord n’est plus, le futur est un modèle hybride qui s’inspire de Wikipédia et du socialisme modéré de la Suède.

Jusqu’où ce mouvement nous rapprochera-t-il d’une société non capitaliste, Open Source, à la productivité collaborative ? Chaque fois cette question apparue, la réponse a été : plus près que nous le pensons. Prenons Craigslist, par exemple. Ce ne sont que des petites annonces classées, n’est-ce pas ? Pourtant, ce site a démultiplié l’efficacité d’une sorte de troc communautaire pour toucher un public régional, puis l’a amélioré en intégrant des images et des mises à jour en temps réel, jusqu’à devenir soudain un trésor national. Fonctionnant sans financement ni contrôle public, connectant les citoyens entre eux sans intermédiaire, cette place de marché essentiellement gratuite produit du bien et du lien social avec une efficacité qui laisserait pantois n’importe quel gouvernement ou organisation traditionnelle. Bien sûr, elle ébranle le modèle économique des journaux, mais en même temps il devient indiscutable que le modèle de partage est une alternative viable aux entreprises à la recherche permanente de profits et aux institutions civiques financées par les impôts.

Qui aurait cru que des paysans précaires pourraient obtenir et rembourser des prêts de cent dollars accordés par de parfaits étrangers vivant à l’autre bout du monde ? C’est ce que réussit Kiva en fournissant des prêts de pair-à-pair. Tous les experts de santé publique ont déclaré sous le sceau de la confidentialité que le partage, ça convenait pour les photos, mais que personne ne partagerait son dossier médical. Pourtant, PatientsLikeMe, où les patients mettent en commun les résultats de leurs traitements pour échanger et mieux prendre soin d’eux-mêmes, a montré que l’action collective peut contredire les médecins et leurs craintes concernant la confidentialité.

L’habitude de plus en plus répandue qui consiste à partager ce que vous pensez (Twitter), ce que vous lisez (StumbleUpon), ce que vous gagnez (Wesabe), bref tout et n’importe quoi (le Web) est en train de prendre une place essentielle dans notre culture. En faire de même en créant des encyclopédies, des agences de presse, des archives vidéo, des forges logicielles, de façon collaborative, dans des groupes rassemblant des contributeurs du monde entier sans distinction de classe sociale, voilà ce qui fait du socialisme politique la prochaine étape logique.

Un phénomène similaire s’est produit avec les marchés libres du siècle dernier. Chaque jour, quelqu’un demandait : « Y a-t-il quelque chose que les marchés ne peuvent pas faire ? ». Et on établissait ainsi une liste de problèmes qui semblaient nécessiter une planification rationnelle ou un mode de gouvernance paternaliste en leur appliquant une logique de place de marché. Dans la plupart des cas, c’était la solution du marché qui fonctionnait le mieux, et de loin. Les gains de prospérité des décennies récentes ont été obtenus en appliquant les recettes du marché aux problèmes sociaux.

Nous essayons aujourd’hui d’en faire de même avec la technologie sociale collaborative, en appliquant le socialisme numérique à une liste de souhaits toujours plus grande (jusqu’aux problèmes que le marché libre n’a su résoudre) pour voir si cela fonctionne. Pour l’instant, les résultats ont été impressionnants. Partout, la puissance du partage, de la coopération, de la collaboration, de l’ouverture, de la transparence et de la gratuité s’est montrée plus pragmatique que nous autres capitalistes le pensions possible. À chaque nouvelle tentative, nous découvrons que le pouvoir du nouveau socialisme est plus grand que nous ne l’imaginions.

Nous sous-estimons la capacité de nos outils à remodeler nos esprits. Croyions-nous réellement que nous pourrions construire de manière collaborative et habiter des mondes virtuels à longueur de temps sans que notre perception de la réalité en soit affectée ? La force du socialisme en ligne s’accroît. Son dynamisme s’étend au-delà des électrons, peut-être même jusqu’aux élections.