Logiciel libre et économie de la contribution : le temps de la déprolétarisation

Le 6 mars dernier Philippe Aigrain et Jérémie Zimmermann étaient invités par Alain Giffard et Bernard Stiegler dans le cadre des rencontres du Théâtre de la Colline de l’association Ars Industrialis.

Le titre était alléchant : Logiciel libre et économie de la contribution : le temps de la déprolétarisation.

Et la présentation tout autant :

Nous y accueillerons Philippe Aigrain et Jeremie Zimmermann, avec lesquels nous débattrons des enjeux du logiciel libre du point de vue d’une économie de la contribution, dans un contexte industriel marqué par une extraordinaire croissance des technologies numériques, qui pénètrent désormais pratiquement tous les aspects de la vie quotidienne. Mais nous examinerons aussi cette question dans le souci de réfléchir aux possibilités et aux spécificités du modèle contributif dans d’autres secteurs que l’économie numérique elle-même.

Plus généralement, nous mettrons à l’épreuve l’hypothèse selon laquelle le mouvement culturel, social et professionnel du logiciel libre et des creative commons constituent un précédent historique avec lequel, pour la première fois dans l’histoire industrielle, une tendance qui conduisait à ce que les processus de prolétarisation, c’est à dire de pertes de savoirs, affectant progressivement tous les acteurs de la société industrielle (producteurs, consommateurs, concepteurs, mais aussi investisseurs devenus spéculateurs), semble se renverser en une tendance contraire, où la technologie industrielle est mise au service de la reconstitution de communautés de savoirs.

C’est comme extension de ce mouvement et des nouvelles caractéristiques organisationnelles sur lesquelles il repose que le modèle du logiciel libre, qui constitue la matrice de l’économie de la contribution, annoncerait le dépassement des modèles industriels productivistes et consuméristes.

Quelle frustration de ne pouvoir en être !

Mais merci à Christian Fauré d’avoir enregistré ce débat de haute volée (ce dernier précise : « la discussion qui a suivi a été vraiment exceptionnelle, par exemple lors de l’intervention d’Alain Pierrot, vous la retrouverez bientôt sur le site d’Ars Industrialis »).

Bernard Stiegler

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Philippe Aigrain

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Jérémie Zimmermann

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Alain Giffard

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Quand Google fait l’ange avec nos données

The Data Liberation Front - GoogleGoogle fait peur et Google le sait. Alors Google fait de gros efforts pour tenter de nous rassurer.

Mais cela sera-t-il suffisant ? Google n’est-il pas devenu intrinsèquement trop gros, quelle que soit la manière dont il brasse nos nombreuses données personnelles, quelle que soit l’indéniable qualité de sa myriade de services et de produits ?

Telle est la vaste question du jour, tapie derrière notre traduction évoquant leur projet du « Front de Libération des Données ».

La page d’accueil Google propose depuis peu un petit lien Confidentialité en bas du champ de recherche. Il vous mènera au portail google.fr/privacy qui a pour titre Centre de confidentialité : Transparence et liberté de choix.

Chez Google, nous sommes parfaitement conscients de la confiance que vous nous accordez, ainsi que de notre devoir de protéger la confidentialité de vos données. À cette fin, vous êtes informé des données qui sont collectées lorsque vous utilisez nos produits et services. Nous vous indiquons en quoi ces informations nous seront utiles et comment elles nous permettront d’améliorer les services que nous vous proposons.

On y décline alors la philosophie Google résumée en « cinq principes de confidentialité » et illustrée par cette vidéo que je vous invite à parcourir et qui témoigne une fois de plus de la maîtrise didactique de Google dans sa communication.

Du lard ou du cochon ? De l’art de faire l’ange quand on fait la bête ? Les commentaires accueilleront peut-être certaines de vos réactions.

En attendant la vidéo fait référence à un récent service, le Google Dashboard, qui est censé vous permettre de « savoir ce que Google sait de vous » en centralisant en un unique endroit toutes les informations collectées associées à votre compte Google (Gmail, Google Docs, Agenda, Maps, etc.) et à ses services connexes (YouTube, Picasa, etc.). Pour en avoir un bref aperçu, là encore, nouvelle et toujours efficace vidéo dédiée.

Cette initiative est louable parce qu’elle vous expose à priori la situation en vous facilitant la modification des paramétrages. Mais elle est à double tranchant parce que vous vous rendez compte d’un coup d’un seul de l’étendu de la pieuvre Google et de la quantité impressionnante de vos données que Google peut potentiellement manipuler. Et puis n’oublions jamais la force d’inertie du paramétrage par défaut.

La vidéo nous parle également du « Data Liberation Front », ou « Front de Libération des Données » en français, dont le logo ouvre ce billet. Ce n’est pas un nouveau mouvement révolutionnaire mais un projet interne qui œuvre à ce que l’assertion suivante devienne réalité :

Nous voulons que nos utilisateurs restent chez nous parce qu’ils le souhaitent, non parce qu’ils ne peuvent plus en sortir.

Il s’agit donc en théorie de pouvoir facilement quitter Google en listant sur un site, service par service, les procédures à suivre pour exporter nos fichiers et nos données depuis les serveurs de Google vers notre disque dur local dans des formats standards et ouverts. Les manipulations à réaliser ne sont pas toujours des plus simples (quand elles existent effectivement), mais le projet nous dit qu’il travaille justement à constamment améliorer cela.

On retrouve cette idée, lorsque Google nous affirme que « Competition is just one click away », autrement dit que tout est fait pour qu’il suffise d’un clic de souris pour s’en aller chez un concurrent, et que les autres devraient en faire autant pour que s’établisse une saine compétition. Pas sûr que Microsoft soit sensible à l’argument.

Centre de confidentialité, Google Dashboard, Data Liberation Front, One click away, Sens de l’ouverture… il n’y a pas à dire, Google met les bouchées doubles pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec son fameux slogan « Don’t be evil ».

Alors, convaincu ?

Dans l’affirmative, remercions Google pour son souci de transparence et continuons à lui faire confiance, sachant alors que le futur et novateur système d’exploitation Google Chrome OS vous tend les bras. Point trop d’inquiétudes mal placées, vos données sont bien au chaud dans les nuages.

Dans le cas contraire, c’est plutôt un « Google Liberation Front » qu’il va falloir songer à créer !

Pourquoi Google vous laisse facilement quitter Google

Why Google makes it easy to leave Google

Nate Anderson – 1 mars 2010 – Ars Technica
(Traduction Framalang : Goofy et Don Rico)

Nous avons déjà évoqué le Front de Libération des Données de Google (FLD) l’année dernière, lorsque ce projet a été rendu public, mais depuis, qu’a fait l’équipe interne de Google qui se consacre à l’exportation des données ? Eh bien… elle a créé des autocollants, pour commencer.

« DONNÉES ÉLEVÉES EN PLEIN AIR », proclament-ils, ce qui résume en quelques mots les efforts du Front de Libération des Données. L’objectif de l’équipe n’est rien moins que de permettre aux utilisateurs de quitter plus facilement Google et ses multiples services, en emportant avec eux leurs courriels, leurs photos et tous leurs documents.

Les travaux les plus récents concernaient Google Docs, qui propose désormais une option pour télécharger en masse. Sélectionnez les documents que vous désirez, cliquez sur un bouton, Google les archive en un seul fichier .zip (jusqu’à 2Go) et vous les envoie par e-mail.

Au cours d’une récente visite aux bureaux de Google à Chicago, où le FLD est basé, nous avons discuté avec Brian Fitzpatrick, qui dirige l’équipe, pour savoir plus en détail pourquoi il souhaite que l’on puisse s’affranchir facilement des services Google, et comment il compte s’y prendre.

Empêcher l’inertie

Il est certain que lancer cette initiative estampillée « ne faites pas le mal » au sein de l’entreprise est une bonne manœuvre de communication, mais le FLD ne découle pas d’une décision prise au sommet de la hiérarchie. Fitzpatrick déclare qu’en ce qui le concerne, il a « commencé en toute naïveté ». Après avoir écouté pendant des années le président Eric Schmidt déployer son éloquence pour expliquer combien il est important de ne pas enfermer les utilisateurs, Fitzpatrick a remarqué que certains produits Google compliquaient l’application de cette politique.

Le FLD est l’émanation de son travail de réflexion. L’équipe existe depuis deux ans maintenant, et depuis les choses ont changé : à ses débuts, c’est elle qui allait trouver les autres équipes d’ingénieurs, mais à présent, selon Fitzpatrick, ce sont ces dernières qui « viennent nous consulter » pour savoir comment elles s’en tirent.

La rétention des données n’est pas mauvaise que pour les utilisateurs ; Fitzpatrick estime qu’elle est aussi mauvaise pour Google. « Si l’on crée une base d’utilisateurs verrouillée, avance-t-il, on devient forcément complaisant avec soi-même ».

Rendre aussi facile l’abandon de Google Docs que celui du moteur de recherche de Google force Google à cultiver un de ses points forts : engager des collaborateurs brillants. Le travail du FLD « met en effervescence les équipes d’ingénieurs », explique Fitzpatrick, puisque les ingénieurs doivent satisfaire les utilisateurs en innovant, et non en les mettant en cage.

The Data Liberation Front - Google - Sticker

Les utilisateurs se préoccupent-ils vraiment de la libération de leurs données ? Certains, oui, mais l’utilisation des fonctions d’exportation demeure limitée. Google enregistre « un niveau constamment faible de l’usage de ces fonctions », déclare un ingénieur de l’équipe, particulièrement quand le géant de la recherche choisit d’abandonner des services peu performants.

Disposer d’outils d’exportation facilite également de telles interruptions de services ; souvenez-vous des problèmes rencontrés par les sites de vente de musique bardés de DRM, lorsqu’ils ont finalement tenté de fermer leurs serveurs de DRM. Grâce à l’ouverture des données de Google, l’entreprise évite ce genre de critiques publiques quand survient une fermeture de service, comme lorsque Google Notebook a été mis au rebut.

Nicole Wong, conseillère juridique adjointe de Google, nous a confié que Google prend le FLD au sérieux pour deux raisons : d’abord, il donne le contrôle aux utilisateurs, et ensuite, « quand nous déclarons qu’il suffit d’un clic pour passer à la concurrence, des initiatives telles que le FLD le prouvent ».

Ce dernier commentaire nous rappelle que l’ouverture représente un réel bénéfice stratégique pour l’entreprise qui va bien au-delà de la conception des produits et du pouvoir accordé à l’utilisateur. Google est de plus en plus en ligne de mire des investigations antitrust, de la part du ministère de la Justice américain, et subit déjà des enquêtes en Europe au nom de la lutte antitrust. Le FLD est ainsi un argument de plus que Google peut employer pour démontrer qu’il n’est pas un Cerbère pour usagers captifs.

Il arrive que l’équipe du FLD affronte les critiques de ceux qui accusent Google de ne rendre « libres » et exportables que les données à faible valeur marchande pour l’entreprise (voyez par exemple ce commentaire du chercheur Ben Edelman à propos de la récupération des données Adwords). Mais depuis sa création, le FLD a travaillé avec plus de vingt-cinq équipes de Google pour faciliter l’exportation des données, et nul doute que ses efforts concernant les applications comme Google Docs sont une bonne nouvelle pour les utilisateurs.

« Nous nous efforçons de provoquer une plus grande prise de conscience au sein de l’entreprise, » déclare Fitzpatrick, tout en admettant avec une petite grimace qu’il n’a aucun « pouvoir » réel sur les décisions des différents chefs de projet.

On peut toujours aller plus loin. L’équipe surveille la page du modérateur Google, sur laquelle les utilisateurs peuvent soumettre des suggestions – et elles sont nombreuses. « Mes contacts Gmail — pouvoir les exporter, et ré-importer une version modifiée, sans copier chaque élément un à un » propose l’un d’eux. « Ajouter les microformats hCalendar à l’agenda Google, pour pouvoir réutiliser partout ailleurs les rendez-vous enregistrés » suggère un autre. « Je veux récupérer l’historique de mon tchat avec Gmail », réclame un troisième.

Fitzpatrick promet que d’autres avancées vont suivre, bien qu’il ne puisse pas parler des projets qui sont dans les incubateurs. Ce qu’il peut faire, pour l’instant, c’est vous envoyer un autocollant.




Mardi 4 mai 2010 : Journée Mondiale contre les DRM

Martin Krzywinski - CC byLe 21 mars 2010 aura lieu la dixième édition de l’initiative Libre en Fête, permettant de faire découvrir le logiciel libre sur tout le territoire français.

Mais il n’y a pas que des journées de promotion. Dicté par le contexte actuel, il existe également des journées de résistance.

Ainsi en va-t-il du 4 mai prochain que la Free Software Foundation et l’Open Rights Group ont décidé d’ériger en « Journée Mondiale contre les DRM », (ou GDN en français, pour Gestion des Droits Numériques).

Il faut dire que le sujet est malheureusement toujours, voire plus que jamais, d’actualité. Pour s’en convaincre il suffit de parcourir cette longue chronologie non exhaustive de faits et de méfaits qui courent sur une décennie sur le site Defective by Design (la lecture de l’article dédié de Wikipédia étant également particulièrement instructive)[1].

Il y a un choix à faire (ou tout du moins accepter les alternatives). Soit contraindre la technologie actuelle pour la forcer artificiellement à rentrer dans les cases de la production de valeur de l’économie d’avant (fondée principalement sur la captation du client et la rareté du produit). Soit s’adapter et tirer parti des formidables possibilités de création et d’échanges liées à l’interopérabilité des fichiers, leur copie et leur remix à coût marginal, ainsi que leur diffusion massive et rapide sur le réseau.

En 1997, Richard Stallman écrivait sa nouvelle Le droit de lire. De la pure science-fiction (ou du délire paranoïaque) a-t-on pu alors penser. Sauf qu’en 2009, Amazon a décidé, sans préavis et sans accord préalable, de s’introduire dans le Kindle de ses clients pour en effacer tous les romans 1984 de George Orwell (notes des lecteurs incluses). La réalité peut toujours dépasser la fiction…

Journée mondiale contre les DRM : mardi 4 mai 2010

Day Against DRM: Tuesday, May 4th 2010

Holmes Wilson- 25 février 2010 – Communiqué FSF
(Traduction Framalang : Don Rico)

« Chaque fois qu’une entreprise conçoit des produits destinés à limiter nos libertés, nous devons nous organiser afin de déjouer ses projets » — Richard Stallman, président de la FSF.

Le 25 février, des groupes pour la défense de la justice sociale et les droits en ligne ont annoncé que le mardi 4 mai 2010 aura lieu la Journée Mondiale contre les DRM.

La Journée contre les DRM réunira de nombreux acteurs — organisations pour l’intérêt public, sites Internet et citoyens —, qui mettront sur pied une opération destinée à attirer l’attention de l’opinion publique sur les dangers d’une technologie qui restreint l’accès des utilisateurs aux films, à la musique, à la littérature, aux logiciels, et d’ordre plus général à toutes les formes de données numériques. De nombreux dispositifs de DRM enregistrent les activités de l’utilisateur et transmettent leurs données aux grosses entreprises qui les imposent.

Dans le cadre de sa campagne anti-DRM, Defective by Design, la Free Software Foundation (FSF) participera à la coordination des activistes anti-DRM de par le monde pour mobiliser l’opinion publique contre cette technologie antisociale. Il a aussi été publié un billet offrant un bref historique d’une Décennie de DRM (NdT : Decade in DRM).

« Les DRM s’en prennent à votre liberté à deux égards. Leur but est d’attaquer votre liberté en limitant l’utilisation que vous pouvez faire de vos copies d’œuvres numériques. Pour cela, ils vous obligent à utiliser des logiciels privateurs, dont vous ne contrôlez pas les actions. Chaque fois qu’une entreprise conçoit des produits destinés à limiter nos libertés, nous devons nous organiser afin de déjouer ses projets, » a déclaré Richard Stallman, le président de la FSF.

Jim Killock, le directeur exécutif de l’Open Rights Group, précise quant à lui que « les dispositifs de DRM sont une catastrophe pour les usages légaux de musique, de films et de livres. Ils sont conçus pour enchaîner les utilisateurs à des logiciels et à des appareils particuliers, et anéantissent vos droits à l’usage de la liberté d’expression tels que l’information, l’enseignement et la critique. À cause des DRM, vous n’avez plus la maîtrise des données et êtes à la merci des fabricants. »

Richard Esguerra, de l’Electronic Frontier Foundation, partenaire de la Journée contre les DRM, explique que « Les activistes et les utilisateurs de technologie bien informés ont joué un rôle clé dans la dénonciation des méfaits des DRM à l’époque où les mesures techniques consistaient en programmes anticopie. À présent, les DRM évoluent car les entreprises cherchent à limiter les utilisateurs bien au-delà de leur capacité à copier des fichiers. La Journée mondiale contre les DRM est une nouvelle occasion de relever le défi et de se battre pour la liberté technologique. »

Les évènements, partenaires et partisans qui s’ajouteront à la « Journée contre les DRM » seront annoncés à mesure que la date approchera. Les organisations et les particuliers qui souhaitent s’impliquer peuvent contacter info@defectivebydesign.org ou se rendre sur le site http://defectivebydesign.org/ pour s’inscrire et suivre la campagne.

La Free Software Foundation

La Free Software Foundation, fondée en 1985, se consacre à la défense des droits des utilisateurs à utiliser, étudier, copier, modifier et redistribuer les programmes informatiques. La FSF promeut la conception et l’utilisation des logiciels libres — en particulier du système d’exploitation GNU et de ses dérivées GNU/Linux —, et d’une documentation libre pour les logiciels libres. La FSF contribue aussi à informer le public sur les questions éthiques et politiques qui sont en jeu dans la liberté d’utilisation des logiciels ; ses sites Web, que l’on trouve aux adresses fsf.org et gnu.org, offrent d’importantes sources d’information sur GNU/Linux. Si vous souhaitez soutenir financièrement l’action de la FSF, vous pouvez faire un don sur la page http://donate.fsf.org. Son siège se trouve à Boston, Massachusetts, aux États-Unis.

L’Open Rights Group

L’Open Rights Group est un groupe de défense des droits numériques basé au Royaume-Uni, qui vise à attirer l’attention sur les questions des droits numériques, à favoriser l’activité citoyenne, ainsi qu’à protéger et étendre les libertés civiques à l’ère numérique.

Notes

[1] Crédit photos : Martin Krzywinski (Creative Commons By) et Martin Krzywinski (Creative Commons By)




L’ACTA en l’état ne passera pas par moi !

Raïssa Bandou - CC by« Depuis le printemps 2008, l’Union européenne, les États-Unis, le Japon, le Canada, la Corée du Sud, l’Australie ainsi qu’un certain nombre d’autres pays négocient secrètement un accord commercial destiné à lutter contre la contrefaçon (Anti-Counterfeinting Trade Agreement ou ACTA). Suite à des fuites de documents confidentiels, il apparaît clairement que l’un des buts principaux de ce traité est de forcer les pays signataires à mettre en place des mesures de répression de partage d’œuvre sur Internet sous la forme de riposte graduée et de filtrage du Net.

Alors que d’importants débats ont lieu sur la nécessité d’adapter le droit d’auteur à l’ère numérique, ce traité cherche à contourner les processus démocratiques afin d’imposer, par la généralisation de mesures répressives, un régime juridique fondamentalement dépassé. »

Ainsi s’ouvre la rubrique ACTA du site de La Quadrature du Net qui nous demande aujourd’hui d’écrire à nos représentants pour appuyer une initiative de quatre eurodéputés s’opposant à l’accord.

Sur le fond comme dans la forme, cet accord s’apparente à un pur scandale. Ces petites négociations entre amis seraient passées comme une lettre à la poste il y a à peine plus de dix ans. Mais aujourd’hui il y a un caillou dans les souliers de ceux qui estiment bon de garder le secret[1]. Un caillou imprévu qui s’appelle Internet. Raison de plus pour eux de le museler et pour nous de résister…

Pour évoquer cela nous avons choisi de traduire un article de Cory Doctorow qui résume bien la (triste) situation et comment nous pouvons tous ensemble tenter d’y remédier.

ACTA et le Web : quand le copyright s’installe en douce

Copyright Undercover: ACTA & the Web

Cory Doctorow – 17 février 2010 – InternetEvolution.com
(Traduction Framalang : Tinou, Psychoslave, Barbidule, Goofy et Don Rico)

Introduction

Le septième round de négociations secrètes sur l’ACAC (Accord commercial anti-contrefaçon, en anglais ACTA) s’est achevé le mois dernier à Guadalajara (Mexique). Le silence radio sur ces négociations est quasi-total : tels les kremlinologues de l’ère soviétique, nous devons nous contenter d’interpréter les maigres indices qui transpirent au-delà des portes closes.

Voici ce que nous savons : l’idée que des traités fondamentaux sur le droit d’auteur puissent être négociés secrètement est en train de perdre du terrain partout dans le monde. Les législateurs des pays participant aux négociations exigent que ce processus soit ouvert à la presse, aux activistes et au public.

Pour leur répondre, les négociateurs soutiennent — de manière surprenante — que le traité ne modifiera en rien les lois de leur pays, et que seuls les autres états devront faire évoluer leur droit (comme tous ces pays ont des législations foncièrement divergentes en matière de droits d’auteur, quelqu’un ment forcément. Je parie qu’il mentent tous).

Nous connaissons enfin l’attitude des promoteurs de l’ACAC à l’égard du débat public : au cours de la terne « réunion publique » tenue avant que les négociations ne débutent, une activiste a été expulsée pour avoir ébruité sur Twitter un compte-rendu des promesses faites verbalement par les intervenants à la tribune. Alors qu’on l’emmenait, elle a été huée par les lobbyistes qui peuvent participer à ce traité dont sont exclus les simples citoyens.

Cette situation embarrasse toutes les parties concernées, mettant à nu une attitude pro-capitaliste dont l’intérêt dépasse largement le cadre du copyright. Cela doit cesser. Nous verrons dans cet article comment nous en sommes arrivés là, et ce que vous pouvez faire pour mettre un terme à cette menace.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Un peu d’histoire, pour ceux à qui les épisodes sous-médiatisés précédents auraient échappé : les traités internationaux sur le droit d’auteur émanent à l’origine d’une agence des Nations Unies appelé l’OMPI, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Au départ, il s’agissait d’une agence privée créée pour servir de bras armé aux grandes « industries de la propriété intellectuelle » (musique, films, produits pharmaceutiques, télévision, etc.). Elle a pris forme en tant que consortium d’industries du privé, puis a ultérieurement gagné une légitimité lors de son intégration à l’ONU.

La prise en compte par l’ONU a donné un pouvoir énorme aux intérêts privés qui ont fondé l’OMPI, mais dans le même temps cela signifiait qu’ils devaient suivre les règles de l’ONU, c’est-à-dire que les organismes non-gouvernementaux et la presse était autorisés à assister aux négociations, à en rendre compte et même à y participer. Au début des années 2000, le groupement d’intérêt public Knowledge Ecology International a commencé à embrigader d’autres organisations pour suivre les actions de l’OMPI.

Ah, au fait, j’étais l’un des délégués qui a rejoint cette vague, au nom de l’Electronic Frontier Foundation. Les militants présents à l’OMPI ont tué dans l’œuf le traité en cours de négociation, le Traité de Télédiffusion, et l’ont remplacé par un autre destiné à aider les personnes aveugles et handicapées, les archivistes et les éducateurs. Pas vraiment les actions prioritaires pour les grosses multinationales du divertissement.

Ils ont donc déplacé leurs forums. Depuis 2006, divers pays riches — les États-Unis, le Canada, le Japon, l’Union Européenne, l’Australie et d’autres – ont tenu une série de séances de rédaction de traité en comité privé, sous le sceau de la non-divulgation.

Tout secret connu de deux personnes ou plus finit toujours par s’éventer, aussi de nombreuses divulgations nous donnent-elles un aperçu du chapitre « Internet » du traité, où des dispositions ont été prises sur la gouvernance et les restrictions imposées au réseau mondial. Lisez donc la suite.

Ce qu’a fait l’ACAC jusqu’ici

Arrêtons-nous un instant pour parler des concepts de copyright, d’Internet, et de gouvernance. Historiquement, les lois sur le copyright ont été écrites par et au bénéfice des prestataires de l’industrie du divertissement. Les règles du copyright n’ont pas été pensées pour contrôler de façon appropriée un quelconque autre domaine: on n’essaie pas de caser des morceaux du code du travail, des lois sur la finance, l’éducation, la santé ou les campagnes électorales dans le système du copyright.

Mais dès que vous transférez ces activités à Internet, le copyright devient la première méthode de contrôle, faisant autorité sur tout. Il est impossible de faire quoi que ce soit sur Internet sans faire de copie (vous venez de créer entre 5 et 50 copies de cet article rien qu’en suivant le lien qui vous y a amené). Et comme le copyright régit la copie, toute règle qui touche à la copie touchera également à ces domaines.

Et c’est bien ce qui dérange dans le secret qui entoure l’ACAC, même quand on ne se préoccuppe pas de copyright, d’utilisation équitable (NdT : « fair use »), ou de tout autre sujet biscornu.

Divers brouillons de l’ACAC ont inclus l’obligation pour les FAI d’espionner leurs clients et d’interdire quoi que ce soit qui ressemble à une violation de copyright. (Cela signifie-t-il qu’on vous empêchera d’enregistrer une publicité trompeuse ou mensongère et de l’envoyer à votre député ?) L’ACAC a également soutenu la fouille des supports multimédia aux postes frontières pour y chercher des infractions au copyright (Les secrets professionnels de votre ordinateur portable, les données clients confidentielles, des correspondances personnelles, votre testament, vos coordonnées bancaires et les photos de vos enfants prenant leur bain pourraient être fouillées et copiées la prochaine fois que vous partez en voyage d’affaires).

L’ACAC a en outre appelé à la création de procédures simplifiées pour couper l’accès à Internet d’un foyer entier si l’un de ses membres est accusé d’une infraction (ainsi, votre épouse perdra la capacité de contacter par e-mail un praticien gériatre au sujet de la santé de grand-papa si votre enfant est soupçonné d’avoir téléchargé trop de fichiers par poste-à-poste (P2P).

Ce n’est pas tout, mais ce sont là quelques exemples des propositions principales des sommets secrets de l’ACAC.

Ce qui a eu lieu à Mexico et pourquoi vous devriez vous y intéresser

Je pense par ailleurs que toutes les ébauches de l’ACAC sont également mauvaises pour le copyright et les créations qu’il protège. Je suis l’un des nombreux artistes qui gagnent leur vie en ligne, et qui profitent d’un Internet libre et ouvert. Mes livres sont disponibles au téléchargement gratuit le jour même où mes éditeurs le mettent en rayon. Mon premier roman pour jeunes adultes – Little Brother (NdT : « Petit Frère ») – a atteint le classement des meilleurs ventes du New York Times grâce à cette stratégie.

Mais même si vous vous fichez éperdument de la musique, des films, des jeux ou des livres, vous devez prêter attention à l’ACAC.

Ceci dit, le fait est que nous ne savons presque rien de la façon dont s’est déroulée la septième réunion. Elle a assez mal démarré : lors d’une réunion d’information publique, les organisateurs de l’ACAC ont tenté de faire signer à l’assistance un accord de non-divulgation (lors d’une réunion publique !), et ont ensuite fait sortir une activiste qui ébruitait des notes sur les éléments publiés — elle a été évincée manu militari sous les huées des lobbyistes présents, outrés que le public puisse assister à la réunion.

Pendant la réunion, des membres de diverses représentations parlementaires de par le monde se sont levés au sein de leur institution, et ont exigé de prendre connaissance des détails du traité qui était négocié par le département du commerce de leur pays, sans la supervision de leur sénat ni de leur parlement. Les législateurs de toute l’Europe, les membres des parlements canadien et australien, et les représentants du Congrès des États-Unis se sont vu opposer un silence de marbre et de vagues garanties.

Ces assurances étant les seules informations publiques visibles que nous ayons sur la question, elles méritent notre attention : l’Union Européenne, les États-Unis et le Canada ont tous affirmé que rien dans l’ACAC n’aura d’impact sur le droit national dont les représentants élus sont responsables.

Au lieu de cela, ils prétendent que l’ACAC ne fait qu’incarner les lois nationales dans un accord international, ce qui dans les faits oblige tout le monde à s’aligner sur les lois existantes.

Cette absurdité — pourquoi négocier un traité qui ne changerait rien ? — devient encore plus ridicule lorsque l’on considère que l’Union Européenne, le Canada et les États-Unis ont des règles de droit d’auteur différentes et incompatibles sur les questions en discussion à l’ACAC. Il est littéralement impossible pour l’ACAC de parvenir à un ensemble de règles qui n’entraînerait pas de modifications pour tout le monde.

Ce que l’avenir nous réserve – et ce que vous pouvez faire

Certes, nous pourrions tous constater par nous-mêmes ce qui a été proposé, si seulement l’ACAC était ouvert au public, comme tous les autres traités sur le copyright mondial le sont depuis l’avènement d’Internet.

Là encore, voici une série de déclarations contradictoires sur lesquelles nous creuser la tête : le délégué en chef du commerce États-Unien dit que le secret est une condition requise par les partenaires des États-Unis. Or, la déclaration sur la confidentialité qui a été divulguée provient clairement des États-Unis. De nombreux États de l’UE sont sur le point de lancer un appel officiel pour la transparence de l’ACAC.

Pour ma part, je parie sur les États-Unis. L’industrie mondiale du divertissement a plus d’emprise là-bas que dans toute autre nation, et l’administration Obama est allée jusqu’à nier la loi sur la liberté de l’information (NdT « Freedom of Information Act ») pour le traité en prétextant des raisons de sécurité nationale. (Oui, la sécurité nationale ! Ceci est un traité de droit d’auteur, pas une liste des codes de lancement de missiles.) Et le Bureau du Représentant État-Unien au Commerce (ndt : « United States Trade Representative », USTR) a déclaré clairement que l’administration Obama prévoit de ratifier l’ACAC par décret, sans la faire passer par le Congrès.

Le prochain sommet de l’ACAC se déroulera en Nouvelle-Zélande en avril, et les militants se préparent pour la bataille. En Nouvelle-Zélande, les opposants au copyright (NdT : « copyfighters ») sont aguerris et prêts à en découdre, ayant récemment repoussé le règlement 92A qui aurait permis aux producteurs de cinéma et de musique de couper l’accès à Internet sur simple accusation — sans preuve — de violation de copyright.

Impliquez-vous. Appelez votre sénateur, votre député, votre euro-député. Dites-leur que vous voulez que l’ACTA soit négocié de façon ouverte, avec la participation du public et de la presse.

Refusez que des règles affectant les moindres recoins de votre vie en ligne soient décidées en douce par ceux qui ne défendent que les intérêts de leur portefeuille.

Cory Doctorow
Militant de l’Internet, blogueur – Co-rédacteur en chef de Boing Boing

Notes

[1] Crédit photo : Raïssa Bandou (Creative Commons By)




Si Google is not evil alors qu’il le prouve en libérant le format vidéo du Web !

Diegosaldiva - CC byQuel sera le futur format vidéo du Web ? Certainement plus le Flash dont les jours sont comptés. Mais quel nouveau format va alors s’imposer, un format ouvert au bénéfice de tous ou un format fermé dont le profit à court terme de quelques-uns se ferait au détriment des utilisateurs ?

Un acteur, à lui seul, possède semble-t-il la réponse ! Et c’est une fois encore de Google qu’il s’agit. Une réponse que la Free Software Foundation attend au tournant car elle en dira long sur les réelles intentions de la firme de Moutain View.

Tentative de résumé de la situation.

Faute de mieux, et alors qu’il n’avais pas été spécialement conçu pour jouer les premiers rôles, le format Flash Video d’Adobe (.flv) s’est imposé pendant des années comme format standard de fait de la vidéo en lecture continue (ou streamée) sur Internet, comme par exemple sur le site emblématique YouTube.

Pour le lire il nécessitait la présence d’un player Flash sur son ordinateur, ce qui a toujours posé problème aux Linuxiens puisque la technologie Flash est propriétaire et (en partie) fermée et qu’il n’est donc pas possible de l’inclure dans les distributions libres de GNU/Linux (ceux qui juste après une installation ont recherché comment lire ce satané format comprendront fort bien ce que je veux dire). Un problème si important que la FSF n’a pas hésité à le placer au top de ses priorités logicielles avec son projet de lecteur libre Gnash (juste en dessous d’un lecteur alternatif pour le format PDF, autre format problématique).

Mais tout ceci sera bientôt du passé car la nouvelle version du format des pages Web, le HTML5, est en train de changer la donne avec l’introduction de la balise <video> (cf cet article du Framablog pour en savoir plus : Building the world we want, not the one we have).

Exit le Flash donc dans nos vidéos du Web. D’ailleurs, coup de grâce, il ne figurera pas dans l’iPad et Steve Jobs aurait déclaré « ne pas vouloir perdre du temps sur une technologie dépassée aussi ringarde que les disquettes » !

Conséquence et grand progrès, on peut donc potentiellement lire directement les vidéos sur tout navigateur qui implémente le HTML5 (actuellement Firefox 3.5+, Safari 4+, Chrome 3+). Plus besoin de télécharger de plugins (Flash, QuickTime ou autre). Sauf que comme le dit Tristan Nitot « la spécification HTML5 précise comment un navigateur doit interpréter l’élément video, mais pas sur le format dans lequel doit être publiée la vidéo en question ».

Or justement deux formats sont les principaux candidats à la succession, l’un ouvert, que nous connaissons bien, le Ogg Theora (adopté notamment sur les projets Wikimedia), et l’autre fermé le H.264. Tristan Nitot expose avec la clarté qu’on lui connaît, la situation, ses contraintes et ses menaces, dans son billet Vidéo dans le navigateur : Theora ou H.264 ?.

Il en rajoute une couche sur Rue89 dans Firefox refuse que YouTube devienne « un club de riches » :

« Si le Web est si participatif, c’est parce qu’il n’y a pas de royalties pour participer et créer un contenu. (Faire le choix du H.264) serait hypothéquer l’avenir du Web. On créerait un îlot technologique, un club de riches : on pourrait produire du texte ou des images gratuitement, mais par contre, pour la vidéo, il faudrait payer. »

En effet, il en coûterait plusieurs millions par an à Mozilla si elle voulait intégrer le H.264 dans Firefox. Ce qu’elle ne pourrait pas se permettre et du coup si YouTube adoptait définitivement ce format (que la célèbre plate-forme teste actuellement), nous serions face à un choix cornélien : Firefox sans YouTube (et tous les autres sites de vidéos qui auront alors suivi YouTube, gageons qu’ils seront nombreux) ou YouTube sans Firefox.

Ceux qui pensent, comme Stallman, qu’on « ne brade pas sa liberté pour de simples questions de convenances » feront peut-être le premier choix. Mais pour le grand public, rien n’est moins sûr (c’est même sûr qu’il fera le choix inverse).

Or c’est un feuilleton à épisodes car un tout dernier évènement est venu semer le trouble en apportant son lot de spéculations. Un évènement passé un peu inaperçu à cause du buzz (négatif) engendré par la sortie simultanée de Google Buzz : le rachat par Google de la société On2 Technologies pour un peu plus de cent millions de dollars.

On2 Technologies est justement spécialisée dans la création de formats vidéos, dont un, le VP3, a d’ailleurs été libéré et est directement à l’origine de l’Ogg Theora. Mais c’est le tout dernier de la gamme, le VP8 qui focalise l’attention de par ses qualités (cf présentation et comparaison sur le site d’On2).

Ce rachat a quelque peu atténué les craintes des observateurs, à commencer par Mozilla (cf cet article de Numerama : Codec vidéo : Google rachète On2 et rassure Mozilla). Pourquoi en effet débourser une telle somme puisque le H.264 est là ? Peut-être pour le remplacer par le VP8. Mais alors aura-t-on un VP8 également fermé (et peut-être aussi payant) ou bien ouvert pour l’occasion ?

La balle est dans le camp de Google.

Soit la société fait le choix du H.264. Firefox ne peut pas suivre et alors il y a fort à parier que cela profitera au navigateur Google Chrome (nombre d’utilisateurs ne pouvant désormais concevoir le Web sans YouTube). Comme de plus l’essentiel des revenus de Mozilla provient de l’accord avec Google sur le moteur de recherche par défaut de Firefox, et que cet accord ne court que jusqu’en 2011, on voit bien que Google peut en théorie si ce n’est tuer Firefox, tout du moins participer directement à freiner son ascension.

Soit la société oublie le H.264 en optant pour le VP8 d’On2. Mais reste alors à savoir quelle sera la nature de ce format. Si Google décide de le libérer en donnant le la en l’installant sur YouTube, c’est non seulement Firefox qui en profitera mais le Web tout entier.

Le choix est important, parce qu’au-delà de l’avenir de la vidéo sur le Web, c’est l’avenir de Google dont il est question. Et aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, l’avenir de Google rejoint souvent l’avenir du Web tout court, ce qui en dit long sur sa puissance et son influence actuelles sur le réseau.

Il est bien évident que le H.264 ou le VP8 fermé serait à priori la meilleure option pour Google en tant que multinationale cotée en bourse avec des actionnaires qui réclament leurs dividendes. Mais ce serait la plus mauvaise pour les partisans d’un Web libre et ouvert. « Google is not evil » nous dit le slogan, alors qu’elle le prouve en faisant le bon choix, celui de l’intérêt des utilisateurs. Google en tirerait alors l’avantage de conserver une image positive de plus en plus écornée ces derniers temps. Dans le cas contraire le masque serait définitivement levé[1] et le bénéfice du doute ne serait plus permis.

Tel est en substance le message lancé par la FSF que nous avons traduit ci-dessous.

Lettre ouverte à Google : libérez le VP8, et utilisez-le sur YouTube

Open letter to Google: free VP8, and use it on YouTube

Holmes – 19 février 2010 – FSF Blogs
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

Après son acquisition d’On2, entreprise spécialisée en technologie de compression vidéo, le 16 février 2010, Google est à présent en position de standardiser les formats vidéo libres et ainsi libérer le Web à la fois du Flash et du codec propriétaire H.264.

Cher Google,

Après votre rachat d’On2, vous possédez désormais le plus important site de vidéos au monde (YouTube) et tous les brevets déposés pour un nouveau codec vidéo de haute performance, le VP8. Imaginez ce que vous pouvez accomplir si vous rendez disponible, de façon irrévocable, le codec VP8 sous une licence libre de royalties, et le proposez aux utilisateurs de YouTube ? Vous pouvez mettre un terme à la dépendance du Web aux formats vidéo criblés de brevets et aux logiciels propriétaires tel que Flash.

Garder le secret sur les spécifications de cette technologie ou ne l’utiliser que comme levier de négociation desservirait le monde du Libre, en n’apportant dans le meilleur des cas que des bénéfices à court terme à votre entreprise. Libérer le code du VP8 sans recommander ce format aux utilisateurs de YouTube constituerait une occasion manquée et nuirait au navigateurs libres tel que Firefox. Nous voulons tous que vous fassiez le bon choix. Libérez le code de VP8, et utilisez-le pour YouTube !

Pourquoi ce serait un immense bond en avant

Le monde disposerait alors d’un nouveau format libre affranchi de brevets logiciels. Internautes, créateurs de vidéo, développeurs de logiciels libres, constructeurs de matériel informatique, tout le monde pourrait distribuer de la vidéo sans se soucier des brevets, des droits d’utilisation et des restrictions. Le format vidéo libre Ogg Theora est au moins aussi performant pour la vidéo sur le web (voir comparatif) que son concurrent fermé, le H.264, et jamais nous n’avons approuvé les objections que vous opposiez à son utilisation. Puisque vous avez pris la décision d’acquérir le VP8, on peut néanmoins supposer que ce format ne soulève pas selon vous les mêmes objections, et que l’implémenter dans YouTube est un jeu d’enfant.

Vous avez le pouvoir de faire de ce format libre un standard planétaire. Si YouTube, qui héberge la quasi totalité des vidéos numériques jamais conçues, proposait un format libre en option, ce simple changement vous vaudrait le soutien d’une pléthore de fabricants d’appareils et d’applications numériques.

Cette capacité à proposer un format libre sur YouTube n’est toutefois qu’une partie infime de votre véritable pouvoir. On passera aux choses sérieuses quand vous encouragerez les navigateurs des utilisateurs à prendre en charge les formats libres. Il existe un tas de moyens de s’y prendre. La meilleure, à nos yeux, serait que YouTube abandonne le Flash au profit des formats libres et du HTML, et propose à ses utilisateurs équipés de navigateurs obsolètes un plug-in ou un navigateur moderne (un logiciel libre, bien sûr). Apple a eu le cran de mettre au rebut le Flash pour l’iPhone et l’iPad (même si leurs raisons sont suspectes et leurs méthodes détestables les DRM), et cette décision pousse les développeurs Web à créer des alternatives sans Flash de leurs pages. Vous pourriez faire de même avec YouTube, pour des raisons plus nobles, ce qui porterait un coup fatal à la prédominance de Flash dans le secteur des vidéos en ligne.

Même des actions de moindre envergure porteraient leur fruits. Vous pourriez par exemple susciter l’intérêt des utilisateurs avec des vidéos HD disponibles sous format libre, ou inciter fortement les utilisateurs à mettre à niveau leur navigateur (plutôt que de mettre Flash à jour). De telles mesures sur YouTube porteraient la prise en charge des formats libres par les navigateurs à un niveau de 50% et plus, et elles augmenteraient lentement le nombre d’internautes qui ne prendraient pas la peine d’installer un plug-in Flash.

Si le logiciel libre et l’internet libre vous tiennent à cœur (un mouvement et un médium auxquels vous devez votre réussite), vous devez prendre des mesures drastiques pour remplacer Flash par des standards ouverts et des formats libres. Les codecs vidéo brevetés ont déjà fait un tort immense au Web et à ses utilisateurs, et cela continuera tant que nous n’y mettrons pas un terme. Parce qu’il était coûteux d’implémenter des standards bardés de brevets dans les navigateurs, un logiciel privateur aussi lourd qu’inadapté (le Flash) est devenu le standard de facto pour la vidéo en ligne. Tant que nous ne passerons pas aux formats libres, la menace des actions en justice pour violation de brevet et des royalties à verser pèsera sur tous les développeurs de logiciel, les créateurs de vidéo, les fabricants de matériel informatique, les sites Internet et les entreprises du Web, vous y compris.

Vous pouvez utiliser votre acquisition d’On2 comme simple levier de négociation pour apporter votre propre solution au problème, mais ce serait à la fois un faux-fuyant et une erreur stratégique. Si vous ne faites pas du VP8 un format libre, ce ne sera jamais qu’un codec vidéo de plus. À quoi servirait un énième format vidéo souffrant d’une compatibilité avec les navigateurs limitée par des brevets ? Vous devez au public et à l’Internet de résoudre ce problème ; vous le devez à nous tous, et pour toujours. Des organisation telles que Xiph, Mozilla, Wikimedia, la FSF et On2 elle-même mettent l’accent sur la nécessité d’imposer les formats libres et se battent corps et âme pour rendre cela possible. À votre tour, maintenant. Si vous en décidez autrement, nous saurons que vous avez à cœur non pas la liberté des utilisateurs mais seulement le règne sans partage de Google.

Nous voulons tous que vous preniez la bonne décision. Libérez le code du VP8 et utilisez-le sur Youtube !

Notes

[1] Crédit photo : Diegosaldiva (Creative Commons By)




L’Éclaternet ou la fin de l’Internet tel que nous le connaissons ?

Raúl A. - CC byUne fois n’est pas coutume, nous vous proposons aujourd’hui une traduction qui non seulement ne parle pas de logiciel libre mais qui en plus provient de CNN, et même pire que cela, de sa section Money !

Et pourtant il nous semble pointer du doigt une possible évolution d’Internet, celle de son éclatement sous la pression des smartphones et autres objets connectés tels ces nouvelles liseuses et tablettes dont on vante tant les futurs mérites.

Une évolution possible mais pas forcément souhaitable car c’est alors toute la neutralité du Net qui vacille puisque les trois couches qui définissent le réseau d’après Lessig se trouvent ensemble impactées.

l’iPad ou le Kindle en sont des exemples emblématiques car ce sont des ordinateurs (la couche « physique ») dont Apple et Amazon contrôlent à priori les protocoles et les applications (la couche « logique ») et peuvent filtrer à leur guise les fichiers (la couche des « contenus »).

L’article s’achève sur une note optimiste quant au HTML5 et au souci d’interopérabilité. Encore faudrait-il avoir affaire à des utilisateurs suffisamment sensibilisés sur ces questions[1].

Hier encore on nous demandait : T’es sous quel OS, Windows, Mac ou Linux ? Aujourd’hui ou tout du moins demain cela pourrait être : T’es sous quel navigateur, Firefox, Internet Explorer ou Chrome ?

Et après-demain on se retrouvera à la terrasse des cafés wi-fi, on regardera autour de nous et on constatera, peut-être un peu tard, qu’à chaque objet différent (netbook, smartphone, iPad, Kindle et leurs clones…) correspond un Internet différent !

La fin de l’Internet tel que nous le connaissons, grâce à l’iPad et aux autres

End of the Web as we know it, thanks to iPad and others

Julianne Pepitone – 3 février 2010 – CNNMoney.com
(Traduction Framalang : Martin et Goofy)

Pendant plusieurs années, l’Internet a été relativement simple : tout le monde surfait sur le même réseau.

Plus on s’avance vers 2010, plus l’idée d’un même Internet « taille unique » pour tous devient un souvenir lointain, à cause de l’arrivée de l’iPhone, du Kindle, du BlackBerry, d’Android, et bien sûr du fameux iPad.

La multiplication des gadgets mobiles allant sur Internet s’accompagne à chaque fois d’un contenu spécifique pour chaque appareil. Par exemple, l’application populaire pour mobile Tweetie permettant de se connecter à Twitter n’est disponible que pour l’iPhone, alors que l’application officielle pour Gmail ne l’est que pour Android. Et si vous achetez un e-book pour le Kindle d’Amazon, vous ne pourrez pas forcément le lire sur d’autres lecteurs électroniques.

En même temps de plus en plus de contenus en ligne sont protégés par un mot de passe, comme la plupart des comptes sur Facebok et certains articles de journaux.

C’est un Internet emmêlé qui est en train de se tisser. Simplement, le Web que nous connaissions est en train d’éclater en une multitude de fragments. C’est la fin de l’âge d’or, selon l’analyste de Forrester Research Josh Bernoff, qui a récemment formulé le terme de « éclaternet » pour décrire ce phénomène (NdT : the splinternet).

« Cela me rappelle au tout début d’Internet la bataille de fournisseurs d’accès entre AOL et CompuServe » dit Don More, du fond de capital risque Updata, une banque d’investissement conseillère dans les technologies émergentes de l’information. « Il y aura des gagnants et des perdants ».

Dans ces premiers temps du Web, les utilisateurs accédaient aux contenus en utilisant des systèmes spécifiques ; ainsi les abonnés de chez AOL ne pouvaient voir que les contenus AOL. Puis le World Wide Web est devenu une plateforme ouverte. Maintenant les appareils nomades sont à noueau en train de morceler le Web.

D’après Bernoff, « Vous ne pouvez plus recoller les morceaux, la stabilité qui a aidé le Web à prendre forme s’en est allée, et elle ne reviendra plus ».

Des angles morts

Quand les utilisateurs d’appareils mobiles choisissent d’acheter un iPhone, un Motorola avec Android, un BlackBerry ou d’autres, ils sont effectivement en train d’opter pour certains types de contenus ou au contraire d’en abandonner d’autres, puisque toutes les applications ne sont pas disponibles sur tous ces gadgets.

D’après Don More de Updata, ce phénomène est en train de mettre le contenu dans des « communautés fermés ». Les fabricants de ces appareils peuvent (et ils le font) prendre et choisir quelles applications fonctionneront avec leur machine, en rejetant celles qui pourraient être en concurrence avec leurs propre produits, ou bien celles qu’ils estiment n’être pas à la hauteur.

Par exemple, Apple a rejeté l’application Google Voice sur l’iPhone, qui aurait permis aux utilisateurs d’envoyer gratuitement des messages et d’appeler à l’étranger à faible coût.

Et les limitations ne s’arrêtent pas seulement aux applications. Une affaire d’actualité : Le nouvel iPad ne prend pas en charge le lecteur Flash d’Adobe, ce qui empêchera les utilisateurs d’accéder à de nombreux sites.

Bernoff ajoute : « bien que (cette tendance) ne soit pas nécessairement mauvaise pour les consommateurs, ils devraient prendre conscience qu’ils sont en train de faire un choix. Quoi qu’ils choisissent, certains contenus ne leur seront pas disponibles ».

Des choix difficiles

Les entreprises qui créent les applications sont maintenant confrontées à des choix difficiles. Quels appareils choisiront-elles de prendre en charge ? Combien d’argent et de temps devront-elles prendre pour que leurs contenus fonctionnent sur ces gadgets ?

Quel que soit le choix des développeurs, il leur manquera toujours une partie des consommateurs qu’ils pouvaient auparavant toucher lorsque le Web était un seul morceau.

Sam Yagan, co-fondateur du site de rencontres OKCupid.com, ajoute : « quand nous avons commencé notre projet, jamais nous avons pensé que nous aurions à faire face à un tel problème. Réécrire un programme pour un téléphone différent c’est une perte de temps, d’argent, et c’est un vrai casse-tête ».

D’après Yagan, OkCupid emploie 14 personnes, et son application pour l’iPhone a nécessité 6 mois de travail pour être développée. L’entreprise envisage de créer une application pour Android, ce qui prendra environ 2 mois.

« C’est un énorme problème de répartition des ressources, surtout pour les petites entreprises », explique Yagan, « Nous n’avons tout simplement pas assez de ressources pour mettre 5 personnes sur chaque appareil qui sort ».

Chris Fagan, co-fondateur de Froogloid, une société qui propose un comparateur pour le commerce électronique, dit que son entreprise a choisi de se spécialiser sur Android, car il marche avec plusieurs téléphones comme le Droid, Eris, ou G1.

Selon Fagan « les consommateurs sont en train de perdre des choix possibles, et les entreprises sont en train de souffrir de ces coûts supplémentaires ». Mais il ajoute que la popularité en plein essor des applications signifie que les entreprises continueront à en concevoir malgré leur coût.

Et après ?

Comme un Internet plus fragmenté devient chose courante, Bernoff de Forrester pense qu’il y aura un contrecoup : une avancée pour rendre le contenu sur mobile plus uniforme et interopérable.

La solution pourrait bien être la nouvelle version du langage Web qui arrive à point nommé, le HTML5, qui d’après Bernoff pourrait devenir un standard sur les appareils nomades dans quelques années. Par exemple, le HTML5 permet de faire fonctionner des animations sur les sites Web sans utiliser le Flash.

Mais l’arrivée de n’importe quelle nouvelle technologie déclenchera une lutte pour la contrôler. Don More de Updata s’attend à voir « une bataille sans merci entre les entreprises (pas seulement Apple et Google, mais aussi Comcast, Disney et tous ceux qui s’occupent des contenus). Que ce soit les applications, les publicités, les appareils… tout le monde est en train d’essayer de contrôler ces technologies émergentes ».

Évidemment, personne ne peut prévoir le futur du Web. Mais Bernoff est au moins sûr d’une chose.

« Nous ne connaissons pas ce que seront les tous nouveaux appareils en 2011. Mais ce qui est certain, c’est que l’Internet ne fonctionnera plus comme on l’a connu. »

Notes

[1] Crédit photo : Raúl A. (Creative Commons By)




Google, Apple et l’inexorable déclin de l’empire Microsoft

Seanmcgrath - CC byQuel est le dénominateur commun des récents évènements qui ont défrayé la chronique du Web ? L’absence de Microsoft.

On peut à juste titre critiquer Google, et son jeu du chat et de la souris avec nos données personnelles. Dernier exemple en date : Google Buzz.
On peut en faire de même avec Apple, qui prend un malin plaisir à enfermer les utilisateurs dans son écosystème. Dernier exemple en date : l’iPad.

Il n’empêche que ces deux géants innovent en permanence et se détachent chaque jour un peu plus d’un Microsoft visiblement trop lourd pour suivre le rythme[1].

C’est ce que nous rappelle Glyn Moody dans ce très intéressant article qui vient piocher dans la toute fraîche actualité des arguments de son édifiante conclusion.

Il note au passage que contrairement à Microsoft, Google (beaucoup) et Apple (avec parcimonie) utilisent des technologies open source. Ceci participe aussi à expliquer cela.

Il s’est passé quelque chose, mais où est passé Microsoft ?

Something Happened: Where’s Microsoft?

Glyn Moody – 15 février 2010 – ComputerWorld.uk
(Traduction Framalang : Goofy)

Vous en avez probablement entendu parler, la semaine dernière il y a eu tout un pataquès à propos de Google Buzz et de ses conséquences sur le respect de la vie privée. Et voici ce que Google a répondu :

Nous avons bien reçu votre réaction, cinq sur cinq, et depuis que nous avons lancé Google Buzz il y a quatre jours, nous avons travaillé 24h sur 24 pour dissiper les inquiétudes que vous avez exprimées. Aujourd’hui, nous voulons vous informer que nous avons fait ces derniers jours une quantité de modifications en tenant compte des réactions que nous avons reçues.

D’abord, l’ajout automatique des contact suivis. Avec Google Buzz, nous avons voulu faire en sorte que les premiers pas soient aussi rapides et aisés que possible, et donc nous ne voulions pas que vous ayez à reconstruire manuellement votre réseau social depuis zéro. Cependant, beaucoup de gens voulaient juste essayer Google Buzz pour voir en quoi il pouvait leur être utile, et ils n’ont pas été contents de voir qu’ils avaient déjà une liste de contacts suivis. Ce qui a soulevé une énorme vague de protestations et incité les gens à penser que Buzz affichait automatiquement et de façon publique ceux qu’ils suivaient, avant même d’avoir créé un profil.

Jeudi dernier, nous avons entendu dire que les gens trouvaient que la case à cocher pour choisir de ne pas afficher publiquement telle ou telle information était difficile à trouver, nous avons aussitôt rendu cette option nettement plus repérable. Mais ce n’était évidemment pas suffisant. Donc, à partir de cette semaine, au lieu d’un modèle autosuiveur, avec lequel Buzz vous donne automatiquement à suivre des gens avec lesquels vous échangez le plus sur le chat ou par email, nous nous orientons vers un modèle autosuggestif. Vous ne serez pas voué à suivre quiconque avant d’avoir parcouru les suggestions et cliqué sur « Suivez les contacts sélectionnés et commencez à utiliser Buzz ».

Le plus intéressant dans cette histoire c’est que 1. Google aurait pu prévoir un problème aussi évident et crucial et 2. ils ont réagi non pas une mais deux fois en quelques jours à peine. C’est ce qui s’appelle vivre à l’heure d’Internet, et démontre à quel point les choses ont changé depuis le « bon vieux temps » – disons il y a quelques années – où les erreurs pouvaient mariner plusieurs mois dans un logiciel avant qu’on prenne la peine de s’en occuper.

Mais ce n’est pas le seul évènement qui s’est produit la semaine dernière. Relativement masquée par l’excitation autour de Buzz, voici une autre annonce de Google :

Nous avons le projet de réaliser un réseau à large bande ultra-rapide dans quelques localités tests aux États-Unis. Nous fournirons un accès à Internet par fibre optique à 1 gigabit par seconde, soit cent fois plus rapide que ce que connaissent aujourd’hui la plupart des Américains connectés. Nous avons l’intention de procurer ce service à un prix concurrentiel à au moins 50 000 personnes, et potentiellement jusqu’à 500 000.

Notre objectif est d’expérimenter de nouvelles façons d’aider chacun à accéder à un Internet plus rapide et meilleur. Voici en particulier ce que nous avons en tête :

Les applications du futur : nous voulons voir ce que les développeurs et les utilisateurs peuvent faire avec des vitesses ultra-rapides, que ce soit des applications révolutionnaires ou des services utilisant beaucoup de bande passante, ou d’autres usages que nous ne pouvons même pas encore imaginer.

Nouvelles techniques de déploiement : nous testerons de nouvelles façons de construire des réseaux de fibre optique, et pour aider à l’information et au support de déploiement partout ailleurs, nous partagerons avec le monde entier les leçons que nous en aurons tirées.

Le choix et l’ouverture : nous allons organiser un réseau en « accès ouvert », qui donnera aux usagers le choix parmi de multiples prestataires de services. Et en cohérence avec nos engagements passés, nous allons gérer notre réseau d’une façon ouverte, non-discriminatoire et transparente.

Google a démarré, souvenez-vous, comme un projet expérimental sur la recherche : en arriver à déployer chez un-demi million d’utilisateurs finaux des connexions par fibre optique à 1 gigabit, voilà qui en dit long sur le chemin parcouru par Google. Tout aussi impressionnante dans le même genre, l’irruption de Google dans monde des mobiles avec Android. Là encore, le lien avec le moteur de recherche n’est peut-être pas évident à première vue, mais tout cela revient à essayer de prédire le futur en l’inventant : Google veut s’assurer que quel que soit le chemin que prendra le développement d’Internet, il sera bien placé pour en bénéficier, que ce soit par la fibre à débit ultrarapide ou par des objets intelligents et communicants que l’on glisse dans sa poche.

Google n’est pas la seule entreprise qui se réinvente elle-même en permanence. C’est peut-être Apple qui en donne l’exemple le plus frappant, c’était pourtant loin d’être prévisible il y a quelques années. Mais au lieu de disparaître, l’entreprise Apple a colonisé la niche lucrative des produits informatiques sophistiqués, en particulier les portables, et a fini par remodeler non seulement elle-même mais aussi deux marchés tout entiers.

Le premier a été celui de la musique numérique, qui se développait bien mollement sous les attaques répétées d’une industrie du disque à courte vue, qui pensait pouvoir conserver le rôle qu’elle jouait dans le monde de l’analogique, celui d’intermédiaire obligé entre les artistes et leur public. En utilisant ses pouvoirs quasi hypnotiques, Steve Jobs s’est arrangé pour faire avaler à l’industrie du disque le lot iTunes + iPod, et la musique numérique a décollé comme jamais auparavant pour toucher l’ensemble de la population.

Tout aussi significative a été la décision de Jobs d’entrer dans le monde des téléphones portables. Le iPhone a redéfini ce que devait être un smartphone aujourd’hui, et a accéléré la convergence croissante entre l’ordinateur et le téléphone. Beaucoup pensent qu’avec son iPad Apple est sur le point de transformer la publication numérique aussi radicalement qu’il a déjà bouleversé la musique numérique.

Quoi que vous pensiez de ces récents évènements, une chose est parfaitement claire : pas un seul des événements les plus excitants du monde de l’informatique – Buzz, le réseau par fibre à 1 gigabit, le iPad, Android et tout le reste – n’est venu de chez Microsoft. La façon dont Google et Apple ont complètement masqué les nouveautés de Microsoft pendant des mois est sans précédent, et je pense, représente un tournant décisif.

Parce que nous assistons à la fin du règne de Microsoft en tant que roi de l’informatique – sans fracas, mais avec un petit gémissement. Bien sûr, Microsoft ne va pas disparaître – je m’attends vraiment à ce qu’il soit là encore pour des décennies, et qu’il distribue de jolis dividendes à ses actionnaires – mais Microsoft sera tout simplement dépourvu d’intérêt dans tous les domaines-clés.

Ils se sont plantés en beauté sur le marché de la recherche en ligne ; mais, d’une façon plus générale, je ne connais pas un seul service en ligne lancé par Microsoft qui ait eu un impact quelconque. Et ça n’est pas mieux côté mobile : bien que Windows Mobile ait encore des parts de marché pour des raisons historiques, je pense que personne, nulle part, ne se lève le matin en se disant « Aujourd’hui il faut que je m’achète un Windows Mobile », comme le font manifestement les gens qui ont envie d’un iPhone d’Apple ou d’un des derniers modèles sous Android comme Droid de Motorola ou Hero de HTC (même moi j’ai acheté ce dernier modèle il y a quelques mois).

Quant au marché de la musique numérique, le Zune de Microsoft est pratiquement devenu le nom générique de la confusion électronique, tant le système est mauvais et mal-aimé. Et même dans le secteur où la part de marché de Microsoft est davantage respectable – celui des consoles de jeu – le problème de l’infâmant « cercle rouge de la mort » menace là encore de ternir sa réputation.

Tout cela nous laisse l’informatique grand public comme dernier bastion de Microsoft. Malgré des tentatives constamment renouvelées de la part des experts (dont votre serviteur) pour proclamer « l’année des ordinateurs GNU/Linux », Windows donne peu de signes qu’il lâche prise sur ce segment. Mais ce qui est devenu de plus en plus flagrant, c’est que les tâches informatisées seront menées soit à travers le navigateur (porte d’accès à l’informatique dans les nuages) soit à travers les smartphones tels que que le iPhone ou les mobiles sous Android. Les uns comme les autres rendent indifférent le choix du système d’exploitation de l’ordinateur de bureau (d’autant que Firefox tend de plus en plus à faire jeu égal avec Internet Explorer sur beaucoup de marchés nationaux), donc savoir si l’on trouve Windows ou GNU/Linux à la base de tout ça est une question vraiment sans intérêt.

Mais vous n’êtes pas obligés de me croire. Dick Brass est bien mieux placé que moi pour en parler, il a été vice-président de Microsoft de 1997 à 2004. Voici ce qu’il a écrit récemment dans le New York Times :

Microsoft est devenu empoté et peu compétitif dans l’innovation. Ses produits sont décriés, souvent injustement mais quelquefois à juste titre. Son image ne s’est jamais remise du procès pour abus de position dominante des années 90. Sa stratégie marketing est inepte depuis des années ; vous vous souvenez de 2008 quand Bill Gates s’est laissé persuader qu’il devait littéralement se trémousser face à la caméra ?

Pendant qu’Apple continue à gagner des parts de marché sur de nombreux produits, Microsoft en perd sur le navigateur Web, le micro portable haut de gamme et les smartphones. Malgré les milliards investis, sa gamme de Xbox fait au mieux jeu égal avec ses concurrents du marché des consoles de jeu. Du côté des baladeurs musicaux, ils ont d’abord ignoré le marché puis échoué à s’y implanter, jusqu’à ce qu’Apple le verrouille.

Les énormes bénéfices de Microsoft – 6,7 milliards de dollars au trimestre dernier – viennent presque entièrement de Windows et de la suite Office qui ont été développés il y a des décennies (NdT : cf ce graphique révélateur). Comme General Motors avec ses camions et ses SUV, Microsoft ne peut pas compter sur ces vénérables produits pour se maintenir à flot éternellement. Le pire de tout ça d’ailleurs, c’est que Microsoft n’est plus considéré comme une entreprise attractive pour aller y travailler. Les meilleurs et les plus brillants la quittent régulièrement.

Que s’est-il passé ? À la différence d’autres entreprises, Microsoft n’a jamais développé un authentique processus d’innovation. Certains de mes anciens collègues prétendent même qu’elle a développé en fait un processus de frein à l’innovation. Bien qu’elle dispose des laboratoires les plus vastes et les meilleurs du monde, et qu’elle se paie le luxe d’avoir non pas un mais trois directeurs de recherches technologiques, l’entreprise s’arrange habituellement pour réduire à néant les efforts de ses concepteurs les plus visionnaires.

Il y a quelque chose de profondément ironique dans cet échec à innover, parce que Microsoft n’a pas cessé d’invoquer l’innovation comme argument principal pour n’être pas frappé par la loi anti-trust aux États-Unis comme en Europe, et pour justifier notre « besoin » de brevets logiciels. La déconfiture de cette argumentation est maintenant rendue cruellement flagrante par l’échec de l’entreprise à innover dans quelque secteur que ce soit.

Je dirais que le plus grand échec à ce titre a été de refuser de reconnaître que la manière la plus rapide et la plus facile d’innover c’est de commencer à partir du travail des autres en utilisant du code open source. Le succès de Google est presque entièrement dû à son développement de logiciels libres à tous les niveaux. Ce qui a permis à l’entreprise d’innover en plongeant dans l’immense océan du code librement disponible pour l’adapter à des applications spécifiques, que ce soit pour les gigantesques datacenters épaulant la recherche, ou pour la conception d’Android pour les mobiles – dans les deux cas à partir de Linux.

Même Apple, le champion du contrôle total du produit par l’entreprise, a reconnu qu’il était cohérent d’utiliser des éléments open source – par exemple, FreeBSD et WebKit – et s’en servir comme fondation pour innover frénétiquement au dernier étage. Refuser de le reconnaître aujourd’hui est aussi aberrant que refuser d’utiliser le protocole TCP/IP pour les réseaux.

Quelque chose s’est passé – pas juste cette semaine, ni la semaine dernière, ni même durant les derniers mois, mais au cours de ces dix dernières années. Le logiciel libre s’est développé au point de devenir une puissance considérable qui influe sur tout ce qui est excitant et innovateur en informatique ; et Microsoft, l’entreprise qui a reconnu le moins volontiers son ascendant, en a payé le prix ultime qui est son déclin.

Notes

[1] Crédit photo : Seanmcgrath (Creative Commons By)




Au secours, l’Hadopi arrive en Belgique !

Yumyumbubblegum - CC byOn peut être éventuellement fiers d’exporter nos parfums et nos vins, mais certainement pas notre Hadopi !

C’est pourtant la menace qui plane en Belgique. Ce court extrait vidéo d’un récent débat télévisé de la RTBF vous rappellera en effet illico bien des souvenirs.

Pour en savoir plus nous avons recontré un membre d’une association locale qui souhaite sensibiliser et mobiliser le grand public pour éviter la contagion française.

PS : Désolé pour le choix de la photo clichée de la Belgique[1], mais ça symbolise les quatre majors du disque pissant dans les violons des artistes 😉

Entretien avec André Loconte du collectif NURPA

Bonjour, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

André Loconte, belge, étudiant ingénieur, politiquement orienté vers le logiciel libre, développeur et fervent défenseur de l’accessibilité du Web et de la neutralité du Net. Mes connaissances techniques liées à l’informatique sont issues principalement (pour ne pas dire « exclusivement ») du Net.

Je suis l’un des trois co-fondateurs de NURPA (avec Laurent Peuch et Frédéric Van Der Essen).

Qu’est ce que NURPA ? (et pourquoi un acronyme anglophone dans un pays qui a déjà trois autres langues officielles ?)

Nous sommes un collectif hétéroclite constitué initialement d’étudiants (sciences informatiques, ingénieurs, ..) bercés dans la culture du libre mais qui s’est très vite complété de citoyens de tous horizons professionnels, concernés par les problèmes que l’application de lois telles que celle proposée par le sénateur Philippe Monfils (Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet) serait susceptible d’engendrer. Deux des co-fondateurs ont contribué (et contribuent toujours) chacun à leur manière aux débats qui font rage en France.

La Net Users’ Rights Protecion Association (trad. Association de protection des droits des internautes) est la réponse collective de citoyens amoureux du Net et de leurs libertés, décidés à ne brader ni l’un ni l’autre au prétexte qu’un gouvernement flexible au poids des industries du divertissement tente d’imposer subrepticement une surveillance généralisée du Net. Si l’on écarte une hypothétique pression des lobbys, il est évident que nos politiques ont un retard considérable dans l’appréhension d’Internet et dans la compréhension de sa complexité. C’est donc avant tout dans une démarche pédagogique forte que s’inscrit NURPA : (in)former pour éviter de voir se reproduire en Belgique les erreurs qui ont conduit à la promulgation d’HADOPI en France (et qui ont poussé les députés à aller plus loin dans l’absurde avec HADOPI2, LOPPSI…).

En observateurs avisés des déboires français et du contexte européen, nous craignons que cet HADOPI à la belge ne soit qu’un cheval de Troie, le calme avant la tempête. L’ombre d’ACTA plane. Nous ne nous positionnons pas comme collectif uniquement contre l’HADOPI de Monfils, nous sommes évidemment contre cette loi, mais le débat ne s’arrête pas là.

Dans un pays qui possède trois langues officielles (l’allemand, le néerlandais et le français), l’utilisation de l’anglais pour la formation du nom, in fine de l’acronyme, a été pour nous une manière de passer outre cette indéniable barrière linguistique. Il nous a semblé que l’anglais était le meilleur choix pour garantir que notre but soit compris de tous.

Voici donc que la Belgique nous propose par l’entremise du sénateur Philippe Monfils son « Hadopi locale » baptisée tendancieusement « Proposition de loi visant à promouvoir la création culturelle sur Internet ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Quelles sont les similarités et différences par rapport à la loi française ?

Le sénateur Monfils, qui a déclaré « la culture gratuite, ça n’existe pas » (lors de l’émission InterMedia de la RTBF du 25 janvier 2010), explique que des systèmes de juste rémunération des artistes et de contrôle du Net ont fait leur preuve ailleurs et cite sans scrupule, .. HADOPI en France (page 5, paragraphe 5 de sa proposition de loi). Signe évident selon nous d’une part, de sa méconnaissance du contexte qui a entouré la promulgation du texte de loi non seulement dans l’hexagone mais également au niveau européen; d’autre part, de la nature inapplicable de la loi française.

Le texte belge est une version édulcorée de l’HADOPI français, on y retrouve d’ailleurs les erreurs de jeunesse d’HADOPI :

  • Pas de Haute Autorité de Contrôle mais des agents commissionnés par le ministère de l’économie : des agents qui ont un pouvoir d’investigation a priori illimité (car non-défini dans la proposition de loi), qui constatent les infractions et qui décident des sanctions.
  • Pas de mouchard mais une collaboration des FAI : les FAI (Fournisseurs d’Accès à Internet) auront l’obligation juridique de fournir toutes les informations nécessaires pour l’association d’une personne physique à une adresse IP. Actuellement, obtenir ce type d’information nécessite l’ordonnance d’un juge, ce qui garantit le respect de la vie privée et limite les dérapages.

    Une différence importante par rapport au dispositif français qui pénalise le titulaire de la ligne en cas de défaut de sécurisation, le texte belge ne prévoit de peine que pour le titulaire qui télécharge illégalement du contenu soumis au droits d’auteur ou droits voisins sur sa propre ligne. On imagine aisément l’immense difficulté de prouver qu’il s’agit effectivement du titulaire qui s’est rendu coupable de téléchargements illégaux sur sa propre ligne.

  • Double peine : le paiement de l’abonnement à Internet dans sa totalité est d’application même si celui-ci a été suspendu pour raison de téléchargement illégal.
  • Théoriquement pas de coupure de la ligne mais un bridage du débit : « en théorie » car bien que cela semble être l’argument clé de Philippe Monfils, sa proposition de loi ne manque pas de préciser que la coupure serait tout à fait envisageable en cas de multiple récidive. Bridage du débit, c’est à dire : diminuer la vitesse de transfert de telle sorte que l’internaute puisse continuer à chercher du travail et à consulter ses mails (sic).

    On conçoit un peu mieux la qualité de ce texte quand on sait qu’un débit suffisant à la consultation de mail et à la recherche d’emploi est également suffisant au téléchargement de la plupart des fichiers (moins rapidement certes). Ne parlons même pas des mises à jour de sécurité qui vont devenir pénible à obtenir et toutes les conséquences fâcheuses que cela risquerait d’entraîner.

    Lors d’une coupure (en cas de récidive après le bridage), quid du téléchargement légal ? L’internaute qui verrait sa ligne coupée serait en effet dans l’incapacité d’acheter du contenu légalement en ligne. A cela s’ajoute la décision du 10 juin 2009 du Conseil Constitutionnel français qui présente Internet comme une composante de la liberté d’expression et de consommation nécessaire à l’exercice la liberté d’expression et de consommation tel que décrit dans l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme de 1789.

  • Enfin, le texte qui trouve sa justification dans la juste rémunération des artistes, ne contient pas une ligne à leur propos.

L’Hadopi est certes passée en France mais modifiée par rapport au texte initial (et non encore appliquée). Et puis « nous » avons coutume de dire que c’est une victoire à la Pyrrhus car « nous » avons gagné au passage la bataille de la médiatisation et des idées. Comment alors selon vous peut-elle encore servir d’exemple à d’autres pays ?

Je soulevais la question plus haut : profonde méconnaissance du dossier, incompétence technique, influence des lobbys du divertissement ? Probablement un savant mélange des trois.

Et pour citer un certain Jérémie Zimmerman (reprenant Michel Audiard) : « Les cons ça osent tout, c’est à ça qu’on les reconnaît ».

D’autres sénateurs (écologistes je crois) ont rédigé une proposition de loi visant à instaurer quelque chose qui ressembe à une « licence globale ». Approuvez-vous cette initiative ? A-t-elle une chance d’être comprise et entendue par les politiques en particulier et la société belge en générale ?

Cette idée de licence globale est en effet portée par Ecolo (à travers Benoit Hellings) et n’a pas encore été déposée. Il nous est donc impossible de nous prononcer précisément à son sujet. Les interventions télévisuelles de Benoit Hellings permettent cependant de dresser un rapide état des lieux : il semble que cette licence globale soit largement inspirée du livre de Philippe Aigrain « Internet & Création. Comment reconnaître les échanges hors-marché sur internet en finançant et rémunérant la création ? » (sic); que la contribution de l’internaute serait répercutée directement dans le prix de l’abonnement (sans sur-coût); que la grille de répartition des biens aux artistes serait semblable à celle actuellement en usage par la SABAM (NDLR : la SACEM locale). Il est évoqué également la possibilité de création d’un organisme indépendant chargé d’établir des statistiques sur les téléchargements sur base d’enquêtes anonymes.

Sans chercher à créer la polémique avant même que la proposition de loi d’Ecolo ne soit déposée, nous relevons déjà plusieurs points qui à n’en pas douter seraient problématiques s’ils étaient introduits dans la proposition de loi :

  • Je parlais de contribution directement répercutée dans le prix de l’abonnement, Benoit Heillings va plus loin : il suggère une retarification des connexions au Net selon le critère du téléchargement, en d’autres termes les « gros téléchargeurs » bénéficieraient, pour des tarifs semblables à ceux pratiqués actuellement, de vitesses de connexion plus élevées et d’une capacité de téléchargement supérieure (illimitée ?); les autres, pour un tarif plus modeste, de vitesses de connexion réduites et de capacité de téléchargement inférieure (permettant uniquement la consultation des mails et la recherche d’emploi). De notre point de vue, cette vision bipolaire du comportement des internautes (soit il télécharge, soit il ne télécharge pas du tout) traduit une fois de plus une méconnaissance profonde d’Internet et de ses usages.

    Ce n’est pas la première fois que le gouvernement belge est pris à défaut sur cette problématique, on se rappellera le courrier adressé par Microsoft au Ministre fédéral des télécommunications à propos des quotas de téléchargement en application en Belgique qui empêcheraient la firme de Redmond de déployer son service de VOD.

  • Ensuite, l’utilisation de la grille de répartition – déjà obsolète – de la SABAM ne permettrait en rien une meilleure rémunération des artistes.
  • Enfin, nous voyons d’un oeil méfiant la création d’un organisme indépendant, ô combien respectueux de l’anonymat soit-t-il. A quel niveau et de quelle manière s’effectuerait l’analyse des échanges ? Qui s’assurait que cet organisme respecte le cadre de ses attributions, la vie privée des internautes ? Quels moyens cet organisme serait-il capable de mettre en place afin d’observer les échanges via les VPN ou dans les Darknet ?

Nous n’hésiterions pas à leur faire part de ces remarques si nos craintes s’avéraient fondées à la lecture du projet de loi.

NURPA est-elle la seule structure belge à s’opposer ? Quelles sont les forces en présence ? Etes-vous en contact avec, par exemple, La Quadrature du Net ? Et quelles sont vos relations avec le tout jeune Parti Pirate belge ?

NURPA n’est heureusement pas la seule association que cette proposition de loi révolte. Citons par exemple « HADOPI mayonnaise » qui partage de nombreux points d’accord avec notre vision et avec qui nous collaborerons bientôt.

Quant aux forces en présence, le système de majorité étant différent en Belgique et en France, c’est avec la proposition Ecolo et la proposition annoncée du PS que les débats parlementaires se dérouleront. Contrairement à la situation qu’a connu la France avec l’UMP, la possibilité pour le Mouvement Réformateur (dont est issu P. Monfils) de faire passer sa loi de force est rendue complexe (pour ne pas dire impossible) tant la répartition des sièges à la Chambre et au Sénat est panachée.

Nous avons eu il y a quelques semaines, des échanges avec Jeremy Zimmerman, il nous a prodigué – fort de son expérience avec La Quadrature du Net – de précieux conseils d’ordre organisationnel. Des actions coordonnées pourraient être envisagées mais ne sont pas d’actualité.

Nous avons contacté le Parti Pirate belge afin de recueillir leur avis concernant la proposition de loi du sénateur MR. Notre interlocuteur (Germain Cabot) a manifesté un réel intérêt pour la question et nous a informé que le PP belge dressait un état des initiatives citoyennes afin d’envisager des collaborations. Le Parti Pirate belge fait les frais de sa jeunesse politique (création en juillet 2009), ne disposant pas de siège parlementaire, il verra son rôle limité à celui de commentateur sans avoir l’opportunité d’apporter un réel contre-poids politique.

Nous tenons à conserver une indépendance politique certaine, nos rapports au PP belge ne seront pas différents de ceux envers les autres partis politiques.

Quelles sont les échéances et quels moyens d’action envisagez-vous ?

Il n’y a pour l’instant pas d’échéances précises, en Belgique, un projet de loi met habituellement une année à passer à travers les rouages parlementaires. Bien que le projet de loi de P. Monfils ait été déposé, celui-ci est en cours de correction et de traduction. ECOLO n’a pas encore publié le leur et le PS s’en tient à des déclarations d’intention sans plus de précisions. Cela ne nous dispense pas de faire preuve de vigilence dès à présent, c’est un combat de longue haleine qui nous attend.

Nous allons principalement nous concentrer sur l’information et la sensibilisation de l’opinion publique et politique à ce sujet au travers d’analyses, de dossiers et de communiqués de presses, de rencontres et d’actions sur le terrain.

Nous avons, dès les premiers jours, mis à disposition un wiki afin d’asseoir l’aspect communautaire prépondérant de notre action.

Inspiré par le modèle de La Quadrature du Net, nous comptons également attirer les projecteurs des médias pour éviter que cette proposition de loi et les débats qui l’entourent soient passés sous silence.

Au delà d’Hadopi, vous dites être également sensible à des sujets comme le filtrage du Net ou la taxe sur la copie privée. En France on est actuellement mobilisé sur le front de la loi Loppsi et les cachotteries de l’Acta. Les libertés numériques dans leur ensemble sont-elles menacées ?

Lorsque l’on constate l’inconscience et l’incompétence avec laquelle les libertés numériques sont abordées par les politiques, on ne peut que craindre pour la pérennité de celles-ci. C’est pourquoi nous nous faisons un devoir d’éduquer et de sensibiliser les politiques à ces sujets.

Nous craignons que cet « HADOPI à la belge » soit le précédent nécessaire et suffisant à l’émergence d’autres lois plus pernicieuses encore. Je le disais en préambule, nous partons avec l’avance non négligeable que sont les enseignements tirés de l’expérience française.

Nous ferons ce qui est en notre pouvoir afin de nous assurer que ce projet de loi ne soit jamais promulgué et que LOPPSI et consorts demeurent le fait de l’exception française.

Brel disait « Je préfère les hommes qui donnent à ceux qui expliquent ».

La connaissance est parfois tout ce que l’on a à offrir. Tant qu’à la partager, autant que cela se fasse sous licence libre.

Que ferait le Grand Jacques aujourd’hui, il s’enfuirait aux Marquises ou résisterait debout ?

Il chanterait.

Pour NURPA, André Loconte

Notes

[1] Crédit photo : Yumyumbubblegum (Creative Commons By)