La guerre du copyright menace la santé d’Internet, par Cory Doctorow

La situation est grave et tout le monde n’en a pas forcément pris conscience.

Pour lutter contre le piratage et préserver les intérêts d’une infime minorité d’artistes mais surtout les leurs, l’industrie culturelle est prête à tout. Tout c’est-à-dire ici profondément altérer l’Internet que nous connaissons ou avons connu.

C’est ce que nous rappelle ici l’écrivain Cory Doctorow qui avoue lui-même faire partie de cette infime minorité, ce dont il n’en a cure si cela doit se faire au détriment du citoyen que nous sommes tous…

Mike Seyfang - CC by

Les guerres de droits d’auteur mettent en péril la santé d’Internet.

Copyright wars are damaging the health of the internet

Cory Doctorow – 28 mars 2013 – The Guardian Technology
(Traduction : Ouve, Tr4sK, Calou, emmpiff, Calou, GuGu, Marc15, fcharton, goofy, maxlath, Neros, lamessen, Penguin, Lycoris, Asta, MarcFerrand + anonymes)

Ceux qui veulent trouver à tout prix des « solutions » contre le piratage risquent d’altérer l’intégrité et la liberté du réseau par la surveillance, la censure et le contrôle.

J’ai assisté à plus de présentations sur la façon de résoudre les guerres de droits d’auteur que je n’ai eu de repas chauds, mais elles sont toutes loin du compte. C’est parce que la plupart de ceux qui ont une solution aux guerres de droits d’auteur se soucient des revenus des artistes, alors que pour ma part je me soucie de la santé d’Internet.

Oh, bien sûr, je m’inquiète aussi des revenus des artistes, mais c’est une préoccupation secondaire. Après tout, la quasi totalité des personnes qui ont voulu vivre de leur art ont échoué. En effet, une part non négligeable de ceux qui ont essayé ont perdu de l’argent dans l’affaire. Ça n’a rien à voir avec Internet : l’art est un business épouvantable, où la majorité des revenus revient à une portion statistiquement insignifiante de ceux qui les produisent — une longue queue effilée avec une très grosse tête. Il se trouve que je suis l’un des chanceux gagnants de cet étrange et improbable loto — je fais vivre ma famille avec ce travail de création — mais je n’ai pas l’esprit assez étroit pour penser que mon avenir et l’avenir de 0,0000000000000000001 pourcent de mes congénères soit le vrai problème ici.

Quel est le vrai problème ici ? Pour faire simple, c’est la santé d’Internet.

Les guerres de droits d’auteur ont érodé la résistance inhérente à Internet à un moment où elle était terriblement nécessaire. L’Internet d’aujourd’hui est intriqué dans nos vies d’une manière qui a surpassé les pronostics les plus fous des années 1980 — c’est le moyen principal pour inscrire vos enfants aux cours de danse du soir ; pour payer votre facture de gaz ; pour poster des vidéos de violences policières ; pour verser de l’argent à des proches éloignés ; pour être autorisé à construire un abri de jardin ; pour faire une réservation ; pour découvrir si vous avez ou non besoin d’aller aux urgences ; pour écrire un article ou un essai qu’on vous demande à l’école ; pour toucher son salaire — et de plus en plus pour tout le reste, comme acheter de la nourriture, choisir une assurance, obtenir un diplôme ou une attestation, et toutes les autres activités qui relèvent de notre participation à la vie publique. Aucune de ces choses n’est liée à l’industrie du divertissement, mais aucune d’elles n’est prise en compte quand les responsables politiques de cette industrie dressent leurs plans pour combattre le « piratage ». Tout ce que nous faisons aujourd’hui fait appel à Internet, tout ce que nous ferons demain le nécessitera.

Internet est important, mais les guerres de droits d’auteur le traitent comme une banalité : comme une télévision câblée 2.0 ; comme une évolution du téléphone ; comme le plus grand système de distribution de contenu pornographique. Des lois comme le « Digital Economy Act » permettent de déconnecter des familles entières d’Internet sans suivre aucune procédure, simplement parce que quelqu’un du quartier est accusé de regarder la télévision d’une mauvaise manière. Ce serait déjà totalement incorrect si Internet n’avait été qu’un simple réseau de distribution de contenu. Mais Internet est en plus un lien vital pour la famille, et le fait que des entreprises offshore du divertissement aient le droit de vous en retirer l’accès parce qu’ils vous suspectent de leur causer du tort, c’est comme donner à Brita le pouvoir de couper l’eau de la famille s’ils pensent que vous usez mal le filtre ; comme donner à Moulinex le pouvoir de débrancher l’électricité de votre maison s’ils pensent que vous utilisez votre mixeur d’une manière non autorisée.

Internet est le meilleur endroit — et souvent le seul — pour publier toutes sortes d’informations, et pourtant les juges de la Haute Cour de Justice ont décidé que l’industrie du divertissement pourrait lister les sites qu’elle n’aime pas et obtenir une décision de justice demandant aux fournisseurs d’accès de les bloquer sans audience, et encore pire, sans procès.

Internet fonctionne seulement lorsqu’il est connecté à des périphériques, et de ce fait, les périphériques connectés à Internet ont proliféré. Il n’y a pas que le téléphone dans votre poche — depuis la caméra de surveillance de votre sonnette jusqu’au dernier jouet de vos enfants, la catégorie des « périphériques autonomes » est rapidement en train de disparaître. Le futuriste Bruce Sterling a souligné, dans sa récente allocution « South By Southwest », qu’un ordinateur personnel de 1995 est parfaitement capable de traiter vos écrits et de lancer vos tableurs, mais vous aurez du mal à trouver quelqu’un de suffisamment intéressé pour vous le reprendre. Sans réseau, la valeur relative de la majorité des objets est réduite à zéro.

Et désormais, la directive européenne sur le droit d’auteur ainsi que des lois américaines comme le « Digital Millennium Copyright Act » font qu’il est littéralement criminel de débrider des appareils, d’installer vos propres logiciels sur ceux-ci, de faire de la rétro-ingénierie sur leurs logiciels embarqués et de découvrir des vulnérabilités cachées qui pourraient vous mettre en danger. Chaque semaine apporte son nouveau lot d’exemples d’appareils moins sécurisés qu’ils n’auraient dû l’être – plus récemment, une présentation à « ShmooConsecurity » a montré comment les caméras connectées en Wi-Fi « DSLR » peuvent être piratées sur Internet et ainsi se transformer en caméras de surveillance qui diffusent à de mauvaises personnes les vidéos secrètes de leurs propriétaires. Une politique demandant à changer le logiciel de ces périphériques connectés dans le seul but de vous assurer que vous ne passiez pas outre les contrôles régionaux ou que vous ne détourniez pas « l’App Store » est complètement dingue.

Revenons-en aux « solutions ». Il y a beaucoup d’esprits bien-pensants qui ont expliqué que ce blocage autour des droits d’auteurs peut être « résolu » en utilisant des moyens qui rendraient le paiement des artistes, et des sociétés qui les soutiennent, plus facile. Dans ce contexte, les solutions de micro-paiement ont gagné en notoriété grâce à Bitcoin. Puisque vous pouvez échanger une fraction de Bitcoin gratuitement, il peut être pratique d’échanger une sorte d’argent contre des miettes de divertissement, ouvrant des solutions de paiement qui étaient fermées jusqu’à maintenant. Il reste encore les « frais de transaction mentale » pour décider si un petit instant de divertissement vaut ne serait-ce qu’une minuscule somme, mais ça c’est un autre problème.

Cependant, même si les micro-transactions quintuplaient les fonds dans les caisses de l’industrie du divertissement, je crois que cela ne calmerait en rien les appels à plus de censure, plus de surveillance, et plus de contrôle. Les spécialistes en psychologie expérimentale ont longuement documenté « l’aversion à la perte » pathologique – où nous voyons plus ce que nous avons perdu que ce que nous avons gagné. L’industrie du divertissement est la tête d’affiche pour l’aversion à la perte – comment expliquer autrement les gémissements et les grincements de dents sur des pertes engendrées par le piratage alors que chaque année les chiffres du box-office sont élogieux ? « C’est sûr, on a fait plus au box-office que l’année précédente, mais pensez combien on aurait pu faire en plus s’il n’y avait pas le piratage ! »

Il en va de même pour les boycotts. Je suis d’accord pour soutenir des médias sans DRM et sous licence Creative Commons, mais même si nous focalisions tous 100% de notre budget divertissement et de notre attention sur des alternatives au Grand Contenu qui soient libres, ouvertes et bonnes pour Internet, cela ne distrairait pas pour autant l’industrie du divertissement de sa demande d’action pour résoudre le « problème du piratage ».

Regardez, je suis dans l’industrie. C’est mon pain et mon beurre. Si vous achetez mes adorables livres sous licence CC, je gagne de l’argent, et ça me rend heureux. En vérité, ma dernière sortie en Grande-Bretagne est « Pirate Cinema », un roman de science-fiction pour jeunes adultes sur ce même sujet qui a été fortement acclamé lors de sa sortie aux États-Unis l’automne dernier. Mais je ne suis pas juste un écrivain : je suis aussi un citoyen, un père et un fils. Je souhaite davantage vivre dans une société libre que dans une société où je peux vivre des improbables revenus de l’art. Et si le prix pour « sauver » mon industrie est la liberté et l’ouverture d’Internet, eh bien, je suppose que je vais devoir démissionner du club des 0,0000000000000000001 pour cent.

Heureusement, je ne pense pas que ça doive arriver. Le fait est que lorsque nous nous autorisons à réfléchir selon ces termes : « Comment fait-on pour que l’artiste soit payé ? », on se retrouve avec des solutions à mes problèmes, les problèmes du 0,0000000000000000001 pour cent, et nous laissons derrière nous les problèmes du monde entier.

Les campagnes anti-piratage soulignent le risque qui existerait pour la société si les gens acceptaient l’idée qu’il n’y a pas de problème à prendre sans demander (« Vous ne voleriez pas une voiture… » (NdT : c’est une référence à une célèbre vidéo propagande dans les DVD), mais le risque qui m’inquiète réellement est que les gouvernements vont penser que les dégâts collatéraux de la régulation, qui toucheront Internet, sont un prix acceptable pour accomplir des buts politiques « importants ». Comment expliquer autrement que le gouvernement inclue sans faire attention les petits blogueurs et amis ayant leur propre groupe Facebook dans le cadre de la régulation de la presse Leveson ? Comment expliquer autrement la détermination de Teresa May, dans le cadre du projet de loi sur les communications, à espionner tout ce que l’on fait sur Internet ?

Cette politique désastreuse vient d’une erreur commune : l’hypothèse que les dommages accidentels à Internet sont un prix acceptable pour servir vos propres buts. La seule possibilité pour que cela ait du sens est si vous baissez radicalement la valeur d’Internet — d’où toute la sympathie du gouvernement pour les écrivains anticonformistes qui veulent nous dire qu’Internet nous rend stupides, ou n’a joué aucun rôle dans le Printemps arabe, ou autres discours à trois sous. À chaque fois que vous entendez quelqu’un censurer Internet, demandez-vous en quoi cette personne pourrait bénéficier d’un Internet partiellement altéré en sa faveur.

Alors, quelle est la solution aux guerres de droits d’auteur ? C’est la même solution que pour les guerres contre la régulation de la presse, contre le terrorisme, contre la surveillance, contre la pornographie : il s’agit de reconnaître qu’Internet est le système nerveux de l’âge de l’information, et que préserver son intégrité et sa liberté contre les tentatives de surveillance, de censure et de contrôle est la première étape essentielle pour s’assurer du succès des autres objectifs politiques que l’on souhaite.

Quid de l’industrie du divertissement et du problème du « piratage » ? Eh bien, en 1939, l’écrivain de science-fiction Robert A. Heinlein publia son premier récit, « Ligne de vie », qui contenait sa prédiction la plus véridique :

« L’idée a mûri, dans les esprits de certains groupes de ce pays, que parce qu’un homme ou une entreprise a, pour un certain nombre années, tiré profit du public, le gouvernement et les tribunaux sont dans l’obligation de lui assurer un tel profit dans le futur, quand bien même les circonstances auraient changé et seraient devenues contraires à l’intérêt général. Cette étrange doctrine n’est fondée sur aucun statut ni par aucune loi du droit commun. Aucun individu, ni aucune entreprise n’a le moindre droit de venir en justice demander que l’on arrête le temps ou qu’on en inverse le cours. »




La surveillance étatique de masse, ça nous regarde !

Jacob Appelbaum est entre autres le fondateur du projet Tor, un réseau permettant de naviguer sur Internet de manière anonyme. Il en fait mention dans cette conférence inaugurale prononcée l’an dernier au congrès du Chaos Communication Congress, mais aussi des sérieux ennuis qu’il a eus avec les autorités américaines depuis un moment en particulier à cause de ses liens avec Julian Assange et Wikileaks. Pour en savoir plus à ce sujet, parcourez l’excellent livre d’entretiens auquel il participe : Cypherpunks (pour la version française, cherchez chez Jérémie Zimmermann, autre participant).

Il nous parle ici surtout de l’évolution de l’état de surveillance, ainsi que du dernier projet de la NSA à Bluffdale,  et ce que nous pouvons faire, et pourquoi cela nous regarde, d’où le titre original «Not my Department» qui peut se traduire par « pas mes oignons ». C’est tout le contraire dont il veut nous convaincre, tant l’urgence d’une action contre la surveillance généralisée lui semble s’imposer. Que Jacob Appelbaum ait été choisi pour inaugurer le Chaos Communication Congress ne doit certainement rien au hasard.

Ce texte de présentation et la traduction initiale de cette conférence sont le travail du framalinguiste émérite Sylvain Lemenn, Il a en outre réalisé tout le sous-titrage pour la vidéo de la conférence que vous pouvez voir sur cet article de son blog. Qu’il soit ici remercié de ce travail de longue haleine.

*  *  *  *  *

Bonjour Mesdames et Messieurs, je me réjouis d’être ici aujourd’hui, mais l’allemand n’est pas ma langue maternelle, aussi vais-je continuer en anglais.

C’est un honneur d’être ici aujourd’hui. Le Chaos Computer Club est comme une famille pour moi. Et c’est un si grand honneur de pouvoir vous parler à tous ici, et c’est ridicule que l’on m’ait demandé de faire ce discours d’ouverture. J’espère que je ne suis pas en train de faire perdre 3000 heures collectives aux personnes les plus intelligentes de cette planète pour ce que j’ai à leur dire dans les 60 prochaines minutes.

Je veux commencer en remerciant tout le public pour ma présence ici. Et aussi des personnes en particuliers, je veux parler de Laura Poitras, qui est la femme qui se trouve ici, car elle a produit et édité les vidéos que l’on va voir. J’ai travaillé pas mal avec elle, et c’est vraiment une artiste formidable et stimulante, que j’aime beaucoup. Et je voudrais commencer en faisant la lecture d’une vidéo, qui fait partie d’un projet d’art sur lequel nous travaillons, sur lequel beaucoup de monde travaille, et si on pouvait faire la lecture de cette première vidéo, je pense que ce serait un bon moyen de commencer.

Super. Donc maintenant nous avons une idée de la teneur de mon discours, n’est-ce pas ? Juste au cas où il y aurait une quelconque suspicion que je changerais de cheval de bataille en chemin.…

C’est un lieu, il s’appelle Bluffdale, dans l’Utah. Et c’est un des plus gros centres de données que nous connaissons, que la NSA est en train de construire. Et il y a la question, bien sûr, de la nature de ce qu’ils sont en train d’essayer de construire, et du pourquoi, ce qu’ils comptent exactement faire avec cet espace et comment. Et je vais parler un peu de ça. Très bien.

Et ce que j’espère souligner, c’est que cela nous regarde tous.

Donc c’est un opération lente. Mais il n’y a pas vraiment quoi que ce soit que l’on pourrait reprocher, dans cette opération, c’est juste la construction d’un très grand bâtiment. Et maintenant je vais lire des adresses, qui ont été transmises, quand Bill Binney, Laura, et moi-même avons fait un show chez Whitney.

2651 Olive Street, St. Louis, Missouri, 63103 United States.

420 South Grand Los Angeles, California, 90071 United States

6/11 Folsom Street, San Francisco, California, 94107 United States

51 Peachtree North-East Atlanta Georgia, 3030 United states

10 South Cannala Chicago Illinois 60606 United States

30 East Street South West Washington DC, 20024 United States

811 10th Ave New York, New York, 10019 United States

12967 Hollenberg Drive, Richtown

Un centre d’interception conçu pour stocker des données pendant un siècle

Ces adresses sont potentiellement des centres d’interception des communications locales aux États-Unis. L’une d’entre elles a été confirmée par Marc Klein, qui a sonné l’alarme et évoqué le fait que la NSA faisait de la surveillance intérieure. Moi et beaucoup d’autres personnes pensons que le but de centre de données est de bâtir quelque chose pour enregistrer et traiter une grosse quantités d’interceptions, selon les calculs de Bill Binney, qui a été analyste à la NSA pendant presque 40 ans. Il pense que ce centre sera utilisé pour stocker des données pendant probablement quelque chose comme un siècle. Et donc en théorie, on pourrait penser que ce n’est pas grand-chose, on n’a pas de souci à se faire. Je veux vraiment m’assurer qu’on va couvrir dans ce discours ce qui va se passer tout de suite, que ceci ici est dans les pensées de tout le monde. Un centre de données conçu pour stocker des données pendant un siècle semble être une théorie raisonnable pour ça. Et si vous lisez les informations disponibles à ce sujet, vous vous apercevrez en fait que cela semble être, probablement, une sous-évaluation. Et probablement, comme il y a plus d’un centre comme celui-ci, qu’il y a la possibilité qu’un siècle soit la version courte.

Et c’est une proposition extrêmement effrayante. Donc, l’une des raisons pour lesquelles je voulais vous montrer ça. Je veux en faire mon fil directeur, mais je veux vous communiquer une citation, qui est « Rien ne renforce la raison et n’augmente notre conscience plus que la responsabilité individuelle » qui est une citation d’une féministe connue sous le nom d’Elizabeth Stanton. Ceci je pense est utile quand on parle de choses qui ne sont pas nos oignons.

Car, qu’avons-nous à voir avec la NSA ? Qu’est-ce qu’on en a à faire de ce centre de données géant qui se construit à Bluffdale ? eh bien, en fait ce qui est en partie si effroyable, c’est qu’avec Internet et les systèmes de télécommunications tels qu’ils existent aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de frontière géographique. Cela change vraiment ce dont on peut et ne peut pas se soucier par rapport à avant. Le point crucial, c’est que les interceptions de la NSA, ces points d’interception, ils transporteront pas seulement le trafic des Américains, ils transporteront les paquets de tout le monde par Internet. Donc, se soucier de ce centre de données, c’est en fait une tâche très sérieuse que l’on doit étudier. Car en fait, cela impacte tout le monde. Mais même si on n’utilisait pas Internet, cela influe sur les gens qu’on aime de manière indirecte. Donc j’espère que dans les 50 minutes à venir, je serai capable de vous convaincre que ces choses sont vos oignons.

Et je veux en quelque sorte commencer à parler de ce que Rop et Frank avaient parlé pendant ces dernières années. Est-ce que quelqu’un ici a vu ces discours qu’ils ont donnés, comme le discours « On a perdu la guerre », et « Comment la société pourrait s’effondrer ? » Est-ce que vous pouvez lever la main pour ça ? Ok, donc, un peu près la moitié d’entre vous. Je veux dire qu’ils en ont parlé, et ils ont dit que nous avons perdu la guerre, la guerre sur le renseignement. Essentiellement, tellement de gens ont fait le choix de basculer du côté obscur de la force, comme cela a été appelé, c’est-à-dire travailler sur l’inspection de paquets, les équipement de censure, les équipement de surveillance, le ciblage d’informations, etc. C’est, en fait, ce qui s’est passé. Si vous regardez les métiers qui offrent des très bons salaires, que les gens connaissent, ce sont en général des métiers sur des systèmes de contrôle. Il y a des postes de recherche évidemment qui existent dans le monde,mais on gagne bien plus à travailler pour Lockheed Martin qu’à travailler pour une université. Donc les gens vont choisir, pour parfois de bonnes raisons, ou pour des raisons qui se comprennent, de faire ce genre de tâche. Et parfois des gens vont même recourir à des arguments d’ordre moral en disant des choses comme « grâce à Stuxnet, nous avons été capables d’éviter la violence ou de bombarder une usine ». Bien sûr, la réalité c’est que ces choses ne sont pas utilisées toutes seules, elles sont utilisées de concert avec les bombardements d’usines. Donc, il est certainement intéressant de mentionner que ces types, Frank et Rop, de même que bien d’autres personnes qui n’ont pas protesté et communiqué au Congrès leurs idées, que ces personnes tapaient vraiment en plein dans le mille.

Résister à un état policier et renverser la vapeur si on le souhaite

Et malheureusement maintenant, nous vivons dans le monde qu’ils annonçaient. Et c’est un monde incroyablement effrayant, et ces dernières années, j’ai eu le malheur d’être pris pour cible par une bonne partie de ce monde. Et je peux vous dire que cela a été un nombre de jours particulièrement désagréables. Vivre un jour après l’autre c’est la façon de le prendre, ou de s’en accommoder, et ce n’est pas une façon agréable ou facile de vivre. Et quand Frank et Rop ont parlé de cela, ils avaient encore une dose d’espoir dans leur voix, et je pense que c’était important. Donc ce que je voulais faire, c’était de prendre cet espoir et de se focaliser dessus. Et d’essayer de le prendre et de dire qu’en dépit du fait qu’il y a des systèmes de contrôle oppressants et qu’en dépit du fait qu’on vit tous maintenant dans un état policier, qu’il serait toujours possible, et je pense raisonnable de résister à cet état policier et de renverser la vapeur si on le souhaite. Et je pense qu’un jour pourrait venir où ce ne serait pas vrai. Je ne crois pas que ce jour soit arrivé aujourd’hui.

Donc, Frank voulait vraiment que j’insiste sur ce point, que l’on peut faire un choix de ce que l’on veut faire avec notre temps. C’est la notion du côté clair et du côté obscur de la force. Je ne pense pas personnellement que ce genre de blanc et noir, white hats et black hats, l’éthique des white hats et black hats, rime à grand chose, car je ne définis pas mon cadre moral et éthique en faisant des comparaisons avec des westerns en noir et blanc des années 50, et je voudrais dire qu’il y a une nuance ici. Mais il y a des choses simples que vous pouvez faire pour décider si vous travaillez sur quelque chose qui est oppressant. Et l’une d’entre elles est juste de vous demander si vous travaillez sur un système qui aide à contrôler d’autres personnes, ou si vous travaillez sur un système qui aide d’autres personnes à avoir un contrôle sur leur propre vie. Et c’est un test vraiment simple. Si vous travaillez sur l’inspection de paquets qui sera effectuée sur des gens qui n’ont pas leur mot à dire dans l’histoire,vous travaillez sans doute pour l’oppresseur. Ce n’est pas garanti, car il y a plusieurs facteurs qui rentrent en compte. Blue Coat ne considère sans doute pas qu’ils sont un outil dans l’arsenal des dictatures militaires. Mais la réalité c’est que quand le gouvernement d’Assad ou que la dictature militaire birmane ou que leurs soi-disant entreprises libérales en Birmanie utilisent Blue Coat, ce qu’elles font. Elle le font depuis quelques temps, et elles vont probablement continuer, Blue Coat fait en réalité partie du système de contrôle. Maintenant, sont-ils responsables ? C’est une bonne question. Je n’en ai pas la réponse, mais j’ai une réponse pour décider si oui ou non je pense qu’ils jouent un rôle dans cela, et c’est oui. Quel rôle ? eh bien cela reste à déterminer.

Et ce que j’espère, c’est que des personnes, particulièrement celles qui sont dans cette pièce, ont en réalité fait le choix qui est l’opposé de cela, qu’elles ont fait le choix de travailler sur des systèmes qui aident les gens à être libres. Quand, par exemple, nous voyons Mitch Altman de Noisebridge, qui a consacré sa vie à enseigner l’électronique aux gens, et à faire du matériel libre et du logiciel libre, nous voyons qu’il donne du pouvoir aux gens de manière positive. Et c’est quelque chose qu’en tant que communauté, je pense qu’on devrait vraiment faire la démarche de louer les gens qui font cela. Bunnie Huang qui fait du matériel libre, c’est un héros, vous pouvez l’applaudir si vous voulez. Le truc, c’est que je ne peux sans doute pas le faire, mais j’ai écrit un nom, une liste des noms des personnes qui m’ont inspiré, un jour que je prenais le petit déjeuner. Et elle est plutôt longue, donc je ne vais pas tout vous lire, mais c’est vrai aussi pour Lady Ada, Christine Corbett, et d’autres gens formidables partout. Des gens qui n’ont pas de nom, qui sont en fait anonymes dans la communauté, mais on devrait les considérer, et on devrait les considérer avec fierté, et et on devrait les considérer en apportant un soutien et une aide réciproque, et de la solidarité. Car il ne s’agit pas juste du négatif. Tout le monde ici ne travaille pas pour FinFisher, n’est-ce pas ? Et en fait, il y a sans doute plus de personnes qui travaillent contre FinFisher, merci pour ça. Dans ce but, nous pouvons faire un choix sur ce que nous aimons faire. Et il est possible de gagner sa vie en faisant du logiciel libre pour la liberté, au lieu de logiciels propriétaires malveillants pour les policiers…

Mais il y a un coût pour cela, et je veux attirer l’attention sur un point dans la vidéo suivante. Je vais être silencieux pendant sa lecture, contrairement à la dernière., et elle dure une minute, donc si vous pouviez la lire…

« Est-ce que la NSA intercepte régulièrement les courriels des citoyens américains ? »

— Non.

— Est-ce que la NSA intercepte les communications téléphoniques des Américains ?

— Non.

— Des recherches sur Google ?

— Non.

— Des textos ?

— Non.

— Des commandes sur Amazon.com ?

— Non.

— Des relevés bancaires ?

— Non.

— Quel accord légal est nécessaire pour que la NSA intercepte des communications et des données impliquant des citoyens américains ?

— Aux États-Unis, ce serait le rôle du FBI. Si c’était une personne en-dehors des États-Unis, la NSA ou d’autres services de renseignements sont autorisés à le faire. Mais pour mener ce genre de collecte de données aux États-Unis, vous auriez à consulter un juge, et le juge devrait l’autoriser. Nous ne sommes pas autorisés à le faire, et nous ne le faisons pas. »

Je pense que vous pouvez comprendre les sous-entendus ici, qui sont « je suis protégé, mais pas vous ». Je parie que ça vous comble de bonheur. Donc ce centre de données que nous regardions, ce qu’il vient de témoigner devant le congrès, c’était le général Alexander, c’est probablement la personne la plus puissante au monde, même plus puissante que le président des États-Unis, ou tout autre dirigeant au monde. Il dirige l’infrastructure de renseignement pour toute la NSA. Et il a des liens avec le reste des services de renseignement aussi. Donc ce qu’il dit simplement, c’est que s’il n’y avait que des Américains, par hypothèse, aux États-Unis, ils seraient sans doute tranquilles. Ce qui ne me réjouit pas, car il y a sept milliards de personnes sur cette planète, et seulement quelques-uns sont Américains, pourquoi devraient-ils être traités de manière spéciale pour cela ?

Donc ce gigantesque centre de données que nous voyons, il est pour chacun d’entre vous. Et il est aussi pour moi, car en dépit du fait que je suis américain, être associé avec Wikileaks, c’est comme… eh bien, ce n’est pas du bon temps aux États-Unis. Donc il y a un truc à dire ici, qui est que ce type est un putain de menteur tout d’abord, car nous tenons de Mark Klein la certitude que la NSA était en fait en train de mener une surveillance globale de toutes ces choses. Donc direct, le type est un menteur. Mais en plus d’être un menteur, ce qui déjà bien grave dans ce contexte, il ne fait même pas du tout semblant de prétendre que vous ayez une quelconque valeur. Et que vous avez des droits. Et que vie privée est importante. Et que votre dignité humaine compte, en raison de l’endroit où vous êtes nés, et du drapeau qu’il s’imagine que vous avez. Ceci pour moi est très déprimant, et en fait j’ai l’impression que cela donne au reste de l’humanité qui vit aux États-Unis une très mauvaise image, et donc j’en suis très désolé.

Quand vous êtes pisté, c’est le début de la fin de vos libertés

Mais je veux parler d’autres choses, qui concernent cela aussi, car si on réfléchit juste à la surveillance de masse de manière séparée, on aura, je pense, un petit problème, une petite suite de problèmes en fait. Donc parlons d’autres choses qui ont toutes des caractéristiques d’un état policier. Tout d’abord, la rétention de données et le flicage rétroactif, qui sont clairement des violations des droits de l’Homme en Europe c’est clairement le cas, ce genre d’activités fait de tout le monde un suspect. Et être un suspect, c’est déjà ne pas être libre d’après mon expérience, et en fait, au 18e siècle, il y avait un auteur britannique qui a écrit : « être libre de tout soupçon est l’une des premières libertés qui est importante pour être libre le reste de votre vie ». Quand vous êtes pisté, quand on enquête sur vous en raison d’un caprice de quelqu’un, c’est le début de la fin de votre liberté. Donc, il semble que la rétention de données soit le début de la fin d’un paquet de vos libertés. Et c’est une chose très effrayante. Et quand des gens font du flicage rétroactif, c’est quand ils génèrent ce manque de liberté d’une façon bien spécifique. Et puis ils font ce genre d’actions, cela dépend, bien sûr, dans quel état vous vous trouvez et quelles lignes de fibre optique vous avez utilisées quand vos bits les ont empruntées.

Mais comment est-ce que cela se passe ? Cela dépend, n’est-ce pas ? Et cela dépend d’une manière bien précise, donc par exemple, les attaques par drones, et je ne parle pas uniquement de la mort de l’innocent Anwar al-Aulaqis, ce gamin de 16 ans au Yemen, mais les morts par attaques de drones de milliers de personnes. Les informations sur les cibles sont envoyés à la CIA et à d’autres groupes depuis des centres d’écoute, de centrales de renseignement. Donc il y a un lien direct entre le renseignement, et le soutien à de véritables meurtres. C’est quelque chose d’effrayant, mais ce qui le rend encore plus effrayant, c’est la manière dont ces attaques par drones sont conduites, c’est-à-dire que c’est le comité central qui va décider qui vit, et qui meurt, ou la Chambre étoilée d’assassinat d’Obama, ce comité central, qui m’a l’air de ressembler à la logique soviétique dont je me rappelle de mon enfance. Ce comité central décide de manière non démocratique qui va être assassiné. Et c’est à un ou deux pas du renseignement. Donc quand vous aidez l’état policier, vous aidez littéralement à faire tuer des putains d’enfants. C’est quelque chose qui ne va peut-être pas m’aider à dormir la nuit.

Et vous pouvez choisir de ne pas en faire partie. Presque tout le monde ici, je pense, a fait ce choix. Mais si vous n’êtes pas décidés, je suppose que vous pouvez devinez dans quel camp je vous suggérerais d’aller. Mais il y a d’autres pistes. Admettons que les attaques par drones semblent un peu trop farfelues, n’est-ce pas ? Eh bien, en Ouganda, il y a eu un projet de loi depuis un moment qui semble presque annulé, mais pas tout à fait, pour lequel ils voulaient donner la peine capitale pour être un homosexuel, où le cas d’homosexualité prononcée est un crime. Je pense que c’est quand vous continuez à vous branler, je ne suis pas très sûr de connaître la définition de « homosexualité prononcée ». Mais la simple idée que quelqu’un pourrait être forcé de vous dénoncer, sinon il risque la prison, voilà quelque chose qui va être profondément modifié par la surveillance.

Bien sûr, nous pouvons parler de thèmes plus généraux, comme l’oppression du peuple tibétain par la Chine, nous pouvons parler des portes dérobées pour la police, et d’autres soi-disant logiciels malveillants d’interception légale, nous pouvons parler des guerres d’agression en Irak et en Afghanistan, de l’état policier touche-à-tout. Et c’est bien plus que ça, dans ce cas de figure l’état policier fait partie du système de contrôle qui cause tant de souffrances. Il peut aussi amener de bonnes choses dans ce monde, mais avec le secret, l’état policier devient une chose totalement inacceptable.

Donc on peut s’intéresser à d’autres choses qui sont tout aussi préoccupantes, et on peut voir qu’il y a des connexions qui ne sont pas évidentes. Les procès militaires des prisonniers politiques en Égypte, le génocide du peuple syrien, maintenant la justice britannique et suédoise en ce qui concerne Julian Assange, Les sympathisants nazis en Allemagne qui ont donné des passeports à des meurtriers nazis et qui n’ont toujours pas de compte à rendre, l’oppression et les coups portés contre les gens en relation avec Wikileaks, ou soi-disant contaminés par Wikileaks, les entreprises qui vendent des équipements à des dictatures brutales et des régimes autoritaires pour du renseignement aussi bien que de la censure, voire les deux.

La réalité, c’est que la police secrète et les agences de renseignement changent en fait notre capacité à nous gérer nous-mêmes librement, et elles le font d’une telle manière que ce n’est pas évident, et il semble impossible de résister. Parce que ces choses elles-mêmes sont secrètes, il devient extrêmement difficile pour nous de même savoir où commencer à résister. En son cœur, aux États-Unis, au point où on en est, c’est que nous avons des lois secrètes avec des interprétations secrètes, et un manque total de responsabilité. Fondamentalement, ce que sont ces choses, c’est qu’elles sont des méthodes avant-gardistes de répression, qui sont les prémices avant-gardistes du totalitarisme, elles sont paternalistes, insultantes, et soi-disant au-dessus de la loi.

quand on émet des critiques, on est écrasé

Si vous avez jamais eu l’occasion de rencontrer certaines des personnes qui travaillent dans les agences de renseignement qui sont toujours en place, certaines d’entre elles sont plutôt bien, elles sont au fond des personnes extraordinaires, mais en ce qui concerne leur travail, elles sont plutôt mal barrées. C’est-à-dire, si ces gens veulent garder leur travail, ils n’ont pas vraiment la liberté d’émettre des désaccords. Si on s’intéresse à des personnes, par exemple Bill Binney ou Thomas Drake, ce que l’on voit, c’est que quand on émet des critiques, on est écrasé. Votre vie de famille serait ruinée. Il y un prix très lourd à payer pour dire la vérité, il y a un prix très lourd à payer pour un système plus juste. Bill Binney m’a vraiment épaté d’une manière spéciale. Je pensais, sûrement qu’avec un type qui a travaillé à la NSA pendant 40 ans nous n’aurions pas grand-chose en commun, mais il s’avéra qu’il me dit qu’il pensait que l’espionnage était en fait un acte immoral, mais que peut-être pendant la guerre froide c’était un mal nécessaire. C’est-à-dire, que peut-être ils pouvaient empêcher une guerre atomique totale, et en même temps il concéda que ce n’était pas la bonne chose à faire que d’espionner les gens, que ce ne devrait pas être une fin en soi. Je fus vraiment touché par cela, car d’habitude c’est quelqu’un va dire « eh bien, sauf pour les Américains. Vous pouvez espionner tout le monde, mais pas les Américains. » Et pour lui, le déclic a été, si je le comprends bien, quand il a décidé qu’il était mal d’espionner tout le monde, et quand ils ont décidé d’espionner les Américains, il était clair qu’on ne pouvait pas leur faire confiance pour espionner qui que ce soit, pas un seul individu, et le faire d’une manière qui débouche sur de la justice. Cela m’a beaucoup surpris, m’a en réalité fait changer d’opinion plutôt radicalement à propos des personnes qui pourraient travailler à la NSA. Mais après, il s’avère qu’il a beaucoup souffert en conséquence de son opinion, donc peut-être que cela ne change pas trop mon opinion de beaucoup par rapport aux gens qui y sont encore.

Mais fondamentalement, les droits de l’Homme devraient en théorie être quelque chose pour lesquels on travaille collectivement en tant qu’être humain, en tant que peuple. Et pourtant, il ne semble pas vraiment que c’est ce qui est en train de se passer. Il y a beaucoup de théories à ce sujet, mais si vous tuez des centaines de milliers de gens, c’est très difficile de parler des bénéfices de ces technologies d’une manière qui ne ressemble pas à du fanatisme, juste du fanatisme basique. Donc, il arrive que l’on se construise des défenses psychologiques à ce sujet. Donc pour la moitié des personnes que j’ai rencontrées et avec lesquelles j’ai discuté, quand c’est la première fois qu’elles pensent à l’état policier, elles en parlent avec leur réaction première, quand elles ont passé 5 minutes à y penser. Et elles disent : « eh bien, cela ne me concerne pas », ou « cela ne va pas changer ma vie », « en fait, les seules personnes qui vont sentir un changement, seront les personnes qui le méritent », « vous savez, celles qui font l’objet d’une enquête légitime ». Je ne suis en fait pas sûr de savoir ce qu’est une enquête légitime, quand vous ne pouvez pas tenir les gens pour responsables, et qu’il y a des lois secrètes. Être gouverné par des lois et être soumis à la loi n’est pas exactement la même chose. La gouvernance par décrets ne veut pas dire qu’elle est juste, juste parce que c’est écrit, particulièrement si l’interprétation est secrète.

Donc, après que les gens reconnaissent que cela pourrait changer leur vie, il y a quelque chose d’extraordinaire qui se passe, et l’une d’entre elle, c’est que les gens vont essayer de minimiser leur rôle dedans, en disant des trucs comme « eh bien, ce ne sera pas possible de me retrouver dans ce gigantesque ensemble de données », ou « même si je me distingue, rien ne va m’arriver ». Et puis finalement, s’il leur arrive d’être aussi malchanceux que je l’ai été ces dernières années, ils diront quelque chose comme « eh bien le système marche, et aucune injustice ne va arriver, car l’état est bienveillant ». Il n’y a pas beaucoup de personnes que j’ai rencontrées qui en sont à cette étape, et qui continuent vraiment à croire cela pour très longtemps. Cela pourrait être bien de considérer qu’on n’a pas besoin d’en arriver là pour reconnaître qu’il y a une grande démence dans cette manière de penser, dans ce schéma de pensées. Il se pourrait que l’état policier qui existe en fait, est problématique, même si vous ne comprenez pas complètements ses effets négatifs. Donc vous pouvez voir cela aussi comme mécanisme de défense dans les groupes, en réaction.

Je pense, que la séparation entre Wikileaks et Open Leaks est probablement le meilleur exemple du fait que les groupes, même des groupes bien soudés, vont diverger, vont générer des rancunes, et que ce sera en fait un désastre. Et c’est très triste, tragique même, et ce genre de chose, même quand on essaye de les combattre, on n’est pas très sûr de savoir comment elles arrivent. Je veux dire, dans l’histoire on peut voir comment ces genres de disputes peuvent arriver, mais le fait est qu’on n’en tire pas toutes les leçons. Donc, c’est plutôt triste, que l’on concentre autant d’énergie sur des éléments avilissants comme quand quelqu’un fait un truc génial, et que quelqu’un dit « ah oui, mais ce truc », et la discussion s’entame sur ce truc. Je pense, en fait, qu’il pourrait être plus sensé de se concentrer sur les choses positives, aussi. Il est vrai que parfois les gens font du matériel libre et du logiciel libre, mais avec un blob propriétaire, cela ne veut pas dire qu’on ne devrait pas les remercier, et les créditer pour ça, en fait, vraiment les féliciter de donner autant d’efforts pour faire des choses les plus libres possibles. C’est trop dommage qu’un truc ne soit pas libre, mais peut-être qu’on peut fournir un effort supplémentaire et libérer ce truc-là. C’est presque la même observation, mais la façon dont c’est dit nous permet d’y penser comme si on faisait partie du projet. Et cela aide à garder les gens ensemble, et cela aide à garder les gens motivés pour travailler ensemble, en fait. Je pense que c’est une idée utile, d’essayer d’adopter ce comportement.

ce mécanisme de défense qu’ont les gens, de penser qu’ils sont journalistes, donc protégés, et que personne ne va rien leur faire, c’est un non-sens. Aux États-Unis, chaque journaliste qui est soumis aux tentacules des écoutes du sans fil est… surveillé

Nous avons aussi des défenses psychologiques à propos du monde physique, ce dont j’ai personnellement une grosse expérience. Par exemple, cette idée que les mandats sont obligatoires pour pénétrer dans une maison, que votre lieu physique est d’une façon ou d’une autre protégé, c’est une idée dépassée, Je ne le crois certainement plus maintenant, c’est un peu triste, mais cela ne semble pas être le cas. Aux États-Unis, il y a une chose appelé le Patriot Act. Et la section 215 du Patrio Act dit essentiellement quelque chose, et c’est interprété d’une toute autre façon, c’est à dire, qu’il y a une interprétation secrète de la section 215 du Patriot Act. Et si vous questionnez Bill Binney à ce sujet, il vous dirait que c’est de bonne guerre. C’est-à-dire, peu importe ce que vous pensiez que la Constitution disait, ou peu importe ce que vous pensiez que la Déclaration universelle des droits de l’Homme disait, ce n’est pas vraiment ce qui est en train de se passer. Et donc, ce mécanisme de défense qu’ont les gens, de penser qu’ils sont journalistes, donc protégés, et que personne ne va rien leur faire, c’est un non-sens. Aux États-Unis, chaque journaliste qui est soumis aux tentacules des écoutes du sans fil est… surveillé, hors de toute considération des protections du journalisme en général.

Chaque membre du Congrès, chaque personne dans cette pièce, particulièrement chaque personne dans cette pièce. Et bien sûr, des gens vont dire des choses comme « bah, ne traverse pas la frontière avec quoi que ce soit ». C’est juste tellement stupide. Donc vous savez, par exemple quand j’ai traversé la frontière avec un téléphone, je ne suis en fait pas autorisé à vous dire ce qui est arrivé au téléphone. Et évidemment c’était une erreur de traverser la frontière avec un téléphone. Mais ce n’était pas tant une erreur, puisqu’un téléphone se connecte au système téléphonique, et chaque numéro dans ce téléphone avait déjà été utilisé pour répondre à un appel, donc ce n’est pas comme si ce jour-là, il n’était pas déjà dans les mains des oppresseurs… En l’occurrence il y avait aussi dans le répertoire des faux numéros supplémentaires juste pour s’amuser. Je veux dire, si un état policier se met à arrêter des gens coupables d’avoir des relations, vous voudriez être sûr d’avoir des numéros de connards dans votre téléphone, n’est-ce pas ?

(applaudissements)

rien ne va plus gâcher votre nuit que sentir qu’il y a un état entier qui vous marche sur la gorge

Mais la réalité, c’est que quand je ne peux pas passer la frontière avec quelque chose de compromettant, c’est moi qui décide d’être docile, et c’est moi qui décide d’accepter oppression. Et chacun ici pourrait faire ce choix, mais je dis « merde », ce n’est pas un choix qu’on devrait avoir à faire. C’est en fait un mécanisme pour faire avec, et ces mécanismes viennent en réaction au sentiment qu’on n’a pas de moyen d’action, qu’on est totalement impuissant, par exemple les gens qui ruminent des pensées comme « comment je vais manger ? », « comment je vais nourrir mes enfants ? », « comment je vais les éduquer ? », « si je ne joue pas le jeu, si je ne me soumets pas, ils vont me faire vivre l’enfer ? ». Une partie du problème ici, et c’est marrant de dire ça en Europe car le contexte est si différent, une partie du problème ici est l’état. Quand l’état a le pouvoir pour nous faire avoir ce genre de pensée dans notre tête, quand il nous permet de créer et de faire ces choix, nous devenons moins libres. Donc, peut-être qu’en reconnaissant ces mécanismes, et qu’en essayant d’identifier le suivant sur la liste, essayer d’isoler la prochaine pensée, cela pourrait être utile. Je pense que c’est utile. Et en ce qui me concerne, ce que j’ai essayé de faire, de reconnaitre, c’est que j’essayais de m’arranger avec une situation qui était ingérable. Je veux dire, rien ne va plus gâcher votre nuit que sentir qu’il y a un état entier qui vous marche sur la gorge. Ce n’est même pas cool d’en parler en soirées, je veux dire il n’y a vraiment pas grand-chose de sympa là-dedans.

Mais il y a du bon à en tirer, c’est de montrer aux gens qu’on n’est pas sans option. Que cela ne termine pas simplement dans les pleurs. Je veux dire, cela pourrait, mais pas tous les jours. Vous pouvez choisir comment cela se passe. J’ai eu l’opportunité de rencontrer le Dalaï Lama en Inde, il y a un peu près deux semaines, et de rencontrer le peuple tibétain qui s’est échappé du Tibet sous le règne de oppresseur chinois. Des gens qui ont été électrocutés, eu le crâne fendu, les tripes arrachées, les dents cassées, leur famille emprisonnée, tout y passe, ils l’ont vécu. Et j’ai pris conscience que je n’ai pas de problèmes, par comparaison, mais j’ai compris ceci : ce sont les personnes les plus accueillantes que vous puissiez imaginer, c’est plutôt touchant, en dépit du fait qu’ils représentaient une théocratie brutale il y a un siècle, ils ont certainement appris depuis. Et c’est un fait que nous pouvons décider comment nous faisons face à ces choses. Nous pouvons devenir de plus en plus froids, ostracisés, nous pouvons nous détruire, nous pouvons affaiblir nos communautés, nous pouvons travailler contre nos intérêts dans le long terme, ou nous pouvons essayer de trouver de la joie dans la vie que nous avons, et nous pouvons essayer de faire un monde meilleur que celui dont nous venons, dans lequel nous avons vécu.

Quand je regarde Bill Binney, et Thomas Drake, et Jesselyn Radack, et John Kiriakou, qui sont des lanceurs d’alertes importants aux États-Unis, et trois d’entre eux sont en fait dans le public ici, et font une conférence que vous devriez voir, plus tard aujourd’hui. C’est la meilleure chose de ce Congrès, et j’inclus ce discours (rires). Ces types et Jesselyn sont incroyables, et je recommande que vous écoutiez leur histoire, car ils seront capables de vous dire ce que cela fait que de protester pour les bonnes causes, et même d’essayer de le faire de la manière la plus directe possible, par les voies normales. Binney a en fait passé dix ans dans le système lui-même, tout ça pour conclure que le système ne marche pas comme il devrait pour régler les problèmes dont il est censé s’occuper. Donc c’est une personne, qui je pense, a épuisé tous les recours possibles, que je n’aurais même pas considérés. Mais il m’a prouvé que je ne m’en serais pas donné la peine pour de bonnes raisons. Je veux dire, cela ne marche pas bien, et il y des choses à dire à ce propos. Mais leur histoire, je ne peux la raconter comme il faut, de même que je ne peux pas raconter l’histoire de Bradley Manning, ou celle de Julian Assange, et ce à quoi il est confronté maintenant. Mais ce que je peux dire de ces choses, c’est que si on les compare et confronte avec l’histoire de Robert Bails, le soi-disant massacreur (on peut employer ce mot je suppose), c’est que quand vous êtes au service de l’état, même si c’est pour tuer (il paraît) vingt afghans, ils vous emmèneront en deux temps trois mouvements, vous donneront du temps pour votre famille. Au contraire du cas de Bill Binney qui a un pistolet braqué sur sa tête quand il prend sa douche, ils s’assurent juste de l’emmener vers le centre de détention général de Leavenworth. Comparez ça à disons, Bradley Manning, qui a passé des mois à être torturé à Quantico avant de découvrir le centre de détention général de Leavenworth.

Il y a quelque chose à dire à propos de ce genre d’exemples qu’on a vus avant, et je pense que ce que l’on peut dire, c’est que certaines personnes ont un chemin très difficile, et quand elles choisissent d’emprunter ce chemin, cela vaut le coup de faire ce choix ; Bill, Thomas, et Jesselyn ont travaillé très dur en essayant de montrer au monde, qu’en fait cela ne vaut pas vraiment le coup de renoncer, mais ce n’est pas une tâche facile, et quand on parle à Thomas, de l’impact que cela a pu avoir sur sa famille, il est clair pour moi que l’état a fait exprès que ce soit dur, c’est une de leurs tactiques.

Mais la conséquence, c’est que les gens pensaient que moi, ou les gens qui parlaient de l’état policier, qui parlaient du centre de données de l’Utah, que nous étions complètement cinglés. Mais maintenant ce n’est pas le cas. Plus personne ne pense cela maintenant. Maintenant nous comprenons que le programme d’écoute de la NSA existe. Nous comprenons que le centre de données est là pour espionner sur nous tous. Nous ne cherchons plus à nier les faits. Nous ne les nions plus. C’est la réalité. C’est à cause des choses qu’ils ont faites qu’il en va ainsi. C’est en raison du courage qu’ils ont dans leur cœur, et des souffrances qu’ils ont endurées.

l’anonymat à lui tout seul n’est pas assez. Il faut aller plus loin.

Et le but n’est pas de larmoyer sur leur cas, et le but n’est pas de dire que l’anonymat n’est pas important, c’est juste de dire que l’anonymat à lui tout seul n’est pas assez. Il faut aller plus loin. L’anonymat va vous faire gagner du temps, mais il ne va pas apporter de la justice à tout le monde. Il ne va certainement pas leur apporter de la justice, et cela ne les aiderait pas de toutes façons, car sur le long terme, il est facile pour l’état de lever l’anonymat de tout le monde, en fait je pense que ce sera assez facile de lever l’anonymat de presque tout le monde dans un état totalement policier, car nos habitudes nous trahiront, car notre manière d’écrire nous trahira. Donc, en théorie, les choses que j’ai dites sont des choses qui ne sont probablement pas un scoop pour personne ici, et vous entendez souvent cela comme tactique de déni, « eh bien, ce n’est rien de nouveau, il n’y a rien de spécial ici ». Bien, je l’entends. Et j’aimerais vous soumettre un « arrêtons de jouer les gros malins », car il est vrai que certaines de ces choses ne sont pas nouvelles, mais la réalité c’est que nous devons faire quelque chose à ce sujet, et peu importe pour combien de temps on a su que cela ne tournait pas rond. Donc il y a des choses que nous pouvons faire en réalité.

Et cela vaut la peine de mentionner que cela n’arrive pas qu’aux informateurs, ou à leurs connaissances, ceux qui sont les personnes les plus dangereuses sur Internet, ou à ceux sous anonymat, ou des choses comme ça. Cela arrive à Monsieur Tout-le-monde. Et je vais vous parler à peu près deux minutes, eh bien c’est un exemple très personnel et je me suis demandé si j’allais le mentionner ou non, et je pense que je vais en parler, juste parce que je pense que c’est important.

Aux États-Unis, ce n’est sans doute pas une surprise pour la plupart d’entre vous, j’ai une mère. Mais ma mère et moi ne sommes pas spécialement proches, et malheureusement pour elle, ma mère est plutôt une malade mentale, et sa vie est plutôt tragique, plus tragique que celle des personnes que j’ai mentionné jusqu’ici. Mais ce qui est le plus tragique en ce qui la concerne, c’est que pendant ces deux dernières années, à peu près quand on a commencé à me harceler aux États-Unis, mais probablement sans aucun lien, elle a été arrêtée et emprisonnée. Et l’état a en fait violé toutes les lois que vous pouvez imaginer en l’arrêtant, y compris l’irruption dans sa maison sans mandat pour fouiller ou arrêter. En dépit du fait qu’elle a été arrêtée dans des circonstances très louches, et en dépit du fait que sa vie a été totalement détruite, quand sa maison et ses biens lui ont été confisqués, et qu’on ne lui a rien laissé, elle a été conduite de force dans un hôpital psychiatrique. Et en conséquence, ils ont décidé qu’ils peuvent la retenir pendant trois ans sans procès. Maintenant, être malade mentalement, ce n’est pas en soi un crime. Mais parce qu’elle a été arrêtée pour quelque chose qui est soi-disant un crime, cela veut dire qu’ils peuvent la retenir jusqu’à ce qu’elle soit saine, ce qui a pour effet de criminaliser la déficience mentale, ce qui est trop dommage, elle est légitimement une malade mentale, et elle aurait besoin d’aide, mais la façon dont ils ont décidé de l’aide, c’est en détruisant sa vie, si bien que quand elle échappera aux plaintes auxquelles elle fait face, elle n’aura plus rien vers quoi se tourner.

Donc ce sont les effets d’une société totalitaire, qui poursuit Bill Binney, Thomas Drake, Jesselyn Radack, Bradley Manning, Julian Assange, et moi-même. Et elle m’a dit, bien qu’elle soit dérangée, donc c’est difficile de faire la part du vrai et du faux, qu’elle a été interrogée deux fois sur moi et sur Wikileaks. Une fois avant qu’elle ne soit traitée, et une fois après qu’on lui a fait prendre de force des médicaments anti-psychotiques. Maintenant, c’est pour le moins plutôt dérangeant. Mais le plus dérangeant, c’est que je ne sais pas si ce sont ses divagations parce qu’elle est plutôt cinglée, ou si c’est vrai.

c’est le problème de tout le monde

Mais le point important, c’est que si on regarde la situation de face, c’est que c’est une personne qui traverse une période difficile. Ce que l’on peut en retirer, c’est que c’est le problème de tout le monde. C’est aussi en fait techniquement mon problème, mais le point important ici, c’est de reconnaître qu’elle représente ce qui arrive à Monsieur Tout-le-monde dans la société américaine. Et c’est une réalité vraiment dérangeante, de voir cela arriver. Donc que pouvons nous faire à ce sujet ? N’est-ce pas ? Je veux dire, si vous n’êtes toujours pas convaincu que c’est ce qui arrive à Monsieur Tout-le-monde, eh bien vous passerez votre chemin, très bien. Je ne sais pas exactement ce que je pourrais dire pour vous convaincre, mais je suppose que je pourrais dire d’aller voir les enfants qui ont été tués par les attaques de drones, et voir quelle justice ils ont reçu. Mais il me semble plutôt qu’on doit se battre contre ces choses, mais on doit faire plus que seulement se battre, car seulement se battre contre ces choses devient corrosif. Pareil pour Bradley Manning. Dans la situation de ma mère, se battre contre son emprisonnement injuste, pareil pour Assange, pareil pour toutes les personnes qui ont été injustement harcelées, ou pire. Cela vous vide, et cela détruit votre vie, et cela détruit votre capacité à avoir de l’espoir, à s’amuser, et pouvoir se relaxer. Je ne peux même pas me souvenir de la dernière fois où je ne me suis pas endormi en me demandant si je me réveillerais avec le canon d’un pistolet dans ma bouche, en vivant aux États-Unis. Parce que c’est le genre de monde où on vit maintenant. Et peut-être êtes-vous chanceux car vous ne vivez pas dans ce monde, mais la réalité c’est que beaucoup de monde vit dans ce monde. Et qu’ils le méritent ou non, il y a des choses à dire sur les gens qui ne se font pas arrêter, qui doivent s’inquiéter de ce genre de chose. Peut-être est-ce un monde dans lequel vous ne voulez pas habiter.

Donc, et si au lieu de simplement se battre contre ces choses, on construisait des alternatives, et précisément essayer de construire des alternatives durables, et accepter l’idée qu’on risque de perdre notre démocratie dans le monde, et qu’on perd notre capacité d’action. Nous sommes de plus en plus déprimés à propos de notre gouvernance démocratique, et on sent qu’on n’a pas de représentation dans nos parlements et congrès respectifs. Je pense que c’est un pas très utile à franchir, car cela veut dire qu’on peut faire d’autres pas. Car une fois qu’on admet qu’on a ce problème, on peut essayer d’en venir à bout. Au projet Tor, l’une des choses que nous avons essayé de faire, c’est de construire une chose appelée Ooniprobe, et Arture Filasto et Isis Lovecruft, qui sont deux des hackers les plus géniaux programmant en python dans le monde, ont travaillé sur une sonde, pour essayer de détecter la censure sur Internet, de sorte qu’on puisse y remédier. Ils bâtissent une alternative positive, avec laquelle on aura des données pour pouvoir parler des violations des droits de l’Homme, dans le contexte d’observations scientifiques, ce qui nous permettra d’avoir concrètement une conversation pour savoir si on fait ou non les bons choix pour nos sociétés, s’il y a ou non un problème dans le contrat. Ce genre de méthode constructive est épatante. Et on devrait l’applaudir. Je ne sais pas si tu veux te lever Arturo, mais tu devrais !

(applaudissements)

quand on fait du matériel libre et open source, on permet aux gens d’être libres à un degré impossible auparavant.

J’ai récemment utilisé ce code. J’ai écrit la toute première version d’Ooniprobe, et Arturo s’apprêtait à travailler dessus, et il l’a réécrit en entier. Je l’admets, je pense que c’était probablement le bon choix. Mais je l’ai utilisé en Birmanie, et en l’utilisant, on a accidentellement découvert un nouveau moyen de détecter des équipements de surveillance, ce que l’on n’avait pas imaginé avant, Donc même si vous ne connaissez pas un site sous censure, si vous utilisez Twisted, c’est si efficace que ça va faire bugger l’équipement Blue Coat. Pour un non sens sur le site. Merci Blue Coat. Ce genre d’approches constructives vaut la peine d’être mentionnées, et il y en a beaucoup. Tous ceux qui travaillent sur le projet GNU, sur des logiciels open source et libres, tous ceux dans cette pièce qui ont travaillé sur du matériel libre, sur de la documentation, ce sont les choses sur lesquelles on devrait se concentrer. Et on devrait le faire avec des objectifs. On devrait essayer de penser que quand on fait du logiciel libre et open source, quand on fait du matériel libre et open source, on permet aux gens d’être libres à un degré impossible auparavant.

du logiciel libre pour la liberté

Littéralement, les gens qui codent des logiciels libres donnent des libertés. Il y a à peu près 10 jours, j’ai eu le… plaisir est le bon mot je suppose, d’aller en Birmanie, et j’ai rencontré des hackers libristes qui vivent dans des situations qui sont impensables. Une personne que j’ai rencontré avait été condamnée à 15 ans de prison pour avoir reçu un courriel avec un dessin politique dedans. Et c’était considéré comme recevoir de l’information illégale, ou quelque chose dans le genre, et il a fait 4 ans dans un camp de travail, avant d’être libéré en début d’année. Donc avec de telles conditions pour hacker, dans lesquelles les communications ne sont pas libres, où une puce Sim coûte $250, où l’accès Internet et la censure dépendent de nombreux paramètres, ces personnes font du logiciel libre et travaillent dessus, littéralement du logiciel libre pour la liberté. Donc quand vous travaillez sur le logiciel libre pour la liberté, vous leur permettez aussi de travailler pour la liberté. C’est le genre d’aide mutuelle et de solidarité, dont vous n’avez même pas besoin d’être au courant quand vous travaillez dessus. Mais vous l’êtes. Tout le monde ici qui travaille sur du logiciel et du matériel libre et ouvert, contribue activement à construire un monde meilleur. Et pourtant il y a des exceptions. Il y a parfois des gens qui changent de licence, car ils sentent qu’ils n’ont pas assez de reconnaissance. Je pense que c’était Theo de Raadt qui l’avait dit. D’accord, ça arrive. Mais finalement, dans l’ensemble, c’est une chose positive, et écrire du logiciel libre c’est super.

Et finalement, une partie de mon objectif ici, quelque chose sur lequel on peut se mettre d’accord je pense, c’est d’essayer de vivre des vies agréables, libres de toutes contraintes. Quelle que soit la manière dont on mène nos vies, c’est quelque chose sur quoi on veut travailler pour que tout le monde puisse l’avoir, une vie libre, et dans un sens très précis, où il peuvent choisir ce que leur liberté représente, ce que va être leur vie. Travailler dans ce but, c’est ce que vous pourriez appeler, comme le dirait Peter Singer, une philosophie utilitariste basée sur des préférences. La pratique, c’est que je pourrais vouloir ne pas croire en Dieu, mais je pourrais respecter le fait que vous voulez croire que Dieu existe. Nous devons accepter que nous vivons dans un monde varié, que les gens soient d’accord ou pas, n’est-ce pas ? Les nazis allemands que la police secrète aidait ? Ces types sont en train de mourir. Même s’il y en a beaucoup, il y a 7 milliards de personnes sur cette planète, et pas une seule personne ne va les aider à réaliser leur rêve de se débarrasser du reste du monde, qui ne croit pas en eux. Et c’est très bien en fait. Vous entendez cela de la part de quelqu’un d’origine juive, se tenant debout ici à Hambourg maintenant, ce qui est fantastique.

(applaudissements)

une relève de la garde est en train de se faire


Donc même si Rop, dans le public ici, se sent plutôt à bout, sent que les temps sont durs, parce que c’est vrai, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’espoir. Il veut partir, et construire une ferme, et je ne suis pas sûr de savoir où il est dans le public, mais il veut partir et bâtir une ferme, et passer du bon temps, et je pense que c’est génial. Je pense que c’est assez de résistance, son projet vaut la peine d’être étudié. Mais je pense aussi que pour les personnes qui ne sont pas vidées, il y a une relève de la garde qui est en train de se faire. Et donc c’est le tour d’une nouvelle génération, de faire ce que Rop a fait pendant ces trente dernières années, si je ne me trompe pas ? Wow ! On devrait le remercier pour cela, j’ai envie de dire.

(applaudissements)

Donc je pense qu’on devrait arrêter d’essayer de se faire des illusions quand on dit qu’on s’en fout, ou qu’on veut aider, mais qu’on n’aide pas pour ce qui est évident, ce qui nous menace. On devrait essayer de travailler ensemble, de construire des structures indépendantes, de remplacer les parties de l’état qui ont été démantelées. C’est quelque chose que je pense incroyable, et difficile à comprendre par tout le monde, mais une des raisons pour lesquelles nous perdons tellement dans notre société, c’est parce que nous n’avons pas de contrôle démocratique sur les choses qui comptent pour nous. Donc ce que nous devons faire, c’est d’essayer de remplacer ces structures, surtout ces structures qui manquent. Et j’inclus des trucs pas sexy dedans, comme les crèches, l’éducation, ainsi que, vous savez, des communications libres et ouvertes pour les téléphones. Tout est lié, donc je pense que nous devons évoluer vers un monde où nous agissons, pas réagissons.

Je pense à cette histoire d’Emma Goldman, qui est une des plus grandes féministes et anarchistes à avoir marché sur cette terre, en regard de son travail et de ses réalisations. Elle parlait des façons dont elles voulait changer le monde en mieux, pour faire naître cette utopie anarchiste, et un vieil homme l’interpella, et dit : « eh bien, j’aimerais bien une heure de loisir supplémentaire et je reconnais que faire des compromis est difficile, mais vous savez, je suis vieux, et je vais mourir et je ne connaîtrai jamais cette utopie anarchiste, donc une heure de loisir supplémentaire par semaine m’est très utile, et c’est tout ce que je voudrais avoir » Et je pense que cette histoire est un bon rappel, et je la raconte mal et rapidement, pour dire qu’en fait les moyens sont en fait les fins, dans la plupart des projets que nous faisons.

Donc les gens qui préfèreraient s’introduire dans des ordinateurs et espionner des gens pour le compte de l’état mettent des gens en prison, souvent de manière injuste, et même quelquefois de manière juste, même si je n’en suis pas fan, je comprends que des bonnes choses peuvent en découler ; la réalité c’est que la structure de contrôle est devenu une machine qui craque des systèmes et espionne des gens. C’est la fin pour des personnes qui en prennent conscience trop tard. Et je reconnais que cette discussion de moyens et de fins prête plutôt à controverse. Mais la réalité, c’est qu’on n’agit pas avec compassion avec les gens qui souffrent quotidiennement, tous les jours, quand on détourne les yeux, à cause de petites querelles. Par exemple, les gens n’aiment pas certains aspects de Julian Assange, ou de Bradley Manning, ils détournent les yeux des injustices auxquelles ils font face. Même si les avis divergent sur beaucoup de points, les gens ne méritent pas d’être torturés, et les gens ne méritent pas d’être injustement emprisonnés. Pour moi, je pense que…

(applaudissements)

Vous pouvez applaudir si vous le désirez. Eh bien, j’ai mauvaise conscience de mentionner son nom que maintenant. Moxie Marlinspike, qui est un type super, je l’aime bien, il est incroyable. Il dit qu’une partie du problème c’est, vous savez je paraphrase, que nous ne pensons pas avoir de moyen d’action, nous ne pouvons pas réagir par rapport à toute la merde qui arrive dans le monde. Mais la réalité c’est que nous en avons un. Donc si vous pensez… Faisons un sondage. Levez la main si vous pensez que l’anonymat est bien, et que c’est un droit humain que nous devrions protéger. Maintenant levez la main si vous voulez faire quelque chose à ce sujet. Maintenant gardez votre main levée si vous allez opérer un relais Tor.

(rires)

Nous avons les moyens d’agir


Tous ceux qui ont baissé leur main, pourquoi n’allez-vous pas opérer un relais Tor ? Vous pouvez faire quelque chose à ce sujet en ce moment même. Il faut s’en donner la peine. Mais c’est ça. Nous avons le moyen d’agir. Et parfois nous faisons le choix de les utiliser ou non. Et je respecte cela. Nous avons ce choix, et je suis content que ce soit un choix. Mais nous devrions reconnaître lorsque nous ne faisons pas ce choix, ou quand nous avons peur. La bravoure, ce n’est pas l’absence de peur. C’est continuer d’avancer, même quand on a peur, parce que vous savez que c’est la bonne chose à faire. Donc il est important d’être courageux, et de reconnaître que la peur existe. Et qu’il est important de refuser d’être ostracisé par notre société. Et qu’il est important d’avoir de la solidarité, avec des grandes causes, au lieu de juste pointer du doigt les différences, ou les choses sur lesquelles on est en désaccord.

Avoir de l’aide mutuelle de l’humanité toute entière, c’est quelque chose incroyable, extraterrestre quelque part, mais c’est la communauté des hackers qui a voulu envoyer des gens sur la lune. Donc je pense que nous pouvons nous faire plaisir un peu aussi.

(applaudissements)

faire avancer les bouts de démocratie qui nous restent dans ce monde

Donc, j’ai dit que j’allais parler de résistance, mais c’est au-delà de la résistance, car une partie de la résistance, c’est de s’assurer que les gens font les choses différemment. Et si au lieu de s’assurer qu’on ne fait pas les choses de la même façon, on s’assurait d’avoir des alternatives disponibles, qu’on pourrait librement choisir ? Eh bien, c’est en partie ce qu’il se passe ici. Les gens ne vont pas choisir de crever de faim. Les gens vont faire le choix de faire ce qui garantit à leur famille d’être nourrie. Donc nous devons remplacer les structures qui permettent la famine. Et pareillement, nous devons nous assurer en construisant ces structures, que nous les faisons de manière juste et durable. Nous devons nous assurer, que si tirer la sonnette d’alarme et fuiter de l’info sont fondamentalement des tactiques utiles pour une stratégie de transparence sur le long terme, il existe d’autres moyens. Les écrits de Gene Sharp à ce sujet sont vraiment extraordinaires, et je recommande leur lecture. Car chanter et danser dans la rue, même si cela ne semble pas aider, c’est documenté comme ayant mis un terme à des dictatures.

Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire pour continuer et faire avancer les bouts de démocratie qui nous restent dans ce monde. Et nous devons en fait les faire grandir, et aider d’autres gens. Et cela vaut la peine de le faire. Bien, l’hacktivisme est une stratégie que je pense utile. Et il est bon de mentionner que si s’introduire dans un système est parfois plutôt difficile, c’est fondamentalement plus facile que de construire quelque chose, quelque chose dont tout le monde peut se servir librement, qui va aider les gens.

Mais parlons de ces tactiques élémentaires un moment, car je n’ai presque plus de temps. Mais il y a des choses effroyables. Comme par exemple, j’ai dit que nous devrions nous débarrasser de la police secrète dans le monde, les gens s’attendent à voir des éclairs tomber, ou des fusils à lunette qui vont faire échapper magiquement un nuage rose de derrière le cou. Mais le truc, c’est que le secret donne du pouvoir. Et donc je pense que ce que nous devrions faire, c’est que si nous avons une police secrète, qui interfère avec notre démocratie, notre société, nous devrions la révéler. C’est important. Balancez-les, et révélez au grand jour ce qui est complètement illégal. Révélez et demandez des comptes.

(applaudissements)

Si c’est complètement illégal, que par exemple ils aident des meurtriers d’extrême-droite, eh bien montrez que ce n’est pas ce que notre société attend des gens en fait. Car autrement, il y a un sentiment de culpabilité. Cette idée que ce ne sont pas vos oignons, c’est un non-sens. Ce sont nos oignons. Vous avez le choix entre mener une vie au bout de laquelle vous aurez pas mal de honte, ou une vie pour laquelle tout ce qui se passe sur terre est vos oignons. C’est un choix que vous devez faire. Et on le fait tout le temps. Je suis honnêtement ému par le fait que des personnes comme Karsten Loesing qui est assis au premier rang ici, pourrait avoir choisi un job peinard à l’université. Mais il a choisi de travailler sur des statistiques pour le projet Tor. C’est un type brillant qui peut probablement choisir de faire tout ce qu’il veut, et il a choisi de faire du très bon travail en aidant les gens à parler librement. Et c’est pareil avec Linus Nordberg, et George, et d’autres personnes dans ce public. Donc vous pouvez faire un choix, et la récompense ce sont les libertés dont nous jouissons dans nos vies.

Donc je veux terminer en vous disant que si les gouvernements tuent des gens, ne vous contentez pas de passer votre chemin. Vous y réfléchissez, vous recherchez qui est coupable, et vous collectez des informations. Rop m’a en fait encouragé à penser à cela. On peut ne pas être capable d’obtenir justice aujourd’hui. Mais quand on a les informations sur les personnes qui ont fait ça, demain peut-être sera le jour où on obtiendra justice. Ne pas passer son chemin, ne pas devenir insensible, garder l’information, cela nous permettra de demander des comptes plus tard, même si en ce moment nous ne pouvons pas. Des scanners pour plaques de voitures dans votre ville ? Obtenez l’information. Un truc utile que vous pouvez faire avec ces données, c’est que vous pouvez révéler toute la surveillance cachée qui se fait dans votre ville. Pensez-y quelques minutes, et vous trouverez. Ce n’est pas très dur. Donc révélez ces informations, car l’espionnage est mal, car l’espionnage est un affront à la dignité humaine. La rétention de données ? Même problème. Obtenez l’information. Utilisez ces données pour quelque chose d’utile. Essayez de vous assurer que ce ne sont pas les décisions et les compromis que nous voulons, où un état complètement policier ne permettra pas aux personnes spéciales de garder leur caractère spécial. C’est plutôt dangereux quand on a un état complètement policier. On ne l’a pas compris complètement, mais c’est dans cette direction que nous allons constamment.

Donc si je devais vous laisser avec une dernière chose, ce serait probablement avec un enseignement du Dalaï Lama. Je ne suis pas fondamentalement une personne religieuse, du tout, donc je vais ignorer la fin de ce qu’il a dit, car cela ne communique pas vraiment ce que j’essaie de vous dire. Mais je vous dis ce que c’est, et je vais le dire en même temps. Il a dit que la mort est certaine, mais que l’heure de la mort ne l’est pas, et je pense que c’est quelque chose qui est dur à avaler. Mais c’est quelque chose que j’ai aussi entendu de Bill Binney, ce qui donne beaucoup d’inspiration, et je l’ai aussi entendu de Daniel Ellsberg. Ils ont dit tous les deux qu’ils sont âgés, et qu’ils n’ont plus rien à perdre, mais qu’ils vont faire de leur mieux car qu’allons-nous faire ? Rester au lit pour le reste de notre vie ? ont-il demandé. C’est fantastique ce qu’ils ont dit, car ils sont tous les deux vieux, et ils n’ont peut-être plus beaucoup de vie. Mais je pense qu’il est important de reconnaître qu’ils font avec cette certitude, qu’ils auront à dormir la nuit, qu’ils ont le choix de ce qu’ils vont faire avec les précieux restes de vie qu’ils ont, et ils ont choisi directement et clairement que ce sont leurs oignons, de faire ce qu’ils peuvent, de ne pas laisser faire, de ne pas être complices de choses graves, qui dégénèrent sérieusement.

Donc ce que le Dalaï Lama m’a aussi dit, c’est qu’à l’heure de la mort, ce qui aide seulement, c’est la pratique religieuse, et je pense que c’est vrai à un niveau personnel, mais au niveau de la société, autre chose qui aide c’est de reconnaître qu’on a tous des rythmes différents, et donc les gens font des choix, ils ont une influence sur le monde sur ce que d’autres personnes font avec leur vie. Donc les actions de Bill Binney, il peut ne pas vivre pour les voir porter ses fruits, mais l’important c’est qu’en raison de ce qu’il a fait, il inspire d’autres personnes. Et ce sont ces personnes qui vont agir, et faire un monde meilleur. Donc sur ces derniers mots, à propos des quelques objectifs que j’ai évoqués ici, je voudrais dire que cela regarde tout le monde.

Happy hacking. Merci de m’avoir écouté.

(applaudissements)




La position de Google sur les brevets et l’open source (+ avis de Gibus)

Dans un récent billet traduit ci-dessous, Google nous annonce s’engager à ne pas attaquer en premier un acteur de l’open source avec ses brevets, seule la riposte est envisagée.

Nous avons demandé à Gérald Sédrati-Dinet (Gibus) de l’April, l’un de nos spécialistes sur le sujet, non seulement de relire la traduction mais également de nous donner son éclairant point de vue.

« Mon avis est que c’est un pas dans la bonne direction de la part d’une entreprise informatique influente. Mais cet engagement illustre à merveille l’inadaptabilité intrinsèque du système de brevets aux idées informatiques. À quoi servent ces “brevets logiciels” si leur détenteur s’engage à ne pas les utiliser ? Si Google était cohérent, il compléterait cet Engagement pratique par un engagement politique visant à ce qu’aucun “brevet logiciel” ne puisse s’appliquer aux activités des développeurs et utilisateur informatiques. Une telle exception a été récemment proposée par Richard Stallman, Google irait-il jusqu’à la soutenir ? »

OpenSourceWay - CC by-sa

Prendre position sur l’Open Source et les brevets

Taking a stand on open source and patents

Duane Valz – 28 mars 2013 – Google Blog Open Source
(Traduction : brouberol, Neros, Melchisedech, cherry, gibus + anonymes)

Chez Google, nous pensons que les systèmes ouverts sont meilleurs (NdT : article sous le lien traduit par le Framablog). Les logiciels open source ont été à l’origine de nombreuses innovations dans l’informatique en nuage, le web mobile et l’Internet en général. Et alors que les plateformes ouvertes on été de plus en plus confrontées à des attaques via des brevets, obligeant les entreprises à se défendre en acquérant encore plus de brevets, nous restons attachés à un Internet ouvert — un Internet qui protège l’innovation réelle et continue de fournir des produits et services de qualité.

Aujourd’hui, nous faisons un pas de plus vers ce but en annonçant l’Open Patent Non-Assertion Pledge (Engagement ouvert de non-application des Brevets) : nous nous engageons à ne poursuivre aucun utilisateur, distributeur ou dévelopeur de logiciel open source sur la base des brevets spécifiés, à moins d’avoir d’abord été attaqués.

Nous avons commencé par identifier dix brevets reliés à MapReduce, un modèle de calcul permettant de traiter d’importants jeux de données initialement développé par Google — dont les versions open source sont désormais largement utilisées. Nous avons l’intention d’étendre au fur et à mesure l’ensemble des brevets possédés par Google concernés par cet engagement à d’autres technologies.

Nous espérons que l’Engagement OPN servira de modèle à l’industrie, et nous encourageons les autres détenteurs de brevets à adopter un engagement ou une initiative similaire. Nous pensons que cela a plusieurs avantages :

  • La transparence. Les détenteurs de brevets déterminent précisément sur quels brevets et technologies associées ils souhaitent s’engager, garantissant aux développeurs comme au grand public une gestion transparente des droits des brevets.
  • Étendue. Les protections sous l’Engagement OPN ne sont pas confinées à un projet spécifique ou à une licence open source de droits d’auteur. (Google apporte beaucoup de code sous de telles licences, comme les licences Apache ou GNU GPL, mais les protections qu’elles confèrent contre les brevets sont limitées.) L’Engagement OPN, par contraste, s’applique à n’importe quel logiciel open source – passé, présent ou futur – qui pourrait s’appuyer sur des brevets faisant partie de l’Engagement.
  • Protection défensive. L’Engagement peut être résilié, mais seulement si une des parties a intenté une action en violation de brevet contre des produits ou des services de Google, ou s’il profite directement d’un tel litige.
  • Durabilité. L’Engagement demeure en vigueur pendant toute la durée de vie des brevets, même si nous les transférons.

Notre engagement s’appuie sur des efforts passés d’entreprises comme IBM et Red Hat et sur le travail de l’Open Invention Network (dont Google est membre). Cela complète également nos efforts en matière de licences coopératives, sur lesquelles nous travaillons avec des entreprises partageant nos idées, afin de développer des accords de brevets qui permettraient de réduire les poursuites judiciaires.

Au delà de ces initiatives pilotées par l’industrie, nous continuons à soutenir les réformes pouvant améliorer la qualité des brevets tout en réduisant le nombre excessif de litiges.

Nous espérons que l’Engagement OPN fournira un exemple pour les entreprises cherchant à mettre leurs propres brevets au service du logiciel open source, qui contribuent à d’incroyables innovations.

Par Duane Valz, conseil en brevets

Crédit photo : OpenSourceWay (Creative Commons By-Sa)




Comment ma fille a fait son TPE grâce à Framapad

« Comment ma fille a fait son TPE grâce au Framapad », tel est le titre d’un court billet du blog de Nicolas Fressengeas, billet rédigé ici justement par sa fille.

Nous ne résistons pas au plaisir de le reproduire ici tant nous sommes fiers nous rendre ainsi utiles, à fortiori dans l’éducation.

Pour rappel TPE est l’acronyme de Travaux personnels encadrés et c’est l’une des rares fois où l’on se retrouve à travailler réellement en groupe au cours de sa scolarité.

Cette année, comme pour tous les élèves de première L, nous devions préparer un TPE. Un dossier d’une vingtaine de pages, sur le sujet de notre choix. Pour cela, le lycée nous prévoit environ six mois de travail. Alors lorsque l’on réalise, une semaine avant la date du ramassage des dossiers, qu’il reste la moitié du TPE à rédiger, on se retrouve un peu pris de panique.

Que faire alors ?

Plus le temps d’organiser des séances de travail collectives ! Heureusement, mon père m’a alors présenté le Framapad. Il m’a suffit d’envoyer l’adresse à mes deux coéquipières, pour pouvoir travailler ensemble, le Framapad étant relativement simple à utiliser, notamment grâce au chat, et au système de couleur ! Ainsi, en une soirée, notre dossier fut entièrement rédigé !

L’histoire ne dit pas quel était le sujet du TPE en question mais peut-être que mademoiselle viendra nous en faire confidence dans les commentaires 😉

Framapad - Etherpad Lite




Mobilisons-nous ! Pas de DRM dans le HTML5 et les standards W3C

La question de savoir si oui ou non il y a aura des DRM dans le HTML5 est absolument fondamentale pour le Web de demain. Ce n’est pas une question tehnique, c’est une question de partage (ou pas).

C’est pourquoi nous vous avions proposé la cinglante réponse de Cory Doctorow à Tim Berners-Lee. C’est pourquoi aussi nous avons traduit cet article très clair de l’Electronic Frontier Foundation qui en appelle à se mobiliser, par exemple en signant la pétition lancée par la Free Software Foundation.

Stop DRM en HTML5

Défense du web ouvert : pas de DRM dans les standards W3C

Defend the Open Web: Keep DRM Out of W3C Standards

Peter Eckersley et Seth Schoen – 20 mars 2013 – EFF.org
(Traduction : tcit, ZeHiro, audionuma, goofy, audionuma, Asta)

Un nouveau front est ouvert dans la bataille contre les DRM. Ces technologies, qui sont censées permettre le respect du copyright, n’ont jamais permis de rémunérer les créateurs. Par contre, que ce soit volontairement ou par accident, leur véritable effet est d’interférer avec l’innovation, l’usage légitime, la concurrence, l’interopérabilité et notre droit légitime à posséder nos biens.

C’est pourquoi nous avons été consternés d’apprendre qu’une proposition est actuellement à l’étude au sein du groupe de travail HTML5 du World Wide Web Consortium (W3C) pour intégrer les DRM dans la prochaine génération de standards fondamentaux du Web. Cette proposition est dénommée Encrypted Media Extensions (Extensions pour les médias chiffrés, EME). Son adoption représenterait une évolution catastrophique et doit être stoppée.

Durant les deux dernières décennies, il y a eu un combat continu entre deux visions de la manière dont les technologies d’Internet doivent fonctionner. L’une des philosophies est que le Web doit être un écosystème universel basé sur des standards ouverts et que quiconque peut implémenter sur un pied d’égalité, n’importe où, n’importe quand, sans permissions ni négociations. C’est cette tradition technologique qui a produit HTML et HTTP pour commencer, et des innovations qui ont marqué leur époque comme les wikis, les moteurs de recherche, les blogs, les messageries sur le Web, les applications écrites en JavaScript, les cartes en ligne réutilisables, et une centaine de millions de sites Web que ce paragraphe serait trop court pour énumérer.

L’autre vision est incarnée par les entreprises qui ont essayé de s’approprier le contrôle du Web avec leurs propres extensions propriétaires. Cela s’est manifesté avec des technologies comme Flash d’Adobe, Silverlight de Microsoft, et des pressions venant d’Apple, des fabricants de téléphonie, et d’autres, en faveur de plateformes hautement restrictives. Ces technologies sont conçues pour n’être disponibles qu’auprès d’une seule source ou nécessiter une autorisation pour toute nouvelle implémentation. À chaque fois que ces techniques sont devenues populaires, elles ont infligé des dommages aux écosystèmes ouverts qui les entourent. Les sites Web qui utilisent Flash ou Silverlight ne peuvent en général pas être référencés correctement, ne peuvent pas être indexés, ne peuvent être traduits automatiquement, ne peuvent être consultés par les personnes en situation de handicap, ne fonctionnent pas sur tous les terminaux de consultation, et posent des problèmes de sécurité et de protection de la vie privée à leurs utilisateurs. Les plateformes et les équipements qui restreignent la liberté de l’utilisateur freinent inévitablement des innovations importantes et entravent les compétitions sur le marché.

La proposition EME est entachée par plusieurs de ces problèmes car elle abandonne explicitement la responsabilité de la question de l’interopérabilité et permet aux sites Web de requérir des logiciels propriétaires de tierces-parties, voire du matériel ou un système d’exploitation spécifiques (tout cela mentionné sous le nom générique de « content decryption modules » (« modules de déchiffrage du contenu », CDM), dont aucun n’est spécifié par EME). Les auteurs d’EME soutiennent que les CDM, ce qu’ils font et d’où ils viennent, est totalement hors du champ d’EME, et qu’EME ne peut être considéré comme un DRM puisque tous les CDM ne sont pas des DRM. Néanmoins, si l’application client ne peut prouver qu’elle exécute le module propriétaire spécifique que le site réclame, et n’a donc pas de CDM qualifié, elle ne peut afficher le contenu du site. De manière perverse, c’est exactement à l’opposé des raisons qui font que le W3C existe. Le W3C est là pour créer des standards lisibles, qui soient implémentables par le public et qui garantissent l’interopérabilité, et non pas pour favoriser une explosion de nouveaux logiciels mutuellement incompatibles et de sites et services qui ne sont accessibles qu’à certains équipements ou applications. Mais la proposition EME va justement apporter cette dynamique anti-fonctionelle dans HTML5, risquant même un retour au « bon vieux temps d’avant le Web » où l’interopérabilité était volontairement restreinte.

Étant donné l’extrême méfiance de la communauté des standards ouverts à l’encontre des DRM et de leurs conséquences sur l’interopérabilité, la proposition de Google, Microsoft et Netflix affirme que « aucun DRM n’est ajouté à la spécification HTML5 » par EME. C’est un peu comme dire « nous ne sommes pas des vampires, mais nous allons les inviter chez vous ».

Les promoteurs d’EME semblent affirmer que ce n’est pas un modèle de DRM. Mais l’auteur de la spécification Mark Watson a admis que « effectivement, nous nous intéressons aux cas d’utilisation que la plupart des gens appellent DRM » et que les implémentations nécessiteront par nature des aspects secrets qui sont hors du champ de la spécification. Il est difficile de soutenir que EME n’a rien à voir avec les DRM.

Les propositions sur les DRM au W3C sont là pour une raison simple : il s’agit d’une tentative d’apaiser Hollywood, qui est irrité par Internet au moins depuis que le Web existe, et a toujours réclamé qu’une infrastructure technique avancée permette de contrôler ce qui se passe sur l’ordinateur du public. Le sentiment est que Hollywood ne permettra jamais la distribution des films sur le Web s’il n’est pas possible de les accompagner de DRM. Mais la crainte que Hollywood puisse récupérer ses billes et quitter le Web est illusoire. Chaque film que Hollywood distribue est déjà disponible pour ceux qui veulent réellement pirater une copie. Une énorme quantité de musique est vendue par iTunes, Amazon, Magnatunes et des dizaines d’autres sites sans qu’il n’y ait besoin de DRM. Les services de streaming comme Netflix et Spotify ont réussi parce qu’ils proposent une expérience plus pratique que le piratage, pas parce que les DRM favorisent leur modèle économique. La seule explication raisonnable pour que Hollywood réclame des DRM est que les producteurs de films veulent contrôler comment les technologies grand public sont conçues. Les producteurs de films ont utilisé les DRM pour faire respecter des restrictions arbitraires sur leurs produits, comme l’interdiction de l’avance rapide ou des restrictions géographiques, et ont créé un système complexe et onéreux de « mise en conformité » pour les entreprises technologiques qui donnent à un petit groupe de producteurs de contenu et aux grandes sociétés du secteur des technologies un droit de veto sur l’innovation.

Trop souvent, les entreprises technologiques se sont lancées dans une course l’une contre l’autre pour bâtir un fouillis logiciel qui corresponde aux caprices de Hollywood, abandonnant leurs utilisateurs dans cette course. Mais les standards ouverts du Web sont un antidote à cette dynamique, et ce serait une terrible erreur pour la communauté du Web de laisser la porte ouverte à la gangrène anti-technologique de Hollywood dans les standards W3C. Cela minerait l’objectif principal de HTML5 : créer un éco-système ouvert alternatif à toutes les fonctionalités qui manquaient dans les standards Web précédents, sans les problèmes de limitations des équipements, d’incompatibilité entre plateformes et l’absence de transparence qui fut créée par des plateformes comme Flash. HTML5 était censé être mieux que Flash, et en exclure les DRM est exactement ce qui le rendrait meilleur.




Pourquoi j’ai quitté Google

Il y a un an le développeur James Whittaker quittait Google et le faisait savoir dans un article cinglant qui en disait long sur l’évolution de l’entreprise, obnubilée par la publicité et la concurrence de Facebook.

Nous avons choisi de le traduire car les arguments nous semblent malheureusement tout aussi valables aujourd’hui.

Ah, oui, et où est-il allé ensuite ? Réponse ici : Why I joined Microsoft 😉

Google+

Pourquoi j’ai quitté Google

Why I left Google

James Whittaker – 13 mars 2012 – Blog personnel
(Traduction : ACA, VifArgent, KoS, Eijebong, Alpha, angezanetti, Penguin, audionuma, P3ter, KoS + anonymes)

Ok, je cède. Tout le monde veut savoir pourquoi je suis parti, et répondre individuellement n’est pas forcément évident, voici donc les détails de la version longue. Vous pouvez en lire un bout (je vais à l’essentiel au troisième paragraphe) ou la lire en entier. Mais avant, une remarque préalable : il n’y pas de drame, pas de grand discours, pas de critiques d’anciens collègues et rien de plus que ce que vous pouvez déjà présumer d’après ce qui se dit dans la presse ces jours-ci autour de Google et de son attitude envers la vie privée des utilisateurs et les développeurs. C’est simplement une analyse plus personnelle.

Quitter Google ne fut pas une décision facile. Durant mon séjour là bas je suis devenu passionné par l’entreprise. J’ai fait quatre présentations « Google Developper Day », deux « Google Test Automation Conferences » et j’étais un contributeur prolifique du blog Google test. Des recruteurs m’ont souvent demandé de les aider à embaucher leurs champions. Personne n’avait besoin de me demander deux fois de promouvoir Google et personne ne fut plus surpris que moi quand je fus incapable de continuer à le faire. En fait, les trois derniers mois que j’ai passé à travailler chez Google ont été une énorme déception durant lesquels j’ai essayé en vain de rallumer ma passion.

Le Google qui me passionnait était une société high tech qui poussait ses employés à innover. Le Google que j’ai quitté était une société publicitaire concentrée uniquement sur l’aspect financier.

Techniquement, je suppose que Google à toujours été une entreprise de publicité, mais pendant la majeure partie de ces trois dernières années, ça n’y ressemblait pas. Google était une entreprise de pub uniquement dans le sens où une bonne émission télévisée est une entreprise de pub : avoir un bon contenu attire les publicitaires.

Sous Eric Schmidt, les pubs étaient toujours à l’arrière plan. Google a été lancé comme une usine à innovations, incitant les employés à être entreprenants au travers les prix des fondateurs (NdT : prix accordés aux employés les plus méritants sous forme d’action Google, pour retenir les meilleurs employés à Google), les primes par les pairs et le fameux 20% du temps (NdT : Google permet(tait ?) à ses employés de consacrer 20% de leur temps de travail à des projets personnels). Nos revenus publicitaires nous ont donné de l’aisance pour réfléchir, innover et créer. Les plateformes comme App Engine, Google Labs et l’open source ont servi d’environnements de test pour nos inventions. Le fait que tout ça était payé par une machine à fric complètement bourrée de publicité a échappé à la plupart d’entre nous. Peut-être que les ingénieurs qui travaillent vraiment sur les pubs l’ont senti, mais le reste d’entre nous était convaincu que Google était une entreprise de technologie avant tout et par-dessus tout, une entreprise qui engageait des personnes intelligentes et qui faisait un gros pari sur leur capacité à innover.

De cette machine à innovation sont sortis des produits stratégiquement très importants comme Gmail et Chrome, des produits qui étaient le résultat de l’esprit d’entreprise au plus bas niveau de l’entreprise. Bien sûr, cette innovation emballée crée quelques ratés, et Google n’y a pas échappé, mais l’entreprise a toujours su perdre sans s’entêter et apprendre de ses échecs.

Dans un tel environnement, il n’est pas essentiel d’être au sein de l’exécutif pour réussir. Vous n’avez pas besoin d’être chanceux et d’atterrir sur un projet « sexy » pour construire une grande carrière. N’importe qui ayant des idées ou le niveau pour contribuer, pouvait s’impliquer. J’avais énormément d’opportunités pour quitter Google pendant cette période, mais il était difficile d’imaginer un meilleur endroit pour travailler.

Mais c’était le « bon temps » comme on dit, et ce temps-là n’est plus.

Il se trouve qu’il y a un point où la machine à innover Google a faibli, et ce point est crucial : concurrencer Facebook. Des efforts informels ont produit un duo antisocial avec Wave et Buzz. le réseau social Orkut n’a jamais marché en dehors du Brésil. Comme le dit le proverbe (« le lièvre trop confiant risque une courte sieste »), Google s’est réveillé de son rêve social en voyant son statut d’empereur de la pub menacé.

Google peut bien brandir des publicités à davantage de personnes, Facebook en sait beaucoup plus sur eux. Publicitaires et éditeurs chérissent ce genre d’informations personnelles, tant et si bien qu’ils mettent parfois plus en avant Facebook que leur propre marque. Démonstration n°1 : une entreprise avec la puissance et l’influence de Nike mettant sa propre marque après celle de Facebook ? Aucune entreprise n’a fait ça pour Google et Google en a pris ombrage.

Larry Page a pris lui-même le contrôle pour corriger cette erreur. Le social fut « nationalisé » au sein de l’entreprise, un plan appelé Google+. C’était un nom menaçant qui donnait le sentiment que Google ne suffisait pas. La recherche devait être sociale. Android devait être social. YouTube, jadis heureux de son indépendance, devait l’être… bon, vous avez compris. Encore pire, l’innovation aussi devait être sociale. Les idées qui ne réussissaient pas à mettre Google+ au centre de l’univers étaient une perte de temps.

Tout à coup, 20% signifiait incompétent. Google Labs a fermé. Les prix d’App Engine ont augmenté. Les APIs qui étaient gratuites depuis des années furent dépréciées ou devinrent payantes. Alors que les valeurs entrepreneuriales disparaissaient, un discours moqueur à l’égard de « l’ancien Google » et de ses tentatives ridicules de concurrencer Facebook est apparu pour justifier un « nouveau Google » qui promettrait de faire plus avec moins.

Les jours heureux où Google embauchait des gens intelligents et innovants pour inventer le futur étaient terminés. Le nouveau Google savait au-delà de tout doute à quoi devait ressembler le futur. Les employés n’avaient rien compris et l’intervention des dirigeants allait tout remettre en ordre.

Officiellement, Google a déclaré que « le partage sur le Web était en panne » et rien d’autre que la force cumulée de nos esprits autour de Google+ ne pouvait le réparer. Il y a de quoi admirer une entreprise qui a la volonté de sacrifier des idoles pour rallier ses talents afin de faire face à une menace à l’encontre de ses intérêts. Si Google avait eu raison, l’effort aurait été héroïque et beaucoup d’entre nous voulaient réellement être impliqués dans ce qui serait la solution. Je me suis laissé convaincre. J’ai travaillé sur Google+ comme responsable du développement et j’ai écrit un bout de code. Mais le monde n’a jamais changé ; le partage non plus, n’a pas changé. Dire que nous avons participé paradoxalement ) améliorer Facebook est discutable, mais tout ce dont je disposais n’était en fait que des tests comparatifs à la faveur de Facebook.

Il s’est avéré que le partage n’était pas en panne. Le partage fonctionnait bien et de manière efficace, Google n’en faisait simplement pas partie. Tout le monde autour de nous partageait et semblait plutôt content. Aucun exode des utilisateurs de Facebook ne s’est jamais produit. Je n’aurai même pas pu montrer Google+ une deuxième fois à ma fille, « la vie sociale n’est pas un produit » m’a-t-elle dit après que je lui ai fait une démonstration. « Un réseau social c’est des gens, et les gens sont sur Facebook ». Google était l’enfant-roi qui, après avoir découvert qu’il n’avait pas été invité à la fête, avait organisé la sienne de son côté.

Google+ et moi, ça n’aurait jamais pu marcher. En vérité, je n’ai jamais tellement été intéressé par la publicité. Je ne clique pas sur les pubs. Lorsque Gmail affiche des pubs basées sur les choses que je tape dans mes courriels, cela me fait flipper. Je ne veux pas que mes résultats de recherche contiennent les coups de cœur des abonnés de Google+ (ou de Facebook ou de Twitter). Lorsque je cherche « rue de la soif à Londres », je veux un meilleur résultat que la suggestion sponsorisée « Achetez une rue de la soif de Londres chez Carrefour ».

L’ancien Google a fait fortune avec les publicités parce qu’il proposait du bon contenu. C’était comme à la télévision : faites la meilleure émission et vous aurez le plus de revenus publicitaires des entreprises. Le nouveau Google semble surtout se concentrer sur les entreprises.

Peut être que Google a raison. Peut être que le futur c’est d’en apprendre le plus possible à propos de la vie privée des autres. Peut être que Google est le mieux placé pour savoir quand je devrais appeler ma mère et que ma vie serait meilleure si je fais les soldes chez H&M. Peut être que s’ils me harcèlent en constatant tout ce temps libre dans mon agenda je ferais plus de sport.

Peut être que s’ils affichent une publicité pour un avocat spécialiste du divorce à cause de l’e-mail que j’écris à propos de mon fils de 14 ans en train de rompre avec sa copine, j’aimerais assez cette publicité pour mettre fin à mon propre mariage. Ou peut-être que je réglerai tous ces trucs-là tout seul.

Le Google d’avant était un endroit génial pour travailler. Quid du nouveau ?

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Autos, téléphones… nous devrions pouvoir déverrouiller tout ce qui nous appartient

Vous venez de crever et vous vous retrouvez malencontreusement sur le bord de la route pour changer votre pneu. Tout d’un coup un policier arrive et vous verbalise parce que vous enfreignez je ne sais quel copyright de la marque de votre véhicule stipulant que vous n’avez pas le droit d’y changer quoi que ce soit. C’est surréaliste et pourtant c’est bien la situation actuelle des téléphones portables.

Quid d’un monde sous contrôle où les objets ne nous appartiennent plus faute d’avoir le droit de les bidouiller ?

Håkan Dahlström - CC by

Oubliez la bataille du téléphone portable – Nous devrions pouvoir déverrouiller tout ce qui nous appartient

Forget the Cellphone Fight — We Should Be Allowed to Unlock Everything We Own

Kyle Wiens – 18 mars 2013 – Wired Opinion
(Traduction : Alpha, Sphinx, aKa, marc, lgodard, M0tty, jtanguy, Moosh, Floréal, K4ngoo, Texmix + anonymes)

Alors que le Congrès des Etats-Unis travaille sur une loi visant à ré-autoriser le déverrouillage des téléphones portables, regardons le vrai problème en face : les lois issues du copyright qui ont d’abord fait que le déverrouillage devienne illégal. À qui appartiennent les objets que nous possédons ? La réponse avait pour habitude d’être évidente. Dorénavant, avec l’électronique, omniprésente dans tous les objets que nous achetons, la réponse a changé.

Nous vivons dans une ère numérique, et même les produits matériels que nous achetons sont complexes. Le copyright impacte plus de monde qu’auparavant car la frontière entre logiciel et matériel, ente monde physique et numérique, s’amenuise.

Le problème ne se réduit pas seulement au déverrouillage des téléphones portables ; quand on achète un objet, n’importe lequel, nous devrions le posséder. Nous devrions être en mesure de soulever le capot, l’ouvrir, le modifier, le réparer, etc… sans demander la permission au fabriquant.

Sauf que nous ne possédons pas vraiment nos objets (enfin pas dans la totalité), les fabricants sont les vrais propriétaires. Parce que la modification d’un objet moderne requiert un accès à de l’information : du code, des documents de conception, des codes d’erreur, des outils de diagnostic… Les voitures modernes sont des mécaniques puissantes mais également des ordinateurs sophistiqués. Les fours à micro-ondes sont une combinaison de plastique et de microcode. Le silicium imprègne et alimente presque tout ce que nous possédons.

C’est un problème de droits de propriété, et les lois actuelles sur le copyright prennent ce problème à l’envers, transformant les gens ordinaires, comme les étudiants, les chercheurs et les patrons de petites entreprises, en délinquants. Par exemple l’entreprise de télécoms Avaya, qui fait partie du top 500 de Fortune, est connue pour poursuivre des entreprises de services en justice, les accusant de violer le copyright simplement parce qu’elles utilsent un mot de passe pour se connecter à leurs systèmes téléphoniques. Vous avez bien lu : rentrer un mot de passe est considéré comme : une « reproduction de matériel soumis au copyright ».

Les fabricants ont systématiquement utilisé le copyright en ce sens ces 20 dernières années pour limiter notre accès à l’information. La technologie a avancé trop vite par rapport aux lois sur le copyright, les sociétés ont exploité cette latence pour créer des monopoles de l’information à nos dépens et à leur bénéfice. Après des années d’expansion et de soi-disantes améliorations, le copyright a transformé Mickey Mouse en un monstre immortel.

Cela n’a pas toujours été ainsi. Les lois sur le copyright ont été créés à l’origine pour protéger la créativité et promouvoir l’innovation. Mais maintenant, elles font exactement le contraire. Elles sont utilisées pour empêcher les entreprises indépendantes de réparer les nouvelles voitures. Elles rendent presque impossible aux agriculteurs de réparer leur matériel. Et, comme nous l’avons vu ces dernières semaines, elles empêchent les particuliers de déverrouiller leurs propres téléphones portables.

Ce n’est pas juste un problème qui affecte seulement les spécialistes en informatique ; les fermiers sont également touchés. Kerry Adams, un agriculteur dans une ferme familiale de Santa Maria en Californie, a récemment acheté deux machines de transplantation pour la modique somme de 100000$ pièce. Elles sont tombées en panne juste après, et il a dû faire venir un technicien de l’usine pour les faire réparer.

Comme les constructeurs ont mis un copyright sur les notices techniques, les techniciens locaux ne peuvent pas réparer les appareils récents. De plus, les appareils actuels, remplis de capteurs et d’électronique, sont trop complexes pour être réparés sans la notice technique. C’est un problème pour les agriculteurs qui n’ont pas les moyens de payer les frais d’entretien élevés pour de l’outillage qui se détériore assez vite.

Adams a abandonné l’idée de faire réparer ses repiqueurs, c’était tout simplement trop cher de faire venir les techniciens en déplacement jusqu’à son exploitation. À présent, les deux repiqueurs sont à l’arrêt et il ne peut pas s’en servir pour subvenir aux besoins de son exploitation et de sa famille.

Dieu a peut-être donné vie à un fermier, mais les lois sur le copyright ne lui permettent plus de gagner sa vie.

Dans le proche domaine de la mécanique automobile, le copyright est aussi vu comme un étau, restreignant leur capacité à résoudre des problèmes. Les erreurs de code dans votre voiture ? Protégés. Les outils de diagnostic pour y accéder ? Des logiciels propriétaires.

Les nouvelles voitures se sophistiquent année après année, et les mécaniciens ont besoin d’un accès aux informations systèmes pour rester dans la course. Sous la protection du copyright, les constructeurs automobiles ont empêché l’accès des garagistes indépendants aux outils de diagnostic et aux schémas de fonctionnement dont ils ont besoin.

Les mécaniciens n’abandonnent pas pour autant. En septembre dernier, le Massachusetts a acté une loi sur le Droit à Réparer destinée à niveler le champ d’action entre les concessions et les garagistes indépendants. Sous le cri de ralliement de « C’est votre voiture, vous devriez avoir la possibilité de la réparer où vous le souhaitez », la loi a été adoptée à une très large majorité de 86%. Cette loi contourne le copyright, forçant les constructeurs à publier toutes les informations techniques aux propriétaires de véhicules du Massachusetts et aux techniciens système. L’agitation populaire se propage : les législateurs du Maine viennent de mettre en place une législation similaire.

Pendant ce temps, des progrès sont faits vers la légalisation du déverrouillage des téléphones portables. Avec des groupes locaux menant le combat, l’administration Obama a annoncé son soutien à l’annulation de cette interdiction la semaine dernière. Les membres du Congrès ont depuis rédigé pas moins de quatre projets de loi pour légaliser le déverrouillage.

C’est un pas dans la bonne direction mais ce n’est pas assez. Que les choses soient claires : réparer nos voitures, tracteurs, et téléphones portables ne devrait rien avoir à faire avec le copyright.

Tant que le Congrès se concentre simplement sur le déverrouillage des mobiles, il passera à côté du vrai problème. Les sénateurs peuvent adopter cents projets de loi sur le déverrouillage ; dans cinq ans, les grandes entreprises trouveront d’autres revendications de copyright pour limiter le choix des consommateurs. Pour vraiment résoudre le problème, le Congrès doit promulguer une réforme du copyright qui soit significative. Les bénéfices économiques potentiels sont significatifs, étant donné que l’information libre crée des emplois. Les informations techniques sont accessibles librement sur internet pour de nombreux smartphones sur iFixit (mon organisation) et d’autres sites. Ce n’est pas par hasard que des milliers d’entreprises de réparation de mobiles ont fleuri ces dernières années, exploitant les connaissances techniques pour éloigner les téléphones portables cassés des décharges.

Tant que nous serons limités dans notre faculté à modifier et réparer les choses, le copyright, pour tous les objets, entravera la créativité. Il nous en coûtera de l’argent. Il nous en coûtera des emplois. Et cela nous coûte déjà notre liberté.

Crédit photo : Håkan Dahlström (Creative Commons By)




Guerre sans merci dans le maquis des codecs vidéos

La guerre des formats vidéos sur le Web bat son plein, sans que nous puissions à priori faire grand-chose (c’est dans la cour des grands que cela se passe, avec un Google qui est ici du bon côté de la Force).

Et une fois de plus les brevets sont pointés du doigt…

Seth Anderson - CC by-sa

Codecs vidéo : les sales affaires derrière les belles images

Video codecs: The ugly business behind pretty pictures

Simon Phipps – 15 mars 2013 – InfoWorld.com
(Traduction : audionuma, goofy, KoS + anonymes)

Lorsque Google a annoncé la semaine dernière qu’il avait fait la paix avec le gestionnaire de brevets MPEG-LA à propos de son codec VP8, certains ont déclaré que l’entreprise avait cédé et rejoint le cirque des brevets logiciels. Il n’en est rien.

La vérité est bien plus complexe et pourrait annoncer de grands changements dans la lutte pour le contrôle de nos habitudes de visionnage et d’écoute en ligne. En conséquence, de puissants intérêts sont rapidement intervenus pour tenter de museler les canons du VP8 avant qu’ils ne tonnent.

Le contexte des codecs

Le secteur des codecs vidéo est complexe et truffé d’acronymes et de manœuvres politiques depuis des dizaines d’années. Même ceux qui sont les plus impliqués dans cette situation sont en désaccord, tant sur la réalité que sur l’histoire de cette situation. Voici un résumé :

Lorsque vous téléchargez ou visionnez une vidéo, vous pouvez la considérer comme du QuickTime, du Flash ou même de l’Ogg, mais ce ne sont que des mécanismes de distribution. La vidéo représente une énorme quantité de données, et vous la faire parvenir requiert de la compression de données. Le contenu d’une vidéo est encodé dans un format obtenu par un logiciel de compression de données, et est ensuite affiché sur votre écran après que ce contenu ai été décodé par un logiciel de décodage.

Le codec est le logiciel qui réalise ce processus. Les travaux théoriques sur les codecs sont exceptionnellement complexes, et il y a toujours un compromis entre la compression maximale, le temps nécessaire à compresser les données, et la qualité optimale. C’est ainsi qu’il existe une grande variété de codecs, et le savoir-faire concernant leur implémentation est un bien précieux.

Dès 1993, il devint évident qu’une standardisation des formats de données pris en charge par les codecs était nécessaire. Les institutions internationales de standardisation ISO et IEC constituèrent un groupe d’experts appelé le Motion Picture Expert Group (groupe des experts de l’image animée, MPEG) qui a depuis produit une série de standards destinés à divers usages.

Le secteur est truffé de techniques brevetées. La standardisation des codecs est basée sur le modèle du secteur des télécommunications, dans lequel il est commun de permettre à des techniques brevetées de devenir des standards pour ensuite en dériver des paiements de licences pour chaque implémentation. Pour faciliter la collecte des royalties, une société appelée MPEG-LA, LLC (qui, pour rajouter à la confusion, n’a aucun lien avec avec MPEG) a été constituée pour gérer un portefeuille de brevets au nom de la plupart des détenteurs de brevets qui contribuent aux standards MPEG.

Ce dispositif fonctionnait correctement dans l’ancien monde basé sur des points de passages obligés où les sociétés étaient les créateurs de logiciels. Mais la nouvelle société basée sur le réseau et les techniques qu’il utilise (tel que l’open source) ne fonctionne pas correctement dans un modèle où chaque nouvelle utilisation nécessite d’abord de demander la permission. Les éléments qui nécessitent une autorisation a priori — les points de passage obligés — sont des insultes à Internet. Ils sont considérés comme des nuisances, et les experts cherchent des solutions pour les éviter.

La naissance des codecs ouverts

Lorsqu’il fut clair que le Web ouvert avait besoin de codecs ouverts pour traiter des formats de médias ouverts, de brillants esprits commencèrent à travailler au contournement de ces problèmes. La sciences des codecs est bien documentée, mais l’utilisation de n’importe laquelle des techniques bien connues risquait d’enfreindre des brevets logiciels contrôlés par MPEG-LA. Il ne suffisait pas de simplement modifier un standard dérivé de MPEG pour contourner les brevets. Ces standards avaient créé un tel maquis de brevets que n’importe quel nouveau projet utilisant les mêmes calculs mathématiques était quasiment certain d’enfreindre un portefeuille de brevets quelque part.

La création de codecs ouverts réclamait une nouvelle réflexion. Heureusement, certains intérêts commerciaux travaillaient sur des idées de codecs alternatifs. Une entreprise nommée On2, notamment, avait créé une famille de codecs basée sur des idées hors du champ des brevets MPEG et avait déposé ses propres brevets pour éviter de se faire marcher sur les pieds. En 2001, elle publia une technologie de codecs appellée VP3 en open source, technologie protégée par ses propres brevets. Cette technologie constituait la base de ce qui devint Theora. On2 continua à travailler pour produire une série de codecs dédiés à des niches jusqu’à son acquisition par Google en 2010.

Le VP8 était le codec de On2 à la pointe de la technologie, offrant à la fois une excellente qualité d’image et une bonne compression des données. Peu après l’acquisition de On2 par Google, ce dernier rendit libre l’utilisation de VP8, créant un engagement d’ouverture pour tous les brevets lui étant liés, et déclara que le nouveau projet WebM offrirait un format totalement libre et ouvert pour la lecture de vidéos.

Évidemment, MPEG-LA a senti la menace et a rapidement décidé de contre-attaquer. Il a presque immédiatement annoncé la constitution d’un portefeuille de brevets pour vendre des licences sur des brevets qu’il était certain que WebM et VP8 violaient, et a invité les détenteurs habituels de brevets à lui communiquer toutes informations sur ces brevets.

Une lueur d’espoir

Et puis … plus rien. Il semble que les coups d’épée de MPEG-LA étaient plutôt des bruits de fourreau. L’accord avec MPEG-LA que Google a annoncé était formulé avec beaucoup de soins pour ne pas froisser les parties prenantes, mais il semble indiquer que MPEG-LA avait les mains vides :

Aujourd’hui, Google Inc. et MPEG-LA, LLC ont annoncé qu’ils ont conclu un compromis qui accorde à Google une licence sur les techniques, quelles qu’elles soient, qui pourraient être essentielles à VP8. De plus, MPEG-LA a accepté de mettre fin à ses efforts pour constituer un portefeuille de brevets autour de VP8.

Vous pouvez constater qu’il n’y pas grand-chose de valeur qui soit licencié dans ce cas, puisque Google est apparemment autorisé à :

…rétrocéder les licences à n’importe quel utilisateur de VP8, que l’implémentation de VP8 soit celle de Google ou d’une autre entité : cela signifie que les utilisateurs peuvent développer des implémentations de VP8 indépendantes et bénéficier de la protection accordée par la rétrocession de licence.

Le communiqué continue avec deux déclarations importantes. Premièrement, Google a le projet de soumettre VP8 à MPEG pour standardisation. Cela constituerait un profond changement d’orientation, qui pourrait orienter les futurs efforts hors du maquis des brevets et vers des territoires plus ouverts. Deuxièmement, Google a l’intention de proposer VP8 comme codec « obligatoire à implémenter » dans le groupe RTCWEB de l’IETF qui définit les protocoles permettant les communications en temps-réel dans les navigateurs Web : WebRTC.

Si tout cela réussissait, cela ouvrirait de grandes opportunités pour les logiciels open source et le web ouvert. Libérés de la course à la rente des détenteurs de brevets, les développeurs open source seraient enfin libres d’innover dans le domaine des applications audio et vidéo sans avoir en permanence à surveiller leurs arrières ou à demander la permission.

Naturellement, de puissants groupes d’intérêts continuent à essayer de ralentir, voire interrompre, cette révolution. À peine Google avait-il publié son communiqué à propos de VP8, de l’accord avec MPEG-LA et de son intention de standardiser, que deux messages furent postés sur la liste de discussion de l’IETF-RTCWEB. Le premier, envoyé par le collaborateur de Microsoft Skype Matthew Kaufmann, essayait de ralentir les progrès vers la standardisation et invoquait les règles et le débat pour tenir VP8 hors des prochaines discussions de standardisation. Le deuxième, envoyé par l’ancien spécialiste des brevets de Nokia Stephan Wenger, invoquait aussi les règles mais plus inquiétant, sous-entendait que MPEG-LA n’était pas seul à pouvoir jouer ce jeu là. Cette crainte prit bientôt corps dans un message du collaborateur de Nokia Markus Isomaki annoncant que Nokia — qui n’est pas membre de MPEG-LA — avait l’intention de démontrer que VP8 enfreint un de ses brevets.

C’est la vie de tous les jours dans le monde des codecs et c’est riche d’enseignements sur les dangers des brevets logiciels. Une fois acceptés et institutionnalisés comme processus normaux et légaux, ils contrôlent tout le reste. Bien que VP8 vienne d’un héritage technologique différent, ayant prudemment évité la masse des brevets déposés lors des premiers travaux sur le MPEG, et ayant ainsi été scrupuleusement ouvert par Google (il devait se corriger lors du processus, ce qu’il fit admirablement), le monde oppressant des brevets tente de le faire tomber dans ses griffes et de le contrôler, afin de le soumettre à la taxation sur l’innovation imposée par les vainqueurs de la première course technologique.

Nous ne pouvons pas faire grand-chose à part observer avec anxiété l’initiative de Google pour le Web ouvert. Dans cette histoire, il apparaît plus clairement que jamais que la réforme du système des brevets pour aboutir à une société plus juste et harmonisée se fera encore attendre.

Crédit photo : Seth Anderson (Creative Commons By-Sa)