Comment migrer son frama.site avant la fermeture du service le 6 juillet prochain ?
Nous avons annoncé pour le mardi 6 juillet 2021 la fermeture du service https://frama.site/. Pour rappel, frama.site héberge à la fois des sites (logiciel PrettyNoemieCMS), des blogs (logiciel Grav) et des wikis (logiciel Dokuwiki). Afin que les utilisateur⋅ices de ce service puissent continuer à héberger leurs sites et wikis, nous avons cherché si d’autres hébergeurs proposaient ce service.
Afin que vous puissiez choisir en toute transparence l’offre qui vous correspond le mieux, on s’est dit qu’il n’y avait rien de mieux à faire que d’interviewer ces structures afin qu’elles vous en disent plus sur qui elles sont, comment elles fonctionnent et qu’elles détaillent leur offre de migration.
Interview de Thomas Bourdon, de Bee-Home
Bonjour Thomas. Peux-tu te présenter ?
Je suis Thomas Bourdon, 38 ans, habitant dans l’Aisne, passionné d’informatique depuis toujours et utilisateur de GNU/Linux (et autres logiciels libres) depuis 2001. Mais ce n’est qu’en 2007 que j’ai réellement compris l’éthique du logiciel libre et du fonctionnement décentralisé (ou acentré) d’Internet. Depuis j’ai commencé à monter mes propres services à la maison (auto-hébergement) pour moi-même puis pour mes proches, et finalement pour des petites structures.
Tu nous parles de Bee-Home ? C’est quoi ? C’est qui ? Comment ça marche ?
Comme j’hébergeais de plus en plus de services pour de plus en plus de monde, il était temps que je quitte ma petite connexion ADSL pour prendre un serveur (puis deux) en datacenter. Comme je ne souhaitais pas payer de ma poche ces serveurs, j’ai décidé de monter l’auto-entreprise Bee Home dans ce but. Ce choix est aussi guidé par le fait que les structures que j’héberge ont besoin d’avoir des factures « officielles » et ne peuvent pas faire de don financier.
Les services que je fournis sont essentiellement du cloud – avec le logiciel Nextcloud (synchronisation de fichiers, agenda, carnet d’adresses, suite bureautique collaborative, discussion par texte ou visio et mail) – et l’hébergement de sites web. Pour cela je propose plusieurs outils que je maintiens (sauvegarde, mise à jour). Ainsi l’utilisateur·ice ne s’occupe que de publier du contenu. Évidemment il ou elle peut récupérer sur simple demande l’intégralité de son site pour l’héberger ailleurs par exemple.
Tous ces services sont payants et permettent aux utilisateur·ices d’avoir leur propre nom de domaine (sauf forfait de base) dont le coût est inclus dans le forfait. Même si je propose des forfaits pré-établis, il est tout à fait possible d’adapter le service et le tarif au besoin de la personne ou structure. Pour cela, il suffit de me contacter.
Bee-Home offre donc la possibilité de migrer son frama.site sous Grav / Dokuwiki. Ça se passe comment ? Ça coûte combien ?
J’ai décidé de proposer ce service gratuitement sans durée limitée sur simple demande. En revanche, j’impose un quota maximum de 500Mo d’espace disque. Au-delà de ce quota, je proposerai un tarif adapté. Chaque site sera accessible via une adresse se terminant par bee.wf (mon-site.bee.wf par exemple). Il est bien sûr possible d’utiliser son propre domaine pour celles et ceux qui en possèdent un.
Pourquoi ne pas permettre la migration des framasites réalisés avec le logiciel PrettyNoemieCMS ?
J’expliquais que je propose de maintenir moi-même les outils utilisés (WordPress, Grav, Dotclear, Piwigo…) pour les sites hébergés. C’est pourquoi je ne propose que des outils activement maintenus afin d’éviter l’usage d’outils obsolètes pouvant contenir des failles de sécurité qui ne seront jamais corrigées. PrettyNoemieCMS est justement un outil non maintenu, voilà pourquoi je ne le propose pas. Si un·e utilisateur·ice l’utilise, je peux toutefois proposer un hébergement sous Grav dans les mêmes conditions. Bien sûr il ou elle sera contraint de refaire son site entièrement.
Bee-Home fait partie du collectif CHATONS depuis fin 2018. Pourquoi avoir rejoint le collectif ?
D’une part parce que je partage complètement les valeurs de ce collectif, et d’autre part parce que cela m’a toujours plu de gérer et de proposer de l’hébergement de services.
Interview de l’équipe du directoire de Ouvaton
Bonjour l’équipe du directoire. Pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour.
Nous sommes 3 personnes au « directoire » d’Ouvaton, actuellement :
– Claire, présidente, qui fait de l’informatique depuis le début des années 80 et chez Ouvaton depuis le début en 2001
– Matthieu, aussi informaticien et chez Ouvaton depuis 2006
– François, commercial, qui fait lui aussi de l’informatique, et chez Ouvaton depuis 2017
Vous nous parlez de Ouvaton ? C’est quoi ? C’est qui ? Comment ça marche ? Ouvaton a été créée en 2001, sous la forme d’une société anonyme « coopérative de consommation ». Cela veut dire que nos coopérateurs sont co-propriétaires et co-entrepreneurs de la coopérative. Grâce à cette structure, les utilisateurs sociétaires sont réellement des hébergés-hébergeurs. Donc Ouvaton, c’est plusieurs milliers de personnes qui décident. Et dans les faits, plusieurs dizaines qui ont « les mains dans le cambouis » au quotidien !
La coopérative se base sur un certain nombre de valeurs, que nous donnons sur notre site. Pour résumer à grands traits : indépendance et coopération, démocratie et protection de la vie privée.
Ouvaton fonctionne autour :
d’un conseil de surveillance de 9 membres élus pour des mandats de 3 années par l’Assemblée Générale
d’un directoire dont les membres sont nommés, pour des mandats renouvelables de 3 ans, par le conseil de surveillance
Nous essayons aussi, dans la mesure des moyens de chacun, d’impliquer au quotidien un maximum de coopérateurs. Aucune obligation, mais une participation de chacun selon ses moyens (et ses envies !). Il y a toujours des chantiers en route dans un collectif comme Ouvaton et chacun peut y trouver sa place. Les Assemblées Générales sont l’occasion de présenter chaque année aux sociétaires l’état de la coopérative et de mettre aux votes les grandes orientations proposées par le conseil de surveillance et le directoire.
Ouvaton offre donc la possibilité de migrer son frama.site sous Grav / Dokuwiki. Ça se passe comment ? Ça coûte combien ?
Il faut commencer par créer son compte chez Ouvaton, sur notre interface de gestion Ouvadmin. L’adresse du site pourra être en *.ouvaton.org (https://monsite.ouvaton.org par exemple), et l’utilisation de son propre nom de domaine est bien sûr possible.
Notre documentation explique la procédure à suivre pour exporter puis importer son Framasite chez Ouvaton, et notre équipe d’assistance est là pour accompagner les utilisateurs en cas de difficultés.
Pour le prix, ce sera 12€ TTC la première année, et après ce sera 42€ TTC par an (le tarif « normal »). Ce tarif inclut des mails, de l’espace disque… On réfléchit sérieusement (et collectivement) à faire évoluer nos tarifs pour plusieurs offres selon les besoins. Pour ceux qui veulent vraiment rejoindre l’aventure, ils peuvent bien sûr devenir coopérateurs. La part sociale est à 16€ et permet d’être coopérateur « de plein droit ».
Pourquoi ne pas permettre la migration des framasites réalisés avec le logiciel PrettyNoemieCMS ?
Malheureusement ce logiciel n’est plus maintenu. Nous préférons nous concentrer sur Grav et Dokuwiki, qui disposent de solides équipes de développeurs pour les faire évoluer. Mais les personnes qui utilisent encore PrettyNoemieCMS peuvent reconstruire leur site sur un autre CMS aux mêmes conditions.
Je lis sur votre site web que vous comptez candidater pour rejoindre le collectif CHATONS fin 2021. Pourquoi souhaitez-vous rejoindre le collectif ?
Les valeurs affichées par le collectif sont concordantes avec les nôtres, nous avons donc souhaité le rejoindre au plus vite. Mais nous devons dans un premier temps assainir notre plateforme de quelques logiciels propriétaires qui étaient utilisés par notre ancien infogérant. C’est une tâche assez lourde qui, en plus du travail technique, a nécessité de nombreux échanges au sein de notre équipe. Nous sommes épaulés dans cette tâche par la super équipe de Octopuce, notre nouvel infogérant. Le train est en route et nous devrions pouvoir présenter notre candidature fin 2021 pour rejoindre les CHATONS.
Que vous utilisiez les services de frama.site ou que vous souhaitiez vous créer un nouvel espace sur internet, Framasoft vous encourage donc à aller étudier de près les offres de Ouvaton et Bee-Home.
Nextcloud pour l’enseignement ? Ça se tente !
La maîtrise des outils numériques pour l’éducation est un enjeu important pour les personnels, qui confrontés aux « solutions » Microsoft et Google cherchent et commencent à adopter des alternatives crédibles et plus respectueuses.
C’est dans cet esprit que nous vous invitons à découvrir la décision prise par de nombreux établissements scolaires en Allemagne sous l’impulsion de Thomas Mayer : ils ont choisi et promu Nextcloud et son riche « écosystème » de fonctionnalités. Dans l’interview que nous avons traduite et que Nexcloud met évidemment en vitrine, Thomas Mayer évoque rapidement ce qui l’a motivé et les avantages des solutions choisies. Bien sûr, nous sommes conscients que NextCloud, qui fait ici sa promotion avec un témoignage convaincant, n’est pas sans défauts ni problème. L’interface pour partager les fichiers par exemple, n’est pas des plus intuitives…
Mais sans être LA solution miraculeuse adaptée à toutes les pratiques de l’enseignement assisté par l’outil numérique, Nextcloud… – est un logiciel libre respectueux des utilisatrices et utilisateurs – permet l’hébergement et le partage de fichiers distants – est une plateforme de collaboration C’est déjà beaucoup ! Si l’on ajoute un grand nombre de fonctionnalités avec plus de 200 applications, vous disposerez de quoi libérer les pratiques pédagogiques de Google drive et d’Office365 sans parler des autres qui se pressent au portillon pour vous convaincre…
Qui plus est, au plan institutionnel, Nextcloud a été adopté officiellement par le ministère de l’Intérieur français en substitution des solutions de cloud computing1 américaines et il est même (roulement de tambour)… disponible au sein de notre Éducation Nationale ! Si vous ne l’avez pas encore repéré, c’est sur la très enthousiasmante initiative Apps.Education.fr. En principe, les personnels de l’Éducation nationale peuvent s’en emparer — dans toutes les académies ? Mais oui. Et les enseignantes françaises semblent déjà nombreuses à utiliser Nextcloud : rien qu’au mois d’avril dernier, 1,2 millions de fichiers ont été déposés, nous souffle-t-on. C’est un bon début, non ?
À vous de jouer : testez, évaluez, mettez en pratique, faites remonter vos observations, signalez les problèmes, partagez votre enthousiasme ou vos réticences, et ce qui vous manque aujourd’hui sera peut-être implémenté demain par Nextcloud. Mais pour commencer, jetons un œil de l’autre côté du Rhin…
Les écoles de Bavière essaient Nextcloud : les bénéfices sont immenses !
Nous avons interviewé Thomas Mayer, qui est administrateur système d’une école secondaire en Bavière mais aussi un médiateur numérique pour les écoles secondaires bavaroises à l’institut pour la qualité pédagogique et la recherche en didactique de Munich. Thomas nous a fait part de son expérience de l’usage et du déploiement de Nextcloud dans les écoles, les multiples bénéfices qui en découlent. C’est un message important pour les décideurs qui cherchent des solutions collaboratives en milieu scolaire.
Les écoles peuvent en tirer d’immenses avantages ! Les élèves et les collègues bénéficient d’un système complet et moderne qu’ils peuvent également utiliser à la maison. De plus, utiliser Nextcloud leur donne des compétences importantes sur le numérique au quotidien et les technologies informatiques. Les étudiants apprennent beaucoup de choses en utilisant Nextcloud qui seront aussi pertinentes dans leurs études et leur vie professionnelle.
Administrateur système, Thomas a pu déployer un environnement autour de Nextcloud qui est documenté sur le site schulnetzkonzept.de. Outre Nextcloud, le site décrit l’installation et la configuration de Collabora, Samba, Freeradius, Debian comme système d’exploitation de base, Proxmox comme système de virtualisation, etc.
Plusieurs centaines de milliers d’élèves utilisent déjà Nextcloud, y compris par exemple dans des écoles en Saxe, Rhénanie du Nord-Westphalie, Saxe-Anhalt, à Berne en Suisse et bien d’autres. Il est possible d’ajouter des fonctionnalités supplémentaires avec des extensions Nextcloud ou bien des plateformes d’apprentissage comme Moodle ou HPI School Cloud, qui sont open source et conformes au RGPD.
Quand et pourquoi avez-vous décidé d’utiliser Nextcloud ?
Nous avions déjà Nextcloud dans notre école, quand il s’appelait encore Owncloud. Avec l’introduction du système en 2014, nous avons voulu innover en prenant nos distances avec les usages habituels des domaines de Microsoft et les ordinateurs toujours installés en classe pour aller vers un usage plus naturel de fichiers accessibles aussi par mobile ou par les appareils personnels utilisés quotidiennement par les élèves et les professeurs.
Dans le même temps, Nextcould a mûri, et nous aussi avons évolué dans nos usages. Il ne s’agit plus uniquement de manipuler fichiers et répertoires, il existe désormais des outils de communication, d’organisation, de collaboration, et des concepts pour imaginer l’école et les solutions numériques. Nextcloud est devenu un pilier utile et important de notre école.
Quels sont les bénéfices pour les écoles depuis que vous avez lancé l’usage de Nextcloud ?
Les écoles qui reposent sur Nextcloud disposent d’une solution économique, qui ouvre la voie vers l’école numérique à travers de nombreuses fonctions, dans l’esprit de la protection des données et de l’open source ! Malheureusement, ses nombreux avantages n’ont pas encore été identifiés par les décideurs du ministère de l’Éducation. Là-bas, les gens considèrent encore que les bonnes solutions viennent forcément de Microsoft ou assimilés. Afin que les avantages de l’infrastructure Nextcloud deviennent plus visibles pour les écoles, davantage de travail de lobbying devrait être fait en ce sens. De plus, nous avons besoin de concepts qui permettent à CHAQUE école d’utiliser une infrastructure Nextcloud.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux décideurs qui recherchent des solutions collaboratives pour l’enseignement ?
Une solution étendue à toutes les écoles d’Allemagne serait souhaitable. Si vous ne voulez pas réinventer la roue lorsque vous devez collaborer, et que vous voulez être attentif à la protection des données, vous ne pouvez pas contourner Nextcloud ! Mais ce n’est pas uniquement aux responsables des ministères de l’Éducation de faire des progrès ici : j’espère que les personnes responsables de Nextcloud vont amener leurs produits dans les écoles avec un lobbying approprié et des concepts convaincants !
Les décideurs des ministères de l’Éducation devraient chercher les meilleures solutions sans biais, et ne devraient pas être effrayés par l’open source lors de ces recherches : l’utilisation de logiciels open source est la seule manière concrète d’utiliser du code de qualité !
Quelles ont été vos motivations pour créer le Schulnetzkonzept2 ?
Dans ma vie, j’ai pu bénéficier de nombreux logiciels open source, et de formidables tutoriels gratuits. Avec le concept de réseau éducatif, je voudrais aussi contribuer à quelque chose dans la philosophie de l’open source, et rendre mon expérience disponible. Même si mon site est destiné à des gens calés en informatique, la réponse est relativement importante et toujours positive.
Quels retours avez-vous des élèves et des professeurs ?
Le retour est essentiellement très positif. Les gens sont heureux que nous ayons une communication fiable et un système collaboratif entre les mains, particulièrement en ces temps d’école à la maison.
Quelles sont les fonctionnalités que vous préférez utiliser et quelles sont celles qui vous manquent encore peut-être ?
Pas facile de répondre. Beaucoup de composants ont une grande valeur et nous sont utiles. Nous utilisons principalement les fonctionnalités autour des fichiers et Collabora. Bien sûr, les applications mobiles jouent aussi un rôle important !
Ce qui serait le plus profitable aux écoles actuellement serait que le backend haute-performance pour les conférences vidéos soit plus facilement disponible. Cela contrecarrait aussi les sempiternelles visios avec Microsoft Teams de nombreux ministres de l’éducation.
Un peu envie de voir tout de suite à quoi ça ressemble ? Allez sur la démo en ligne et vous avez 60 minutes pour explorer en vrai la suite Nextcloud : https://try.nextcloud.com/
Une vidéo de 4 minutes de Apps.education.fr vous montre comment créer une ressource partagée avec paramétrage des permissions, la mettre à disposition des élèves et récolter les documents qu’ils et elles envoient.
J’enseigne, je code et je partage : une série de portraits-entretiens à la rencontre des enseignant⋅es développeur·euses
J’enseigne, je code et je partage est une série de portraits-entretiens à la rencontre des enseignant⋅es développeur·euses réalisée par Hervé Baronnet (enseignant) et Jean-Marc Adolphe (journaliste culture et humanités) pour l’association Faire École Ensemble. Déjà 3 de ces portraits-entretiens ont été publiés et on s’est dit que ça pourrait être chouette d’en savoir un peu plus sur cette initiative. Alors, on a demandé aux interviewers s’ils acceptaient d’être interviewés à leur tour.
Bonjour Hervé et Jean-Marc ! Pouvez-vous vous présenter ?
Bonjour,
Hervé Baronnet, je suis enseignant en maternelle depuis 25 ans, toujours en zone d’éducation prioritaire. Utilisateurs des TICE, notamment de logiciels éducatifs libres mais pas exclusivement. J’ai contribué au projet AbulÉdu en tant que bêta-testeur et auteur de documentations pédagogiques. Je suis actuellement membre du conseil collégial de FÉE.
Bonjour,
Jean-Marc Adolphe, journaliste et conseiller artistique, ex-militant FCPE. Je m’intéresse depuis longtemps à l’éducation aux médias, à mes yeux insuffisamment enseignée à l’école. Et en tant que citoyen, l’école m’engage. La question des « biens communs numériques » me semble essentielle dans tout ce qui ressort du service public, particulièrement au sein de l’Éducation nationale.
Vous êtes tous les deux adhérents de l’association Faire École Ensemble. C’est quoi cette asso ?
L’association Faire École Ensemble est une association collégiale qui facilite les collaborations entre les citoyens et la communauté éducative tout au long de la pandémie. Fée engage des projets collaboratifs en s’appuyant sur 3 spécificités : la convivialité, la documentation et le recours par défaut aux licences ouvertes.
Concrètement, à l’annonce de la fermeture des écoles et de la mise en place généralisée de l’enseignement à distance en mars 2020, nous avons mobilisé 1000 citoyennes et citoyens pour aider les professeurs peu à l’aise avec le numérique. S’en sont suivies d’autres actions autour de la réouverture progressive des écoles avec un protocole sanitaire drastique, les possibilités de faire école à l’extérieur, la préparation d’une rentrée apaisée en passant une nuit à l’école et une action réflexive sur la place du numérique dans l’enseignement (recherche-action ; états généraux du numérique libre et des communs pédagogiques).
Ce que nous faisons avec Faire École Ensemble relève d’une configuration tiers-lieux telle que définie par Antoine Burret (« le tiers-lieu peut-être défini conceptuellement comme : une configuration sociale où la rencontre entre des entités individuées engage intentionnellement à la conception de représentations communes »). Nos projets réunissent des communautés de personnes diverses (parents, profs, designers, chercheurs, élèves, architectes, juristes, militants associatifs, artistes…) autour d’une intention commune (réaménager sa classe, organiser une nuit à l’école, penser la pédagogique en période de crise…). Nous documentons les conversations (formelles et informelles) pour faire émerger un patrimoine informationnel commun, nous prenons soin des liens entre les personnes, sommes garants de la convivialité et accompagnons celles et ceux qui le souhaitent dans le passage à l’action (nous ne faisons pas à leur place).
J’ai cru comprendre que FÉE souhaitait développer une communauté d’enseignant⋅es développeur·euses en informatique. Quel est l’objectif ? Ça s’organise où et comment ? Quelles sont les modalités pour y participer ?
Des webinaires « le logiciel libre par des acteurs de l’éducation pour l’éducation » dans le cadre du cycle sur le libre et les communs sont proposés régulièrement. Les enseignant⋅es développeur·euses sont invité⋅es à y participer.
Il est important de souligner que les « enseignant⋅es développeur·euses » ne sont pas nécessairement des spécialistes en informatique. Ce sont avant tout des enseignant⋅es, soucieu⋅ses de trouver des ressources pédagogiques et « techniques » adaptées à leurs élèves.
Dans ce cadre, vous vous êtes lancés dans une série d’interviews d’enseignant⋅es développeur·euses. Quel est l’objectif de ces interviews ?
Le premier objectif de cette série d’entretiens-portraits est de faire connaître l’existence de ces personnes, de les valoriser elleux ainsi que les projets sur lesquels ielles travaillent. Ensuite, un portrait type présentant leurs spécificités va pouvoir naître en croisant les réponses.
Il s’agit de faire savoir à d’autres enseignant⋅es développeur·euses qu’ielles ne sont pas seul⋅es. À plus long terme, il s’agit de faire prendre conscience de la valeur de ces acteur⋅ices et de lister les freins et les besoins pour aboutir à un soutien institutionnel.
Sur quels critères sélectionnez-vous les enseignant⋅es développeur·euses pour votre série de portraits ?
Nous avons sollicité dans un premier temps des enseignant⋅es qui s’étaient inscrit⋅es sur le forum de FÉE. Puis nous avons réalisé des portraits de personnes au profil plus étendu, avec la double casquette enseignant et développeur au sens large. Le fait de développer ou de contribuer à des logiciels libres est privilégié dans le choix des entretiens.
#ModeTroll : il y a à ce jour 3 entretiens sur le blog et uniquement des hommes. C’est volontaire de ne pas valoriser la gent féminine ?
Il y en a 3 et bientôt 6, tous des hommes, en effet ! FÉE n’y est pour rien (le conseil collégial de l’association devrait être bientôt à parité hommes / femmes). Il se trouve que seuls des enseignants-hommes se sont manifestés à ce jour. Mais nous profitons de cet entretien pour lancer un appel à des enseignantes-développeuses afin qu’elles participent à cette série d’entretiens et qu’elles puissent rejoindre la communauté qui est en train de se former.
Quelle est la place du logiciel libre dans les pratiques des enseignant⋅es développeur·euses ?
La place du logiciel libre est centrale, car la priorité a été donnée aux enseignant⋅es développeur·euses libristes, cette action étant dans la continuité des États Généraux du Numérique Libre organisés par FÉE.
Des développeur·euses qui utilisent des outils non libres ou développant des applications gratuites propriétaires pourront aussi être sollicité⋅es pour mieux définir ce qui les empêche de basculer vers le libre.
Et comme toujours, sur le Framablog, on vous laisse le mot de la fin !
À partir de ces entretiens des caractéristiques communes aux enseignant⋅es développeur·euses peuvent être extraites.
Parmi les points positifs :
+ la motivation à aider les élèves
+ l’éthique comme moteur
+ la valeur ajoutée de leur projet en tant qu’outil métier
Parmi les aspects négatifs :
– le temps, la non-reconnaissance du travail
– le code « amateur » peu ou pas documenté
– l’aspect chronophage des questions des utilisateur⋅ices qui augmente avec le succès des logiciels
Notre contributopie serait de limiter ces freins par l’impulsion de solutions :
Que les institutions qui emploient ces enseignant⋅es développeur·euses reconnaissent l’intérêt de leur travail et leur permettent d’y consacrer du temps. Les enseignant⋅es ne veulent pas devenir développeur·euses à temps plein, le côté passion est leur moteur et les expériences de « professionnalisation » ont été des échecs.
Que la communauté du libre les aide pour améliorer le code sous forme, par exemple, de formations menées par des développeur·euses professionnel⋅les.
La mise en place d’une communauté d’usage permettant de répondre aux questions des utilisateur⋅ices et de créer de la documentation pédagogique.
Merci beaucoup pour vos précisions Hervé et Jean-Marc. Et on espère que de nombreu⋅ses enseignant⋅es et libristes rejoindront votre communauté.
Développeurs, développeuses, nettoyez le Web !
Voici la traduction d’une nouvelle initiative d’Aral Balkan intitulée : Clean up the web! : et si on débarrassait les pages web de leurs nuisances intrusives ?
En termes parfois fleuris (mais il a de bonnes raisons de hausser le ton) il invite toutes les personnes qui font du développement web à agir pour en finir avec la soumission aux traqueurs des GAFAM. Pour une fois, ce n’est pas seulement aux internautes de se méfier de toutes parts en faisant des choix éclairés, mais aussi à celles et ceux qui élaborent les pages web de faire face à leurs responsabilités, selon lui…
Développeurs, développeuses, c’est le moment de choisir votre camp : voulez-vous contribuer à débarrasser le Web du pistage hostile à la confidentialité, ou bien allez-vous en être complices ?
Que puis-je faire ?
🚮️ Supprimer les scripts tiers de Google, Facebook, etc.
Ces scripts permettent à des éleveurs de moutons numériques comme Google et Facebook de pister les utilisatrices d’un site à l’autre sur tout le Web. Si vous les incorporez à votre site, vous êtes complice en permettant ce pistage par des traqueurs.
Face à la pression montante des mécontents, Google a annoncé qu’il allait à terme bloquer les traqueurs tiers dans son navigateur Chrome. Ça a l’air bien non ? Et ça l’est, jusqu’à ce que l’on entende que l’alternative proposée est de faire en sorte que Chrome lui-même traque les gens sur tous les sites qu’ils visitent…sauf si les sites lui demandent de ne pas le faire, en incluant le header suivant dans leur réponse :
Permissions-Policy: interest-cohort=()
Bon, maintenant, si vous préférez qu’on vous explique à quel point c’est un coup tordu…
Aucune page web au monde ne devrait avoir à supplier Google : « s’il vous plaît, monsieur, ne violez pas la vie privée de la personne qui visite mon site » mais c’est exactement ce que Google nous oblige à faire avec sa nouvelle initiative d’apprentissage fédéré des cohortes (FLoC).
Si jamais vous avez du mal à retenir le nom, n’oubliez pas que « flock » veut dire « troupeau » en anglais, comme dans « troupeau de moutons, » parce que c’est clairement l’image qu’ils se font de nous chez Google s’ils pensent qu’on va accepter cette saloperie.
Donc c’est à nous, les développeurs, de coller ce header dans tous les serveurs web (comme nginx, Caddy, etc.), tous les outils web (comme WordPress, Wix, etc.)… bref dans tout ce qui, aujourd’hui, implique une réponse web à une requête, partout dans le monde.
Notre petit serveur web, Site.js, l’a déjà activé par défaut.
Si jamais il y a des politiciens qui ont les yeux ouverts en ce 21e siècle et qui ne sont pas trop occupés à se frotter les mains ou à saliver à l’idée de fricoter, voire de se faire embaucher par Google et Facebook, c’est peut-être le moment de faire attention et de faire votre putain de taf pour changer.
🚮️ Arrêter d’utiliser Chrome et conseiller aux autres d’en faire autant, si ça leur est possible.
Rappelons qui est le méchant ici : c’est Google (Alphabet, Inc.), pas les gens qui pour de multiples raisons pourraient être obligés d’utiliser le navigateur web de Google (par exemple, ils ne savent pas forcément comment télécharger et installer un nouveau navigateur, ou peuvent être obligés de l’utiliser au travail, etc.)
Donc, attention de ne pas vous retrouver à blâmer la victime, mais faites comprendre aux gens quel est le problème avec Google (« c’est une ferme industrielle pour les êtres humains ») et conseillez-leur d’utiliser, s’ils le peuvent, un navigateur différent.
C’est décourageant de voir les tentacules de ce foutu monstre marin s’étendre partout et s’il a jamais été temps de créer une organisation indépendante financée par des fonds publics pour mettre au point un navigateur sans cochonnerie, c’est le moment.
🚮️ Protégez-vous et montrez aux autres comment en faire autant
Pointez vers cette page avec les hashtags #CleanUpTheWeb et#FlocOffGoogle.
🚮️ Choisissez un autre business model
En fin de compte, on peut résumer les choses ainsi : si votre business model est fondé sur le pistage et le profilage des gens, vous faites partie du problème.
Les mecs de la tech dans la Silicon Valley vous diront qu’il n’y a pas d’autre façon de faire de la technologie que la leur.
C’est faux.
Ils vous diront que votre « aventure extraordinaire » commence par une startup financée par des business angels et du capital risque et qu’elle se termine soit quand vous êtes racheté par un Google ou un Facebook, soit quand vous en devenez un vous-même. Licornes et compagnie…
Vous pouvez créer de petites entreprises durables. Vous pouvez créer des coopératives. Vous pouvez créer des associations à but non lucratif, comme nous.
Si vous vous demandez ce qui vous rend heureux, est-ce que ce n’est pas ça, par hasard ?
Est-ce que vous voulez devenir milliardaire ? Est-ce que vous avez envie de traquer, de profiler, de manipuler les gens ? Ou est-ce que vous avec juste envie de faire de belles choses qui améliorent la vie des gens et rendent le monde plus équitable et plus sympa ?
Nous faisons le pari que vous préférez la seconde solution.
Si vous manquez d’inspiration, allez voir ce qui se fait chez Plausible, par exemple, et comment c’est fait, ou chez HEY, Basecamp, elementary OS, Owncast, Pine64, StarLabs, Purism, ou ce à quoi nous travaillons avec Site.js et le Small Web… vous n’êtes pas les seuls à dire non aux conneries de la Silicon Valley
On existe en partie grâce au soutien de gens comme vous. Si vous partagez notre vision et désirez soutenir notre travail, faites une don aujourd’hui et aidez-nous à continuer à exister.
Un Web « low-tech », « sobre », « frugal»… ce n’est pas une mode, mais un mouvement de fond qui va au-delà de la prise de conscience et commence à s’installer dans les pratiques. C’est pourquoi sans doute Nathalie a choisi d’associer recherche d’informations et expérimentation dans sa démarche d’éco-conception, c’est après tout la meilleure façon d’apprendre et progresser. Les commentaires comme toujours sont ouverts et modérés.
Bilan du défi « avance rapide »
par Nathalie
Nous sommes début avril 2021, voilà maintenant un mois que je m’intéresse aux impacts du numérique sur notre planète. Un mois que je lis tout ce que je peux trouver sur ce sujet et plus particulièrement sur l’éco-conception du numérique. Un mois que j’apprends intensivement sur ce sujet passionnant. Un mois que j’écris sur chaque découverte ou inspiration. Ce fut un mois intense et passionnant. Merci à celles et ceux qui ont pris le temps de me lire et d’écrire un commentaire, que ce soit pour m’encourager ou confronter leurs opinions. Certains sont plus en avance que moi sur le sujet et m’ont apporté leur contribution pour enrichir ce blog.
Je vais continuer à apprendre et à écrire ici au fil de mon chemin. De manière moins soutenue et peut-être un contenu un peu différent parfois. J’aimerais mettre en application ce que j’ai appris. Peut-être en commençant par l’analyse de sites web, décortiquer ensemble les choix de design et les confronter à mes récentes connaissances en éco-conception. Tout n’est pas encore décidé, d’ailleurs si vous avez des idées ou des choses que vous aimeriez voir ici, n’hésitez pas à m’en faire part en commentaires.
Bilan du défi “avance rapide”
Voici un bilan de ces 30 jours d’apprentissage intensif, défi que j’avais baptisé “avance rapide” (ici l’article sur le lancement du défi).
Articles publiés
J’ai lu des dizaines et des dizaines d’articles sur le sujet, participé à deux conférences et lu également deux livres pour lesquels j’ai mis le lien des chroniques un peu plus bas. J’ai découvert de nombreuses statistiques dont certaines qui m’ont beaucoup choquée et que j’ai regroupées ici. J’ai publié 29 articles (en excluant les articles sur le lancement et le bilan du défi que vous êtes en train de lire), un mélange entre apprentissage théorique, bonnes pratiques concrètes et inspirations. Je vous remets les liens de chaque article ci-dessous, classés par catégorie.
Au fil de mon apprentissage, j’ai également appliqué concrètement certaines actions sur le blog:
– non utilisation du blanc dans le design du blog (le blanc est la couleur la plus consommatrice en terme d’énergie)
– application de la méthode Marie Kondo, par exemple en utilisant des images uniquement lorsqu’elles servent à la compréhension
– optimisation des images avec ImageOptim (40% de réduction de poids en moyenne)
– mise en place d’un CDN pour réduire la distance à parcourir pour chaque requête (une bonne pratique dont je n’ai pas encore parlé mais j’y dédierai un article prochainement)
– j’essaie de rédiger des titres clairs pour éviter les mauvaises surprises et des chargements de page inutiles
Pour le moment, le score obtenu pour la page d’accueil du blog (www.webdesignfortheplanet.com) est plutôt satisfaisant. J’espère le maintenir dans le futur 🙂
En conclusion
J’espère que vous avez appris aussi et que certains articles vous ont interpellés, fait prendre conscience de l’impact de nos choix UX ou UI notamment dans la construction de nos sites web et, pourquoi pas, carrément donné envie de changer les choses dans nos métiers du numérique. N’hésitez pas à partager vos ressentis avec moi sur tout ça, ça m’intéresse de vous lire 🙂
J’ai encore beaucoup à apprendre sur ce sujet, je vais continuer à creuser, lire, analyser et expérimenter à mon rythme. Si vous avez des recommandations ou des suggestions de sujets que vous aimeriez que je creuse, n’hésitez pas à m’en faire part en commentaires de cet article.
À vélo avec la carto OSM
La cartographie libre creuse son sillon depuis de nombreuses années déjà. À l’instar de Wikipédia, l’autre grand projet collaboratif du Web dont le succès ne se dément pas, le projet OpenStreetMap (OSM), lancé quelques années après l’encyclopédie libre, est à l’origine de nombreuses applications.
À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.
L’article que vous allez lire en présente plusieurs avec une grande clarté et insiste en particulier sur la possibilité de les utiliser hors ligne. Parmi celles-ci, l’application Geovélo fait figure de fleuron français. Largement soutenue et promue par les collectivités locales, elle bénéficie d’une relativement importante couverture médiatique.
On peut toutefois s’interroger sur la manière dont ces collectivités appréhendent réellement le modèle des données libres et ouvertes sur lequel repose ce type d’applications. Car pour qu’elles rendent les services qu’on attend d’elles, il faut que les données cartographiques soient de bonne qualité et mises à jour régulièrement. C’est ce que rappelle Julien de Labaca dans « Le vélo a besoin de carto(s) ». Les collectivités locales françaises sont-elles contributrices au projet OSM ? Après tout, en tant que gestionnaires de voirie, leurs services sont les mieux placés pour collaborer efficacement à ce bien commun qu’est une cartographie libre.
Republication de l’article original publié sur le blog de Damien Une famille à vélo, consacré au cyclotourisme en famille et riche en récits de voyages illustrés, en conseils et fiches pratiques…
Itinéraires 2.0
C’est bien beau de pédaler, mais il est aussi utile de savoir où on va. Tous les ordiphones ont une application de cartographie pré-installée, plus ou moins respectueuse de la vie privée, mais qui en général ne fonctionne pas hors-ligne (ou partiellement).
Je ne m’attarderai pas sur ces applications natives.
OpenStreetMap
Nous allons parler d’OpenStreetMap et de son écosystème. Pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler voici ce qu’en dit Wikipédia :
OpenStreetMap (OSM) est un projet collaboratif de cartographie en ligne qui vise à constituer une base de données géographiques libre du monde (permettant par exemple de créer des cartes sous licence libre), en utilisant le système GPS et d’autres données libres.
Vous pouvez bien sûr consulter directement la carte OSM avec ses différents fonds de carte (dont certains sont dédiés au vélo). Les données étant sous licence libre, de nombreuses autres applications utilisent les données OSM. C’est très souvent le cas des applications de randonnée.
OsmAnd
L’application OsmAnd repose sur les cartes OpenStreetMap. Elle est disponible sur Android et IOS. Le site est en anglais mais – rassurez vous – l ‘application est disponible en français. Voici quelques-unes de ses fonctionnalités :
calcul d’itinéraire et guidage avec différents profils (voiture, vélo, randonnée) ;
recherche de points d’intérêts (exemple l’épicerie la plus proche, avec les horaires d’ouverture) ;
enregistrement d’itinéraires ;
import d’itinéraires ;
ajouts de points favoris.
L’application profite de toute la richesse d’OpenStreetMap : cartes détaillées avec différents fonds de carte (routes, itinéraires cyclables, itinéraires de randonnée, courbes de niveau) et les points d’intérêts (commerces, gares, logements, hôpitaux…) L’application utilise aussi la base des points d’intérêt de Wikipédia.
Il s’agit d’une application open source qui ne vous obligera pas à créer un compte. Point important, elle fonctionne hors-connexion une fois qu’on a téléchargé les cartes (possibilité limitée à 7 cartes dans la version gratuite). Utile quand vous ne voulez pas exploser votre forfait à l’étranger, ou même autour de chez vous. C’est utile aussi pour économiser la batterie.
N’hésitez pas à prendre le temps de jouer avec les menus. Ils sont assez riches, on s’y perd un peu au début mais il y a tout un tas d’options intéressantes. On trouve des tutoriels assez bien faits sur Internet.
Waymarked Trails
Waymarked Trails présente les itinéraires de randonnée depuis l’échelon local jusqu’au niveau international, avec des cartes et des informations de OpenStreetMap ainsi qu’un profil d’altitude. Le site permet d’afficher les chemins de randonnée à pied, à vélo, à vtt, en rollers, à cheval et à ski.
Zoomer et cliquer sur un itinéraire pour voir le détail. Une fois l’itinéraire sélectionné, il est possible de l’exporter aux formats GPX et KML. Vous n’avez plus qu’à importer l’itinéraire dans votre application GPS préférée.
Les itinéraires touristiques classiques ne sont pas encore tous référencés sur OSM. Dans ce cas vous les trouvez généralement sur les sites internet dédiées aux itinéraires, ou encore sur les sites des offices du tourisme. Exemple l’Alsace à vélo.
Bien sûr, il existe des sites de partage avec des centaines d’itinéraires. Si ces bases sont très riches, elles contiennent essentiellement des tracés fournis par des utilisateurs individuels, qui ne correspondent pas forcément aux itinéraires officiels. C’est intéressant pour des sorties sportives, mais ça ne vous garantit pas de passer par des voies sécurisées ou à faible trafic. Mieux vaut étudier les itinéraires avant de les suivre la tête dans le guidon.
Open Camping Map
Sur le même principe que Waymarked Trails pour les itinéraires, Open Camping Map est une extraction de la base OSM qui présente les campings. Ceux-ci étant référencés sur OSM, c’est plutôt une application qui s’utilise pour avoir une vue dédiée aux campings lorsque vous préparez vos itinéraires.
BRouter
BRouter est un bon calculateur d’itinéraire à vélo open source, avec de nombreux profils (route, cyclotourisme, …). Il fonctionne soit en ligne avec possibilité d’exporter l’itinéraire créé, soit en tant qu’application Android qui peut s’utiliser avec OsmAnd, Locus-Maps ou OruxMaps.
Exemple d’utilisation
Maintenant que nous avons tous les éléments, nous pouvons nous lancer dans la préparation d’un voyage à vélo.
Téléchargement de la carte OSM de la région dans l’application OsmAnd ;
Téléchargement de l’itinéraire vélo principal depuis Waymarked Trails ou autre source ;
Création manuelle de nouveaux itinéraires sur B.Router (détours et autres variantes) ;
Ajout de marques sur la carte (campings, châteaux, musées, piscines…) ;
Import des différents fichiers GPX dans l’application OSM. L’application permet maintenant d’afficher tous les itinéraires et points d’intérêts, et de naviguer hors-ligne.
GéoVélo
GéoVélo est un calculateur d’itinéraire (site web et application) pour les villes françaises. L’application fonctionne hors-ligne une fois qu’on a téléchargé la carte de la ville. Le guidage est bien pensé avec un zoom automatique à chaque changement de direction. Petit bémol, on est obligé de créer un compte pour pouvoir mémoriser des lieux et des trajets.
[EDIT par Framasoft] Plusieurs commentaires ci-dessous mettent en garde contre cette application qui ouvre des connexions avec google-analytics.com, doubleclick.net, facebook.net et cdn-apple.com… entre autres]
Participer avec StreetComplete
À la différence des autres cartes, OpenStreetMap est entièrement créé par des gens comme vous, et chacun est libre de le modifier, le mettre à jour, le télécharger et l’utiliser. Vous pouvez donc participer vous aussi à la construction de cet outil communautaire.
Il n’est pas nécessaire d’avoir une licence en géographie ni d’être expert en informatique. Le moyen le plus simple pour commencer est sans doute l’application StreetComplete qui vous permet de contribuer au projet OpenStreetMap en effectuant des « quêtes ». L’application vous propose d’ajouter des informations manquantes sur des zones près de votre position. L’application est destinée aux utilisateurs qui ne connaissent rien aux systèmes de marquage OSM mais souhaitent tout de même contribuer à OpenStreetMap en explorant leur quartier ou d’autres lieux. Vous pouvez le présenter de façon ludique aux enfants, comme une chasse au trésor. Ceci leur apprend à se repérer sur une carte, à s’orienter, à trouver le nom d’une rue, les horaires d’un magasin.
Utilisateurs libres ou domestiqués ? WhatsApp et les autres
Le mois dernier, WhatsApp a publié une nouvelle politique de confidentialité avec cette injonction : acceptez ces nouvelles conditions, ou supprimez WhatsApp de votre smartphone. La transmission de données privées à la maison-mère Facebook a suscité pour WhatsApp un retour de bâton retentissant et un nombre significatif d’utilisateurs et utilisatrices a migré vers d’autres applications, en particulier Signal.
Cet épisode parmi d’autres dans la guerre des applications de communication a suscité quelques réflexions plus larges sur la capture des utilisateurs et utilisatrices par des entreprises qui visent selon Rohan Kumar à nous « domestiquer »…
Je n’ai jamais utilisé WhatsApp et ne l’utiliserai jamais. Et pourtant j’éprouve le besoin d’écrire un article sur WhatsApp car c’est une parfaite étude de cas pour comprendre une certaine catégorie de modèles commerciaux : la « domestication des utilisateurs ».
La domestication des utilisateurs est, selon moi, l’un des principaux problèmes dont souffre l’humanité et il mérite une explication détaillée.
Cette introduction générale étant faite, commençons.
L’ascension de Whatsapp
Pour les personnes qui ne connaissent pas, WhatsApp est un outil très pratique pour Facebook car il lui permet de facilement poursuivre sa mission principale : l’optimisation et la vente du comportement humain (communément appelé « publicité ciblée »). WhatsApp a d’abord persuadé les gens d’y consentir en leur permettant de s’envoyer des textos par Internet, chose qui était déjà possible, en associant une interface simple et un marketing efficace. L’application s’est ensuite développée pour inclure des fonctionnalités comme les appels vocaux et vidéos gratuits. Ces appels gratuits ont fait de WhatsApp une plate-forme de communication de référence dans de nombreux pays.
WhatsApp a construit un effet de réseau grâce à son système propriétaire incompatible avec d’autres clients de messagerie instantanée : les utilisateurs existants sont captifs car quitter WhatsApp signifie perdre la capacité de communiquer avec les utilisateurs de WhatsApp. Les personnes qui veulent changer d’application doivent convaincre tous leurs contacts de changer aussi ; y compris les personnes les moins à l’aise avec la technologie, celles qui avaient déjà eu du mal à apprendre à se servir de WhatsApp.
Dans le monde de WhatsApp, les personnes qui souhaitent rester en contact doivent obéir aux règles suivantes :
• Chacun se doit d’utiliser uniquement le client propriétaire WhatsApp pour envoyer des messages ; développer des clients alternatifs n’est pas possible.
• Le téléphone doit avoir un système d’exploitation utilisé par le client. Les développeurs de WhatsApp ne développant que pour les systèmes d’exploitation les plus populaires, le duopole Android et iOS en sort renforcé.
• Les utilisateurs dépendent entièrement des développeurs de WhatsApp. Si ces derniers décident d’inclure des fonctionnalités hostiles dans l’application, les utilisateurs doivent s’en contenter. Ils ne peuvent pas passer par un autre serveur ou un autre client de messagerie sans quitter WhatsApp et perdre la capacité à communiquer avec leurs contacts WhatsApp.
La domestication des utilisateurs
WhatsApp s’est développé en piégeant dans son enclos des créatures auparavant libres, et en changeant leurs habitudes pour créer une dépendance à leurs maîtres. Avec le temps, il leur est devenu difficile voire impossible de revenir à leur mode de vie précédent. Ce processus devrait vous sembler familier : il est étrangement similaire à la domestication des animaux. J’appelle ce type d’enfermement propriétaire « domestication des utilisateurs » : la suppression de l’autonomie des utilisateurs, pour les piéger et les mettre au service du fournisseur.
J’ai choisi cette métaphore car la domestication animale est un processus graduel qui n’est pas toujours volontaire, qui implique typiquement qu’un groupe devienne dépendant d’un autre. Par exemple, nous savons que la domestication du chien a commencé avec sa sociabilisation, ce qui a conduit à une sélection pas totalement artificielle promouvant des gènes qui favorisent plus l’amitié et la dépendance envers les êtres humains3.
Qu’elle soit délibérée ou non, la domestication des utilisateurs suit presque toujours ces trois mêmes étapes :
1. Un haut niveau de dépendance des utilisateurs envers un fournisseur de logiciel
2. Une incapacité des utilisateurs à contrôler le logiciel, via au moins une des méthodes suivantes :
2.1. Le blocage de la modification du logiciel
2.2. Le blocage de la migration vers une autre plate-forme
3. L’exploitation des utilisateurs désormais captifs et incapables de résister.
L’exécution des deux premières étapes a rendu les utilisateurs de WhatsApp vulnérables à la domestication. Avec ses investisseurs à satisfaire, WhatsApp avait toutes les raisons d’implémenter des fonctionnalités hostiles, sans subir aucune conséquence. Donc, évidemment, il l’a fait.
La chute de WhatsApp
La domestication a un but : elle permet à une espèce maîtresse d’exploiter les espèces domestiquées pour son propre bénéfice. Récemment, WhatsApp a mis à jour sa politique de confidentialité pour permettre le partage de données avec sa maison mère, Facebook. Les personnes qui avaient accepté d’utiliser WhatsApp avec sa précédente politique de confidentialité avaient donc deux options : accepter la nouvelle politique ou perdre l’accès à WhatsApp. La mise à jour de la politique de confidentialité est un leurre classique : WhatsApp a appâté et ferré ses utilisateurs avec une interface élégante et une impression de confidentialité, les a domestiqués pour leur ôter la capacité de migrer, puis est revenu sur sa promesse de confidentialité avec des conséquences minimes. Chaque étape de ce processus a permis la suivante ; sans domestication, il serait aisé pour la plupart des utilisateurs de quitter l’application sans douleur.
Celles et ceux parmi nous qui sonnaient l’alarme depuis des années ont connu un bref moment de félicité sadique quand le cliché à notre égard est passé de « conspirationnistes agaçants et paranoïaques » à simplement « agaçants ».
Une tentative de dérapage contrôlé
L’opération de leurre et de ferrage a occasionné une réaction contraire suffisante pour qu’une minorité significative d’utilisateurs migre ; leur nombre a été légèrement supérieur la quantité négligeable que WhatsApp attendait probablement. En réponse, WhatsApp a repoussé le changement et publié la publicité suivante :
Cette publicité liste différentes données que WhatsApp ne collecte ni ne partage. Dissiper des craintes concernant la collecte de données en listant les données non collectées est trompeur. WhatsApp ne collecte pas d’échantillons de cheveux ou de scans rétiniens ; ne pas collecter ces informations ne signifie pas qu’il respecte la confidentialité parce que cela ne change pas ce que WhatsApp collecte effectivement.
Dans cette publicité WhatsApp nie conserver « l’historique des destinataires des messages envoyés ou des appels passés ». Collecter des données n’est pas la même chose que « conserver l’historique » ; il est possible de fournir les métadonnées à un algorithme avant de les jeter. Un modèle peut alors apprendre que deux utilisateurs s’appellent fréquemment sans conserver l’historique des métadonnées de chaque appel. Le fait que l’entreprise ait spécifiquement choisi de tourner la phrase autour de l’historique implique que WhatsApp soit collecte déjà cette sorte de données soit laisse la porte ouverte afin de les collecter dans le futur.
Une balade à travers la politique de confidentialité réelle de WhatsApp du moment (ici celle du 4 janvier) révèle qu’ils collectent des masses de métadonnées considérables utilisées pour le marketing à travers Facebook.
Liberté logicielle
Face à la domestication des utilisateurs, fournir des logiciels qui aident les utilisateurs est un moyen d’arrêter leur exploitation. L’alternative est simple : que le service aux utilisateurs soit le but en soi.
Pour éviter d’être contrôlés par les logiciels, les utilisateurs doivent être en position de contrôle. Les logiciels qui permettent aux utilisateurs d’être en position de contrôles sont appelés logiciels libres. Le mot « libre » dans ce contexte a trait à la liberté plutôt qu’au prix4. La liberté logicielle est similaire au concept d’open-source, mais ce dernier est focalisé sur les bénéfices pratiques plutôt qu’éthiques. Un terme moins ambigu qui a trait naturellement à la fois à la gratuité et l’open-source est FOSS5.
D’autres ont expliqué les concepts soutenant le logiciel libre mieux que moi, je n’irai pas dans les détails. Cela se décline en quatre libertés essentielles :
la liberté d’exécuter le programme comme vous le voulez, quel que soit le but
la liberté d’étudier comment le programme fonctionne, et de le modifier à votre souhait
la liberté de redistribuer des copies pour aider d’autres personnes
la liberté de distribuer des copies de votre version modifiée aux autres
Gagner de l’argent avec des FOSS
L’objection la plus fréquente que j’entends, c’est que gagner de l’argent serait plus difficile avec le logiciel libre qu’avec du logiciel propriétaire.
Pour gagner de l’argent avec les logiciels libres, il s’agit de vendre du logiciel comme un complément à d’autres services plus rentables. Parmi ces services, on peut citer la vente d’assistance, la personnalisation, le conseil, la formation, l’hébergement géré, le matériel et les certifications. De nombreuses entreprises utilisent cette approche au lieu de créer des logiciels propriétaires : Red Hat, Collabora, System76, Purism, Canonical, SUSE, Hashicorp, Databricks et Gradle sont quelques noms qui viennent à l’esprit.
L’hébergement n’est pas un panier dans lequel vous avez intérêt à déposer tous vos œufs, notamment parce que des géants comme Amazon Web Service peuvent produire le même service pour un prix inférieur. Être développeur peut donner un avantage dans des domaines tels que la personnalisation, le support et la formation ; cela n’est pas aussi évident en matière d’hébergement.
Les logiciels libres ne suffisent pas toujours
Le logiciel libre est une condition nécessaire mais parfois insuffisante pour établir une immunité contre la domestication. Deux autres conditions impliquent de la simplicité et des plates-formes ouvertes.
Simplicité
Lorsqu’un logiciel devient trop complexe, il doit être maintenu par une vaste équipe. Les utilisateurs qui ne sont pas d’accord avec un fournisseur ne peuvent pas facilement dupliquer et maintenir une base de code de plusieurs millions de lignes, surtout si le logiciel en question contient potentiellement des vulnérabilités de sécurité. La dépendance à l’égard du fournisseur peut devenir très problématique lorsque la complexité fait exploser les coûts de développement ; le fournisseur peut alors avoir recours à la mise en œuvre de fonctionnalités hostiles aux utilisateurs pour se maintenir à flot.
Un logiciel complexe qui ne peut pas être développé par personne d’autre que le fournisseur crée une dépendance, première étape vers la domestication de l’utilisateur. Cela suffit à ouvrir la porte à des développements problématiques.
Étude de cas : Mozilla et le Web
Mozilla était une lueur d’espoir dans la guerre des navigateurs, un espace dominé par la publicité, la surveillance et le verrouillage par des distributeurs. Malheureusement, le développement d’un moteur de navigation est une tâche monumentale, assez difficile pour qu’Opera et Microsoft abandonnent leur propre moteur et s’équipent de celui de Chromium. Les navigateurs sont devenus bien plus que des lecteurs de documents : ils ont évolué vers des applications dotées de propres technologies avec l’accélération GPU, Bluetooth, droits d’accès, énumération des appareils, codecs de médias groupés, DRM6, API d’extension, outils de développement… la liste est longue. Il faut des milliards de dollars par an pour répondre aux vulnérabilités d’une surface d’attaque aussi massive et suivre des standards qui se développent à un rythme tout aussi inquiétant. Ces milliards doivent bien venir de quelque part.
Mozilla a fini par devoir faire des compromis majeurs pour se maintenir à flot. L’entreprise a passé des contrats de recherche avec des sociétés manifestement hostiles aux utilisateurs et a ajouté au navigateur des publicités (et a fait machine arrière) et des bloatwares, comme Pocket, ce logiciel en tant que service partiellement financé par la publicité. Depuis l’acquisition de Pocket (pour diversifier ses sources de revenus), Mozilla n’a toujours pas tenu ses promesses : mettre le code de Pocket en open-source, bien que les clients soient passés en open-source, le code du serveur reste propriétaire. Rendre ce code open-source, et réécrire certaines parties si nécessaire serait bien sûr une tâche importante en partie à cause de la complexité de Pocket.
Les navigateurs dérivés importants comme Pale Moon sont incapables de suivre la complexité croissante des standards modernes du Web tels que les composants web (Web Components). En fait, Pale Moon a récemment dû migrer son code hors de GitHub depuis que ce dernier a commencé à utiliser des composants Web. Il est pratiquement impossible de commencer un nouveau navigateur à partir de zéro et de rattraper les mastodontes qui ont fonctionné avec des budgets annuels exorbitants pendant des décennies. Les utilisateurs ont le choix entre le moteur de navigation développé par Mozilla, celui d’une entreprise publicitaire (Blink de Google) ou celui d’un fournisseur de solutions monopolistiques (WebKit d’Apple). A priori, WebKit ne semble pas trop mal, mais les utilisateurs seront impuissants si jamais Apple décide de faire marche arrière.
Pour résumer : la complexité du Web a obligé Mozilla, le seul développeur de moteur de navigation qui déclare être « conçu pour les gens, pas pour l’argent », à mettre en place des fonctionnalités hostiles aux utilisateurs dans son navigateur. La complexité du Web a laissé aux utilisateurs un choix limité entre trois grands acteurs en conflit d’intérêts, dont les positions s’enracinent de plus en plus avec le temps.
Attention, je ne pense pas que Mozilla soit une mauvaise organisation ; au contraire, c’est étonnant qu’ils soient capables de faire autant, sans faire davantage de compromis dans un système qui l’exige. Leur produit de base est libre et open-source, et des composants externes très légèrement modifiés suppriment des anti-fonctionnalités.
Plates-formes ouvertes
Pour éviter qu’un effet de réseau ne devienne un verrouillage par les fournisseurs, les logiciels qui encouragent naturellement un effet de réseau doivent faire partie d’une plate-forme ouverte. Dans le cas des logiciels de communication/messagerie, il devrait être possible de créer des clients et des serveurs alternatifs qui soient compatibles entre eux, afin d’éviter les deux premières étapes de la domestication de l’utilisateur.
Étude de cas : Signal
Depuis qu’un certain vendeur de voitures a tweeté « Utilisez Signal », un grand nombre d’utilisateurs ont docilement changé de messagerie instantanée. Au moment où j’écris ces lignes, les clients et les serveurs Signal sont des logiciels libres et open-source, et utilisent certains des meilleurs algorithmes de chiffrement de bout en bout qui existent ; cependant, je ne suis pas fan.
Bien que les clients et les serveurs de Signal soient des logiciels libres et gratuits, Signal reste une plate-forme fermée. Le cofondateur de Signal, Moxie Marlinspike, est très critique à l’égard des plates-formes ouvertes et fédérées. Il décrit dans un article de blog les raisons pour lesquelles Signal reste une plate-forme fermée7. Cela signifie qu’il n’est pas possible de développer un serveur alternatif qui puisse être supporté par les clients Signal, ou un client alternatif qui supporte les serveurs Signal. La première étape de la domestication des utilisateurs est presque achevée.
Outre qu’il n’existe qu’un seul client et qu’un seul serveur, il n’existe qu’un seul fournisseur de serveur Signal : Signal Messenger LLC. La dépendance des utilisateurs vis-à-vis de ce fournisseur de serveur central leur a explosé au visage, lors de la récente croissance de Signal qui a provoqué des indisponibilités de plus d’une journée, mettant les utilisateurs de Signal dans l’incapacité d’envoyer des messages, jusqu’à ce que le fournisseur unique règle le problème.
Certains ont quand même essayé de développer des clients alternatifs : un fork Signal appelé LibreSignal a tenté de faire fonctionner Signal sur des systèmes Android respectueux de la vie privée, sans les services propriétaires Google Play. Ce fork s’est arrêté après que Moxie eut clairement fait savoir qu’il n’était pas d’accord avec une application tierce utilisant les serveurs Signal. La décision de Moxie est compréhensible, mais la situation aurait pu être évitée si Signal n’avait pas eu à dépendre d’un seul fournisseur de serveurs.
Si Signal décide de mettre à jour ses applications pour y inclure une fonction hostile aux utilisateurs, ces derniers seront tout aussi démunis qu’ils le sont actuellement avec WhatsApp. Bien que je ne pense pas que ce soit probable, la plate-forme fermée de Signal laisse les utilisateurs vulnérables à leur domestication.
Même si je n’aime pas Signal, je l’ai tout de même recommandé à mes amis non-techniques, parce que c’était le seul logiciel de messagerie instantanée assez privé pour moi et assez simple pour eux. S’il y avait eu la moindre intégration à faire (création de compte, ajout manuel de contacts, etc.), un de mes amis serait resté avec Discord ou WhatsApp. J’ajouterais bien quelque chose de taquin comme « tu te reconnaîtras » s’il y avait la moindre chance pour qu’il arrive aussi loin dans l’article.
Réflexions
Les deux études de cas précédentes – Mozilla et Signal – sont des exemples d’organisations bien intentionnées qui rendent involontairement les utilisateurs vulnérables à la domestication. La première présente un manque de simplicité mais incarne un modèle de plate-forme ouverte. La seconde est une plate-forme fermée avec un degré de simplicité élevé. L’intention n’entre pas en ligne de compte lorsqu’on examine les trois étapes et les contre-mesures de la domestication des utilisateurs. @paulsnar@mastodon.technology a souligné un conflit potentiel entre la simplicité et les plates-formes ouvertes :
j’ai l’impression qu’il y a une certaine opposition entre simplicité et plates-formes ouvertes ; par exemple Signal est simple précisément parce que c’est une plate-forme fermée, ou du moins c’est ce qu’explique Moxie. À l’inverse, Matrix est superficiellement simple, mais le protocole est en fait (à mon humble avis) assez complexe, précisément parce que c’est une plate-forme ouverte.
Je n’ai pas de réponse simple à ce dilemme. Il est vrai que Matrix est extrêmement complexe (comparativement à des alternatives comme IRC ou même XMPP), et il est vrai qu’il est plus difficile de construire une plate-forme ouverte. Cela étant dit, il est certainement possible de maîtriser la complexité tout en développant une plate-forme ouverte : Gemini, IRC et le courrier électronique en sont des exemples. Si les normes de courrier électronique ne sont pas aussi simples que Gemini ou IRC, elles évoluent lentement ; cela évite aux implémentations de devoir rattraper le retard, comme c’est le cas pour les navigateurs Web ou les clients/serveurs Matrix.
Tous les logiciels n’ont pas besoin de brasser des milliards. La fédération permet aux services et aux réseaux comme le Fediverse et XMPP de s’étendre à un grand nombre d’utilisateurs sans obliger un seul léviathan du Web à vendre son âme pour payer la facture. Bien que les modèles commerciaux anti-domestication soient moins rentables, ils permettent encore la création des mêmes technologies qui ont été rendues possibles par la domestication des utilisateurs. Tout ce qui manque, c’est un budget publicitaire ; la plus grande publicité que reçoivent certains de ces projets, ce sont de longs billets de blog non rémunérés.
Peut-être n’avons-nous pas besoin de rechercher la croissance à tout prix et d’essayer de « devenir énorme ». Peut-être pouvons-nous nous arrêter, après avoir atteint une durabilité et une sécurité financière, et permettre aux gens de faire plus avec moins.
Notes de clôture
Avant de devenir une sorte de manifeste, ce billet se voulait une version étendue d’un commentaire que j’avais laissé suite à un message de Binyamin Green sur le Fediverse.
J’avais décidé, à l’origine, de le développer sous sa forme actuelle pour des raisons personnelles. De nos jours, les gens exigent une explication approfondie chaque fois que je refuse d’utiliser quelque chose que « tout le monde » utilise (WhatsApp, Microsoft Office, Windows, macOS, Google Docs…).
Puis, ils et elles ignorent généralement l’explication, mais s’attendent quand même à en avoir une. La prochaine fois que je les rencontrerai, ils auront oublié notre conversation précédente et recommenceront le même dialogue. Justifier tous mes choix de vie en envoyant des assertions logiques et correctes dans le vide – en sachant que tout ce que je dis sera ignoré – est un processus émotionnellement épuisant, qui a fait des ravages sur ma santé mentale ces dernières années ; envoyer cet article à mes amis et changer de sujet devrait me permettre d’économiser quelques cheveux gris dans les années à venir.
Cet article s’appuie sur des écrits antérieurs de la Free Software Foundation, du projet GNU et de Richard Stallman. Merci à Barna Zsombor de m’avoir fait de bon retours sur IRC.
Le Fediverse et l’avenir des réseaux décentralisés
Le Fediverse est un réseau social multiforme qui repose sur une fédération de serveurs interconnectés. C’est un phénomène assez jeune encore, mais dont la croissance suscite déjà l’intérêt et des questionnements. Parmi les travaux d’analyse qui s’efforcent de prendre une distance critique, nous vous proposons « Sept thèses sur le Fediverse et le devenir du logiciel libre »
Cette traduction Framalang vous arrive aujourd’hui avec presque un an de retard. Le document était intégralement traduit par l’équipe de Framalang dès le printemps 2020, mais nous avons tergiversé sur sa publication, car nous souhaitions un support différent du blog, où les contributions auraient pu se répondre. Mais entre le premier confinement et d’autres projets qui sont venus s’intercaler… Cependant le débat reste possible, non seulement les commentaires sont ouverts (et modérés) comme d’habitude, mais nous serions ravis de recueillir d’autres contributions qui voudraient s’emparer du thème du Fediverse pour apporter un nouvel éclairage sur ce phénomène encore jeune et en devenir. N’hésitez pas à publier votre analyse sur un blog personnel ou à défaut, ici même si vous le souhaitez.
Référence : Aymeric Mansoux et Roel Roscam Abbing, « Seven Theses on the Fediverse and the becoming of FLOSS », dans Kristoffer Gansing et Inga Luchs (éds.), The Eternal Network. The Ends and Becomings of Network Culture, Institute of Network Cultures, Amsterdam, 2020, p. 124-140. En ligne.
Ces dernières années, dans un contexte de critiques constantes et de lassitude généralisée associées aux plates-formes de médias sociaux commerciaux1, le désir de construire des alternatives s’est renforcé. Cela s’est traduit par une grande variété de projets animés par divers objectifs. Les projets en question ont mis en avant leurs différences avec les médias sociaux des grandes plates-formes, que ce soit par leur éthique, leur structure, les technologies qui les sous-tendent, leurs fonctionnalités, l’accès au code source ou encore les communautés construites autour d’intérêts spécifiques qu’ils cherchent à soutenir. Bien que diverses, ces plates-formes tendent vers un objectif commun : remettre clairement en question l’asservissement à une plate-forme unique dans le paysage des médias sociaux dominants. Par conséquent, ces projets nécessitent différents niveaux de décentralisation et d’interopérabilité en termes d’architecture des réseaux et de circulation de données. Ces plates-formes sont regroupées sous le terme de « Fédiverse », un mot-valise composé de « Fédération » et « univers ». La fédération est un concept qui vient de la théorie politique par lequel divers acteurs qui se constituent en réseau décident de coopérer tous ensemble. Les pouvoirs et responsabilités sont distribués à mesure que se forme le réseau. Dans le contexte des médias sociaux, les réseaux fédérés sont portés par diverses communautés sur différents serveurs qui peuvent interagir mutuellement, plutôt qu’à travers un logiciel ou une plate-forme unique. Cette idée n’est pas nouvelle, mais elle a récemment gagné en popularité et a réactivé les efforts visant à construire des médias sociaux alternatifs2.
Les tentatives précédentes de créer des plates-formes de médias sociaux fédérés venaient des communautés FLOSS (Free/Libre and Open Source software, les logiciels libres et open source3) qui avaient traditionnellement intérêt à procurer des alternatives libres aux logiciels propriétaires et privateurs dont les sources sont fermées. En tant que tels, ces projets se présentaient en mettant l’accent sur la similarité de leurs fonctions avec les plates-formes commerciales tout en étant réalisés à partir de FLOSS. Principalement articulées autour de l’ouverture des protocoles et du code source, ces plates-formes logicielles ne répondaient aux besoins que d’une audience modeste d’utilisateurs et de développeurs de logiciels qui étaient en grande partie concernés par les questions typiques de la culture FLOSS.
La portée limitée de ces tentatives a été dépassée en 2016 avec l’apparition de Mastodon, une combinaison de logiciels client et serveur pour les médias sociaux fédérés. Mastodon a été rapidement adopté par une communauté diversifiée d’utilisateurs et d’utilisatrices, dont de nombreuses personnes habituellement sous-représentées dans les FLOSS : les femmes, les personnes de couleur et les personnes s’identifiant comme LGBTQ+. En rejoignant Mastodon, ces communautés moins représentées ont remis en question la dynamique des environnements FLOSS existants ; elles ont également commencé à contribuer autant au code qu’à la contestation du modèle unique dominant des médias sociaux commerciaux dominants. Ce n’est pas une coïncidence si ce changement s’est produit dans le sillage du Gamergate4 en 2014, de la montée de l’alt-right et des élections présidentielles américaines de 2016. Fin 2017, Mastodon a dépassé le million d’utilisateurs qui voulaient essayer le Fédiverse comme une solution alternative aux plates-formes de médias sociaux commerciaux. Ils ont pu y tester par eux-mêmes si une infrastructure différente peut ou non conduire à des discours, des cultures et des espaces sûrs (safe spaces) différents.
Aujourd’hui, le Fédiverse comporte plus de 3,5 millions de comptes répartis sur près de 5 000 serveurs, appelés « instances », qui utilisent des projets logiciels tels que Friendica, Funkwhale, Hubzilla, Mastodon, Misskey, PeerTube, PixelFed et Pleroma, pour n’en citer que quelques-uns5. La plupart de ces instances peuvent être interconnectées et sont souvent focalisées sur une pratique, une idéologie ou une activité professionnelle spécifique. Dans cette optique, le projet Fédiverse démontre qu’il est non seulement techniquement possible de passer de gigantesques réseaux sociaux universels à de petites instances interconnectées, mais qu’il répond également à un besoin concret.
On peut considérer que la popularité actuelle du Fédiverse est due à deux tendances conjointes. Tout d’abord, le désir d’opérer des choix techniques spécifiques pour résoudre les problèmes posés par les protocoles fermés et les plates-formes propriétaires. Deuxièmement, une volonté plus large des utilisateurs de récupérer leur souveraineté sur les infrastructures des médias sociaux. Plus précisément, alors que les plates-formes de médias sociaux commerciaux ont permis à beaucoup de personnes de publier du contenu en ligne, le plus grand impact du Web 2.0 a été le découplage apparent des questions d’infrastructure des questions d’organisation sociale. Le mélange de systèmes d’exploitation et de systèmes sociaux qui a donné naissance à la culture du Net6 a été remplacé par un système de permissions et de privilèges limités pour les utilisateurs. Ceux qui s’engagent dans le Fédiverse travaillent à défaire ce découplage. Ils veulent contribuer à des infrastructures de réseau qui soient plus honnêtes quant à leurs idéologies sous-jacentes.
Ces nouvelles infrastructures ne se cachent pas derrière des manipulations d’idées en trompe-l’œil comme l’ouverture, l’accès universel ou l’ingénierie apolitique. Bien qu’il soit trop tôt aujourd’hui pour dire si le Fédiverse sera à la hauteur des attentes de celles et ceux qui la constituent et quel sera son impact à long terme sur les FLOSS, il est déjà possible de dresser la carte des transformations en cours, ainsi que des défis à relever dans ce dernier épisode de la saga sans fin de la culture du Net et de l’informatique. C’est pourquoi nous présentons sept thèses sur le Fédiverse et le devenir des FLOSS, dans l’espoir d’ouvrir le débat autour de certaines des questions les plus urgentes qu’elles soulèvent.
Nous reconnaissons volontiers que toute réflexion sérieuse sur la culture du Net aujourd’hui doit traiter de la question des mèmes d’une façon ou d’une autre. Mais que peut-on ajouter au débat sur les mèmes en 2020 ? Il semble que tout ait déjà été débattu, combattu et exploité jusqu’à la corde par les universitaires comme par les artistes. Que nous reste-t-il à faire sinon nous tenir régulièrement au courant des derniers mèmes et de leur signification ? On oublie trop souvent que de façon cruciale, les mèmes ne peuvent exister ex nihilo. Il y a des systèmes qui permettent leur circulation et leur amplification : les plateformes de médias sociaux.
Les plateformes de médias sociaux ont démocratisé la production et la circulation des mèmes à un degré jamais vu jusqu’alors. De plus, ces plateformes se sont développées en symbiose avec la culture des mèmes sur Internet. Les plateformes de médias sociaux commerciaux ont été optimisées et conçues pour favoriser les contenus aptes à devenir des mèmes. Ces contenus encouragent les réactions et la rediffusion, ils participent à une stratégie de rétention des utilisateurs et de participation au capitalisme de surveillance. Par conséquent, dans les environnements en usage aujourd’hui pour la majeure partie des communications en ligne, presque tout est devenu un mème, ou doit afficher l’aptitude à en devenir un pour survivre — du moins pour être visible — au sein d’un univers de fils d’actualités gouvernés par des algorithmes et de flux contrôlés par des mesures7.
Comme les médias sociaux sont concentrés sur la communication et les interactions, on a complètement sous-estimé la façon dont les mèmes deviendraient bien plus que des vecteurs stratégiquement conçus pour implanter des idées, ou encore des trucs amusants et viraux à partager avec ses semblables. Ils sont devenus un langage, un argot, une collection de signes et de symboles à travers lesquels l’identité culturelle ou sous-culturelle peut se manifester. La circulation de tels mèmes a en retour renforcé certains discours politiques qui sont devenus une préoccupation croissante pour les plateformes. En effet, pour maximiser l’exploitation de l’activité des utilisateurs, les médias sociaux commerciaux doivent trouver le bon équilibre entre le laissez-faire et la régulation.
Ils tentent de le faire à l’aide d’un filtrage algorithmique, de retours d’utilisateurs et de conditions d’utilisation. Cependant, les plateformes commerciales sont de plus en plus confrontées au fait qu’elles ont créé de véritables boites de Pétri permettant à toutes sortes d’opinions et de croyances de circuler sans aucun contrôle, en dépit de leurs efforts visant à réduire et façonner le contenu discursif de leurs utilisateurs en une inoffensive et banale substance compatible avec leur commerce.
Malgré ce que les plateformes prétendent dans leurs campagnes de relations publiques ou lors des auditions des législateurs, il est clair qu’aucun solutionnisme technologique ni aucun travail externalisé et précarisé réalisé par des modérateurs humains traumatisés8 ne les aidera à reprendre le contrôle. En conséquence de l’augmentation de la surveillance menée par les plateformes de médias sociaux commerciaux, tous ceux qui sont exclus ou blessés dans ces environnements se sont davantage intéressés à l’idée de migrer sur d’autres plateformes qu’ils pourraient maîtriser eux-mêmes.
Les raisons incitant à une migration varient. Des groupes LGBTQ+ cherchent des espaces sûrs pour éviter l’intimidation et le harcèlement. Des suprémacistes blancs recherchent des plateformes au sein desquelles leur interprétation de la liberté d’expression n’est pas contestée. Raddle, un clone radicalisé, s’est développé à la suite de son exclusion du forum Reddit original ; à l’extrême-droite, il y a Voat, un autre clone de Reddit9. Ces deux plateformes ont développé leurs propres FLOSS en réponse à leur exclusion.
Au-delà de l’accès au code source, ce qui vaut aux FLOSS la considération générale, on ignore étonnamment l’un des avantages essentiels et historiques de la pratique des FLOSS : la capacité d’utiliser le travail des autres et de s’appuyer sur cette base. Il semble important aujourd’hui de développer le même logiciel pour un public réduit, et de s’assurer que le code source n’est pas influencé par les contributions d’une autre communauté. C’est une évolution récente dans les communautés FLOSS, qui ont souvent défendu que leur travail est apolitique.
C’est pourquoi, si nous nous mettons à évoquer les mèmes aujourd’hui, nous devons parler de ces plateformes de médias sociaux. Nous devons parler de ces environnements qui permettent, pour le meilleur comme pour le pire, une sédimentation du savoir : en effet, lorsqu’un discours spécifique s’accumule en ligne, il attire et nourrit une communauté, via des boucles de rétroaction qui forment des assemblages mémétiques. Nous devons parler de ce processus qui est permis par les Floss et qui en affecte la perception dans le même temps. Les plateformes de médias sociaux commerciaux ont décidé de censurer tout ce qui pourrait mettre en danger leurs affaires, tout en restant ambivalentes quant à leur prétendue neutralité10.
Mais contrairement à l’exode massif de certaines communautés et à leur repli dans la conception de leur propre logiciel, le Fédiverse offre plutôt un vaste système dans lequel les communautés peuvent être indépendantes tout en étant connectées à d’autres communautés sur d’autres serveurs. Dans une situation où la censure ou l’exil en isolement étaient les seules options, la fédération ouvre une troisième voie. Elle permet à une communauté de participer aux échanges ou d’entrer en conflit avec d’autres plateformes tout en restant fidèle à son cadre, son idéologie et ses intérêts.
Dès lors, deux nouveaux scénarios sont possibles : premièrement, une culture en ligne localisée pourrait être mise en place et adoptée dans le cadre de la circulation des conversations dans un réseau de communication partagé. Deuxièmement, des propos mémétiques extrêmes seraient susceptibles de favoriser l’émergence d’une pensée axée sur la dualité amis/ennemis entre instances, au point que les guerres de mèmes et la propagande simplistes seraient remplacés par des guerres de réseaux.
Les concepts d’ouverture, d’universalité, et de libre circulation de l’information ont été au cœur des récits pour promouvoir le progrès technologique et la croissance sur Internet et le Web. Bien que ces concepts aient été instrumentalisés pour défendre les logiciels libres et la culture du libre, ils ont aussi été cruciaux dans le développement des médias sociaux, dont le but consistait à créer des réseaux en constante croissance, pour embarquer toujours davantage de personnes communiquant librement les unes avec les autres. En suivant la tradition libérale, cette approche a été considérée comme favorisant les échanges d’opinion fertiles en fournissant un immense espace pour la liberté d’expression, l’accès à davantage d’informations et la possibilité pour n’importe qui de participer.
Cependant, ces systèmes ouverts étaient également ouverts à leur accaparement par le marché et exposés à la culture prédatrice des méga-entreprises. Dans le cas du Web, cela a conduit à des modèles lucratifs qui exploitent à la fois les structures et le contenu circulant11 dans tout le réseau.
Revenons à la situation actuelle : les médias sociaux commerciaux dirigent la surveillance des individus et prédisent leur comportement afin de les convaincre d’acheter des produits et d’adhérer à des idées politiques. Historiquement, des projets de médias sociaux alternatifs tels que GNU Social, et plus précisément Identi.ca/StatusNet, ont cherché à s’extirper de cette situation en créant des plateformes qui contrevenaient à cette forme particulière d’ouverture sur-commercialisée.
Ils ont créé des systèmes interopérables explicitement opposés à la publicité et au pistage par les traqueurs. Ainsi faisant, ils espéraient prouver qu’il est toujours possible de créer un réseau à la croissance indéfinie tout en distribuant la responsabilité de la détention des données et, en théorie, de fournir les moyens à des communautés variées de s’approprier le code source des plateformes ainsi que de contribuer à la conception du protocole.
C’était en somme la conviction partagée sur le Fédiverse vers 2016. Cette croyance n’a pas été remise en question, car le Fédiverse de l’époque n’avait pas beaucoup dévié du projet d’origine d’un logiciel libre de média social fédéré, lancé une décennie plus tôt.
Par conséquent, le Fédiverse était composé d’une foule très homogène, dont les intérêts recoupaient la technologie, les logiciels libres et les idéologies anti-capitalistes. Cependant, alors que la population du Fédiverse s’est diversifiée lorsque Mastodon a attiré des communautés plus hétérogènes, des conflits sont apparus entre ces différentes communautés. Cette fois, il s’agissait de l’idée même d’ouverture du Fédiverse qui était de plus en plus remise en question par les nouveaux venus. Contribuant à la critique, un appel a émergé de la base d’utilisateurs de Mastodon en faveur de la possibilité de bloquer ou « défédérer » d’autres serveurs du Fédiverse.
Bloquer signifie que les utilisateurs ou les administrateurs de serveurs pouvaient empêcher le contenu d’autres serveurs sur le réseau de leur parvenir. « Défédérer », dans ce sens, est devenu une possibilité supplémentaire dans la boîte à outils d’une modération communautaire forte, qui permettait de ne plus être confronté à du contenu indésirable ou dangereux. Au début, l’introduction de la défédération a causé beaucoup de frictions parmi les utilisateurs d’autres logiciels du Fédiverse. Les plaintes fréquentes contre Mastodon qui « cassait la fédération » soulignent à quel point ce changement était vu comme une menace pour le réseau tout entier12. Selon ce point de vue, plus le réseau pouvait grandir et s’interconnecter, plus il aurait de succès en tant qu’alternative aux médias sociaux commerciaux. De la même manière, beaucoup voyaient le blocage comme une contrainte sur les possibilités d’expression personnelle et d’échanges d’idées constructifs, craignant qu’il s’ensuive l’arrivée de bulles de filtres et d’isolement de communautés.
En cherchant la déconnexion sélective et en contestant l’idée même que le débat en ligne est forcément fructueux, les communautés qui se battaient pour la défédération ont aussi remis en cause les présupposés libéraux sur l’ouverture et l’universalité sur lesquels les logiciels précédents du Fédiverse étaient construits. Le fait qu’en parallèle à ces développements, le Fédiverse soit passé de 200 000 à plus de 3,5 millions de comptes au moment d’écrire ces lignes, n’est probablement pas une coïncidence. Plutôt que d’entraver le réseau, la défédération, les communautés auto-gouvernées et le rejet de l’universalité ont permis au Fédiverse d’accueillir encore plus de communautés. La présence de différents serveurs qui représentent des communautés si distinctes qui ont chacune leur propre culture locale et leur capacité d’action sur leur propre partie du réseau, sans être isolée de l’ensemble plus vaste, est l’un des aspects les plus intéressants du Fédiverse. Cependant, presque un million du nombre total de comptes sont le résultat du passage de la plateforme d’extrême-droite Gab aux protocoles du Fédiverse, ce qui montre que le réseau est toujours sujet à la captation et à la domination par une tierce partie unique et puissante13. Dans le même temps, cet événement a immédiatement déclenché divers efforts pour permettre aux serveurs de contrer ce risque de domination.
Par exemple, la possibilité pour certaines implémentations de serveurs de se fédérer sur la base de listes blanches, qui permettent aux serveurs de s’interconnecter au cas par cas, au lieu de se déconnecter au cas par cas. Une autre réponse qui a été proposée consistait à étendre le protocole ActivityPub, l’un des protocoles les plus populaires et discutés du Fédiverse, en ajoutant des méthodes d’autorisation plus fortes à base d’un modèle de sécurité informatique qui repose sur la capacité des objets (Object-capability model). Ce modèle permet à un acteur de retirer, a posteriori, la possibilité à d’autres acteurs de voir ou d’utiliser ses données. Ce qui est unique à propos du Fédiverse c’est cette reconnaissance à la fois culturelle et technique que l’ouverture a ses limites, et qu’elle est elle-même ouverte à des interprétations plus ou moins larges en fonction du contexte, qui n’est pas fixe dans le temps. C’est un nouveau point de départ fondamental pour imaginer de nouveaux médias sociaux.
Comme nous l’avons établi précédemment, une des caractéristiques du Fédiverse tient aux différentes couches logicielles et applications qui la constituent et qui peuvent virtuellement être utilisées par n’importe qui et dans n’importe quel but. Cela signifie qu’il est possible de créer une communauté en ligne qui peut se connecter au reste du Fédiverse mais qui opère selon ses propres règles, sa propre ligne de conduite, son propre mode d’organisation et sa propre idéologie. Dans ce processus, chaque communauté est capable de se définir elle-même non plus uniquement par un langage mémétique, un intérêt, une perspective commune, mais aussi par ses relations aux autres, en se différenciant. Une telle spécificité peut faire ressembler le Fédiverse à un assemblage d’infrastructures qui suivrait les principes du pluralisme agonistique. Le pluralisme agonistique, ou agonisme, a d’abord été conçu par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, qui l’ont par la suite développé en une théorie politique. Pour Mouffe, à l’intérieur d’un ordre hégémonique unique, le consensus politique est impossible. Une négativité radicale est inévitable dans un système où la diversité se limite à des groupes antagonistes14.
La thèse de Mouffe s’attaque aux systèmes démocratiques où les politiques qui seraient en dehors de ce que le consensus libéral juge acceptable sont systématiquement exclues. Toutefois, ce processus est aussi à l’œuvre sur les plateformes de médias sociaux commerciaux, dans le sens où ces dernières forment et contrôlent le discours pour qu’il reste acceptable par le paradigme libéral, et qu’il s’aligne sur ses propres intérêts commerciaux. Ceci a conduit à une radicalisation de celles et ceux qui en sont exclus.
Le pari fait par l’agonisme est qu’en créant un système dans lequel un pluralisme d’hégémonies est permis, il devienne possible de passer d’une conception de l’autre en tant qu’ennemi à une conception de l’autre en tant qu’adversaire politique. Pour que cela se produise, il faut permettre à différentes idéologies de se matérialiser par le biais de différents canaux et plateformes. Une condition préalable importante est que l’objectif du consensus politique doit être abandonné et remplacé par un consensus conflictuel, dans lequel la reconnaissance de l’autre devient l’élément de base des nouvelles relations, même si cela signifie, par exemple, accepter des points de vue non occidentaux sur la démocratie, la laïcité, les communautés et l’individu.
Pour ce qui est du Fédiverse, il est clair qu’il contient déjà un paysage politique relativement diversifié et que les transitions du consensus politique au consensus conflictuel peuvent être constatées au travers de la manière dont les communautés se comportent les unes envers les autres. À la base de ces échanges conflictuels se trouvent divers points de vue sur la conception et l’utilisation collectives de toutes les couches logicielles et des protocoles sous-jacents qui seraient nécessaires pour permettre une sorte de pluralisme agonistique en ligne.
Cela dit, les discussions autour de l’usage susmentionné du blocage d’instance et de la défédération sont férocement débattues, et, au moment où nous écrivons ces lignes, avec la présence apparemment irréconciliable de factions d’extrême gauche et d’extrême droite dans l’univers de la fédération, les réalités de l’antagonisme seront très difficiles à résoudre. La conception du Fédiverse comme système dans lequel les différentes communautés peuvent trouver leur place parmi les autres a été concrètement mise à l’épreuve en juillet 2019, lorsque la plateforme explicitement d’extrême droite, Gab, a annoncé qu’elle modifierait sa base de code, s’éloignant de son système propriétaire pour s’appuyer plutôt sur le code source de Mastodon.
En tant que projet qui prend explicitement position contre l’idéologie de Gab, Mastodon a été confronté à la neutralité des licences FLOSS. D’autres projets du Fédiverse, tels que les clients de téléphonie mobile FediLab et Tusky, ont également été confrontés au même problème, peut-être même plus, car la motivation directe des développeurs de Gab pour passer aux logiciels du Fédiverse était de contourner leur interdiction des app stores d’Apple et de Google pour violation de leurs conditions de service. En s’appuyant sur les clients génériques de logiciels libres du Fédiverse, Gab pourrait échapper à de telles interdictions à l’avenir, et aussi forger des alliances avec d’autres instances idéologiquement compatibles sur le Fédiverse15.
Dans le cadre d’une stratégie antifasciste plus large visant à dé-plateformer et à bloquer Gab sur le Fédiverse, des appels ont été lancés aux développeurs de logiciels pour qu’ils ajoutent du code qui empêcherait d’utiliser leurs clients pour se connecter aux serveurs Gab. Cela a donné lieu à des débats approfondis sur la nature des logiciels libres et open source, sur l’efficacité de telles mesures quant aux modifications du code source public, étant donné qu’elles peuvent être facilement annulées, et sur le positionnement politique des développeurs et mainteneurs de logiciels.
Au cœur de ce conflit se trouve la question de la neutralité du code, du réseau et des protocoles. Un client doit-il – ou même peut-il – être neutre ? Le fait de redoubler de neutralité signifie-t-il que les mainteneurs tolèrent l’idéologie d’extrême-droite ? Que signifie bloquer ou ne pas bloquer une autre instance ? Cette dernière question a créé un va-et-vient compliqué où certaines instances demanderont à d’autres instances de prendre part explicitement au conflit, en bloquant d’autres instances spécifiques afin d’éviter d’être elles-mêmes bloquées. La neutralité, qu’elle soit motivée par l’ambivalence, le soutien tacite, l’hypocrisie, le désir de troller, le manque d’intérêt, la foi dans une technologie apolitique ou par un désir agonistique de s’engager avec toutes les parties afin de parvenir à un état de consensus conflictuel… la neutralité donc est très difficile à atteindre. Le Fédiverse est l’environnement le plus proche que nous ayons actuellement d’un réseau mondial diversifié de singularités locales. Cependant, sa topologie complexe et sa lutte pour faire face au tristement célèbre paradoxe de la tolérance – que faire de l’idée de liberté d’expression ? – montre la difficulté d’atteindre un état de consensus conflictuel. Elle montre également le défi que représente la traduction d’une théorie de l’agonisme en une stratégie partagée pour la conception de protocoles, de logiciels et de directives communautaires. La tolérance et la liberté d’expression sont devenues des sujets explosifs après près de deux décennies de manipulation politique et de filtrage au sein des médias sociaux des grandes entreprises ; quand on voit que les plateformes et autres forums de discussion populaires n’ont pas réussi à résoudre ces problèmes, on n’est guère enclin à espérer en des expérimentations futures.
Plutôt que d’atteindre un état de pluralisme agonistique, il se pourrait que le Fédiverse crée au mieux une forme d’agonisme bâtard par le biais de la pilarisation. En d’autres termes, nous pourrions assister à une situation dans laquelle des instances ne formeraient de grandes agrégations agonistes-sans-agonisme qu’entre des communautés et des logiciels compatibles tant sur le plan idéologique que technique, seule une minorité d’entre elles étant capable et désireuse de faire le pont avec des systèmes radicalement opposés. Quelle que soit l’issue, cette question de l’agonisme et de la politique en général est cruciale pour la culture du réseau et de l’informatique. Dans le contexte des systèmes post-politiques occidentaux et de la manière dont ils prennent forme sur le net, un sentiment de déclin de l’esprit partisan et de l’action militante politique a donné l’illusion, ou plutôt la désillusion, qu’il n’y a plus de boussole politique. Si le Fédiverse nous apprend quelque chose, c’est que le réseau et les composants de logiciel libres de son infrastructure n’ont jamais été aussi politisés qu’aujourd’hui. Les positions politiques qui sont générées et hébergées sur le Fédiverse ne sont pas insignifiantes, mais sont clairement articulées. De plus, comme le montre la prolifération de célébrités politiques et de politiciens utilisant activement les médias sociaux, une nouvelle forme de démocratie représentative émerge, dans laquelle le langage mémétique des cultures post-numériques se déplace effectivement dans le monde de la politique électorale et inversement16.
Par le passé, les débats sur les risques des médias sociaux commerciaux se sont focalisés sur les questions de vie privée et de surveillance, surtout depuis les révélations de Snowden en 2013. Par conséquent, de nombreuses réponses techniques, en particulier celles issues des communautés FLOSS, se sont concentrées sur la sécurité des traitements des données personnelles. Cela peut être illustré par la multiplication des applications de messagerie et de courrier électronique chiffrées post-Snowden17. La menace perçue par ces communautés est la possibilité de surveillance du réseau, soit par des agences gouvernementales, soit par de grandes entreprises.
Les solutions proposées sont donc des outils qui implémentent un chiffrement fort à la fois dans le contenu et dans la transmission du message en utilisant idéalement des topologies de réseaux de pair à pair qui garantissent l’anonymat. Ces approches, malgré leur rigueur, requièrent des connaissances techniques considérables de la part des utilisateurs.
Le Fédiverse bascule alors d’une conception à dominante technique vers une conception plus sociale de la vie privée, comme l’ont clairement montré les discussions qui ont eu lieu au sein de l’outil de suivi de bug de Mastodon, lors de ces premières étapes de développement. Le modèle de menace qui y est discuté comprend les autres utilisateurs du réseau, les associations accidentelles entre des comptes et les dynamiques des conversations en ligne elles-mêmes. Cela signifie qu’au lieu de se concentrer sur des caractéristiques techniques telles que les réseaux de pair à pair et le chiffrement de bout en bout, le développement a été axé sur la construction d’outils de modération robustes, sur des paramétrages fins de la visibilité des messages et sur la possibilité de bloquer d’autres instances.
Ces fonctionnalités, qui favorisent une approche plus sociale de la protection de la vie privée, ont été développées et défendues par les membres des communautés marginalisées, dont une grande partie se revendique comme queer. Comme le note Sarah Jamie Lewis :
Une grande partie de la rhétorique actuelle autour des […] outils de protection de la vie privée est axée sur la surveillance de l’État. Les communautés LGBTQI+ souhaitent parfois cacher des choses à certains de leurs parents et amis, tout en pouvant partager une partie de leur vie avec d’autres. Se faire des amis, se rencontrer, échapper à des situations violentes, accéder à des services de santé, s’explorer et explorer les autres, trouver un emploi, pratiquer le commerce du sexe en toute sécurité… sont autant d’aspects de la vie de cette communauté qui sont mal pris en compte par ceux qui travaillent aujourd’hui sur la protection de la vie privée18.
Alors que tout le monde a intérêt à prendre en compte les impacts sur la vie privée d’interactions (non sollicitées) entre des comptes d’utilisateurs, par exemple entre un employeur et un employé, les communautés marginalisées sont affectées de manière disproportionnée par ces formes de surveillance et leurs conséquences. Lorsque la conception de nouvelles plateformes sur le Fédiverse comme Mastodon a commencé — avec l’aide de membre de ces communautés — ces enjeux ont trouvé leur place sur les feuilles de route de développement des logiciels. Soudain, les outils de remontée de défauts techniques sont également devenus un lieu de débat de questions sociales, culturelles et politiques. Nous reviendrons sur ce point dans la section six.
Les technologies qui ont finalement été développées comprennent le blocage au niveau d’une instance, des outils de modérations avancés, des avertissements sur la teneur des contenus et une meilleure accessibilité. Cela a permis à des communautés géographiquement, culturellement et idéologiquement disparates de partager le même réseau selon leurs propres conditions. De ce fait, le Fédiverse peut être compris comme un ensemble de communautés qui se rallient autour d’un serveur, ou une instance, afin de créer un environnement où chacun se sent à l’aise. Là encore, cela constitue une troisième voie : ni un modèle dans lequel seuls ceux qui ont des aptitudes techniques maîtrisent pleinement leurs communications, ni un scénario dans lequel la majorité pense n’avoir « rien à cacher » simplement parce qu’elle n’a pas son mot à dire ni le contrôle sur les systèmes dont elle est tributaire. En effet, le changement vers une perception sociale de la vie privée a montré que le Fédiverse est désormais un laboratoire dans lequel on ne peut plus prétendre que les questions d’organisation sociale et de gouvernance sont détachées des logiciels.
Ce qui compte, c’est que le Fédiverse marque une évolution de la définition des questions de surveillance et de protection de la vie privée comme des problématiques techniques vers leur formulation en tant qu’enjeux sociaux. Cependant, l’accent mis sur la dimension sociale de la vie privée s’est jusqu’à présent limité à placer sa confiance dans d’autres serveurs et administrateurs pour qu’ils agissent avec respect.
Cela peut être problématique dans le cas par exemple des messages directs (privés), par leur confidentialité inhérente, qui seraient bien mieux gérés avec des solutions techniques telles que le chiffrement de bout en bout. De plus, de nombreuses solutions recherchées dans le développement des logiciels du Fédiverse semblent être basées sur le collectif plutôt que sur l’individu. Cela ne veut pas dire que les considérations de sécurité technique n’ont aucune importance. Les serveurs du Fédiverse ont tendance à être équipés de paramètres de « confidentialité par défaut », tels que le nécessaire chiffrement de transport et le proxy des requêtes distantes afin de ne pas exposer les utilisateurs individuels.
Néanmoins, cette évolution vers une approche sociale de la vie privée n’en est qu’à ses débuts, et la discussion doit se poursuivre sur de nombreux autres plans.
Les grandes plateformes de médias sociaux, qui se concentrent sur l’utilisation de statistiques pour récompenser leur usage et sur la gamification, sont tristement célèbres pour utiliser autant qu’elles le peuvent le travail gratuit. Quelle que soit l’information introduite dans le système, elle sera utilisée pour créer directement ou indirectement des modélisations, des rapports et de nouveaux jeux de données qui possèdent un intérêt économique fondamental pour les propriétaires de ces plateformes : bienvenue dans le monde du capitalisme de surveillance19.
Jusqu’à présent il a été extrêmement difficile de réglementer ces produits et services, en partie à cause du lobbying intense des propriétaires de plateformes et de leurs actionnaires, mais aussi et peut-être de façon plus décisive, à cause de la nature dérivée de la monétisation qui est au cœur des entreprises de médias sociaux. Ce qui est capitalisé par ces plateformes est un sous-produit algorithmique, brut ou non, de l’activité et des données téléchargées par ses utilisateurs et utilisatrices. Cela crée un fossé qui rend toujours plus difficile d’appréhender la relation entre le travail en ligne, le contenu créé par les utilisateurs, le pistage et la monétisation.
Cet éloignement fonctionne en réalité de deux façons. D’abord, il occulte les mécanismes réels qui sont à l’œuvre, ce qui rend plus difficile la régulation de la collecte des données et leur analyse. Il permet de créer des situations dans lesquelles ces plateformes peuvent développer des produits dont elles peuvent tirer profit tout en respectant les lois sur la protection de la vie privée de différentes juridictions, et donc promouvoir leurs services comme respectueux de la vie privée. Cette stratégie est souvent renforcée en donnant à leurs utilisatrices et utilisateurs toutes sortes d’options pour les induire en erreur et leur faire croire qu’ils ont le contrôle de ce dont ils alimentent la machine.
Ensuite, en faisant comme si aucune donnée personnelle identifiable n’était directement utilisée pour être monétisée ; ces plateformes dissimulent leurs transactions financières derrière d’autres sortes de transactions, comme les interactions personnelles entre utilisatrices, les opportunités de carrière, les groupes et discussion gérés par des communautés en ligne, etc. Au bout du compte, les utilisateurs s’avèrent incapables de faire le lien entre leur activité sociale ou professionnelle et son exploitation, parce tout dérive d’autres transactions qui sont devenues essentielles pour nos vies connectées en permanence, en particulier à l’ère de l’« entrepecariat » et de la connectivité quasi obligatoire au réseau.
Nous l’avons vu précédemment : l’approche sociale de la vie privée en ligne a influencé la conception initiale de Mastodon, et le Fédiverse offre une perspective nouvelle sur le problème du capitalisme de surveillance. La question de l’usage des données des utilisateurs et utilisatrices et la façon dont on la traite, au niveau des protocoles et de l’interface utilisateur, sont des points abordés de façon transparente et ouverte. Les discussions se déroulent publiquement à la fois sur le Fédiverse et dans les plateformes de suivi du logiciel. Les utilisateurs expérimentés du Fédiverse ou l’administratrice locale d’un groupe Fédiverse, expliquent systématiquement aux nouveaux utilisateurs la façon dont les données circulent lorsqu’ils rejoignent une instance.
Cet accueil permet généralement d’expliquer comment la fédération fonctionne et ce que cela implique concernant la visibilité et l’accès aux données partagées par ces nouveaux utilisateurs21. Cela fait écho à ce que Robert Gehl désigne comme une des caractéristiques des plateformes de réseaux sociaux alternatifs. Le réseau comme ses coulisses ont une fonction pédagogique. On indique aux nouvelles personnes qui s’inscrivent comment utiliser la plateforme et chacun peut, au-delà des permissions utilisateur limitées, participer à son développement, à son administration et à son organisation22. En ce sens, les utilisateurs et utilisatrices sont incitées par le Fédiverse à participer activement, au-delà de simples publications et « likes » et sont sensibilisés à la façon dont leurs données circulent.
Pourtant, quel que soit le niveau d’organisation, d’autonomie et d’implication d’une communauté dans la maintenance de la plateforme et du réseau (au passage, plonger dans le code est plus facile à dire qu’à faire), rien ne garantit un plus grand contrôle sur les données personnelles. On peut facilement récolter et extraire des données de ces plateformes et cela se fait plus facilement que sur des réseaux sociaux privés. En effet, les services commerciaux des réseaux sociaux privés protègent activement leurs silos de données contre toute exploitation extérieure.
Actuellement, il est très facile d’explorer le Fédiverse et d’analyser les profils de ses utilisatrices et utilisateurs. Bien que la plupart des plateformes du Fédiverse combattent le pistage des utilisateurs et la collecte de leurs données, des tiers peuvent utiliser ces informations. En effet, le Fédiverse fonctionne comme un réseau ouvert, conçu à l’origine pour que les messages soient publics. De plus, étant donné que certains sujets, notamment des discussions politiques, sont hébergées sur des serveurs spécifiques, les communautés de militant⋅e⋅s peuvent être plus facilement exposées à la surveillance. Bien que le Fédiverse aide les utilisateurs à comprendre, ou à se rappeler, que tout ce qui est publié en ligne peut échapper et échappera à leur contrôle, elle ne peut pas empêcher toutes les habitudes et le faux sentiment de sécurité hérités des réseaux sociaux commerciaux de persister, surtout après deux décennies de désinformation au sujet de la vie privée numérique23.
De plus, bien que l’exploitation du travail des utilisateurs et utilisatrices ne soit pas la même que sur les plateformes de médias sociaux commerciaux, il reste sur ce réseau des problèmes autour de la notion de travail. Pour les comprendre, nous devons d’abord admettre les dégâts causés, d’une part, par la merveilleuse utilisation gratuite des réseaux sociaux privés, et d’autre part, par la mécompréhension du fonctionnement des logiciels libres ou open source : à savoir, la manière dont la lutte des travailleurs et la question du travail ont été masquées dans ces processus24.
Cette situation a incité les gens à croire que le développement des logiciels, la maintenance des serveurs et les services en ligne devraient être mis gratuitement à leur disposition. Les plateformes de média sociaux commerciaux sont justement capables de gérer financièrement leurs infrastructures précisément grâce à la monétisation des contenus et des activités de leurs utilisateurs. Dans un système où cette méthode est évitée, impossible ou fermement rejetée, la question du travail et de l’exploitation apparaît au niveau de l’administration des serveurs et du développement des logiciels et concerne tous celles et ceux qui contribuent à la conception, à la gestion et à la maintenance de ces infrastructures.
Pour répondre à ce problème, la tendance sur le Fédiverse consiste à rendre explicites les coûts de fonctionnement d’un serveur communautaire. Tant les utilisatrices que les administrateurs encouragent le financement des différents projets par des donations, reconnaissant ainsi que la création et la maintenance de ces plateformes coûtent de l’argent. Des projets de premier plan comme Mastodon disposent de davantage de fonds et ont mis en place un système permettant aux contributeurs d’être rémunérés pour leur travail25.
Ces tentatives pour compenser le travail des contributeurs sont un pas en avant, cependant étendre et maintenir ces projets sur du long terme demande un soutien plus structurel. Sans financement significatif du développement et de la maintenance, ces projets continueront à dépendre de l’exploitation du travail gratuit effectué par des volontaires bien intentionnés ou des caprices des personnes consacrant leur temps libre au logiciel libre. Dans le même temps, il est de plus en plus admis, et il existe des exemples, que le logiciel libre peut être considéré comme un bien d’utilité publique qui devrait être financé par des ressources publiques26. À une époque où la régulation des médias sociaux commerciaux est débattue en raison de leur rôle dans l’érosion des institutions publiques, le manque de financement public d’alternatives non prédatrices devrait être examiné de manière plus active.
Enfin, dans certains cas, les personnes qui accomplissent des tâches non techniques comme la modération sont rémunérées par les communautés du Fédiverse. On peut se demander pourquoi, lorsqu’il existe une rémunération, certaines formes de travail sont payées et d’autres non. Qu’en est-il par exemple du travail initial et essentiel de prévenance et de critique fourni par les membres des communautés marginalisées qui se sont exprimés sur la façon dont les projets du Fédiverse devraient prendre en compte une interprétation sociale de la protection de la vie privée ? Il ne fait aucun doute que c’est ce travail qui a permis au Fédiverse d’atteindre le nombre d’utilisateurs qu’elle a aujourd’hui.
Du reste comment cette activité peut-elle être évaluée ? Elle se manifeste dans l’ensemble du réseau, dans des fils de méta-discussions ou dans les systèmes de suivi, et n’est donc pas aussi quantifiable ou visible que la contribution au code. Donc, même si des évolutions intéressantes se produisent, il reste à voir si les utilisateurs et les développeuses du Fédiverse peuvent prendre pleinement conscience de ces enjeux et si les modèles économiques placés extérieurs au capitalisme de surveillance peuvent réussir à soutenir une solidarité et une attention sans exploitation sur tous les maillons de la chaîne.
« basket weaving » par cloudberrynine, licence CC BY-NC-ND 2.0
On peut envisager le Fédiverse comme un ensemble de pratiques, ou plutôt un ensemble d’attentes et de demandes concernant les logiciels de médias sociaux, dans lesquels les efforts disparates de projets de médias sociaux alternatifs convergent en un réseau partagé avec des objectifs plus ou moins similaires. Les différents modèles d’utilisation, partagés entre les serveurs, vont de plateformes d’extrême-droite financées par le capital-risque à des systèmes de publication d’images japonaises, en passant par des collectifs anarcho-communistes, des groupes politiques, des amateurs d’algorithmes de codage en direct, des « espaces sûrs » pour les travailleur⋅euse⋅s du sexe, des forums de jardinage, des blogs personnels et des coopératives d’auto-hébergement. Ces pratiques se forment parallèlement au problème du partage des données et du travail gratuit, et font partie de la transformation continuelle de ce que cela implique d’être utilisateur ou utilisatrice de logiciel.
Les premiers utilisateurs de logiciels, ou utilisateurs d’appareils de calcul, étaient aussi leurs programmeuses et programmeurs, qui fournissaient ensuite les outils et la documentation pour que d’autres puissent contribuer au développement et à l’utilisation de ces systèmes27.
Ce rôle était si important que les premières communautés d’utilisateurs furent pleinement soutenues et prises en charge par les fabricants de matériel.
Avance rapide de quelques décennies et, avec la croissance de l’industrie informatique, la notion d’ « utilisateur » a complètement changé pour signifier « consommateur apprivoisé » avec des possibilités limitées de contribution ou de modification des systèmes qu’ils utilisent, au-delà de personnalisations triviales ou cosmétiques. C’est cette situation qui a contribué à façonner une grande partie de la popularité croissante des FLOSS dans les années 90, en tant qu’adversaires des systèmes d’exploitation commerciaux propriétaires pour les ordinateurs personnels, renforçant particulièrement les concepts antérieurs de liberté des utilisateurs28. Avec l’avènement du Web 2.0, la situation changea de nouveau. En raison de la dimension communicative et omniprésente des logiciels derrière les plateformes de médias sociaux d’entreprises, les fournisseurs ont commencé à offrir une petite ouverture pour un retour de la part de leurs utilisateurs, afin de rendre leur produit plus attrayant et pertinent au quotidien. Les utilisateurs peuvent généralement signaler facilement les bugs, suggérer de nouvelles fonctionnalités ou contribuer à façonner la culture des plateformes par leurs échanges et le contenu partagés. Twitter en est un exemple bien connu, où des fonctionnalités essentielles, telles que les noms d’utilisateur préfixés par @ et les hashtags par #, ont d’abord été suggérés par les utilisateurs. Les forums comme Reddit permettent également aux utilisateurs de définir et modérer des pages, créant ainsi des communautés distinctes et spécifiques.
Sur les plateformes alternatives de médias sociaux comme le Fédiverse, en particulier à ses débuts, ces formes de participation vont plus loin. Les utilisatrices et utilisateurs ne se contentent pas de signaler des bogues ou d’aider a la création d’une culture des produits, ils s’impliquent également dans le contrôle du code, dans le débat sur ses effets et même dans la contribution au code. À mesure que le Fédiverse prend de l’ampleur et englobe une plus grande diversité de cultures et de logiciels, les comportements par rapport à ses usages deviennent plus étendus. Les gens mettent en place des nœuds supplémentaires dans le réseau, travaillent à l’élaboration de codes de conduite et de conditions de service adaptées, qui contribuent à l’application de lignes directrices communautaires pour ces nœuds. Ils examinent également comment rendre ces efforts durables par un financement via la communauté.
Ceci dit, toutes les demandes de changement, y compris les contributions pleinement fonctionnelles au code, ne sont pas acceptées par les principaux développeurs des plateformes. Cela s’explique en partie par le fait que les plus grandes plateformes du Fédiverse reposent sur des paramètres par défaut, bien réfléchis, qui fonctionnent pour ces majorités diverses, plutôt que l’ancien modèle archétypique de FLOSS, pour permettre une personnalisation poussée et des options qui plaisent aux programmeurs, mais en découragent beaucoup d’autres. Grâce à la disponibilité du code source, un riche écosystème de versions modifiées de projets (des forks) existe néanmoins, qui permet d’étendre ou de limiter certaines fonctionnalités tout en conservant un certain degré de compatibilité avec le réseau plus large.
Les débats sur les mérites des fonctionnalités et des logiciels modifiés qu’elles génèrent nourrissent de plus amples discussions sur l’orientation de ces projets, qui à leur tour conduisent à une attention accrue autour de leur gouvernance.
Il est certain que ces développements ne sont ni nouveaux ni spécifiques au Fédiverse. La manière dont les facilitateurs de services sont soutenus sur le Fédiverse, par exemple, est analogue à la manière dont les créateurs de contenu sur les plateformes de streaming au sein des communautés de jeux sont soutenus par leur public. Des appels à une meilleure gouvernance des projets logiciels sont également en cours dans les communautés FLOSS plus largement. L’élaboration de codes de conduite (un document clé pour les instances de la Fédiverse mis en place pour exposer leur vision de la communauté et de la politique) a été introduit dans diverses communautés FLOSS au début des années 2010, en réponse à la misogynie systématique et à la l’exclusion des minorités des espaces FLOSS à la fois en ligne et hors ligne29. Les codes de conduite répondent également au besoin de formes génératrices de résolution des conflits par-delà les barrières culturelles et linguistiques.
De même, bon nombre des pratiques de modération et de gestion communautaire observées dans le Fédiverse ont hérité des expériences d’autres plateformes, des succès et défaillances d’autres outils et systèmes. La synthèse et la coordination de toutes ces pratiques deviennent de plus en plus visibles dans l’univers fédéré.
En retour, les questions et les approches abordées dans le Fédiverse ont créé un précédent pour d’autres projets des FLOSS, en encourageant des transformations des discussions qui étaient jusqu’alors limitées ou difficiles à engager.
Il n’est pas évident, compte tenu de la diversité des modèles d’utilisation, que l’ensemble du Fédiverse fonctionne suivant cette tendance. Les développements décrits ci-dessus suggèrent cependant que de nombreux modèles d’utilisation restent à découvrir et que le Fédiverse est un environnement favorable pour les tester. La nature évolutive de l’utilisation du Fédiverse montre à quel point l’écart est grand entre les extrêmes stéréotypés du modèle capitaliste de surveillance et du martyre auto-infligé des plateformes de bénévolat. Ce qui a des implications sur le rôle des utilisateurs en relation avec les médias sociaux alternatifs, ainsi que pour le développement de la culture des FLOSS30.
Jusqu’à présent, la grande majorité des discussions autour des licences FLOSS sont restées enfermées dans une comparaison cliché entre l’accent mis par le logiciel libre sur l’éthique de l’utilisateur et l’approche de l’open source qui repose sur l’économie31.
Qu’ils soient motivés par l’éthique ou l’économie, les logiciels libres et les logiciels open source partagent l’idéal selon lequel leur position est supérieure à celle des logiciels fermés et aux modes de production propriétaires. Toutefois, dans les deux cas, le moteur libéral à la base de ces perspectives éthiques et économiques est rarement remis en question. Il est profondément enraciné dans un contexte occidental qui, au cours des dernières décennies, a favorisé la liberté comme le conçoivent les libéraux et les libertariens aux dépens de l’égalité et du social.
Remettre en question ce principe est une étape cruciale, car cela ouvrirait des discussions sur d’autres façons d’aborder l’écriture, la diffusion et la disponibilité du code source. Par extension, cela mettrait fin à la prétention selon laquelle ces pratiques seraient soit apolitiques, soit universelles, soit neutres.
Malheureusement, de telles discussions ont été difficiles à faire émerger pour des raisons qui vont au-delà de la nature dogmatique des agendas des logiciels libres et open source. En fait, elles ont été inconcevables car l’un des aspects les plus importants des FLOSS est qu’ils ont été conçus comme étant de nature non discriminatoire. Par « non discriminatoire », nous entendons les licences FLOSS qui permettent à quiconque d’utiliser le code source des FLOSS à n’importe quelle fin.
Certains efforts ont été faits pour tenter de résoudre ce problème, par exemple au niveau de l’octroi de licences discriminatoires pour protéger les productions appartenant aux travailleurs, ou pour exclure l’utilisation par l’armée et les services de renseignement32.
Ces efforts ont été mal accueillis en raison de la base non discriminatoire des FLOSS et de leur discours. Pis, la principale préoccupation du plaidoyer en faveur des FLOSS a toujours été l’adoption généralisée dans l’administration, l’éducation, les environnements professionnels et commerciaux, et la dépolitisation a été considérée comme la clé pour atteindre cet objectif. Cependant, plus récemment, la croyance en une dépolitisation, ou sa stratégie, ont commencé à souffrir de plusieurs manières.
Tout d’abord, l’apparition de ce nouveau type d’usager a entraîné une nouvelle remise en cause des modèles archétypaux de gouvernance des projets de FLOSS, comme celui du « dictateur bienveillant ». En conséquence, plusieurs projets FLOSS de longue date ont été poussés à créer des structures de compte-rendu et à migrer vers des formes de gouvernance orientées vers la communauté, telles que les coopératives ou les associations.
Deuxièmement, les licences tendent maintenant à être combinées avec d’autres documents textuels tels que les accords de transfert de droits d’auteur, les conditions de service et les codes de conduite. Ces documents sont utilisés pour façonner la communauté, rendre leur cohérence idéologique plus claire et tenter d’empêcher manipulations et malentendus autour de notions vagues comme l’ouverture, la transparence et la liberté.
Troisièmement, la forte coloration politique du code source remet en question la conception actuelle des FLOSS. Comme indiqué précédemment, certains de ces efforts sont motivés par le désir d’éviter la censure et le contrôle des plateformes sociales des entreprises, tandis que d’autres cherchent explicitement à développer des logiciels à usage antifasciste. Ces objectifs interrogent non seulement l’universalité et l’utilité globale des grandes plateformes de médias sociaux, ils questionnent également la supposée universalité et la neutralité des logiciels. Cela est particulièrement vrai lorsque les logiciels présentent des conditions, codes et accords complémentaires explicites pour leurs utilisateurs et les développeuses.
Avec sa base relativement diversifiée d’utilisatrices, de développeurs, d’agenda, de logiciels et d’idéologies, le Fédiverse devient progressivement le système le plus pertinent pour l’articulation de nouvelles formes de la critique des FLOSS. Il est devenu un endroit où les notions traditionnelles sur les FLOSS sont confrontées et révisées par des personnes qui comprennent son utilisation dans le cadre d’un ensemble plus large de pratiques qui remettent en cause le statu quo. Cela se produit parfois dans un contexte de réflexion, à travers plusieurs communautés, parfois par la concrétisation d’expériences et des projets qui remettent directement en question les FLOSS tels que nous les connaissons. C’est devenu un lieu aux multiples ramifications où les critiques constructives des FLOSS et l’aspiration à leur réinvention sont très vives. En l’état, la culture FLOSS ressemble à une collection rapiécée de pièces irréconciliables provenant d’un autre temps et il est urgent de réévaluer nombre de ses caractéristiques qui étaient considérées comme acquises.
Si nous pouvons accepter le sacrilège nécessaire de penser au logiciel libre sans le logiciel libre, il reste à voir ce qui pourrait combler le vide laissé par son absence.
Consulter Geert Lovink, Sad by Design: On Platform Nihilism (Triste par essence: Du nihilisme des plates-formes, non traduit en français), London: Pluto Press, 2019. ↩
Dans tout ce document nous utiliserons « médias sociaux commerciaux » et « médias sociaux alternatifs » selon les définitions de Robert W. Gehl dans « The Case for Alternative Social Media » (Pour des médias sociaux alternatifs, non traduit en français), Social Media + Society, juillet-décembre 2015, p. 1-12. En ligne. ↩
Danyl Strype, « A Brief History of the GNU Social Fediverse and ‘The Federation’ » (Une brève histoire de GNU Social, du Fédiverse et de la ‘fédération’, non traduit en français), Disintermedia, 1er Avril 2017. En ligne. ↩
Pour une exploration du #GamerGate et des technocultures toxiques, consulter Adrienne Massanari, « #Gamergate and The Fappening: How Reddit’s Algorithm, Governance, and Culture Support Toxic Technocultures » (#GamerGate et Fappening : comment les algorithmes, la gouvernance et la culture de Reddit soutiennent les technocultures toxiques, non traduit en français), New Media & Society, 19(3), 2016, p. 329-346. ↩
En raison de la nature décentralisée du Fédiverse, il n’est pas facile d’obtenir les chiffres exacts du nombre d’utilisateurs, mais quelques projets tentent de mesurer la taille du réseau: The Federation ; Fediverse Network ; Mastodon Users, Bitcoin Hackers. ↩
Pour un exemple de ce type de mélange, consulter Michael Rossman, « Implications of Community Memory » (Implications du projet Community Memory, non traduit en français) SIGCAS – Computers & Society, 6(4), 1975, p. 7-10. ↩
Aymeric Mansoux, « Surface Web Times » (L’ère du Web de surface, non traduit en français), MCD, 69, 2013, p. 50-53. ↩
Burcu Gültekin Punsmann, « What I learned from three months of Content Moderation for Facebook in Berlin » (Ce que j’ai appris de trois mois de modération de contenu pour Facebook à Berlin, non traduit en français), SZ Magazin, 6 January 2018. En ligne. ↩
Gabriella Coleman, « The Political Agnosticism of Free and Open Source Software and the Inadvertent Politics of Contrast » (L’agnosticisme politique des FLOSS et la politique involontaire du contraste, non traduit en français), Anthropological Quarterly, 77(3), 2004, p. 507-519. ↩
Pour une discussion plus approfondie sur les multiples possibilités procurés par l’ouverture mais aussi pour un commentaire sur le librewashing, voyez l’article de Jeffrey Pomerantz and Robin Peek, « Fifty Shades of Open », First Monday, 21(5), 2016. En ligne. ↩
Comme exemple d’arguments contre la défédération, voir le commentaire de Kaiser sous l’article du blog de Robek « rw » World : « Mastodon Socal Is THE Twitter Alternative For… », Robek World, 12 janvier 2017. En ligne. ↩
Au moment où Gab a rejoint le réseau, les statistiques du Fédiverse ont augmenté d’environ un million d’utilisateurs. Ces chiffres, comme tous les chiffres d’utilisation du Fédiverse, sont contestés. Pour le contexte, voir John Dougherty et Michael Edison Hayden, « ‘No Way’ Gab has 800,000 Users, Web Host Says », Southern Poverty Law Center, 14 février 2019. En ligne. Et le message sur Mastodon de emsenn le 10 août 2017, 04:51. ↩
Pour une introduction exhaustive aux écrits de Chantal Mouffe, voir Chantal Mouffe, Agonistique : penser politiquement le monde, Paris, Beaux-Arts de Paris éditions, 2014. On lira aussi avec profit la page Wikipédia consacrée à l’agonisme. ↩
Andrew Torba : « Le passage au protocole ActivityPub pour notre base nous permet d’entrer dans les App Stores mobiles sans même avoir à soumettre ni faire approuver nos propres applications, que cela plaise ou non à Apple et à Google », posté sur Gab, url consultée en mai 2019. ↩
David Garcia, « The Revenge of Folk Politics », transmediale/journal, 1, 2018. En ligne. ↩
hbsc & friends, « Have You Considered the Alternative? », Homebrew Server Club, 9 March 2017. En ligne. ↩
Sarah Jamie Lewis (éd.), Queer Privacy: Essays From The Margin Of Society, Victoria, British Columbia, Lean Pub/Mascherari Press, 2017, p. 2. ↩
Shoshana Zuboff, The Age of Surveillance Capitalism: The Fight for a Human Future at the New Frontier of Power, New York, PublicAffairs, 2019. ↩
Silvio Lorusso, Entreprecariat – Everyone Is an Entrepreneur. Nobody Is Safe, Onomatopee: Eindhoven, 2019. ↩
Pour un exemple d’introduction très souvent citée en lien, rédigée par une utilisatrice, cf. Noëlle Anthony, Joyeusenoelle/GuideToMastodon, 2019. En ligne. ↩
Au sein de ce texte, nous utilisons « média social commercial » (corporate social media) et « média social alternatif » (alternative social media) comme définis par Robert W. Gehl, « The Case for Alternative Social Media », op. cit.. ↩
Pour un relevé permanent de ces problématiques, cf. Pervasive Labour Union Zine, en ligne. ↩
Bien que formulée dans le contexte de Tumblr, pour une discussion à propos des tensions entre le travail numérique, les communautés post-numériques et l’activisme, voyez Cassius Adair et Lisa Nakamura, « The Digital Afterlives of This Bridge Called My Back: Woman of Color Feminism, Digital Labor, and Networked Pedagogy », American Literature, 89(2), 2017, p. 255-278. ↩
Pour des éléments de discussion sur le financement public des logiciels libres, ainsi que quelques analyses des premiers jets de lois concernant l’accès au code source des logiciels achetés avec l’argent public, cf. Jesús M. González-Barahona, Joaquín Seoane Pascual et Gregorio Robles, Introduction to Free Software, Barcelone, Universitat Oberta de Catalunya, 2009. ↩
par exemple, consultez Atsushi Akera, « Voluntarism and the Fruits of Collaboration: The IBM UserGroup, Share », Technology and Culture, 42(4), 2001, p. 710-736. ↩
Sam Williams, Free as in Freedom: Richard Stallman’s Crusade for Free Software, Farnham: O’Reilly, 2002. ↩
Femke Snelting, « Codes of Conduct: Transforming Shared Values into Daily Practice », dans Cornelia Sollfrank (éd.), The Beautiful Warriors: Technofeminist Praxis in the 21st Century, Colchester, Minor Compositions, 2019, pp. 57-72. ↩
Dušan Barok, Privatising Privacy: Trojan Horse in Free Open Source Distributed Social Platforms, Thèse de Master, Networked Media, Piet Zwart Institute, Rotterdam/Netherlands, 2011. ↩
Voyez l’échange de correspondance Stallman-Ghosh-Glott sur l’étude du FLOSS, « Two Communities or Two Movements in One Community? », dans Rishab Aiyer Ghosh, Ruediger Glott, Bernhard Krieger and Gregorio Robles, Free/Libre and Open Source Software: Survey and Study, FLOSS final report, International Institute of Infonomics, University of Maastricht, Netherlands, 2002. En ligne. ↩
Consultez par exemple Felix von Leitner, « Mon Jul 6 2015 », Fefes Blog, 6 July 2015, en ligne. ↩
Qui sont les auteurs
AYMERIC MANSOUX s’amuse avec les ordinateurs et les réseaux depuis bien trop longtemps. Il a été un membre fondateur du collectif GOTO10 (FLOSS+Art anthology, Puredyne distro, make art festival). Parmi les collaborations récentes, citons : Le Codex SKOR, une archive sur l’impossibilité d’archiver ; What Remains, un jeu vidéo 8 bits sur la manipulation des l’opinion publique et les lanceurs d’alerte pour la console Nintendo de 1985 ; et LURK, une une infrastructure de serveurs pour les discussions sur la liberté culturelle, l’art dans les nouveaux médias et la culture du net. Aymeric a obtenu son doctorat au Centre d’études culturelles, Goldsmiths, Université de Londres en 2017, pour son enquête sur le déclin de la diversité culturelle et des formes techno-légales de l’organisation sociale dans le cadre de pratiques culturelles libres et open-source. Il dirige actuellement le Cours de maîtrise en édition expérimentale (XPUB) à l’Institut Piet Zwart, Rotterdam. https://bleu255.com/~aymeric.
ROEL ROSCAM ABBING est un artiste et chercheur dont les travaux portent sur les questions et les cultures entourant les ordinateurs en réseau. Il s’intéresse à des thèmes tels que le réseau, les infrastructures, la politique de la technologie et les approches DIY (NdT : « Faites-le vous-même »). Il est doctorant dans le domaine du design d’interaction à l’université de Malmö.