Stallman, Torvalds, Brown et Zemlin : mais que pensent-ils donc de Microsoft ?

Encore un article de Bruce Byfield que nous avons trouvé ma foi fort intéressant de traduire. Il s’agit de l’avis sur Microsoft de quatre fortes personnalités de la communauté du logiciel libre : Peter Brown (Free Software Foundation), Jim Zemlin (Linux Foundation), Richard Stallman et Linus Torvalds.

Enfin, pour être plus précis, de deux éminents représentants du logiciel libre (Peter Brown et Richard Stallman) et deux éminents représentants de l‘open source (Jim Zemlin et Linux Torvalds). Difficile en effet de passer ici à côté de cette distinction, importante pour certains, de l’ordre de la nuance pour d’autres. Toujours est-il que si l’on veut alors regrouper ces deux mouvements, on parlera de FOSS.

L’accent a été mis sur les questions suivantes :

  • Comment Microsoft affecte votre travail et votre informatique personnelle ?
  • Quelle menace représente Microsoft pour le logiciel libre ?
  • Quelles sont les chances pour que Microsoft devienne un membre apprécié de la communauté ?

On ne vous en dit pas plus mais la conclusion est réconfortante…

Un grand merci à Claude Le Paih pour le traduction. Il a choisi de ne pas traduire proprietary par propriétaire et il s’en explique ainsi : « Mon choix personnel va au néologisme privateur, privatrice plutôt que propriétaire. J’assume cette non-orthodoxie opposée à la doxa par le fait que propriétaire ne peut être adjectif car c’est un nom commun désignant une personne, laquelle possède… quelque chose. On ne peut donc dire une chaussure propriétaire, une chaîne hi-fi propriétaire, une guitare propriétaire…etc ! Par contre, proprietary est bien un adjectif, en américain, désignant une chose sous marque déposée. Le néologisme privateur fut trouvé par Richard Stallman lors d’un voyage en Espagne en référence au privador employé en espagnol. Richard Stallman préconise l’emploi de privateur. »

Copie d'écran - Datamation

Que pensent de Microsoft les leaders du logiciel libre et de l’open source ?

What do Free and Open Source Software Leaders Think of Microsoft?

Bruce Byfield – 16 juin – Datamation

Aucun utilisateur de logiciels libres (NdT : FOSS) ne peut éviter d’avoir une opinion sur Microsoft : les produits et la technologie Microsoft représentent ce qu’ils ont délaissé. Certains les considèrent de plus en plus sans intérêt, d’autres comme une entité informe comparable à Satan au Moyen Âge ou à l’Union Soviétique au temps de la guerre froide. A la limite peu importe ce que les autres membres de la communauté FOSS pensent de Microsoft, nous avons tous une opinion bien définie sur le sujet que nous pouvons exprimer sur le champ avec éloquence.

Mais quelle attitude ont les dirigeants du FOSS vis à vis de Microsoft ? Ce n’est pas qu’une question de commérage ou un test de confiance : leurs réponses peuvent indiquer leurs valeurs et priorités, mais aussi si elles méritent d’être suivis à la lettre. De plus, malgré (ou peut être à cause de) la grande menace que fait peser Microsoft sur le monde du logiciel libre, le majorité d’entre nous entrevoit rarement le point de vue des acteurs et agitateurs (NdT : "movers and shakers", terme désignant les personnes exerçant un pouvoir ou influentes dans une sphère d’activité) à son sujet.

Pour aider à donner un meilleur éclairage, j’ai demandé à quelques dirigeants bien en vue du FOSS comment Microsoft affecte leur travail et leur informatique personnelle, quelle menace représente Microsoft pour le FOSS, et quelle sont les chances pour que la compagnie devienne un membre apprécié de la communauté FOSS.

Ceux qui ont répondu sont Peter Brown de la Free Software Fondation (NdT : Fondation pour le Logiciel Libre), Jim Zemlin de la Linux Foundation (NdT : Fondation Linux), Richard Stallman , fondateur du mouvement du logiciel libre, et Linus Torvalds. Tous ont donné des réponses non seulement complexes et nuancées, mais parfois étonnantes comparées aux attitudes qu’ils assument souvent.

Peter Brown, Directeur Général de Free Software Foundation

De lui même, Peter Brown n’aurait quasiment pas de contact avec les produits ou la technologie Microsoft. « Il y a beaucoup de sites avec de la camelote privatrice, et certaines agences gouvernementales demandent toujours des systèmes d’exploitation précis. Mais j’évite généralement ce genre de chose, ou je trouve des alternatives », dit il. En parlant de l’évolution des systèmes d’opérations libres comme GNU/Linux depuis le passage du dernier millénaire, il ajoute : « je dois admettre que je ne ressens aucun inconvénient maintenant. »

De plus, suivre les pistes des menaces touchant les libertés des utilisateurs de logiciels fait partie de son travail. Avec ce mandat, il porte une attention particulière à ce que disent les cadres de Microsoft et quelle technologie est utilisée dans leurs produits. « Ce n’est qu’une chose naturelle de suivre les fournisseurs de logiciels privateurs et le Digital Right Management (DRM) » dit il. Il ajoute cependant : « Nous n’examinons pas tous les coins et recoins car une fois que vous êtes dans le monde privateur, il n’y a pas grand chose à dire hormis la nécessité de le quitter. »

Le problème avec Microsoft, selon Brown, est que c’est une entreprise comme les autres, et « les sociétés n’ont pas de valeurs intrinsèques. La seule déclaration de mission, dont il faut être conscient en ce qui concerne une société, est celle qui dit : nous sommes ici pour faire de l’argent. » Avec cette manière de penser, Brown n’a pas confiance en Microsoft, ni particulièrement aux autres entreprises, qu’elles soient privatrices comme Apple ou qu’elles aient un modèle d’affaire incluant l’open source, comme Google ou Red Hat.

Quand une société est amicale envers les FOSS, il attribue en grande partie cette attitude à une individualité qui défend les valeurs du FOSS. « Vous avez vu ce qui est arrivé à Sun ? » dit il, se référant au remplacement de Scott McNealy par Jonathan Schwartz en tant que CEO (NdT : Chief Executive Officer = chef de direction) de Sun Microsystems. « D’abord, c’est privateur et n’aime pas les logiciels libres, un changement de directeur et on aime les logiciels libres. » Dans l’ensemble, il considère les individus plus dignes de confiance que les entreprises, mais seulement « jusqu’à un certain point. »

Dans cette perspective, Brown pense que Microsoft pourrait devenir un jour un participant accepté du logiciel libre, mais non sans changements majeurs dans son modèle d’affaire et son équipe de direction. A la différence de Sun, dont les revenus proviennent d’abord du matériel, Microsoft, dit Brown, est quasiment dépendant de la vente de son système d’exploitation et de sa suite bureautique.

« Ce qui empêche Microsoft d’être un acteur important du logiciel libre », dit Brown, « est le fait qu’ils ne peuvent le faire d’une manière significative en raison de leur flux monétaire. Si vous y réfléchissez, ils vont se battre bec et ongles là où ces deux produits sont concernés, ce qui veux dire en plein dans notre poire. Je ne vois pas Microsoft être différente de n’importe quelle autre entreprise concernant ses intérêts économiques ».

A présent, Brown pense que tout ce que peut faire Microsoft est de tâter du logiciel libre dans l’espoir d’attirer les forces vives du développement vers la plate-forme Windows et d’essayer de ralentir leur adoption. Quoiqu’il en soit, il rejette l’éventuelle destruction du FOSS par Microsoft comme seulement « théoriquement » possible. Sa préoccupation principale est que Microsoft « peut présenter un danger pour la liberté des utilisateurs car elle est capable d’empêcher ceux-ci d’utiliser les logiciels libres par des ruses comme la création de plates-formes séduisantes, les obligeant à rester du fait des inconvénients importants liés au changement ».

Brown est particulièrement inquiet à l’idée qu’en rejetant Microsoft des utilisateurs ne se tournent vers une autre compagnie.« Il est important que les gens ne disent pas : Oh , Apple est bien mieux que Microsoft ! » dit-il. « Je pense réellement que ce n’est pas l’objectif. Si Apple avait ces deux produits, Windows et la suite Office, ils se comporteraient de la même manière vue la direction en place. Avec l’iPhone, ils montrent déjà exactement la même conduite. Ce sera donc son dernier mot : ne pas imaginer que Microsoft soit différente des autres entreprises ».

Jim Zemlin, Directeur de la Linux Foundation

Comme Peter Brown, Jim Zemlin considère l’observation de Microsoft comme faisant partie de son travail. Cependant, tandis que Brown à la Free Software Foundation surveille les menaces pesant sur les libertés des utilisateurs, Zemlin dit : « Une partie de mon travail en tant que directeur de la Linux_Foundation est de contrôler les annonces de Microsoft. Notre équipe fournit un important service à nos membres et au marché en traduisant les actions parfois ambigües de Microsoft. Nous étudions les changements dans la technologie Microsoft qui rendent plus facile l’interopérabilité avec leur plate-forme pour les applications Linux et open source. L’intention de Microsoft de supporter le format ODF dans MS Office est un bon exemple de ce que nous suivons. Nous veillons à ce qu’ils publient leurs protocoles techniques sous des termes compatibles avec le développement et les pratiques des licences open source. »

Quoiqu’il en soit, en ce qui concerne l’informatique personnelle de Zemlin, Microsoft « n’est pas important du tout ». Sa description d’un jour typique est une litanie d’applications web et de produits utilisant GNU/Linux: « Mes journées commencent en écoutant de la musique à la maison sur un système Sonos basé sur Linux. Je peux enregistrer un spectacle TV sur mon DVR Linux et ensuite foncer au bureau où je travaille sur un bureau Linux. Je passe la plupart de ma journée sur un navigateur : accédant à des applications Google, utilisant notre application SugarCRM sur le web, me connectant à Facebook ou lisant un livre sur un lecteur Kindle, tout cela tournant sous Linux. La seule fois où je suis concerné par Microsoft c’est quand je reçois un fichier Microsoft Office que j’ouvre dans OpenOffice qui le convertit au format ODF.

Zemlin remarque que la participation à la communauté est possible pour tout le monde, mais ajoute que « cela demande un désir sincère de collaboration et de vouloir faire de meilleurs logiciels. Quand cela fera réellement partie de la vision de Microsoft, j’espère que cette société deviendra un membre de la communauté. Le modèle open source est dominant pour le développement de logiciels et ne fera que s’accroître en influence dans les années à venir. »

Zemlin refuse de spéculer sur les intentions de Microsoft à l’égard du FOSS, mais clairement, il ne le voit pas comme une grande menace. « Microsoft est une société intelligente et un excellent concurrent » dit il, « ils rendent Linux meilleur chaque jour, rien qu’en étant un opposant acharné. Mais ils opèrent selon un modèle de développement dépassé qui ne tiendra pas longtemps dans l’actuelle économie du logiciel. Les consommateurs demandent une ouverture et un choix de vendeur, quelque chose que Microsoft met du temps à comprendre. Linux, un des premiers exemples de ce que l’on peut atteindre avec le modèle de développement open source, est en position naturelle pour saisir ces nouvelles dynamiques du marché. Microsoft va continuer à lutter. »

Richard Stallman, Président fondateur de la Free Software Foundation.

En tant que personnage principal du mouvement pour le logiciel libre, Richard Stallman fait une distinction entre la technologie et les actions de Microsoft. « Je n’essaie pas de suivre la technologie Microsoft », dit-il, « car dans la plupart des cas, les changements dans la technologie Microsoft n’ont pas d’effet immédiat sur la communauté du logiciel libre. Je suis plus concerné par les menaces légales de Microsoft à l’encontre des logiciels libres et ses tentatives pour recruter dans les écoles, gouvernements et entreprises afin d’orienter et contraindre le public à une utilisation de Windows. »

Interrogé sur la manière dont Microsoft affecte ses objectifs, Stallman répond, « Mon but à long-terme est un monde dans lequel tous les utilisateurs de logiciels sont libres de partager et échanger les programmes qu’ils utilisent. En d’autres mots, un monde dans lequel tous les logiciels sont libres. Tant que des sociétés comme Microsoft ou Apple se consacrent à distribuer des programmes refusant l’utilisation de ces libertés, elles s’opposent à ces objectifs. »

Cela dit, Stallman peut imaginer qu’un jour Microsoft puisse contribuer au logiciel libre, mais seulement si « elle retire des services comme Hotmail, et abandonne les programmes privateurs comme Windows et MS Office. Alors, elle pourrait contribuer au logiciel libre de façon à faire progresser la communauté à une plus ou moins grande échelle. Cependant, sans ces changements fondamentaux, j’espère que toute contribution faite par Microsoft n’aura qu’une portée marginale sur qui que ce soit dans le monde libre. »

En attendant, Stallman remarque que « Microsoft fait de grands efforts pour empêcher l’adoption du système GNU/Linux et OpenOffice.org ». Il donne trois exemples.

D’abord, il commente la récente annonce au sujet du projet One Laptop Per Child (OLPC) qui, originellement pensé pour donner des ressources technologiques aux nations en développement, va commencer à embarquer Windows. Selon Stallman, avec cette annonce, « Microsoft subordonne le projet OLPC en le convertissant en une campagne massive de formation Windows. Le projet dit que cela donne plus de choix aux gouvernement acquéreurs en supportant tant Windows que GNU/Linux, mais ces gouvernements vont avoir tendance à choisir Windows par défaut. Dans certains pays, des gens vont faire campagne pour empêcher cela. Si celles-ci réussissent, le projet OLPC représenterait alors une contribution positive au monde, sinon, cela fera avant tout du mal. »

Ensuite, parlant de la bataille des standards où Microsoft réussit à faire accepter son format OOXML comme ouvert face au format ODF favorisé par OpenOffice.org et d’autres applications bureautiques libres, Stallman note que « Microsoft a corrompu beaucoup de membres de l’ISO afin de gagner l’approbation de son format bidon de document ouvert OOXML. Ainsi, les gouvernements qui gardent leurs documents sous format exclusif Microsoft peuvent prétendre utiliser des formats ouverts. Le gouvernement d’Afrique du Sud a déposé un appel contre cette décision, mentionnant les irrégularités de la procédure. »

Stallman poursuit en disant « Même dans les parties moins cruciales du secteur, Microsoft essaie d’affaiblir la communauté. Par exemple, elle contribua par un substantiel montant à un projet, SAGE, lequel en conséquence décida de ne pas passer à la version 3 de la GPL ». La seule consolation dans ce cas, nous dit Stallman, est que cette affaire montre « que Microsoft considère la version 3 de la GPL comme une défense efficace de la liberté des utilisateurs. »

En complément de ces exemples, Stallman condamne Microsoft pour les portes ouvertes de sa sécurité. « Windows Vista permet à Microsoft d’installer des modifications de logiciels sans l’autorisation de l’utilisateur », observe-t-il, « vous ne pouvez pas avoir plus faux que cela ».

Cependant, malgré ces opinions, Stallman nous avertit aussi « qu’il est commun dans le champ de l’informatique de comparer Microsoft au diable, mais c’est une erreur. Cela conduit les gens à fermer les yeux sur les actions néfastes faites par les autres sociétés dont beaucoup sont simplement mauvaises. Microsoft n’est pas la seule entreprise dont les conduites en affaire piétinent la liberté des usagers. Des milliers de sociétés distribuent des logiciels privateurs, ce qui veut dire des utilisateurs divisés et impuissants. C’est mauvais, peu importe la société qui pratique cela. »

Linus Torvalds, Coordinateur du projet Linux Kernel (noyau Linux)

Linus Torvalds ne fait aucun effort pour suivre Microsoft. La plupart de ses informations sur la société sont de seconde main, en lisant les sites généraux traitant de technologie ou en recevant des mails de journalistes lui demandant un commentaire sur une action ou une annonce de Microsoft. Malgré tout, il confesse avoir lu occasionnellement le blog Mini-Microsoft « car c’était intéressant pour moi de voir un point de vue différent sur le monde tech world (NdT : monde la technologie) »

« J’ai simplement tendance à ne pas comparer Linux aux autres OS » dit-il, « je m’attache à rendre Linux meilleur que lui-même, et essayer de voir ce que font les autres n’est pas du tout pertinent. Évidemment, il est important que les choses fonctionnent bien avec d’autres systèmes d’exploitation, mais c’est un domaine ou je ne peux pas réellement aider car je n’ai pas d’autres systèmes à la maison. »

Torvalds admet que, pour un choix donné, il achètera un souris Logitech plutôt qu’une souris Microsoft car il préfère éviter de supporter Microsoft. Mais il appelle cela une préférence « irrationnelle ». Par ailleurs, il ajoute, « je ne me rappelle pas la dernière fois ou j’ai pris une décision qui ait à voir en quoi que ce soit avec Microsoft. »

Torvalds observe que Microsoft s’ouvre déjà à la communauté FOSS, mais il note que sa participation est limitée car « ils semblent avoir un complexe lié à la GPL, et ne travaillent qu’avec des projets, qu’ils ne voient pas être en concurrence directe, comme une infrastructure de serveur web, plutôt que tout autre projet central. Vont-ils s’étendre à d’autres domaines et vont-ils se débarrasser de leur peur irrationnelle de la GPL ? Je ne le sais pas. »

A propos d’un danger créé par Microsoft, Torvalds se dérobe en observant premièrement ceci : « je ne pense pas qu’il y ait un Microsoft. Je suspecte qu’il y a beaucoup d’ingénieurs MS qui aiment réellement le logiciel libre et, probablement, l’utilisent-ils à la maison même, en dehors de tout travaux en relation avec des tests de compatibilité. De plus, je suspecte que plusieurs secteurs de la société ont des idées divergentes à propos de l’open source, et je ne pense pas qu’ils approuvent. »

Il continue : « ceci dit, quelques membres de Microsoft sont assez clairement anti open source, et, oui, s’ils pouvaient le détruire, ils le feraient avec bonheur. »

Quoiqu’il en soit, Torvalds écarte l’idée qu’une tentative de démolition puisse avoir un quelconque succès. « Comment combattre réellement quelque chose qui est plus une idée et une façon de faire qu’un concurrent direct sur le marché ? » demande-t-il usant de rhétorique.

Torvalds ajoute qu’il ne se réfère plus à Microsoft en public comme cela lui arrivait auparavant. « Je faisais des plaisanteries sur Microsoft au cours d’entretiens » dit il, « Et j’ai simplement arrêté, car je ne pense pas que la peur et le dégoût (NdT : fear-and-loathing) qui sont si communs (ou peut être pas communs…ce ne sont probablement que des paroles) soient complètement sains. Je pense que si vous prenez des décisions basées sur la peur de ce que font les autres gens et sociétés, vous n’allez pas faire le meilleur travail. Je préfère voir le monde être pro-Linux plutôt qu’anti-Microsoft, parce que ce dernier groupe, en étant motivé par un sentiment négatif, n’est simplement pas constructif à long terme. »

Par dessus tout, le plus fort sentiment de Torvalds à propos de Microsoft semble être celui d’une société ayant perdu son orientation. « Alors que je ne suis évidemment pas un adorateur de Microsoft », dit-il, « je pense qu’ils ont sérieusement cassé la baraque il y a plus de dix ans car ils ont réellement donné aux gens ce qu’ils voulaient, et à bas prix. Voilà une bonne raison qui permit à Microsoft de surclasser les traditionnels vendeurs UNIX. Cela dit, ils semblent avoir oublié ces racines. Tout ce que je vois maintenant c’est qu’ils ne semblent pas essayer de servir leur clients mais de les contrôler (par exemple, tous les plans fous de locations de licences, tous leurs ridicules travaux sur les DRMs etc.) ».

Conclusion

Le premier point évident au sujet de ces réponses est que, bien qu’elles aient été données par les défenseurs des deux mouvements distincts, le logiciel libre et l’open source, les différences sont si mineures qu’elles pouvaient être attendues quelles que soient la personnalité ou la position. Toutes les personnes interrogées trouvent Microsoft complètement sans intérêt pour leur informatique personnelle, toutes suggèrent que Microsoft doit se transformer elle-même, mais n’écartent pas la possibilité que la société fasse de réelles contributions au FOSS si elle parvient à changer. Toutes également semblent voir le triomphe du FOSS comme plus ou moins inévitable. Les similarités sont un rappel que, malgré les différences réelles entre les priorités des deux mouvements, les deux camps sont alliés.

L’autre point qui ressort est combien les réponses sont dépassionnées comparées aux sentiments souvent exprimés par d’autres impliqués dans le FOSS. Tous ces interviewés voient en Microsoft un antagoniste, mais il le font sans la paranoïa qui dénature certains cercles FOSS. La raison pourrait être leur croyance que le FOSS gagnera au final, ou peut être simplement, l’impossibilité pour chacun de maintenir une rage bouillonnante chaque jour et minute de leur vie professionnelle.

Quelle qu’en soit la raison, cette impartialité relative les met potentiellement en marge de quelques uns à l’intérieur de la communauté, spécialement ceux qui voient Microsoft au centre d’une conspiration anti-FOSS. Jim Zemlin, dont les réponse sont plus souples que les autres, a été attaqué par le passé dans les médias pour ses opinions.

En refusant de voir leur adversaire principal comme une représentation unidimensionnelle du diable, ces leaders se sont mis librement entre parenthèses pour adopter une vue plus complexe de leur situation. Non seulement, ils voient Microsoft luttant en vain pour se redéfinir elle-même après tant d’années, mais ils soulignent aussi que Microsoft est simplement la plus grande des menaces privatrices envers le FOSS mais pas la seule, et que se focaliser avec trop d’attention sur Microsoft apporte ses propres dangers.

Certains lecteurs pourraient désapprouver telle ou telle vision exprimée ici. Je le fais moi même. Mais, en parlant plus généralement, je trouve dans ce mélange d’optimisme idéaliste et d’observation lucide, une garantie que la communauté est entre de bonnes mains.




La voie négative du Net-Art par Antoine Moreau

Lorsqu’Antoine Moreau prend sa plume pour nous parler d’Art Libre c’est encore de l’Art Libre quand bien même le sujet central de cet article soit l’Art à l’heure d’Internet.

C’est avec plaisir que nous lui ouvrons nos modestes colonnes histoire de partager sa réflexion. Parce qu’il est doux et peut-être salutaire d’entendre parler de forme gracieuse de don à une époque où l’Art peut se perdre dans sa marchandisation baigné dans une Culture qui ne serait plus que de l’entertainment.

L’illustration est une photographie de N. Frespech sous licence Art Libre issue du projet Echoppe Photographique. où les visiteurs sont invités à commander une photographie en laissant un texte dans un formulaire. Il s’agit ici de la Commande 1712 : Chirac en prison. Commandée le 22-11-2007 par Coralie Fonck et reçue le 04-12-2007.

Chirac en prison - Frespech - Licence Art Libre

La voie négative du Net-Art

Un texte d’Antoine Moreau paru dans la revue Terminal, n°101, Printemps 2008.

Que peut être le Net-Art en suite d’une histoire de l’Art traversée par la négation ? Nous tenterons de montrer qu’il est une pratique précise et sensible du réseau des réseaux en intelligence avec son écosystème. Nous ferons la distinction entre « l’Art sur le Net », le « Net-Art » et « l’art du net ». Il s’agira de montrer que le Net-Art, en réalité, n’est pas autre chose que l’art du net : une pratique à la fois ordinaire et éclairée de l’internet. Celle-ci a le souci de la beauté intrinsèque du réseau, elle en observe les qualités qu’on trouve dans les principes fondateurs de l’internet et dans ceux du logiciel libre.

Net-Art : Niet-Art ?

Commençons par une observation : il y a des artistes, reconnus comme tels, qui font de l’art sur le réseau internet. Ils font de l’art avec le net, pour le net et par le net. Ils sont qualifiés de « Net-Artistes ». Les oeuvres créées s’inscrivent dans le lieu où elles évoluent, elles sont très souvent interactives et n’existent que dans le « réseau des réseaux »[1].
En quoi relèvent-elles du « Net-Art » ? Ne persiste-t-il pas, dans ce lieu bouleversant qu’est l’internet, une A.O.A.C. (« Appellation d’Origine Artistique Contrôlée ») qui donne à penser que le Net-Art est le fait d’artistes reconnus comme tels et produisant de l’art lui-même reconnu comme tel ?
Qu’est-ce que le Net-Art en suite du ready-made de Duchamp, de l’exposition du vide de Klein ou des sculptures sociales de Beuys ? De quelle nature est la qualité artistique avec l’internet ? De quelle qualité pouvons-nous parler après qu’on ait pu déceler l’art contemporain comme étant un « Art sans qualités »[2] ?

Nous n’avons pas l’intention de nier aux oeuvres qualifiées de « Net-Art » leur indéniable intérêt. Nous voulons simplement tenter de comprendre comment et pourquoi il y a de l’art par et pour le Net. Que serait-il juste de qualifier de « Net-Art » ? Nous allons commencer par prendre en compte trois constats :

– Premièrement : selon Hegel, l’art est quelque chose de révolu[3]. Après avoir accompli sa tâche, à travers les différentes étapes de son histoire, l’activité artistique laisse la place à d’autres types de productions de l’esprit. Ainsi, la philosophie est, d’après le philosophe de la fin de l’histoire, seule capable désormais de penser l’humanité et d’en former le dessein. Non pas qu’il n’y ait plus d’art possible, mais que c’est à la pensée elle-même de réaliser ce que l’art ne peut plus atteindre.

– Deuxièmement : selon les artistes eux-mêmes, le non-art est l’accomplissement ultime de l’art. Non pas l’avènement de l’iconoclasme, mais de l’art lui-même quand « l’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » selon la formule célèbre de Robert Filliou[4]. Ce n’est pas la négation de l’art, mais sa voie négative qui, par un mouvement dialectique, affirme l’art par excellence comme étant l’art de vivre.

– Troisièmement : selon certains observateurs de l’art contemporain, l’art se trouve aujourd’hui « à l’état gazeux »[5]. Disséminé dans toutes activités possibles, il est nulle part et partout à la fois. En fait, selon nous, sa présence est aussi réelle que son absence est manifeste, car la dissolution de l’art dans la réalité n’est pas la disparition réelle de l’art. La réalité de l’art qui nous est contemporain n’est pas tant dans sa « forme formée » que dans sa « forme formante ». Plus que jamais, pour reprendre le mot de Léonard de Vinci, l’art est « causa mentale ». Il est une production de l’esprit qui forme. Il est formant. Sa forme est une formation de l’esprit et l’opération qu’il réalise est la transformation de notre perception où « ce sont les regardeurs qui font le tableau » comme a pu l’observer Marcel Duchamp[6].

Ce que peut être le Net-Art.

En prenant en compte l’état contemporain de l’art, nous pouvons maintenant envisager le « peut-être » du Net-Art selon trois axes. Notre approche sera dialectique, nous allons procéder à chaque fois par « affirmation, négation et négation de la négation »[7].

1/ Le Net-Art c’est l’art qui se pratique par et pour l’internet. Ce n’est pas de l’Art sur le Net.

Affirmation : Une forme d’art sur le réseau internet est une forme d’art visiblement. Une oeuvre plastique qui se trouve sur le Net est déclarée artistique car elle présente toutes les apparences convenues de l’Art reconnu comme tel. Ce sont, par exemple, toutes formes que l’on voit sur les sites web d’artistes et tous types d’objets présentant des qualité artistiques apparentes.?
Négation : Ces objets d’art ne sont pas du Net-Art. Ils ne sont pas faits par et pour le réseau internet. Ils sont en visibilité sur la surface de la Toile[8] mais ne font pas partie de la réalité du réseau. Pour qu’une oeuvre puisse être déclarée « Net-Art », il lui faut être conçue spécialement par et pour le réseau. L’oeuvre de Net-Art n’existe que dans la réalité réticulaire. Sa matière n’est pas seulement numérique, elle fait partie intégrante du flux « on-line » du réseau. C’est le fait des artistes reconnus comme tels et qui investissent l’internet comme champ d’exercice artistique.?
Négation de la négation : Il ne suffit pas que les oeuvres soient du Net-Art pour être véritablement du Net-Art. Elles sont qualifiées ainsi car elles sont réalisées par des artistes qui utilisent le Net pour faire de l’Art. Mais ce sont, la plupart du temps, toujours des objets d’Art selon les critères dévolus aux oeuvres matérielles, quand bien même ils seraient véritablement produits avec le matériau réticulaire et conçues spécialement pour le Net. Dans les faits, il ne suffit pas de réaliser des objets d’Art pour le Net pour que ces objets soient, selon nous, qualifiés de « Net-Art ».?
Pour qu’une forme d’art soit du net-art (nous ne mettons pas de majuscules[9]) il lui faut intégrer ce qui fait la nature même de l’internet et être en intelligence avec l’esprit qui lui a donné corps. Disons-le d’une formule simple : le net-art c’est l’art du net.

2/ Le net-art c’est l’art du net. Ce n’est pas le Net-Art.

Qu’est-ce que le net-art entendu comme « art du net »?
Nous qualifierons de « net-art », toutes formes d’actions et de créations conformes à la forme de l’internet. Ces formes d’actions et de créations peuvent être qualifiées de net-art si et seulement si elles observent les protocoles ouverts de l’internet et les respectent. En effet, l’internet doit son existence à des protocoles ouverts et qui en ordonnent l’architecture et les transports (Web, e-mail, usenet, FTP, IRC, etc.). Basé sur la suite de protocoles TCP/IP[10], l’internet permet ainsi l’accès à tous les ordinateurs quelles que soient leurs particularités. Grâce à ses standards ouverts,[11] l’internet est devenu un réseau non propriétaire et qui a vocation universelle. Il est ouvert à tous, il est fait par tous et pour tous : c’est cela même la réalité du réseau internet, son corps, son esprit.?
C’est la raison pour laquelle nous avançons que c’est l’observation des protocoles du net et le respect des standards ouverts qui va déterminer la qualité artistique des formes. Cette qualité artistique ne se situe pas seulement dans des effets purement formels qui, en surface, font semblant d’art. Elle est dans la prise en considération de l’écosystème du réseau. Cette prise en compte, par tout auteur, du mode d’existence de l’internet peut produire des oeuvres artistiques dans la tradition de l’histoire de l’art, mais aussi des oeuvres qui n’ont pas, à priori, les qualités artistiques pour s’y inscrire. Le net-art (l’art du net) n’est pas le seul fait des artistes reconnus comme tels de la même façon qu’il n’est pas seulement une fabrique d’objets d’art reconnus comme tels.

Le net-art c’est l’art de se conduire dans et avec le net. C’est aussi l’art de conduire le net au mieux de sa forme. Toute technique qui sera en phase avec la réalité de son « moteur » et pas seulement, comme dans de nombreuses oeuvres reconnues comme étant du Net-Art, un formalisme esthétiquement convenu.?
L’esthétique dont il s’agit avec le net-art, tel que nous en proposons la définition, est une esthétique qui procède d’une éthique[12]. Nous entendons cette esthétique comme « es-éthique ». C’est à dire une forme de connaissances et de pratiques qui procède de l’esprit du net et qui précède la mise en forme des objets s’y rattachant. Il s’agit d’une esthétique qui conserve à l’art sa puissance d’action quand, nous l’avons vu, l’art avait été jugé « chose révolue » par ailleurs[13]. Aussi, l’es-éthique du net-art est-il, selon nous, l’esprit de l’art et l’art de l’esprit à l’ère du numérique et de l’internet. La pensée est en forme et forme le dessein d’un art toujours présent quand bien même il aurait pu être révolu à un moment de son histoire.

Par exemple : une simple forme de communication (e-mail, forum de discussion, mailing-list, IRC, etc) peut avoir les qualités de net-art si elle observe la netiquette, c’est à dire l’étiquette du net qu’on trouve dans la Request For Comment n°1855.[14] La netiquette participe de l’es-éthique du réseau des réseaux.?
Pour les formes que les pratiques artistiques investissent ordinairement (textes, images, sons, etc), le net-art (c’est-à-dire : l’art du net) consistera à créer en utilisant des formats ouverts. Ainsi, une page web sera écrite en HTML ou un autre langage comme le PHP et qui tient compte des normes du W3C[15]. Elle n’utilisera pas de codes qui ne permettent pas sa visualisation par n’importe quels logiciels de navigation web. Tout format propriétaire et donc fermé sera honni pour la simple raison qu’ils contredit l’internet en son sens même, en sa forme même, en son art même.?
Il en est de même avec les droits d’auteur que nous allons aborder plus loin dans la partie consacrée au copyleft. Mais avant cela, voyons l’infini du net-art.

3/ Le net-art c’est l’art qui s’offre infini. Ce n’est pas un objet fini.

De la même façon qu’on ne peut confondre un objet d’art avec l’objet même de l’art, on ne peut se méprendre sur la finalité de l’objet de net-art. Inachevé par nature[16], celui-ci n’a pas de fin. Nous le savons par ailleurs, l’objet de l’art ne s’achève jamais dans la fabrication d’un objet d’art, mais il excède son inscription dans la matière. L’objet de l’art passe à travers l’objet d’art fini pour ainsi ne pas choir et être clos dans sa définition.
Le net-art est par excellence un art en flux et en suspens. Il se fait, après qu’il ait été conçu à un moment « t » de son invention, en interaction avec le découvreur qui l’agit sur la Toile. Il n’y a pas d’arrêt sur l’objet, il y a un objet sans fin dont la finalité n’est pas tant l’objet lui-même que ce qui est poursuivi à travers sa production : l’art infini..
Aussi, nous pouvons dire qu’il n’y a pas d’objets de net-art en réalité, mais que l’objet de l’art se manifeste avec l’internet, par et pour l’internet, à travers certaines formes conformes à l’esprit de l’internet. Ces formes ne sont pas l’expression d’un « conformisme » mais manifestent le souci d’être en intelligence avec la forme du net. D’être en phase avec le réseau comme le surfeur peut l’être avec la vague qui le transporte. C’est la raison pour laquelle nous disons que ces formes d’art forment la forme du réseau, qu’elles participent à sa bonne santé, à sa vie. Une vie suspendue entre la naissance et la mort, une vie infinie, non achevée encore dans une supposée maturité, signe avant-coureur de sa fin et de sa destruction..
Ce qui fait la vitalité du net-art, ce en quoi le net-art est vivant et vrai dans sa forme, c’est son immaturité. Cette immaturité du net-art nous l’entendons au sens où Gombrowicz a pu faire comprendre la forme où l’art et la vie sont au mieux de leur forme : ce moment « t » où le temps est suspendu dans la grâce de ce qui advient sans laisser prise au temps, sauf l’éternité.

En effet (…) un postulat erroné veut qu’un homme soit bien défini, c’est à dire inébranlable dans ses idéaux, catégorique dans ses déclarations, assuré dans son idéologie, ferme dans ses goûts, responsable de ses paroles et de ses actes, installé une fois pour toutes dans sa manière d’être. Mais regardez bien comme un tel postulat est chimérique. Notre élément, c’est l’éternelle immaturité[17].

Cette « éternelle immaturité », un présent, un don, une réalité sensible et active du temps imprenable où le net-art est offert aux affects et va se laisser former et transformer à l’infini.
Sans doute le moment est-il venu alors de présenter le copyleft, principe actif de cette immaturité formante que le net-art, quand il est l’art du net, met en pratique.

Le copyleft, principe actif de l’art du net.

Nous voulons maintenant creuser l’élément plastique du net-art. Et ceci en étendant la notion de plasticité non seulement aux arts visuels, mais à tout type d’art qui fait forme et à toute forme quand elle est aussi explosion de la forme[18]. Non pas dans l’intention de détruire la forme, mais dans celle d’en renouveler la puissance plastique grâce à toutes les altérations possibles issues de l’ouverture.
Les droits d’auteurs sont en première ligne car le net-art plastique les droits d’auteurs. Le net-art c’est l’explosion du moteur à création. Non pas, faut-il le préciser encore une fois, sa destruction, mais la remise en forme de sa puissance de transport comme de sa beauté formelle et mécanique.

Explication : le net-art ne peut faire l’économie des droits d’auteurs. L’internet n’est pas, par la vertu du numérique et de la technologie, une zone de non-droit. Dura lex sed lex[19], le droit s’applique, même sur l’internet. Pour qu’une oeuvre soit qualifiée de net-art, il lui faut respecter aussi le droit des auteurs. Mais comment faire, quand le droit d’auteur interdit la copie, la diffusion et la transformation des oeuvres ? Car si nous observons bien l’es-éthique du réseau, comme nous l’avons vu avec les standards ouverts, une oeuvre de net-art devra être librement accessible, copiable, diffusable, transformable et devra interdire, en outre, l’appropriation exclusive.

Liberté d’étudier, de copier, de diffuser, de transformer et interdiction d’appropriation exclusive, ces principes sont également ceux du logiciel libre mis en place avec le projet GNU[20] de la Free Software Foundation[21] en 1984 et formalisés dans une licence juridique, la General Public License[22]. C’est ce qu’on appelle le « copyleft ». Loin d’être une négation ou un déni des droits des auteurs, le copyleft en reformule la pertinence en fonction des pratiques et des matériaux.

Du logiciel libre à l’art libre il n’y a eu qu’un pas. Celui-ci a été franchi à notre initiative lors des rencontres Copyleft Attitude[23] qui ont eu lieu à Paris en 2000. Elles ont donné naissance à la Licence Art Libre[24], directement inspirée par la General Public License. Il s’agissait d’appliquer les principes du copyleft à tout genre de création.

L’intention est d’ouvrir l’accès et d’autoriser l’utilisation des ressources d’une oeuvre par le plus grand nombre. En avoir jouissance pour en multiplier les réjouissances, créer de nouvelles conditions de création pour amplifier les possibilités de création[25].

Là aussi, il s’agit d’un mouvement dialectique qui procède d’une négation de la négation. Le plasticage de l’art opéré par le copyleft, n’est pas sa destruction, mais sa remise en forme. Un retournement de situation quand les matériaux sont des immatériaux, quand la rareté de l’oeuvre d’art est en profusion et quand la forme est formée par des affects qui la reforment à l’infini.

Mieux : le net-art est un art par excellence pour la raison qu’il réalise cette forme qui est le signe même de l’apparition de l’art dans l’histoire : la forme gracieuse.

Négation de la pesanteur, si ce n’est un don du ciel, c’est un art qui ne doit pas paraître en être un, un art dissimulé. Le seul effort qu’il faut faire consiste à le cacher, car montrer qu’il s’agit d’un art serait le meilleur moyen d’étouffer la grâce[26].

Le net-art, une forme gracieuse.

En poursuivant l’intuition que nous avons eue il y a quelques années et qui considère que « l’oeuvre, c’est le réseau »[27], nous pouvons dire que l’internet est lui-même, par nature, une forme gracieuse. Une forme d’art, cela va sans dire.
Cet « état de grâce » propre au net se trouve également dans le logiciel libre et l’art libre car la mise à disposition, par un auteur, de données sur le réseau procède d’une beauté certaine du geste. Cette beauté du geste n’est pas gratuite, le copyleft ne s’oppose pas au commerce, elle est précisément gracieuse. Elle n’est pas non plus gratuite au sens d’arbitraire, elle est justifiée par l’éthique, l’es-éthique. Il s’agit bien d’une forme de pratiques et de productions de l’esprit qui posent la grâce comme condition d’exercice.

Ainsi, la kharis notion de la grâce antique circule entre objet et sujet. Cette idée de beauté (qui n’apparaît que tardivement dans la gratia latine) domine toute la conception grecque de la kharis. Comme faveur, la beauté est ce qui est offert aux regards – ou aux oreilles – des tiers : toute beauté est don généreux. Ce qui est remarquable dans cette notion de kharis, c’est sa capacité à exprimer en même temps une propriété des êtres (leur séduction allant jusqu’au kharisma), l’action de ces charmes sur autrui, l’état de plaisir de qui le perçoit et la gratitude ressentie pour cette faveur. Tel est « l’état de grâce »[28].

Nous affirmons, en suite de Winckelmann[29], inventeur de l’histoire de l’art et qui a su pointer le moment de sa naissance et de sa renaissance, qu’il y a art quand il y a forme gracieuse, beauté du geste et dons. Le moment où l’artiste est doué de dons, ceux qu’il donne en retour sous formes gracieuses à travers des productions librement offertes comme abandon de toute pesanteur[30].
Des données numériques qui sont librement accessibles, copiables, diffusables et transformables selon le copyleft, procèdent de cette liberté qui fait, non seulement la beauté du geste, mais rend l’art possible et existant. Lorsque cette liberté disparaît, l’art disparaît également et la forme gracieuse avec lui.

L’art, qui avait reçu la vie de la liberté elle-même, devait nécessairement, avec la perte de cette liberté, décliner et mourir au lieu même de sa plus belle floraison[31].

Ainsi, le moment politique de la naissance de l’art aura été celui où la grâce aura pu prendre forme librement. La première fois dans la Grèce antique et la deuxième fois, à la Renaissance au XVe et XVIe siècles avec la redécouverte de l’art grec classique et de sa forme gracieuse.

Nous posons qu’une troisième naissance et renaissance de l’art est à l’oeuvre, aujourd’hui, à l’ère de l’internet et du numérique. Cette re-renaissance de l’art se fait avec l’art libre selon les principes du copyleft. Le net-art, tel que nous l’avons défini, en est l’exercice par excellence car il procède d’une forme gracieuse de dons, de données et de libertés.

Antoine Moreau, « La voie négative du Net-Art », mars 2007, un texte écrit pour la revue Terminal n° 101, Printemps 2008.
Copyleft : ce texte est libre, vous pouvez le copier, le diffuser et le modifier selon les termes de la Licence Art Libre.

Bibliographie :

  • BLONDEAU Olivier, LATRIVE Florent, Libres enfants du savoir numérique, anthologie du « Libre » préparée par, L’Éclat, 2000.
  • BOURGEOIS Bernard, Le vocabulaire de Hegel, Ellipses, Paris 2000.
  • BRUAIRE Claude, La dialectique, PUF, Paris, 1985.
  • CLAVERO Bartolomé, La grâce du don, anthropologie catholique de l’économie moderne, Albin Michel, Paris, 1996.
  • COMETTI Jean-Pierre, L’Art sans qualités, farrago, Tours, 1999.
  • COUCHOT Édomond, HILLAIRE Norbert, L’Art numérique, comment la technologie vient au monde de l’art, Flammarion, Paris, 2003.
  • FOURMENTRAUX Jean-Paul, Art et Internet, les nouvelles figures de la création, CNRS Éditions, Paris 2005.
  • GOMBROWICZ Witold, Moi et mon double, Gallimard Quarto, 1996.
  • HÉNAFF Marcel, Le prix de la vérité, le don, l’argent, la philosophie, Éditions du Seuil, Paris, 2002.
  • HIMANEN Pekka, L’Éthique hacker et l’esprit de l’ère de l’information, Exils, 2001.
  • MALABOU Catherine, La plasticité au soir de l’écriture. Dialectique, destruction, déconstruction. Éditions Léo Scheer, 2005
  • MICHAUD Yves, L’art à l’état gazeux, Hachette, Paris, 2004.
  • PERLINE, NOISETTE Thierry, La bataille du logiciel libre, La Découverte, Paris, 2004.
  • POMMIER Édouard, Winckelmann, inventeur de l’histoire de l’art, Gallimard, 2003.

Webographie :

Notes

[1] Une base de données importante de Net-Art sur le site rhizome.org : (page visitée le 05/03/07)

[2] J.P. COMETTI, L’Art sans qualités, farrago, Tours, 1999.

[3] « L’art n’apporte plus aux besoins spirituels cette satisfaction que des époques et des nations du passé y ont cherchée et n’ont trouvé qu’en lui . L’art est et reste pour nous, quant à sa destination la plus haute, quelque chose de révolu. Il a, de ce fait, perdu aussi pour nous sa vérité et sa vie authentique. » HEGEL, Cours d’esthétique, Tome 1, Aubier, Paris, 1995-1997, p. 17 & 18, cité par B. BOURGEOIS, Le vocabulaire de Hegel, Ellipses, Paris 2000, p. 12.

[4] Cité par S. JOUVAL, « Robert Filliou : "Exposition pour le 3e oeil" », Robert Filliou, génie sans talent, catalogue d’exposition, Musée d’art moderne de Lille, 6 décembre 2003 au 28 mars 2004, Éditions Hatje Cantz 2003, p. 8.

[5] Y. MICHAUD, L’art à l’état gazeux, Hachette, Paris, 2004.

[6] Marcel Duchamp, Duchamp Du signe, écrits, Flammarion, 1975, p. 247.

[7] Formule rappelée par Marx dans un lettre polémique adressé à Proudhon. MARX, Misère de la philosophie, cité par Claude BRUAIRE, La dialectique, PUF, Paris, 1985, p. 8.

[8] Nom donné au World Wide Web.

[9] Pour la raison que le net n’est pas une marque, c’est un nom commun et que l’art aujourd’hui n’a plus les qualités de l’Art.

[10] Ensemble de protocoles de communication utilisé par l’internet (page visitée le 10/10/06)

[11] « On entend par standard ouvert tout protocole de communication, d’interconnexion ou d’échange et tout format de données interopérable et dont les spécifications techniques sont publiques et sans restriction d’accès ni de mise en œuvre. » Journal Officiel n° 143 du 22 juin 2004 : loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (référence NOR: ECOX0200175L). Définition trouvé dans : Titre Ier (De la liberté de communication en ligne), Chapitre Ier (La communication au public en ligne), Article 4. Sur le site formats ouverts, (page visitée le 10/10/06)

[12] P. HIMANEN, L’Éthique hacker et l’esprit de l’ère de l’information, Exils, 2001.

[13] C’est la raison pour laquelle nous parlons de « l’esprit du net » qui, comme pour l’art, ne saurait être réduit à sa seule technicité ou matérialité. L’internet, plus qu’une intelligence matérialisée est une spiritualité pratique (c.f. P. HADOT, Exercices spirituels et philosophie antique, Albin Michel, 2002).

[14] « Les règles de la Nétiquette », RFC 1855, traduction Jean-Pierre Kuypers, sur le site UCL/SGSI Infrastructures des réseaux du système d’information (SRI) (page visitée le 13/02/07)

[15] Le consortium qui se porte garant de l’interopérabilité du Web (page visitée le 13/02/07)

[16] Par la nature même du numérique, sa matérialité de fait.

[17] GOMBROWICZ, Moi et mon double, Ferdydurke, introduction à « Philidor Doublé d’enfant », Gallimard Quarto, 1996, p. 338.

[18] # « Rappelons que selon son étymologie – du grec plassein, modeler – le mot « plasticité » a deux sens fondamentaux. Il désigne à la fois la capacité à recevoir la forme (l’argile, la terre glaise par exemple sont dites « plastiques ») et la capacité à donner la forme (comme dans les arts ou la chirurgie plastiques). Mais il se caractérise aussi par sa puissance d’anéantissement de la forme. N’oublions pas que le « plastic », d’où viennent « plastiquage », « plastiquer », est une substance explosive à base de nitroglycérine et de nitrocellulose capable de susciter de violentes détonations. On remarque ainsi que la plasticité se situe entre deux extrêmes, d’un côté la figure sensible qui est prise de forme (la sculpture ou les objets en plastique), de l’autre côté la destruction de toute forme (l’explosion). » C. MALABOU, La plasticité au soir de l’écriture. Dialectique, destruction, déconstruction. Éditions Léo Scheer, 2005, note de bas de page p. 25 et 26.

[19] La loi est dure mais c’est la loi.

[20] GNU is Not UNIX, projet de la Free Software Foundation qui formalise le logiciel libre avec la licence GNU/GPL. (page visitée le 23/02/07).

[21] FSF.org (page visitée le 23/02/07).

[22] Licence libre copyleft pour les logiciels

[23] Avec des artistes regroupés autour de la revue Allotopie (page visitée le 14/02/07)

[24] Rédigée par Mélanie Clément-Fontaine et David Geraud, juristes et Isabelle Vodjdani et Antoine Moreau, artistes.

[25] Extrait du prologue de la Licence Art Libre 1.2.

[26] Éd. POMMIER, Winckelmann, inventeur de l’histoire de l’art, Éditions Gallimard, 2003, p. 59.

[27] Citée dans le numéro spécial Artpress, l’Art et la Toile, « Internet all over ? » novembre 1999, N. HILLAIRE, p. 9 et Éd. COUCHOT, N. HILLAIRE, L’Art numérique, comment la technologie vient au monde de l’art, Flammarion, Paris, 2003, p. 72.

[28] M. HÉNAFF, Le prix de la vérité, le don, l’argent, la philosophie, Éditions du Seuil, Paris, 2002, p.326.

[29] Éd. POMMIER, Winckelmann, inventeur de l’histoire de l’art, Gallimard, 2003.

[30] Nous sommes là également proche du moment mystique décrit par Simone WEIL, La pesanteur et la grâce, Plon, Agora, 1988.

[31] J.J. WINCKELMANN, Histoire de l’art de l’Antiquité, Darmstadt, 1982, cité et traduit par Éd. POMMIER, idem.




22 trucs cools que l’on peut faire sous Linux mais pas sous Windows ou Mac

Sur son blog, Matthew Helmke[1] a listé une vingtaine de choses sympas qui peuvent selon lui être réalisées si votre ordinateur est sous GNU/Linux mais pas si vous êtes sous Windows ou Mac.

Une manière de rechercher les avantages et les caractéristiques de Linux. Une manière aussi de rendre curieux voire de convaincre ceux qui n’y sont pas. Une manière enfin de poser la même question à ceux sous Linux qui passeront par ici et qui voudront bien compléter ou critiquer ce billet via les commentaires pour alimenter le débat 😉

Copie d'écran - Matthew Helmke

Quels est le truc le plus sympa qu’on peut faire avec Linux mais pas avec Windows ou un Mac ?

What is the coolest thing you can do using Linux that you can’t do with Windows or on a Mac?

Matthew Helmke – 2 février 2008

C’est une question qu’on m’a posée récemment. Comme je n’ai pas qu’une seule réponse, j’ai dressé une liste des trucs auxquels j’ai pensé et je l’ai mailée à mes amis… puis je me suis dit que je pourrais la publier ici et m’en servir de référence pour plus tard. Vous êtes libres de faire des ajouts à cette liste !

1. Mettre à jour légalement et sans avoir à payer.

2. Obtenir les dernières versions du système d’exploitation qui fonctionnent plus rapidement sans toucher au matériel.

3. Installer et exécuter facilement différentes interfaces graphiques si je n’aime pas la configuration par défaut.

4. Installer une vingtaine de programmes par une simple commande.

5. Avoir un système qui met à jour automatiquement les programmes déjà installés.

6. Installer la même copie de mon OS (Ubuntu) sur plusieurs machines sans me soucier des restrictions de licences ou de clés d’activation.

7. Distribuer des copies de mon système d’exploitation et des programmes qui tournent dessus sans violer aucune loi, gouvernementale, éthique ou morale, parce que tout a été prévu dans ce sens.

8. Avoir le contrôle total du matériel installé sur ma machine et savoir qu’il n’y a pas de porte dérobée dans mes logiciels, installés là par des éditeurs peu scrupuleux ou par le gouvernement.

9. Fonctionner sans utiliser d’anti-virus, de protection anti-adware ou spyware, ne pas avoir à redémarrer ma machine pendant des mois tout en recevant toujours les derniers correctifs de sécurité.

10. Fonctionner sans avoir à défragmenter mon disque dur, jamais !

11. Essayer des logiciels, décider qu’ils ne me plaisent pas, les désinstaller et savoir qu’ils ne laissent pas derrière eux des traces dans la base de registre, s’y accumuler et ralentir ma machine.

12. Pouvoir faire une énorme erreur qui nécessite la réinstallation complète de mon système et être capable de le faire en moins d’une heure, parce que j’ai mis toutes mes données sur une partiton séparée du système d’exploitation et des programmes.

13. Pouvoir démarrer mon système avec de supers effets, aussi sympa que ceux de Vista, sur une machine qui a 3 ans… en moins de 40 secondes, temps d’identification compris (nom d’utilisateur + mot de passe).

14. Etre capable de configurer tout ce que je veux, légalement, y compris mes programmes fétiches. Je peux même contacter les développeurs du logiciel concerné pour leur poser des questions, leur donner des idées et être impliqué dans la construction ou le développement de la version en cours si j’en ai envie.

15. Avoir plus de 4 fenêtres de traitements de texte ouvertes, écouter de la musique, jouer avec les effets graphiques du bureau, être en contact avec une large communauté sympathique et avoir Firefox, ma messagerie instantanée et mon client de courrier électronique ouverts en même temps sans que le système se mette à tourner si lentement qu’il en deviendrait inutilisable.

16. Utiliser la commande dpkg –get-selections > pkg.list pour obtenir la liste exhaustive et détaillée de tous les logiciels que j’ai installés, faire une sauvegarde de mes répertoires /etc et /home sur une autre partition et ainsi être capable de restaurer mon système à tout moment, facilement.

17. Faire tourner plusieurs bureaux en même temps, voire autoriser plusieurs utilisateurs à se connecter et à utiliser la machine en même temps.

18. Redimensionner une partition du disque dur sans avoir à la détruire et perdre les données qu’elle contient.

19. Pouvoir utiliser le même matériel pendant plus de 5 ans avant qu’il n’ait réellement besoin d’être remplacé… J’ai toujours du matériel qui a presque 10 ans, qui tourne sous Linux et qui est toujours utile.

20. Pouvoir surfer sur internet pendant que l’OS s’installe !

21. Utiliser à peu près n’importe quel matériel en sachant que le pilote est déjà présent dans le système d’exploitation… éliminant ainsi la nécessité de rechercher le site du fabriquant pour trouver ce pilote.

22. Obtenir le code source de pratiquement n’importe quoi, y compris celle du noyau du système d’exploitation ou celle de la plupart de mes applications. Je pourrais encore en rajouter, mais je pense que c’est déjà pas mal !

Notes

[1] Traduction GaeliX puis relecture Olivier et enfin validation Don Rico.