Savoir vendre un projet (Libres conseils 33/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

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Qui êtes-vous, qu’avez-vous à vendre et en quoi ça pourrait m’intéresser ?

Sally Khudairi

Active sur le Web depuis 1993, Sally Khudairi est la publicitaire en embuscade derrière certaines des organisations et des standards les plus importants de cette industrie. Ancienne adjointe de Sir Tim Berners-Lee et championne toutes catégories de l’innovation collaborative, elle a aidé au lancement de The Apache Software Foundation en 1999 et en fut la première femme et membre non-technique élue. Sally est vice-présidente du marketing et de la publicité pour The Apache Software Foundation et directrice générale de HALO Worldwide, une société de conseil en communication pour des marques de luxe.

Tout le monde est vendeur. Du PDG à la star des commerciaux, en passant par le gars qui répartit le courrier, chacun est un représentant de votre entreprise. Les technologies et les stratégies ont changé au fil des années mais une bonne communication reste primordiale. Au bout du compte, tout le monde vend quelque chose, et c’est un équilibre intéressant à trouver dans la publicité ; qui vous êtes, ce que vous faites et ce que vous vendez sont souvent étroitement imbriqués. Quand les gens me disent qu’ils ne savent pas qui je suis, je leur demande s’ils ont entendu parler du W3C, d’Apache ou des Creative Commons.

La réponse habituelle est « bien sûr ! », ce qui me confirme que je fais bien mon boulot. Si vous savez qui ils sont et ce qu’ils font, tout va bien. Après tout, c’est le produit qui compte, pas le publicitaire. Je n’ai jamais cherché à être là : me faire les dents dans la communication à la naissance du Web n’était pas facile, mais grâce au ciel j’ai pu observer les autres et esquiver un certain nombre de torpilles. Après une forte montée en puissance et quelques projets très en vue, quel conseil pourrais-je partager avec un chargé de relations publiques en herbe, avec un porte-parole chevronné rompu à la pratique des médias, ou un technologue qui ose enfourcher le cheval ombrageux de la promotion, malgré ses ruades ?

N’oubliez jamais de vous manifester

Quand vous vendez votre histoire à la presse, souvenez-vous que les médias, eux aussi, ont quelque chose à vendre. Bien sûr, au plus haut niveau, le rôle d’un journaliste est de raconter une histoire irrésistible et convaincante — qu’elle soit vraie ou non, que les faits soient exacts ou non —, qu’elle réponde ou non à une éthique, c’est une autre question. Qu’il s’agisse d’attirer le lectorat, de fidéliser les abonnés ou de promouvoir les espaces publicitaires, eux aussi sont en train de vendre quelque chose. Votre boulot, c’est de les aider à faire le leur. À dire vrai, il est possible que certaines personnes n’aient jamais entendu parler de vous, même si vous êtes dans le métier depuis déjà pas mal de temps. Même si ce n’est pas le cas, ils peuvent ne pas savoir exactement qui vous êtes. Soyez clair sur ce que vous avez à offrir. Quelle est l’accroche pour la presse — quelle est la nouvelle ? Assurez-vous qu’elle est vraiment nouvelle. Soyez direct et venez-en rapidement au fait. Vous devez être prêt à répondre aux questions suivantes : « et alors ? », « En quoi ça pourrait m’intéresser ? » et « Qu’est-ce qu’il y a là-dedans pour moi ? ». Cela veut dire que vous devez vous poser des questions sur vous-même et sur votre produit. Les gens achètent des idées, pas des produits. Faire la promotion des avantages de ce que vous lancez vous aidera à améliorer vos chances d’obtenir une couverture médiatique. Faites un pas de côté : qu’êtes-vous vraiment en train de vendre ?

Jamais le vendredi

Le pire des jours pour lancer un nouveau site web, diffuser un communiqué de presse ou informer les médias, c’est le vendredi. La probabilité qu’il se passe quelque chose et que personne ne soit disponible pour gérer les retombées est plus importante que vous ne pouvez l’imaginer. J’en ai eu une cuisante expérience dès le début de ma carrière. J’avais lancé la nouvelle page d’accueil du W3C un vendredi soir puis quitté le bureau et embarqué dans un avion pour Paris. Comme je venais du monde de la publication commerciale sur Internet, utiliser un tag propriétaire ne me posait aucun problème à partir du moment où il faisait le travail. Faire de même sur le site internet d’une organisation vouée à l’interopérabilité, en revanche, n’était pas une bonne idée. En quelques minutes, des douzaines de messages arrivèrent, demandant comment la <balise-aujourd’hui-dépréciée> était arrivée sur notre site. Et non, ça n’était pas <blink>…

N’imaginez jamais que cela n’a aucune importance

La crédibilité est essentielle. Même si vous êtes surchargé de travail, dévoué corps et âme ou partout à la fois, vous ne pouvez pas empêcher l’heure de sonner. Essayez de produire autant que vos capacités vous le permettent et demandez de l’aide si vous le pouvez. Certaines échéances doivent être négociées, et beaucoup d’éditeurs peuvent s’accommoder d’un retard dans le calendrier mais cela n’aura probablement pas (autant) d’importance une fois l’urgence passée si vous n’êtes pas capable de finir le travail. Tout comme pour l’art, le développement de standards et la relecture-correction, le processus peut se poursuivre et recommencer ad nauseam. Tandis que la créativité ne peut pas être gérée par le temps, des dates butoir strictes obligent à tracer une limite à un moment donné. Mais vous devez vous soucier des détails. Arrêtez-vous. Révisez tout et testez tous les liens. Assurez-vous que cela correspond parfaitement à la stratégie de la campagne ou de la marque. Les cycles de répétition font partie des grands principes structurants de la communication et le travail continuera à s’accumuler. Organisez-le et protégez votre réputation.

Allez-y seul

Il est important d’avoir confiance en vos instincts, spécialement lorsque vous sortez des sentiers battus. Aux premiers jours du Web supercool et ultramoderne, tout le monde semblait s’en remettre aux stratégies habituelles des marques/relations publiques/marketing qui consistaient à faire des sites vitrines. Puis tout le monde « suivait le meneur » (le meneur est « le premier à l’avoir fait », dans de nombreux cas). Les tendances sont une chose, les attentes et les besoins de l’industrie en sont une autre : « c’est comme ça que tout le monde fait » ne veut pas dire que c’est bien pour vous, votre projet ou votre communauté. Ma carrière dans la communication a commencé lorsque j’ai renvoyé le sous-traitant que nous avions choisi et tout ramené en interne.

Nous avons été parmi les premières organisations à mettre une adresse URL sur notre plaquette commerciale, et nous avons été les premiers à utiliser une URL comme source d’un communiqué de presse alors que les agences de presse nous disaient que cela n’était pas conforme et contraire aux règles. Faites confiance à vos connaissances. Allez à contre-courant et bousculez les règles de manière responsable. Sachez vous différencier. Il est permis d’être un dissident tant que vous pouvez soutenir vos idées.

Offrez vraiment des perspectives

Bon nombre des technologies dans lesquelles je suis impliquée finissent en produits au bout de trois à cinq ans. Ceci signifie que, dans bien des cas, il est difficile d’établir une quelconque relation à un produit comparable. Il est crucial que vous expliquiez clairement votre position en utilisant le moins de jargon possible. La plupart des journalistes et analystes non-développeurs avec lesquels je suis en contact ne suivent pas les activités d’une certaine communauté au quotidien et ne savent pourquoi telle fonctionnalité est meilleure qu’une autre, même si c’est une évidence pour vous.

Dire qu’on va « privilégier la forme plutôt que le fond » est plus pertinent aujourd’hui que jamais. Forme. Fond. Je marque toujours une séparation à ce sujet lorsque je fais de la formation aux médias : présentez trop le fond ou trop la forme et votre campagne risque d’échouer. La perception est fondamentale et la cause de bien des conflits. Tout sur la forme = « branché + hyperbole » = « Ah, ces marketeux ! ». Tout sur le fond = « des zéros et des uns » = « Ah, ces geeks ! ».

Il vous faut comprendre et pouvoir expliquer clairement quel est le problème que résout votre produit. En sachant mieux présenter le problème, vous pourrez mieux en expliquer la solution. Les détails accessoires, les anecdotes et les succès, voilà ce qui donne à la presse un moyen d’attirer l’attention de son lectorat. Vous devez savoir répondre à la question « Qu’y a-t-il pour moi là-dedans ? », parce que c’est ce qui incite les journalistes à fouiller un peu plus dans votre histoire, qui, en retour, permet aux lecteurs d’en savoir plus sur vous. La forme répond à la question « Qu’y a-t-il pour moi là-dedans ? », c’est donc l’hameçon. Le fond est le comment on y parvient.

Ayez des porte-parole sur la brèche

Ayez toujours quelqu’un de disponible pour parler à la presse. Oui, ça peut être vous, mais sachez qu’il y aura un moment où, même si vous avez une histoire bien planifiée à raconter, vous pourriez ne pas être disponible. Avec qui d’autre travaillez-vous ? Qui vous connaît ? Qui vous soutient ? Définir ces personnes et distribuer les rôles pour clarifier qui dit quoi contribue beaucoup à diminuer les maux de tête potentiels. J’agis habituellement en tant que porte-parole d’arrière-plan afin de pouvoir passer du temps avec un journaliste pour trouver ce qu’il recherche spécifiquement et comment nous pouvons lui donner les informations pertinentes du mieux possible.

J’explique comment les choses fonctionnent, principalement sur les processus ; cela met mes « vrais » porte-parole en meilleure position pour dire quels sont leurs besoins et minimise le risque de perdre leur participation en chemin. Préparer les bonnes personnes est aussi important que de les rendre disponibles. Pendant mes cours de formation aux médias, je mets quelques diapositives « surprenantes » qui soulignent les leçons particulièrement intéressantes apprises au fil des ans.

Nous avons par exemple connu une pagaille de représentants dans les premiers jours de l’incubateur Apache, où 15 personnes ont répondu à une demande de la presse en 48 heures… beaucoup d’opinions, mais qui était la « bonne » personne à citer ? Ne laissez pas la presse en décider ! Un autre scénario suprenant comprenait une fête de lancement globale avec des centaines d’invités, des représentants de la presse partout, des DJ, de la musique à fond, des cocktails à flot, et tout ça durerait jusqu’à très tard dans la nuit avec des rumeurs de soirées en after.

Très tôt le matin suivant, la presse a débarqué (oui, bien sûr, j’accepte les appels du Financial Times à quatre heures du matin !). J’ai accepté avec excitation. Cependant, il s’avéra que nous n’avions pas de représentant disponible : le président était dans un avion à destination du Japon, le téléphone portable du directeur était éteint (avec une bonne raison, apparemment) ; les membres du conseil d’administration indisponibles, l’équipe non préparée. Des dizaines d’occasions manquées. Rappelez-vous : quand le communiqué de presse est diffusé, le travail commence tout juste.

Ne soyez pas surpris de le voir affluer de partout

Ils ont tous un avis. Et ils vont probablement vous le donner.

Ne compliquez pas les choses à outrance

Si vous pensez que vous avez trop de choses à dire, c’est probablement le cas. Les facultés d’attention ne sont plus ce qu’elles étaient ; la distraction/l’échec est à portée de clic. Rappelez-vous que vous pouvez toujours travailler par étapes. Décomposez votre histoire si nécessaire. Coupez un long communiqué de presse et utilisez des supports documentaires comme des fiches de description technique et des pages de témoignages à la place. Le principe de segmentation (« cinq plus ou moins deux ») est quelque chose que j’utilise encore et encore. Créez votre propre cycle de publication pour vos messages et renforcez régulièrement votre présence. Créez une FAQ ; si une question mérite d’être posée et n’y est pas, trouvez le moyen de compléter votre message. La répétion engendre la familiarité. Le renforcement progressif de votre appel à l’action est une bonne chose.

N’y touchez plus pendant 24 heures

Parfois, vous avez besoin de prendre du champ. Vous éloigner d’un projet, d’un raisonnement, du travail en général. Accordez-vous une pause et essayez de garder un certain rythme. Prenez une journée pour laisser décanter et vous permettre de souffler. Bien que ce ne soit pas possible dans une entreprise gouvernée par les dates butoir, c’est un but à viser. La course effrénée, les courriels incessants et les tweets en continu déclenchent souvent des réactions à des urgences qui n’existent pas. Laissez le projet de côté, videz-vous la tête et revenez avec des idées claires. Faites un pas de côté et reprenez votre vie en main.

Visez haut

Placez haut la barre et soyez conscient de votre valeur.




À petits pas vers le succès (Libres conseils 32/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

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Les projets trop ambitieux échouent

Jos Poortvliet

Jos Poortvliet travaille en tant que gestionnaire de communauté pour SUSE Linux. Auparavant, il était actif dans la communauté KDE internationale en tant que responsable de l’équipe marketing. Dans sa « vie hors-ligne », il a travaillé dans différentes entreprises en tant que conseiller en stratégie d’entreprise. Il passe son temps libre à expérimenter dans sa cuisine, où il tente de parvenir à quelque chose de comestible.

« Mieux vaut faire beaucoup de petits pas dans la bonne direction qu’un grand bond en avant pour retomber en arrière. » (Vieux proverbe chinois)

Une idée géniale…

Il était une fois, au sein de l’équipe marketing d’un projet de logiciel libre, quelqu’un qui eut une idée géniale pour faire se développer le projet. Un programme serait mis en place pour permettre à des étudiants en informatique de prendre connaissance du projet et de le rejoindre. Des universités seraient contactées et quelqu’un s’adresserait à elles pour susciter leur intérêt. Des ambassadeurs iraient alors dans ces universités pour y donner des cours et encadrer les premiers pas des étudiants dans le monde du logiciel libre. Une fois qu’ils auraient rejoint le projet en ligne, ils seraient encadrés sur des tâches simples et deviendraient finalement des contributeurs chevronnés ! Les universités adoreraient ce programme, bien sûr, et, avec un peu de chance, commenceraient à participer plus activement, en donnant à leurs étudiants du code à écrire pour le projet et bien plus encore.

… qui n’a pas fonctionné…

J’ai vu l’idée développée dans la fiction ci-dessus sous bien des formes dans de nombreuses communautés et projets. C’est une idée géniale et d’un fort potentiel ! Nous savons tous qu’il faut commencer tôt — nos concurrents du logiciel propriétaire sont très bons pour ça. Nous savons également que nous disposons de suffisamment d’arguments pour convaincre les universités et les étudiants de participer — le logiciel libre et open source représente le futur, il offre de très belles possibilités de développement des compétences. Les compétences en programmation ou en administration sous Linux sont davantage demandées que des développeurs Java ou .NET ou que des administrateurs système Windows. Et surtout : c’est plus amusant. Quoi qu’il en soit, si vous allez dans des universités, vous ne verrez pas beaucoup d’affiches vous invitant à rejoindre des projets de logiciels libres. La plupart des professeurs n’en ont jamais entendu parler. Que s’est-il passé ? Permettez-moi de continuer mon histoire.

… pas à cause d’un manque d’efforts…

L’équipe en a discuté longtemps. D’abord en mettant des idées en commun — de nombreuses idées concernant la concrétisation du concept ont fusé. Le responsable de l’équipe les a rassemblées et mises sur le wiki. Un calendrier a été établi avec des échéances et le responsable a réparti les tâches, pour certaines parties. Certains ont commencé à rédiger des supports de cours, d’autres à lister les références des universités. Ils ont régulièrement demandé des suggestions et des idées sur la liste de diffusion et ont reçu beaucoup de réponses proposant d’autres supports de cours, que le responsable a ajoutés à la liste des choses à rédiger. Tout devait être fait pendant le temps libre des volontaires, mais on pouvait toujours compter sur le responsable pour rappeler les échéances aux volontaires.

Après quelques mois, une structure était visible et de nombreuses pages étaient créées sur le wiki.

Entre-temps, néanmoins, le nombre de personnes impliquées depuis la discussion initiale a diminué, passant de plus de 30 à environ cinq qui faisaient encore mine de travailler. Le responsable a décidé de revoir la feuille de route avec des dates butoirs et, après quelques appels lancés sur la liste de diffusion, 10 nouveaux volontaires s’engagèrent à réaliser diverses tâches. Le rythme s’est à nouveau un peu accéléré. Un certain nombre de choses qui avaient déjà été faites ont dû être mises à jour et il y avait d’autres ajustements à faire. Malheureusement, les choses ont continué à s’aggraver et le nombre de personnes impliquées a continué à diminuer. Des sprints mensuels furent mis en place, et ils ont en effet abouti à terminer davantage de choses. Mais il y avait simplement trop à faire. Au bout d’environ un an, les dernières personnes ont jeté l’éponge. Il n’en reste qu’une page wiki obsolète et quelques ressources dépassées…

… mais parce qu’elle était trop ambitieuse

Alors pourquoi ça n’a pas marché ? L’équipe avait pourtant appliqué les meilleures techniques de gestion de projet qu’il est possible de trouver sur le Web : brainstorming, puis mise en place d’un planning avec un échéancier, des objectifs précis ainsi que des responsabilités. Ils ont fait ce qu’il fallait faire sur un projet bénévole : solliciter les personnes, les impliquer, donner la possibilité à chacun d’exprimer son opinion. Ça aurait dû fonctionner !

Ce ne fut pas le cas pour une raison simple : c’était trop ambitieux. C’est une tendance. Des idées géniales reçoivent beaucoup de commentaires, sont inscrites dans de grands plannings qui se terminent en pages wiki incomplètes amenant à une faible implémentation qui finit par s’évanouir dans le néant.

Les responsables doivent admettre que la manière de travailler d’une équipe dans le domaine du logiciel libre et open source n’est pas la même que dans un environnement structuré et dirigé comme peut l’être une entreprise. Les gens ont tendance à être présents lorsque quelque chose d’excitant se produit, comme lors de la sortie d’une version majeure, puis à disparaître jusqu’au prochain gros événement. La création d’une équipe communautaire ne devrait jamais supposer que les gens resteront pleinement impliqués jusqu’à la fin. Il faut prendre en compte le fait qu’ils seront présents pendant un certain temps, puis s’absenteront durant de plus longues périodes avant de revenir. Les arrivées et les départs font qu’il y a beaucoup d’agitation superflue et que le travail avance lentement. Oui, il est possible de diriger des gens, mais il n’est pas possible de les gérer. Dès que vous apprenez à laisser l’aspect gestion de côté, vous pouvez davantage vous concentrer sur les choses à faire dans les plus brefs délais.

Ainsi, au lieu de prévoir les grandes étapes, trouvez quelque chose de plus modeste qui soit réalisable et utile en soi. Non pas une page wiki avec un planning, mais la première étape de ce que vous voulez accomplir. Et ensuite donnez l’impulsion en faisant les choses. Faites le premier brouillon d’un article. Créez la première version d’un dossier. Copiez-collez à partir de n’importe quoi d’existant ou améliorez quelque chose qui existe déjà. Ensuite, présentez le résultat à l’équipe, aussi brouillon qu’il puisse être, et demandez si quelqu’un souhaite l’améliorer. Faites une petite chose et ça fonctionnera.

Ne planifiez pas, agissez…

Comment alors allez-vous réaliser quelque chose d’aussi énorme qu’un programme de recrutement des étudiants avec le concours des universités ? Ne le faites pas ! Du moins, pas directement. Il faut en discuter avec toute l’équipe et le planifier — ça donnera certainement lieu à une discussion sympathique pouvant durer des semaines. Mais ça ne vous mènera pas loin. Gardez plutôt le plan pour vous-même. Sérieusement.

Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faudrait pas en parler — vous le pouvez. Faites part de votre ambitieux projet à tous ceux qui sont intéressés. Et c’est tant mieux s’ils font des propositions. Mais n’en attendez pas trop, ne faites pas de plans au-delà de la première ou des deux premières étapes. Allez plutôt de l’avant, construisez sur ce qui existe déjà. Envoyez le brouillon d’un support de communication fraîchement créé ou amélioré à la liste de diffusion. Demandez à quelqu’un ayant donné un cours sur votre projet de partager son support et améliorez-le un peu. Qui sait, les personnes dont le travail vous sert de base pourraient vous venir en aide ! Les gens avec qui vous avez discuté de votre projet et qui partagent votre vision pourraient également vous aider. De cette façon, vous terminerez souvent quelque chose — un prospectus, un site web amélioré ou une présentation utilisable. Et les gens peuvent, peu à peu, commencer à les utiliser. Des ambassadeurs peuvent se rendre dans leur université et utilisant une des choses que vous avez déjà créées. Pour cela, ils auront certainement besoin de créer des éléments manquants — qui pourront ensuite se retrouver sur le wiki. Et vous progressez.

… et vous aurez votre château en Espagne !

En marketing communautaire, la bonne stratégie ne réside pas dans le wiki. Elle ne dépend pas d’un programme ni d’un planning. Elle n’est pas non plus discutée chaque semaine avec l’équipe complète. Elle fait partie d’une vision qui s’est développée au cours du temps. Elle est portée par quelques personnes-clés qui indiquent le planning à court terme ainsi que les objectifs et elle est partagée par l’équipe. Mais elle n’a pas de date butoir ni de risque d’échouer. Elle est flexible et ne dépend de rien ni de personne en particulier. Et ça restera toujours un château en Espagne…

En conséquence, si vous voulez piloter un effort marketing pour une communauté de logiciel libre, faites en sorte que la vision d’ensemble reste une vision d’ensemble. Ne planifiez pas trop, mais faites en sorte que des choses se réalisent !




S’intégrer au projet par l’action, sans attendre (Libres Conseils 31/42)

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Trouver ses marques dans une équipe de promotion

Stuart Jarvis

Stuart Jarvis a commencé à travailler avec l’équipe de promotion de KDE en 2008 en écrivant des articles pour le site web d’actualités de KDE. Il a appris à la dure comment faire bouger les choses dans une communauté du logiciel libre et participe davantage aux activités de l’équipe de promotion en écrivant les annonces des nouvelles versions de KDE et en rédigeant des articles sur les logiciels KDE dans la presse Linux. Il siège maintenant dans le groupe de travail marketing de KDE, contribue à définir la ligne de conduite pour la promotion de KDE et les activités marketing et aide les nouveaux contributeurs à trouver leurs marques. Il fait maintenant aussi partie de l’équipe éditoriale de KDE.News, là où il a commencé à participer.

« C’est celui qui code qui décide » est le mantra du développement dans le logiciel libre. Mais que faire quand il n’y a pas de code ?

Rejoindre l’équipe de promotion et de marketing de votre projet de logiciel libre préféré représente un défi particulier. Pour les nouveaux codeurs, la plupart des projets ont des systèmes de révision du code, des mainteneurs et des pré-versions du logiciel qui les aident à mettre en évidence les erreurs dans le code, ce qui rend moins effrayante la contribution à leur premier correctif.

La promotion peut nécessiter que votre travail soit visible par le public, après une relecture minimale, parfois immédiatement. La nature non-hiérarchisée des communautés de logiciel libre implique qu’il y a rarement une unique personne vers qui vous pouvez vous tourner et qui pourra vous dire si vos idées sont bonnes et prendre des responsabilités à votre place.

Obtenir un consensus versus obtenir des résultats

J’ai d’abord commencé à contribuer à KDE en écrivant des articles pour le site d’actus officiel, KDE.News. J’avais déjà écrit pour des organes de presse, mais j’avais toujours affaire à une personne bien identifiée à qui j’envoyais un brouillon pour avoir un retour et faire les corrections demandées. Dans l’équipe de promotion de KDE, il n’y avait pas une seule personne ou un seul groupe de personnes pour assumer cette tâche. Je devais essayer, juger aux réponses que j’avais sur les brouillons d’articles et décider si j’avais tous les retours dont j’avais besoin et si l’article était prêt pour une publication.

Avec les conseils de contributeurs plus expérimentés, j’ai finalement appris à proposer quelque chose et à le publier en quelques jours s’il n’y avait pas d’objection majeure. Cette approche peut être utilisée par n’importe quel contributeur d’une équipe de promotion de logiciel libre, qu’il soit nouveau ou ancien.

Tout d’abord, travaillez sur la façon dont vous feriez quelque chose, que ce soit écrire un article, changer le texte d’un site web ou donner une conférence dans votre école locale. Planifiez, écrivez l’article ou le nouveau texte. Envoyez vos idées, pour relecture, sur la liste de diffusion de l’équipe de promotion de votre organisation. Surtout, ne demandez pas aux gens ce qu’ils en pensent — vous pourriez attendre des jours ou des semaines sans obtenir de réponse définitive. Signalez plutôt que vous allez publier ou soumettre votre texte, ou mettre en œuvre votre programme à telle date précise, en attendant les objections d’ici là.

Lorsque vous soumettez une date limite, pensez au temps nécessaire à chaque membre actif de l’équipe pour lire ses messages et évaluer votre proposition. Vingt-quatre heures est un minimum absolu pour un simple oui ou non en réponse à une question fermée. Lorsqu’il s’agit de quelque chose nécessitant une lecture ou une recherche, vous devriez envisager un délai de réponse de plusieurs jours.

Si la date limite que vous fixez ne rencontre pas une forte opposition, vous pouvez avancer. S’il existe de gros problèmes par rapport à votre projet, quelqu’un vous le dira. Les choses se font, en réalité. Vous ne serez pas frustré par un manque de progrès et vous aurez la réputation de mener à bien les tâches.

Finalement, c’est vous qui décidez

Les communautés du logiciel libre peuvent facilement devenir des groupes de discussion. Tout le monde a son opinion. Si vous n’êtes pas prudent, les discussions peuvent s’éterniser, s’évanouir au fur et à mesure que les personnes s’en désintéressent et finir sans conclusion convaincante. Cela peut paraître assez difficile à gérer lorsque vous faites partie de la communauté depuis quelque temps : vous avez l’habitude de prendre vos propres décisions et d’avoir votre propre idée sur ceux dont les avis vous importent. Quand vous débutez, cela peut être très déroutant.

Si vous voulez que votre propre travail aboutisse, vous allez probablement devoir faire des choix entre des points de vue opposés. Vous pouvez mettre un terme au débat en donnant un résumé des points principaux et en donnant votre opinion sur ces points. Essayez de ne pas laisser de questions ouvertes en suspens, à moins que vous ne souhaitiez un débat plus long — donnez simplement vos conclusions et dites ce que vous allez faire. Dès lors que vous êtes correct, les autres personnes respecteront probablement votre avis, même si elles ne sont pas d’accord.

Soyez proactif – n’attendez pas qu’on vous demande

Le premier contact avec l’équipe de promotion que vous voulez rejoindre peut très bien être l’envoi d’un courriel sur leur liste de diffusion leur offrant vos compétences. Je pensais pouvoir énumérer mes points forts et espérer que les gens me suggéreraient des choses à faire. En pratique, ça ne fonctionne pas tout à fait comme ça.

La plupart des communautés manquent de volontaires et ont vraiment besoin de vos compétences. Mais comme elles manquent de volontaires, elles peuvent aussi manquer de temps pour donner de bons conseils et encadrer. Si vous voulez travailler sur une partie spécifique du projet, dites-le. Il est beaucoup plus facile pour quelqu’un du projet de dire simplement « Vas-y ! » plutôt que d’essayer d’arriver avec un projet qui correspond à vos compétences.

Même quand vous avez travaillé sur quelques projets et prouvé vos compétences, il y a peu de chances que vous soyez contacté directement pour une tâche. Ceux qui coordonnent l’équipe marketing ne connaîtront pas votre situation personnelle et peuvent donc être mal à l’aise à l’idée de vous demander quelque chose de particulier sur votre temps libre, gratuitement. Une communauté idéale va poster régulièrement — que ce soit sur une liste de diffusion ou une page web — les tâches que des volontaires peuvent prendre en charge. Si ce n’est pas le cas, trouvez vous-même des choses à faire et prévenez la liste de diffusion que vous êtes en train de les faire. Les gens vont le remarquer et cela augmente les chances que vous soyez directement contacté dans le futur.

Si vous êtes proactif, vous pouvez rapidement vous rendre compte que vous êtes l’une des personnes expérimentées de la communauté vers qui les nouveaux venus se tourneront pour avoir des conseils ou du travail à réaliser. Essayez de vous souvenir comment c’était quand vous avez commencé et faites en sorte de faciliter au maximum leur vie de nouveau contributeur.




Coordonner les flux de contributions (Libres Conseils 30/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

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Au confluent de l’amont et de l’aval

Vincent Untz

Vincent Untz est un activiste passionné du logiciel libre, un amoureux partisan de GNOME, ainsi qu’un élément moteur d’openSUSE. Il a été responsable des versions de GNOME de 2008 à 2011, jusqu’à la sortie de GNOME 3.0 ; il a été directeur exécutif de la fondation GNOME (2006-2010) et il dirige l’équipe GNOME chez openSUSE. Quoi qu’il en soit, il trouve plus simple de se décrire comme un « touche-à-tout » (NdT : en français dans le texte) et il travaille dans divers services (certains diraient au petit bonheur la chance) du bureau pour aider openSUSE à rester extraordinaire. Vincent continue à faire du forcing pour que le français soit la langue officielle de GNOME et espère bien réussir bientôt. Sinon, il aime la crème glacée.

Il y a bien longtemps, dans une chambre, la nuit…

J’étais en train de jeter un dernier coup d’œil sur une liste de bogues pour voir si je n’avais pas oublié de fusionner un correctif. Je m’étais bien assuré d’écrire ce que je pensais être une entrée NOUVEAUTÉS au sujet de la nouvelle version. J’ai entré make distcheck (NdT : commande GNU permettant de créer un paquet et de le tester automatiquement dans un répertoire différent de celui de développement pour démarrer le processus de diffusion) et je regardais la console afficher des centaines de lignes. Une archive avait été créée, et j’ai à nouveau vérifié que l’archive se construisait correctement. J’ai vérifié, encore et encore : j’étais inquiet. D’une certaine manière, je ne faisais pas totalement confiance à la commande make distcheck. Après avoir tout vérifié plusieurs fois, j’ai envoyé l’archive sur le serveur et expédié un courriel d’annonce.

J’avais réussi à le faire : j’avais sorti ma première archive d’un logiciel sur le développement dont j’étais récemment devenu co-responsable. Et j’ai certainement pensé : « Ah, maintenant les utilisateurs vont pouvoir apprécier un bon truc ! ». Mais à peine quelques secondes après le chargement de mon archive, quelques personnes l’ont téléchargée et ont rendu ma version réellement accessible aux utilisateurs.

C’est une chose que je tenais pour acquise, car je pensais que c’était une tâche banale. J’avais tort.

Amont et aval

De nombreuses personnes participent au processus d’acheminement du logiciel. Et cet effort se répartit généralement entre deux groupes de personnes d’égale importance dans la manière dont fonctionne le logiciel libre aujourd’hui.

En amont : c’est le groupe qui crée le logiciel. Il inclut évidemment les programmeurs mais, en fonction du projet, d’autres catégories de contributeurs sont également essentielles : designers, traducteurs, rédacteurs de documentation, testeurs, trieurs de bogues, etc. En général, l’amont se charge seulement de livrer le code source sous forme d’archive.

En aval : c’est le groupe responsable de la distribution du logiciel aux utilisateurs. Tout comme en amont, les contributeurs ont une gamme de profils très variée et travaillent à la traduction, la documentation, les tests, le triage de bogues, etc. Il y a cependant un profil qui, jusqu’à présent, est spécifique au travail en aval : le packager, qui prépare le logiciel afin de le rendre disponible sous forme de paquet, un format mieux adapté à un usage facile que le seul code source.

Chose intéressante, les utilisateurs ont plutôt bien l’intuition de cette séparation également, bien que nous n’en soyons pas conscients : nous supposons souvent que les développeurs de logiciels sont inaccessibles et nous envoyons plutôt nos retours et demandes d’aide aux distributeurs.

Pour éclairer cette séparation entre amont et aval, une analogie parlante et classique est celle du circuit des biens de consommation, avec les magasins de détail (« l’aval ») qui distribuent des produits manufacturés (« l’amont ») et jouent un rôle important pour les clients (« les utilisateurs »).

Un regard plus attentif sur l’aval

Si je devais résumer le rôle de l’aval en une phrase, voici comment je le décrirais :

L’aval est le pont entre les utilisateurs et l’amont.

Lorsque j’ai sorti ma première archive en amont, je supposais que, pour l’aval, le travail consisterait principalement à compiler la source pour construire un paquet avec, et rien d’autre. Construire un paquet est effectivement la première étape. Mais c’est seulement le début du voyage vers l’aval : différentes tâches viennent ensuite. Certaines sont purement techniques tandis que d’autres sont sociales. Je vais me contenter de décrire très brièvement ce voyage ici, de manière non-exhaustive, puisque ça pourrait faire l’objet d’un chapitre entier de ce livre (1).

La construction du paquet proprement dit peut se révéler moins triviale que prévu. Il n’est pas rare qu’un packager rencontre des problèmes qui étaient inconnus de l’amont. Comme lorsqu’une nouvelle version du compilateur est utilisée (avec de nouvelles erreurs), qu’une bibliothèque spécifique a d’abord besoin d’être mise à jour (parce que l’archive utilise de nouvelles interfaces de programmation) ou bien que le système de compilation de l’archive est conçu pour une certaine façon de fonctionner (qui ne suit pas les directives de la distribution cible). Ce qui est encore plus méconnu par beaucoup est le fait que tous ces problèmes peuvent également se produire après que l’archive a déjà été empaquetée, comme lors de la migration d’une distribution entière vers un nouveau compilateur ou bien une nouvelle chaîne de compilation. Aucun de ces problèmes techniques n’est vraiment compliqué à résoudre en lui-même, et l’amont est souvent content de contribuer à la solution. Mais sans l’aval, ces problèmes pourraient ne pas être remarqués par l’amont avant un long moment.

Ce qui selon moi est plus important que ces défis techniques, c’est que l’aval est généralement en contact avec davantage d’utilisateurs que l’amont. Cela se traduit par des rapports de bogue, des demandes de support, des requêtes de changement de la configuration par défaut ou bien d’autres choses encore. C’est là que la foule en aval donne la mesure éclatante de sa force : au lieu de simplement transférer ça en amont, l’aval va travailler sur les retours des utilisateurs afin de ne renvoyer que des synthèses qui seront utilisables en amont. Bien souvent, les rapports de bogue sont soumis avec trop peu d’informations sur le problème (auquel cas l’aval demandera plus de détails). Souvent, les demandes de support sont issues d’une incompréhension du côté de l’utilisateur (ce que l’aval peut, parfois, traduire par une suggestion visant à modifier le programme afin d’éviter cette incompréhension). Souvent, de nouveaux paramètres par défaut sont suggérés sans réflexion suffisante (l’aval travaillant alors avec les utilisateurs pour voir si le raisonnement est valide). À partir de cette énorme quantité de données, l’aval produira un ensemble d’informations plus compact que l’amont sera en mesure de digérer facilement. Ce qui amènera à des améliorations sur le logiciel.

Il existe généralement deux récompenses pour les contributeurs en aval : les contributions directes et indirectes vers le projet en amont grâce aux efforts effectués par l’aval sont suffisantes pour beaucoup. Mais plus important encore, le contact direct avec davantage d’utilisateurs amène à recueillir la satisfaction qu’ils expriment. Et une situation aussi gratifiante rend facilement heureux beaucoup de gens.

Une petite note au passage : lorsqu’on considère la quantité de travail fournie en aval, je ne serais pas surpris qu’au bout du compte, beaucoup de contributeurs en amont soient bien contents d’avoir des gens agissant comme intermédiaires : cela diminue significativement la quantité de retours tout en améliorant leur qualité (en évitant les commentaires en double, les problèmes non documentés, etc.). Cela permet à ceux qui travaillent en amont de rester focalisés sur le développement lui-même, au lieu de les obliger à soit trier les retours, soit les ignorer.

Rien qu’en regardant mon expérience en amont, je ne compte plus le nombre de correctifs que j’ai reçus de l’aval pour résoudre des problèmes de compilation. Je me rappelle aussi d’innombrables discussions que j’ai eues à propos des bogues qui affectaient le plus les utilisateurs et qui m’ont permis de prioriser mon travail. De fait, depuis que j’ai rejoint les équipes en aval, j’ai commencé à faire remonter des correctifs proches de ceux liés à des problèmes de compilation à l’amont et à discuter avec ma base en aval pour transmettre des retours d’expérience d’utilisateurs. Une telle collaboration amont-aval participe à l’amélioration de la qualité générale de notre écosystème du logiciel libre et je la considère comme essentielle à notre bonne santé.

Remonter de l’aval vers l’amont !

Je crois fermement que, pour qu’un projet réussisse, il faut qu’il y ait une forte collaboration amont-aval. Je doute que beaucoup désapprouvent. Cependant, par « aval », les gens pensent généralement au travail fait dans les distributions. Mais, particulièrement pour les applications, il devient de plus en plus viable de pousser ce travail fait en aval en dehors des distributions et de tirer parti d’un tel mouvement vers l’amont.

Des outils comme l’Open Build Service (NdT : distribution open source dédiée à la compilation de paquets pour diverses distributions GNU/Linux) permettent plus facilement d’avoir des personnes qui compilent et distribuent des paquets d’une application pour plusieurs distributions. Cela présente des avantages à la fois pour les utilisateurs (qui peuvent profiter plus rapidement et plus facilement des mises à jour de leurs applications préférées) et pour l’amont (qui peut aider à construire une relation plus forte avec sa base d’utilisateurs). Le seul défi qu’un tel mouvement représente est le besoin perpétuel d’avoir quelqu’un qui s’occupe de l’empaquetage, mais aussi qui gère des retours plus nombreux des utilisateurs. Dans les faits, il y a toujours besoin de quelqu’un pour faire le travail de l’aval, sauf qu’il serait fait au sein de la branche amont.

Pour moi, cela semble une perspective excitante et j’irais même plus loin en suggérant que nous, la communauté du logiciel libre, devrions migrer lentement le travail d’aval fait sur les distributions vers un travail d’aval fait directement, aussi souvent que possible, en amont. C’est souvent possible, au moins pour les applications. Cela requiert évidemment de penser différemment. Mais ça permettrait de partager un travail qui, actuellement, est le plus souvent dupliqué sur toutes les différentes branches en aval.

Pour ceux qui souhaitent actuellement commencer à contribuer aux applications qu’ils apprécient, ce travail sur les paquets en amont est une toute nouvelle approche qui pourrait vraiment être une réussite !

J’ai essayé, je suis resté. Pourquoi pas vous ?

L’aval a toujours été essentiel à ma vie en tant qu’utilisateur de logiciels libres — après tout, seules quelques personnes installent manuellement leur système à partir de zéro et je n’en fais pas partie. Cependant, c’est aussi devenu un atout pour moi en tant que développeur en amont, étant donné que j’ai commencé à prendre plus de temps pour discuter avec des personnes en aval afin d’obtenir plus de retours sur les bogues, les fonctionnalités, la qualité générale et même les directions futures du logiciel sur lequel je travaillais.

C’est seulement lorsque j’ai commencé à être moi-même en aval que j’ai compris que cette position est en effet privilégiée afin de conseiller en amont, grâce au contact direct avec les utilisateurs et la perspective différente que l’on retient de cette position différente.

Sans l’aval, nous ne serions pas là où nous sommes aujourd’hui. Si vous souhaitez avoir un impact significatif, soyez persuadé qu’en participant en aval et en discutant avec l’amont, vous réussirez.

Et vous y prendrez du plaisir.

(1) Note de l’auteur : Il est bon de mentionner que je ne crois pas que l’aval devrait modifier significativement le logiciel mis à disposition par l’amont. Certains, en aval, le font tout de même et cela s’ajoute à leur charge de travail.




Préparer un logiciel à sa diffusion (Libres conseils 29/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : merlin8282, Sphinx, Julius22, goofy, lerouge, lamessen, Asta, peupleLà, okram

Packager : la voie royale du logiciel libre

Thorn May

Thom May est développeur Debian et membre émérite de la fondation Apache. Il a été parmi les premiers à être engagés chez Canonical, l’entreprise mère d’Ubuntu. Il vit aujourd’hui à Londres et dirige l’unité de développement chez MacMillan Digital Science.

Introduction

Ça fait plus de dix ans que j’ai débuté dans le monde du logiciel libre. J’avais utilisé Debian pendant quelques années à l’université et décidé que je voulais donner quelque chose en retour. J’ai donc commencé un long voyage à travers les étapes permettant de devenir un « nouveau responsable Debian » sans avoir jamais vraiment contribué au logiciel libre auparavant et inquiet qu’un manque d’expérience en C pourrait se révéler être un gros problème.

Il s’avéra que cette inquiétude était largement infondée. En commençant à travailler avec des paquets que j’utilisais régulièrement, j’ai pu contribuer efficacement. En même temps que mon expérience avec la myriade d’outils et de systèmes que Debian fournit à ses mainteneurs s’accroissait, je devenais plus efficace pour gérer mon temps et j’étais capable de travailler sur un ensemble de paquets plus étendu.

M’occuper de davantage de paquets m’amena à travailler avec un ensemble plus important de systèmes de compilation, de langages de programmation et de boîtes à outils. Cela m’aida également à m’intégrer à la communauté Debian. Aussi rugueuse et dogmatique soit-elle, le fait que la communauté Debian repose sur des mainteneurs doués et expérimentés est l’une des raisons principales pour lesquelles Debian a maintenu son excellence technique sur une si longue période.

À peu près à ce moment, le projet Apache httpd approchait enfin des premières versions bêta de httpd 2.0 qui était restée des années en chantier et était sur le point de subir une mise à jour majeure. L’équipe Apache de Debian avait été plutôt inactive depuis quelques temps — les paquets de la version 1.3 étaient stables et changeaient peu — et n’avait pas prévu d’empaqueter la version 2.0. J’avais un intérêt majeur à garantir que les paquets httpd étaient bien maintenus. Je travaillais comme administrateur système en charge de nombreux serveurs web Apache, il tombait donc sous le sens que je devais relever le défi de la production de paquets pour la nouvelle version.

Avec un ami, nous avons commencé le travail sur les paquets et nous avons rapidement découvert que, alors que le code approchait le niveau de qualité d’une bêta toute fraîche, l’outillage autour de la compilation et de la personnalisation de httpd était hélas manquants, ce qui est assez représentatif de bien des projets logiciels complexes.

Au cours de la majeure partie de l’année — alors que les développeurs en amont stabilisaient leur code et qu’un nombre croissant d’utilisateurs précoces commençaient à tester et à déployer la nouvelle version — nous avons travaillé dur pour garantir que le système de compilation soit suffisamment flexible et robuste pour satisfaire aux rigoureux prérequis de la politique de Debian. Nous devions non seulement garantir que nos paquets étaient techniquement corrects, mais également nous assurer que notre relation avec les développeurs en amont nous permettait de leur faire remonter des correctifs dès que possible, de les avertir dès que des problèmes de sécurité faisaient surface et de leur transmettre les tests préliminaires des versions candidates.

Mes interactions avec Apache pendant l’empaquetage et la maintenance de httpd 2.0 m’ont amené à m’engager en amont du projet, ce qui signifiait que je pouvais directement contribuer au code. C’est, en général, la dernière étape avant de passer de l’empaquetage d’un logiciel à son développement actif à destination d’un public plus large que celui de votre distribution. À titre personnel, cette reconnaissance m’a donné la confiance pour contribuer à bien plus de projets libres puisque je savais que mon code était de qualité suffisante pour être bien accueilli.

L’évolution, du packager au développeur

Comment est-ce arrivé ? La création de paquets, dans sa forme la plus simple, permet d’assurer qu’un projet logiciel donné se conforme à la politique de la distribution ; dans mon cas, Debian. De manière générale, cela signifie configurer le logiciel au moment de la compilation afin qu’il soit installé dans les répertoires idoines spécifiés par le Filesystem Hierarchy Standard, ou FHS (NdT : Norme de la hiérarchie des systèmes de fichiers), que les dépendances aux autres paquets soient correctement spécifiées et que les logiciels fonctionnent normalement sur la distribution.

La création de paquets complexes peut nécessiter la division d’un projet en amont en de multiples paquets. Par exemple, les bibliothèques et les fichiers d’en-tête permettant à l’utilisateur de compiler le logiciel avec leur bibliothèque sont fournis dans des paquets distincts, et des fichiers dépendant de la plate-forme peuvent être fournis séparément de ceux qui en sont indépendants. S’assurer que le logiciel en amont se déploie correctement dans ces situations nécessitera souvent des changements dans le code. Ces changements sont la première étape vers un travail actif sur un projet, plutôt que le travail parfois passif de création de paquet.

Une fois que votre paquet est disponible dans la distribution, il est exposé à des millions d’utilisateurs potentiels. Ces utilisateurs vont sans aucun doute exécuter votre logiciel selon des pratiques que ni vous, en tant que packager, ni vos développeurs en amont n’aviez prévues. Sans surprise, avoir de nombreux utilisateurs implique l’arrivée de nombreux rapports de bogue. Debian, comme la plupart des distributions, encourage ses utilisateurs à lui soumettre directement les rapports de bogue plutôt qu’à chacun des projets individuels en amont. Ceci permet aux mainteneurs de trier les rapports de bogue et d’assurer que les modifications effectuées lors du processus de création de paquet ne sont pas la cause du problème rapporté. Souvent, il peut y avoir un grand nombre d’interactions entre le rapporteur du problème et le mainteneur du paquet avant que les développeurs en amont ne soient impliqués.

Au fur et à mesure que le mainteneur du paquet accroît sa connaissance du projet, il sera en mesure de résoudre directement la plupart des problèmes. Le mainteneur publiera souvent des correctifs de bogue directement dans Debian tout en les faisant remonter en amont, permettant ainsi à la fois une résolution rapide des problèmes et de nombreux tests de correctifs. Une fois qu’un correctif est validé, le mainteneur travaillera alors avec le projet amont pour s’assurer que les changements requis y ont bien lieu, de manière à ce qu’ils soient disponibles aux autres utilisateurs du logiciel.

Fournir des correctifs de bogue réussis pour des distributions telles que Debian relève souvent d’une forme complexe d’art. Debian fonctionne sur de nombreuses plates-formes, allant des gros serveurs IBM aux smartphones, et la gamme ainsi que la largeur de ces plates-formes révèlent rapidement les approximations dans le code. L’empaqueteur a, la plupart du temps, un accès plus aisé à une gamme de plates-formes plus étendue que les développeurs en amont et constitue, de ce fait, le premier point d’appel quand un problème épineux de portage apparaît. On apprend rapidement à reconnaître les symptômes d’une approximation de la taille d’un pointeur, les problèmes avec les endianness et bien d’autres problèmes ésotériques ; cette expérience permet de devenir un programmeur à la fois plus polyvalent et plus prudent.

Lorsqu’un paquet reçoit des corrections de bogues et des améliorations, il est essentiel que ces changements remontent en amont. Trop souvent, la différence entre un paquet et le logiciel définitif en amont peut s’accroître énormément, avec pour conséquence que les deux bases de code deviennent presque entièrement distinctes. Non seulement, cela alourdit la tâche de la maintenance des deux côtés, mais cela peut aussi créer une immense frustration et faire perdre beaucoup de temps en amont dans le cas où un utilisateur de votre paquet rapporte un bogue lié à l’un des changements dans la version empaquetée en amont. Il est en conséquence vital que s’établissent une relation de travail étroite avec la branche amont et une compréhension de la meilleure façon de collaborer entre les deux parties.

La collaboration entre les développeurs et le packager peut prendre bien des formes. Que ce soit trouver la bonne voie pour communiquer les rapports de bogue, s’assurer de l’utilisation du bon style de codage, du même usage du système de contrôle de version ou des interactions qui provoquent le moins de frictions possible. Tout ceci amène une bien meilleure relation avec l’amont et accroît grandement la probabilité que ceux qui y travaillent prendront le temps de vous aider quand vous en aurez besoin.

Une fois que la relation de travail entre l’amont et vous est établie, il devient facile de contribuer plus directement en amont. Ceci peut également se faire de bien des façons différentes. Les premières étapes, simples, peuvent impliquer la synchronisation de n’importe quel rapport de bogue en amont avec ceux de votre distribution, afin d’être sûr que ce double effort impacte la cause primaire et résolve des bogues. Une implication plus directe consiste à développer des fonctionnalités et à changer plus largement que ce qui serait acceptable dans le cadre d’une version empaquetée.

Conclusion

Je pense que les deux choses essentielles que j’aurais aimé connaître lorsque j’ai commencé sont le sens de la communauté que le logiciel libre fait naître et la merveilleuse voie que le packaging de logiciel libre ouvre vers le plus vaste monde du logiciel libre

La communauté est essentielle au succès du logiciel libre. Elle se présente sous différentes formes, de la multitude d’utilisateurs souhaitant investir du temps dans l’amélioration de votre logiciel, jusqu’aux pairs d’une distribution ou d’un projet logiciel, qui investissent leur temps et leur énergie à affûter vos compétences et à s’assurer que vos contributions sont aussi bonnes que possible.

La voie qui part du packaging pour aller vers le développement est l’une des plus empruntées. Elle présente une courbe d’apprentissage moins raide qu’aborder directement le développement et permet d’acquérir des compétences à un rythme moins soutenu qu’en suivant d’autres chemins.




Passer de l’exercice scolaire à la maintenance des paquets (Libres conseils 28/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : satanas_g, Sphinx, Sky, Julius22, peupleLà, lamessen, goofy

Du débutant au professionnel

Jonathan Riddell

Jonathan Riddell est développeur KDE et Kubuntu, actuellement employé par Canonical. Quand il n’est pas devant un ordinateur, il fait du canoë sur les rivières d’Écosse.

Il y avait un bogue dans le code. Un bien méchant en plus : un plantage sans enregistrement des données. C’est bien là le problème dès qu’on regarde le code, on trouve des trucs à réparer. C’est facile de s’impliquer dans le logiciel libre ; le plus dur est d’en sortir. Après le premier bogue réparé, il y en a d’autres, et de plus en plus, tous à portée de main. Les corrections de bogues mènent à l’ajout de fonctionnalités, ce qui mène à la maintenance de projet, ce qui mène à faire fonctionner une communauté.

Tout a commencé en lisant Slashdot, cette masse d’actualité geek et technique peu filtrée avec des commentaires de quiconque peut recharger assez vite pour être en haut de liste. Chaque actualité était intéressante et excitante, apportait un éclairage nouveau sur le monde de la technologie qui finissait par me fasciner. Je n’avais plus à accepter ce qui m’était donné par de grandes entreprises de logiciels, je pouvais voir là, dans la communauté du logiciel libre, le code se développer devant moi.

En tant qu’étudiant, il était possible de finir les exercices donnés par les professeurs très rapidement. Mais les exercices ne sont pas des programmes terminés. Je voulais savoir comment appliquer les compétences basiques qu’ils m’avaient données dans le monde réel en écrivant des programmes résolvant des problèmes réels pour les gens. J’ai donc recherché du code, qui n’était pas difficile à trouver, il se trouvait là, sur Internet, en fait. En regardant le code des programmes que j’utilisais de plus près, j’y ai décelé de la beauté. Non pas parce que le code était parfaitement soigné ou bien structuré, mais parce que je pouvais le comprendre avec les concepts que j’avais déjà appris. Ces classes, méthodes et variables étaient bien en place, me permettant de résoudre les problèmes pertinents. Le logiciel libre est le meilleur moyen de franchir le pas entre savoir comment finir ses exercices de cours et comprendre comment de vrais programmes sont écrits.

Tous les étudiants en informatique devraient travailler sur du logiciel libre comme sujet de leur mémoire. Sinon, vous avez de grandes chances d’y passer six mois à un an pour qu’il finisse au sous-sol d’une bibliothèque sans être jamais plus consulté. Seul le logiciel libre permet d’exceller en faisant ce qui va de soi : vouloir apprendre comment résoudre des problèmes intéressants. À la fin de mon projet, des programmeurs de la NASA utilisaient mon outil de création de diagrammes en UML (NdT : langage de modélisation unifié) et il reçut des prix au cours de réceptions somptueuses. Avec le logiciel libre, on peut résoudre de vrais problèmes pour de vrais utilisateurs.

La communauté des développeurs est remplie de personnes formidables, passionnées et dévouées à leur travail, sans espoir autre de récompense qu’un programme d’ordinateur couronné de succès. La communauté des utilisateurs est également incroyable. Il est satisfaisant de savoir qu’on a aidé quelqu’un à résoudre un problème. Et j’apprécie les messages de remerciement que je reçois.

Après avoir écrit un logiciel utile, il faut le mettre à la disposition du plus grand nombre. Le code source ne va pas fonctionner pour la plupart des gens, il doit être compilé. Avant d’être impliqué, je trouvais que le fait de compiler était une manière un peu paresseuse de contribuer au logiciel libre. Vous vous attirez la plus grande partie de la reconnaissance sans rien avoir à coder. C’est, quelque part, quelque chose d’injuste. De même, la gestion de la communauté nécessaire pour porter un projet de logiciel libre peut aussi être vue comme une façon de s’attirer la reconnaissance sans faire de code.

Les utilisateurs dépendent beaucoup des packagers (NdT : les « empaqueteurs » qui préparent et maintiennent les paquets logiciels). Il est nécessaire que leur travail soit à la fois rapide, pour satisfaire ceux qui veulent la dernière version, et fiable, pour ceux qui veulent la stabilité (autant dire tout le monde). La partie la plus délicate, c’est que cela implique de travailler avec les logiciels des autres, qui sont toujours « cassés ». Une fois que le logiciel est lâché dans la nature, commencent à emerger des problèmes qui n’étaient pas repérables sur l’ordinateur de l’auteur. Il est possible que le code ne puisse pas être compilé avec une version de compilateur différente, peut-être que la licence n’est pas claire et ne permet pas de le copier, peut-être que la gestion des versions est incohérente et qu’une mise à jour mineure est incompatible, ou encore que la taille de l’écran est différente, les environnements de bureau peuvent aussi l’affecter, quelquefois, des bibliothèques tierces nécessaires ne sont pas encore à jour. De nos jours, le logiciel doit pouvoir tourner sur différentes architectures. Les processeurs 64 bits ont occasionné pas mal de problèmes quand ils sont devenus courants. Aujourd’hui, ce sont les processeurs ARM qui déjouent les calculs des codeurs. Les packagers doivent régler tous ces problèmes pour donner aux utilisateurs quelque chose qui fonctionne de façon fiable.

Nous avons une règle chez Ubuntu selon laquelle les paquets avec des tests unitaires doivent inclure ces mêmes tests dans le processus de la création des paquets. Souvent, ils échouent et l’auteur du logiciel nous dit que les tests sont uniquement à son usage. Malheureusement, quand il s’agit de logiciel, il n’est jamais assez fiable de le tester soi-même, il doit aussi être testé par d’autres. Un test unique est rarement suffisant, il faut une approche à plusieurs niveaux. Les tests unitaires du programme original devraient être le point de départ, ensuite, le packager les teste sur son propre ordinateur, il faut ensuite que d’autres personnes les testent aussi. L’installation automatique et les tests de mise à jour peuvent être scriptés assez correctement sur les services d’informatique dans le nuage. L’envoyer dans la branche de développement d’une distribution permet d’effectuer plus de tests avant de le voir distribué en masse quelques mois après. À chaque étape, des problèmes peuvent être et seront découverts, ils devront être corrigés, puis ces correctifs eux-mêmes devront être testés. Il n’y a donc pas forcément à écrire beaucoup de code, mais il y a pas mal de travail pour passer le logiciel de 95 % à 100 % prêt. Ces 5 % sont la partie la plus difficile, un lent et délicat processus qui demande une grande attention pendant tout son cours.

Vous ne pouvez pas faire de paquets sans une bonne communication avec les développeurs en amont. Quand des bogues se produisent, il est vital de pouvoir trouver la bonne personne à laquelle parler rapidement. Il est important d’apprendre à bien les connaître comme des amis et des collègues. Les conférences sont vitales pour cela, car rencontrer quelqu’un apporte beaucoup plus de contexte à un message sur une liste de diffusion qu’une année entière de messages.

Une des faces cachées du monde du logiciel libre réside dans la communication par les canaux IRC privés utilisés par les principaux membres d’un projet. Tous les grands projets en ont. Quelque part, Linus Torvalds a un moyen de discuter avec Andrew Morton et les autres sur ce qui est bon et sur ce qui est mauvais dans Linux. Ils sont plus sociaux que techniques et, quand on en abuse, ils peuvent être très antisociaux pour la communauté en général. Mais pour les moments où on a besoin d’un canal de communication rapide sans bruit parasite, ils fonctionnent bien.

Tenir un blog est un autre moyen de communication important dans la communauté du logiciel libre. C’est notre principale méthode pour promouvoir à la fois le logiciel que nous produisons et nous-mêmes. Non pas que ce soit utilisé éhontément pour de l’auto-promotion (il est inutile de prétendre que vous sauverez des vies avec votre blog…), mais parler de votre travail sur le logiciel libre aide à construire une communauté. Cela peut même vous valoir de trouver un travail ou d’être reconnu dans la rue.

Ces histoires venant de Slashdot, à propos de développements de nouvelles technologies, ne concernent pas des personnalités éloignées que vous ne rencontrerez jamais comme dans la presse people. Elles concernent des personnes qui ont trouvé un problème et qui l’ont résolu en utilisant l’ordinateur qu’elles avaient en face d’elles. Pendant quelques années, j’ai édité le site d’informations de KDE, trouvant les personnes qui résolvaient des problèmes, créaient des idées novatrices, s’acharnaient longuement à améliorer un logiciel jusqu’à ce qu’il soit d’une qualité suffisante, et j’en parlais au monde entier. Je n’ai jamais été à court d’histoires à raconter ni de personnes à présenter à tout le monde.

Mon dernier conseil est de conserver de la diversité. Il existe une telle richesse de projets intéressants à explorer, qui vous permettent d’apprendre et de progresser. Mais une fois que vous avez atteint une position de responsabilité, il peut être tentant d’y rester. Après avoir aidé à créer une communauté pour Kubuntu, je repars temporairement vers un travail sur Bazaar, un projet très différent, orienté sur les développeurs plutôt que sur des utilisateurs novices en technologies. Je peux à nouveau apprendre comment le code devient une réalité utile, comment une communauté communique, comment la qualité est maintenue. Ce sera un défi amusant et j’ai hâte de m’y attaquer.




Et si l’ignorance était enrichissante ? (Libres conseils 27/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framablog : Sphinx, purplepsycho, Cyrille L.lamessen

Ce que je suis contente de ne pas avoir su

Alexandra Leisse

Alexendra Leisse a quitté une scène pour en rejoindre une autre. Elle a transformé son autre passion (les logiciels et le Web) en un métier. Après une période de transition de douze mois en freelance dans le logiciel et l’opéra — et noyée par de nombreuses heures d’activités dédiées à KDE, elle a rejoint Nokia et le développement de la plateforme Qt en tant que gestionnaire de la communauté Web. C’est la femme derrière le réseau de développement Qt et les activités de sa communauté sur la toile. Bien qu’elle soit diplômée en art lyrique, elle refuse la plupart du temps de chanter en public.

Introduction

Quand Lydia m’a demandé de rejoindre son projet de livre sous-titré « les choses que j’aurais voulu savoir », mon esprit est resté vide. Les choses que j’aurais voulu savoir mais que je ne savais pas ? Rien ne me venait à l’esprit.

Je ne dis pas que je n’aie pas eu besoin de savoir quoi que ce soit, au contraire. J’ai eu beaucoup à apprendre et j’ai fait un nombre incalculable d’erreurs. Mais les situations ou les erreurs que j’aurais voulu éviter ? Je n’arrive pas à y penser.

Nous avons tous cette fâcheuse tendance à regarder les choses que nous pourrions mieux faire, les choses que nous ne savons pas, et nous les voyons comme des faiblesses. Mais que dire des faiblesses qui sont des atouts ?

Voici ma propre histoire sur l’ignorance, la naïveté, les mauvaises impressions et comme je suis heureuse de ne pas en avoir eu la moindre idée.

Les noms

Je n’avais aucune idée de qui était ce gars que j’avais rencontré lors de mon premier jour de travail. Il est entré dans la pièce, s’est présenté et a commencé à poser des questions me donnant l’impression que tout ce que je penserais serait insensé. Il était apparemment bien renseigné sur ce que je faisais sur KDE et les personnes que je côtoyais. Cependant, nos points de vue sur le sujet semblaient différents. À un moment, ses provocations ont fini par me fatiguer et j’ai perdu patience. Je lui ai alors dit qu’avec les personnes, ce n’était pas toujours aussi facile que les ingénieurs l’imaginent.

Juste après son départ après une heure de discussion, j’ai cherché son nom sur Google : Matthias Ettrich. Ce que j’ai lu m’a expliqué pourquoi il avait posé ces questions. Si j’avais su avant qu’il était un des fondateurs du projet KDE, j’aurais débattu avec lui d’une manière bien différente, voire pas du tout.

Ces dernières années, j’ai dû chercher quelques noms et à chaque fois, j’ai été heureuse de le faire après le premier contact.

C’est probablement mon idée la plus importante. Lorsque j’ai rencontré toutes ces personnalités du Libre et de l’open source pour la première fois, je n’avais jamais entendu leurs noms auparavant. Je ne savais rien de leurs histoires, mérites ou échecs. J’ai approché tout le monde de la même façon : le contact visuel. En étant ignorante (ou naïve selon certains), je ne me sentais pas inférieure par rapport aux personnes que je rencontrais lorsque j’ai commencé mon aventure au sein du Libre et de l’open source. Je savais que j’avais beaucoup à apprendre mais je n’ai jamais eu l’impression d’avoir un rang inférieur aux autres en tant qu’individu.

« Projet de grande envergure »

Je n’avais pas suivi religieusement dot.kde.org ni PlanetKDE et encore moins ces innombrables publications liées au Libre et à l’open source, avant de commencer à m’intéresser à ce qui se passait sur les listes de diffusion KDE. Je voyais ces canaux avant tout comme moyen de communiquer avec un public choisi, principalement des utilisateurs et des contributeurs du projet en tant que tel.

Pendant un certain temps, je n’avais pas conscience que les articles que je publiais sur The Dot pourraient être repris par des journalistes. Je m’appliquais à les écrire parce que je voulais faire du bon boulot et non pas parce que j’avais peur de passer pour folle auprès du reste du monde. La liste de presse était maintenue par d’autres personnes et ce que j’écrivais ne me paraissait pas important non plus. Je voulais toucher certaines personnes. Pour cela les canaux officiels et mon propre blog me semblaient être les moyens les plus efficaces.

Être citée sur ReadWriteWeb après avoir annoncé sur mon blog que je commencerai un nouveau boulot fut un choc pour moi. Non pas parce que j’ignorais que des gens lisaient ce que j’écrivais (j’espérais bien qu’ils le lisent !) mais je ne m’attendais pas à ce que ça soit un sujet d’une telle importance. Ce n’était même pas pendant les vacances d’été. Encore heureux que personne ne me l’ait dit, je n’aurais pas été capable de publier ne serait-ce qu’une seule ligne.

L’œil étranger

Il y a quelque temps, quand j’ai assisté à ma première conférence, j’avais la ferme conviction que j’étais différente des autres participants. je me voyais comme une étrangère parce que je n’avais pas grand-chose en commun avec qui que ce soit à part un vague intérêt pour la technologie : je travaillais en freelance depuis quelques années déjà, après mon diplôme universitaire ; je n’avais aucune éducation pertinente dans le domaine, et j’étais mère d’un enfant de 10 ans. Sur le papier en tout cas, il ne pouvait pas y avoir plus éloignée des suspects habituels qu’on rencontre dans les projets FOSS.

En 2008 j’ai assisté à un sprint (NdT : phase de développement, généralement perçue comme intense, aboutissant à un produit fonctionnel) KOffice au sein de l’équipe promotion et marketing de KDE pour préparer la sortie de la version 2.0. L’idée initiale était d’esquisser une série d’activités promotionnelles autour de cette sortie afin de développer à la fois le support développeur et utilisateur. Pour celui-ci, nous étions trois à suivre un chemin parallèle à celui concernant les développeurs.

Nous avons essayé de comprendre comment nous pourrions positionner KOffice et adapter la communication au public ciblé. Très tôt dans le processus, nous avons découvert que nous devions faire marche arrière : à ce stade, le manque de maturité de la suite rendait impossible son positionnement comme option pour les utilisateurs non avertis. Nous devions nous en tenir aux développeurs et aux précurseurs. C’était difficile à vendre à certains développeurs, mais en tant qu’étrangers nous avions la chance de regarder le logiciel sans penser à tout le sang, la sueur et les larmes versés dans le code.

Pour beaucoup de projets, de n’importe quelle sorte, jeter un œil objectif à la situation donne du fil à retordre aux contributeurs principaux. Nous avons tendance à ne pas voir les grands succès quand nous sommes très concentrés sur des problèmes de détails et réciproquement. Parfois, nous manquons une occasion parce que nous pensons que ça n’a rien à voir avec ce que nous faisons (ou, pour commencer, parce que personne ne voudrait que ça ait quelque chose à voir).

Dans tous ces cas, les contributeurs extérieurs au projet ont le potentiel pour apporter des points de vue différents à la discussion, particulièrement quand il s’agit de déterminer un ordre de priorité. C’est encore plus utile quand ce ne sont pas des développeurs : ils poseront différentes questions, sans ressentir de pression face à la connaissance et à la compréhension de tous les détails techniques ; ils peuvent aussi aider pour les décisions ou la communication sur un plan moins technique.

Conclusion

L’ignorance est une bénédiction. Ce n’est pas seulement vrai pour les individus qui profitent de l’insouciance qui en résulte mais aussi pour les projets que ces individus rejoignent. Ils apportent différents points de vues et expériences.

Et maintenant, filez et trouvez vous-même un projet qui vous intéresse, indépendamment de ce que vous pensez savoir.




Prendre du champ (Libres conseils 26/42)

Chaque jeudi à 21h, rendez-vous sur le framapad de traduction, le travail collaboratif sera ensuite publié ici même.

Traduction Framalang : Lycoris, grosfarmerlin8282, Sky, Julius22, _noskill, Nyx, lenod, KoS, lerouge, alexb, Ex0artefact, name?, SaSha_01, peupleLàlamessen

Prendre de la distance pour atteindre l’excellence

Jono Bacon

Jono Bacon est gestionnaire de communauté, directeur technique, consultant et auteur. Il travaille actuellement comme gestionnaire de la communauté Ubuntu chez Canonical. Il dirige une équipe afin de faire croître, de stimuler et d’enthousiasmer l’ensemble de la communauté Ubuntu. Il est l’auteur d’Art of Community, le fondateur du Community Leadership Summit et le cofondateur du populaire podcast LugRadio.

Jono Bacon au tableau blanc

La première fois que j’ai entendu parler de Linux et d’open source remonte à 1998. La technologie était alors horriblement compliquée et il fallait fournir de gros efforts pour obtenir un système qui tourne correctement ; pourtant, le concept d’une communauté collaborative globale me subjugua. À l’époque, je ne possédais aucune connaissance, mes compétences techniques étaient limitées et j’avais des boutons.

J’étais un adolescent typique : tourmenté, cheveux longs, T-shirt Iron Maiden. Mon chemin était déjà tout tracé, au sens le plus traditionnel ; j’irais à l’école, puis au lycée, puis à l’université, puis je trouverais un travail.

Quatorze ans plus tard, le chemin que j’ai finalement suivi n’a rien de conventionnel. Cette fascination personnelle envers le communautaire m’a conduit partout dans le monde et m’a lancé des défis captivants. C’est intéressant de prendre du recul et d’analyser cette période. Enfin, ça pourrait être intéressant pour moi… Vous préférerez peut-être passer au chapitre suivant…

… Toujours avec moi ? OK, allons-y.

La science contre l’art

J’ai toujours cru que la gestion d’une communauté était moins une science qu’un art. Je définis la science comme l’exploration de méthodes permettant de reproduire des phénomènes à travers des étapes établies et clairement comprises. Dans le monde de la science, si vous connaissez la théorie et la recette pour un résultat donné, vous pouvez souvent reproduire ce résultat comme tout un chacun.

L’art est différent. Il n’y a pas de recette pour produire une chanson populaire, pour créer une peinture exceptionnelle ou pour sculpter une statue magnifique. De même, il n’y a pas vraiment d’ensemble d’étapes reproductibles pour créer une communauté prospère. Bien sûr, il y a des astuces et des techniques pour parvenir à réunir certaines composantes du succès, mais c’est la même chose pour les autres formes d’art : nous pouvons tous apprendre les notes et les accords d’une guitare, mais cela ne veut pas dire que nous allons écrire la prochaine Bohemian Rhapsody. La formule qui donne naissance à un titre comme Bohemian Rhapsody, c’est une dose de compétence acquise et une dose de magie.

Je ne suggère cependant pas que la gestion de communauté soit une forme d’art désespérément branchée et introvertie que seuls quelques bienheureux élus très talentueux peuvent accomplir. Ce dont je me plains est qu’il n’y ait pas de manuel sur la façon de créer une communauté magnifique et enthousiasmante ; il s’agit toujours d’une dose d’apprentissage et d’une dose de magie mais la part de magie ne vous sera pas insufflée par la grâce des dieux ; il vous faudra plutôt la chercher en essayant de nouvelles voies, en restant à l’écoute des retours et en évaluant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

C’est plutôt frustrant car cela veut dire que cette « magie » ne s’obtient pas en suivant une recette unique. Mais il reste la possibilité de partager les compétences acquises, comme j’ai cherché à le faire avec The Art of Community 1 et la conférence annuelle Community Leadership Summit 2.  

Avant de commencer mon introspection, et pour ceux que ma carrière n’ennuie pas mortellement, je vais résumer rapidement les communautés avec lesquelles j’ai travaillé afin de poser le contexte. En bref, j’ai commencé dans mes jeunes années chevelues par la création de l’un des premiers sites web communautaires britanniques sur Linux, appellé Linux UK, et j’ai intégré la communauté des Groupes d’utilisateurs de Linux (Gul). Je me suis ensuite lancé dans la création de mon propre Gul à Wolverhampton, au Royaume-Uni, et j’ai fondé le projet Infopoint pour encourager les Gul à prêcher Linux sur les salons informatiques du Royaume-Uni. J’ai ensuite poursuivi en contribuant à la communauté KDE et en fondant le site KDE::Enterprise ; j’ai établi le KDE Usability Study et contribué de-ci, de-là à diverses petites applications. J’ai ensuite fondé le groupe d’utilisateurs PHP des West Midlands. J’ai aussi commencé à m’intéresser à GNOME. J’ai développé quelques applications (GNOME iRiver, XAMPP Control panel, Lernid, Acire) et également participé à la conception et un peu au code d’une nouvelle application audio simplifiée appelée Jokosher. C’est à peu près à cette époque que j’ai co-fondé le podcast LugRadio qui fonctionna pendant quatre ans avec plus de deux millions de téléchargements, ce qui a entraîné la mise en place de cinq événements en direct au Royaume-Uni et aux États-Unis. À cette époque, j’ai également commencé à travailler comme consultant open source pour l’initiative publique OpenAdvantage. Là, j’ai vraiment eu l’occasion de me faire les dents sur le communautaire en aidant des organisations à travers tout les West Midlands à passer à l’open source. Après quelques années passées chez OpenAdvantage, je suis parti rejoindre Canonical comme gestionnaire de la communauté Ubuntu où j’ai mis en place une équipe de quatre personnes. Ensemble, nous nous investissons dans des projets très variés chez Ubuntu et Canonical. Vous êtes toujours là ?

Ouah, vous êtes tenace. Ou assommé d’ennui. Probablement assommé. Il y aura interro à la fin, ça vous apprendra…

Réfléchir

Ceci m’amène donc à l’objet de cet article : la curieuse question de savoir ce que je me dirais si je savais ce que je sais aujourd’hui. À ce jour, je pense que ce que j’ai appris au cours de ma carrière peut se diviser en deux grosses catégories :

Pratique — les trucs et astuces du métier, par exemple, les différentes approches des moyens de communication, les différentes façons d’utiliser la technologie, la gestion du temps, les différentes approches de la gestion de projet, etc.

Personnel — les leçons de vie et apprentissages qui modifient l’approche que nous avons de notre monde.

Je ne vais pas m’étendre sur la catégorie pratique — vous devriez lire mon livre si vous souhaitez en savoir plus sur ce sujet (le livre couvre aussi l’aspect personnel). Aujourd’hui, je vais plutôt m’intéresser aux leçons de vie. Les approches et les pratiques changeront toujours, mais les leçons que l’on en tire ne changent pas tant que ça : elles évoluent plutôt au fur et à mesure que votre sagesse grandit.

L’importance des convictions

Les communautés sont fondamentalement des réseaux de personnes poussées par leurs convictions. Chaque communauté possède son propre état d’esprit et un domaine d’expertise propre. Cela peut être une idée aussi grandiose que de rassembler l’intégralité des savoirs de l’humanité, changer la face du monde avec le logiciel libre ou, plus simplement, animer un « club » pour que les gens puissent échanger autour de leurs livres préférés. Que ce soit pour changer le monde ou simplement pour s’amuser, chaque communauté fait valoir son propre système de valeurs ; l’humble club de lecture accorde beaucoup de valeur au fait de fournir un environnement amusant, sécurisé et libre afin de pouvoir partager des avis et des conseils de lecture. Cela ne change pas le monde, mais cela reste toujours une bonne chose à laquelle n’importe qui peut se rallier.

La règle, souvent tacite, d’une communauté est que chaque contribution d’un membre de la communauté doit bénéficier à l’ensemble de celle-ci. C’est pourquoi il est amusant d’écrire un correctif pour un bogue d’un logiciel libre, de contribuer à la documentation ou d’organiser un événement gratuit. Mais il est rare que quiconque veuille contribuer de façon bénévole si sa contribution ne bénéficie qu’à une seule personne ou entreprise.

Bien sûr, je suis certain que vous tous, enfoirés cyniques que vous êtes, allez chercher et trouver une exception. Mais souvenez-vous que cette décision est profondément personnelle : les membres de la communauté décident par eux-mêmes si leur contribution doit bénéficier à tous. Par exemple, certains vont arguer que n’importe quelle contribution à Mono va seulement bénéficier à Microsoft et à l’ubiquité de leur infrastructure .NET. Mais des centaines de contributeurs participent à Mono parce qu’ils ne le voient pas de cette manière : ils voient leurs contributions comme un moyen utile et amusant de permettre aux développeurs d’écrire des logiciels libres plus facilement.

Si je devais parler au Jono de 1998, j’insisterais sur l’importance de cette conviction. J’avais alors une intuition à ce propos, mais je ne compte plus les exemples qui m’ont prouvé depuis que cette conviction incite réellement les gens à participer. J’ai souvent parlé de l’histoire du gamin d’Afrique qui m’a envoyé un courriel pour me dire qu’il devait marcher trois heures aller-retour jusqu’au cybercafé le plus proche pour contribuer à Ubuntu. Il le faisait car il était convaincu par notre mission d’apporter le logiciel libre aux masses. On pourrait aussi citer l’énorme croissance de Wikipédia, l’incroyable réunion de la communauté GNOME autour de GNOME 3, le succès d’OpenStreetMap et bien d’autres exemples.

Ceci dit, la conviction n’est pas juste un artifice pour les relations publiques. Il faut qu’elle soit réelle. Bien que nous ayons tous des convictions différentes — certains ont des convictions sur le logiciel, sur l’éducation, sur le savoir, sur la transparence ou sur n’importe quoi d’autre — vous ne pouvez pas fabriquer un système de convictions à moins qu’il n’ait un but valide, auquel un groupe puisse s’intéresser. Certes, il peut être obscur, mais il doit être réel. Avec le succès du mouvement open source, nous avons vu des exemples d’entreprises qui tentaient de jouer cette approche et ce registre sémantique autour de la conviction, mais dans le but de servir leurs propres besoins. Je pourrais essayer de vous faire adhérer à cette idée : « Travaillons tous ensemble pour aider Jono à devenir riche » et fabriquer de toutes pièces quelques sophismes pour justifier de cette acte de foi (par exemple, si j’étais riche, je pourrais me concentrer sur d’autres travaux, au bénéfice d’autres communautés ; mes enfants seraient élevés et éduqués dans de bien meilleures conditions, ce qui profiterait à tout le monde), mais ce serait n’importe quoi.

En tant que telle, la conviction est un puissant moteur pour la contribution comme pour la collaboration, mais il est important de l’utiliser de manière équilibrée et de l’associer au respect. Alors qu’elle peut déclencher d’incroyables changements, elle peut être terriblement dévastatrice (comme c’est le cas avec certains prédicateurs à la TV qui utilisent la religion comme un moyen de vous soustraire de l’argent, ou encore les faux médiums qui utilisent la lecture à froid et s’accrochent à votre besoin désespéré de croire que vous pouvez à nouveau vous connecter à un être cher disparu).

Votre rôle

Aujourd’hui, les gestionnaires de communauté ont un rôle intéressant. Par le passé, j’avais parlé de deux types de gestionnaires de communauté ; ceux qui sortent, font des conférences et s’agitent en parlant d’un produit ou d’un service et ceux qui travaillent avec une communauté de volontaires pour les aider à connaître une expérience collaborative, productive et amusante. Le second type m’intéresse plus — je pense que c’est ce que fait un vrai gestionnaire de communauté. Le premier de ces positionnements est tout à fait sympa et respectable mais cela convient mieux dans le domaine de la promotion et des relations publiques et cela nécessite d’autres compétences. J’ai quelques conseils que je pense être assez intéressants pour être partagés.

La première et probablement la plus importante des leçons est d’accepter que vous pouvez et allez parfois avoir tort. Jusqu’ici, dans ma carrière, j’ai fait certaines choses correctement et j’ai commis des erreurs. Bien que je croie être généralement sur le bon chemin et que l’essentiel de mon travail soit couronné de succès, il y a eu quelques flops ici ou là. Ces loupés, accidents et faux pas n’ont jamais été dus à de la malveillance ou de la négligence ; ils ont plutôt été causés par une sous-estimation de la difficulté de mon objectif.

Ça a l’air assez évident, mais ça l’est moins quand vous avez une fonction relativement publique. En gros, les gestionnaires de communautés sont souvents vus comme les représentants d’une communauté donnée. Par exemple, je sais qu’à titre personnel, on me considère comme l’une des figures publiques d’Ubuntu et cette responsabilité, s’accompagne d’une certaine pression publique quant à la manière dont les gens vous perçoivent.

Avoir les projecteurs braqués sur soi en se retrouvant à la tête d’une communauté déclenche chez certains un mécanisme défensif. Ils reculent à l’idée de faire des erreurs en public, comme si les masses dans leurs bavardages s’attendaient à une prestation parfaite. C’est dangereux, et on a déjà vu, par le passé, des personnages publics qui ne reconnaissent jamais avoir fait une erreur par crainte d’être ridicules en public. Non seulement, c’est une idée fausse (nous faisons tous des erreurs), mais cela ne donne pas non plus à la communauté un bon exemple de chef de file honnête et transparent tant dans les choses qu’ils font bien que dans celles qu’ils font moins bien. Il est important de se rappeler que nous gagnons souvent le respect d’autrui par leur acceptation de nos erreurs : c’est la caractéristique d’un individu honnête et accompli.

Je me rappelle mes débuts en tant que responsable chez Canonical. À l’époque, Colin Watson et Scott James Remnant, deux vieux briscards des tous débuts de Canonical et d’Ubuntu, faisaient aussi partie des responsables de l’équipe d’ingénierie d’Ubuntu. Nous avions des réunions hebdomadaires avec notre directeur technique, Matt Zimmerman, et j’y entendais régulièrement Colin et Scott avouer ouvertement qu’ils étaient mauvais dans ceci ou avaient fait une erreur dans cela ; ils étaient étonnamment humbles et acceptaient leurs forces et leurs faiblesses. En tant que responsable débutant, je l’ouvrais moins souvent, mais cela m’a appris que ce genre d’ouverture d’esprit et d’honnêteté est important non seulement en tant que responsable, mais en tant que leader d’une communauté. Depuis, je n’hésite plus à admettre publiquement mes erreurs ou à m’excuser si je foire quelque chose.

Écouter

De même qu’être ouvert aux erreurs est primordial, il est tout aussi important d’être à l’écoute et d’apprendre de ses pairs. Dans de nombreux cas, nos communautés perçoivent les responsables et les leaders de communauté comme des personnes qui devraient toujours fournir des orientations et des directions, mener activement le projet et réaliser ses objectifs. C’est sans aucun doute une responsabilité. Mais tout autant qu’être la voix qui montre la voie, il est important de prêter l’oreille pour écouter, guider quand c’est opportun et apprendre de nouvelles leçons et idées.

Les membres de nos communautés ne sont pas juste des mécaniques froides et insensibles qui font leur travail. Ce sont des humains qui vivent, respirent, ont des opinions, des sentiments et des idées. J’ai vu de nombreux exemples — et j’en ai déjà moi-même provoqué —, de ces situations où quelqu’un est tellement habitué à donner des instructions et des conseils qu’il oublie parfois de simplement s’asseoir, écouter et apprendre de l’expérience de quelqu’un d’autre. Toute industrie possède ses maîtres-à-penser et ses experts… des gens célèbres et reconnus pour leur sagesse. Mais, d’après mon expérience, certaines des leçons de vie les plus révolutionnaires que j’ai apprises sont venues de membres tout à fait anonymes, ordinaires. Savoir écouter les gens n’est pas seulement important pour nous aider à apprendre et à nous améliorer dans ce que nous faisons, c’est également essentiel pour gagner le respect et avoir de bonnes relations avec sa communauté.

Temps de travail contre temps libre

Pendant que je parle de la façon dont nous collaborons avec notre communité, il y a un autre résultat de mon expérience que je n’ai vraiment assimilé qu’assez récemment. Comme beaucoup de gens, de nombreux centres d’intérêts remplissent mes journées. À part être marié et essayer d’être le meilleur mari possible, et à part mon travail quotidien en tant que gestionnaire de la communauté d’Ubuntu, je participe aussi à des projets tels que Severed Fifth, le Community Leadership Summit et quelques autres choses. Comme on pourrait s’y attendre, je consacre mes journées à mon travail rémunéré : au boulot, je ne passe pas de temps à travailler sur ces autres projets. Et, comme on pourrait s’y attendre, lorsque ma journée de travail se termine, je me mets à travailler sur ces autres projets. La leçon qu’il faut retenir ici, c’est qu’il n’est pas toujours clair pour votre communauté de savoir où tracer les limites.

Au fil des années, j’ai développé toute une série de services en ligne que j’utilise tant dans mon travail qu’à titre personnel. Mes comptes Twitter, identi.ca et Facebook, mon blog et d’autres ressources sont les endroits où je parle de ce que je fais. Le problème est que si l’on tient compte de leur caractère public, du fait que je suis un représentant officiel du projet Ubuntu et de tous les fuseaux horaires autour du globe, même Einstein aurait du mal à faire la différence entre ce que j’écris en tant que Jono et ce que j’écris pour le compte de Canonical.

Ce qui a pu causer de la confusion. Par exemple, malgré mes clarifications répétées, OpenRespect n’est pas et n’a jamais été une initiative de Canonical. Bien sûr, quelques idiots ont choisi d’ignorer mes explications à ce sujet mais je comprends néanmoins comment la confusion a pu arriver. La même chose s’est produite pour d’autres projets tels que Severed Fifth, The Art of Community et le Community Leadership Summit, qui ne font pas et n’ont jamais fait partie de mon travail chez Canonical.

C’est une leçon pour moi car j’ai moi-même partagé un moment, cette vision des choses et disais : « Évidemment que c’est activité de loisirs, j’ai posté ça à 20 h. » tout en haussant les épaules à propos de la confusion entre travail et projets personnels. Quand votre travail vous met dans une position relativement publique, vous ne pouvez pas vous offrir le luxe de voir les choses comme ça. Au contraire, vous devez considérer que les gens vont avoir tendance à faire la confusion et que vous allez devoir travailler plus dur pour bien clarifier les choses.

Ne voyagez pas trop

À propos du travail pour une société qui vous a recruté pour être à la tête d’une communauté, vous devriez toujours avoir conscience des risques comme des bénéfices des voyages. C’est une chose que j’ai apprise assez tôt dans ma carrière chez Canonical. Je voyais toujours les mêmes têtes dans les conférences, et il était évident que ces personnes avaient très bien communiqué sur les bénéfices des voyages auprès de leurs employeurs, tout comme je l’avais fait, sauf que j’en ai aussi appris les dangers.

Je voyageais et ce n’était pas seulement un travail fatigant et épuisant psychologiquement, mais j’étais aussi plus loin de mes courriels, moins présent sur IRC, j’étais dans l’impossibilité d’assister à de nombreuses réunions et j’avais moins de temps à consacrer à mes engagements professionnels. Ainsi, mon rôle était principalement devenu de sortir et d’aller assister à des événements et, même si c’était amusant, cela ne rendait pas autant service à ma communauté qu’il l’aurait fallu. Aussi ai-je drastiquement réduit mes déplacements — pour tout dire, je suis allé au Linux Collab Summit il y a quelques jours, et hormis quelques événements d’Ubuntu auxquels je devais assister, je n’ai assisté à aucune conférence depuis près d’un an. J’ai l’impression à présent d’être allé un peu trop loin dans l’autre direction. Tout est donc une question d’équilibre. Mais j’ai aussi le sentiment de mieux servir ma communauté quand je peux prendre le temps d’être au bureau et d’être en ligne et disponible.

La planification

Pour certains, être à la tête d’une communauté, ou simplement l’animer, est un rôle qui tient moins de la structure pré-établie que du fait d’être réactif. À mes débuts, c’est également ce que je pensais. Bien qu’il n’y ait absolument aucun doute sur la nécessité de se montrer réactif et de pouvoir répondre aux choses qui se présentent, il est également essentiel de planifier suffisamment son travail sur une période donnée.

Cette planification devrait être effectuée de manière ouverte quand c’est possible et remplit plusieurs objectifs :

Partager la feuille de route — ça aide la communauté à comprendre sur quoi vous travaillez et lui offre souvent des opportunités de vous aider.

Apporter des garanties — ça prouve qu’un responsable de communauté fait quelque chose. Votre communauté peut constater votre travail effectif à l’œuvre. C’est très important puisque la majeure partie du travail d’un responsable de communauté s’effectue souvent sans que la communauté au sens large en ait connaissance (par exemple, avoir une conversation en tête à tête avec un des membres de la communauté). Et ce manque de visibilité peut parfois générer des inquiétudes sur le fait que peu de choses se produisent dans des domaines-clé alors qu’en fait, beaucoup de choses se produisent en coulisses.

Communiquer les progrès vers le haut et vers le bas de l’organisation — c’est pertinent si vous travaillez dans une entreprise. Avoir établi de bons processus de planification montre votre travail effectif à votre hiérarchie ; ça rassure votre équipe sur le fait que vous saurez toujours sur quoi travailler et ça donne beaucoup de valeur ajoutée à la communauté.

Au fil des années, j’ai attaché de plus en plus d’importance à la planification. Mais je garde suffisamment de temps et de flexibilité pour rester réactif. Quand j’ai débuté comme gestionnaire de la communauté Ubuntu, mon planning était plutôt personnel et je le gérais au coup par coup : je prenais le pouls de la communauté et je consacrais temps et moyens à m’occuper des domaines que je jugeais adéquats.

À présent, je répartis les objectifs dans un ensemble de projets qui couvrent chacun un cycle d’Ubuntu, je rassemble des informations avec les parties prenantes, je compose une feuille de route, je fais le suivi du travail dans des schémas directeurs. J’estime également les progrès effectués en utilisant toute une gamme d’outils et de processus tels que mon diagramme des tâches réalisées, des réunions régulières et d’autres encore. Bien que la méthode actuelle nécessite plus de planification, elle est d’une aide significative en termes de bénéfices sur les points cités ci-dessus.

Perception et conflit

Dans le monde de la gestion et de la gouvernance de communautés, j’entends souvent s’exprimer l’avis selon lequel tout serait affaire de perception. En règle générale, quand j’entends ça, c’est en réponse à quelqu’un qui se trouve du mauvais côté du bâton, le plus souvent au cours d’une période de conflit.

Bien sûr, la perception joue un rôle important dans nos vies, c’est vrai ; mais ce qui peut alimenter des perceptions erronées ou inadéquates, c’est le manque d’information, de mauvaises informations et, dans certains cas, des tensions et des tempéraments échauffés. Cela peut être une des tâches les plus complexes pour celui qui est à la tête de la communauté. Et j’en suis ressorti en tirant quelques leçons dans ce domaine également.

Les communautés sont des groupes de personnes et, dans chaque groupe, on trouve souvent des rôles stéréotypés dans lesquels les gens se glissent. On y trouve, en général, quelqu’un que l’on considère comme une rockstar ou un héros, quelqu’un de compréhensif pour les préoccupations et les soucis et qui prêtera son épaule pour pleurer, quelqu’un qui a son franc-parler et souvent quelqu’un qui est… disons… intentionnellement pénible. Les héros, les oreilles compatissantes et les grandes gueules ne posent pas particulièrement de problèmes, mais les personnes qui créent délibérément des difficultés peuvent être pénibles ; lorsqu’il devient carrément difficile de gérer une personne, cela peut provoquer des tensions avec les autres membres et amener du conflit dans une communauté qui, sinon, est heureuse. Il faut étouffer ce genre de problèmes dans l’œuf.

Une partie du défi, ici, c’est que les gens sont des gens, que les groupes sont des groupes et qu’il n’est pas rare qu’une personne (ou un petit nombre de personnes) se fasse connaître et soit critiquée derrière son dos et passe pour quelqu’un avec qui il est difficile de travailler. En plus de cela, la plupart des gens n’ont pas envie d’être impliqués dans un quelconque conflit et, du coup, la personne dont on se plaint ne peut pas toujours se rendre compte de la façon dont les gens la perçoivent, étant donné que personne ne veut la confronter à ce sujet. Il en résulte une des situations les plus dangereuses pour les membres d’une communauté — une réputation se propage, sans même que la personne concernée ne s’en rende compte. Et du coup, puisqu’elle ne le sait pas, elle n’a jamais l’occasion de changer de comportement. C’est une situation plutôt inconfortable.

Une réponse habituelle à cette conclusion consiste à dire : « ils sont si difficiles à gérer qu’essayer de les raisonner c’est peine perdue, de toute façon ». Même si cela se produit certainement de temps à autres, ne supposez pas trop vite que ce sera l’issue ; j’ai quelquefois eu la désagréable expérience de sentir que je devais faire savoir à certaines personnes, la réputation qu’elles avaient développée. Et, dans la plupart des cas, cela a été une réelle surprise pour elles. Et elles ont quasiment toutes modifié leur comportement après ce retour.

Sur un sujet lié, bien que ça n’est pas si courant dans la routine quotidienne d’un leader de communauté, un conflit va souvent se pointer ici ou là. Je voudrais juste partager deux éléments à ce propos.

La première chose, c’est de comprendre comment les conflits naissent. Pour expliquer cela, permettez-moi de vous raconter une anecdote. La semaine dernière, un de mes amis est venu en avion dans la baie de San Fransisco pour une conférence. Il est arrivé le soir, je suis donc allé le chercher à l’aéroport et nous sommes allés au pub pour discuter des dernières nouvelles. Là-bas, il commença à me raconter à quel point il était déçu d’Obama et de son administration. Il a cité des exemples : la réforme de la sécurité sociale, la réforme de Wall Street, les droits du numérique et d’autres choses. Ce qui l’embêtait n’était pas la politique menée en elle-même, mais il trouvait qu’Obama n’en faisait pas assez. Ma vision des choses était légèrement différente.

Je ne suis ni Démocrate, ni Républicain ; je prends ma décision sur chaque problème, sans m’aligner sur l’une ou l’autre des parties. Là où je diffère de mon ami, cependant, c’est que je suis un peu plus favorable à Obama et son travail quotidien. C’est parce que je crois que lui, et que n’importe qui dans un poste en relation avec le public — qu’il soit internationalement reconnu comme le président ou qu’il soit obscur et spécifique comme un gestionnaire de communauté — a conscience que l’histoire lue et comprise par le public est souvent un simple fragment de l’histoire complète. Il y a eu des cas, par le passé, où quelque chose de controversé a démarré dans les communautés auxquelles j’appartenais. De nombreux commentateurs et spectateurs n’avaient pas l’entière connaissance des faits, soit parce qu’ils n’avaient pas compris les nuances et les détails du sujet, soit parce que certains éléments de l’histoire n’avaient pas été partagés.

Bon, je sais ce que vous allez dire — , quoi, certains éléments n’avaient pas été partagés !? Il vaudrait mieux être transparent, n’est-ce pas ? Bien sûr que c’est nécessaire. Et nous devrions toujours nous attacher à être ouverts et honnêtes. Mais il y a des cas où il serait inapproprié de partager certaines parties de l’histoire. Cela pourrait être en raison de fragments de conversations privées avec des gens qui ne souhaitent pas partager leurs commentaires ou tout simplement faire son boulot bien comme il faut sans éclabousser les réputations. Par exemple, j’ai toujours eu comme pratique de ne pas faire de coups bas à des concurrents, peu importe la situation. Par le passé, il y a eu des comportements critiquables de la part de certains concurrents dans les coulisses. Mais je ne vais pas me mettre à salir leurs réputations car cela n’aurait pas vraiment d’intérêt. Je dois cependant accepter que des critiques de la communauté peuvent ne pas connaître toute la situation avec toutes les magouilles ayant eu lieu dans les coulisses.

Enfin, à propos de conflits, je crois que j’ai appris une vraie leçon de vie au sujet de l’approche idéale à propos des critiques et des issues heureuses. Bien que les billets de blogs aient eu un impact très positif sur la manière dont les gens peuvent exposer leur pensée et partager leurs opinions et visions des choses, ils présentent une facette bien plus sombre. Les blogs sont aussi devenus un moyen d’exprimer parfois un peu trop rapidement des opinions excessivement zélées. Malheureusement, j’ai un exemple plutôt embarrassant de quelqu’un qui est tombé dans ce piège : c’est votre serviteur.

Pour commencer, quelques éléments de contexte. Il existait une entreprise appelée Lindows qui distribuait une version de Linux qui présentait beaucoup de similarités visuelles et fonctionnelles avec Windows. Microsoft voulout interdire l’emploi du nom « Lindows » et une bataille s’engagea pour changer le nom. D’abord, Lindows résista. Mais après que la pression eut monté, l’entreprise se rebaptisa Linspire.

Maintenant, le problème. Je prends la liberté de l’expliquer dans les termes de l’article lui-même :

Il y a peu de temps, un type nommé Andrew Betts a décidé de retirer les éléments non-libres de Linspire et de publier les parties libres dans une distribution dérivée de Linspire qu’il a appelée Freespire. Le fait de rediffuser des distributions ou du code n’a certainement rien de nouveau et s’inscrit parfaitement dans la culture de l’open source. À vrai dire, bien des distributions que nous utilisons aujourd’hui ont été dérivées d’outils existants.

Malheureusement, Linspire a considéré que c’était un problème et a demandé à Freespire de changer de nom. En lisant l’annonce du changement, son langage et son style, j’ai l’impression que tout ça pue le pur marketing. Loin de moi l’idée d’insinuer que Betts a été contraint d’écrire cette page ou que les drones marketing de Linspire l’ont écrite et annexée en son nom, mais cela ne me semble pas sonner très juste. Je me serais attendu à trouver des lignes du style « Le nom de Freespire a été changé pour Squiggle afin d’éviter toute confusion avec le produit Linspire. », mais ce n’est pas le cas. Au lieu de cela, on a droit à des morceaux choisis de marketing comme « Afin de prévenir toute confusion, j’ai contacté Linspire qui m’a fait une offre extrêmement généreuse pour nous tous. » La vache ! Quelle peut bien être cette offre-exclusive-qu’on-ne-rencontre-qu’une-fois-dans-sa-vie-et-qu’on-ne-trouve-pas-dans-les-magasins ? Fort heureusement, il poursuit : « Ils souhaitent que tous ceux qui ont suivi mon projet puissent faire l’expérience du vrai Linspire, ET GRATUITEMENT !!! ». Maintenant, dites-nous, je vous prie, comment nous pouvons obtenir cette vraie version du logiciel « ET GRATUITEMENT » ?

« Pour une période limitée de temps, ils mettent à disposition un code de réduction dénommé FREESPIRE qui vous donnera une copie numérique gratuite de Linspire ! Veuillez visiter http://linspire.com/ pour les détails. » Ho… merci.

Dans un billet de mon blog, J’ai décoché à Linspire un bon coup de genou dans les bijoux de famille. J’ai raconté l’histoire, protesté contre ce que je considérais comme de l’hypocrisie considérant leur propre bataille dans des histoires similaires de marques déposées, et j’ai fulminé. J’aurais aimé que Guitar Hero existe à cette époque, cela aurait été un bien meilleur moyen d’utiliser mon temps.

Je me suis trompé. Mon article n’allait jamais servir à quoi que ce soit. Peu de temps après la publication de l’article, le PDG d’alors, Kevin Carmony, m’envoya un courriel. Il n’avait pas l’air satisfait de ma prestation. Son objection, et elle était valable, visait l’absence de concertation mutuelle préalable. Ma première réaction fut de répondre sur mon blog. La réalité de l’histoire était beaucoup moins noire. Et les gens de Linspire n’était pas les ogres que j’avais dépeints. J’ai présenté mes excuses à Kevin et me suis senti idiot.

Beaucoup de conflits sont résolus par des discussions privées où les gens peuvent être ouverts et concentrés sur les solutions sans être dérangés. Au fil des années, j’ai vu beaucoup d’exemples d’une guerre publique houleuse par blogs interposés continuant, alors que, dans les coulisses, il y avait un échange calme et une recherche de solutions.

Jono Bacon a appris à communiquer avec toutes les communautés

Pour conclure

Lorsque j’ai commencé à écrire cet article, il était bien plus court. Mais j’ai continué à ajouter des éléments un par un. Il est sûrement déjà assez long pour que je puisse compter le nombre de personnes lisant cette partie sur les doigts d’une main. Je vais donc l’arrêter ici. Je pourrais continuer éternellement avec des anecdotes croustillantes et des expériences dans lesquelles j’ai été suffisamment chanceux pour être impliqué et pour étendre mes horizons. Mais je finirais par écrire L’art de la communauté II : cette fois-ci, c’est personnel.

La vie est une expérimentation permanente. Et j’espère que votre investissement dans la lecture de cet article vous a apporté un peu d’expérience.

1 http://artofcommunityonline.org

2 http://communityleadershipsummit.com

Crédit photos : gidgetkitchen  (CC-BY-SA) et Ubuntu-news.ru