« Va te faire foutre, Twitter ! » dit Aral Balkan

Avec un ton acerbe contre les géants du numérique, Aral Balkan nourrit depuis plusieurs années une analyse lucide et sans concession du capitalisme de surveillance. Nous avons maintes fois publié des traductions de ses diatribes.

Ce qui fait la particularité de ce nouvel article, c’est qu’au-delà de l’adieu à Twitter, il retrace les étapes de son cheminement.

Sa trajectoire est mouvementée, depuis l’époque où il croyait (« quel idiot j’étais ») qu’il suffisait d’améliorer le système. Il revient donc également sur ses années de lutte contre les plateformes prédatrices et les startups .

Il explique quelle nouvelle voie constructive il a adoptée ces derniers temps, jusqu’à la conviction qu’il faut d’urgence « construire l’infrastructure technologique alternative qui sera possédée et contrôlée par des individus, pas par des entreprises ou des gouvernements ». Dans cette perspective, le Fediverse a un rôle important à jouer selon lui.

Article original : Hell Site

Traduction Framalang : Aliénor, Fabrice, goofy, Susy, Wisi_eu

Le site de l’enfer

par Aral Balkan

Sur le Fédiverse, ils ont un terme pour Twitter.
Ils l’appellent « le site de l’enfer ».
C’est très approprié.

Lorsque je m’y suis inscrit, il y a environ 15 ans, vers fin 2006, c’était un espace très différent. Un espace modeste, pas géré par des algorithmes, où on pouvait mener des discussions de groupe avec ses amis.
Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est que Twitter, Inc. était une start-up financée avec du capital risque.
Même si j’avais su, ça n’aurait rien changé, vu que je n’avais aucune idée sur le financement ou les modèles commerciaux. Je pensais que tout le monde dans la tech essayait simplement de fabriquer les nouvelles choses du quotidien pour améliorer la vie des gens.

Même six ans après, en 2012, j’en étais encore à me concentrer sur l’amélioration de l’expérience des utilisateurs avec le système actuel :

« Les objets ont de la valeur non par ce qu’ils sont, mais par ce qu’ils nous permettent de faire. Et, en tant que personnes qui fabriquons des objets, nous avons une lourde responsabilité. La responsabilité de ne pas tenir pour acquis le temps limité dont chacun d’entre nous dispose en ce monde. La responsabilité de rendre ce temps aussi beau, aussi confortable, aussi indolore, aussi exaltant et aussi agréable que possible à travers les expériences que nous créons.
Parce que c’est tout ce qui compte.
Et il ne tient qu’à nous de le rendre meilleur. »
– C’est tout ce qui compte.

C’est tout ce qui compte.

Quel idiot j’étais, pas vrai ?
Vous pouvez prendre autant de temps que nécessaire pour me montrer du doigt et ricaner.
Ok, c’est fait ? Continuons…

Privilège est simplement un autre mot pour dire qu’on s’en fiche

À cette époque, je tenais pour acquis que le système en général est globalement bon. Ou du moins je ne pensais pas qu’il était activement mauvais 1.
Bien sûr, j’étais dans les rues à Londres, avec des centaines de milliers de personnes manifestant contre la guerre imminente en Irak. Et bien sûr, j’avais conscience que nous vivions dans une société inégale, injuste, raciste, sexiste et classiste (j’ai étudié la théorie critique des médias pendant quatre ans, du coup j’avais du Chomsky qui me sortait de partout), mais je pensais, je ne sais comment, que la tech existait en dehors de cette sphère. Enfin, s’il m’arrivait de penser tout court.

Ce qui veut clairement dire que les choses n’allaient pas assez mal pour m’affecter personnellement à un point où je ressentais le besoin de me renseigner à ce sujet. Et ça, tu sais, c’est ce qu’on appelle privilège.
Il est vrai que ça me faisait bizarre quand l’une de ces start-ups faisait quelque chose qui n’était pas dans notre intérêt. Mais ils nous ont dit qu’ils avaient fait une erreur et se sont excusés alors nous les avons crus. Pendant un certain temps. Jusqu’à ce que ça devienne impossible.

Et, vous savez quoi, j’étais juste en train de faire des « trucs cools » qui « améliorent la vie des gens », d’abord en Flash puis pour l’IPhone et l’IPad…
Mais je vais trop vite.
Retournons au moment où j’étais complètement ignorant des modèles commerciaux et du capital risque. Hum, si ça se trouve, vous en êtes à ce point-là aujourd’hui. Il n’y a pas de honte à avoir. Alors écoutez bien, voici le problème avec le capital risque.

Ce qui se passe dans le Capital Risque reste dans le Capital Risque

Le capital risque est un jeu de roulette dont les enjeux sont importants, et la Silicon Valley en est le casino.
Un capital risqueur va investir, disons, 5 millions de dollars dans dix start-ups tout en sachant pertinemment que neuf d’entre elles vont échouer. Ce dont a besoin ce monsieur (c’est presque toujours un « monsieur »), c’est que celle qui reste soit une licorne qui vaudra des milliards. Et il (c’est presque toujours il) n’investit pas son propre argent non plus. Il investit l’argent des autres. Et ces personnes veulent récupérer 5 à 10 fois plus d’argent, parce que ce jeu de roulette est très risqué.

Alors, comment une start-up devient-elle une licorne ? Eh bien, il y a un modèle commercial testé sur le terrain qui est connu pour fonctionner : l’exploitation des personnes.

Voici comment ça fonctionne:

1. Rendez les gens accros

Offrez votre service gratuitement à vos « utilisateurs » et essayez de rendre dépendants à votre produit le plus de gens possible.
Pourquoi?
Parce qu’il vous faut croître de manière exponentielle pour obtenir l’effet de réseau, et vous avez besoin de l’effet de réseau pour enfermer les gens que vous avez attirés au début.
Bon dieu, des gens très importants ont même écrit des guides pratiques très vendus sur cette étape, comme Hooked : comment créer un produit ou un service qui ancre des habitudes.
Voilà comment la Silicon Valley pense à vous.

2. Exploitez-les

Collectez autant de données personnelles que possible sur les gens.
Pistez-les sur votre application, sur toute la toile et même dans l’espace physique, pour créer des profils détaillés de leurs comportements. Utilisez cet aperçu intime de leurs vies pour essayer de les comprendre, de les prédire et de les manipuler.
Monétisez tout ça auprès de vos clients réels, qui vous paient pour ce service.
C’est ce que certains appellent le Big Data, et que d’autres appellent le capitalisme de surveillance.

3. Quittez la scène (vendez)

Une start-up est une affaire temporaire, dont le but du jeu est de se vendre à une start-up en meilleure santé ou à une entreprise existante de la Big Tech, ou au public par le biais d’une introduction en Bourse.
Si vous êtes arrivé jusque-là, félicitations. Vous pourriez fort bien devenir le prochain crétin milliardaire et philanthrope en Bitcoin de la Silicon Valley.
De nombreuses start-ups échouent à la première étape, mais tant que le capital risque a sa précieuse licorne, ils sont contents.

Des conneries (partie 1)

Je ne savais donc pas que le fait de disposer de capital risque signifiait que Twitter devait connaître une croissance exponentielle et devenir une licorne d’un milliard de dollars. Je n’avais pas non plus saisi que ceux d’entre nous qui l’utilisaient – et contribuaient à son amélioration à ce stade précoce – étaient en fin de compte responsables de son succès. Nous avons été trompés. Du moins, je l’ai été et je suis sûr que je ne suis pas le seul à ressentir cela.

Tout cela pour dire que Twitter était bien destiné à devenir le Twitter qu’il est aujourd’hui dès son premier « investissement providentiel » au tout début.
C’est ainsi que se déroule le jeu du capital risque et des licornes dans la Silicon Valley. Voilà ce que c’est. Et c’est tout ce à quoi j’ai consacré mes huit dernières années : sensibiliser, protéger les gens et construire des alternatives à ce modèle.

Voici quelques enregistrements de mes conférences datant de cette période, vous pouvez regarder :

Dans le cadre de la partie « sensibilisation », j’essayais également d’utiliser des plateformes comme Twitter et Facebook à contre-courant.
Comme je l’ai écrit dans Spyware vs Spyware en 2014 : « Nous devons utiliser les systèmes existants pour promouvoir nos alternatives, si nos alternatives peuvent exister tout court. » Même pour l’époque, c’était plutôt optimiste, mais une différence cruciale était que Twitter, au moins, n’avait pas de timeline algorithmique.

Les timelines algorithmiques (ou l’enfumage 2.0)

Qu’est-ce qu’une timeline algorithmique ? Essayons de l’expliquer.
Ce que vous pensez qu’il se passe lorsque vous tweetez: « j’ai 44 000 personnes qui me suivent. Quand j’écris quelque chose, 44 000 personnes vont le voir ».
Ce qui se passe vraiment lorsque vous tweetez : votre tweet pourrait atteindre zéro, quinze, quelques centaines, ou quelques milliers de personnes.

Et ça dépend de quoi?
Dieu seul le sait, putain.
(Ou, plus exactement, seul Twitter, Inc. le sait.)

Donc, une timeline algorithmique est une boîte noire qui filtre la réalité et décide de qui voit quoi et quand, sur la base d’un lot de critères complètement arbitraires déterminés par l’entreprise à laquelle elle appartient.
En d’autres termes, une timeline algorithmique est simplement un euphémisme pour parler d’un enfumage de masse socialement acceptable. C’est de l’enfumage 2.0.

L’algorithme est un trouduc

La nature de l’algorithme reflète la nature de l’entreprise qui en est propriétaire et l’a créé.

Étant donné que les entreprises sont sociopathes par nature, il n’est pas surprenant que leurs algorithmes le soient aussi. En bref, les algorithmes d’exploiteurs de personnes comme Twitter et Facebook sont des connards qui remuent la merde et prennent plaisir à provoquer autant de conflits et de controverses que possible.
Hé, qu’attendiez-vous exactement d’un milliardaire qui a pour bio #Bitcoin et d’un autre qui qualifie les personnes qui utilisent sont utilisées par son service de « pauvres cons » ?
Ces salauds se délectent à vous montrer des choses dont ils savent qu’elles vont vous énerver dans l’espoir que vous riposterez. Ils se délectent des retombées qui en résultent. Pourquoi ? Parce que plus il y a d’« engagement » sur la plateforme – plus il y a de clics, plus leurs accros («utilisateurs») y passent du temps – plus leurs sociétés gagnent de l’argent.

Eh bien, ça suffit, merci bien.

Des conneries (partie 2)

Certes je considère important de sensibiliser les gens aux méfaits des grandes entreprises technologiques, et j’ai probablement dit et écrit tout ce qu’il y a à dire sur le sujet au cours des huit dernières années. Rien qu’au cours de cette période, j’ai donné plus d’une centaine de conférences, sans parler des interviews dans la presse écrite, à la radio et à la télévision.
Voici quelques liens vers une poignée d’articles que j’ai écrits sur le sujet au cours de cette période :

Est-ce que ça a servi à quelque chose ?
Je ne sais pas.
J’espère que oui.
J’ai également interpellé d’innombrables personnes chez les capitalistes de la surveillance comme Google et Facebook sur Twitter et – avant mon départ il y a quelques années – sur Facebook, et ailleurs. (Quelqu’un se souvient-il de la fois où j’ai réussi à faire en sorte que Samuel L. Jackson interpelle Eric Schmidt sur le fait que Google exploite les e-mails des gens?) C’était marrant. Mais je m’égare…
Est-ce que tout cela a servi à quelque chose ?
Je ne sais pas.
J’espère que oui.
Mais voici ce que je sais :
Est-ce que dénoncer les gens me rend malheureux ? Oui.
Est-ce que c’est bien ? Non.
Est-ce que j’aime les conflits ? Non.
Alors, trop c’est trop.
Les gens viennent parfois me voir pour me remercier de « parler franchement ». Eh bien, ce « parler franchement » a un prix très élevé. Alors peut-être que certaines de ces personnes peuvent reprendre là où je me suis arrêté. Ou pas. Dans tous les cas, j’en ai fini avec ça.

Dans ta face

Une chose qu’il faut comprendre du capitalisme de surveillance, c’est qu’il s’agit du courant dominant. C’est le modèle dominant. Toutes les grandes entreprises technologiques et les startups en font partie2. Et être exposé à leurs dernières conneries et aux messages hypocrites de personnes qui s’y affilient fièrement tout en prétendant œuvrer pour la justice sociale n’est bon pour la santé mentale de personne.

C’est comme vivre dans une ferme industrielle appartenant à des loups où les partisans les plus bruyants du système sont les poulets qui ont été embauchés comme chefs de ligne.

J’ai passé les huit dernières années, au moins, à répondre à ce genre de choses et à essayer de montrer que la Big Tech et le capitalisme de surveillance ne peuvent pas être réformés.
Et cela me rend malheureux.
J’en ai donc fini de le faire sur des plates-formes dotées d’algorithmes de connards qui s’amusent à m’infliger autant de misère que possible dans l’espoir de m’énerver parce que cela «fait monter les chiffres».

Va te faire foutre, Twitter !
J’en ai fini avec tes conneries.

"fuck twitter" par mowl.eu, licence CC BY-NC-ND 2.0
« fuck twitter » par mowl.eu, licence CC BY-NC-ND 2.0

Et après ?

À bien des égards, cette décision a été prise il y a longtemps. J’ai créé mon propre espace sur le fediverse en utilisant Mastodon il y a plusieurs années et je l’utilise depuis. Si vous n’avez jamais entendu parler du fediverse, imaginez-le de la manière suivante :
Imaginez que vous (ou votre groupe d’amis) possédez votre propre copie de twitter.com. Mais au lieu de twitter.com, le vôtre se trouve sur votre-place.org. Et à la place de Jack Dorsey, c’est vous qui fixez les règles.

Vous n’êtes pas non plus limité à parler aux gens sur votre-place.org.

Je possède également mon propre espace sur mon-espace.org (disons que je suis @moi@mon-espace.org). Je peux te suivre @toi@ton-espace.org et aussi bien @eux@leur.site et @quelquun-dautre@un-autre.espace. Ça marche parce que nous parlons tous un langage commun appelé ActivityPub.
Donc imaginez un monde où il y a des milliers de twitter.com qui peuvent tous communiquer les uns avec les autres et Jack n’a rien à foutre là-dedans.

Eh bien, c’est ça, le Fediverse.
Et si Mastodon n’est qu’un moyen parmi d’autres d’avoir son propre espace dans le Fediverse, joinmastodon.org est un bon endroit pour commencer à se renseigner sur le sujet et mettre pied à l’étrier de façon simple sans avoir besoin de connaissances techniques. Comme je l’ai déjà dit, je suis sur le Fediverse depuis les débuts de Mastodon et j’y copiais déjà manuellement les posts sur Twitter.
Maintenant j’ai automatisé le processus via moa.party et, pour aller de l’avant, je ne vais plus me connecter sur Twitter ou y répondre3.
Vu que mes posts sur Mastodon sont maintenant automatiquement transférés là-bas, vous pouvez toujours l’utiliser pour me suivre, si vous en avez envie. Mais pourquoi ne pas utiliser cette occasion de rejoindre le Fediverse et vous amuser ?

Small is beautiful

Si je pense toujours qu’avoir des bonnes critiques de la Big Tech est essentiel pour peser pour une régulation efficace, je ne sais pas si une régulation efficace est même possible étant donné le niveau de corruption institutionnelle que nous connaissons aujourd’hui (lobbies, politique des chaises musicales, partenariats public-privé, captation de réglementation, etc.)
Ce que je sais, c’est que l’antidote à la Big Tech est la Small Tech.

Nous devons construire l’infrastructure technologique alternative qui sera possédée et contrôlée par des individus, pas par des entreprises ou des gouvernements. C’est un prérequis pour un futur qui respecte la personne humaine, les droits humains, la démocratie et la justice sociale.

Dans le cas contraire, nous serons confrontés à des lendemains sombres où notre seul recours sera de supplier un roi quelconque, de la Silicon Valley ou autre, « s’il vous plaît monseigneur, soyez gentil ».

Je sais aussi que travailler à la construction de telles alternatives me rend heureux alors que désespérer sur l’état du monde ne fait que me rendre profondément malheureux. Je sais que c’est un privilège d’avoir les compétences et l’expérience que j’ai, et que cela me permet de travailler sur de tels projets. Et je compte bien les mettre à contribution du mieux possible.
Pour aller de l’avant, je prévois de concentrer autant que possible de mon temps et de mon énergie à la construction d’un Small Web.

Si vous avez envie d’en parler (ou d’autre chose), vous pouvez me trouver sur le Fediverse.
Vous pouvez aussi discuter avec moi pendant mes live streams S’update et pendant nos live streams Small is beautiful avec Laura.

Des jours meilleurs nous attendent…

Prenez soin de vous.

Portez-vous bien.

Aimez-vous les uns les autres.

 




Bilan des actions de Framasoft en 2020 (hors confinement)

Nos actions sont financées par vos dons, amplifiées par vos contributions et utiles parce que vous les partagez et vous en emparez. Nous voulions donc prendre le temps de poser ici un bilan des principales actions que nous avons menées en 2020.

Car même si l’année n’est pas encore tout à fait finie, on peut d’ores et déjà voir ce que notre association (35 membres, 10 salarié·es) a fait des ressources que vous nous confiez.

À noter :

Graver les libertés dans le code

Dans le monde numérique, le code fait loi : les personnes qui dirigent le code ont le pouvoir et la responsabilité de déterminer ce qu’il sera possible de faire, ce qui sera impossible.

Voilà pourquoi nous avons pris la responsabilité de développer quelques logiciels : dans le but d’expérimenter d’autres manières d’ouvrir des possibles, pour proposer des façons alternatives d’organiser nos échanges numériques.

Coder ces logiciels en les plaçant sous licence libre, cela nous permet de limiter cet énorme pouvoir sur le code (donc sur ce qui fait loi dans nos écrans) grâce à des mécanismes de transparence, d’ouverture à la communauté et grâce à la possibilité de gouvernances alternatives.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Renforcer Framaforms pour faire rempart à Google Forms

Lorsque nous l’avons ouvert en 2016, nous n’imaginions pas que Framaforms, notre alternative à Google Forms, serait le service le plus utilisé de la campagne Dégooglisons Internet !

À l’époque, le défi était de montrer que les briques existantes du logiciel libre (ici Drupal et Webforms) permettent à des non-développeurs de bidouiller une alternative honorable à Google Forms en 14 jours de travail et en n’ajoutant que 60 lignes de code !

Depuis, des centaines de milliers de personnes se sont emparées de cet outil. Nous avons donc demandé à Théo, en stage chez nous, d’améliorer cet outil. Grâce à lui, Framaforms est passé en v1, une version qui corrige de nombreux bugs, permet l’effacement automatique des formulaires expirés et l’affichage d’une page pour contacter la personne qui a créé le formulaire.

Suite à son stage, Théo a rejoint notre équipe salariée pour quelques mois afin de poursuivre le travail sur Framaforms. La dernière version, la v1.0.3, permet d’installer le logiciel Framaforms dans d’autres langues que le français, et inclut de nombreux outils pour lutter contre le spam.

C’est peut-être un détail pour vous… Mais si vous saviez le nombre de personnes qui contactent notre support dans l’objectif de parler aux personnes qui ont créé un form.

Mobilizon, pour gérer groupes et événements hors de Facebook

Mobilizon, c’est notre outil libre et fédéré pour libérer nos événements et nos groupes des griffes de Facebook. Évoqué en décembre 2018 et financé par une collecte au printemps 2019, Mobilizon a été en développement tout au long de 2020.

Suite à un retard de développement (dû à une pandémie mondiale), la première version de Mobilizon est sortie en octobre, accompagnée d’une instance de démo, d’un site de présentation, d’une documentation complète, d’un roman photo relatant un cas d’usage, de notre instance publique (réservée aux francophones) et surtout du site Mobilizon.org pour vous aiguiller selon vos besoins, et vous y retrouver parmi tous ces outils !

Depuis la publication de cette première version, les contributions à Mobilizon sont nombreuses. Parmi elles, on peut noter une application Android (à retrouver ici sur le Playstore de Google et là sur Fdroid, le catalogue d’applications libres) réalisée par Tom79.

De nombreuses autres contributions (retours, questions, traductions, code et aide à l’installation etc.) ont fait qu’une mise à jour (la version 1.0.2) règle de nombreux bugs tout en ajoutant la possibilité de rejoindre les groupes en un clic, d’installer Mobilizon via Docker, et d’utiliser le logiciel dans 14 langues différentes.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

PeerTube, en route vers la diffusion live dans la v3

Cet été, nous avons lancé une collecte pour financer la route vers la troisième version de PeerTube, notre alternative libre et fédérée qui démocratise la diffusion de vidéos en ligne.

Alors qu’une pandémie touchait (et touche toujours) la France et le monde, nous avons choisi de casser les codes du crowdfunding, en affirmant que nous développerions les fonctionnalités annoncées pour la v3 (que l’on récolte l’argent ou non) et en laissant à qui veut la possibilité de participer au financement des 60 000 € que nous coûtera le projet.

Le pari a été réussi, puisque près de 68 000 € ont été récoltés, avec des dons importants de structures comme Octopuce, Code Lutin ou encore la Fondation Debian, qui nous offre en plus une belle reconnaissance de l’utilité de PeerTube.

Depuis juin, nous avons développé et ajouté de nombreuses fonctionnalités à PeerTube : la recherche globale des vidéos et des chaînes (disponible sur la barre de recherche des instances ainsi que sur notre moteur de recherches SepiaSearch), de nombreux outils de modération, des améliorations significatives pour les playlists, le système de plugin… la liste est longue !

La diffusion de vidéos en direct et en pair à pair est codée, mais il faut encore la tester, l’affiner… Car même si ce live sera minimaliste (pas d’outil de chat, de réactions, etc.), le plus gros du travail reste dans les détails et finitions. Nous estimons publier une version quasi-finie (la « Release Candidate » ou « RC ») à la mi-décembre et publier la v3 stable en Janvier 2021.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Décentraliser, c’est politique

Depuis le lancement de la campagne Dégooglisons Internet en 2014, l’association Framasoft travaille à :

  • sensibiliser sur les enjeux de la centralisation de nos données par des acteurs monopolistiques (GAFAM, etc.) ;
  • proposer des services alternatifs sur ses serveurs, pour démontrer que le logiciel libre offre des outils éthiques et pratiques ;
  • essaimer, diffuser ces outils afin de multiplier les options d’hébergement de services éthiques, et aider les internautes concerné·es dans leur effort d’émancipation numérique.

En 2020, nous nous sommes concentré·es sur la partie essaimage, dans l’objectif que les services proposés par Framasoft ne soient plus une solution par défaut mais bien une première marche dans son émancipation numérique.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Dégoogliser en gardant des services à taille humaine

Maintenir plus de 30 services en ligne, cela implique de suivre les mises à jour de tous les logiciels libres qui propulsent ces services, chacun développé par sa communauté, à des rythmes très variés. Cette année encore nous avons veillé à tenir à jour les services que nous proposons, avec des mises à jour notables pour Framadrive/Framagenda, Framatalk, Framaforms, Framapiaf, Framateam et ce matin même Framadate.

Plus nos services sont connus, plus ils deviennent attractifs pour les usages malveillants, dont le spam. L’inventivité des escrocs qui veulent afficher à tout prix leurs liens frauduleux est sans borne. Nous avons consacré de longs mois (et un article de ce blog) à la lutte contre les usages indésirables.

Début 2020, nous estimions qu’environ un million de personnes utilisaient nos services chaque mois. C’est beaucoup pour une petite association de 35 membres et 10 salarié·es. Comme nous l’avons expliqué dans l’article dédié à nos actions durant le premier confinement français, les besoins ont été décuplés et nous avons dû changer nos manières de faire pour accompagner vos usages.

Cela s’est concrétisé par une refonte des sites web et outils qui nous permettent d’échanger ensemble. Notre page de contact, notre page de dons, et le menu contextuel présent sur tous nos sites ont été complètement repensés. L’objectif est de vous autonomiser en vous apportant directement des réponses adaptées, et de favoriser l’entraide collective de notre forum.

Toutes ces complexités ont un point commun : la sur-utilisation de nos services par rapport à la taille de notre équipe, qui a fait le choix de modérer sa croissance. Pour compenser cela, nous allons continuer de transformer certains de nos services en portails vers les mêmes outils, mais installés chez d’autres hébergeurs de confiance, le plus souvent membres du collectif CHATONS.

Dégooglisons Internet, vu par Péhä (CC-By)

Le Collectif d’Hébergeurs Alternatifs CHATONS

Le collectif CHATONS, dont les membres proposent des services hébergés dans le respect des valeurs de leur Manifeste et des engagements de leur Charte, grandit et évolue. Framasoft y a consacré, tout au long de cette année, des heures d’animation, et la belle dynamique interne montre que cela a porté ses fruits.

Durant l’année, les CHATONS ont tenu une réunion mensuelle entre les membres disponibles, en plus des échanges sur le forum. Cela leur a permis de mieux s’organiser pour accueillir de nouveaux membres dans le collectif, pour réviser et mettre à jour la charte, ou pour alimenter la « litière », le wiki où les CHATONS partagent des informations techniques, légales, administratives, etc.

Notons que, durant le confinement français, les CHATONS ont ouvert la page « Entraide », qui donne accès à neuf services en ligne, sans inscription et hébergés de manière éthique. Cerise sur le gâteau, ces services sont décentralisés sans que vous n’ayez rien à faire : utilisez un service, et le site vous mènera aléatoirement vers un des membres du collectif qui propose cet outil.

Aujourd’hui de nombreuses actions sont en cours : des améliorations notables pour le site web chatons.org, des outils de récolte statistique dans l’objectif de valoriser ce que proposent les membres du collectif, et, bien entendu, l’accueil de la nouvelle portée des futurs membres du collectif prévue pour cette fin d’année !

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0
Edit : on nous demande où sont les stickers de ce visuel… C’est sur la boutique de David Revoy

Les partenariats dans notre archipel

Tout au long de l’année, nous avons continué à entretenir les liens qui nous unissent aux partenaires constituant notre archipel, tout en nouant de nouvelles relations.

Les échanges avec plusieurs organisations (ArtyFarty, Alternatiba, le réseau de l’Information Jeunesse, WebAssoc, LentCiné, Exodus Privacy, Designers Ethiques, l’Institut de Recherche et d’Innovation, les gilets jaunes etc.) sur leur démarche de passage à des outils libres nous font dire que de plus en plus de structures sont sensibles à la nécessité de mettre en cohérence leurs outils numériques avec les valeurs qu’elles prônent. Afin de montrer que cette mise en cohérence est possible, nous avons publié 3 billets de blogs pour documenter cette démarche et nous continuerons à le faire en 2021.

Avec certaines de ces organisations, nous allons même plus loin que les simples échanges, et nous tentons de les accompagner activement autant que nous le pouvons dans cette démarche. Par exemple nous accompagnons et soutenons la démarche du collectif InterHop qui promeut l’usage des logiciels libres dans le domaine de la santé (et sur ce vaste sujet qu’est le Health Data Hub). Nous avons fourni gracieusement pendant un an un serveur PeerTube de grosse capacité à ImagoTV. Enfin, nous travaillons directement avec Résistance à l’Agression Publicitaire sur le logiciel de pétitions libre Pytition.

De plus, sous l’impulsion du mouvement Colibris et en partenariat avec AnimaCoop et Ritimo, nous avons participé à la réalisation et à l’animation de la formation en ligne Créer un projet collectif : méthodes et outils éthiques à destination des organisations. Cette formation qui s’est déroulée du 2 novembre au 3 décembre a permis à 55 personnes de découvrir de nombreux outils collaboratifs libres. Nous avons aussi accepté avec joie de faire partie du groupe de travail du futur MOOC sur la contribution au logiciel libre qui sera produit par Telecom Paris.

Enfin, nous avons poursuivi tout au long de l’année notre partenariat avec Mélanie et Lilian qui sont en train de produire les Métacartes Numérique Éthique. Ce jeu de cartes physiques (toutes reliées à une page web) permet aux personnes qui promeuvent le numérique éthique d’expliquer des concepts, d’accompagner les usages, d’animer des discussions et de se questionner sur les critères de confiance en un outil numérique.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Émanciper par l’éducation populaire

En quelques années, Framasoft est passée de « association qui promeut le logiciel libre et sa culture » à « association d’éducation populaire aux enjeux du numérique ». Ce n’est pas anodin.

Au fil de nos expériences de dégooglisation et de décentralisation, nous avons compris qu’à nos yeux, le logiciel libre n’est pas une fin en soi : c’est un moyen (nécessaire et insuffisant) pour servir l’émancipation des humain·es qui utilisent ce logiciel. Et cela vaut pour tout outil numérique : logiciel, culturel, etc…

Nous avons pu constater, au fil de nos interventions et accompagnements, que la transmission des connaissances, des savoirs-faire et des concepts est beaucoup plus efficace lorsqu’elle advient dans une relation d’égal à égal, où chacun·e apprend de l’expérience de l’autre et sort enrichi·e de cet échange.

C’est pourquoi nous croyons que contribuer à l’émancipation numérique implique, pour nous, d’essayer d’appliquer (quand on le peut et si on y arrive) les valeurs et méthodes de l’éducation populaire.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Diffuser la culture du libre et des Communs

L’équipe de bénévoles de notre maison d’édition Framabook a publié, en mai dernier, quatre recueils de nouvelles écrits par Yann Kervran dans son univers médiéval Hexagora. Ces Qit’a (volume 1 à 4) permettent de mieux explorer ce temps des croisades que l’auteur évoque de façon si vivante. Allez sur Framabook pour vous procurer les Qit’a volume 01, volume 02, volume 03, volume 04.

C’est le quatrième volume de Grise Bouille que Framabook a publié cette année. « En quoi le profilage de code peut-il nous aider à lutter contre la fraude fiscale ? Quel est le rayon d’un atome de Savoie ? Faut-il refuser de rendre visite à des personnes qui possèdent une enceinte connectée ? La société industrielle va-t-elle bientôt s’effondrer ? » Dans ce livre, Gee répond à ces questions (et bien plus) en regroupant les BD, aquarelles et textes publiés entre juillet 2018 et septembre 2020 sur son blog grisebouille.net. L’anthologie est disponible sur Framabook.

Cette année encore, le Framablog a été très actif. Le Khryspresso, revue de web hebdomadaire concoctée par Khrys, est servi chaque lundi, et fait les joies des fidèles de ce rendez-vous informatif. Le groupe de traduction Framalang a publié de nombreuses traductions dont la série « Détruire le Capitalisme de Surveillance » de Cory Doctorow. Enfin, en décembre, nous allons dévoiler une bien belle contribution avec la lecture audio de certains articles du Framablog.

Nous avouons le plaisir de travailler de plus en plus régulièrement avec David Revoy, auteur du web comic libre Pepper & Carrot, qui produit de nombreuses illustrations pour nous. Nous avons demandé au papa de Sepia (mascotte de PeerTube) et Rȯse (mascotte de Mobilizon) de nous aider à illustrer régulièrement ce que nous faisons, comme par exemple cet article du Framablog.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Faciliter l’accompagnement au numérique éthique

C’est en février que nous avons pu publier le premier module du MOOC CHATONS : « Internet, pourquoi et comment reprendre le contrôle ? ». Co-conçu avec la Ligue de l’enseignement, ce cours en ligne et ouvert peut se pratiquer en toute autonomie pour découvrir comment s’est construit notre paysage numérique, comment il a été envahi et cloisonné par les géants du web, et quelles sont les pistes pour s’émanciper.

En mars, nous avons expérimenté un librecours pour acquérir les clés de la culture libre, et en particulier celles des licences libres. Que vous soyez créateur, prescriptrice, spectateur, étudiante, ou tout ça à la fois, ce cours permet de savoir comment exploiter un contenu culturel en ligne et diffuser les siens. Proposé par Stéphane Crozat (membre de Framasoft et prof à l’UTC), et animé par certain·es de nos membres, cette première expérience fut très enrichissante !

En juin dernier nous avons dévoilé [RÉSOLU]. C’est un projet hautement contributopique puisqu’il est le fruit du travail collaboratif de Framasoft, du Chaton Picasoft et de la Mission Libre-Éducation Nouvelle des CEMÉA. [RÉSOLU], c’est un ensemble de fiches didactiques, sous licence libre et aux formats PDF, web et papier… pour accompagner vers le Libre les organisations qui agissent pour l’Économie Sociale et Solidaire.

Réalisé en partenariat avec le collectif d’éducation populaire La Dérivation, l’annuaire des acteurs et actrices de l’accompagnement au numérique libre a été publié en septembre dernier. Même si ce n’est qu’un instantané, il permet de recenser les personnes, structures et organisations réalisant des accompagnements au numérique libre et de publier leurs coordonnées dans un annuaire pour celles qui le désirent.

Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Se parler, quelle que soit la distance

Avant que la pandémie n’éclate, nous avons été fidèles à notre habitude d’aller parler de nos sujets dans de nombreux événements. En début d’année, nous avons participé (entre autres) aux 100 ans de la société des Nations à Genève, aux WebAssembly days, au festival des libertés numériques, à un mini-village Alternatiba à Toulouse ou au café des sciences de Chambéry.

Les contribateliers sont des ateliers où l’on peut venir et contribuer au Libre sans écrire une seule ligne de code (sauf si on aime ça :p !). Alors qu’ils se sont multipliés début 2020 (Lyon, Tours, Toulouse, Paris, Nantes…), l’équipe qui les organise s’est adaptée à la pandémie et a proposé des Confinateliers. Grâce au logiciel libre de visio conférence BBB, deux confinateliers se sont organisés cette année, chacun permettant à près de 80 personnes de se réunir en divers salons de visio conférence pour contribuer à des projets libres.

Quant à Framasoft, nous avons continué d’intervenir, à distance, pour présenter les enjeux du numérique et les outils pour s’émanciper. Que ce soit pour partager en anglais nos expérimentations franchouillardes lors des 35 ans de la FSF, ou pour défendre la dignité du modèle associatif dans le festival en ligne EthicsByDesign, nous avons répondu à de nombreuses invitations à nous exprimer en ligne.

…et sinon, en 2020, on a aussi fait des prouts.

Traverser 2020 grâce à votre confiance

Cette année fut complexe et difficile, pour tout le monde, et en faire le bilan n’est pas un exercice aisé (à tel point qu’il nous a fallu faire deux articles, dont un expliquant nos actions durant le premier confinement).

Ce que nous avons fait cette année, si nous avons pu le réaliser en gardant l’esprit libre, c’est grâce à vous. Le soutien et la confiance que nous recevons, chaque année, sous formes de dons, de mots gentils, d’attentions et de contributions… tout cela donne un sens et une portée à nos expérimentations.

Nous vous remercions, vraiment, de nous accompagner dans ces cheminements.

C’est le moment de l’année où nous nous devons de rappeler que ces actions ont un coût, et que Framasoft est financée, quasi exclusivement, par vos dons. Avec la défiscalisation (disponible pour les contribuables français·es), un don de 100 € à Framasoft revient, après déduction, à 34 €.

Ainsi, si vous souhaitez soutenir nos actions et que vous estimez en avoir les moyens, n’hésitez pas à cliquer sur le bouton ci dessous ;).

Soutenir Framasoft




Review of Framasoft’s actions in 2020 (excluding the lockdown period)

Our actions are funded by your donations, increased by your contributions and are useful because you share them and make them your own. Therefore we wanted to take the time to make an review of our main actions carried out in 2020.

Even though the year is not over yet we can already see what our association (35 members, 10 employees) has done with the resources received.

Note:

Setting freedoms in code

In digital world, code is law: people running the code have the power and responsibility to determine what will be possible or impossible to do.

That’s why we have taken the responsibility to develop some softwares: in order to experiment other ways to open up possibilities, to offer alternative ways to organize our digital exchanges.

Coding these softwares under free licenses allows us to limit this huge power over the code (so what makes the rules on our screens) thanks to transparency mechanisms, works for opening up to the community and to the possibility of alternative governances.

Illustration by David Revoy – License: CC-by 4.0

Reinforcing Framaforms to face Google Forms

When it opened in 2016, we didn’t imagine that Framaforms, our alternative to Google Forms, would be the most used service of the De-google-ify the Internet campaign!

At this time, the challenge was to show that Free Libre Open Source Softwares (FLOSS) plugins (here Drupal and Webforms) allows non-developers to hack a respectable alternative to Google Forms in 14 working days by adding only 60 lines of code!

Since then, hundreds of thousands of people have been using this tool. We asked Théo, our intern, to improve this tool. Thanks to him, Framaforms has been upgraded to v1, a version correcting many bugs, allowing the automatic erasure of expired forms and the display of a page to contacta form creator.

Following his internship, Théo has joined our salaried team for a few months to continue his work on Framaforms. The last version, v1.0.3, enables to install Framaforms software in other languages than French and includes several tools to fight against spam.

It may be a detail for you… But if you knew how many people contact our support service to talk to forms’ creators…

Mobilizon: to manage groups and events out of Facebook

Mobilizon is our free and federated tool to free our events and groups from Facebook. Mentioned in December 2018 and financed by a fund-raising in the spring of 2019, Mobilizon has been developed throughout 2020.

Following a delay in development (due to a global pandemic), the first version of Mobilizon was released in October, with:

  • a demo instance,
  • a presentation site,
  • a complete documentation,
  • a photo novel telling a case study,
  • our public instance (for the French speaking only)
  • and Mobilizon.org: a website to guide you according to your needs and find your way among all these tools!

Since the publication of this first version, there are many contributions to Mobilizon. Among them, an Android application has been created by Tom79 and you can find it on Google’s Playstore and on Fdroid, the free app catalogue.

Many other contributions (feedbacks, issues, translations, code and assistance to the installation, etc.) allow an update (version 1.0.2) that corrects many bugs while adding the possibility to join groups in one click, to install Mobilizon via Docker and to use the software in 14 different languages.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

PeerTube: on its way to live streaming in the v3

That summer, we launched a fundraising to finance PeerTube’s third version, our free and federated alternative that generalizes video broadcasting.

While France and the world were affected (and still are) by a pandemic, we have chosen to break the codes of crowdfunding by assuring that we would develop v3 announced features (whether we raise the money or not) and giving whoever the possibility to participate to the financing of the 60 000€ that the project will cost.

The bet was achieved because almost €68 000 were raised thanks to important donations of structures as Octopuce, Code Lutin or the Debian Fondation that also gives us a great recognition of PeerTube’s usefulness.

Since June, we have developed and added many features to PeerTube: videos and channels global search (available on the search field of instances and on our search engine SepiaSearch as well), several moderation tools, significant improvements for playlists and to the plugin system… the list goes on!

Live and peer-to-peer video broadcasting is encoded but still needs to be tested and refined… Because even though this live will be minimalist (no chat or reaction tools, etc.), most of the work is in the details and finishing touches. We are planning to publish a nearly-finished version (the « Release Candidate » or « RC ») in mid-December and the stable v3 in January 2021.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

Decentralizing is political

Since the launch of the De-google-ify Internet campaign in 2014, Framasoft works towards to:

  • raise awareness on data centralization by monopolistic actors (GAFAM, etc.);
  • offer alternative services on its servers to show that FLOSS presents ethical and practical tools;
  • swarm, spread these tools to increase ethical service hosting options and help internet users in seeking of digital emancipation.

In 2020, we focused on the swarming part with the objective that the services offered by Framasoft wouldn’t be a default solution anymore but a first step in its digital emancipation.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

 

De-google-ify while keeping services on a human scale

Maintaining more than 30 online services involves to keep track of updates of all the free-libre softwares behind these services, while each one is developed by its community at their own pace. Once again this year, we have ensured to keep the offered services up to date, with important updates for Framadrive, Framagenda, Framatalk, Framaforms, Framapiaf, Framateam and this morning Framadate.

The more our services are known, the more attractive they become for malevolent uses, including spam. The cheats’ inventiveness is limitless, they want to show their fraudulent links at all costs. For months we have dedicated ourselves (and an article of this blog) to fight against such unwanted uses.

It was estimated early 2020 that about one million people were using our services every month. That’s a lot for a small not-for-profit of 35 members including 10 employees. As explained in the article about our actions during the first French lockdown, needs for online services skyrocketed, we had to change our ways of helping users.

That’s why we completed the work on our websites and tools to exchange with each other. Our contact page, our donation page and the contextual menu on all of our websites have been completely redesigned. The aim is for you to be autonomous by giving you directly adapted answers, and to favor mutual aid on our forum.

All these issues have a common trait: the overuse of our services compared to our team size, who has decided to moderate its growth. To compensate for this, we will continue to transform some of our services into portals to the same tools but that are installed in other trusted hosts, most often members of the CHATONS collective.

De google-ify the Internet, seen by Péhä (CC-By)

 

CHATONS, the Collective of Alternative Hosters

The CHATONS collective, whose members offer ethical online services according to the values of their Manifesto and the commitments in their Charter, grows and evolves. Throughout this year, Framasoft has been spending hours to coordinate the collective. The pleasant internal dynamic proves that it pays off.

During the year, in addition to the forum exchanges, the CHATONS held a monthly audio-meeting between available members. The collective was thus better organized to welcome new members, to revise and update the charter, or to contribute to the « litter »(the wiki where the CHATONS share technical, legal and administrative information, etc.)

Let’s note that during the French lockdown, the CHATONS opened a new website that offers nine online services without registration, and hosted ethically. Icing on the cake, these services are decentralized and you have nothing to do: choose one service and the website will transfer you randomly to one of the collective members offering this tool.

Today many actions are in progress: important improvements for the chatons.org website, statistical collecting tools in order to improve what the collective members offer, and of course, the welcoming of the future collective members planned for the end of the year!

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0 Edit: stickers of this picture are available on David Revoy’s shop

Partnerships in our archipelago

Throughout the year, we kept maintaining the links that unite us to the partners composing our archipelago while creating new relationships.

Exchanges with many organizations (ArtyFarty, Alternatiba, Le réseau Information Jeunesse (the Youth Information Network), WebAssoc, LentCiné, Exodus Privacy, Designers Ethiques, L’Institut de Recherche et d’Innovation (Institute for Research and Innovation), the Gilets Jaunes (Yellow Vests movement), etc.) on their conversion to free-libre tools show that more and more organizations wish to match their digital tools with the values they uphold. In order to show that this consistency is possible, we published 3 blogposts to document this process and we will keep doing it in 2021.

With some of these organizations, we go even further than simple exchanges and try to actively support them as much as we can in this methodology. For example, we help and support the InterHop collective approach that promotes the use of FLOSS in the health field (and especially on the French Health Data Hub). For a year, we freely provided a PeerTube server of high capacity to ImagoTV. And we work directly with Résistance à l’Agression Publicitaire (a French nonprofit fighting against aggressive advertisement) on Pytition, a software for free-libre petitions.

Moreover, driven by the Colibris movement and in partnership with AnimaCoop and Ritimo, we took part in the realization and organization of the online training course Créer un projet collectif : méthodes et outils éthiques (Create a collective project: ethical methods and tools for organizations). This online course that took place from November 2nd to December 3rd allows 55 persons to discover many free-libre collaborative tools. We have also gladly accepted to be part of a working group tht is developing content for a MOOC produced by Telecom Paris about How to contribute to FLOSS.

Finally, throughout the year, we have continued our partnership with Mélanie and Lilian who are producing the Métacartes Numérique Ethique (Ethical Digital Metacards). This physical card game (each linked to a website) helps people promote ethical digital technology by explaining concepts, encouraging new uses, presenting discussions and questioning the criteria for trust in a digital tool.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

Emancipating through popular education

In a few years, Framasoft went from an « association promoting free-libre softwares and its culture » to « a popular education association on digital issues ». That’s not insignificant.

As our degooglization and decentralization experiments went by, we have figured out that FLOSS is not an end in itself. It’s a mean (necessary and insufficient) to favor software users’ emancipation. It is true for every digital content: sotfwares, cultural works, etc.

In the course of our interventions and supports, we have noticed that knowledge, know-how and concepts transmission is much more effective when it happens in equal relationships, where each learns from the experience of others and comes out enriched from this exchange.

That’s why we believe that contributing to digital emancipation means trying to apply (when you can, and if you succeed) popular education values and methods.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

Spreading FLOSS and Commons’ culture

Last May, the volunteers of our publishing house, Framabook, published four short story collections written by Yann Kervran in his medieval universe, Hexagora. His Qit’a (volume 1 to 4) let us explore the time of the Crusades that the author evoke so vividly. Go to Framabook to download the first, second, third and fourth volume of the Qit’a (in French).

This year, Framabook published the fourth volume of Grise Bouille. « How code profiling can help us fight against tax evasion? Should we refuse to visit people owning a smart speaker? Is the industrial society about to collapse? » In this book, Gee answers these questions (and much more) by gathering the comic books, watercolors and texts published between July 2018 and September 2020 on his grisebouille.net blog. The anthology is available on Framabook (French).

This year again, the Framablog has been really active. The weekly web review Khryspresso is released by Khrys every Monday and is the joy of every follower of this informative rendezvous. Framalang translation group published many translations including the collection « Détruire le Capitalisme de Surveillance » by Cory Doctorow. Finally, in December we are going to reveal a great contribution with the audio reading of some Framablog articles.

We had the pleasure to work more often with David Revoy, the author of Pepeer & Carrot, the free-libre open source webcomic, who draws a lot of illustrations for us. We asked the father of Sepia (PeerTube mascot) and Rose (Mobilizon mascot) to regularly help us illustrate what we do, such as this Framablog article.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

 

Sharing how to adopt ethical digital tools

In February, we published (in French) the first MOOC CHATONS module: « Internet: why and how to take back control? ». Co-conceived with the French organization La Ligue de l’enseignement, this online and open course can be followed in autonomy to discover how our digital landscape was built, invaded and walled by tech giants, and learn the ways to emancipate.

In March, we experimented a « librecours » to acquire the keys to FLOSS culture, especially those of free license. Whether you are a creator, a prescriber, a spectator, a student or all of the above, this course teaches you how to use online cultural content and spread your own. This first experience was lead by Stéphane Crozat (a Framasoft member and a teacher at UTC) and organized by some of our members. And it was very rewarding!

Last June, we revealed [RESOLU] (a guide to accompany organizations towards the adoption of free alternative solutions). It’s a highly contributopic project since it’s the result of the collaborative work of Framasoft, the « chaton » Picasoft and the « Mission Libre-Education Nouvelle des CEMEA ». [RESOLU] is a set of didactic sheets, under free-libre license and in PDF, web and paper format… to accompany towards FLOSS use organizations that act for the Social Solidarity Economy.

Created in partnership with the popular education collective La Dérivation, we published in September a directory of French actors of free digital accompanying. Even though it’s just a snapshot, it draws up an inventory of people, structures and organizations providing free digital accompanying with their contact details.

Illustration by David Revoy – Licence: CC-by 4.0

Talking to each other despite distance

Before the pandemic, we were faithful to our habit of speaking out in many events. At the beginning of the year, we participated (for example) to the hundredth anniversary of the League of Nations in Geneva, to the WebAssembly days, to the Digital Freedoms Festival, to an Alternatiba mini-village in Toulouse and to the Café des sciences of Chambéry.

The « contribateliers » are workshops where people can contribute to FLOSS without writing a single line of code (except if you like it!). While the contribateliers events spread in early 2020 (Lyon, Tours, Toulouse, Paris, Nantes…), their creators adapted themselves to the pandemic and offered « confinateliers », the online version of the « contribateliers ». Thanks to BBB, the free video conference software, two confinateliers took place this year, each gathering around 80 people in various video chatrooms to contribute to free-libre projects.

Framasoft kept intervening, remotely, to present digital issues and tools to get emancipated. Whether it’s to share in English our typically French experiments during the 35th anniversary of the FSF (Free Software Foundation), or to defend the dignity of the associative model during the online festival EthicsByDesign, we responded to many invitations to express ourselves online.

Free software activism successes in France with Pouhiou and Eda Nano – FSF 35th birthday

… by the way in 2020 we also farted.

 

Going through 2020 thanks to your trust

This year was complicated and difficult for everyone and it’s not easy to review it (to the extent where two articles were needed, including one explaining our actions during the first lockdown (French)).

If we were able to keep a free mind while doing what we did this year, it’s thanks to you. The support and trust we receive every year in donations, kind words, sympathy and contributions… all give meaning and significance to our experiments.

We truly thank you for accompanying us in this developments.

It’s the time of the year where we have to remind you that these actions have a cost and that Framasoft is almost exclusively funded by your donations. With tax relief (available for french taxpayers) a €100 donation to Framasoft represents €34 after deduction.

Thus, if you wish to support our actions and think you can afford it, don’t hesitate to click on the button below 😉

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Il n’y a pas de solution, il n’y a que nous

Pouhiou nous partage ici une expérience toute personnelle qui nous fait voir le solutionnisme technologique et les applications de pistage volontaire comme autant de poudres de perlimpinpin.

L’accès à l’ensemble de nos articles « framaconfinement » : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

J’ai un aveu à faire

J’ai été magicien. Pas un illusionniste, hein : j’ai été sorcier, un vrai.

J’ai passé quelques années de ma vie dans une troupe de théâtre aux pratiques sectaires où nous avons spiralé dans une illusion de groupe : encens, cristaux, tarots, rituels, animaux totems, esprits-compagnons et âmes en peine à « faire monter », bougies protectrices, anges, énergies… Ça parait choupi-new-age comme ça, mais c’était psychologiquement et émotionnellement intense.

C’est pas facile, pour moi, de ressortir ces vieux souvenirs du placard. Si je le fais aujourd’hui, c’est pour dire à quel point je suis capable de comprendre une personne qui veut croire à la solution magique. L’abracadabra : le pouvoir de créer d’après ses paroles. Cette notion très Disneyienne que « si j’y crois trrrrrrrrès fort, avec toute la fôrce de mon cœur, ça arrivera. »

Pochette de la bande originale du dessin animé Tarzan de Disney
« Tu as le courage d’être fort / Et la sagesse d’être sage. »
Best. Paroles de Disney. Ever

Je connais intimement cette envie impérieuse, en moi, de trouver une solution magique, un deus ex machina, une intervention miraculeuse qui fait que le monde ne sera plus une bataille permanente. Je la connais tellement que je la reconnais dès que je la vois apparaître dans mes communautés et mes écrans.

L’état de guerre dans nos têtes

Pourtant je suis quelqu’un d’intelligent : je le sais, j’ai même des papiers qui le prouvent :p !

Justement, avoir un cerveau qui turbine comme le mien, c’est la garantie d’être encore plus sensible aux manipulations, de foncer encore plus vite dans le mur. La première étape pour retourner mon intelligence contre moi-même est de mettre mon cerveau sur la défensive.

Par exemple, dans ma troupe de théâtre, la croyance que nous étions constamment en état de siège ou de guerre face à une attaque magico-énergétique d’un groupe extérieur (il y avait toujours les « méchants du moment » désignés par ma prof’ de théâtre) faisait que j’ai eu le bide tordu d’angoisse, que j’ai vécu des années avec un cierge allumé en permanence dans mon studio estudiantin, ou que j’ai loupé des cours en fac le matin car je passais une partie de la nuit à faire des rituels magiques.

Extrait du générique d'une série TV, The Magicians, les magiciens
En fiction, c’est génial : vas-y, bingewatche.
À vivre, je recommande pas. Nul. Caca. Zéro étoiles.

Avec le recul, tout cela n’était « que du vrai dans la tête » : cela m’a prouvé que le vrai-dans-la-tête a des conséquences bien vraies-dans-la-vie. Mon esprit en état de guerre et d’auto-défense, persuadé de l’utilité de rituels et autres croyances magiques, a eu une influence tout à fait matérielle sur mon corps, sur mon comportement, sur mes actions et mes relations.

Pas de guerre = pas d’armes de guerre

Cela m’a surpris de voir ces souvenirs enfouis ressortir du placard de ma mémoire. Voir le président de ma république nous répéter que « nous sommes en guerre » comme une incantation, pour implanter ce vrai dans nos têtes, cela m’a fait penser aux manipulations que j’ai subies à cette époque.

Détournement d'une allocution du président remplacé par Miaousse, un Pokémon
Dites-le avec des pokémon.
(détournement trouvé sur le twitter de @franckb22)

Les flics qui contrôlent nos intimités, les drones de surveillance bien en vue dans les JT, la tentation du tracking sur les smartphones des infecté·es… Cela ne m’évoque rien d’autre que les encens, bougies et prières auxquelles nous nous accrochions comme seule solution à cet état de guerre, qui n’existait que dans nos têtes, mais qui existait bel et bien dans nos têtes.

Si nous n’étions pas en guerre, alors nous aurions dû affronter que la vie est injuste, qu’on y tombe malade, qu’on y vieillit, qu’on y meurt #FuckingConditionHumaine. Qu’on hérite d’une éducation, d’une histoire, d’une culture, de structures qui nous dépassent #FuckingConditionSociale. Et que pour se démerder face à tout cela, il n’y a pas de baguette magique, pas de solution miracle. #Fuck

Chercher un raccourci clavier, un cheat code

Je la connais bien, cette envie en moi d’être celui qui a trouvé la warp zone. D’être le petit malin qui a trouvé le passage secret, l’astuce magique, le truc qui évite tellement d’efforts que c’est triché, que « LeS SCieNTiFiQueS Le DéTeSTeNT !!!! ». Cette envie, c’est la faille de mon esprit où peuvent s’engouffrer toutes les arnaques.

La solution miracle, la formule magique, le cheat code, c’est mon dernier rempart avant l’inéluctable : la destruction du monde. Enfin, avant la destruction de mon monde, du monde tel que je le vois, tel que je voudrais qu’il soit.

Car le monde m’emmerde… Il est comme il est, un point c’est tout : c’est rageant !

Or les accidents de la vie (genre : une pandémie) viennent remettre en question l’image que je me fais du monde. Ils me collent le nez dans le caca de mes illusions, et ne me laissent que deux choix : soit accepter de composer avec le monde tel qu’il est, soit inventer une solution magique pour préserver mes illusions.

Animation : une personne fait un geste magique et des paillettes jaillissent entre ses doigts
Pouhiou, 20 ans (allégorie)

La technologie n’est pas la solution

Je ne suis pas le seul. Nous voulons croire aux régimes miracles et crèmes amaigrissantes car autrement il faudrait étudier comment fonctionnent nos corps, et accepter l’effort d’en prendre soin comme ils sont, pas comme on voudrait qu’ils soient. Nous voulons croire au pouvoir de la prière ou de la positivité car autrement il faudrait prendre soin des autres, faire l’effort de les écouter comme iels sont.

Nous voulons croire aux drones-espions-délateurs pilotés par les gendarmes. Car autrement, il faudrait considérer que #LesGens sont des êtres complexes et intelligents qui ne se laissent pas manipuler bien longtemps par la peur et la menace. Il faudrait faire l’effort d’une police de proximité, par exemple, et donc détruire cette vision du monde où la convivialité, où éduquer au civisme, « ce n’est pas le rôle de la police [YouTube] ».

Nous voulons croire aux applications de tracking pistage volontaire. Car autrement, il faudrait faire l’effort de cesser toute activité non essentielle le temps que les dépistages, équipements de protection puis vaccins soient disponibles. Mais pour cela, il faudrait à la fois faire le deuil d’un capitalisme qui a besoin que certains hamsters fassent tourner la roue, ainsi que faire le deuil d’un gouvernement efficace, qui aurait anticipé et qui serait organisé.

Couverture d'une pièce de Théâtre, « Tocante, un cadeau empoisonné », une comédie de Pouhiou
Je me permets de vous recommander la lecture de cette comédie sur le deuil, la mort et le suicide d’un auteur comique que j’aime beaucoup.

Le logiciel libre n’est pas la solution

Faire le deuil de ses illusions, c’est pas facile. Il faut passer l’état de choc et les moments de déni (non mais c’est rien qu’une grippette). Souvent ensuite vient la colère (À QUI C’EST LA PUTAIN DE FAUTE ???), et comme le dit Mémé Ciredutemps : « La colère est une chose précieuse : il faut la mettre en bouteille, pour la ressortir dans les grandes occasions. »

C’est alors qu’arrive le temps des marchandages, le moment où on crie au monde : non mais si j’ai une solution magique, est-ce que je peux pas garder mes illusions ? Juste encore un peu ?

Si on utilise pas Google Classrooms, mais rien que des logiciels libres, on peut faire cours comme si personne n’était traumatisé la continuité pédagogique ?

J’aimerais pouvoir dire que la solution, c’est le logiciel libre. Qu’une application de pistage ne nous fera pas entrer dans la servitude volontaire et la panoptique si elle est sous licence libre. Que des drones libres empêcheraient magiquement les abus de pouvoir et violences policières. Que les communautés du logiciel libre peuvent miraculeusement accueillir les besoins numériques du service public de l’Éducation Nationale.

Mais ce serait du bullshit, de la poudre de perlimpinpin. Ce serait odieusement profiter d’une crise pour imposer mes idées, mes idéaux.

Des personnes en costume de soirée à un cocktail s'esclaffent : « Et ils ont cru qu'un virus allait détruire le capitalisme ! »

À qui profite la solution

Derrière l’élixir magique qui fait repousser les cheveux de la #TeamChauves, il y a le charlatan. Si la plupart de nos mairies ont dilapidé nos impôts dans des caméras de vidéosurveillance dont l’inefficacité a été montrée, c’est parce qu’il y a des entreprises qui font croire à cette solution magique pour vampiriser de juteux marchés publics.

Je laisse les personnes que ça excite le soin d’aller fouiller les papiers et nous dire quels sont les charlatans qui profitent le plus des solutions miracles de la crise actuelle (du « remède magique » à « l’appli de tracking si cool et citoyenne » en passant par les « drones conviviaux des gentils gendarmes »), je ne vais pas pointer des doigts ici.

Dessin satirique d'une personne tenue en laisse par un œil et qui s'écrie « Enfin libre ! » width=

Ce que je pointe du doigt, c’est la faille dans nos esprits. Car cette faille risque de se faire exploiter. Ceux qui ont trouvé la solution magique, celles qui ont la certitude d’avoir LA réponse, ces personnes sont dangereuses car (sciemment ou non) elles exploitent une faille dans nos esprits.

Dans le milieu logiciel, après avoir signalé une faille, il faut trouver un patch, un correctif pour la colmater. Je ne suis pas sûr de moi, mais je crois qu’il faut observer nos envies de croire en une solution magique, et ce qu’elles cachent. Regardons en face ce à quoi il faudra renoncer, les efforts qu’il faudra faire, le soin qu’il faudra prendre, les changements qu’il faudra accepter.

Dessin d'un goéland attaquant un drone — lien vers la Quadrature du Net
D’ailleurs, c’est le moment où jamais de vous intéresser, de partager et de soutenir le travail de nos ami·es de La Quadrature du Net.

Il n’y a pas de solution

Qu’est-ce qu’on fait ? Comment on fait ?

J’ai beau être un sorcier repenti, je suis aussi perdu que quiconque face à cette question (ou alors, si je concluais sur une solution miracle, je ferais la une de Tartuffe Magazine !). Je vais donc me concentrer sur un domaine qui occupe mon plein temps depuis des années : le numérique.

Sérieusement : je me fous que le logiciel soit libre si la société ne l’est pas.

Or, d’après mon expérience, créer des outils numériques conviviaux, émancipateurs… bref éthiques, c’est pas « juste coller une licence libre sur du code ». La licence libre est une condition essentielle ET insuffisante.

Il faut aussi faire l’effort de penser aux personnes dans leur diversité (inclusion), leur intimité (protection), leurs caractéristiques (accessibilité), leurs usages (ergonomie), leur poésie (présentation), leurs pratiques (accompagnement)…

Dessin de gens qui s'entraident — lien vers Contributopia
Toute ressemblance avec notre feuille de route Contributopia est parfaitement volontaire.
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

C’est là qu’on voit que, comme toute création de l’esprit, le code n’est qu’un prétexte. Ce qui compte, c’est l’humain. Il faut faire l’effort d’apprendre et d’écouter des humain·es, et de s’écouter soi (humain·e) pour pouvoir se remettre en question, et avancer pas à pas.

La loi des poules sans tête

Je me suis extrait, progressivement, du monde des fariboles magiques. Le plus gros deuil que j’ai dû faire en perdant ces illusions, ça a été celui des « Non mais ça, les responsables s’en occupent. », « Non mais les haut-placés font de leur mieux. », « Non mais les gouvernantes veulent notre bien. ». Toutes ces croyances me confortaient, me réconfortaient. RIP ma tranquillité d’esprit, j’ai dû faire face à cette vérité qui pour l’instant ne s’est pas démentie :

Personne ne sait ce qu’il faut faire, tout le monde improvise, nous courons dans la vie comme des poules décapitées.

La loi des poules sans têtes ne s’est pour l’instant pas démentie, dans mon vécu. La bonne nouvelle, c’est qu’elle implique des corollaires assez enthousiasmants, qui ont changé ma vie :

  • Si j’arrête de croire qu’une autre personne s’en chargera, je peux influer sur le petit bout de monde qui se trouve devant moi ;
  • Si je prends la charge d’un sujet, je sais combien c’est énergivore, et j’ai plus de compassion avec les personnes qui ont pris à leur charge d’autres sujets, même quand elles font pas comme je voudrais ;
  • Si je trouve les personnes avec qui je suis à l’aise pour faire des trucs, on peut agrandir l’horizon du bout de monde qu’on est capable de changer ;
  • Si on veut pas de hiérarchie, il faut trouver comment s’écouter les unes les uns les autres, afin de mieux s’entendre ;
  • S’il n’y a pas de personne au-dessus, tout le monde peut résoudre les problèmes que nous vivons ;
  • Si on écoute les vécus, expériences, connaissances et pratiques qui sont partagées autour de nous, on peut expérimenter et faire mûrir des solutions qui font du bien.

Extrait du film « Chicken Run » où des poules organisent une évasion
Quand les poules ont la tête sur les épaules…

Plot twist : la magie était dans nos mains depuis le début

Le plus gros secret que j’ai appris en cessant d’être sorcier, c’est que la magie existe. Annoncer ce que l’on souhaite faire, comment on veut le faire, et l’aide dont on a besoin pour y arriver nous a plutôt bien aidé à concrétiser nos actions, chez Framasoft. Le fait de transformer les paroles en actions concrètes est possible : j’appelle ça de la communication.

En vrai, il s’agit d’abord d’écouter soi, son groupe, son entourage, son monde… puis d’exprimer le chemin qu’on aimerait y tracer, ce que l’on souhaite y faire. Écouter puis exprimer. Dans l’incertitude et la remise en question. La partie magique, c’est que les gens sont gentils. Si tu leur donnes des raisons de te connaître, de te faire confiance, iels vont t’apporter l’aide dont tu as besoin pour tes actions, et parfois plus.

Les gens sont gentils, et les connards en abusent. L’avantage de m’être déjà fait manipuler par des gourous, c’est que je repère les pseudo mages noirs de pacotille à des kilomètres. Celles qui s’expriment et n’écoutent rien ni personne, même pas la énième consultation publique mise en place. Ceux qui sont obligés de rajouter des paillettes à leurs effets, qui font clignoter de la tracking, parce qu’il leur manque un ingrédient essentiel à la magie : notre confiance.

Photo de Pyg qui présente la « disruption » en plagiant la communication d'entreprise
Une description du collectif CHATONS en bullshit langage : nous aussi on pourrait. C’est juste qu’on veut pas.

Il n’y a pas de solution, il n’y a que nous

Si j’applique mon expérience à un « où on va » plus général, mon intuition me dit que la direction à prendre est, en gros, celle où on se fait chier.

Celle où on se bouge le derche pour combattre, éduquer ou faire malgré ces poules sans tête qui se prennent pour des coqs.

Celle où on se casse le cul à écouter le monde autour de nous et celui à l’intérieur de nous pour trouver ce que nous pouvons prendre à notre charge, ici et maintenant.

Celle où on s’emmerde à essayer de faire attention à tous les détails, à toutes les personnes, tout en sachant très bien qu’on n’y arrivera pas, pas parfaitement.

Celle où il n’y a pas de raccourci, pas de solution magique, juste nos petits culs, fiers et plein d’entrain.

À mes yeux la route à choisir est celle qui parait la plus longue et complexe, parce que c’est la voie la plus humaine. C’est pas une solution, hein : c’est une route. On va trébucher, on va se paumer et on va fatiguer. Mais avec un peu de jugeote, on peut cheminer en bonne compagnie, réaliser bien plus et aller un peu plus loin que les ignares qui se prennent pour des puissants.

On se retrouve sur le sentier ?

Promis : la voie est Libre !

Pour Esméralda Ciredutemps
– prends bien soin de toi.




D’autres technologies pour répondre à l’urgence de la personne ?

« Ce dont nous avons besoin, c’est le contraire de la Big Tech. Nous avons besoin de Small Tech – des outils de tous les jours conçus pour augmenter le bien-être humain, et non les profits des entreprises. »

Ce n’est pas une théorie complotiste : le profilage et la vente de données privées font, depuis des années, partie intégrante du modèle économique de la plupart des entreprises du numérique. Dans cet article traduit par Framalang, Aral Balkan (auquel nous faisons régulièrement écho) suggère qu’il est urgent de s’éloigner de ce modèle qui repose sur les résultats financiers pour gagner en indépendance et explique pourquoi c’est important pour chacun d’entre nous.

 

Article original : In 2020 and beyond, the battle to save personhood and democracy requires a radical overhaul of mainstream technology

Traduction Framalang : FranBAG, goofy, wisi_eu, gangsoleil, Khrys – Mise en forme :

En 2020 et au-delà, la bataille pour sauver l’identité individuelle et la démocratie exigera une révision radicale des technologies dominantes

par Aral Balkan

Un jeune garçon pilotant un canot sur un lac, durant les grands incendies australiens. Crédit photo: Allison Marion.

 

Alors que nous entrons dans une nouvelle décennie, l’humanité est confrontée à plusieurs urgences existentielles :

  1. L’urgence climatique4
  2. L’urgence démocratique
  3. L’urgence de la personne

Grâce à Greta Thunberg, nous parlons sans aucun doute de la première. La question de savoir si nous allons vraiment faire quelque chose à ce sujet, bien sûr, fait l’objet d’un débat.5

De même, grâce à la montée de l’extrême droite dans le monde entier sous la forme de (entre autres) Trump aux États-Unis, Johnson au Royaume-Uni, Bolsonaro au Brésil, Orban en Hongrie et Erdoğan en Turquie, nous parlons également de la seconde, y compris du rôle de la propagande (ou « infox ») et des médias sociaux dans sa propagation.

Celle sur laquelle nous sommes les plus désemparé·e·s et partagé·e·s, c’est la troisième, même si toutes les autres en découlent et en sont les symptômes. C’est l’urgence sans nom. Enfin, jusqu’à présent.

L’urgence de la personne

On ne peut pas comprendre « l’urgence de la personne » sans comprendre le rôle que la technologie de réseau et numérique grand public joue dans sa perpétuation.

Votre télé ne vous regardait pas, YouTube si.

La technologie traditionnelle – non numérique, pas en réseau – était un moyen de diffusion à sens unique. C’est la seule chose qu’un livre imprimé sur la presse Gutenberg et votre téléviseur analogique avaient en commun.

Autrefois, quand vous lisiez un journal, le journal ne vous lisait pas aussi. Lorsque vous regardiez la télévision, votre téléviseur ne vous regardait pas aussi (à moins que vous n’ayez spécifiquement permis à une société de mesure d’audience, comme Nielsen, d’attacher un audimètre à votre téléviseur).

Aujourd’hui, lorsque vous lisez le journal The Guardian en ligne, The Guardian – et plus de deux douzaines d’autres parties tierces, y compris la Nielsen susmentionnée – vous lit également. Quand vous regardez YouTube, YouTube vous regarde aussi.

Il ne s’agit pas d’une théorie de la conspiration farfelue, mais simplement du modèle d’affaires de la technologie actuelle. J’appelle ce modèle d’affaires « l’élevage d’êtres humains ». C’est une partie du système socio-économique, dont nous faisons partie, que Shoshana Zuboff appelle le capitalisme de surveillance.6

Et pis encore : Alphabet Inc, qui possède Google et YouTube, ne se contente pas de vous observer lorsque vous utilisez un de leurs services, mais vous suit également sur le Web lorsque vous allez de site en site. À lui seul, Google a les yeux sur 70 à 80 % du Web.
Mais ils ne s’arrêtent pas là non plus. Les exploitants d’êtres humains achètent également des données auprès de courtiers en données, partagent ces données avec d’autres exploitants et savent même quand vous utilisez votre carte de crédit dans les magasins ayant pignon sur rue. Et ils combinent toutes ces informations pour créer des profils de vous-même, constamment analysés, mis à jour et améliorés.

Nous pouvons considérer ces profils comme des simulations de nous-mêmes. Ils contiennent des aspects de nous-mêmes. Ils peuvent être (et sont) utilisés comme des approximations de nous-mêmes. Ils contiennent des informations extrêmement sensibles et intimes sur nous. Mais nous ne les possédons pas, ce sont les exploitants qui les possèdent.

Il n’est pas exagéré de dire qu’au sein de ce système, nous ne sommes pas en pleine possession de nous-mêmes. Dans un tel système, où même nos pensées risquent d’être lues par des entreprises, notre identité et le concept même d’autodétermination sont mis en danger.

Nous sommes sur le point de régresser du statut d’être humain à celui de propriété, piratés par une porte dérobée numérique et en réseau, dont nous continuons à nier l’existence à nos risques et périls. Les conditions préalables à une société libre sont soumises à notre compréhension de cette réalité fondamentale.
Si nous nous prolongeons en utilisant la technologie, nous devons étendre le champ d’application légal des droits de l’homme pour inclure ce « Moi » prolongé.

Si nous ne pouvons définir correctement les limites d’une personne, comment pouvons-nous espérer protéger les personnes ou l’identité d’une personne à l’ère des réseaux numériques ?

Aujourd’hui, nous sommes des êtres fragmentés. Les limites de notre être ne s’arrêtent pas à nos frontières biologiques. Certains aspects de notre être vivent sur des morceaux de silicium qui peuvent se trouver à des milliers de kilomètres de nous.

Il est impératif que nous reconnaissions que les limites du moi à l’ère des réseaux numériques ont transcendé les limites biologiques de nos corps physiques et que cette nouvelle limite – le « Moi » prolongé ; la totalité fragmentée du moi – constitue notre nouvelle peau numérique et que son intégrité doit être protégée par les droits de l’homme.

Si nous ne faisons pas cela, nous sommes condamné·e·s à nous agiter à la surface du problème, en apportant ce qui n’est rien d’autre que des changements cosmétiques à un système qui évolue rapidement vers un nouveau type d’esclavage.

C’est l’urgence de la personne.

Un remaniement radical de la technologie grand public

Si nous voulons nous attaquer à l’urgence de la personne, il ne faudra rien de moins qu’un remaniement radical des technologies grand public.

Nous devons d’abord comprendre que si réglementer les exploitants d’humains et les capitalistes de la surveillance est important pour réduire leurs préjudices, cette réglementation constitue une lutte difficile contre la corruption institutionnelle et n’entraînera pas, par elle-même, l’émergence miraculeuse d’une infrastructure technologique radicalement différente. Et cette dernière est la seule chose qui puisse s’attaquer à l’urgence de l’identité humaine.

Imaginez un monde différent.

Faites-moi le plaisir d’imaginer ceci une seconde : disons que votre nom est Jane Smith et que je veux vous parler. Je vais sur jane.smith.net.eu et je demande à vous suivre. Qui suis-je ? Je suis aral.balkan.net.eu. Vous me permettez de vous suivre et nous commençons à discuter… en privé.

Imaginez encore que nous puissions créer des groupes – peut-être pour l’école où vont nos enfants ou pour notre quartier. Dans un tel système, nous possédons et contrôlons tou·te·s notre propre espace sur Internet. Nous pouvons faire toutes les choses que vous pouvez faire sur Facebook aujourd’hui, tout aussi facilement, mais sans Facebook au milieu pour nous surveiller et nous exploiter.

Ce dont nous avons besoin, c’est d’un système en pair à pair qui établisse une passerelle avec le réseau mondial existant.

Ce dont nous avons besoin, c’est le contraire de la « Big Tech » (industrie des technologies). Nous avons besoin de « Small Tech » (technologie à petite échelle) – des outils de tous les jours pour les gens ordinaires, conçus pour augmenter le bien-être humain, et non les profits des entreprises.

Étapes concrètes

À la Small Technology Foundation, Laura et moi avons déjà commencé à construire certains des éléments fondamentaux d’un pont possible entre le capitalisme de surveillance et un avenir radicalement démocratique, entre pairs. Et nous continuerons à travailler sur les autres composantes cette année et au-delà. Mais il y a des mesures pratiques que nous pouvons tou·te·s prendre pour aider à faire avancer les choses dans cette direction.

Voici quelques suggestions pratiques pour différents groupes :

Les gens ordinaires

1. Ne vous culpabilisez pas, vous êtes les victimes. Quand 99,99999 % de tous les investissements technologiques vont aux « exploitants d’humains », ne laissez personne vous dire que vous devriez vous sentir mal d’avoir été obligé·e·s d’utiliser leurs services par manque d’alternatives.

2. Cela dit, il existe des alternatives. Cherchez-les. Utilisez-les. Soutenez les gens qui les fabriquent.

3. Prenez conscience que ce problème existe. Appelez des responsables et défendez ceux qui le font. À tout le moins, n’écartez pas les préoccupations et les efforts de ceux et celles d’entre nous qui tentent de faire quelque chose à ce sujet.

Les développeurs

1. Cessez d’intégrer les dispositifs de surveillance d’entreprises comme Google et Facebook dans vos sites Web et vos applications. Cessez d’exposer les gens qui utilisent vos services au capitalisme de surveillance.

2. Commencez à rechercher d’autres moyens de financer et de construire des technologies qui ne suivent pas le modèle toxique de la Silicon Valley.

3. Laissez tomber la « croissance » comme mesure de votre succès. Construisez des outils que les individus possèdent et contrôlent, et non votre entreprise ou organisation. Créez des applications Web pour utilisateur unique (dont chaque personne sera l’unique propriétaire). Soutenez des plateformes libres (comme dans liberté) et décentralisées (sans nager dans les eaux troubles de la blockchain).

L’Union Européenne

1. Cessez d’investir dans les start-ups et d’agir comme un Département de recherche et développement officieux de la Silicon Valley et investissez plutôt dans les « stayups » (entreprises durables, PME ou micro-entreprises matures).

2. Créez un domaine de premier niveau (DPN) non commercial ouvert à tous, où chacun peut enregistrer un nom de domaine (avec un certificat Let’s Encrypt automatique) pour un coût nul avec un seul « appel API ».

3. Appuyez-vous sur l’étape précédente pour offrir à chaque citoyen·ne de l’Union Européenne, payé par l’argent du contribuable européen, un serveur privé virtuel de base, doté de ressources de base pour héberger un nœud actif 24h/24 dans un système pair-à-pair qui le détacherait des Google et des Facebook du monde entier et créerait de nouvelles possibilités pour les gens de communiquer en privé ainsi que d’exprimer leur volonté politique de manière décentralisée.

Et, généralement, il est alors temps pour chacun·e d’entre nous de choisir un camp.

Le camp que vous choisissez décidera si nous vivons en tant que personnes ou en tant que produits. Le côté que vous choisissez décidera si nous vivons dans une démocratie ou sous le capitalisme.

Démocratie ou capitalisme ? Choisissez.

Si, comme moi, vous avez grandi dans les années 80, vous avez probablement accepté sans réfléchir la maxime néolibérale selon laquelle la démocratie et le capitalisme vont de pair. C’est l’un des plus grands mensonges jamais propagés. La démocratie et le capitalisme sont diamétralement opposés.

Vous ne pouvez pas avoir une démocratie fonctionnelle et des milliardaires et des intérêts corporatifs de billions de dollars et la machinerie de désinformation et d’exploitation des Big Tech de la Silicon Valley. Ce que nous voyons, c’est le choc du capitalisme et de la démocratie, et le capitalisme est en train de gagner.

Avons-nous déjà passé ce tournant ? Je ne sais pas. Peut-être. Mais on ne peut pas penser comme ça.

Personnellement, je vais continuer à travailler pour apporter des changements là où je pense pouvoir être efficace : en créant une infrastructure technologique alternative pour soutenir les libertés individuelles et la démocratie.

L’humanité a déjà mis en place l’infrastructure du techno-fascisme. Nous avons déjà créé (et nous sommes toujours en train de créer) des éléments panoptiques. Tout ce que les fascistes ont à faire, c’est d’emménager et de prendre les commandes. Et ils le feront démocratiquement, avant de détruire la démocratie, tout comme Hitler l’a fait.

Et si vous pensez que «les années 30 et 40 c’était quelque chose», rappelez-vous que les outils les plus avancés pour amplifier les idéologies destructrices de l’époque étaient moins puissants que les ordinateurs que vous avez dans vos poches aujourd’hui. Aujourd’hui, nous avons le « Machine Learning » (Apprentissage machine) et sommes sur le point de débloquer l’informatique quantique.

Nous devons nous assurer que les années 2030 ne reproduisent pas les années 1930. Car nos systèmes centralisés avancés de saisie, de classification et de prévision des données, plus une centaine d’années d’augmentation exponentielle de la puissance de traitement (notez que je n’utilise pas le mot « progrès »), signifient que les années 2030 seront exponentiellement pires.

Qui que vous soyez, où que vous soyez, nous avons un ennemi commun : l’Internationale nationaliste. Les problèmes de notre temps dépassent les frontières nationales. Les solutions le doivent également. Les systèmes que nous construisons doivent être à la fois locaux et mondiaux. Le réseau que nous devons construire est un réseau de solidarité.

Nous avons créé le présent. Nous allons créer le futur. Travaillons ensemble pour faire en sorte que cet avenir soit celui dans lequel nous voulons vivre nous-mêmes.


Discours d’Aral Balkan au Parlement européen, fin 2019, lors de la rencontre sur l’avenir de la réglementation de l’Internet.  Merci à la Quadrature du Net et à sa chaîne PeerTube.

 





28 ans d’existence du World Wide Web : vous reprendrez bien un peu d’exploitation ?

À l’occasion du 28e anniversaire du World Wide Web, son inventeur Tim Berners-Lee a publié une lettre ouverte dans laquelle il expose ses inquiétudes concernant l’évolution du Web, notamment la perte de contrôle sur les données personnelles, la désinformation en ligne et les enjeux de la propagande politique.

Aral Balkan, qui n’est plus à présenter sur ce blog, lui répond par cet article en reprenant le concept de Capitalisme de surveillance. Comment pourrions-nous arrêter de nous faire exploiter en coopérant avec des multinationales surpuissantes, alors que cela va à l’encontre de leurs intérêts ? Réponse : c’est impossible. À moins de changer de paradigme…

Article original d’Aral Balkan sur son blog :  We did not lose control, it was stolen

Traduction Framalang : Dark Knight, audionuma, bricabrac, dominix, mo, Jerochat, Luc, goofy, lyn, dodosan et des anonymes

Aral Balkan est un militant, concepteur et développeur. Il détient 1/3 de Ind.ie, une petite entreprise sociale qui travaille pour la justice sociale à l’ère du numérique.

Nous n’avons pas perdu le contrôle du Web — on nous l’a volé

12 mars 2017. Le Web que nous avons fonctionne bien pour Google et Facebook. Celles et ceux qui nous exploitent ne respectent pas nos vies privées et en sont récompensé·e·s chaque année par des chiffres d’affaires atteignant des dizaines de milliards de dollars. Comment pourraient-ils être nos alliés ?

Le Web que nous connaissons fait parfaitement l’affaire pour Google. Crédit photo : Jeff Roberts 

Pour marquer le vingt-huitième anniversaire du World Wide Web, son inventeur Tim Berners-Lee a écrit une lettre ouverte distinguant trois « tendances » principales qui l’inquiètent de plus en plus depuis douze mois :

1.    Nous avons perdu le contrôle de nos données personnelles

2.    Il est trop facile de répandre la désinformation sur le Web

3.    La propagande politique en ligne doit être transparente et comprise

Il est important de noter qu’il ne s’agit pas seulement de tendances et que ce phénomène est en gestation depuis bien plus de douze mois. Ce sont des symptômes inextricablement liés à l’essence même du Web tel qu’il existe dans le contexte socio-technologique où nous vivons aujourd’hui, que nous appelons le capitalisme de surveillance.

C’est le résultat d’un cercle vicieux entre l’accumulation d’informations et celle du capital, qui nous a laissé une oligarchie de plateformes en situation de monopole qui filtrent, manipulent et exploitent nos vies quotidiennes.

Nous n’avons pas perdu le contrôle du Web — on nous l’a volé

Google et Facebook ne sont pas des alliés dans notre combat pour un futur juste : ils sont l’ennemi.

Tim dit que nous avons « perdu le contrôle de nos données personnelles ».

C’est inexact.

Nous n’avons pas perdu le contrôle : la Silicon Valley nous l’a volé.

Ceux qui nous exploitent, les Google et les Facebook du monde entier, nous le volent tous les jours.

Vous vous le faites voler par une industrie de courtier·e·s de données, la publicité l’industrie de la publicité comportementale (« adtech ») et une longue liste de startups de la Silicon Valley qui cherchent une porte de sortie vers un des acteurs les plus établis ou essaient de rivaliser avec eux pour posséder une partie de votre personnalité.

Tim touche au cœur du problème dans son billet : « Le modèle commercial actuel appliqué par beaucoup de sites Web est de vous offrir du contenu en échange de vos données personnelles. » (1)

En revanche, aucun exemple ne nous est donné. Aucun nom. Aucune responsabilité n’est attribuée.

Ceux qu’il ne veut pas nommer – Google et Facebook – sont là, silencieux et en retrait, sans être jamais mentionnés, tout juste sont-ils décrits un peu plus loin dans la lettre comme des alliés qui tentent de « combattre le problème » de la désinformation. Il est peut-être stupide de s’attendre à davantage quand on sait que Google est un des plus importants contributeurs aux standards récents du Web du W3C et qu’avec Facebook ils participent tous les deux au financement de la Web Foundation ?

Ceux qui nous exploitent ne sont pas nos alliés

Permettez-moi d’énoncer cela clairement : Google et Facebook ne sont pas des alliés dans notre combat pour un futur juste, ils sont l’ennemi.

Ces plateformes monopolistiques font de l’élevage industriel d’êtres humains et nous exploitent pour extraire jusqu’à la moindre parcelle qu’ils pourront tirer de nous.

Si, comme le déclare Tim, le principal défi pour le Web aujourd’hui est de combattre l’exploitation des personnes, et si nous savons qui sont ces exploiteurs, ne devrions-nous pas légiférer fermement pour refréner leurs abus ?

Le Web, à l’instar du capitalisme de surveillance, a remarquablement réussi.

La Web Foundation va-t-elle enfin encourager une régulation forte de la collecte, de la conservation et de l’utilisation des données personnelles par les Google, Facebook et consorts ? Va-t-elle promouvoir une forme de réglementation visant à interdire la privatisation des données du monde entier par ces derniers de façon à encourager les biens communs ? Aura-t-elle le cran, dont nous avons plus que jamais besoin, de rejeter la responsabilité à qui de droit et de demander à contrer les violations quotidiennes de nos droits humains perpétrées par les partenaires du W3C et de la Web Foundation elle-même ? Ou est-il insensé de s’attendre à de telles choses de la part d’une organisation qui est si étroitement liée à ces mêmes sociétés qu’elle ne peut paraître indépendante de quelque manière que ce soit ?

Le Web n’est pas cassé, il est perdu.

Le Web est perdu mais il n’est pas cassé. La distinction est essentielle.

Le Web, tout comme le capitalisme de surveillance lui-même, a réussi de façon spectaculaire et fonctionne parfaitement pour les entreprises. En revanche, la partie est perdue pour nous en tant qu’individus.

Google, Facebook, et les autres « licornes » multimilliardaires sont toutes des success stories du capitalisme de surveillance. Le capitalisme de surveillance est un système dont, comme le cancer, la réussite se mesure à la capacité d’évolution rapide et infinie dans un contexte de ressources finies. Et tout comme le cancer à son paroxysme, le succès du capitalisme de surveillance aujourd’hui est sur le point de détruire son hôte. D’ailleurs, là encore comme le cancer, non sans nous avoir volé d’abord notre bien-être, notre pouvoir et notre liberté. Le problème est que parmi les critères de réussite du capitalisme de surveillance ne figurent absolument pas notre équité, notre bien-être, notre capacité d’action ni notre liberté individuelle. Nous ne sommes que du bétail à exploiter, une source infinie de matières premières.

Le Web que nous avons n’est pas cassé pour Google et Facebook. Ceux qui nous exploitent sont récompensés à hauteur de dizaines de milliards de chiffre d’affaires pour s’être introduits dans nos vies. Comment pourraient-ils être nos alliés ?

Tim suggère que « nous devons travailler avec les entreprises du Web pour trouver un équilibre qui redonne aux personnes un juste niveau de contrôle de leurs données. »

Quoi de plus naïf que de nous suggérer de travailler avec les plus gros exploiteurs du Web pour leur rendre cette tâche plus difficile et donc réduire leurs bénéfices ? (2)
Quelle raison Google ou Facebook pourraient-ils avoir de réparer le Web que nous avons alors qu’il n’est pas cassé pour eux ? Aucune. Absolument aucune.

Tim écrit : « Pour construire le web, il a fallu notre participation à tous, et c’est à nous tous, désormais, de construire le web que nous voulons – pour tous. »

Je ne suis pas d’accord.

Il a fallu la Silicon Valley (subventionnée par le capital-risque et suivant le modèle commercial de l’exploitation des personnes) pour construire le Web que nous avons.

Et maintenant c’est à nous, qui n’avons aucun lien avec ces entreprises, nous qui ne sommes pas de mèche ou qui ne sommes pas sponsorisé·e·s par ces entreprises, nous qui comprenons que le Big Data est le nouveau nerf de la guerre, de faire pression pour une réglementation forte, de contrer les abus des exploiteurs et de jeter un pont entre le Web que nous avons et celui que nous voulons : du capitalisme de surveillance vers un monde de souveraineté individuelle et de biens communs.

Pour aller plus loin

Notes

(1) Le problème est que même si vous payez effectivement pour des produits ou des services, il est très probable qu’ils violeront tout de même votre identité numérique, à moins qu’ils ne soient conçus par éthique pour être décentralisés et/ou amnésiques.^^

(2) Avant de vous laisser croire que je m’en prends à Tim, je précise que ce n’est pas le cas. Par deux fois je l’ai rencontré et nous avons discuté, je l’ai trouvé sincèrement honnête, passionné, humble, attentionné, quelqu’un de gentil. Je pense réellement que Tim se soucie des problèmes qu’il soulève et veut les résoudre. Je pense vraiment qu’il veut un Web qui soit un moyen d’encourager la souveraineté individuelle et les communs. Je ne crois pas, néanmoins, qu’il soit humainement possible pour lui, en tant qu’inventeur du Web, de se détacher assez du Web que nous avons afin de devenir le défenseur du Web que nous voulons. Les entreprises qui ont fait du Web ce qu’il est aujourd’hui (un poste de surveillance) sont sensiblement les mêmes qui composent le W3C et soutiennent la Web Foundation. En tant que leader des deux, les conflits d’intérêts sont trop nombreux pour être démêlés. Je ne suis pas jaloux de la position peu enviable de Tim, dans laquelle il ne peut pas délégitimer Google et Facebook sans délégitimer les organisations qu’il conduit et au sein desquelles leur présence est si importante.

En outre, je crois sincèrement que Tim pensait avoir conçu le Web en lien avec sa philosophie sans réaliser qu’une architecture client/serveur, une fois immergée dans un bain de culture capitaliste, aurait pour résultat des pôles (les serveurs) se structurant verticalement et s’unifiant — pour finalement devenir des monopoles — comme les Google et Facebook que nous connaissons aujourd’hui. A posteriori, tout est clair et il est facile de faire la critique de décisions d’architecture qui ont été prises 28 ans plus tôt en soulignant les défauts d’un système que personne n’aurait cru capable de grandir autant ni de prendre un rôle central dans nos vies. Si j’avais conçu le Web à l’époque, non seulement j’aurais été un prodige, mais j’aurais probablement pris exactement les mêmes décisions, sans doute en moins bien. Je ne possède rien qui ressemble au cerveau de Tim. Tim a suivi son intuition, et il l’a fait de façon très élégante en élaborant les choses les plus simples qui pourraient fonctionner. Cela, ainsi que le fait de l’avoir partagé avec le monde entier, et sa compatibilité avec l’architecture du capitalisme, ont été les raisons du succès du Web. S’il y a une leçon à retenir de cela, c’est que les protocoles sociaux et économiques sont au moins aussi importants que les protocoles réseau et que nous devons leur consacrer autant de réflexion et de notoriété dans nos alternatives.^^




Le Libre (et Framasoft) à la Fête de l’Huma, entretien avec Yann Le Pollotec

Fête de l'Humanité 2014

Le Libre revient explicitement et concrètement à la Fête de l’Humanité, grâce à l’initiative de Yann Le Pollotec et toute son équipe.

En effet, cette année, un espace sera consacré « aux logiciels libres, aux hackers et aux fablabs », au sein du Village de l’économie sociale et solidaire, avec notamment la présence de l’April, FDN, La Quadrature ou encore Ubuntu. Des débats seront également proposés avec Richard Stallman le vendredi 12 septembre, Bernard Stiegler le samedi 13 et une table ronde animée par Sebastien Broca le dimanche 14. Les temps étant difficiles une campagne de financement a été lancée pour couvrir les frais occasionnés.

Framasoft en sera, en tenant un stand pendant les 3 jours et en participant à la table-ronde du dimanche avec son président Christophe Masutti.

En attendant, nous sommes allés à la rencontre de Yann Le Pollotec (informaticien, membre du conseil national et animateur de la réflexion sur la révolution numérique.au PCF), afin d’avoir de plus amples informations sur l’événement, afin aussi de savoir ce que le logiciel libre avait à dire à la gauche et réciproquement.

Yann Le Pollotec

Entretien avec Yann Le Pollotec

Entrons tout de suite dans le vif du sujet : le logiciel libre est-il de gauche ?

Les quatre libertés du logiciel libre, de par les valeurs de partage et la notion de biens communs qu’elles portent, ne peuvent que rejoindre ce pourquoi les hommes et les femmes sincèrement de gauche se battent. Je pense en particulier à la notion de « Commun » qui me semble être la seule voie d’avenir pour que la gauche sorte du mortifère dilemme entre le marché et l’État.

Certes certains libéraux et libertariens s’en réclament également, car contradictoirement, malgré sa tendance à tout vouloir privatiser, le capitalisme pour se développer a toujours eu besoin de biens communs à exploiter.

Tu fais partie de ceux qui réfléchissent à la « révolution numérique » au sein du PCF. Est-il possible de résumer les positions du parti sur le sujet et plus particulièrement sur le logiciel libre ?

Le PCF s’est battu pour le logiciel libre depuis 1994, ainsi que contre toutes les tentatives de brevets logiciels au Parlement européen.

Le texte suivant adopté lors du dernier Congrès du PCF résume notre position : « Sous la crise du capitalisme émergent déjà les prémisses d’une troisième révolution industrielle avec les logiciels libres, les machines auto-réplicatives libres, l’open source hardware, les mouvements hackers et maker. Ainsi se créent et se développent des lieux de conception et de proximité en réseau, ouverts et gratuits, où l’on partage savoir et savoir-faire, où l’on crée plutôt qu’on ne consomme, où l’on expérimente et apprend collectivement, où le producteur n’est plus dépossédé de sa création, tels les Fab Lab, qui sont les moteurs de ce mouvement. Toutes ces avancées portent en elles des possibilités de mise en commun, de partage et de coopération inédites. »

Lorsque tu communiques avec tes camarades du parti, vois-tu souvent passer des adresses en gmail et de pièces jointes en .doc ?

Oui malheureusement en cela les militants communistes ne sont pas différents de la majorité de la population.

Mais les choses progressent, ainsi au siège national du Parti, et dans la plupart des fédérations départementales, nous sommes équipés de LibreOffice, de Thunderbird, et Firefox, et nous avons notre propre nom de domaine : pcf.fr. Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure ainsi que la peur de perdre ses sacro-saintes « macro excel ». C’est pourquoi l’espace à la Fête de l’Huma est aussi une occasion de les faire régresser par l’exemple et la pédagogie.

Nous sommes nombreux à vouloir re-décentraliser le Web plutôt que céder nos données à « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon). Le mouvement des fablabs et du DIY va-t-il re-décentraliser le capital ?

Oui parce que s’ils socialisent la conception via les échanges sur le Net et les bases de données disponibles, et ils décentralisent dans le même temps la production. Les petites unités de production que sont les fablabs, les hackerspaces et les makerspaces, impliquent une dispersion du capital qui va à l’encontre de la tendance atavique du capitalisme à le concentrer. La démocratisation et le partages des connaissances techniques et des moyens de créer et de produire dans le cadre de ces tiers lieux démentent les prédictions de Jacques Ellul sur l’équivalence entre développement des technologies et concentration du pouvoir, des ressources et du capital.

Favorable au revenu de base universel ? Et comme le souhaite Bernard Stiegler : demain, tous intermittents du spectacle ?

La révolution numérique dans le cadre économique actuel est une machine à détruire l’emploi salarié et à faire baisser les salaires. Par contre cette même révolution numérique, dans le cadre d’un autre partage des richesses et là c’est un combat politique, peut permettre, comme Marx l’appelait de ses vœux dans les Grundrissel émergence d’une humanité libérée du salariat et où « la distribution des moyens de paiement devra correspondre au volume de richesses socialement produites et non au volume du travail fourni. ».

C’est pourquoi je suis persuadé à l’instar de Bernard Stiegler que les batailles politiques pour instaurer un revenu universel et une baisse drastique du temps de travail, en lien avec la question de la propriété, seront fondamentales. Après on peut bien sûr débattre pour savoir si on résout le problème avec un « salaire socialisé » comme le propose Bernard Friot, un système de « sécurité d’emploi et de formation tout au long de la vie» comme y invite Paul Boccara, ou sous la forme de revenu universel de base conditionnel ou non.

Alors cette année, le Libre est à l’honneur et à l’affiche à la Fête de l’Huma. QQOQCCP ? (Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Combien ? Et pourquoi ?)

La Fête de l’humanité des 12, 13 et 14 septembre 2014 à la Courneuve, consacrera donc un espace aux cultures et aux valeurs du logiciel libre, des hackers et du mouvement émergent des Fablab. Cet espace sera un lieu d’éducation populaire par la démonstration et la pratique (Imprimante 3d, atelier soudure, installation de distributions GNU/Linux, fabrication de Jerry..). Mais il sera aussi un endroit où on mènera le débat politique au sens noble du terme sur tous les enjeux de la révolution numérique : le big-data, la neutralité du net, la propriété intellectuelle, les tiers-lieux, l’économie du partage et de la coopération,…

April, Ars Industrialis, Creative Commons France, Emmabuntüs, Fab-Lab Cité des sciences : Carrefour numérique, Fabrique du Ponan, Fac-Lab, FDN, Open Edge, Jerry Do It Together, La Quadrature du Net, Les petits débrouillards d’IDF, Mageia, Parinux, Ubuntu et Framasoft ont accepté d’être partie prenante en tant qu’exposants et acteurs de cet espace.

Il y aura également des débats avec des personnalités comme Bernard Stiegler ou Sebastien Broca, des structures comme l’April, la Quadrature du Net ou Framasoft et… Richard Stallman himself !

Oui trois grands moments de débats structureront la vie de cet espace :

  • « le Logiciel libre: les Droits de l’Homme dans votre ordinateur » avec Richard Stallman
  • « l’économie de la contribution et la révolution numérique » avec Bernard Stiegler, Laurent Ricard et Emmanuelle Roux.
  • « Le combat pour les libertés numériques : neutralité du Net, protection des données personnelles, licences libres, droits d’auteur… » avec Sébastien Broca, l’April, la Quadrature du Net, Framasoft et Creative Commons France.

FabLab Stand Blanc-Mesnil 2013

Il existait par le passé un « Village du Logiciel Libre » sous la houlette de Jérôme Relinger. Ainsi donc le logiciel libre revient à la Fête de l’Humanité. Mais peut-être est-il plus juste de dire qu’il ne l’a jamais quitté ?

À vrai dire, c’est toujours une affaire d’hommes et de femmes, le « village du logiciel libre » avait été créé par Jérôme Relinger et Jacques Coubard. Les aléas de la vie ont fait que Jérôme a vogué vers d’autres horizons et que Jacques est malheureusement décédé.

Mais les braises couvaient sous les cendres. À la fête de l’Humanité 2013, le stand du PC -Blanc-Mesnil, sous le thème de « Hackons le capitalisme » avait accueilli en démonstration un mini fablab avec entre autres une imprimante 3D et organisé un débat sur ce thème. Par le bouche à oreille, divers acteurs du monde du logiciel libre, des fablabs et des hackerspace ont spontanément participé à l’animation de ce mini-espace drainant ainsi sur les 3 jours de la Fête plusieurs centaines de curieux comme de passionnés. Le débat a lui aussi été un succès, tant en termes de participation que de qualité des échanges

Spontanément les acteurs comme les visiteurs de ce mini-espace en sont venus à souhaiter ardemment un véritable espace lors de la Fête de l’Humanité 2014 dédié aux mouvements des logiciels libres, aux hackers et aux fablabs, et sous la responsabilité officielle de la Fête de l’Humanité. Un collectif s’est donc constitué, de manière bénévole et militante, à partir des animateurs et des visiteurs du mini fablab de 2013, pour réaliser un espace du libre, des hackers et des Fab-Lab à la Fête de l’Humanité 2014.

Nouvelle dénomination : « Espace du libre, des hackers et des fablabs ». Pourquoi un tel choix ? Y a-t-il une forte différence entre les 3 dénominations ? Illustre-t-il une évolution et la situation actuelle ?

Oui car il s’agissait à la fois de se placer dans la filiation du village précédant, de casser les lieux communs que les médias dominants donnent des hackers en les assimilant aux crackers et d’attirer l’attention sur le mouvement émergent des fablabs avec le mariage des bits et des atomes. Bien sûr aux cœurs de ces trois mots, on retrouve un socle de valeurs communes et déjà une Histoire qui elle aussi est commune.

Fête de l'Humanité 2014 - Ulule

Une campagne de financement participatif a été lancée sur Ulule pour couvrir les frais de cet espace. Pourquoi ? Que peut-on faire pour aider, participer ?

La direction de la Fête de l’Huma a donné son accord pour la création de l’Espace mais à condition qu’hormis le terrain et l’électricité cela soit à coût zéro pour elle, en raison des graves difficultés financières du journal l’Humanité. D’où la nécessité de trouver un financement participatif pour les frais de transports, de location de mobiliers et de matériels, de réalisation d’une exposition pédagogique de présentation des enjeux de la révolution numérique,…

Vous pouvez participer personnellement à ce financement sur : http://fr.ulule.com/hackers-fablab/.

Par exemple : pour 60 euros, vous avez la vignette d’entrée pour les 3 jours (et tous les spectacles), le tee-shirt officiel, votre nom sur le panneau et une initiation à l’impression 3d. Et nous vous invitions également à populariser cette campagne autour de vous, dans vos réseaux et vos cercles de connaissances. Merci.

Le crowdfunding (financement participatif) est-il soluble dans les valeurs du communisme ?

Le crowdfunding est une réponse « bottom-up » aux dysfonctionnements majeurs des banques traditionnelles et du système financier dans son ensemble. L’existence et le développement du Crowdfunding n’empêche le combat politique pour mettre les banques et la monnaie au service du financement de l’intérêt général et du bien commun.

Où en est le projet de créer un fablab original et ambitieux au Blanc-Mesnil ?

Ce projet était porté par la municipalité communiste sortante. Malheureusement en mars, elle a été battue par une liste de l’UMP. Les priorités du nouveau maire sont de mettre en place une police municipale armée et des caméras de vidéo surveillance et non de favoriser l’installation d’un fablab. Aujourd’hui avec l’association « Fablab au Blanc-Mesnil » nous sommes en train de travailler à poursuivre notre projet dans le cadre de ces nouvelles conditions y compris en l’élargissant aux communes voisines.

FabLab Stand Blanc-Mesnil 2013




Sans médias libres, pas de liberté de pensée – Conférence d’Eben Moglen

Une conférence d’Eben Moglen à Re:Publica (2012)

Version française par Aka, Nebu, Vincent, Alban, Benjamin, puis Moosh, peupleLa, Slystone, goofyLycorisbruno

Le texte ci-dessous a connu sa première publication sur le site de Benjamin Sonntag, où vous pourrez trouver la vidéo sous-titrée de la conférence à télécharger en divers formats ainsi qu’une présentation d’Eben Moglen et un excellent aperçu synthétique du contenu. Nous proposons une version mieux révisée (mais encore perfectible) de la traduction, à laquelle nous ajoutons les questions/réponses qui ont succédé à la conférence.

La vidéo étant assez longue (63 minutes) il nous a semblé utile de remettre en valeur les propos de Moglen par un texte lisible en une vingtaine de minutes. Vous pouvez le découvrir sur cette page ou bien télécharger le fichier disponible ici.

Conférence Eben Moglen à Re:Publica 2012 (format .ODT)

Conférence Eben Moglen à Re:Publica 2012 (format .PDF)

Bonjour.

C’est un plaisir d’être ici, et un honneur d’être à Re:publica.

Depuis maintenant mille ans, nos ancêtres se sont battus pour la défense de la liberté de pensée. Nous avons subi des pertes considérables, mais aussi remporté d’immenses victoires. Et nous sommes aujourd’hui à une époque charnière. Depuis l’adoption de l’imprimerie par les Européens au XVe siècle, nous étions essentiellement concernés par l’accès aux livres imprimés. Le droit de lire et le droit de publier étaient les principaux sujets de notre combat pour la liberté de pensée ces 500 dernières années. La principale inquiétude était celle de pouvoir lire en privé, penser, parler et agir sur la base d’une volonté libre et non censurée.

Le principal ennemi de la liberté de pensée, au début de notre combat, était l’Église Catholique universelle. Une institution basée sur le contrôle des pensées dans le monde européen, fondée sur une surveillance hebdomadaire de la conduite et des pensées de tout être humain ; basée sur la censure de tout matériel de lecture et finalement basée sur la faculté de prédire et punir toute pensée non-orthodoxe. Les outils disponibles pour le contrôle des pensées à l’aube de l’Europe moderne étaient pauvres, même selon nos standards du XXe siècle, mais ils marchaient. Ainsi, pendant des centaines d’années, la lutte était concentrée sur le premier objet industriel de masse, à l’importance croissante dans notre culture occidentale : « le livre ». Selon que l’on pouvait l’imprimer, le posséder, le vendre ou le lire, apprendre avec lui, sans l’autorisation ou le contrôle d’une autorité ayant le pouvoir de punir les pensées. À la fin du XVIIe siècle, la censure de l’écrit en Europe a commencé à craquer, tout d’abord en Hollande, puis au Royaume-Uni, et enfin, par vagues, à travers toute l’Europe. Et le livre devint un article de commerce subversif, et commença à grignoter le contrôle des pensées.

À la fin du XIXe siècle, cette lutte pour la liberté de lecture commença à attaquer la substance même du christianisme et le monde européen trembla sous les coups de la première grande révolution de l’esprit, qui parlait de « liberté, égalité, fraternité » mais qui signifiait en fait « liberté de penser autrement ». L’Ancien Régime commença à lutter contre la pensée et nous sommes alors passés dans une autre phase dans l’histoire de la liberté de pensée, qui présumait la possibilité de la pensée non-orthodoxe, et de l’action révolutionnaire. Ainsi, pendant 200 ans, nous avons lutté face aux conséquences de ces changements.

Cette génération décidera comment le réseau sera organisé

C’était hier et c’est aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous entamons une nouvelle ère dans l’histoire de l’espèce humaine. Nous construisons un système nerveux unique qui englobera tout esprit humain. Nous sommes à moins de deux générations aujourd’hui du moment où tout être humain sera connecté à un réseau unique, où toute pensée, plan, rêve ou action sera un influx nerveux de ce réseau. Et le destin de la liberté de pensée, ou plus largement le destin de toute liberté humaine, tout ce pour quoi nous avons combattu pendant plus de mille ans dépendra de l’anatomie des neurones de ce réseau. Nous sommes la dernière génération d’êtres humains qui aura été formée sans contact avec le Net.

À dater de ce jour, tout nouvel être humain, et dans deux générations tout cerveau de l’humanité aura été formé, depuis sa plus tendre enfance, en connexion directe avec le réseau. L’humanité deviendra un super-organisme, dans lequel chacun de nous sera un neurone de ce cerveau. Et nous le construisons aujourd’hui, maintenant, nous tous, en ce moment, cette génération, unique dans l’histoire de l’humanité. Cette génération décidera comment le réseau sera organisé.

Hélas, nous commençons mal. Voici le problème.

Nous avons grandi en étant des consommateurs de médias, c’est ce qu’ils nous ont appris, que nous étions des consommateurs de médias, mais maintenant les médias nous consomment.

Les choses que nous lisons nous regardent en train de les lire. Les choses que nous écoutons nous écoutent les écouter. Nous sommes pistés, nous sommes contrôlés : les médias que nous utilisons nous prédisent. Le processus de construction du réseau a gravé dans le marbre les principes de bases de transport de l’information. Il détermine s’il existe quelque chose comme une lecture anonyme. Et il a choisi de se construire contre la lecture anonyme.

…mais personne n’est intéressé par l’anonymat désormais, n’est-ce pas ?

Il y a 20 ans, j’ai commencé à travailler comme avocat pour un homme nommé Philippe Zimmermann, qui avait alors créé une sorte de cryptographie à clé publique destinée au grand public, nommée Pretty Good Privacy (PGP). L’effort effectué pour créer PGP était équivalent à essayer de conserver la possibilité du secret à la fin de XXe siècle. Phil essayait alors d’interdire au gouvernement de tout surveiller. Conséquence de cela, il fut au moins menacé d’un procès par le gouvernement des États-Unis pour avoir partagé des secrets militaires, car c’est ainsi qu’on surnommait la cryptographie à clé publique à l’époque. Nous avions dit « Vous ne devriez pas faire cela, il y aura des milliards de dollars en commerce électronique, si tout le monde peut utiliser une cryptographie forte » mais personne n’était intéressé. Mais ce qui était important au sujet de Pretty Good Privacy, au sujet de la lutte pour la liberté que la cryptographie à clé publique représentait pour la société civile, ce qui était crucial devint clair quand nous avons commencé à gagner.

En 1995, il y a eu un débat à la faculté de droit de Harvard. Nous étions 4 à discuter du futur de la cryptographie à clé publique et de son contrôle. J’étais du côté que je suppose être celui de la liberté, c’est là que j’essaie toujours d’être. Avec moi, à ce débat se trouvait un homme nommé Daniel Weitzner, qui travaille aujourd’hui à la Maison Blanche, et s’occupe de la régulation de l’Internet pour Obama. En face de nous se trouvait le procureur général des États-Unis et avocat dans le privé, nommé Stewart Baker, qui était avant conseiller en chef de l’Agence de la Sécurité Nationale (NSA), ceux qui nous écoutent, et qui dans le privé, aidait des entreprises à gérer ceux qui les écoutent. Il devint ensuite responsable de la politique générale du Département de la Sécurité Intérieure (DHS), des États-Unis, et il est à l’origine d’une bonne partie de ce qui nous est arrivé sur Internet après 2001.

Et donc, nous venions de passer deux heures agréables à débattre du droit à la cryptographie et, à la fin, il y avait une petite fête au club de la faculté de droit d’Harvard, et enfin, après la fin du repas, quand il ne resta plus grand chose sur la table, Stuart dit :

« Allons messieurs, maintenant que nous sommes entre nous, telles des femmes, libérons nos chevelures ». Il n’avait déjà plus beaucoup de cheveux à cette époque mais il les a libérés… « Nous n’emmènerons pas au tribunal votre client, M Zimmermann. La cryptographie à clé publique sera bientôt libre. Nous avons mené une longue bataille perdue d’avance contre elle, mais ce n’était qu’un gain de temps ». Puis il regarda autour de la pièce et dit : « mais personne n’est intéressé par l’anonymat désormais n’est-ce pas ? »

Un frisson me parcourut la colonne vertébrale, et je pensais alors « ok Stuart, désormais je sais que tu passeras les vingt prochaines années à essayer d’éliminer l’anonymat dans la société humaine, et je passerai ce temps à essayer de t’empêcher de le faire, nous verrons bien où cela nous mènera ».

Et cela commence très mal.

Nous n’avons pas intégré l’anonymat quand nous avons construit le net. C’était une erreur dont nous payons maintenant le prix. Notre réseau présume que vous pouvez être suivis par des mouchards en permanence. Et en utilisant le Web, nous avons fabriqué Facebook. Nous avons mis une seule personne au milieu de tous les échanges. Nos vies sociales et nos vies privées sont sur le Web, et nous partageons tout avec nos amis mais aussi avec notre « super-ami ». Celui qui nous trahit à ceux qui le construisent, ceux qui le paient, ceux qui l’aident, ou ceux qui lui donnent les centaines de milliards de dollars qu’il désire.

Nous sommes en train de créer un média qui nous consomme et qui aime ça.

Le but principal du commerce au XXIe siècle est de prévoir comment nous faire acheter des choses. Et la chose principale que les gens veulent que nous achetions, c’est de la dette. Et nous nous endettons, nous nous chargeons de plus de dettes, de plus de doutes, de plus de tout ce dont nous avons besoin sans que nous le sachions jusqu’à ce qu’ils nous disent que nous pensions à ces choses car ils possèdent la barre de recherche, et nous mettons nos rêves dedans.

Tout ce que nous voulons, tout ce que nous espérons, tout ce que nous aimerions savoir est dans la barre de recherche, et ils la possèdent. Nous sommes surveillés partout, tout le temps.

Il y a une barre de recherche et ils la possèdent, nous y collons nos rêves et ils les dévorent !

Au XXe siècle, il fallait construire la Loubianka, il fallait torturer des gens, il fallait les menacer, il faillait les oppresser pour qu’ils vous informent sur leurs amis. Je n’ai pas besoin de parler de ça à Berlin. Au XXIe siècle, pourquoi se donner tant de mal ? Il suffit de construire un réseau social et tous les gens vous fournissent des informations sur tous les autres gens. Pourquoi gâcher du temps et de l’argent avec des immeubles pleins d’employés qui vérifient qui est qui sur les photographies ? Proposez à tout le monde de taguer les amis et bing ! Le travail est fait ! Oups, est-ce que j’ai utilisé ce mot ? Bing ! Le travail est fait !

Il y a une barre de recherche et ils la possèdent, nous y collons nos rêves et ils les dévorent !

Et ils nous renvoient immédiatement qui nous sommes. « Si vous avez aimé ça, vous allez adorer ceci ! » Et c’est le cas.

Ils nous calculent. Ce sont des machines qui le font. Chaque fois que vous créez un lien, vous apprenez quelque chose à la machine. Chaque fois que vous faites un lien à propos de quelqu’un, vous apprenez quelque chose à la machine à propos de cette personne. Il faut que nous construisions ce réseau, il faut que nous construisions ce cerveau, c’est le plus grand but de l’humanité, nous sommes en train de le réaliser mais nous n’avons pas le droit de le faire mal.

Autrefois, les erreurs technologiques étaient des erreurs, nous les commettions, elles étaient les effets non intentionnels de nos comportements fautifs, mais les choses ont changé aujourd’hui.

Les choses qui ne tournent pas bien ne sont pas des erreurs, elles sont conçues comme ça. C’est leur but et leur but, c’est de décoder la société humaine.

Je disais à un responsable du gouvernement des États Unis il y a quelques semaines de cela : « Notre gouvernement s’est mal conduit. Nous avons créé des règles après le 11 septembre. Ces règles disaient : nous garderons les données concernant les gens et parmi ces gens certains seront innocents, ils ne seront suspects de rien ». Ces règles conçues en 2001 disaient :

« Nous conserverons ces données sur des gens qui ne sont suspects de rien pour une durée maximale de cent quatre-vingt jours, après quoi nous les détruirons ».

En mars, au milieu de la nuit, un mercredi, après que tout était éteint, alors qu’il pleuvait, le Ministère de la Justice et le directeur du Renseignement National des États-Unis ont dit :

« Oh, nous changeons ces règles. Un petit changement. Nous disions avant que la durée de conservation des données concernant les personnes non suspectes était au maximum de cent quatre-vingt jours, nous passons à cinq ans. »

Ce qui correspond à l’éternité.

J’ai plaisanté avec l’avocat avec lequel j’étais à New-York, ils ont écrit « cinq ans » dans le communiqué de presse parce qu’ils n’arrivaient pas à avoir le 8 couché dans la police pour le communiqué de presse, sinon ils auraient simplement dit l’infini, qui est ce qu’ils pensaient.

Et donc, voici la discussion que j’ai eue avec un responsable gouvernemental que je connais depuis plusieurs années, qui travaille à la Maison Blanche :

— Vous voulez changer la société américaine.

— Eh bien, nous sommes arrivés à la conclusion que nous avons besoin d’un graphe social complet de la population des États-Unis.

— Vous avez besoin d’un graphe social complet de la population des États-Unis ?

— Oui

— Vous voulez dire que le gouvernement des États-Unis d’Amérique va, à partir de maintenant, tenir une liste des gens que chaque Américain connaît. Est-ce que vous ne pensez pas que cela nécessiterait une loi ?

Il a simplement ri parce qu’ils l’avaient fait dans un communiqué de presse au milieu de la nuit un mercredi pendant qu’il pleuvait.

La criminalisation de la lecture a bien avancé

Si nous n’agissons pas rapidement, nous allons vivre dans un monde où nos médias se nourriront de nous et nous balanceront au gouvernement. Cet endroit sera du jamais vu et si nous le laissons arriver, nous ne verrons plus jamais autre chose que cela. L’humanité aura été ligotée et les médias se nourriront de nous et nous balanceront au gouvernement. Et l’État possèdera nos esprits.

Le futur ex-président de la République française (NdT cette conférence a eu lieu pendant la campagne électorale de 2012 qui opposait MM. Hollande et Sarkozy) a fait campagne le mois dernier sur une proposition selon laquelle il devrait y avoir des peines criminelles contre la visite répétée de sites djihadistes. C’était une menace de criminaliser la lecture en France. Bon, il sera bientôt l’ancien président de la France, mais ça ne signifie pas que ce sera une idée périmée en France. Pas du tout.

La criminalisation de la lecture a bien avancé. Aux États-Unis d’Amérique dans ce que nous appelons les procès terroristes, nous voyons désormais souvent des recherches Google faites par des particuliers utilisées comme preuves de leur comportement criminel. La recherche de la connaissance est devenue une preuve dans les procès de terrorisme organisé. Nous rendons criminel l’acte de penser, lire et chercher. Nous le faisons dans des sociétés soi-disant libres, nous le faisons malgré le premier amendement, nous le faisons en dépit des leçons de notre histoire parce que nous oublions alors même que nous apprenons.

Nous n’avons pas beaucoup de temps. La génération qui a grandi hors du Net est la dernière qui peut le réparer sans violence.

Les gouvernements sont tombés amoureux du datamining

Tous les gouvernements de la planète sont tombés amoureux de l’idée qu’ils peuvent faire du datamining (captation et fouille des données) avec leur population. Je pensais auparavant que nous allions combattre le Parti Communiste Chinois durant la 3e décennie du XXIe siècle. Je n’avais pas prévu que nous aurions à combattre le gouvernement des États-Unis d’Amérique ET le gouvernement de la République Populaire de Chine et quand Mme Kroes sera ici vendredi, peut-être lui demanderez-vous s’il faudra la combattre elle aussi.

Les gouvernements sont tombés amoureux du datamining car ça fonctionne vraiment très bien. C’est efficace. C’est efficace pour les bonnes causes autant que pour les mauvaises causes. C’est efficace pour aider les gouvernements à comprendre comment fournir des services. C’est efficace pour aider les gouvernements à comprendre quels sont les problèmes futurs. C’est efficace pour aider les politiciens à comprendre comment les votants vont réfléchir. Mais ça rend aussi possible des types de contrôle social qui étaient auparavant très compliqués, très coûteux et très pénibles, avec des méthodes très simples et très efficaces.

Il n’est plus nécessaire de maintenir des réseaux imposants d’informateurs comme je l’ai déjà dit. La Stasi ne vaudrait plus rien si elle était de retour, car Zuckerberg fait le boulot à sa place.

Mais en dehors de la simple facilité à surveiller plus loin que la conservation des données, c’est la pérennité de la vie au-delà du temps de l’oubli : plus rien ne disparaît jamais. Ce qui n’est pas compris aujourd’hui le sera demain. Le trafic chiffré que vous utilisez aujourd’hui dans des conditions de sécurité relative est en attente jusqu’à ce qu’il y en ait suffisamment pour que la crypto-analyse marche, pour que les décodeurs réussissent à le décrypter. Il va falloir que nous revoyions toutes nos règles de sécurité en permanence, car aucun paquet chiffré ne sera plus jamais perdu.

Rien n’est déconnecté indéfiniment, seulement temporairement. Chaque bribe d’information peut être conservée et tout est éventuellement lié à quelque chose d’autre. C’est la logique des responsables gouvernementaux qui disent : « Il nous faut un graphe social robuste de la population des États-Unis d’Amérique. » Pourquoi en ont-ils besoin ? Parce que les points non connectés aujourd’hui seront connectables demain ou l’an prochain ou le suivant. Rien n’est jamais perdu, rien ne disparaît, rien n’est plus oublié.

Donc, la forme primaire de collecte qui devrait nous inquiéter le plus est que les médias nous espionnent pendant que nous les utilisons. Les livres qui nous regardent les lire, la musique qui nous écoute en train de l’écouter. Les moteurs de recherche qui surveillent ce que nous recherchons pour ceux qui nous recherchent et ne nous connaissent pas encore.

Les gens parlent beaucoup des données qui sortent de Facebook : Est-ce qu’elles sortent pour moi ? Est-ce qu’elles sortent pour lui ? Est-ce qu’elles sortent pour eux ? Ils veulent que vous pensiez que la menace est que les données se disséminent. Vous devriez savoir que la menace, c’est le code qui entre.

Sur les 50 dernières années ce qu’il s’est passé dans l’informatique d’entreprise, c’est l’addition de cette couche d’analyse de données au dessus des stockages de données. On la nomme dans l’informatique d’entreprise l’« informatique décisionnelle ». Ce qui signifie que vous avez construit ces vastes stockages de données dans votre entreprise depuis 10 ou 20 ans. Vous disposez uniquement d’informations au sujet de vos propres opérations, vos fournisseurs, vos concurrents, vos clients. Désormais, vous voulez que ces données fassent de la magie. En les combinant avec les sources de données ouvertes disponibles dans le monde, en les utilisant pour répondre à des questions que vous ne saviez pas que vous vous posiez. C’est ça, l’informatique décisionnelle.

L’informatique décisionnelle sur Facebook, c’est là que tous les services de renseignements du globe veulent être.

La menace réelle de Facebook, c’est l’informatique décisionnelle à l’intérieur des données de Facebook. Les stockages de données de Facebook contiennent les comportements, pas seulement la pensée, mais aussi le comportement de près d’un milliard de personnes. La couche d’informatique décisionnelle au-dessus de ça, laquelle est simplement tout le code qu’ils peuvent faire tourner en étant couverts par les règles d’utilisation qui disent « Ils peuvent faire tourner tout le code qu’ils veulent pour améliorer l’expérience ». L’informatique décisionnelle sur Facebook, c’est là que tous les services de renseignements du globe veulent être.

Imaginez que vous soyez une petite organisation de services secrets dans une quelconque pays sans importance. Mettons-nous à leur place et appelons-les je ne sais pas moi, disons, « Korghistan ». Vous êtes les services secrets, vous êtes dans le « business des gens », les services secrets sont le « business des gens »

Il y a plusieurs catégories de gens dont vous avez besoin. Vous avez besoin d’agents, de sources, vous avez des adversaires, vous avez des gens influençables, des gens que vous torturez et qui sont reliés aux adversaires : femmes, maris, pères, filles, vous voyez, ce genre de gens. Donc vous cherchez ces catégories de gens. Vous ignorez leurs noms, mais vous savez à quoi ils ressemblent, vous savez qui vous pourriez recruter en tant qu’agent, vous savez qui sont les sources potentielles, vous connaissez les caractéristiques sociales de vos adversaires, et dès que vous connaissez vos adversaires, vous pouvez trouver ceux qui sont influençables.

Donc ce que vous voulez entreprendre, c’est faire tourner du code dans Facebook. Ça va vous aider à trouver les personnes dont vous avez besoin, ça va vous montrer les personnes dont les comportements et cercles sociaux vous indiquent qu’ils sont ce dont vous avez besoin, qu’il s’agisse d’agents, de sources, quels sont leurs adversaires et qui vous pouvez torturer pour les atteindre.

Donc vous ne voulez pas sortir des données de Facebook. Le jour où ces données sortent de Facebook, elles sont mortes. Vous voulez mettre du code dans Facebook et le faire tourner là-bas et avoir les résultats, vous voulez coopérer.

Facebook veut être un média. Ils veulent posséder le Web, ils veulent que vous cliquiez sur les boutons « J’aime ». Les boutons « J’aime » sont effrayants même si vous n’appuyez pas dessus, ce sont des mouchards sur le Web parce qu’ils indiquent à Facebook toutes les autres pages Web que vous consultez contenant un bouton « J’aime ». Que vous cliquiez dessus ou non, ils ont un enregistrement qui indique : « Vous avez consulté une page, qui intégrait une bouton J’aime » et soit vous avez dit oui, soit vous avez dit non. Mais dans les deux cas, vous avez généré une donnée, vous avez informé la machine.

Or donc, ce média a envie de mieux vous connaître que vous ne vous connaissez vous-même. Or, nous ne devrions laisser personne faire ça. Nous avons combattu pendant mille ans pour l’espace intérieur, cette bulle privée dans laquelle nous lisons, pensons, réfléchissons et devenons non-orthodoxes à l’intérieur de nos propres esprits. C’est cet espace que tout le monde veut nous prendre. « Dites-nous quels sont vos rêves, dites-nous quelles sont vos pensées, dites-nous ce que vous espérez, dites-nous ce qui vous effraie ». Ce n’est pas une confession privée hebdomadaire. C’est une confession 24h/24.

Le robot mobile que vous transportez avec vous, c’est celui qui sait où vous vous trouvez en permanence et écoute chacune de vos conversations. C’est celui dont vous espérez qu’il ne rapporte pas tout à un centre de commande. Mais ce n’est qu’un espoir. Celui qui fait tourner tous ces logiciels que vous ne pouvez ni lire, ni étudier, ni voir, ni modifier, ni comprendre. Celui-là, celui-là même écoute vos confessions en permanence. Quand vous le tenez devant votre visage, désormais, il va connaître votre rythme cardiaque. C’est une appli Android, dès maintenant les changements minimes de la couleur de votre visage révèlent votre fréquence cardiaque. C’est un petit détecteur de mensonges que vous transportez avec vous. Bientôt je pourrai de mon siège dans une salle de classe observer la pression sanguine de mes étudiants monter et descendre. Dans bon nombre de salles de classes aux États-Unis d’Amériques, c’est une information de première importance Mais il ne s’agit pas de moi, bien sûr, il s’agit de tout le monde, n’est-ce pas ? Car il s’agit seulement de données et des gens qui y ont accès. L’intérieur de votre tête devient l’extérieur de votre visage, devient l’intérieur de votre smartphone, devient l’intérieur du réseau, devient le premier fichier du dossier au centre de commande.

Nous avons donc besoin de médias libres sinon nous perdons la liberté de pensée, c’est aussi simple que ça.

Que signifie un média libre ? Un média que vous pouvez lire, auquel vous pouvez penser, auquel vous pouvez faire des ajouts, auquel vous pouvez participer sans être suivi, sans être surveillé, sans qu’il y ait de rapports sur votre activité. C’est ça, un média libre. Et si nous n’en avons pas, nous perdrons la liberté de penser, et peut-être pour toujours.

Avoir un média libre signifie avoir un réseau qui se comporte conformément aux besoins des gens situés à la marge. Et pas conformément aux besoins des serveurs situés au cœur.

Construire un média libre nécessite un réseau de pairs, pas un réseau de maîtres et de serviteurs, pas un réseau de clients et de serveurs, pas un réseau où les opérateurs de réseaux contrôlent tous les paquets qu’ils font transiter. Ce n’est pas facile, mais c’est encore possible. Nous avons besoin de technologie libre. La dernière fois que j’ai donné une conférence politique à Berlin c’était en 2004, elle était intitulée “die Gedanken sind frei” (NdT : Les pensées sont libres — en allemand dans le texte). J’y disais que nous avons besoin de 3 choses :

  • de logiciels libres
  • de matériels libres
  • de bande passante libre.

Maintenant, nous en avons encore plus besoin. Huit années ont passé, nous avons commis des erreurs, et les problèmes sont plus conséquents. Nous n’avons pas avancé, nous avons régressé.

Nous avons besoin de logiciels libres, c’est à dire de logiciels que l’on peut copier, modifier et redistribuer. Nous en avons besoin parce que nous avons besoin que le logiciel qui fait fonctionner le réseau soit modifiable par les personnes qui utilisent ce réseau.

Les tablettes que vous utilisez, que M. Jobs a conçues, sont faites pour vous contrôler. 

La mort de M. Jobs est un événement positif. Je suis désolé de vous l’annoncer de la sorte. C’était un grand artiste et un monstre sur le plan moral, et il nous a rapprochés de la fin de la liberté à chaque fois qu’il a sorti quelque chose, parce qu’il détestait partager. Ce n’était pas de sa faute, c’était un artiste. Il détestait partager parce qu’il croyait qu’il avait tout inventé, même si ce n’était pas le cas. À l’intérieur de toutes ces coques fines portant un logo Apple que je vois partout dans la salle, il y a des morceaux de logiciels libres modifiés pour lui donner le contrôle; rien d’illégal, rien de mal, il respecte la licence, il nous a baisés à chaque fois qu’il pouvait et il a pris tout ce que nous lui avons donné et il a fait des choses jolies qui contrôlent leurs utilisateurs.

Autrefois, il y avait un homme ici qui construisait des choses, à Berlin pour Albert Speer (NdT : un haut responsable du Troisième Reich) son nom était Philip Johnson (NdT : un architecte américain) et c’était un brillant artiste mais un monstre sur le plan moral. Et il disait qu’il était venu travailler pour construire des immeubles pour les nazis parce qu’ils avaient tous les meilleurs graphismes. Et il le pensait, parce qu’il était un artiste, tout comme M. Jobs était un artiste. Mais être artiste n’est pas une garantie de moralité.

Nous avons besoin de logiciels libres. Les tablettes que vous utilisez, que M. Jobs a conçues, sont faites pour vous contrôler. Vous ne pouvez pas modifier le logiciel, il est même difficile de faire de la simple programmation. Ce n’est pas vraiment un problème, ce ne sont que des tablettes, nous ne faisons que les utiliser. Nous ne faisons que consommer le prestige de ce qu’elles nous apportent mais elles nous consomment aussi.

Nous vivons comme dans la science-fiction que nous lisions lorsque nous étions enfants et qui supposait que nous serions parmi les robots. À ce jour, nous vivons communément avec des robots, mais ils n’ont pas de bras ou de jambes. Nous sommes leurs bras et leurs jambes, nous transportons les robots partout avec nous. Ils savent où nous allons, ils voient tout ce que nous voyons, tout ce que nous disons, ils l’écoutent et il n’y a pas de première loi de la robotique. Ils nous font du mal, tous les jours. Et il n’y a aucun réglage pour empêcher ça.

Nous avons donc besoin de logiciels libres. À moins que nous ne contrôlions le logiciel du réseau, le réseau finira par nous contrôler.

Nous avons besoin de matériels libres. Cela signifie que lorsque nous achetons un bidule électronique, il devrait être le nôtre et pas celui de quelqu’un d’autre. Nous devrions être libre de le modifier, de l’utiliser comme il nous plaît, pour garantir qu’il ne travaille pas pour quelqu’un d’autre que nous-même. Bien sûr, la plupart d’entre nous ne modifiera jamais rien, mais le fait que nous pouvons le modifier nous met en sécurité. Bien sûr, nous ne serons jamais la personne qu’ils veulent le plus surveiller.

L’homme qui ne sera pas président de la France pour sûr, mais qui pensait qu’il le serait, dit à présent qu’il a été piégé et que sa carrière politique est détruite non pas parce qu’il a violé une femme de chambre mais parce qu’il a été manipulé après qu’on ait espionné son smartphone. Peut-être qu’il dit la vérité, peut-être que non. Mais il n’a pas tort pour ce qui est du smartphone. Peut-être que c’est arrivé, peut-être que non, mais ça arrivera.

Nous transportons des choses dangereuses avec nous partout où nous allons. Elles ne travaillent pas pour nous, elles travaillent pour quelqu’un d’autre. Nous acceptons cela. Nous devons arrêter.

Nous avons besoin de bande passante libre. Cela signifie que nous avons besoin d’opérateurs réseaux qui sont des transports en commun dont le seul travail est de déplacer les paquets réseaux d’un point A à un point B. Ce sont presque des tubes, et ils ne sont pas autorisés à être impliqués. Il était de coutume, lorsque qu’un colis était transporté d’un point A à un point B, que si le gars chargé du transport l’ouvrait et regardait ce qu’il contenait, il commettait un crime.

Plus maintenant.

Aux États-Unis d’Amérique, la chambre des représentants a voté la semaine dernière que les opérateurs réseaux, aux États-Unis d’Amérique, devaient être intégralement à l’abri des poursuites judiciaires pour complicité d’espionnage illégal avec le gouvernement, pour autant qu’ils l’aient fait « de bonne foi ».

Et le capitalisme signifie que vous n’avez jamais à dire que vous êtes désolé, que vous êtes toujours de bonne foi. De bonne foi, tout ce que nous voulons faire c’est de l’argent M. le Juge, laissez-nous dehors. — Très bien, vous êtes libres.

Nous devons avoir de la bande passante libre. Nous possédons encore le spectre électromagnétique, il appartient encore à nous tous, il n’appartient à personne d’autre. Le gouvernement est un mandataire, pas un propriétaire. Nous devons avoir un spectre que nous contrôlons également pour tous. Personne n’est autorisé à écouter quelqu’un d’autre, pas d’inspection, pas de vérification, pas d’enregistrement, cela doit être la règle. Cela doit être la règle de la même façon que la censure doit disparaître. Si nous n’avons pas de règle pour une communication libre, alors nous réintroduisons de la censure. Qu’on le sache ou non.

Nous avons donc très peu de choix maintenant, notre espace a rétréci et nos possibilités de changement ont diminué.

Nous devons avoir des logiciels libres. Nous devons avoir des matériels libres. Nous devons avoir de la bande passante libre. Ce n’est qu’avec eux que nous pourrons faire des médias libres.

Nous ne devrions pas commercer avec des gens qui vendent de la musique sous surveillance.

Mais nous devons travailler sur les médias aussi, directement, pas par intermittence, pas sans y faire attention. Nous devons demander aux organisations des médias d’obéir à des règles éthiques élémentaires. Une première loi des médias robotiques : ne fais aucun mal. La première règle pour nous est : ne surveille pas le lecteur. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde où chaque livre signale chaque lecteur. Si c’est le cas, nous vivons dans une bibliothèque gérée par le KGB. Enfin : amazon.com ou le KGB, ou les deux ! Vous ne pourrez jamais savoir !

Le livre, cet objet imprimé merveilleux, ce premier produit du capitalisme de masse, le livre est en train de mourir. C’est dommage, mais il est en train de mourir. Et le remplaçant est une boîte qui surveillera le lecteur ou non.

Vous vous souvenez qu’amazon.com a décidé qu’un livre de Georges Orwell ne pouvait pas être distribué aux État-Unis d’Amérique pour des raisons de copyright. Ils sont venus et l’ont effacé de chacune de toutes les liseuses d’Amazon où le consommateur avait acheté des copies de La ferme des animaux. « Oh, vous l’avez peut-être acheté mais cela ne signifie pas que vous être autorisé à le lire ». C’est de la censure. C’est de l’autodafé. C’est tout ce que nous avons vécu au XXe siècle. Nous avons brûlé des gens, des maisons et des œuvres d’art. Nous avons combattu. Nous avons tué des dizaines de millions de personnes pour mettre un terme à un monde dans lequel l’État brûlerait les livres, et ensuite nous l’avons regardé se faire encore et encore, et maintenant nous nous préparons à autoriser que cela soit fait sans aucun feu.

Partout, tout le temps.

Nous devons avoir une éthique des médias et nous avons le pouvoir de faire appliquer cette éthique parce que nous sommes encore les personnes qui payent le fret. Nous ne devrions pas commercer avec des gens qui vendent des livres sous surveillance. Nous ne devrions pas commercer avec des gens qui vendent de la musique sous surveillance. Nous ne devrions pas commercer avec les sociétés cinématographiques qui vendent des films sous surveillance. Nous allons devoir dire cela même si nous travaillons sur la technologie.

Parce qu’autrement, le capitalisme va agir aussi vite que possible pour rendre nos effort de liberté caducs. Et il y a des enfants qui grandissent qui ne sauront jamais ce que « liberté » signifie.

Nous devons donc la promouvoir, cela va nous coûter un peu, pas beaucoup, mais un peu quand même. Nous allons devoir oublier et faire quelques sacrifices dans nos vies pour faire appliquer cette éthique aux médias. Mais c’est notre rôle. De même que faire des technologies libres est notre rôle. Nous sommes la dernière génération capable de comprendre directement ce que sont ces changements car nous avons vécu des deux côtés de ces changements et nous savons. Nous avons donc une responsabilité. Vous comprenez cela.

C’est toujours une surprise pour moi, bien que ce soit complètement vrai, mais de toutes les villes du monde où j’ai voyagé, Berlin est la plus libre. Vous ne pouvez pas porter de chapeau dans l’aéroport de Hong-Kong, plus maintenant. Je l’ai découvert le mois dernier en essayant de porter mon chapeau dans l’aéroport de Hong-Kong. « Vous n’y êtes pas autorisé, ça perturbe le système de reconnaissance faciale ». Il va y avoir un nouvel aéroport ici, sera-t-il tellement surveillé que vous ne serez pas autorisé à porter un chapeau parce que cela perturbe le système de reconnaissance faciale ?

Nous avons une responsabilité, nous savons. C’est comme ça que Berlin est devenue la ville la plus libre où j’ai pu me rendre parce que nous savons que nous avons une responsabilité, parce que nous nous souvenons, parce que nous avons été des deux côtés du mur. Cela ne doit pas être perdu maintenant. Si nous oublions, plus aucun oubli ne sera jamais possible. Tout sera mémorisé. Tout ce que vous avez lu, durant toute votre vie, tout ce que vous avez écouté, tout ce que vous avez regardé, tout ce que vous avez cherché.

Sûrement nous pouvons transmettre à la prochaine génération un monde libre de tout ça. Sûrement nous le devons. Que se passera-t-il si nous ne le faisons pas ? Que diront-ils lorsqu’ils réaliseront que nous avons vécu à la fin d’un millénaire de lutte pour la liberté de penser ?

Au final, alors que nous avions presque tout, on a tout laissé tomber, par commodité, pour un réseau social, parce que M. Zuckerberg nous l’a demandé, parce que nous n’avons pas trouvé de meilleur moyen pour parler à nos amis. Parce qu’on a aimé ces belles petites choses si chaleureuses dans notre main.

Parce que nous n’avions pas vraiment prêté attention à l’avenir de la liberté de pensée ?

Parce que nous avions considéré que c’était le travail de quelqu’un d’autre. Parce que nous avions pensé que c’était acquis. Parce que nous pensions être libres. Parce que nous n’avions pas pensé qu’il restait des luttes à terminer. C’est pourquoi nous avons tout laissé tombé.

Est-ce que c’est ce que nous allons leur dire ? Est-ce vraiment ce que nous allons leur dire ?

La liberté de pensée exige des médias libres. Les médias libres exigent une technologie libre. Nous exigeons un traitement éthique lorsque nous lisons, lorsque nous écrivons, lorsque nous écoutons, et lorsque nous visionnons.

C’est la ligne de conduite de nos politiques. Nous devons conserver ces politiques jusqu’à notre mort. Parce que dans le cas contraire, quelque chose d’autre va mourir. Quelque chose de tellement précieux que beaucoup, beaucoup, beaucoup de nos pères et de nos mères ont donné leur vie pour cela. Quelque chose de tellement précieux que nous sommes d’accord pour dire que c’est la définition de ce qu’est un être humain. Il mourra si nous ne maintenons pas ces politiques pour le restant de nos jours. Et si nous les maintenons, alors toutes les choses pour lesquelles nous avons lutté se réaliseront parce que partout sur la planète, chaque personne pourra lire librement. Parce que tous les Einstein des rues auront le droit d’apprendre. Parce que tous les Stravinsky deviendront des compositeurs. Parce que tous les Socks deviendront des chercheurs en physique. Parce que l’humanité sera connectée et que chaque esprit sera autorisé à apprendre et aucun esprit ne sera écrasé pour avoir mal pensé.

Nous sommes à un moment décisif où nous pouvons choisir de soutenir cette grande révolution que nous avons bâtie bit après bit depuis un millénaire, ou de tout laisser tomber, par commodité, par simplicité de parler avec nos amis, pour la rapidité des recherches, ou d’autres choses vraiment importantes…

Je disais en 2004 ici même et je le redis maintenant : « Nous pouvons vaincre. Nous pouvons être la génération des personnes qui ont terminé le travail de construire la liberté de pensée ».

Je ne l’ai pas dit alors, mais je dois le faire maintenant que nous sommes aussi potentiellement la génération qui l’aura perdue.

Nous pouvons régresser dans une inquisition pire que toutes les inquisitions qui ont jamais existé. Elle n’usera peut-être pas tant de torture, elle ne sera peut-être pas aussi sanguinaire, mais elle sera bien plus efficace. Et nous ne devons absolument pas laisser cela arriver. Trop de gens se sont battus pour nous. Trop de gens sont morts pour nous. Trop de gens ont espéré et rêvé pour ce que nous pouvons encore réaliser.

Nous ne devons pas échouer.

Merci beaucoup.

Questions / Réponses

Q  : Merci. Vous avez dépeint un possible avenir vraiment horrible. Pouvez-vous nommer des organisations ou groupes aux États-Unis d’Amérique qui soutiennent des actions allant dans votre sens, dans votre vision positive de transformer la société ?

R : Pas seulement aux États-Unis d’Amérique mais partout dans le monde, nous avons des organisations qui se préoccupent des libertés numériques. L’« Electronic Frontier Foundation » aux États-Unis d’Amérique, « La Quadrature du Net » en France, « Bits of Freedom » aux Pays-Bas et j’en passe.

Les mouvements pour la liberté numérique sont extrêmement importants. Les pressions sur les gouvernements pour qu’ils obéissent à des règles issues du XVIIIe  siècle concernant la protection de la dignité humaine et la prévention de la surveillance étatique sont cruciales. Malheureusement, le travail sur les libertés numériques contre les gouvernements n’est pas suffisant.

Le mouvement des logiciels libres, La FSF, « Free Software Foundation » aux États-Unis d’Amérique et la « Free Software Foundation Europe », dont le siège est en Allemagne, font un travail important pour maintenir ce système anarchique (sur le mode du “bazar”) producteur de logiciels, qui nous a apportés tant de technologies, et que nous-même ne pouvons contrôler. Et cela est crucial.

Le mouvement « Creative Commons » qui est très ancré non seulement aux États-Unis d’Amérique et en Allemagne mais aussi dans plus de 40 pays autour du monde est aussi extrêmement important parce que les licences « Creative Commons » donnent aux créateurs des alternatives au contrôle excessif qui existe avec le système du copyright, et qui profite à la surveillance des médias.

L’encyclopédie libre « Wikipedia » est une institution humaine extrêmement importante et nous devons continuer de soutenir la fondation « Wikimedia » autant que faire se peut. Sur les cent sites web les plus visités aux États-Unis d’Amérique dans une étude menée par le « Street Journal », sur les cent sites web les plus visités aux États-Unis d’Amérique, seulement un ne surveille pas ses utilisateurs. Je vous laisse deviner qui c’est ? C’est Wikipédia.

Nous avons un énorme travail qui se déroule maintenant à travers le monde dans l’enseignement supérieur. Maintenant que les universités commencent à réaliser que le coût de l’enseignement supérieur doit baisser et que  les esprits vont grandir dans la toile. La « UOC », l’« Open University of Catalonia » est l’université exclusivement en ligne la plus extraordinaire aujourd’hui. Elle sera bientôt en concurrence avec d’autres universités extraordinaires. « MITX », le nouveau programme d’éducation web de la « Massachussets Institute of Technology » va fournir des cours de la plus haute qualité technique, et rendre ses supports de cours existants, accessibles librement (au sens de la culture libre) pour tous, depuis n’importe-où et en permanence. Stanford va adapter une structure de e-learning privateur qui sera le Google de l’éducation supérieure, si Stanford a de la chance.

Nous devons soutenir l’éducation libre sur Internet, et chaque ministère de l’éducation national européen devrait y travailler. Il y a beaucoup d’endroits où chercher des logiciels libres, du matériel libre, de la bande passante libre, et des médias libres.

Il n’y a pas de meilleur endroit pour chercher des médias libres sur Terre, maintenant, que dans cette salle. Tout le monde sait ce qu’il peut faire. Ils le font. Nous devons juste faire comprendre à tous les autres que si nous arrêtons ou si nous échouons, la liberté de pensé en sera le prix et nous le regretterons pour toujours.

Q : Merci beaucoup. Je voulais vous poser une petite question. Est-ce que Facebook, l’iPhone et les médias libres peuvent coexister à long terme ?

R : Probablement pas. Il ne faut pas trop s’inquiéter, iPhone n’est qu’un produit Facebook, il n’est que la version commerciale d’un service. J’ai récemment dit dans un journal à New-York que je pensais que Facebook continuerait d’exister pour une durée comprise entre 12 et 120 mois. Je pense que c’est exact.

Les réseaux sociaux fédérés seront disponibles dans l’avenir. Les réseaux sociaux fédérés sous une forme qui vous permette de quitter Facebook sans quitter vos amis seront disponibles dans l’avenir. De meilleurs moyens de communication sans une tierce partie qui vous espionne seront disponibles dans l’avenir.

La question c’est : « est-ce que les gens vont les utiliser ?»

La Freedom Box vise à produire une pile logicielle qui tiendrait dans une nouvelle génération de serveurs à bas coût et de faible consommation de la taille d’un chargeur de téléphone mobile, et si nous réussissons cette tâche, nous serons capables de connecter des milliards de serveurs web au réseau qui nous serviront à fournir des services concurrents, qui ne violeront pas la vie privée, et qui seront compatibles avec les services existants.

Mais votre téléphone mobile change fréquemment, donc l’iPhone s’en ira, pas de problème. Et les services web sont moins rares qu’ils n’en ont l’air maintenant. Facebook est une marque, ce n’est pas quelque chose dont il faut nous soucier en particulier, il faut juste que nous fassions cela aussi vite que possible

Coexistence ?  Tout ce que j’ai à en dire c’est qu’ils ne vont pas coexister avec la  liberté. Je ne vois pas pourquoi je devrais coexister avec eux.

(applaudissements)

Q : Bonjour, je m’appelle […] du Bangladesh. Merci pour cette présentation formidablement informative et lucide. J’ai participé à l’introduction des emails au Bangladesh au début des années 90. À cette époque les connexions coûtaient très cher. Nous dépensions 30 cents par kB donc un 1MB nous coûtait 300 dollars. Ça a changé depuis, mais c’est toujours très encadré par les instances régulatrices et pour nous sur le terrain, c’est très difficile, car les pouvoirs en place (les gardiens des clefs) ont intérêt à maintenir cet état de fait. Mais dans ce réseau des gardiens des clefs, il y a aussi un réseau entre mon pays et le vôtre. Et à l’heure actuelle, la source de données la plus large en volume est le recensement du Bengladesh, et la société qui le fournit est en lien direct avec la CIA. En tant  qu’opérateurs, que pouvons-nous faire en attendant de pouvoir devenir  des acteurs majeurs ?

R : C’est pourquoi j’ai commencé en parlant des comportements récents des États-Unis d’Amérique. Mon collègue au Centre des Lois de Libertés Logicielles en Inde a passé beaucoup de temps le mois dernier à essayer de faire passer une motion par la chambre haute du Parlement Indien pour annuler la régulation par les services informatiques de la censure du Net Indien et bien sûr la bonne nouvelle c’est que la base de données la plus large en volume dans le monde sera bientôt les scans rétiniens que le gouvernement Indien va exiger, si vous désirez avoir une bouteille de gaz propane ou des choses telles que… l’énergie pour votre maison. Et les difficultés que nous avons rencontrées en parlant aux responsables gouvernementaux indiens sont qu’ils disaient : « Si les Américains peuvent le faire pourquoi pas nous ? » Ce qui est malheureusement vrai.

Le gouvernement des États Unis d’Amérique a réduit cet hiver le niveau des libertés sur Internet de par le monde, dans le sens qu’ils font du datamining (des fouilles de données) sur vos sociétés de manière aussi systématique qu’en Chine. Ils sont d’accord sur le principe. Ils vont tirer les vers du nez à leur population via le datamining et ils vont encourager tous les autres États sur Terre à en faire de même. Donc je suis entièrement d’accord avec vous sur la définition du problème.

Nous ne pouvons plus désormais vivre quelque part, à cette étape de notre histoire, en continuant à penser en termes de pays, à un moment de la mondialisation, où la surveillance des populations est devenue une question globale, et nous avons à travailler dessus en partant du principe qu’aucun gouvernement ne décidera d’être plus vertueux que les superpuissances.

Je ne sais pas comment nous allons pouvoir gérer le Parti Communiste Chinois. Je ne sais vraiment pas. Je sais comment nous  allons gérer le gouvernement américain. Nous allons insister sur nos droits. Nous allons faire ce qui fait sens aux États Unis d’Amérique, nous allons combattre légalement, nous allons mettre la pression, nous allons les bousculer, nous serons partout y compris dans la rue pour en parler.

Et je suspecte que c’est ce qui va se passer ici aussi. À moins que nous changions les structures qui fondent nos sociétés, nous n’avons aucune chance de convaincre les petits gouvernements qu’ils doivent abandonner leurs contrôles.

En ce qui concerne la bande passante, nous allons bien sur devoir utiliser la bande passante non réglementée. C’est à dire nous allons devoir construire autour des normes 802.11 et wifi, entre autres, que les lois ne nous empêchent pas d’utiliser. De quelle manière cela va-t-il permettre d’atteindre les plus pauvres ? Quand est-ce que le système de téléphone mobile sera créé pour atteindre  les plus pauvres ? Je ne sais pas. Mais j’ai un petit projet avec des enfants des rues a Bangalore, je suis en train d’y réfléchir.

Il le faut. Nous devons travailler partout. Si nous ne le faisons pas, nous allons détruire tout ça, et on ne peut pas se le permettre.

Q : Professeur Moglen, Je voudrais également vous remercier. Je reviens de « Transforming Freedom » à Vienne, et je peux vous dire qu’il y a quelques années, je vous ai vu parler sur une vidéo internet au Fosdem.  Et je vous avais vu attirer l’attention sur le rôle de Philipp  Zimmermann, que nous avons aussi essayé d’aider. Et à vous écouter aujourd’hui, je vois que c’est trop lent, et trop peu.

Et je suis stupéfait par deux choses  la première est que le système éducatif, celui de l’Europe, a été fondé par Platon et a été fermé par la force environ mille ans plus tard. Le second départ d’une université européenne était aux alentours du XIe siècle. On verra si on réussira à le faire fonctionner aussi longtemps qu’un millier d’années.

Ma question est : pourquoi est-ce que ce n’est pas profondément ancré dans les structures du système éducatif d’aider la cause dont vous avez parlé aujourd’hui ?

Et pourquoi n’avons nous pas des philanthropes aidant des petits projets fonctionnant avec 3-4000 euros ici et là, bien plus efficacement comme par exemple ce que M. Soros essaie de faire ?

R : Il y a quelques années à Columbia, nous avons essayé d’intéresser l’université à l’état de conservation de la bibliothèque, et j’ai vu plus d’intellectuels reconnus, engagés politiquement, dans ma propre université qu’à aucun autre moment pendant mes 25 ans ici. Leur principale inquiétude était le vieillissement du papier sur lequel était imprimé des doctorats allemands du XIXe siècle, qui contiennent plus de recherches philologiques qu’aucun autre endroit sur Terre.

N’est-ce pas ? Mais c’était des livres du XIXe siècle qu’ils devaient préserver.

Le problème avec la vie universitaire, c’est qu’elle est conservatrice par nature, car elle préserve la sagesse des anciens. Et c’est une  bonne chose à faire. Mais la sagesse des anciens est ancienne, et elle ne prend pas nécessairement en compte parfaitement les problèmes du moment. J’ai mentionné l’UOC parce que je pense que c’est important de soutenir l’Université quand elle se déplace vers Internet et qu’elle s’éloigne des formes d’apprentissage qui caractérise les universités du passé.

Pendant le dernier millénaire, nous avons principalement déplacé les intellectuels vers les livres, et l’université s’est développée autour de ce principe. Elle s’est développée autour du principe que les livres sont difficiles à déplacer, alors que les gens sont faciles à déplacer. Donc on y a amené tout le monde. Maintenant nous vivons dans un monde dans lequel il est beaucoup plus simple de déplacer le savoir plutôt que les personnes. Mais la continuité de l’ignorance est le désir des entreprises qui vendent le savoir.

Ce dont nous avons vraiment besoin est de commencer nous-mêmes à aider le système universitaire à se transformer en quelque chose d’autre. Quelque chose qui permet à chacun d’apprendre, et qui permet d’apprendre sans surveillance.

La Commissaire à la Société de l’Information sera ici. Elle devrait parler de ça. Cela devrait être la grande question de la Commission Européenne. Ils le savent, ils ont sorti un rapport d’il y a 18 mois qui dit que, pour le prix d’une centaine de kilomètres de routes, il peuvent scanner 1/6ème de tous les livres des bibliothèques européennes. Cela veut dire que pour le prix de 600 kilomètres de routes, nous pourrions tous les avoir !

Nous avons construit beaucoup de routes dans beaucoup d’endroits, y compris en Grèce, dans les dix dernières années. Et nous aurions pu scanner tous  les livres en Europe pendant ce temps, et nous aurions pu les rendre disponibles pour toute l’Humanité, sans surveillance.

Si Mme Kroes veut construire un monument à son nom, ça ne sera pas en tant que politicienne au rabais. Elle le fera de cette manière. Et vous allez le lui demander. Moi je serai dans un avion sur le chemin du retour à travers l’Atlantique. Sinon je vous promets que je lui aurais demandé moi même. Demandez-lui pour moi. Dites lui, « ce n’est pas notre faute, Eben veut savoir. Si vous devez blesser quelqu’un, c’est lui ». Vous devriez changer l’Université européenne. Vous devriez la modifier en une lecture sans surveillance. Vous devriez mettre en faillite Google Books et Amazon. C’est une manière capitaliste Nord-américaine anglo-saxonne de jouer des coudes.

Pourquoi est-ce que nous ne rendons pas libre le savoir en Europe, et ne nous assurons-nous pas qu’il n’est pas surveillé ? Cela serait le plus grand pas possible, et c’est en leur pouvoir.

Photo d’Eben Moglen, crédit Re:Publica (CC BY 2.0)