Travailler chez Google ? — Non merci…

Ah c’est sûr, tout le monde n’a pas la chance de pouvoir refuser une telle opportunité… Quand on est développeur de haut niveau, c’est plus que flatteur de recevoir une invitation à discuter d’un poste de responsabilité chez le mastodonte du Net. Pour les milliers de développeurs qui sont bien payés à coder pour des produits qui ont des millions (voire des milliards ?) d’utilisateurs, il est assez exaltant de travailler pour Google.

Pourtant, quand Niklas reçoit un message l’invitant à rejoindre une équipe d’ingénieurs chez Google, il a le front de décliner, dans une lettre ouverte où il explique ses raisons.

C’est cet échange de courrier que nous avons traduit pour vous. Notez que cette fois-ci c’est Google qui est sur la sellette (parce qu’il le vaut bien) mais ce pourrait être tout autant un des autres géants du Net centralisateurs et prédateurs de nos données…

source : Why I won’t work for Google sur le blog de Niklas Femerstrand

Traduction Framalang : tetrakos, goofy, Paul, Framasky + 2 anonymes

Voici pourquoi je ne travaillerai pas pour Google

par Niklas Femerstrand NiklasFemerstrand.png

Bonjour Niklas,
Je m’appelle Patrick et je travaille chez Google.
J’ai regardé vos profils Github et LinkedIn, ainsi que votre site personnel (où j’ai découvert le projet panic_bcast), et j’aimerais m’entretenir avec vous à propos d’un certain nombre de postes d’ingénieurs ici chez Google.
Vos contributions et projets open source, votre expérience des systèmes et réseaux et votre expérience de développeur semblent en phase avec ce que font chez nous certains des ingénieurs, mais je souhaite avant tout prendre contact avec vous afin d’en savoir un peu plus sur votre travail.
Si votre emploi du temps le permet, seriez-vous disponible pour un échange la semaine prochaine ?
Les postes dont j’aurais aimé m’entretenir avec vous sont à pourvoir au sein d’une équipe chargée d’un projet sensible qui combine le développement de logiciels et l’expertise en ingénierie des réseaux et systèmes, pour créer et faire fonctionner à grande échelle une infrastructure à tolérance de pannes et des systèmes logiciels massivement distribués.
Merci de m’avoir consacré du temps, je vous souhaite un bon week-end !
Cordialement,
Patrick

Bonjour Patrick,
Merci de m’avoir contacté et pour les compliments sur le projet panic_bcast, c’est toujours flatteur d’être reconnu par plus grand que soi.
Avant de répondre comme il convient à votre question, je voudrais vous donner quelques indications sur mon parcours et mes relations avec Google.
Enfant, j’ai grandi avec l’idée que Google serait toujours l’employeur le plus intéressant que puissent imaginer ceux qui travaillent dans les technologies de l’information. Que Google se conformerait comme par jeu à sa devise « ne rien faire de mal ». J’ai grandi guidé par de fortes convictions et des principes, mais j’étais avant tout curieux par nature. Comme j’étais un enfant intéressé par la sécurité de l’information et les ordinateurs en général, j’ai rapidement commencé à analyser du code en le cassant et des systèmes en m’y introduisant, animé par l’idée que l’information voulait être libre.

Mon père s’en est vite rendu compte et nous avons eu une longue discussion sur ce qui est important dans la vie. Il m’a dit de ne pas être imprudent sinon le monde de demain consisterait en une tyrannie d’une part et des gens dépourvus de pouvoir de l’autre. Il m’a dit que, dans le futur, la répartition des pouvoirs dans le monde dépendrait beaucoup de ceux que je considère aujourd’hui comme des cypherpunks ou des hackers.
J’ai l’impression que l’avenir que mon père me décrivait quand j’étais enfant est aujourd’hui notre présent. Google dit « ne rien faire de mal » d’une part, mais de l’autre Google lit aussi le contenu des messages électroniques de ses utilisateurs et piste leur comportement sur Internet — deux choses que je décrirais clairement comme « le mal ». Google lit les courriels que ma mère écrit et piste ce que mes amis achètent. À des fins publicitaires, prétend Google… mais nous n’en avons découvert les véritables conséquences que plus tard, quand Edward Snowden a lancé l’alerte.
Il s’est avéré que Google avait aidé les services de renseignement américains et européens à pratiquer l’écoute électronique illégale de leurs propres citoyens. « Nous avons essayé de nous défendre, nous avons essayé de ne pas faire de mal », répond Google, mais on n’a jamais vu Google fermer un de ses services pour protester comme l’a fait Lavabit[1].
On n’a jamais vu Google se battre pour le bien de ses utilisateurs, c’est-à-dire la majeure partie de la population du globe.
Nous avons vu Google justifier son espionnage des données en disant que c’était super en termes de stratégie publicitaire.
Nous avons appris que Google fait en réalité des choses très mauvaises pour la majorité de la population mondiale. Nous avons appris que Google a tendance à utiliser une épée à double tranchant. Nous avons appris que le principe « open source autant que possible » de Google ne s’applique que tant qu’il ne perturbe pas le chiffre d’affaires existant.
Nous avons été témoins du fait que Google a envoyé des lettres de mise en demeure[2] aux développeurs et mainteneurs du projet populaire CyanogenMod pour Android pour avoir violé certains brevets en modifiant certains éléments open source d’un projet sous licence open source.
Nous avons appris que l’amitié cordiale de Google n’est qu’une façade publicitaire. Nous avons appris que Google n’est pas ce que nous pensions, qu’il ne se bat pas pour le bien de l’humanité mais pour le bien de son portefeuille.
C’est en cela que je me distingue de Google. Mes principes ne sont pas compatibles avec ceux que Google suit et a suivis tout au long de son histoire.
En vertu de mes principes, j’effacerais plutôt que collecterais toutes les données que Google, lui, rassemble sur ses utilisateurs, à savoir moi, ma famille, mes amis, mes collègues et toute personne dont Google sait qu’elle se connecte et a recours à des services populaires sur l’Internet public. Il me serait difficile de trouver le sommeil si je travaillais pour une entreprise qui cible les gens que j’aime et les menace directement.

Je me vois mal développer un jour les outils tyranniques indispensables à Google pour continuer sa course. Je suis de l’autre bord. J’ai conçu le projet que vous saluez, panic_bcast, pour que les services de sécurité aient davantage de difficultés à récolter des informations sur des militants politiques au moyen d’attaques du type « démarrage à froid ». Ce qui motive ma participation à d’autres projets de ce genre est ma conviction de la nécessité d’une circulation libre et sans contraintes de l’information sur l’Internet public.
Je fais partie de ces personnes assez chanceuses pour pouvoir se permettre de choisir les projets sur lesquels elles ont envie de travailler et je choisis de ne m’impliquer que dans des projets dont j’ai la conviction qu’ils apportent une contribution positive à la population dans le monde. Google n’occupe pas une place très élevée dans ma liste à cet égard et je suis au regret d’avoir à décliner votre proposition d’emploi.

« Les gens bien élevés ne lisent pas le courrier des autres »
— Henry L. Stimson

Je vous souhaite bonne chance dans votre recherche du candidat idéal.

Cordialement,
Niklas

Notes

[1] Lavabit est une entreprise américaine qui a préféré arrêter ses activités plutôt que de se soumettre à un mandat de recherche du gouvernement des États-Unis. Lavabit fournissait un service de messagerie électronique sécurisé par un chiffrement de haut niveau, c’est une adresse @lavabit qu’utilisait Edward Snowden. Davantage de détails sur la page Wikipédia de Lavabit.

[2] Une procédure judiciaire d’injonction expliquée sur cette page.




Le combat pour Internet est un combat pour des personnes

Blogueur, journaliste, essayiste, Cory Doctorow est une figure intellectuelle du Libre, notoire en particulier pour ses combats contre le copyright (…et bien sûr pour son œuvre romanesque : précipitez-vous sur Little Brother si vous ne l’avez pas encore lu ! Vous pouvez aussi contribuer à la version française en cours).

Nous avons souvent traduit ici ses tribunes et autres prises de position où il défend ardemment les libertés numériques. Aussi n’est-ce pas sans provocation malicieuse qu’il remet ici en cause ce qu’un excellent article de Calimaq nomme un des slogans les plus forts de la Culture Libre :

L’information veut être libre

À l’occasion de la conférence du dConstruct 2014 à Brighton, il intitule en effet son intervention « Information doesn’t want to be free » : l’information ne veut pas être libre. 

Il y aborde aussi l’épineuse question de la rémunération des artistes, énonce non sans humour trois « lois de Doctorow », mais surtout il ajoute son témoignage personnel de façon assez émouvante (écoutez la source audio de l’intégralité de la conférence en anglais) et nous fait comprendre que son combat pour Internet est un combat pour des personnes qui partout dans le monde ont désormais besoin d’Internet au quotidien comme d’un moyen d’accéder à un meilleur niveau de vie, à la culture, à l’éducation… et que c’est notre liberté d’accès à tous qui mérite le combat.

L’information ne veut pas être libre

par Cory Doctorow

Transcription effectuée par Marie-Alice 

Traduction Framalang : Marie-Alice, audionuma, KoS, Omegax, Goofy et des anonymes.

Bon, il y a pas mal de chances que les personnes qui assistent à des événements comme celui-ci gagnent leur vie avec une activité en ligne et même si vous ne gagnez pas votre vie en ligne aujourd’hui, vous le ferez probablement demain, parce que tout ce que nous faisons aujourd’hui implique Internet et Internet sera nécessaire pour tout ce que nous ferons demain.

Ce qu’il y a de merveilleux dans l’idée de gagner sa vie avec un travail créatif, c’est qu’il existe un grand nombre de façons de le faire. Pratiquement chaque artiste qui a un succès commercial est un cas particulier et gagne sa vie d’une manière différente de ce que font tous les autres. Presque tous ceux qui ont déjà entrepris de gagner leur vie à partir de la création artistique ont échoué, en fait la plupart des gens qui se disposent à gagner leur vie dans une activité de création perdront de l’argent dans l’affaire et c’est vrai non seulement maintenant, mais toujours, indépendamment de votre support, de votre époque ou de l’environnement technologique. Personne n’a jamais vraiment trouvé un plan qui transformerait tous ceux qui veulent être des artistes en membres de la classe moyenne de la société, à part leur dire : « si vous affirmez être un artiste on vous donne 40 000 livres par an jusqu’à ce que vous arrêtiez ».

Lancer une pièce à pile ou face et espérer qu’elle tombe sur la tranche…

En fait, gagner sa vie dans le domaine de la création est tellement rare que ce n’est peut-être qu’une sorte d’anomalie statistique, une probabilité infinitésimale. Imaginez que nous ayons une compétition de pile ou face, tout le monde serait aligné et jetterait sa pièce le plus grand nombre de fois possible, un certain nombre tomberait sur la tranche, une ou deux sur des millions et des millions et peut-être que les gens qui les auront lancées sont vraiment bons à pile ou face, peut-être qu’ils ont passé de nombreuses heures à s’entraîner, mais il est évident que le point commun des personnes dont la pièce est tombée sur la tranche n’est pas l’habileté. C’est la chance. C’est cet enchaînement parfait du lancer et de l’atterrissage chanceux. Si les gagnants du concours de pile ou face étaient célébrés, grassement payés et affichés sur les couvertures de magazines… il est probable que beaucoup de gens essayeraient de gagner leur vie en tant que lanceurs de pièces…

Après tout, les gens jouent au loto. Et si en plus le lancer de pièce à pile ou face était une expérience humaine qui donnait une satisfaction entière et profonde et créait une connexion authentique entre le lanceur et son public, alors vivre dans le monde du lancer de pièce serait tout à fait respectable. Et l’art, c’est ça. Parce que créer est inné pour nous. Les bébés font de l’art. On soigne le stress post-traumatique avec l’art-thérapie. Chanter, raconter des histoires, faire des dessins… ça semble faire partie intégrante de la condition humaine. Et on traite les artistes connus avec une déférence qui confine à l’adoration, ce qui rend la chose plutôt attractive, en tous cas vu de l’extérieur. Mais les arts sont intrinsèquement une activité non commercialisable. Les gens qui décident de vivre de leur art ne font pas un calcul économique réaliste. Ils comptent gagner le concours de lancer de pièce sur la tranche, où, même si on essaie encore et encore et qu’on s’entraîne énormément, il est impossible de gagner sans avoir beaucoup, beaucoup de chance.

Lorsque nous parlons de l’Internet et des arts, nous avons tendance à mettre l’accent sur les modèles économiques qui favorisent le plus les artistes. Mais c’est prendre le problème à l’envers. Il y a tellement de gens qui s’adonnent à une activité artistique à tout moment que, quel que soit le modèle économique en vigueur à un moment précis, nous ne manquerons jamais d’artistes qui attendent d’en profiter. Et quand nous essayons de préserver les modèles qui ont fonctionné l’an dernier, ce que nous disons en réalité, c’est que les gagnants de la loterie de l’année dernière devraient avoir la garantie de gagner cette année, ce qui est une bonne affaire pour les gagnants de la loterie — et je suis l’un des gagnants de la loterie, donc je ne suis pas tout à fait opposé à cette proposition — mais c’est le genre de remède qui peut s’avérer pire que le mal. Parce que les modèles économiques ne poussent pas hors-sol. Ils reflètent des réalités sociales plus vastes : les technologies, l’économie, la politique, les goûts du public… Quand vous figez les anciens modèles, vous le faites au détriment de tous ceux qui réussiraient dans les nouveaux. Et vous finissez par entrer en guerre contre les facteurs technologiques, économiques, politiques et sociaux qui déterminent les nouveaux modèles.

En tant qu’artiste qui a trouvé une place et un modèle économique pendant 20 ans, et qui espère continuer comme ça encore 20 ans, je voudrais présenter l’idée que notre priorité ne devrait pas être de protéger des modèles économiques. Ça devrait être de s’assurer que, quel que soit le modèle qui fonctionne en ce moment, ce modèle donne le contrôle, autant que possible, d’abord aux créateurs, ensuite à leurs investisseurs et, tout à la fin s’il en reste, aux revendeurs et plateformes qui leur permettent de trouver leur public.

Et pour ça, je vais proposer trois lois à toute épreuve pour que l’argent circule dans le bon sens. Des choses que les créateurs peuvent choisir, que les politiciens et régulateurs peuvent promulguer, que le public et les entreprises commerciales peuvent adopter, pour que l’argent finisse dans la poche de ceux qui sont le plus directement impliqués dans la création de l’art que l’on aime. Pour l’anecdote, au début j’avais une loi, et j’en ai parlé à mon agent, qui est aussi l’agent des ayants-droits d’Arthur C. Clarke, et il m’a dit « tu ne peux pas avoir qu’une seule loi, il t’en faut trois ! »

Voici donc la première règle, la « première loi de Doctorow ». À chaque fois que quelqu’un met un cadenas sur quelque chose qui vous appartient et refuse de vous donner la clé, ce n’est pas pour vous procurer un avantage. Donc si vous avez déjà uploadé une création intellectuelle numérique sur Steam, ou Amazon, ou Apple, on vous a présenté une petite case à cocher qui dit « Protéger ce fichier », ou peut-être « Activer la protection contre le piratage », et si vous êtes chez un grand éditeur ou label ou producteur — pour aller plus vite je les appellerai tous des éditeurs — ils ont probablement déjà fait ce choix à votre place et ils ont coché la case. Et ce que fait cette case une fois cochée, c’est d’ajouter une couche qui est appelée DRM pour digital rights management (gestion des droits numériques), et c’est censé empêcher les gens de faire des copies de votre œuvre sans votre permission.

Mais en pratique, le DRM ne fait pas ça très bien. Pour être efficace le DRM doit d’une façon ou d’une autre fournir au public la clé nécessaire pour défaire le chiffrement de l’œuvre, mais en même temps, d’une façon ou d’une autre restreindre ce qu’on en fera quand on aura la clé. Il faut que le public puisse défaire le chiffrement uniquement pour lire ou écouter ou regarder l’œuvre une fois, puis qu’il se débarrasse de la version en clair plutôt que de la partager avec des amis, ou de la regarder plus tard sans avoir besoin de la clé. Mais évidemment, cacher la clé à l’intérieur d’une chose que votre adversaire possède et qu’il peut inspecter et manipuler à volonté, c’est pas très malin, surtout quand votre adversaire comprend tous les gens au monde qui veulent avoir accès non seulement à votre œuvre mais à toutes les œuvres protégées par la même solution de DRM. Et quand dans ces gens il y a des thésards qui s’ennuient et qui sont équipés de microscopes électroniques à effet tunnel… ça ne peut pas durer bien longtemps ! D’ailleurs en sécurité on appelle ça la solution « vœu pieux ».

Bien évidemment, c’est illégal de casser les verrous, grâce aux lois comme l’EUCD de 2001 (European Union Copyright Directive, en français « Directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information »), qui a été transposée ici dans la législation britannique par la loi de 2003 pour la régulation du copyright et des droits voisins. Et il y a d’autres versions de cette loi dans à peu près tous les pays industrialisés au monde, et dans beaucoup de pays en voie de développement. Évidemment, ça n’empêche pas non plus les gens de faire sauter les verrous. En fait, la solution la plus simple pour faire sauter le verrou de n’importe quelle œuvre c’est d’aller sur the Pirate Bay et de télécharger une copie dont quelqu’un d’autre a déjà fait sauter le verrou, car après tout, pourquoi faire le boulot plusieurs fois ? En revanche, ça veut dire qu’une fois qu’Apple ou Amazon ou Adobe — et ça c’est juste ceux qui commencent par A — mettent leurs verrous sur votre propriété intellectuelle, vous en perdez le contrôle, et vous perdez le contrôle sur l’acheteur de votre œuvre.

Le client est désormais lié pour toujours à l’entreprise qui a installé le verrou, parce que le seul moyen de convertir un livre de l’iBook store d’Apple pour le lire sur Google Play, le seul moyen de le convertir pour l’ouvrir sur le Kindle d’Amazon, c’est de débloquer le verrou d’abord. Et la seule entreprise qui a légalement l’autorité pour convertir un livre d’iBooks… c’est Apple. De la même façon que seul Google a l’autorité pour convertir une vidéo de Google Play en vidéo pour Amazon, et ainsi de suite. Ce qui signifie qu’inévitablement, quand la plateforme commerciale dont la seule contribution à votre œuvre est de faire tourner un script dessus veut négocier une plus grosse part du prix de vente, vous ne pouvez plus vous passer de ces revendeurs. Parce que si vous arrêtez de vendre sur Amazon et que vous proposez une remise chez Google pour inciter vos clients à convertir leurs bibliothèques et vous suivre là-bas… aucun de vos meilleurs clients ne pourra se permettre financièrement d’accepter votre offre. Parce que leur seule possibilité pour passer d’Amazon à Google, ou d’Apple à Adobe, c’est de balancer toutes les œuvres qu’ils ont payées et de les racheter dans le nouveau format, ou alors de garder deux écosystèmes séparés et de passer de l’un à l’autre en fonction du revendeur de chaque œuvre, et ceci n’est pas un exemple hypothétique.

Vous avez dû entendre parler de ce qui arrive entre Amazon et l’un des 5 plus grands éditeurs au monde, Hachette, une entreprise qui s’y connaît en stratégie — le groupe qui les possède fabrique des bombes à sous-munitions à destination des pays en développement, donc ils savent penser en militaires : un des 5 plus grands éditeurs au monde est en train de perdre, de perdre lamentablement, contre Amazon sur la question du pourcentage sur chaque vente Amazon peut garder. Et Amazon va gagner sur toute la ligne, parce qu’Hachette a insisté depuis le début pour que tous ses livres soient vendus avec le DRM d’Amazon. Donc les clients d’Hachette, plus encore que ceux des autres éditeurs, sont enfermés dans l’écosystème Amazon. Et si Hachette décide de se passer des services d’Amazon, les clients resteront dans la cage dorée d’Amazon.

Il existe une autre division d’Amazon, Audible, qui contrôle 90% des livres audio vendus dans le monde. Ils sont les seuls fournisseurs de livres audio pour iTunes. Et ils ne vous donnent même pas la possibilité de vendre sans DRM ! Et ils ont déjà commencé à serrer la vis aux éditeurs et aux studios de livres audio, et ils ne vont pas lâcher le morceau. Maintenant, je vous parie un testicule — pas un des miens hein — qu’ils vont éjecter les fournisseurs hors de leur magasin, sauf s’ils acceptent de faire d’énormes concessions dans le partage des revenus et de la commercialisation de leurs livres. Tout comme Apple l’a fait avec les applications — également vendues avec DRM obligatoires — dès qu’ils ont réussi à imposer leur plateforme dominante obligatoire. Vous souvenez-vous quand Apple vendait vos applications pour 30 % et vous permettait de garder 100 % de l’argent que votre application gagnait ? Maintenant, ils vendent votre application pour 30 % et ils vous réservent 30 % de l’argent de votre application gagne, mais pas avant que beaucoup de gens aient investi leur fortune dans la création d’applications pour Apple. Et tous ces fournisseurs vont se rendre sans conditions. Parce que chaque grand consommateur de livres audio, les 20 % qui représentent 80 % des ventes, a déjà englouti des milliers de d’euros dans un investissement qui est verrouillé dans le coffre-fort d’Amazon jusqu’à ce que Amazon décide de le déverrouiller, autant dire jamais !

Chaque fois que quelqu’un vous promet de vous protéger en enfermant vos trucs sans vous donner de clé ? — Ce n’est pas pour vous protéger.

Ce qui m’amène à la loi n° 2. La célébrité ne vous rendra pas riche, mais vous ne pouvez pas vendre votre art sans elle. Vous avez entendu Tim O’Reilly dire « pour la plupart des artistes, le problème n’est pas le piratage mais l’obscurité ». Et il ne voulait pas dire qu’une fois célèbre vous devenez automatiquement riche, mais plutôt « si personne n’a entendu parler de vos trucs, personne ne les achètera ». Évidemment, de nombreuses personnes qui ont entendu parler de vos trucs ne les achèteront pas non plus, mais aucune des personnes qui ignorent jusqu’à votre existence ne vous donnera jamais rien. Au XXIe siècle, la manière dont les gens vous découvrent, c’est sur Internet. Par l’intermédiaire de moteurs de recherche et de réseaux sociaux, par l’intermédiaire d’hébergeurs de contenus en ligne comme YouTube… et la manière dont vous êtes payés pour vos trucs passe également par Internet : solutions de paiement comme PayPal, régies publicitaires comme Google, financement participatif comme Kickstarter.

Internet à donné naissance à de nombreux succès d’indépendants qui ont rassemblé toutes les fonctions d’un éditeur à partir de ces bribes éparses sur Internet. Certains d’entre eux sont des artistes qui ont débuté dans le système traditionnel et ont fait le saut vers le secteur indépendant comme Trent Reznor ou Amanda Palmer, certains sont des artistes qui ont débuté comme indépendants et sont devenus grand public comme Randall Munroe, l’auteur de xkcd, ou Hugh Howey, l’auteur de Wool [1] . Et certains artistes sont simplement restés des indépendants, comme Jonathan Coulton. Le monde du contenu de masse a été pris dans la même concentration industrielle que tous les autres secteurs. Il ne reste plus que 5 éditeurs, 4 labels et 4 studios de production dans le monde. Et quand la compétition entre les acheteurs (les éditeurs) diminue, les conditions négociée pour les vendeurs (les créateurs) sont moins avantageuses.

Et les contrats avec ces grands acteurs sont le reflet de ce marché. Vous savez, si vous signez avec un label musical, vous allez probablement devoir lui céder le droit de déduire de vos royalties, de chaque enveloppe de royalties, un pourcentage fixe pour la casse. Et qu’est-ce que la casse ? La casse date de l’époque des disques en vinyl ou en gomme-laque. Elle représente la fraction de produits physiques qui sont détruits par des chutes entre l’usine et le détaillant. Ils déduisent cela de vos royalties sur des mp3. Si vous êtes romancier, en signant avec un des cinq grands éditeurs, vous allez probablement devoir abandonner vos droits sur l’adaptation en BD, et peut-être vos droits sur un film ou à l’international, et presque toujours vos droits sur le livre audio. Et ainsi de suite.

Donc le secteur indépendant est une sorte de concurrence de la dernière chance par rapport aux grands acteurs. Les pires conditions que les grands acteurs puissent vous offrir, d’un point de vue financier, doivent être meilleures que les meilleures conditions que vous pouvez espérer sans eux. L’existence d’un secteur indépendant, même pour les artistes qui ne le choisissent pas, donne la limite basse des conditions que les éditeurs peuvent offrir. Donc logiquement, plus le secteur indépendant est compétitif et plus il y a d’entreprises qui fournissent des services, meilleurs sont les contrats pour les artistes, qu’ils signent avec des grands acteurs ou des indépendants.

Mais le secteur indépendant est en train de se faire écraser par les industries du divertissement. Par exemple, Viacom (NdT : le conglomérat états-unien des médias)  a demandé à la Cour suprême des États-Unis de voter que YouTube soit déclaré responsable de toute violation de copyright dans les vidéos qu’ils hébergent, sauf s’ils ont déterminé a priori, parfaitement et sans le moindre doute, si oui ou non ces vidéos respectent le copyright. Ce qui veut dire que chacune des 96 heures de vidéo qui sont chargées sur YouTube chaque minute devraient être étudiées par un avocat spécialiste du copyright pour décider si elle est légale. Sauf que même s’il y avait assez d’argent pour payer des avocats à faire ça — et ça voudrait dire le plein emploi pour quiconque a fait des études de droit, d’aujourd’hui jusqu’à… la fin des temps — il n’y a tout simplement pas assez d’avocats, ni à l’heure actuelle ni même dans toute l’histoire de l’humanité, pour entamer cette masse. En fait, on serait à court d’heures de travail d’avocats avant d’atteindre la mort thermodynamique de l’univers.

Mais il n’y a rien dans la proposition de Viacom de rendre YouTube responsable des violations de copyright qui ferait que Google ou n’importe quel autre service en ligne comme Twitter et Blogger et Facebook, ne soient pas eux-mêmes responsables de leur contenu. Alors comment une entreprise pourrait-elle s’en sortir dans la théorie de Viacom ? C’est très simple, elle ferait exactement comme ça se passe pour les entreprises du câble : si vous voulez faire passer quelque chose sur une chaîne câblée vous devez lui fournir la garantie que ça ne viole pas le copyright, et pour s’assurer que vous pouvez leur garantir cela les chaînes câblées vérifient que vous êtes assurés. Et quand vous allez voir l’assureur il vous fait engager un avocat pour évaluer votre œuvre et s’assurer qu’elle ne viole pas de copyright. En d’autres termes, n’importe qui pourra s’exprimer sur Internet du moment qu’il a autant d’argent qu’un grand label ou studio de production, et ceux qui n’ont pas cet argent ne pourront pas. Ce qui veut dire qu’on recopierait le monde extérieur en miniature dans le monde intérieur de l’Internet.

Empêcher Internet de créer des copies c’est comme empêcher l’eau d’être mouillée.

Et ça ne s’arrête pas là, parce que des tentatives comme TPP (le partenariat trans-pacifique), ACTA (l’accord commercial anti-contrefaçon), TTIP (le partenariat trans-atlantique pour le commerce et l’investissement), et les efforts ad hoc de forces de l’ordre comme ceux de la police de la City de Londres avec leur brigade en charge de la propriété intellectuelle, ont tous essayé d’élargir ce type de responsabilité, pas seulement aux hébergeurs de contenus mais aux fournisseurs de solutions de paiement, aux régies publicitaires, aux bureaux d’enregistrement des noms de domaine, aux plateformes de réseaux sociaux, et ainsi de suite. Mais de même que les DRM n’empêchent pas les gens de faire des copies, toutes ces régulations n’empêchent pas les gens de trouver des copies illégales. Le darknet d’une part échappe complètement à l’application de ce genre de lois, et d’autre part il existe des quantités d’autres voies pour trouver ces contenus. Après tout, le principe du réseau c’est de créer des copies. Vous savez qu’Internet fonctionne quand des copies sont créées rapidement, fidèlement et à bas coût. Empêcher Internet de créer des copies c’est comme empêcher l’eau d’être mouillée.

Du coup, tout ce que ça fait, c’est de réduire la diversité et la compétitivité et les services pour le secteur de la création indépendante, et ça vous rend plus difficile d’obtenir un contrat avantageux avec votre éditeur et de faire connaître votre travail pour pouvoir gagner votre vie avec. Parce que même si la célébrité ne vous rend pas riche, personne ne peut vous donner d’argent s’il n’a pas entendu parler de vous.

Et maintenant nous en arrivons à la troisième et dernière loi, la plus importante : l’information ne veut pas être libre. Vous avez peut-être entendu parler de ce débat sur le copyright et l’Internet pour déterminer si l’information veut être libre… mais j’ai eu une révélation au printemps dernier. J’ai invité l’information à une sorte de retraite dans les montagnes : on a loué une cabane dans les bois, on a fait du feu, on s’est peint le corps, on a dansé, on a chanté, on a bu du vin et pleuré sur nos parents, et quand ce fut terminé, une information à l’odeur de foin coupé m’a serré dans ses bras avec émotion et chuchoté sa confession à mon oreille : elle ne veut pas être libre. Tout ce qu’elle veut de nous, tout ce que l’information veut de chacun de nous, c’est qu’on arrête d’anthropomorphiser l’information. Parce que l’information n’est qu’une abstraction et elle ne peut pas vouloir le moindre fichu truc.

L’information ne veut pas être libre…

Je n’ai pas consacré ma vie à ce genre de choses parce que je veux aider l’information à atteindre ses objectifs. C’est un combat qui concerne les gens et les gens veulent être libres. À l’ère de l’information, vous ne pouvez être libre que si vous avez des systèmes d’information libres et équitables. Lorsque nous formulons la question de la régulation de l’Internet comme un moyen d’améliorer le sort des zéro virgule zéro zéro zéro un pour cent du monde qui gagnent leur vie dans les arts, nous traitons le Net comme s’il s’agissait d’un glorieux service de vidéo à la demande. Mais ce n’est pas le cas ! Et contrairement à ce qu’en pense du ministère de l’Intérieur, ce n’est pas un moyen de perfectionner le djihad, ce n’est pas un meilleur système de diffusion de la pornographie. Qu’est-ce que l’Internet ? c’est le système nerveux du 21e siècle à travers lequel passent toutes nos activités. Tout ce que nous faisons aujourd’hui implique l’Internet et l’Internet sera nécessaire pour tout ce que nous ferons demain.

… ce sont les gens qui veulent être libres

Ainsi, bien que les DRM soient effectivement une mauvaise affaire pour les créateurs, et les éditeurs, et le public, ce n’est qu’un problème secondaire. Le véritable coût des DRM, le voici : pour permettre leur fonctionnement, à peu près tous les pays du monde ont interdit de communiquer aux utilisateurs des informations leur permettant de supprimer les DRM. Et cela signifie qu’il est illégal de signaler des vulnérabilités, des défaillances dans le code des DRM. Ce qui veut dire que quiconque vous informe de vulnérabilités dans votre téléphone, ou votre ordinateur, ou votre thermostat, ou dans le micrologiciel de votre automobile, ou dans les logiciels qui pilotent votre prothèse auditive ou votre pacemaker, peut être jeté en prison pour ce motif. Ce qui veut dire que des équipements sur lesquels nous comptons pour des questions vitales deviennent des réservoirs à longue durée de vie de vulnérabilités prêtes à être exploitées par des malfrats et des voyeurs, des usurpateurs d’identité, des espions, des flics et des gouvernements.

Notre monde est fait d’ordinateurs. Votre voiture est un ordinateur qui file sur l’autoroute à 100 km/h avec vous enfermé dedans. Votre immeuble moderne, une maison neuve ou une institution publique sont des ordinateurs dans lesquels vous vivez. Quand vous retirez les ordinateurs de la plupart de ces bâtiments, ils cessent d’être habitables immédiatement. Si vous ne relancez pas les ordinateurs très rapidement, la plupart de ces bâtiments tombent en ruine, car sans la capacité de réguler leur respiration, ils commencent à pourrir presque instantanément.

Vous et moi, et tous ceux qui ont grandi avec un casque de walkman sur les oreilles, on a passé assez d’heures avec nos écouteurs à fond pour qu’un jour on ait tous besoin de prothèses auditives. Et cette aide auditive ne sera pas un gadget Bose rétro-hipster-analogue-à-transistors. Ce sera un ordinateur que vous mettrez dans votre tête. Et selon la façon dont cet ordinateur sera conçu et paramétré, il pourra vous empêcher d’entendre certaines choses. Il pourra vous faire entendre des choses qui n’existent pas. Il pourra dire aux autres ce que vous avez entendu.

J’étais dans un aéroport il ya quelques mois — je passe beaucoup de temps dans les aéroports — et bien sûr la première règle dans les zones d’attente des aéroports est ABC : Accéder à une prise, Brancher, Charger. Je suis donc arrivé le premier dans ce salon d’attente de l’aéroport, je me suis jeté tout de suite sur l’emplacement stratégique, la seule prise de courant disponible du lieu, j’ai branché mon ordinateur portable et j’étais assis là à travailler quand un type est arrivé et m’a demandé sans complexe « Je peux utiliser cette prise de courant ? ». J’ai répondu « vous voyez bien que je charge mon portable ! ». Alors il a retroussé sa jambe de pantalon et m’a montré la prothèse qu’il portait à partir du genou et m’a dit : « Je dois charger ma jambe ». Et là j’ai débranché mon portable et dit : « je vous en prie ». Piper les dés pour empêcher la divulgation des failles dans les dispositifs dont on dépend pour tout — pour absolument tout — est une idée complètement démente. Vous devriez être avoir le droit de connaître les failles dans votre iPhone, un appareil doté d’une caméra, d’un micro, d’un capteur de position, et qui connaît tous vos amis et ce que vous en dites. Vous devriez avoir le droit de connaître les failles dans votre iPhone, même si le fait que vous connaissez ces failles complique les choses pour Apple qui voudrait garder son monopole sur le marché des applications.

Et quand il s’agit d’augmenter la responsabilité des fournisseurs de services, l’effet majeur n’a rien à voir avec le domaine artistique. Parce que les 96 heures de vidéos qui débarquent dans la boîte de réception de YouTube chaque minute ne sont pas des films amateurs ou de la télé pirate… Ce sont des communications personnelles, des conversations, ce sont des images filmées par des dissidents dans des zones de guerre, il s’agit de la matière brute de la communication. C’est la même chose pour les tweets, les messages Facebook et tout le reste. Et c’est là qu’il y a toujours des cyniques pour dire « peuh, tout ça pour préserver toute cette merde sur Facebook, toutes ces conneries sur Twitter, toutes ces photos de chats… ». Et ça c’est la réaction typique des gens qui refusent de prendre au sérieux tout ce qui se passe sur Internet. Et là je suis censé répondre « non, non, il y a aussi des choses nobles sur Internet, il y a des victimes de maltraitance qui parlent de leur parcours pour s’en sortir, il y a des personnes qui dénoncent les violences policières et ainsi de suite … », et tout ça, c’est important, mais pour une fois je vais m’exprimer en faveur de toutes les choses banales et les plus triviales.

Quand ma femme descend le matin — je suis le premier levé, dès 5h du matin, je suis un lève-tôt — quand ma femme descend le matin donc, et que je lui demande si elle a bien dormi, ce n’est pas vraiment pour savoir si elle a bien dormi. Je dors à côté d’elle, je le sais bien comment elle a dormi ! Si je demande à ma femme si elle a bien dormi, c’est parce qu’il s’agit d’une communication sociale qui signifie en réalité : « Je te vois ce matin. Tu comptes pour moi. Je t’aime. Je suis là ». Et quand quelqu’un expose une chose importante et lourde de conséquences comme « j’ai le cancer » ou bien « j’ai gagné » ou « j’ai perdu mon emploi », ces moments mémorables ont du sens parce qu’ils sont basés sur ce faisceau de millions d’échanges apparemment insignifiants. Et si les échanges insignifiants des autres vous semblent banals, c’est parce que vous n’êtes pas le destinataire de ces échanges. Mais eux, si. Eux et leur réseau social. Et c’est le comble de l’arrogance d’affirmer que juste pour s’assurer que les gens regardent la télé comme il faut, on est prêts à les surveiller, les censurer, et abandonner complètement les canaux de communication où se font leurs échanges.

Nous avons mis en place des systèmes par lesquels n’importe quel fichier peut être supprimé d’Internet simplement en le montrant du doigt et en disant : « J’ai entendu dire que ce fichier porte atteinte à mes droits d’auteur », sans présenter la moindre preuve et sans conséquences judiciaires pour ceux qui en abusent. Cette procédure de « notification et retrait » fait régulièrement l’objet d’abus par toutes sortes de salauds, du roi de Thaïlande aux néo-nazis britanniques élevés au grain. Parce que si vous mettez en place un système de censure sans procédure officielle et sans poursuites en cas d’abus, il serait d’une naïveté criminelle de ne pas prévoir qu’il y aura des abus. Ici au Royaume-Uni, nous avons la loi sur l’économie numérique de 2010. La dernière loi de la dernière législature, passée dans les dernières heures avant qu’ils se mettent en campagne pour les élections. Suivant les injonctions du whip du parti tout député travailliste qui n’aurait pas voté pour cette loi aurait perdu son poste et le soutien du parti, à la veille de la campagne électorale. Elle a donc été adoptée sans aucun débat parlementaire et elle permet au secrétaire de l’entreprise, qui était alors Peter Mandelson, et maintenant Vince Cable, d’imposer une règle à sa seule discrétion qui dit que toute personne disposant d’une connexion internet qui est impliquée dans 3 accusations d’infraction à l’Internet sans preuve et même sans suite peut être déconnecté d’Internet pendant un an. Ce qui signifie que si vous êtes simplement accusé de vivre dans le voisinage d’un appareil connecté au réseau qu’un tiers inconnu peut ou non avoir utilisé pour écouter de la musique de façon inappropriée, vous et tous ceux qui vivent dans votre maison êtes condamnés à la peine de mort d’Internet pour un an.

Et Martha Lane Fox, qui est maintenant baronne Soho — bon, tous ces trucs d’aristocratie, ça fait très Donjons et Dragons, mais la baronne Soho est cool… — donc Martha Lane Fox, avant de devenir baronne Soho, avait un job encore plus incroyablement cool : son titre était « championne de l’inclusion numérique ». Et l’un de ses premiers actes a été de commissionner l’entreprise de conseil Pricewhaterhousecoopers pour étudier ce qui se passe quand les gens accèdent à Internet. Pour mener à bien leur mission ils sont allés dans une cité HLM du nord de l’Angleterre qui a bénéficié d’un accès gratuit à Internet pendant quelques années. Il se trouve que cette cité était juste à côté d’un nœud de raccordement du réseau, et ils ont été raccordés, ils ne l’ont pas demandé ou signé quoi que ce soit… Et PWC a comparé les habitants de cette cité à ceux de HLM voisins qui n’avaient pas eu ce coup de chance géographique. Et ils ont trouvé que les familles qui avaient été connectées, par rapport aux familles des autres HLM, faisaient de meilleures études, se nourrissaient plus sainement, avaient de meilleurs emplois, un plus grand pouvoir d’achat, moins de dettes, plus de mobilité sociale, une meilleure participation à la vie publique, étaient mieux informés sur la politique et votaient davantage.

Alors quand nous, en tant que société, sommes prêts à punir collectivement des familles entières qui sont accusées sans preuve de se divertir sans autorisation, en leur coupant le tuyau qui leur offre à lui seul la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de réunion, l’accès à l’éducation, à la santé, de la nutrition, à la richesse, à l’engagement civique et politique… il est parfaitement évident que ce n’est pas un combat pour l’information, mais pour des personnes. En ce qui me concerne, j’estime que je peux gagner ma vie sans qu’il soit nécessaire d’espionner tout le monde, sans devenir l’autorité de censure d’Internet, sans un système comme la loi sur l’économie numérique de Peter Mandelson qui est si manifestement injuste et grotesque. Mais même si ce n’était pas le cas, même si cela signifiait que je doive renoncer à gagner ma vie comme ça, je combattrais encore pour qu’Internet soit libre et équitable. Parce que, même si j’ai rêvé toute ma vie, ma vie entière, d’être un écrivain, même si j’aime être en mesure de subvenir aux besoins de ma famille avec le revenu de mes travaux créatifs, je veux léguer un monde libre et juste à ma fille bien avant de vouloir être un artiste, et cela compte bien plus que mon désir profond d’être un artiste.

Il existe des millions de façons de gagner de l’argent avec de l’art et des milliards de façons de faire faillite en essayant de gagner de l’argent dans les arts. Veiller à ce que les artistes qui réussissent obtiennent autant d’argent que possible dans le système en place est un objectif honorable, mais au-delà de cela, les artistes doivent être opposés à la censure, à la surveillance et au contrôle, parce que les arts ne devraient jamais être du côté de censure, de la surveillance et du contrôle ! Essayez n’importe quoi et faites tout ce que vous pouvez pour que votre pièce tombe sur la tranche, mais si vous avez besoin de casser l’Internet pour réussir votre truc… alors vous êtes du mauvais côté de l’histoire.

Merci.

Crédit photo : portrait de Cory Doctorow par Jonathan Worth (CC BY-SA 2.0)

Notes :

[1] Roman traduit en français sous le titre de Silo.




Les voitures-robots et l’ordinateur de ma grand-mère

Les voitures bourrées d’électronique sont déjà des ordinateurs et nous préparent aux voitures auto-guidées comme les prototypes de Google.

Plus que des métaphores mal ajustées qui ne permettent guère à nos grands-parents de comprendre les enjeux de la confidentialité et de la vie privée, les voitures de demain fournissent une analogie utile pour comprendre notre autonomie menacée : qui pilote mes logiciels, qui conduit ma navigation sur le Web, qui est aux commandes de mes usages en ligne, qui contrôle ma vitesse de connexion, qui m’autorise où non tel ou tel chemin secret, quelle supervision mesure mes trajectoires, quel radar du Net me flashe et capte mes données ?

Dans l’article qui suit Camille François estime que l’arrivée des voitures auto-conduites peut inciter les utilisateurs à réclamer des mesures et un débat maintenant urgents sur la maîtrise de nos vies en ligne.

Les voitures sans conducteur : vers une meilleure prise de conscience des enjeux de la surveillance ?

par Camille Francois

article original paru dans Wired : Self-Driving Cars Will Turn Surveillance Woes Into a Mainstream Worry Traduction Framalang : Camille François, Scailyna, Asta, paul, goofy, Omegax

Alors que les nouvelles technologies investissent progressivement tous les recoins de notre vie quotidienne, notre société peine encore à se doter des cadres juridiques et du débat public nécessaires pour en gérer les conséquences, surtout après les révélations sur l’espionnage par la NSA.

Ainsi les voitures sans chauffeur offrent-elles un nouvel exemple des enjeux de liberté et d’autonomie, trop souvent limités aux questions liées aux courriers électroniques et ordinateurs portables dans notre société de l’information.

Google vient de dévoiler une véritable voiture auto-conduite, sans volant, ni freins, ni pédales. Google prévoit que ces voitures sans-mains-sur-le-volant se promèneront sur les routes d’ici 2017— et c’est à nous de concevoir les lois et les règles qui régiront leur utilisation. Voilà qui rend ces questions de politique publique un peu urgentes.Comme le prototype de Google le révèle, les robo-autos du futur sont là. Comme il existe une longue tradition visant à associer liberté et autonomie aux véhicules personnels, chacun peut avoir une compréhension plus instinctive de ces enjeux.

Un exemple concret : l’ordinateur rangé dans le garage de ma grand-mère

Ma grand-mère est une Française de 80 ans, elle est tout à fait brillante, farouchement indépendante et très inspirante. Récemment, elle m’a envoyé un article du New York Times plié en quatre intitulé « Fermer les portes dérobées (backdoors) de la NSA ». Je l’ai appelée, désireuse de savoir pourquoi elle s’intéressait tout à coup aux « portes dérobées ». Nous avons souvent des conversations politiques passionnées et j’ai essayé plusieurs fois de l’entraîner dans une discussion sur les révélations de Snowden et leurs conséquences : sans succès. Elle m’a expliqué qu’elle était tombée sur « NSA » dans le titre d’un article, et sachant que cela pourrait m’intéresser, elle l’a glissé dans la lettre qu’elle venait de finir de rédiger. Était-elle préoccupée par les portes dérobées de la NSA ?, lui ai-je demandé… — Non, pas du tout.

…comme si quelqu’un avait un double des clés de chez moi sans que je le sache

Sa faible compréhension et son peu d’intérêt peuvent s’expliquer par au moins deux facteurs : des métaphores un peu bancales et une vision restreinte de l’informatique. Pour ceux qui n’ont pas de bagage technique, une « porte de derrière » ou « porte dérobée » est une métaphore qui porte à confusion. Techniquement, une porte dérobée est une méthode utilisée pour contourner le processus normal d’authentification et disposer ainsi d’un accès secret et à distance aux ordinateurs. Dans l’article du New York Times, le terme est employé au sens large pour « décrire une série de pratiques par lesquelles les gouvernements contraignent les entreprises du secteur privé ou obtiennent leur coopération pour qu’elles fournissent un accès aux données qu’elles contrôlent. »

« Alors n’importe qui peut entrer dans ton ordinateur sans que tu t’en aperçoives, exactement comme quelqu’un qui entrerait chez toi par la porte de derrière pendant que tu regardes par la porte de devant », ai-je tenté d’expliquer à ma grand-mère. « C’est absurde, a-t-elle répondu, s’il y avait une porte à l’arrière de ma maison, je pourrais voir les gens entrer. C’est ma maison après tout, ce que tu me décris, c’est plutôt comme si quelqu’un avait un double des clés de chez moi sans que je le sache. »

Une « porte de derrière » est une métaphore centrée sur l’expérience des programmeurs, pas des utilisateurs. C’est en effet depuis l’intérieur du code que l’on peut observer s’il existe différents moyens de pénétrer dans le programme. Si l’on se place du point de vue de l’utilisateur, par définition quand on ne voit pas le code, on peut pas observer de porte dérobée. Pas très instinctif comme métaphore.

back door

Voilà qui nous amène à aborder le deuxième problème : une représentation limitée de l’informatique. Ma grand-mère a un ordinateur de bureau qu’elle n’utilise qu’une fois par an. Il est rangé dans un coin, à distance de sa vie quotidienne.. Miss Teen America redoute que des gens activent à distance la webcam de son ordinateur portable pour prendre des photos d’elle déshabillée : pas ma grand-mère. Elle n’a pas non plus de smartphone qui pourrait nourrir ses inquiétudes sur l’accès distant ou le pistage grâce au GPS. Pour tous ceux qui considèrent les ordinateurs personnels comme un véhicule fondamental pour leur autonomie, liberté et capacités, c’est-à-dire pour la plupart de mes amis hackeurs par exemple, les portes dérobées sont un motif de vive contrariété. Pas pour ma grand-mère. Elle n’accorde aucune importance à ces outils, si bien que des vulnérabilités potentielles ne menacent pas sa façon de vivre. Et elle n’est pas la seule dans ce cas-là. C’est parfois le cas même pour des personnes dont l’opinion sur ces questions importe au plus haut point : en 2013 par exemple, Justice Elena Kagan a révélé que  huit des neuf membres de la Cour Suprême des États-Unis n’utilisaient jamais le courrier électronique.

Pourtant, il existe dans la vie quotidienne de ma grand-mère un ordinateur rempli de logiciels, connecté au réseau — et donc potentiellement accessible à distance — qu’elle considère comme la source principale et la plus importante de son autonomie personnelle. Simplement, elle ne le voit pas comme un ordinateur car c’est de sa voiture dont il s’agit. Comme un grand nombre de voitures commercialisées et présentes sur les routes aujourd’hui, la sienne embarque un logiciel d’assistance à la conduite et une petite antenne sur le toit. Sa voiture est aussi, littéralement, un ordinateur.

Ma grand-mère ne m’a jamais dit : « Tu dois apprendre la programmation informatique parce que c’est comme cela qu’on assure son indépendance son autonomie et le contrôle sur sa vie au XXIe siècle. » En revanche, elle a passé beaucoup de temps à me forcer à prendre des leçons de conduite « parce que c’est ainsi qu’une femme acquiert son indépendance, son autonomie, le contrôle de sa vie et sa liberté. » Je n’ai toujours pas de permis de conduire et cela l’énerve vraiment beaucoup. Pendant mon adolescence, elle me faisait lire les romans de Françoise Sagan et nous regardions Thelma et Louise ensemble. Ma grand-mère est française, mais possède cette conviction très américaine qui veut que la voiture, c’est la liberté.

« Ta voiture sait où tu vas, et choisira ton chemin »

C’est très clair : pour la majorité des gens, le lien entre la surveillance des autorités et la liberté est bien davantage perçu au travers de la voiture qu’au travers d’un ordinateur personnel. Vu que les objets seront de plus en plus nombreux à être connectés à l’Internet, les questions que cela soulève vont gagner en importance. Et la voiture pourrait devenir, pour reprendre l’expression de Ryan Carlo dans  un article de 2011 sur les drones, un « privacy catalyst », autrement dit un catalyseur pour la protection de la vie privée, un objet qui nous donnerait la possibilité d’adapter la législation sur la vie privée aux réalités du XXIe siècle, un objet qui redonnerait sa pleine signification à notre représentation du concept de violation de la vie privée.

« Ta voiture sait où tu vas, et choisira ton chemin » : il suffit que ma grand-mère songe à ces changements technologiques dans l’industrie de l’automobile pour que des questions abstraites sur l’autonomie ou la vie privée deviennent pour elle bien plus tangibles.

Du coup, elle a commencé à s’intéresser à ces questions. Et saisir « Privacy » et « Cars » dans un moteur de recherche l’a rapidement amenée à découvrir la déclaration de Jim Farley, vice-président marketing de Ford Global à la grande foire annuelle de l’électronique grand public, le Consumer Electronics Show : « Nous savons exactement qui enfreint la loi et à quel moment. Nous avons un GPS dans votre voiture et nous savons, par conséquent, ce que vous êtes en train de faire. » Elle s’est mise à récrire mentalement Thelma et Louise dans un monde où les voitures seraient sans conducteur et ouvertes à un accès distant par les autorités dans le but de veiller au respect de la loi. À coup sûr, les filles auraient été localisées et arrêtées ou leur voiture aurait été immobilisée à distance. « C’est un scénario pour un film de dix minutes, un clip sur YouTube ? » a-t-elle blagué.

La déclaration de Jim Farley a fait des vagues et suscité des réactions, le sénateur démocrate du Minnesota, Al Franken, a interpellé Ford sur sa politique en matière de gestion des données, Farley est revenu sur sa déclaration, la concurrence a pris position sur la question et le PDG de Ford, Allan Mulally, a lancé un appel pour la définition de limites et lignes directrices dans ce domaine.

Maintenant, ma grand-mère comprend le problème et se sent concernée. Et c’est important : pour que notre société façonne les règles qui feront de l’avenir des voitures auto-conduites un monde futur dans lequel nous voulons vivre, nous avons besoin que tous les membres de la société puissent prendre part au débat.

Nous devons nous demander : que se passera-t-il quand les voitures deviendront de plus en plus semblables à des ordinateurs ? Avec des voitures auto-conduites, allons-nous obtenir le meilleur de l’industrie informatique et de l’industrie automobile, ou le pire des deux mondes ?

« Auto-conduites » est d’ailleurs une appellation trompeuse. Les décisions de pilotage ne sont jamais prises « par la voiture » elle-même. Elles sont calculées par des algorithmes quand ce n’est pas le conducteur qui décide. Et ces algorithmes eux-mêmes ne viennent pas non plus de nulle part : ce sont des réponses minutieusement établies à des dilemmes mettant en jeu de façon complexe la sécurité, l’éthique, la loi et les impératifs commerciaux. Qualifier d’« auto-conduites » des voitures robotisées empêche de voir que nous renonçons à l’autonomie au profit des algorithmes, ce qui rend plus difficile d’aborder les questions de politique qui se posent.

voiture du futur

Les voitures auto-conduites arrivent — lentement et progressivement, et passeront par différentes étapes d’automatisation avant que les rues ne soient remplies de véhicules « sans main sur le volant » comme le prototype dévoilé récemment par Google — mais elles font certainement partie de notre futur proche. Elles représentent une promesse considérable pour l’environnement et pour la sécurité routière.

Elles incarnent aussi notre débat sur la liberté, l’autonomie et la vie privée quand il est question de systèmes informatisés. Elles révèlent à quel point l’accès à des systèmes informatisés par des gouvernements ou des particuliers peut devenir intrusif.

Camille FrançoisCamille François est chercheuse au Harvard Berkman Center on Internet and Society. Ses recherches portent sur sur la cyberpaix et la cyberguerre, les questions liées à la surveillance, la vie privée et la robotique. Elle est également chercheuse invitée à la Yale Law School, et au Columbia Arnold A. Saltzman Institute for War and Peace Studies

Crédits images




Mes données dans un nuage ? — Oui mais le mien

Plutôt que de se résigner à l’usage de services en ligne n’offrant aucune garantie réelle de confidentialité, Frank Karlitschek a décidé de ne pas se contenter de prêcher la bonne parole mais de passer à l’acte en élaborant (avec d’autres) un projet qui remporte un succès grandissant : un logiciel libre et open source de stockage de données. En revenant sur l’historique du projet ownCloud, il nous rappelle au passage les clés de la réussite (ne perdons pas de vue la proportion importante de projets open source qui n’aboutissent jamais) : développement collaboratif du code ouvert, prenant appui sur des outils et choix techniques ayant déjà une large base de développeurs, flexibilité, compatibilité multi-plateforme…

Cet article donne quelques indications plus précises sur les technologies mises en œuvre qui peuvent laisser perplexe le lecteur non développeur, mais la démarche et la philosophie de l‘open source y apparaîtront pour tous avec clarté. L’enjeu, c’est de rendre à l’utilisateur le contrôle de ses données.

Au fait, Framasoft dispose depuis un an de son propre ownCloud [1], pourquoi pas vous ?

Pourquoi j’ai créé OwnCloud et l’ai rendu open source

par Frank Karlitschek, fondateur de ownCloud et mainteneur de l’architecture globale du projet.

Article original : Why I Built OwnCloud and Made It Open Source Traduction Framalang : Asta, r0u, KoS, Wan, Omegax, goofy, Diab

Il y a 4 ans, j’étais au CampKDE à San Diego, je donnais une conférence sur la protection des données, mettant en garde le public sur les risques pour leur vie privée auprès des fournisseurs de cloud – en particulier Dropbox. « — Eh bien fais-le toi-même », m’a-t-on dit. Bien sûr, j’avais déjà créé des choses dans le passé, alors bien sûr, j’ai dit que j’allais le faire. Et c’est là que j’ai commencé mon odyssée, en premier lieu pour me protéger moi-même, mes amis et mes collègues de l’espionnage des gouvernements et d’autres méchants, et plus tard – quand j’ai vu l’intérêt croître dans le monde – pour concevoir un projet concret et efficace.

je n’avais pas envie d’envoyer mes données à un service tiers pour qu’il les stocke on ne sait où

Évidemment, je devais décider d’un certain nombre de choses avant de commencer, notamment ce que je voulais que fasse le logiciel, quelle plateforme de développement utiliser, comment le structurer et bien sûr il fallait que je lui trouve un nom : ownCloud (NdT : littéralement, « le nuage qu’on possède »).

Mes amis et moi avions besoin d’un moyen de synchroniser nos images, nos documents et même nos vidéos en passant d’un appareil à l’autre (au lieu d’utiliser une clé USB), nous voulions aussi partager ces fichiers avec nos amis et nos proches. À l’époque, Dropbox devenait très populaire, mais je n’avais pas envie d’envoyer mes données à un service tiers pour qu’il les stocke on ne sait où. Je voulais créer une plateforme que mes amis puissent utiliser sur les espaces de stockage qu’ils avaient déjà, à la différence du cloud, pas seulement pour synchroniser et partager, mais aussi une plateforme assez flexible pour qu’on puisse y créer des applications.

Bien sûr ownCloud allait être open source.

Je faisais déjà partie de la communauté open source, mais ce n’est pas la seule raison. En faisant de l‘open source je concevais un code qui serait complètement transparent (et donc aurait peu de risques de comporter des « portes dérobées » pour entrer dans mes données). De plus je pouvais compter sur un grand nombre de personnes animées des mêmes convictions pour m’aider à créer ownCloud, je n’étais donc pas tout seul. Et je pouvais réutiliser les technologies d’autres projets. Comme SABREDAV, qui est le framework que nous utilisons pour la communication WebDAV du serveur (CalDAV, CardDAV et WebDAV sont tous utilisés par ownCloud), et nous utilisons aussi jQuery. Nous avons également utilisé csync pour les capacités de synchronisation bi-directionnelle du client de bureau et Qt pour l’interface utilisateur multi-plateforme. Je n’ai pas eu à réinventer la roue une fois de plus, je n’ai eu qu’à assembler ce qui existait déjà pour que tout fonctionne.

Mais comme je l’ai déjà dit, je savais ce que je voulais : ownCloud devait être plus qu’une « app ». Bien sûr, stocker les données d’une manière sûre et sécurisée est une chose importante. Mais en fin de compte, les gens veulent faire quelque chose de leurs données, alors j’ai voulu ajouter davantage de fonctionnalités à travers les applications ownCloud. Les applications sont des extensions qui peuvent implémenter des fonctionnalités telles que la détection de virus, la journalisation des accès et des changements de fichiers, le versionnage, le chiffrement, l’édition de fichiers et bien d’autres choses. Ce genre d’intégration du stockage de fichiers avec d’autres services est essentiel pour le développement futur.

Je voulais que mon projet soit flexible, de sorte que les gens puissent s’appuyer sur ownCloud (et beaucoup l’ont fait, avec une application type « Google News », un streamer de vidéos, un lecteur de musique, un calendrier – et plus encore) et que ownCloud puisse s’intégrer dans de nombreux environnements. Par exemple, n’importe quel client WebDAV devait pouvoir accéder à ownCloud dès le départ et le concept d’applications internes est là aussi depuis le début du projet.

Bien entendu, nous sommes plus avancés à présent — il y a des API de partage et d’administration, des API internes pour les applications utilisant OCS, il existe des bibliothèques pour mobile (que nous avons rendues open source) et qui permettent l’intégration à d’autres applications mobiles, une base de données clés-valeurs pour un usage général de stockage de données, de synchronisation, et davantage encore. Ensuite, il y a l’intégration de systèmes de stockage externe comme FTP, S3, SWIFT, CIFS, iRODS et beaucoup d’autres. Mais même à l’époque où nous avons commencé, les intentions étaient claires – construire quelque chose d’assez flexible pour que les gens puissent créer des solutions auxquelles nous n’avions pas pensé.

Et c’est justement ça, la puissance de l‘open source.

Nous (ma communauté grandissante et moi) avons évalué différentes options pour trouver la bonne technologie qui pourrait tourner sur chaque plateforme, du micro serveur jusqu’à des clusters de serveurs, qui aurait toutes les fonctionnalités et serait connue d’un grand nombre de développeurs. C’est pourquoi nous avons opté pour PHP et JS pour la partie serveur, C++ pour la synchronisation des Clients, Objective-C pour iOS et Java pour Android.

Il y avait plusieurs critères architecturaux à remplir dès le départ : multiplateforme, facilité d’extension, support des infrastructures, haute disponibilité basée sur les composants les plus largement utilisés. Donc, nous avons choisi PHP, pour cibler la pile « LAMP » (Linux / Apache / MySQL / PHP) qui est la plus répandue et éprouvée des plateformes permettant tout cela.

C’est également un projet open source et PHP est disponible gratuitement, facile à trouver, et multiplateforme (variantes Windows et Linux, IIS, Apache et autres serveurs Linux). Il bénéficie d’une communauté massive de développeurs dont beaucoup sont très expérimentés. Enfin, c’est un langage facilement accessible pour la communauté. Avec tout ça, c’était une évidence.

Franck Karlitschek le créateur de ownCloud

« L‘open source est la seule solution pour un stockage de données réellement sécurisé »

Comme j’ai commencé ce projet par une conférence sur la sécurité et la confidentialité, il était essentiel d’avoir la meilleure sécurité possible pour les API. J’ai choisi un chiffrement SSL fort pour toutes les API WebDAV et REST. L’authentification est faite via la méthode basique, qui est très simple et facile à gérer. On peut également utiliser SAML, fourni au travers de son implémentation Shibboleth. En complément OAuth et l’authentification à deux facteurs sont disponibles, et nous profitons même de la flexibilité de ownCloud pour intégrer un backend personnalisé, en utilisant des jetons à la place des mots de passe standards.

Je suis convaincu que le stockage de fichiers n’est pas seulement un service web ou une infrastructure informatique de plus. C’est là où les gens et les entreprises stockent et gèrent leurs données les plus importantes. C’est pourquoi il est essentiel de le rendre aussi sécurisé que possible. Avec un logiciel propriétaire, vous ne pouvez jamais être sûr qu’il n’y a pas une porte dérobée ou d’autres problèmes de sécurité. L’open source est la seule solution pour un stockage de données réellement sécurisé. Voilà ce que j’ai fait et pourquoi je l’ai fait. J’ai mis à ce travail toute ma passion pour l‘open source et il a aussi demandé beaucoup de soin !

Notes

[1] Tiens par exemple, vous voulez de quoi imprimer de chouettes posters qui expliquent ce qu’est le logiciel libre ? C’est par là




La surveillance de la NSA révélée par Snowden : un an après, on récapitule ?

Faire le point sur un an de révélations que nous devons à Snowden permet de comprendre comment nous sommes passés peut-être définitivement dans l’ère de la défiance. Quand la machine ubiquiste de surveillance de masse nous considère tous comme des suspects potentiels, nous ne pouvons faire autrement que de soupçonner à priori le plus vertueux des opérateurs téléphoniques ou des fournisseurs d’accès à l’internet d’être bon gré mal gré un complice de la NSA et de lui remettre les clés de nos vies privées, de nos engagements politiques etc. sans même parler de l’espionnage des grands de ce monde .

Cette liste tire sa force accusatrice de sa sècheresse factuelle. Chaque élément y est toutefois documenté par un lien (en anglais en général) vers un article de presse en ligne.

65 choses sur la surveillance par la NSA que nous savons maintenant mais que nous ignorions il y a un an

Article original sur le site de l’Electronic Frontier Foundation

par Nadia Kayyali et Katitza Rodriguez

Traduction Framalang : hack, Diab, teromene, r0u, Thérèsegoofy, mrtino

Voilà un an que le journal The Guardian a publié pour la première fois le Foreign Intelligence Surveillance Court order, révélé par Edward Snowden, ex-sous-traitant de la NSA. Le document démontrait que la NSA avait mené des opération de surveillance généralisée sur des millions de personnes innocentes. Depuis lors, toute une vague de révélations choquantes, de divulgations, d’aveux partiels des autorités gouvernementales, d’appels aux lois qui garantissent la liberté de l’information, et de poursuites judiciaires, a déferlé sans interruption. Pour l’anniversaire de cette première révélation, voici 65 choses sur la surveillance par la NSA que nous savons maintenant mais que nous ignorions il y a un an.

1. Nous avons vu un exemple des décisions de justice qui autorisent la NSA à récolter potentiellement tout appel téléphonique aux USA – ce qui veut dire qui vous appelez, qui vous appelle, quand, pendant combien de temps et quelquefois même où.

2. Nous avons découvert les diaporamas en Powerpoint de la NSA qui détaillent comment est menée la récolte « en amont », par la collecte d’informations captées directement dans l’infrastructure des opérateurs de télécoms.

3. La NSA a conçu une vaste « drague du Web » en s’assurant qu’elle peut intercepter non seulement les communications d’une cible lorsqu’elle fait partie d’une communication mais aussi celles qui « concernent une cible, même si la personne ciblée ne participe pas à une communication ».

4. La NSA a confirmé qu’elle recherche des données collectées selon les clauses de la section 702 des amendements à la FISA (FISA Amendments Act) pour avoir accès sans mandat aux communications des citoyens des USA, grâce à ce que le sénateur Ron Wyden a appelé « le vide juridique de la recherche via porte dérobée ».

5. Même si la NSA a déclaré de façon répétée qu’elle ne ciblait pas les citoyens des États-Unis, ses propres documents montrent que les fouilles de données menées sous l’égide de la section 702 sont conçues pour déterminer avec un degré de confiance de 51% seulement si la cible est étrangère.

6. Si la NSA n’établit pas l’origine étrangère d’une cible, elle ne va pas arrêter d’espionner cette cible pour autant. Au lieu de ça, la NSA va présumer que la cible est étrangère tant qu’elle ne peut être « identifiée positivement comme une personne des États-Unis ».

7. Un audit interne de la NSA révélé par une fuite a donné les détails de 2776 violations de règles ou de décisions judiciaires en une seule année.

8. Les hackers de la NSA ciblent les administrateurs systèmes, indépendamment du fait que ces administrateurs systèmes peuvent eux-mêmes être totalement innocents de tout acte répréhensible…

9. La NSA et la CIA ont infiltré des communautés de jeu en ligne comme World of Warcraft et Second Life pour récolter des données et mener leur surveillance.

10. Le gouvernement a détruit des preuves dans des procès pour espionnage intentés par l’EFF contre la NSA. Comble de l’ironie, le gouvernement a également prétendu que les clients de l’EFF avaient besoin de ces preuves pour établir la recevabilité de leur plainte.

11. Le directeur du renseignement national, James Clapper, a menti au Congrès lorsqu’il a été interrogé directement par le sénateur Ron Wyden pour savoir si la NSA était en train de rassembler des données de quelque nature que ce soit sur des millions d’habitants des USA.

12. Microsoft, comme d’autres sociétés, a collaboré étroitement avec le FBI afin de permettre à la NSA de « contourner le chiffrement pour avoir accès aux données des utilisateurs ».

13. Pendant la seule année 2013, le budget du renseignement était de 52,6 milliards de dollars — ce chiffre a été révélé par la fuite d’un document, et non par le gouvernement. Sur ce budget, 10,8 milliards de dollars ont été attribués à la NSA. Cela équivaut approximativement à 167 dollars par personne résidant aux Etats-Unis.

14. La Cour fédérale de la surveillance et du renseignement (Foreign Intelligence Surveillance Court) a rendu des décisions qui autorisent la NSA à partager des données brutes — non expurgées des informations permettant d’identifier les personnes — avec le FBI, la CIA et le Centre national de lutte antiterroriste (National Counterterrorism Center).

15. Conformément à un protocole d’accord (memorandum of understanding), la NSA partage régulièrement des données brutes avec Israël sans en expurger les informations personnelles permettant d’identifier les citoyens des USA.

16. Les divulgations de Snowden ont montré clairement que l’administration Obama avait induit la Cour suprême en erreur à propos de questions clés dans le procès intenté par l’ACLU à la NSA pour espionnage, Clapper v. Amnesty International, ce qui a conduit à un renvoi de l’affaire pour manque de preuves.

17. La NSA « a pénétré le système de communication interne d’Al Jazeera ». Les documents de la NSA font état de ce que « les cibles sélectionnés avaient un “fort potentiel en tant que sources de renseignement” ».

18. La NSA a utilisé des cookies soi-disant anonymes de Google comme balises de surveillance, aidant ainsi à pister les utilisateurs individuels.

19. La NSA « intercepte “des millions d’images par jour” – dont environ 55 000 “images de qualité suffisante pour la reconnaissance faciale” » et les traite avec de puissants logiciels de reconnaissance faciale.

20. Le programme de reconnaissance faciale de la NSA « peut maintenant comparer les photos des satellites d’espionnage avec les photos personnelles interceptées prises en extérieur, pour déterminer leur localisation ».

21. Bien que la réforme de la NSA se soit essentiellement focalisée sur la Section 215 du PATRIOT Act, et que la plupart des magistrats aient également poussé à réformer la Section 702 du FISA Amendments Act, certains des pires espionnages de la NSA ont été effectués conformément au décret 12333, que le président Obama pourrait abroger ou modifier dès aujourd’hui.

22. La NSA a collecté les informations de localisation des téléphones mobiles des citoyens des USA durant deux ans sous couvert d’un projet pilote ayant pour but de voir comment pourraient être analysées de telles informations dans ses énormes bases de données.

23. Au cours du seul mois de mars 2013, la NSA a rassemblé 97 milliards de renseignements en provenance de réseaux informatiques du monde entier, dont 3 milliards de renseignements des réseaux propres aux USA.

24. La NSA a ciblé Tor, un ensemble d’outils qui permet aux internautes de naviguer sur le net de manière anonyme.

25. Le programme MUSCULAR de la NSA infiltre des liens entre les data centers mondiaux des sociétés technologiques comme Google et Yahoo. De nombreuses sociétés ont répondu à MUSCULAR en chiffrant le trafic sur leur réseau interne.

27. Le programme XKEYSCORE analyse les courriers électroniques, les conversations en ligne et l’historique de navigation de millions de personnes n’importe où dans le monde.

28. À travers BULLRUN, la NSA sabote les outils de chiffrement auxquels se fient les utilisateurs ordinaires, les entreprises et les institutions financières, cibles ou non, dans un effort sans précédent visant à affaiblir la sécurité des utilisateurs d’Internet, vous y compris.

28. L’opération Dishfire a collecté 200 millions de textos par jour à travers le globe, qui peuvent être utilisés pour extraire des informations intéressantes sur vous : localisation, contacts, données de carte de crédit, appels manqués, alertes d’itinérance (qui indiquent que vous franchissez une frontière), cartes de visite électroniques, informations sur vos paiements par carte, alertes aux voyageurs, et renseignements sur vos réunions.

29. À travers l’opération CO-TRAVELER, les États-Unis collectent des informations de localisation provenant de relais de téléphonie mobile GSM, d’émetteurs Wi-Fi et de concentrateurs GPS, qui sont ensuite analysées en fonction du temps pour déterminer entre autres avec qui une cible voyage.

30. Un mémo de 2004 intitulé DEA – The “Other” Warfighter (DEA – « l’autre » combattant) montre que la NSA et la DEA « profitent d’échanges réciproques d’information ».

31. Quand la DEA agit sur les renseignements que sa division « Opérations spéciales » reçoit de la NSA, ils cachent la source de l’information à travers une « construction parallèle », une mascarade recréant une enquête imaginaire destinée à cacher la source de l’indice, non seulement au défenseur, mais à la Cour. Il s’agit de faire en sorte qu’aucun tribunal ne rende de décision sur la légalité ou la finalité de l’usage qui sont faits des données de la NSA dans les enquêtes ordinaires.

32. Le produit de la surveillance de la NSA finit régulièrement entre les mains de l’IRS (NdT : le fisc des États-Unis). Tout comme la DEA, l’IRS utilise la « construction parallèle » pour dissimuler l’origine de l’indice.

33. Même le Conseil de surveillance de la vie privée et des libertés civiles (Privacy and Civil Liberties Oversight Board), dont les membres sont triés sur le volet par le président des États-Unis, a recommandé que le gouvernement fasse cesser la collecte massive des enregistrements téléphoniques autorisée par la section 215 [NdT : du PATRIOT Act], cette collecte étant inefficace, illégale, et probablement anticonstitutionnelle.

34. La NSA a des projets pour infecter potentiellement des millions d’ordinateurs en y implantant des malwares dans le cadre du programme Tailored Access Operations (opérations d’accès personnalisé).

35. La NSA a eu un contrat secret de 10 millions de dollars avec la société de sécurité RSA pour créer une « porte dérobée » dans ses produits de chiffrement, largement utilisés par les entreprises.

36. « Dans le cadre d’une proposition visant à salir la réputation de ceux dont l’agence pense que les discours incendiaires radicalisent les autres », la NSA a surveillé leurs accès aux contenus pornographiques et rassemblé d’autres informations d’ordre explicitement sexuel.

37. La NSA et ses partenaires exploitent les applications mobiles, comme le jeu populaire Angry Birds, pour accéder à des informations privées sur les utilisateurs comme la localisation, l’adresse personnelle, le genre, et plus encore.

38. Le Washington Post a révélé que la NSA récolte « des centaines de millions de carnets d’adresses provenant de comptes personnels de courriel ou de messagerie instantanée du monde entier, dont beaucoup sont des citoyens des USA ».

Beaucoup de révélations de Snowden ont concerné les activités de la NSA à l’étranger, ainsi que les activités de certains des plus proches alliés de la NSA, comme son homologue britannique le GCHQ. Certaines de ces activités ont été des entreprises coopératives. En particulier, les « Cinq Yeux » – les États-Unis, la Nouvelle Zélande, l’Australie, le Royaume-Uni et le Canada – se communiquent mutuellement les données concernant leurs citoyens, constituant ainsi des failles susceptibles de saper la législation nationale.

39. La NSA a versé à son homologue britannique, le GCHQ, 155 millions de dollars ces trois dernières années « pour sécuriser l’accès aux programmes de collecte du renseignement britannique et les influencer ».

40. The Guardian a rapporté ceci : « Sur une période de six mois en 2008, [le GCHQ] a collecté les l’images de webcam – y compris une quantité importante de communications explicitement sexuelles – de plus d’1,8 millions de comptes utilisateurs Yahoo à l’échelle mondiale. »

41. Le GCHQ a utilisé des logiciels malveillants pour compromettre des réseaux appartenant à l’entreprise belge de télécommunications Belgacom.

42. Les principales entreprises de télécommunications, y compris BT, Vodafone, et Verizon business ont fourni au GCHQ un accès illimité à leurs câbles de fibre optique.

43. Le GCHQ a utilisé des attaques DDoS et autres méthodes pour interrompre les communications des Anonymous et de LulzSec, y compris les communications de personnes qui n’étaient accusées d’aucun délit.

44. La station Bude du GCHQ a surveillé des dirigeants de l’Union européenne, de l’Allemagne et d’Israël. Elle a également ciblé des organisations non gouvernementales comme Médecins du monde.

45. Partenaires de la NSA aux antipodes, les services de l’Australian Signals Directorate, ont été impliqués dans des violations de communications entre avocat et client couvertes par le secret professionnel, remettant en question un principe fondamental de notre système de justice pénal commun.

46. Les agents du renseignement australien ont espionné les téléphones mobiles du cabinet ministériel indonésien et du président Susilo Bambang.

47. En 2008, l’Australie a offert de partager les données brutes concernant ses citoyens avec ses partenaires du renseignement.

48. Le CSEC a aidé la NSA à espionner les dirigeants politiques durant le sommet du G20 au Canada.

49. Le CSEC et le CSIS ont été récemment réprimandés par le juge d’une cour fédérale pour l’avoir induit en erreur dans une demande de réquisition faite il y a 5 ans, à propos de l’utilisation des ressources des Cinq Yeux pour pister les Canadiens à l’étranger.

Ironie du sort, certaines opérations de la NSA ont ciblé des pays qui avaient collaboré directement avec l’agence en d’autres circonstances. Et certaines semblaient simplement non indispensables et disproportionnées.

50. Les documents de la NSA montrent que tous les gouvernements ne sont pas transparents sur leur propre niveau de coopération avec la NSA. Comme le rapporte The Intercept : « Peu de dirigeants élus ont connaissance de cet espionnage, voire aucun ».

51. La NSA intercepte, enregistre et archive chaque communication de téléphone mobile des Bahamas.

52. La NSA a surveillé les communications téléphoniques d’au moins 35 chefs d’États.

53. La NSA a espionné des diplomates français à Washington et aux Nations Unies.

54. La NSA a piraté les réseaux de l’entreprise chinoise Huawei et volé les sources de son code.

55. La NSA a posé des mouchards dans les ambassades de l’Union européenne à New York et à Washington. Elle a copié des disques durs dans les bureaux de l’UE à New York, et a mis sur écoute le réseau informatique interne des ambassades de Washington.

56. La NSA a collecté les métadonnées de plus de 45 millions d’appels téléphoniques italiens sur une période de 30 jours. Elle a également entretenu des stations de surveillance à Rome et à Milan.

57. La NSA a stocké les données d’approximativement 500  millions de connexions des systèmes de communication allemands chaque mois.

58. La NSA a collecté les données de plus de 60 millions d’appels téléphoniques espagnols sur une période de 30 jours, fin 2012 et début 2013, et a espionné des membres du gouvernement espagnol.

59. La NSA a collecté les données de plus de 70 millions d’appels téléphoniques français sur une période de 30 jours, fin 2012 et début 2013.

60. The Hindu, sur la base de documents de la NSA, a rapporté que « Sur une liste exhaustive des pays espionnés par les programmes de la NSA, l’Inde est en cinquième place. »

61. La NSA a pénétré le compte officiel de courriel de l’ancien président mexicain Felipe Calderon.

62. D’après The Guardian : « La NSA a, pendant des années, systématiquement écouté le réseau des télécommunications brésiliennes et et a intercepté, collecté et stocké sans discrimination les courriels et enregistrements téléphoniques de millions de Brésiliens ».

63. La NSA a surveillé les courriels, les appels téléphoniques et les textos de la présidente brésilienne Dilma Rousseff et de ses plus proches collaborateurs.

64. Les agences du renseignement allemand ont coopéré avec la NSA et ont implémenté le programme de la NSA XKeyscore, tandis que la NSA était en train d’espionner les dirigeants allemands.

65. Le quotidien norvégien Dagbladet a rapporté que la NSA a acquis des données sur 33 millions d’appels de téléphones mobiles norvégiens sur une période de 30 jours.

Il ne fait aucun doute que les relations internationales qu’Obama s’était engagé à restaurer, de même que la confiance du peuple des États-Unis dans le respect de sa vie privée et de ses droits constitutionnels, ont été sapées par la surveillance tous azimuts de la NSA. Mais un an après, le gouvernement des USA aussi bien que les gouvernements d’autres pays n’ont pas pris les mesures nécessaires pour faire en sorte que cette surveillance cesse. C’est pourquoi chacun doit se mobiliser – contactez votre député, rejoignez Reset the Net, et apprenez comment la loi internationale s’applique à la surveillance états-unienne aujourd’hui.

Toutes les images sous licence CC BY 2.0, par EFF, JeepersMedia et Richard Loyal French,




Vous êtes « natif du numérique » ? — Ce n’est pas si grave, mais…

La vie privée est-elle un problème de vieux cons ? demandait Jean-Marc Manach dans un excellent ouvrage. Bien sûr que non, mais on aimerait tant nous le faire croire…

« Natifs numériques », « natifs du numérique », « génération numérique »… Ce genre d’expressions, rencontrées dans les grands médias désireux d’agiter le grelot du jeunisme, peut susciter quelque agacement. D’autant que cette catégorie soi-disant sociologique se transforme bien vite en cible marketing pour les appétits des mastodontes du Web qui ont tout intérêt à présenter la jeunesse connectée comme le parangon des usages du net.

En s’attaquant à cette dénomination, Cory Doctorow [1] entend aussi remettre en cause ce préjugé. Selon lui, les adolescents sont tout à fait soucieux de la confidentialité et de leur vie privée. Mais ils sont loin de maîtriser tous les risques qu’ils sont susceptibles de prendre et comme nous tous, ils ont besoin d’outils et dispositifs qui les aident…

Vous n’êtes pas un « natif numérique » : la vie privée à l’ère d’Internet

par Cory Doctorow sur ce blog


Traduction Framalang : Amargein, lamessen, r0u, teromene, goofy, Clunär

image de couverture du roman Homeland de Doctorow

On raconte que Frédéric II, à la tête du Saint-Empire Romain germanique, avait ordonné qu’un groupe d’enfants soit élevé sans aucune interaction humaine, afin que l’on puisse étudier leur comportement « naturel », sans que celui-ci ne soit corrompu par la culture humaine, et découvrir ainsi la véritable nature profonde de l’animal humain.

Si vous êtes né au tournant du XXIe siècle, vous avez certainement dû supporter au moins une fois que quelqu’un vous appelle « natif numérique ». Dans un premier temps, ça sonne de façon plutôt sympathique : une éducation préservée du monde hors ligne et très imprégnée d’une sorte de sixième sens mystique, donnant l’impression de savoir ce que devrait être Internet.

Mais les enfants ne sont pas d’innocents mystiques. Ce sont de jeunes personnes, qui apprennent à devenir adultes de la même manière que les autres : en commettant des erreurs. Tous les humains se plantent, mais les enfants ont une excuse : ils n’ont pas encore appris les leçons que ceux qui se sont déjà plantés peuvent leur éviter. Si vous voulez doubler vos chances de réussite, vous devez tripler vos risques d’échec.

Le problème quand vous êtes catalogué « natif numérique », c’est que cela transforme toutes vos erreurs en une vérité absolue sur la manière dont les humains sont censés utiliser Internet. Ainsi, si vous faites des erreurs concernant votre vie privée, non seulement les entreprises qui vous incitent à les commettre (pour en tirer profit) s’en sortent impunies, mais tous ceux qui soulèvent des problèmes de vie privée sont exclus d’emblée. Après tout, si les « natifs numériques » sont censés ne pas être soucieux de leur vie privée, alors quiconque s’en préoccupe sérieusement passe pour un dinosaure complètement à la ramasse, plus du tout en phase avec ’’les Jeunes’’.

« Vie privée » ne signifie pas que personne au monde ne doit être au courant de vos affaires. Cela veut dire que c’est à vous de choisir qui peut s’en mêler.

Quiconque y prête attention s’apercevra qu’en réalité, les enfants se soucient énormément de leur vie privée. Ils ne veulent surtout pas que leurs parents sachent ce qu’ils disent à leurs amis. Ils ne veulent pas que leurs amis les voient dans leurs relations avec leurs parents. Ils ne veulent pas que leurs professeurs apprennent ce qu’ils pensent d’eux. Ils ne veulent pas que leurs ennemis connaissent leurs peurs et leurs angoisses.

Ceux qui veulent s’insinuer dans la vie privée des jeunes ne communiquent pas du tout sur ce point. Facebook est une entreprise dont le modèle économique repose sur l’idée que si elle vous espionne suffisamment et vous amène à révéler malgré vous suffisamment sur votre vie, elle pourra vous vendre des tas de trucs à travers la publicité ciblée. Quand on l’interpelle sur ce point, elle se justifie en disant que puisque les jeunes finissent par dévoiler tant de choses de leur vie personnelle sur Facebook, ça ne doit pas être un problème, vu que les natifs numériques sont censés savoir comment se servir d’Internet. Mais quand les gamins grandissent et commencent à regretter ce qu’ils ont dévoilé sur Facebook, on leur dit qu’eux non plus ne comprennent plus ce que ça signifie d’être un natif numérique, puisqu’ils sont devenus adultes et ont perdu le contact avec ce qui fait l’essence même d’Internet.

Dans « It’s Complicated: The Social Lives of Networked Teens[2] » [NdT « La vie sociale des jeunes connectés, un problème complexe »], une chercheuse nommée danah boyd[3] résume plus de dix ans d’étude sur la manière dont les jeunes utilisent les réseaux, et dévoile une lutte continue, voire désespérée, pour préserver leur vie privée en ligne. Par exemple, certains des jeunes interviewés par Boyd suppriment leur compte Facebook à chaque fois qu’ils s’éloignent de leur ordinateur. Si vous supprimez votre compte Facebook, vous avez six semaines pour changer d’avis et réactiver votre compte, mais durant le temps où vous êtes désinscrit, personne ne peut voir votre profil ou quelque partie que ce soit de votre journal (’’timeline’’). Ces jeunes se réinscrivent sur Facebook à chaque fois qu’ils reviennent devant leur ordinateur, mais s’assurent de cette manière que personne ne peut interagir avec leur double numérique à moins qu’ils ne soient là pour répondre, supprimant les informations si elles commencent à leur causer des problèmes.


C’est assez extraordinaire. Cela nous enseigne deux choses : premièrement, que les jeunes vont jusqu’à prendre des mesures extrêmes pour protéger leur vie privée ; deuxièmement, que Facebook rend extrêmement difficile toute tentative de protection de notre vie privée.


Vous avez certainement entendu un tas d’informations concernant Edward Snowden et la NSA. En juin dernier, Edward Snowden, un espion étatsunien, s’envola pour Hong Kong et remit à un groupe de journalistes étatsuniens des documents internes à la NSA. Ces documents décrivent un système d’une ampleur presque inimaginable — et absolument illégal — de surveillance d’Internet de la part des agences de surveillance étatsuniennes. Celles-ci choisissent littéralement au hasard un pays et enregistrent le moindre appel téléphonique passé depuis ce pays, juste pour voir si cela fonctionne et peut être transposé dans d’autres pays. Ils puisent littéralement dans le flux complet d’informations circulant entre les centres de données de Google ou de Yahoo, enregistrant les parcours de navigation/, les e-mails, les discussions instantanées et d’autres choses dont personne ne devrait avoir connaissance chez des milliards de personnes innocentes, y compris des centaines de millions d’Étatsuniens.

Tout cela a modifié les termes du débat sur la vie privée. Tout à coup, les gens ordinaires qui ne se préoccupaient pas de la vie privée s’y sont intéressés. Et ils ont commencé à penser à Facebook et au fait que la NSA avait récolté beaucoup de données par leur biais. Facebook a collecté ces données et les a mises à un endroit où n’importe quel espion pouvait les trouver. D’autres personnes dans le monde y avaient déjà pensé. En Syrie, en Égypte et dans beaucoup d’autre pays, rebelles ou agents du gouvernement ont mis en place des barrages que vous ne pouvez franchir qu’en vous connectant à votre compte Facebook de sorte qu’ils ont accès à votre liste d’amis. Si vous êtes ami-e avec les mauvaises personnes, vous êtes abattu ou emprisonné ou bien vous disparaissez.

Les choses ont été si loin que Marck Zuckerberg — qui avait dit à tout le monde que la vie privée était morte tout en dépensant 30 millions de dollars pour acheter les quatre maisons à côté de la sienne afin que personne ne voie ce qu’il faisait chez lui — a écrit une lettre ouverte au gouvernement des États-Unis pour lui reprocher d’avoir « tout gâché ». Comment avait-il tout gâché ? Ils ont montré au gens d’un seul coup que toutes leurs données privées étaient en train de migrer de leur ordinateur vers ceux de Facebook.


Les enfants savent intuitivement ce que vaut la vie privée. Mais comme ce sont des enfants, ils ont du mal à comprendre tous les détails. C’est un long processus que d’apprendre à bien la gérer, car il se passe beaucoup de temps entre le moment où on commence à négliger la protection de sa vie privée et celui où les conséquences de cette négligence se font sentir. C’est un peu comme l’obésité ou le tabagisme. Dans les cas où une action et ses conséquences sont clairement distinctes, c’est une relation que les gens ont beaucoup de peine à comprendre. Si chaque bouchée de gâteau se transformait immédiatement en bourrelet de graisse, il serait bien plus facile de comprendre quelle quantité de gâteau était excessive.

Les enfants passent donc beaucoup de temps à réfléchir sur leur vie privée préservée de leur parents, des enseignants et de ceux qui les tyrannisent, mais ils ne se demandent pas à quel point leur vie privée sera protégée vis-à-vis de leurs futurs employeurs, de l’administration et de la police. Hélas, au moment où ils s’en rendent compte, il est déjà trop tard.

Il y a toutefois de bonne nouvelles. Vous n’avez pas à choisir entre une vie privée et une vie sociale. De bons outils sont disponibles pour protéger votre vie privée, qui vous permettent d’aller sur Internet sans avoir à livrer les détails intimes de votre vie aux futures générations d’exploitants de données. Et parce qu’ il y a des millions de personnes qui commencent à avoir peur de la surveillance — grâce à Snowden et aux journalistes qui ont soigneusement fait connaître ses révélations — de plus en plus d’énergie et d’argent sont utilisés pour rendre ces outils plus faciles à utiliser.


La mauvaise nouvelle, c’est que les outils propices à la vie privée tendent à être peu pratiques. C’est parce que, avant Snowden, quasiment tout ceux qui se sentaient concernés par l’adéquation entre leur vie privée et la technologie étaient déjà experts d’un point de vue technologique. Non pas parce que les nerds ont besoin de plus de vie privée que les autres, mais parce qu’ils étaient les plus à même de comprendre quel genre d’espionnage était possible et ce qui était en jeu. Mais, comme je le dis, cela change vite (et les choses ne font que s’améliorer).

L’autre bonne nouvelle c’est que vous êtes des « natifs numériques », au moins un peu. Si vous commencez à utiliser des ordinateurs étant enfant, vous aurez une certains aisance avec eux, là où d’autres auront à travailler dur pour y parvenir. Comme Douglas Adams l’a écrit :


1. Tout ce qui existe dans le monde où vous êtes né est normal et ordinaire, et ce n’est qu’un rouage dans le mécanisme naturel du système.

2. Tout ce qui est inventé entre le moment de vos quinze ans et celui de vos trente-cinq est nouveau, excitant et révolutionnaire et vous pourrez probablement y faire carrière.

3. Tout ce qui sera inventé après vos trente-cinq ans est contraire à l’ordre naturel des choses.

Si j’étais un enfant aujourd’hui, je saurais tout au sujet des sécurités opérationnelles. J’apprendrais à me servir d’outils pour garder mes affaires entre moi et les personnes avec qui j’aurais décidé de les partager. J’en ferais une habitude, et j’inciterais mes amis à adopter cette habitude aussi (après tout, ça ne change rien si tous vos e-mails sont chiffrés mais que vous les envoyez à des idiots qui les gardent tous sur les serveurs de Google sous une forme déchiffrée, là où la NSA peut venir y fourrer son nez).

Voici quelques liens vers des outils de sécurité pour vous y initier :

  • Tout d’abord, téléchargez une version de Tails (pour « The Amnesic Incognito Live System »). Il s’agit d’un système d’exploitation que vous pouvez utiliser pour démarrer votre ordinateur sans avoir à vous soucier si le système d’exploitation installé est exempt de tout virus, enregistreur de frappe ou autre logiciel-espion. Il est fourni avec une tonne d’outils de communication sécurisés, ainsi que tout ce dont vous avez besoin pour produire les contenus que vous souhaitez diffuser de par le monde.
  • Ensuite, téléchargez une version du Tor Browser Bundle, une version spéciale de Firefox qui envoie automatiquement votre trafic à travers quelque chose appelé TOR (The Onion Router, le routeur en oignon, à ne pas confondre avec Tor Books, qui publie mes nouvelles). Cela vous permet de naviguer sur Internet avec beaucoup plus d’intimité et d’anonymat que vous n’en auriez normalement.
  • Apprenez à utiliser GPG, qui est une excellente manière de chiffrer vos courriers électroniques. Il existe une extension pour Chrome qui vous permet d’utiliser GPG avec GMail et une autre pour Firefox.
  • Si vous appréciez les messageries instantanées, procurez-vous OTR (« ’’Off The Record messaging’’ »), un outil pour sécuriser ses conversations en ligne, incluant des fonctionnalités telles que « l’inviolabilité des messages passés » (une façon de dire que même si quelqu’un arrive à le casser demain, il ne pourra pas lire les conversations interceptées aujourd’hui).

Une fois que vous aurez maîtrisé ce genre de choses, mettez-vous à réfléchir à votre téléphone. Les appareils sous Android sont de loin plus faciles à sécuriser que les iPhones d’Apple (Apple essaie de verrouiller ses téléphones pour que vous ne puissiez pas y installer d’autres logiciels que ceux de leur logithèque, et en raison de la loi DMCA de 1998, il est illégal de créer un outil pour les déverrouiller (’’jailbreaker’’). Il existe de nombreux systèmes d’exploitation concurrents d’Android, avec des niveaux variables de sécurité. Le meilleur point de départ est Cyanogenmod, qui vous facilitera l’utilisation d’outils de confidentialité sur votre mobile.

Il existe également des quantités de projets commerciaux qui traitent la vie privée bien mieux que le tout-venant. Je suis par exemple consultant de l’entreprise Wickr, qui reproduit les fonctionnalités de Snapchat mais sans moucharder à tout moment. Wickr a cependant beaucoup de concurrents, il vous suffit de regarder dans votre logithèque préférée pour vous en convaincre, mais assurez-vous d’avoir bien lu comment l’entreprise qui a conçu l’application vérifie que rien de louche ne vient interférer avec vos données supposées secrètes.

Tout ceci est en constante évolution, et ce n’est pas toujours facile. Mais c’est un excellent exercice mental que de chercher comment votre usage d’Internet peut vous compromettre. C’est aussi une bonne pratique dans un monde où des milliardaires voyeurs et des agences d’espionnage hors de contrôle essayent de transformer Internet en l’outil de surveillance le plus abouti. Si vous trouvez particulièrement pénible que vos parents espionnent votre historique de navigation, attendez que tous les gouvernements et toutes les polices du monde en fassent autant.

Notes

[1] Lisez ses très bons romans, notamment Little Brother

[2] Lien direct vers le téléchargement de cet essai au format PDF, en anglais : http://www.danah.org/books/ItsComplicated.pdf

[3] …et non Danah Boyd, c’est elle qui insiste pour ne pas mettre de capitales à ses nom et prénom, dit sa page Wikipédia




Plus rien ne marche, qu’est-ce qu’on fait ?

Désormais conscients et informés que nos actions et nos données en ligne sont faciles à espionner et l’enjeu de monétisation en coulisses, il nous restait l’espoir que quelques pans des technologies de sécurité pouvaient encore faire échec à la surveillance de masse et au profilage commercial. Pas facile pour les utilisateurs moyens d’adopter des outils et des pratiques de chiffrement, par exemple, cependant de toutes parts émergent des projets qui proposent de nous aider à y accéder sans peine.

Mais quand les experts en sécurité, quittant un moment leur regard hautain sur le commun des mortels à peine capables de choisir un mot de passe autre que 123AZERTY, avouent qu’ils savent depuis longtemps que tout est corrompu directement ou indirectement, jusqu’aux services soi-disant sécurisés et chiffrés, le constat est un peu accablant parce qu’il nous reste tout à reconstruire…

Plus rien ne fonctionne

article original : Everything is broken par Quinn Norton

Traduction Framalang : Diab, rafiot, Omegax, Scailyna, Amine Brikci-N, EDGE, r0u, fwix, dwarfpower, sinma, Wan, Manu, Asta, goofy, Solarus, Lumi, mrtino, skhaen

Un beau jour un de mes amis a pris par hasard le contrôle de plusieurs milliers d’ordinateurs. Il avait trouvé une faille dans un bout de code et s’était mis à jouer avec. Ce faisant, il a trouvé comment obtenir les droits d’administration sur un réseau. Il a écrit un script, et l’a fait tourner pour voir ce que ça donnerait. Il est allé se coucher et il a dormi environ quatre heures. Le matin suivant, en allant au boulot, il a jeté un coup d’œil et s’est aperçu qu’il contrôlait désormais près de 50 000 ordinateurs. Après en avoir pratiquement vomi de trouille, il a tout arrêté et supprimé tous les fichiers associés. Il m’a dit que finalement il avait jeté le disque dur au feu. Je ne peux pas vous révéler de qui il s’agit, parce qu’il ne veut pas finir dans une prison fédérale ; et c’est ce qui pourrait lui arriver s’il décrivait à qui que ce soit la faille qu’il a découverte. Cette faille a-t-elle été corrigée ? Sans doute… mais pas par lui. Cette histoire n’est en rien exceptionnelle. Passez quelque temps dans le monde des hackers et de la sécurité informatique, et vous entendrez pas mal d’histoires dans ce genre et même pires que celle-là.

Il est difficile d’expliquer au grand public à quel point la technologie est chancelante, à quel point l’infrastructure de nos vies ne tient qu’avec l’équivalent informatique de bouts de ficelle. Les ordinateurs et l’informatique en général sont détraqués.

Quand c’est codé avec les pieds, bonjour les vautours

Pour un bon nombre d’entre nous, en particulier ceux qui ont suivi l’actualité en matière de sécurité et les questions d’écoutes sauvages, rien de surprenant dans toutes les dernières révélations. Si nous ne connaissions pas les détails, nous savions tous, dans le monde de la sécurité, que la technologie est vacillante et malade. Depuis des années nous voyons tourner les vautours qui veulent profiter de cet état de fait. La NSA n’est pas et n’a jamais été le grand prédateur unique fondant sur Internet. C’est simplement le plus gros de ces charognards. S’ils arrivent à aller aussi loin, ce n’est pas parce que leurs employés sont des dieux des maths.

Si la NSA s’en sort si bien, c’est parce que les logiciels en général sont merdiques.

Huit mois avant que Snowden ne fasse ses révélations, j’ai twitté ça :

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« alerte de sécu : tout a une faille 0 day, tout le monde est suivi à la trace, toutes les données fuitent, tout est vulnérable, tout est compromis jusqu’à l’os. »

J’en étais arrivée à cette conclusion un peu désespérée : chercher des logiciels de qualité est un combat perdu d’avance. Comme ils sont écrits par des gens n’ayant ni le temps ni l’argent nécessaires, la plupart des logiciels sont publiés dès qu’ils fonctionnent assez bien pour laisser leurs auteurs rentrer chez eux et retrouver leur famille. Pour nous le résultat est épouvantable.

Si les logiciels sont aussi mauvais, c’est parce qu’ils sont très complexes, et qu’il cherchent à parler à d’autres logiciels, soit sur le même ordinateur, soit au travers du réseau. Même votre ordinateur ne peut plus être considéré comme unique : c’est une poupée russe, et chaque niveau est fait de quantité d’éléments qui essaient de se synchroniser et de parler les uns avec les autres. L’informatique est devenue incroyablement complexe, alors que dans le même temps les gens sont restés les mêmes, pétris de la même boue grise originelle pleine d’une prétention à l’étincelle divine.

Le merdier qu’est votre ordinateur sous Windows est tellement complexe que personne sur Terre ne sait tout ce qu’il fait vraiment, ni comment.

Maintenant imaginez des milliards de petites boites opaques qui essaient en permanence de discuter les unes avec les autres, de se synchroniser, de travailler ensemble, partageant des bouts de données, se passant des commandes… des tous petits bouts de programmes aux plus gros logiciels, comme les navigateurs – c’est ça, Internet. Et tout ça doit se passer quasi-simultanément et sans accrocs. Sinon vous montez sur vos grand chevaux parce que le panier de la boutique en ligne a oublié vos tickets de cinéma.

On n’arrête pas de vous rappeler que le téléphone avec lequel vous jouez à des jeux stupides et que vous laissez tomber dans les toilettes au troquet du coin est plus puissant que les ordinateurs utilisés pour la conquête de l’espace il y a de cela quelques décennies à peine. La NASA dispose d’une armée de génies pour comprendre et maintenir ses logiciels. Votre téléphone n’a que vous. Ajoutez à cela un mécanisme de mises à jour automatiques que vous désactivez pour qu’il ne vous interrompe pas au beau milieu d’une séance de Candy Crush…

À cause de tout ça, la sécurité est dans un état effrayant. En plus d’être truffés de bugs ennuyeux et de boîtes de dialogue improbables, les programmes ont souvent un type de faille piratable appelée 0 day (« zéro jour ») dans le monde de la sécurité informatique. Personne ne peut se protéger des 0 days. C’est justement ce qui les caractérise : 0 représente le nombre de jours dont vous disposez pour réagir à ce type d’attaque. Il y a des 0 days qui sont anodins et vraiment pas gênants, il y a des 0 days très dangereux, et il y a des 0 days catastrophiques, qui tendent les clés de la maison à toute personne qui se promène dans le coin. Je vous assure qu’en ce moment même, vous lisez ceci sur une machine qui a les trois types de 0days. Je vous entends d’ici me dire : « Mais, Quinn, si personne ne les connaît comment peux-tu savoir que je les ai ? » C’est parce que même un logiciel potable doit avoir affaire avec du code affreux. Le nombre de gens dont le travail est de rendre le logiciel sûr peut pratiquement tenir dans un grand bar, et je les ai regardé boire. Ce n’est pas rassurant. La question n’est pas : « est-ce que vous allez être attaqué ? » mais : « quand serez-vous attaqué ? »

Considérez les choses ainsi : à chaque fois que vous recevez une mise à jour de sécurité (apparemment tous les jours avec mon ordi sous Linux), tout ce qui est mis à jour a été cassé, rendu vulnérable depuis on ne sait combien de temps. Parfois des jours, parfois des années. Personne n’annonce vraiment cet aspect des mises à jour. On vous dit « Vous devriez installer cela, c’est un patch critique ! » et on passe sous silence le côté « …parce que les développeurs ont tellement merdé que l’identité de vos enfants est probablement vendue en ce moment même à la mafia estonienne par des script kiddies accrocs à l’héro ».

Les bogues vraiment dangereux (et qui peut savoir si on a affaire à eux lorsqu’on clique sur le bouton « Redémarrer ultérieurement » ?) peuvent être utilisés par des hackers, gouvernements, et d’autres horreurs du net qui fouillent à la recherche de versions de logiciels qu’ils savent exploiter. N’importe quel ordinateur qui apparaît lors de la recherche en disant « Hé ! Moi ! Je suis vulnérable ! » peut faire partie d’un botnet, en même temps que des milliers, ou des centaines de milliers d’autres ordinateurs. Souvent les ordinateurs zombies sont possédés à nouveau pour faire partie d’un autre botnet encore. Certains botnets patchent les ordinateurs afin qu’ils se débarrassent des autres botnets, pour qu’ils n’aient pas à vous partager avec d’autres hackers. Comment s’en rendre compte si ça arrive ? Vous ne pouvez pas ! Amusez-vous à vous demander si votre vie en ligne va être vendue dans l’heure qui suit ! La prochaine fois que vous penserez que votre grand-mère n’est pas cool, pensez au temps qu’elle a passé à aider de dangereux criminels russes à extorquer de l’argent à des casinos offshore avec des attaques DDoS.

Récemment un hacker anonyme a écrit un script qui prenait le contrôle d’appareils embarqués Linux. Ces ordinateurs possédés scannaient tout le reste d’Internet et ont créé un rapport qui nous en a appris beaucoup plus que ce que nous savions sur l’architecture d’Internet. Ces petites boîtes hackées ont rapporté toutes leurs données (un disque entier de 10 To) et ont silencieusement désactivé le hack. C’était un exemple délicieux et utile d’un individu qui a hacké la planète entière. Si ce malware avait été véritablement malveillant, nous aurions été dans la merde.

Et ceci parce que les ordinateurs sont tous aussi inévitablement défectueux : ceux des hôpitaux et des gouvernements et des banques, ceux de votre téléphone, ceux qui contrôlent les feux de signalisation et les capteurs et les systèmes de contrôle du trafic aérien. Chez les industriels, les ordinateurs destinés à maintenir l’infrastructure et la chaîne de fabrication sont encore pires. Je ne connais pas tous les détails, mais ceux qui sont les plus au courant sont les personnes les plus alcooliques et nihilistes de toute la sécurité informatique. Un autre de mes amis a accidentellement éteint une usine avec un ‘“ping”’ malformé au début d’un test d’intrusion. Pour ceux qui ne savent pas, un ‘“ping”’ est seulement la plus petite requête que vous pouvez envoyer à un autre ordinateur sur le réseau. Il leur a fallu une journée entière tout faire revenir à la normale.

Les experts en informatique aiment prétendre qu’ils utilisent des logiciels d’un genre complètement différent, encore plus géniaux, qu’eux seuls comprennent, des logiciels faits de perfection mathématique et dont les interfaces semblent sortir du cul d’un âne colérique. C’est un mensonge. La forme principale de sécurité qu’ils offrent est celle que donne l’obscurité – il y a si peu de gens qui peuvent utiliser ces logiciels que personne n’a le moindre intérêt à concevoir des outils pour les attaquer. Sauf si, comme la NSA, vous voulez prendre le contrôle sur les administrateurs systèmes.

Une messagerie chiffrée et bien codée, il ne peut rien nous arriver, hein ?

Prenons un exemple que les experts aiment mettre sous le nez des gens normaux qui ne l’utilisent pas : OTR. OTR, ou Off The Record messaging, ajoute une couche de chiffrement aux échanges via messagerie instantanée. C’est comme si vous utilisiez AIM ou Jabber et que vous parliez en code sauf que c’est votre ordinateur qui fait le code pour vous. OTR est bien conçu et robuste, il a été audité avec attention et nous sommes bien sûrs qu’il ne contient aucune de ces saloperies de vulnérabilités zéro jour.

Sauf que OTR n’est pas vraiment un programme que vous utilisez tel quel.

Il existe un standard pour le logiciel OTR, et une bibliothèque, mais elle ne fait rien par elle-même. OTR est implémentée dans des logiciels pour des neuneus par d’autres neuneus. À ce stade, vous savez que ça va se terminer dans les pleurs et les grincements de dents.

La partie principale qu’utilise OTR est un autre programme qui utilise une bibliothèque appelée ‘“libpurple”’. Si vous voulez voir des snobs de la sécurité aussi consternés que les ânes qui ont pondu leur interface, apportez-leur ‘“libpurple”’. ‘“Libpurple”’ a été écrit dans un langage de programmation appelé C.

Le C est efficace dans deux domaines : l’élégance, et la création de vulnérabilités jour zéro critiques en rapport avec la gestion de la mémoire.

Heartbleed, le bogue qui a affecté le monde entier, permettant la fuite de mots de passe et de clés de chiffrement et qui sait quoi encore ? – Du classique et superbe C.

La ‘“libpurple”’ a été écrite par des gens qui voulaient que leur client de discussion open source parle à tous les systèmes de messagerie instantanée du monde, et se foutaient complètement de la sécurité ou du chiffrement. Des gens du milieu de la sécurité qui en ont examiné le code ont conclu qu’il y avait tellement de façons d’exploiter la ‘“libpurple”’ que ça n’était probablement pas la peine de la patcher. Elle doit être jetée et réécrite de zéro. Ce ne sont pas des bugs qui permettent à quelqu’un de lire vos messages chiffrés, ce sont des bugs qui permettent à n’importe qui de prendre le contrôle total de votre ordinateur, regarder tout ce que vous tapez ou lisez et même probablement vous regarder vous mettre les doigts dans le nez devant la webcam.

Ce magnifique outil qu’est OTR repose sur la ‘“libpurple”’ dans la plupart des systèmes où il est utilisé. Je dois éclaircir un point, car même certains geeks n’en ont pas conscience : peu importe la force de votre chiffrement si celui qui vous attaque peut lire vos données par-dessus votre épaule, et je vous promets que c’est possible. Qu’il sache le faire ou pas encore, cela reste néanmoins possible. Il y a des centaines de bibliothèques comme ‘“libpurple”’ sur votre ordinateur : des petits bouts de logiciels conçus avec des budgets serrés aux délais irréalistes, par des personnes ne sachant pas ou ne se souciant pas de préserver la sécurité de votre système.

Chacun de ces petits bugs fera l’affaire quand il s’agit de prendre le contrôle de tout le reste de votre ordinateur. Alors on met à jour, on remet à jour, et peut-être que ça mettra les intrus dehors, ou peut-être pas. On n’en sait rien ! Quand on vous dit d’appliquer les mises à jour, on ne vous dit pas de réparer votre navire. On vous dit de continuer à écoper avant que l’eau n’atteigne votre cou.

oldSchoolSecurity.jpg (Crédit image : sridgway, licence CC BY 2.0)

Pour prendre un peu de recul par rapport à cette scène d’horreur et de désolation, je dois vous dire que la situation est tout de même meilleure que par le passé. Nous disposons aujourd’hui d’outils qui n’existaient pas dans les années 90, comme le ‘“sandboxing”’, qui permet de confiner des programmes écrits stupidement là où ils ne peuvent pas faire beaucoup de dégâts. (Le « sandboxing » consiste à isoler un programme dans une petite partie virtuelle de l’ordinateur, le coupant ainsi de tous les autres petits programmes, ou nettoyant tout ce que ce programme essaie de faire avant que d’autres puissent y accéder).

Des catégories entières de bugs horribles ont été éradiqués comme la variole. La sécurité est prise plus au sérieux que jamais, et il y a tout un réseau de personnes pour contrer les logiciels malveillants 24h sur 24. Mais ils ne peuvent pas vraiment garder la main. L’écosystème de ces problèmes est tellement plus vaste qu’il ne l’était ne serait-ce qu’il y a dix ans, qu’on ne peut pas vraiment dire que l’on fait des progrès.

Les gens, eux aussi, sont cassés

« Je vous fais confiance… » est ce que j’aime le moins entendre de la part des mes sources Anonymous. C’est invariablement suivi de bribes d’informations qu’ils n’auraient jamais dû me confier. Il est naturel de partager quelque chose de personnel avec quelqu’un en qui on a confiance. Mais c’est avec exaspération que je dois rappeler aux Anons qu’avant d’être connectés à un autre être humain ils sont d’abord connectés à un ordinateur, relayé à travers un nombre indéterminé de serveurs, switches, routeurs, câbles, liaisons sans fil, et en bout de chaîne, mon ordinateur parfaitement ciblé par les attaques. Tout ceci se déroule le temps d’une longue inspiration. Cela semble une évidence, mais il est bon de le rappeler : les humains ne sont pas conçus pour penser de cette manière.

Personne n’arrive à utiliser les logiciels correctement. Absolument tout le monde se plante. OTR ne chiffre pas avant le premier message, un fait que des éminents professionnels de la sécurité et des hackers qui subissent une chasse à l’homme dans une vingtaine de pays oublient en permanence. Gérer toutes les clés de chiffrement et de déchiffrement dont vous avez besoin pour garder vos données en sûreté sur plusieurs appareils, sites, et comptes est théoriquement possible, de la même façon que réaliser une appendicectomie sur soi-même est théoriquement possible. Il y a un gars qui a réussi à le faire en Antarctique, pourquoi pas moi, hein ?

Tous les experts en programmes malveillants que je connais ont un jour oublié ce que faisait là un certain fichier, ont cliqué dessus pour le voir et ensuite compris qu’ils avaient exécuté un quelconque logiciel malveillant qu’ils étaient censés examiner. Je sais cela parce que ça m’est arrivé une fois avec un PDF dans lequel je savais qu’il y avait quelque chose de mauvais. Mes amis se sont moqués de moi, puis m’ont tous confessé discrètement qu’ils avaient déjà fait la même chose. Si quelques-uns des meilleurs spécialiste de rétro-ingénierie de logiciels malveillants ne peuvent surveiller leurs fichiers malveillants, qu’espérer de vos parents avec cette carte postale électronique qui est prétendument de vous ?

Les pièces jointes exécutables (ce qui inclut les documents Word, Excel, et les PDF) des emails que vous recevez chaque jour peuvent provenir de n’importe qui (on peut écrire à peu près ce que l’on veut dans le champ « De : » d’un email) et n’importe laquelle de ces pièces jointes pourrait prendre le contrôle de votre ordinateur aussi facilement qu’une vulnérabilité jour zéro. C’est certainement de cette façon que votre grand-mère s’est retrouvée à travailler pour des criminels russes, ou que vos concurrents anticipent tous vos plans produits. Mais dans le monde d’aujourd’hui, vous ne pourrez sûrement pas conserver un emploi de bureau si vous refusez d’ouvrir des pièces jointes. Voilà le choix qui s’offre à vous : prendre en permanence le risque de cliquer sur un dangereux programme malveillant, ou vivre sous un pont, laissant sur la pelouse de votre ancienne maison des messages pour dire à vos enfants combien vous les aimez et combien ils vous manquent.

Les experts de la sécurité et de la vie privée sermonnent le public à propos des métadonnées et des réseaux d’échange de données, mais prendre en compte ces choses est aussi naturel que de se faire une batterie de tests sanguins tous les matins, et à peu près aussi facile. Les risques sur le plan sociétal de renoncer à notre vie privée sont énormes. Et pourtant, les conséquences pour chacun de ne pas y renoncer sont immédiatement handicapantes. Il s’agit au final d’un combat d’usure entre ce que l’on veut pour nous-mêmes et nos familles, et ce que l’on doit faire pour vivre dans notre communauté en tant qu’humains – un champ de mines monétisé par les entreprises et monitoré par les gouvernements.

Je travaille en plein là-dedans, et je ne m’en sors pas mieux. J’ai dû une fois suivre un processus pour vérifier mon identité auprès d’un informateur méfiant. J’ai dû prendre une série de photos montrant où je me trouvais ainsi que la date. Je les ai mises en ligne, et on m’a permis de procéder à l’interview. Au final, il se trouve qu’aucune de ces vérifications n’avait été envoyées, parce que j’avais oublié d’attendre la fin du chargement avant d’éteindre nerveusement mon ordinateur. « Pourquoi m’avez-vous quand même permis de vous voir ? » demandais-je à ma source. « Parce qu’il n’y a que vous qui pourrait faire une chose aussi stupide », m’a-t-il répondu.

Touché.

Mais si cela m’arrive à moi, une adulte relativement bien entraînée qui fait attention à ce genre de sujets systématiquement, quelle chance ont les gens avec de vrais boulots et de vraies vies ?

Finalement, c’est la culture qui est cassée.

Il y a quelques années, j’ai rencontré plusieurs personnes respectées qui travaillent dans la confidentialité et la sécurité logicielle et je leur ai posé une question. Mais d’abord j’ai dû expliquer quelque chose : « La plupart des gens n’ont pas de droits d’administration sur les ordinateurs qu’ils utilisent. »

computerClassBolts.jpg (Crédit image : amelungc, licence CC BY 2.0)

C’est-à-dire que la plupart des gens qui utilisent un ordinateur dans le monde n’en sont pas propriétaires… Que ce soit dans un café, à l’école, au travail, installer une application bureautique n’est pas directement à la portée d’une grande partie du monde. Toute les semaines ou toutes les deux semaines, j’étais contacté par des gens prêts à tout pour améliorer la sécurité et les options de confidentialité, et j’ai essayé de leur apporter mon aide. Je commençais par « Téléchargez le… » et on s’arrêtait là. Les gens me signalaient ensuite qu’ils ne pouvaient pas installer le logiciel sur leur ordinateur. En général parce que le département informatique limitait leurs droits dans le cadre de la gestion du réseau. Ces gens avaient besoin d’outils qui marchaient sur ce à quoi ils avaient accès, principalement un navigateur.

Donc la question que j’ai posée aux hackers, cryptographes, experts en sécurité, programmeurs, etc. fut la suivante : quelle est la meilleure solution pour les gens qui ne peuvent pas télécharger de nouveau logiciel sur leurs machines ? La réponse a été unanime : aucune. Il n’y a pas d’alternative. On me disait qu’ils feraient mieux de discuter en texte brut, « comme ça ils n’ont pas un faux sentiment de sécurité ». À partir du moment où ils n’ont pas accès à de meilleurs logiciels, ils ne devraient pas faire quoi que ce soit qui puisse déranger les gens qui les surveillent. Mais, expliquais-je, il s’agit d’activistes, d’organisateurs, de journalistes du monde entier qui ont affaire à des gouvernements et des sociétés et des criminels qui peuvent vraiment leur faire du mal, ces gens sont vraiment en danger. On me répondait alors que dans ce cas, ils devraient s’acheter leurs propres ordinateurs.

Et voilà, c’était ça la réponse : être assez riche pour acheter son propre ordinateur, ou bien littéralement tout laisser tomber. J’ai expliqué à tout le monde que ce n’était pas suffisant, j’ai été dénigrée lors de quelques joutes verbales sans conséquences sur Twitter, et je suis passée à autre chose. Peu de temps après, j’ai compris d’où venait l’incompréhension. Je suis retourné voir les mêmes experts et j’ai expliqué : dans la nature, dans des situations vraiment dangereuses – même quand les gens sont traqués par des hommes avec des armes – quand le chiffrement et la sécurité échouent, personne n’arrête de parler. Ils espèrent seulement ne pas se faire prendre.

La même impulsion humaine qui nous pousse vers le hasard et les loteries depuis des milliers d’années soutient ceux qui luttent même quand les chances sont contre eux. « Peut-être bien que je m’en sortirai, autant essayer ! » Pour ce qui est de l’auto-censure des conversations dans une infrastructure hostile, les activistes non techniques s’en sortent de la même manière que les Anons, ou que les gens à qui l’on dit de se méfier des métadonnées, ou des réseaux d’échanges de données, ou de ce premier message avant que l’encodage OTR ne s’active. Ils foirent.

Cette conversation a été un signal d’alerte pour quelques personnes de la sécurité qui n’avaient pas compris que les personnes qui devenaient activistes et journalistes faisaient systématiquement des choses risquées. Certains ont rallié mon camp, celui où on perd son temps à des combats futiles sur Twitter et ils ont pris conscience que quelque chose, même quelque chose d’imparfait, pouvait être mieux que rien. Mais beaucoup dans le domaine de la sécurité sont toujours dans l’attente d’un monde parfait dans lequel déployer leur code parfait.

Alors apparaît l’Intelligence Community (Communauté du renseignement), ils s’appellent entre eux le IC. Nous pourrions trouver ça sympathique s’ils arrêtaient d’espionner tout le monde en permanence, et eux aimeraient bien que l’on cesse de s’en plaindre. Après avoir passé un peu de temps avec eux, je pense savoir pourquoi ils ne se préoccupent pas de ceux qui se plaignent. Les IC font partie des humains les plus surveillés de l’histoire. Ils savent que tout ce qu’ils font est passé au peigne fin par leurs pairs, leurs patrons, leurs avocats, d’autres agences, le président, et parfois le Congrès. Ils vivent surveillés, et ne s’en plaignent pas.

Dans tous les appels pour augmenter la surveillance, les fondamentaux de la nature humaine sont négligés. Vous n’allez pas apprendre aux espions que ce n’est pas bien en faisant encore plus qu’eux. Il y aura toujours des failles, et tant qu’elles existeront ou pourront être utilisées ou interprétées, la surveillance sera aussi répandue que possible. Les humains sont des créatures généralement égocentriques. Les espions, qui sont humains, ne comprendront jamais pourquoi vivre sans vie privée est mal aussi longtemps qu’ils le feront.

Et pourtant ce n’est pas cela le pire. La catastrophe culturelle qu’ils provoquent rend plus facile leur boulot d’épier le monde. Les aspects les plus dérangeants des révélations, ce sont le marché des failles 0 day, l’accumulation des moyens de les exploiter, l’affaiblissement des standards. La question est de savoir qui a le droit de faire partie de ce « nous » qui est censé être préservé de ces attaques, écoutes et décryptages et profilages. Quand ils ont attaqué Natanz avec Stuxnet et laissé tous les autres centres nucléaires vulnérables, nous avons été tranquillement avertis que le « nous » en question commençait et finissait avec l’IC lui-même. Voilà le plus grand danger.

Quand le IC ou le DOD ou le pouvoir exécutif sont les seuls vrais Américains, et que le reste d’entre nous ne sommes que des Américains de deuxième classe, ou pire les non-personnes qui ne sont pas associées aux États-Unis, alors nous ne pouvons que perdre toujours plus d’importance avec le temps. À mesure que nos désirs entrent en conflit avec le IC, nous devenons de moins en moins dignes de droits et de considération aux yeux du IC. Quand la NSA accumule des moyens d’exploiter les failles, et que cela interfère avec la protection cryptographique de notre infrastructure, cela veut dire qu’exploiter des failles contre des gens qui ne sont pas de la NSA ne compte pas tellement. Nous sécuriser passe après se sécuriser eux-mêmes.

En théorie, la raison pour laquelle nous sommes si gentils avec les soldats, que nous avons pour habitude d’honorer et de remercier, c’est qu’ils sont supposés se sacrifier pour le bien des gens. Dans le cas de la NSA, l’inverse s’est produit. Notre bien-être est sacrifié afin de rendre plus aisé leur boulot de surveillance du monde. Lorsque cela fait partie de la culture du pouvoir, on est en bonne voie pour que cela débouche sur n’importe quel abus.

Mais le plus gros de tous les problèmes culturels repose toujours sur les épaules du seul groupe que je n’aie pas encore pris à partie – les gens normaux, qui vivent leurs vies dans cette situation démentielle. Le problème des gens normaux avec la technologie est le même qu’avec la politique, ou la société en général. Les gens pensent être isolés et sans pouvoir, mais la seule chose qui maintient les gens seuls et sans pouvoir est cette même croyance. Ceux qui travaillent ensemble ont un énorme et terrible pouvoir. Il existe certainement une limite à ce que peut faire un mouvement organisé de personnes qui partagent un rêve commun, mais nous ne l’avons pas encore trouvée.

Facebook et Google semblent très puissants, mais ils vivent à peu près à une semaine de la ruine en permanence. Ils savent que le coût de départ des réseaux sociaux pris individuellement est élevé, mais sur la masse, c’est une quantité négligeable. Windows pourrait être remplacé par quelque chose de mieux écrit. Le gouvernement des États-Unis tomberait en quelques jours devant une révolte générale. Il n’y aurait pas besoin d’une désertion totale ou d’une révolte générale pour tout changer, car les sociétés et le gouvernement préfèreraient se plier aux exigences plutôt que de mourir. Ces entités font tout ce qu’elles peuvent pour s’en sortir en toute impunité – mais nous avons oublié que nous sommes ceux qui les laissons s’en sortir avec ces choses.

Si les ordinateurs ne satisfont pas nos besoins de confidentialité et de communication, ce n’est pas en raison d’une quelconque impossibilité mathématique. Il existe un grand nombre de systèmes qui pourraient chiffrer nos données de façon sécurisée et fédérée, nous disposons de nombreuses façons de retrouver la confidentialité et d’améliorer le fonctionnement par défaut des ordinateurs. Si ce n’est pas ainsi que les choses se passent en ce moment c’est parce que nous n’avons pas exigé qu’il en soit ainsi, et non pas parce que personne n’est assez malin pour que ça arrive.

C’est vrai, les geeks et les PDG et les agents et les militaires ont bousillé le monde. Mais en fin de compte, c’est l’affaire de tous, en travaillant ensemble, de réparer le monde.




Se libérer de Google ? Chiche ! — Si on commençait par la recherche ?

Les lecteurs de ce blog savent que Framasoft s’est engagé à se libérer par étapes des outils de Google : Framasoft a déjà dit bye-bye à Gmail, s’est libéré des GoogleGroups, de Google analytics et de la publicité, des polices de caractère Google… Tout cela demande à la fois de la détermination, un travail technique conséquent et des logiciels ou services de substitution fiables. Ce n’est pas forcément à la portée du simple utilisateur. Que peut-il commencer par faire pour se libérer de l’emprise de Google ?

L’article qui suit est un appel à l’action. Une action ambitieuse : se libérer partout de Google. Mais une action qui peut commencer par ce qui est à notre portée : choisir d’autres moteurs de recherche.

Est-il possible de faire vaciller la toute-puissance de Google en remplaçant Google par un moteur de recherche qui ne soit pas notoirement en ligne directe avec la NSA ? Ce n’est pas irréaliste car désormais un très grand nombre de gens sont devenus conscients grâce à Snowden tant de la surveillance étatique de masse que du viol commercial de nos données privées en ligne.

Il est temps de se libérer de Google. Partout.

Texte original en diffusion virale sur ce pastebin

Traduction Framalang simon, r0u, Lam’, goofy

Il s’est écoulé presque un an depuis les révélations des documents de Snowden. C’est à ce moment que de nombreuses personnes – moi compris – ont pris conscience de la surveillance omniprésente qui nous environne. Pas uniquement l’espionnage de la part des gouvernements, mais aussi la collecte de données par les entreprises. Et d’hier à aujourd’hui, les progrès pour repousser cet environnement oppressant ont été décevants.

Globalement, nous savons ce qu’il faudrait faire. En premier lieu, nous devons exercer une pression permanente et importante sur nos gouvernements respectifs pour obtenir une réforme significative. Les politiciens doivent savoir qu’ils ne pourront pas compter sur le soutien des peuples si ceux-ci ne peuvent obtenir le respect de leurs droits fondamentaux.

Il est aussi évident que de nombreux changements technologiques et commerciaux doivent avoir lieu, comme l’utilisation accrue du chiffrement (en particulier le chiffrement coté client), et une adoption bien plus étendue du logiciel libre (voir cet article de fsf.org).

Il ne fait aucun doute que nous devons bien davantage décentraliser les technologies de l’information. Ce problème est bien expliqué dans cet article du New Yorker :

« l’État sécuritaire a tendance à aimer les monopoles. Un monopole qui s’appuie sur la coopération augmente et étend le pouvoir de l’État, comme une prothèse technologique (l’Allemagne en offre des exemples plus extrêmes encore que les États-Unis). En règle générale, quand une ou plusieurs sociétés dominent tout un pan de l’industrie de l’information, on peut s’attendre à ce que les agences de renseignements exigent leur coopération et leur partenariat. Au fil du temps, la firme devient un exécuteur bien récompensé de la volonté de l’État. Si l’Histoire peut enseigner quelque chose, c’est que plus des entreprises comme Google ou Facebook resteront dominantes sur le long terme, plus il est probable qu’elles deviendront des partenaires au service d’agences de renseignement des États-Unis et d’autre gouvernements »

Il est évident que continuer à encourager les géants technologiques comme Google, Facebook, Microsoft et les autres ne peut qu’amener à l’élimination progressive de notre vie privée, et donc de notre liberté. Fondamentalement, on peut considérer que toute entreprise suffisamment grande agira dans ses propres intérêts, souvent au détriment de la population. Et dans cette optique, les détails de nos vies privée sont devenus leur nouvel Eldorado. L’information est le pouvoir. Elle est lucrative. C’est la raison pour laquelle les géants technologiques (et bien d’autres sociétés) orientent une part toujours plus importante de leur modèle économique vers la surveillance.

Mais ils n’appellent pas cela de la surveillance. Ils appellent cela le Big data, et ils en chantent les louanges comme si c’était le nouvel évangile. Ils peuvent passer des heures à expliquer comment le Big Data bénéficiera à tous, rendra les choses plus efficaces, évitera le gaspillage, etc. Mais bien entendu, là-dessus nous pouvons leur faire confiance, s’ils utilisent le Big Data c’est d’abord pour nous manipuler, de façon à dynamiser leur chiffre d’affaires.

« Les consommateurs traversent les événements de la vie, souvent sans faire attention, ou très peu, aux changements de leurs habitudes d’achats. Mais les commerçants, eux, s’en rendent compte et y sont très attentifs. À ces moments particuliers, note Andreasen. « Les consommateurs sont vulnérables à la pression du marketing. En d’autres termes, une pub qui intervient au bon moment, envoyée après un récent divorce ou une acquisition immobilière, peut changer les habitudes d’achats de quelqu’un pendant des années. » (Source : cet article du New York Times).

Et Big Data ne signifie pas seulement manipulation. Cela signifie aussi discrimination et prédation.

« Dans un cas particulièrement grave, un télévendeur s’est servi sur le compte en banque d’un vétéran de l’armée de 92 ans après avoir reçu des informations du courtier de données InfoUSA, qui propose des listes comme “vieux mais gentil”. L’objectif était d’atteindre des personnes décrites comme “crédules… qui veulent croire que la chance peut tourner”. » (Source : article de businessinsider).

Pour le formuler en employant les termes du mouvement Occupy, « le Big Data est un outil de plus à la disposition des 1 % pour consolider leur pouvoir, et garder plus efficacement les 99 % sous contrôle. »

Sans contre-pouvoir pour s’opposer à ces développements, les 1 % ne peuvent que continuer. Quand on voit la façon dont les gouvernements ont été enivrés par le pouvoir que leur donne la surveillance – essentiellement rendue possible par le Big Data – il est évident qu’ils ne vont pas intervenir ou véritablement régler ce problème. Nous devons le faire par nous-mêmes.

Il faut s’opposer fermement au Big Data, tout autant qu’à la surveillance étatique. Parce qu’en définitive, Big Data signifie Grand Contrôle et Grand Pouvoir pour celui qui peut collecter le plus d’informations sur n’importe qui.

« Tant que nous ne sommes pas tous connectés toute la journée, nous sommes implicitement hors ligne. Ne serait-ce pas merveilleux si nous pouvions récolter des données vitales géolocalisées et les utiliser pour personnaliser l’expérience hors ligne comme le font maintenant les sociétés pour notre expérience en ligne ? “Personnaliser votre expérience vitale” est une façon moins brutale de dire en réalité « encore plus de contrôle de vos vies » (Source : article de gigaom.com)

Nous devons susciter une migration en masse vers les alternatives proposées par les logiciels libres, pour diffuser une meilleure maîtrise des ordinateurs, et une connaissance plus approfondie des techniques utilisées pour tout ce qui concerne les données.

Mais il s’agit d’un défi de taille. Amener une personne à changer ne serait-ce qu’une petite habitude informatique est comme lui arracher une dent. Il faut lui donner de bonnes raisons bien tangibles. Elles doivent toucher la vie quotidienne du foyer, et les changements doivent être faits un à la fois. Pour ceux d’entre nous qui ont le plus d’expérience et de connaissances en informatique, il n’est pas raisonnable d’espérer que quiconque va changer si on lui dit carrément « Eh, c’est pas du tout comme ça qu’il faut utiliser ton ordinateur. Arrête tout, et fais plutôt comme ceci… »

Voilà l’idée : les gens n’ont pas besoin de changer toutes leurs habitudes informatiques d’un seul coup pour faire la différence. Amener tout le monde à se défaire d’un coup de mauvaises habitudes est un objectif irréaliste, mais on peut cibler exactement un changement à la fois et s’y mettre vraiment. Chaque changement individuel peut sembler minuscule, voire insignifiant, en regard de l’objectif qui est de sécuriser complètement les données personnelles de chacun, mais cela peut envoyer une onde de choc qui va se propager dans le système tout entier.

Et nous devrions commencer par ce qui est à portée de main. Nous devrions arrêter d’utiliser les moteurs de recherche des géants technologiques et faire tout notre possible pour que tout le monde en fasse autant.

Soyons clair, cela veut dire : finies les recherches sur Google, finies les recherches sur Bing, et finies les recherches sur Yahoo. Voilà la règle d’or : si l’entreprise figure sur les diaporamas du système Prism de la NSA, n’utilisez pas son moteur de recherche.

Pour les remplacer, utilisez plutôt une des solutions alternatives qui tendent à être recommandées. Que ce soit Ixquick, DuckDuckGo, StartPage, Disconnect, MetaGer, ou pour les plus déterminés, Seeks ou YaCy.

Tout le monde peut basculer vers un moteur de recherche différent. Si vous pouvez aller sur google.com, vous pouvez aller sur duckduckgo.com (ou l’un des autres). Cela peut donner une impulsion nouvelle, comme une façon de dire aux autres « regardez, vous pouvez faire la différence. Vous pouvez rendre le monde meilleur. Tout ce que vous avez à faire c’est de changer votre moteur de recherche. Facile, non ? »

Voici un aperçu du volume des recherches effectuées en février dernier sur les principaux moteurs (en supposant que je lise le tableau correctement dans cet article de searchengineland.com) :

Google : 11,941 milliards

Microsoft : 3,257 milliards

Yahoo : 1,822 milliards

Ask : 477 millions

AOL : 235 millions

11,941 milliards de recherches chaque mois… Quand l’affaire Prism a commencé à éclater, les recherches sur DuckDuckGo sont passées de 1,7 million par jour à 3 millions en moins de deux semaines (voir cet article du Guardian), et ce n’était qu’une simple réaction non concertée des gens. Imaginez ce que ce serait avec un effort coordonné, dédié au seul but de réduire le nombre des recherches effectuées sur les moteurs des géants technologiques. Nous pouvons amener les recherches mensuelles sur Google à diminuer de presque 12 milliards à 6 milliards, 3 milliards, et ainsi de suite jusqu’à ce que leur part ressemble un peu plus à celle d’AOL.

Voici donc notre objectif final :

  1. Retirer Google, Microsoft, Yahoo et AOL de la liste des moteurs les plus utilisés.
  2. Faire en sorte que cette liste inclue des moteurs comme Disconnect, DuckDuckGo, Ixquick, MetaGer, StartPage et/ou YaCy.

Bien que les recherches ne soient pas le seul moyen pour ces entreprises de faire de l’argent, cela les impactera tout de même durement. Elles constituent la principale source de leurs revenus publicitaires. Des marchés entiers se sont constitués autour des optimisations des moteurs de recherches. Si le nombre de vues et de clics sur les moteurs des géants s’effondre, il en sera de même pour leurs profits. Cela attirera l’attention. Un maximum.

C’est à notre portée, mais il nous faut faire passer le mot aussi loin et aussi largement que possible. Copiez-collez ce billet sur tous les sites que vous fréquentez. Partagez-le. Utilisez vos propres mots pour exposer vos convictions avec passion. Faites des infographies accrocheuses, ou d’autres œuvres graphiques, sur ce mouvement et postez-les sur des sites comme Reddit, Imgur, Tumblr, etc. Traduisez-le, faites-le connaître.

Remplacez votre moteur de recherche par défaut par l’un de ceux qui sont listés ci-dessus, sur tous les navigateurs de tous les appareils que vous utilisez. Incitez vos amis et votre famille à faire de même. Cela pourrait être la partie la plus difficile, mais ne vous découragez pas. Faites-le avec humour. Donnez leur des raisons de vouloir faire ce changement. Négociez, si nécessaire ; dites-leur qu’en échange vous préparez le dîner.

Si vous gérez un site web, envisagez d’ajouter quelque chose à ce sujet, pour diffuser encore plus le message.

Si vous utilisez encore un grand réseau social comme Twitter ou Facebook, ce qui est mal (des alternatives existent), ralliez-vous autour d’un hashtag[1] comme, par exemple, #nongoogle, #ungoogle ou tout ce que vous voudrez. Faites-en une tendance.

Dans le même ordre d’idée, il faut aussi parler du langage. Le saint Graal de la publicité est de faire rentrer dans l’usage le nom de l’entreprise pour faire référence au produit. Ainsi par exemple nous appelons les scratch des Velcro. Dans le cas des recherches en ligne, dire à quelqu’un de « googler » quelque chose c’est soutenir leur produit. Cela fait de Google la norme et barre la route qui mène à la fin de leur domination sur la recherche en ligne. Ce que nous devons faire, c’est désigner cette action par son nom : une recherche, ou carrément utiliser les termes « nongoogle » ou « ungoogle » pour expliciter notre intention de faire progresser ce mouvement.

Si nous pouvons y parvenir, ce sera une énorme victoire concrète dans la lutte pour nos droits à la vie privée et les libertés civiles. Alors s’il vous plaît, passez le mot et… passez à l’action ! Il est temps de commencer à faire des recherches libérées de Google.

Je publie ceci sous licence CC0 1.0

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Notes

[1] (GoofyNote) « mot-dièse » d’après le JO du 23/01/13 ahaha mais oui bien sûr, vous trouvez ça ridicule. Demandez-vous toutefois si hashtag (mot à mot : dièse-étiquette) n’est pas tout aussi risible dans la langue de Britney Spears.