Le numérique nous change au-delà de nos usages

Nous avons tous conscience, pour peu que nous prenions un peu de recul, que nos usages et nos mœurs ont considérablement changé dans les 20 dernières années. Nous en attribuons la cause à l’omniprésence des technologies numériques que nous avons massivement adoptées, du moins dans notre partie du monde.

Cependant ce n’est pas seulement notre manière de communiquer, vivre, travailler, aimer… qui ont complètement changé, c’est aussi notre manière d’être nous-mêmes, ou plutôt : la façon dont notre être apparaît aux yeux du monde numérique désormais.

Lorsque ce monde numérique est quasi entièrement sous la coupe des entreprises de la Silicon Valley et sous la surveillance des gouvernements, nous sommes asservis à une nouvelle féodalité, et plus vraiment dans une démocratie.

C’est ce qu’expose Aral Balkan dans le billet qui suit.

Aral Balkan est le fondateur et principal créateur de Ind.ie, il a déménagé son entreprise aux Pays-Bas l’an dernier lorsqu’il a vu que le nouveau gouvernement britannique voulait accentuer la surveillance de masse et imposer des backdoors, ces portes dérobées dans le code qui permettent les intrusions dans les données confidentielles.
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La nature du « soi » à l’ère numérique

aral-432Article original sur le blog d’Aral Balkan : https://ar.al/notes/the-nature-of-the-self-in-the-digital-age/

Traduction Framalang : Piup, roptat, line, goofy, Penguin 

3 Mars 2016 – Cet article repose sur une conférence que j’ai donnée au Bucerius Lab à Hambourg le mois dernier et qui s’intitulait : « Émancipation numérique : la propriété de soi à l’ère numérique ».

La nature de la technologie moderne

Votre téléviseur intelligent, la montre à votre poignet, la nouvelle poupée Barbie de votre enfant et la voiture que vous conduisez (c’est plutôt elle qui vous conduit, non ?) ont une chose en commun : tous ces objets fonctionnent en collectant des données — vos informations personnelles — sur vous, vos amis, et votre famille.

Bien que cela puisse sembler effrayant en soi, le vrai problème n’est pas là.

La technologie moderne fonctionne en moissonnant une profusion de données (souvent personnelles). Il s’agit simplement d’une réalité de la vie. On ne la changera pas.

La question cruciale est la suivante : qui possède et contrôle les données vous concernant et les mécanismes par lesquels elles sont recueillies, analysées, et transformées en services utiles ?

Si la réponse à cette question était « c’est moi » alors notre problème serait résolu. Dans ce monde idéal, grâce aux capacités de la technologie, les individus disposant de davantage d’informations sur eux-mêmes et sur le monde qui les entoure pourraient traduire ces informations en superpouvoirs.

Malheureusement, nous ne vivons pas dans ce monde.

zuckerberg
Le public, branché sur des casques de réalité virtuelle, ne voit pas passer Mark Zuckerberg. L’avenir que nous devons éviter.

Aujourd’hui, la réponse à notre question, c’est que les sociétés multinationales comme Google et Facebook possèdent et contrôlent à la fois vos données personnelles, les moyens de les collecter, de les analyser et d’en faire de l’argent.

Aujourd’hui, ce sont les entreprises, et non les individus, qui  possèdent et contrôlent nos données et la technologie. Nous vivons dans une entreprenocratie, pas une démocratie.

Nous voici dans un état socio-techno-économique que Shoshana Zuboff de la Harvard Business School appelle le capitalisme de surveillance (en).

Pour comprendre pourquoi le capitalisme de surveillance est si problématique, nous devons d’abord comprendre deux concepts fondamentaux : la nature du « soi » et la nature des données à l’ère numérique.

La nature du « soi » à l’ère numérique

Selon Steve Krug, l’auteur de Do not Make Me Think (en), une technologie bien conçue devrait jouer le rôle d’un majordome lors de l’interaction avec un être humain. Disons que je veux me souvenir de quelque chose pour plus tard et que j’ai mon smartphone avec moi. La conversation entre nous pourrait donner quelque chose comme ceci :

Moi : majordome, rappelez-moi ça plus tard.

Mon smartphone : bien entendu, monsieur, je viens de le mettre pour vous dans l’application Notes .

Moi : merci

En réalité, avec des technologies comme Siri, vous pouvez avoir dès aujourd’hui exactement ce type de conversation.

Telle est la façon courante de voir notre relation à la technologie : comme une conversation entre deux acteurs. Dans notre cas, entre moi et mon téléphone. Si c’est ainsi que nous voyons la technologie, la surveillance est la capture des signaux entre les deux acteurs. Ce n’est en rien différent de ce que faisait la Stasi, quand elle installait des mouchards dans votre maison et écoutait vos conversations. Ce n’est pas très sympathique, mais la surveillance est ainsi, traditionnellement.

Mais que se passerait-il si telle n’était pas notre relation à la technologie ?

votre smartphone est-il un simple majordome ou bien un peu plus que ça ?
Votre smartphone est-il un simple majordome ou bien un peu plus que ça ?

Lorsque je note une idée sur mon smartphone pour m’en souvenir plus tard, est-ce qu’en réalité je ne donne pas une extension à mon esprit, et par là-même une extension à mon « moi » utilisant le smartphone ?

Aujourd’hui, nous sommes des cyborgs. Cela ne veut pas dire que nous nous greffons des implants technologiques, mais que nous étendons nos capacités biologiques avec la technologie. Nous sommes des êtres éclatés, avec des parties de nous-mêmes dispersées dans nos objets quotidiens et augmentées par eux.

Peut-être est-il temps de repousser les frontières du soi pour inclure les technologies au travers desquelles nous nous étendons nous-mêmes.

Le smartphone étend les frontières du « soi »

L’extension des frontières du « soi »

Si nous commençons à percevoir ainsi nos objets quotidiens, pas en tant qu’acteurs séparés, mais comme des extensions de nous-mêmes, alors plusieurs choses deviennent très claires.

Tout d’abord, la surveillance n’est plus la capture de signaux mais une violation du soi. Considérons le litige actuel entre Apple et le FBI, qui veut créer un précédent pour pouvoir accéder au téléphone de n’importe qui. J’ai entendu dire que la requête se rapprochait d’une requête légale pour accéder au contenu d’un coffre-fort (ici lien vers un article en anglais qui explique les véritables enjeux du conflit Apple contre FBI). Rien ne pourrait être aussi éloigné de la vérité. Mon iPhone n’est pas plus un coffre-fort que mon cerveau n’en est un. C’est une partie de moi. Dans ce cas, si on veut rentrer dans mon iPhone, ce qu’on veut vraiment c’est violer ma personne. C’est une attaque contre le soi. Et nous avons déjà un riche corpus de lois et de règlements qui sanctuarisent le soi et les droits des êtres humains.

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La surveillance du « soi » est une agression, une violation du soi.

Ensuite, il apparaît clairement que nous n’avons pas besoin d’une nouvelle Déclaration des Droits relative à Internet ou d’une « Magna Carta » du Web ou quoi que ce soit d’aussi absurde : tout ce dont nous avons besoin, c’est d’appliquer la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (les droits de l’homme que nous connaissons) au monde numérique. Il n’existe pas un monde numérique et un monde réel. Il n’y a pas des droits de l’homme et des « droits numériques ». Nous parlons, en fait, d’une même et unique chose.

Enfin, nous commençons à comprendre la nature véritable de ceux qui fouinent dans nos données personnelles et nous pouvons essayer de réglementer efficacement leurs pratiques néfastes.

Mais pour commencer, il nous faut comprendre ce que sont les données.

La nature des données

On entend souvent dire que les données sont des placements profitables. Selon le magazine Wired , elles seraient l’équivalent moderne du pétrole. C’est seulement parce que nous ne comprenons pas la vraie nature des données que nous ne sommes pas choqués par ce genre de comparaison.
Prenons un exemple :

Supposons que j’aie une petite figurine. Si je dispose d’assez de données sur elle, je peux avec une imprimante 3D en créer une copie conforme à l’original. Imaginez maintenant ce que je peux faire si je dispose d’assez de données sur vous-même.

Les données sur un objet, si vous en avez une quantité suffisante, deviennent cet objet.

Les données sur vous, c’est vous.

Les données personnelles ne sont pas le nouveau pétrole. Les données personnelles, ce sont les gens eux-mêmes.

Maintenant, il ne s’agit pas de dire que Google, Facebook et les innombrables start-ups de la Silicon Valley veulent faire votre copie en 3D. Non, bien sûr que non. Ces entreprises veulent simplement vous profiler. Pour vous imiter. Pour en faire du profit.

Le modèle économique du capitalisme de surveillance, celui de Google, Facebook et des innombrables start-ups de la Silicon Valley, c’est de monétiser les êtres humains. Nous savons tous que Facebook et Google font tourner d’énormes « fermes de serveurs ». Vous êtes-vous jamais demandé ce qu’ils peuvent bien cultiver dans ces fermes ? posez-vous la question et vous devriez arriver rapidement à la conclusion que c’est nous qui sommes « cultivés ». Que sont Google et Facebook si ce n’est des fermes industrielles pour cultiver des êtres humains ?

Une ferme de serveurs

Une ferme de serveurs

Nous les appelons des fermes de serveurs… Vous êtes-vous jamais demandé ce qu’ils peuvent bien cultiver dans ces fermes ?

Si cela vous paraît familier, c’est normal : voilà bien longtemps que nous utilisons diverses variantes de ce modèle économique.

Nous appelons ce business très rentable et pourtant ignoble qui consiste à vendre le corps des humains : « l’esclavage ». Le modèle économique des plus grosses entreprises technologiques consiste à tout monétiser de vous à l’exception de votre corps. Comment appellerons-nous cela ?

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Nous avons tout un passif historique honteux de la commercialisation des individus. Aujourd’hui, le modèle économique des industries technologiques principales consiste à vendre tout ce qui vous concerne, tout ce qui fait que vous êtes vous, à l’exception de votre corps. Comment devrions-nous appeler cela ?

Ce n’est pas un problème technologique…

La Silicon Valley est la version moderne du système colonial d’exploitation bâti par la Compagnie des Indes Orientales, mais elle n’est ni assez vulgaire, ni assez stupide pour entraver les individus avec des chaînes en fer. Elle ne veut pas être propriétaire de votre corps, elle se contente d’être propriétaire de votre avatar. Et maintenant, comme nous l’avons déjà vu, plus ces entreprises ont de données sur vous, plus votre avatar est ressemblant, plus elles sont proches d’être votre propriétaire.

Votre avatar n’est pas figé une fois pour toute, c’est quelque chose de vivant, qui respire (grâce à des algorithmes, pas avec des cellules biologiques). Il vit dans les labos de Google, Facebook et il est soumis constamment à des centaines voire des milliers de tests pour être analysé afin de mieux vous comprendre. Certaines de ces expériences, si elles étaient réalisées sur votre personne physique, conduiraient les dirigeants de ces compagnies en prison pour crime contre l’humanité.

Toutes ces informations personnelles et toute la richesse qui en découle appartiennent à des entreprises et par extension (comme Edward Snowden nous l’a montré) sont partagées avec les gouvernements.

Cela crée un très grand déséquilibre entre le pouvoir des individus et celui des entreprises et entre le pouvoir des individus et celui de leur gouvernement.

Si je me promène avec une caméra chez Google Inc., je serai en arrêté. En revanche, Google enregistre ce qui se passe dans un nombre incalculable de foyers grâce aux caméras Nest [NDT : webcam filmant en continu]. Dans le monde du capitalisme de surveillance, ceux qui ont droit au respect de leur vie privée (les individus) en sont… privés, alors que ceux qui devraient être transparents (les entreprises, les gouvernements) en bénéficient.

Quand Mark Zuckerberg déclare que « la vie privée est morte », il parle uniquement de notre vie privée, pas de la sienne. Quand il achète une maison, il achète également les deux maisons mitoyennes. Sa vie privée, celle de Facebook Inc. et la confidentialité de votre gouvernement sont toujours protégées, et même bien protégées.

Si cela ne ressemble pas à de la démocratie, c’est parce que ce n’en est pas. Le capitalisme de surveillance n’est pas compatible avec la démocratie.

Le système dans lequel nous vivons aujourd’hui pourrait être appelé : « entreprenocratie », le régime féodal des entreprises.

Nous vivons dans une époque néo-coloniale régie par des monopoles multinationaux.

Un impérialisme numérique, si vous préférez.

La montée de l’ « entreprenocratie » est la conséquence de décennies de néo-libéralisme incontrôlé et d’idéologie californienne. Elle a conduit le système à un niveau jamais atteint d’inégalités, pour preuve : 62 personnes possèdent autant de richesses que la moitié du monde la plus pauvre (soit 3,5 milliards de personnes). Elle apporte aussi la destruction à grande échelle de notre environnement à travers l’épuisement des ressources et le changement climatique. Pour le dire crûment, c’est une menace mortelle pour notre espèce.

Ce n’est pas un problème technologique.

C’est un problème du capitalisme.

Et la seule réponse possible est une démocratie meilleure et plus forte.

Des technologies alternatives, décentralisées et à divulgation nulle peuvent jouer un rôle important en nous aidant à obtenir de plus grandes libertés publiques et une meilleure démocratie. Mais la technologie n’est pas un remède miracle. Sans changement au niveau de la régulation ou des statuts, ces technologies seront jugées illégales et ceux d’entre nous qui les auront mises en œuvre deviendront les nouveaux Snowden et Manning.

Notre défi est immense : les alternatives que nous créons doivent être pratiques et accessibles. Elles doivent être conçues de manière éthique et être non-coloniales par construction. Ce n’est pas une tâche simple.  Mais ce n’est pas non plus irréalisable. Je le sais car en ce moment je code moi-même ce type de solution, et d’autres aussi.

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La pyramide de la création éthique : les produits doivent respecter les droits de l’homme, être utiles, fonctionnels et fiables, tenir compte de l’expérience utilisateur.

Les solutions alternatives doivent être conçues de façon éthique.

La bataille pour nos libertés publiques et pour la démocratie doit être menée avec nos nouveaux objets quotidiens. Selon le résultat nous verrons si nous resterons des serfs soumis à une féodalité numérique ou si nous pouvons être des citoyens libres, renforcés par une technologie qui nous appartiendra et que nous contrôlerons, des individus qui pourront explorer le potentiel de l’espèce humaine jusqu’à l’infini.

Je souhaite travailler à ces lendemains lointains.

Et j’espère que vous aussi.

Copyright © 2003–2016 Aral Balkan. Sauf mention contraire, tous les contenus de mon blog sont sous licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International et tout code publié est sous licence MIT. Photo d’Aral par Christina von Poser.




Et si on faisait le point sur le réseau social libre Diaspora*

En 2010, 4 étudiants New Yorkais lançaient un pari fou : créer un réseau social similaire à Facebook, mais cette fois libre et décentralisé.

Avec Diaspora* (c’est le nom du logiciel, “*” compris), non seulement il deviendrait possible d’installer son propre réseau social (pour sa famille, son entreprise, sa communauté), mais les différentes installations de Diaspora* (ces instances sont appelées des “pods”) seraient capable de discuter entre elles. Cela signifie que vous pouvez avoir créé votre compte sur le pod francophone https://framasphere.org, tout en échangeant avec des amis brésiliens (par exemple) hébergés eux sur https://diasporabrazil.org/

Estimant qu’ils avaient besoin de 10 000 $ pour financer leur projet, ces étudiants firent appel à un mode de financement original pour l’époque, le financement participatif. Annoncé en avril 2010, la somme fut atteinte en 12 jours seulement, mais les financements continuèrent d’affluer jusqu’à atteindre plus de 200 000 $, faisant de Diaspora* un des premiers logiciels à être financé ainsi par le public, mais aussi l’un des rares logiciels libres disposant de fonds non négligeables. Autant dire que les attentes étaient énormes, notamment par tous les détracteurs de Facebook qui en avaient assez d’être traqués dans leurs moindres “J’aime”.

La fin de l’année 2011 fut particulièrement rude pour le projet : critique d’internautes trouvant que le projet n’avançait pas suffisamment rapidement, première version bêta repoussée de plusieurs mois et décès de l’un des fondateurs. En août 2012, le projet fut confié à la communauté via une fondation, créée pour l’occasion.

Et depuis ? … Peu de nouvelles, en fait. Le projet continue pourtant non seulement d’exister, mais de s’améliorer, et compte plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs a travers le monde.

Récemment, le projet a de nouveau fait parler de lui : une dépêche AFP reprise sur de nombreux médias pointait du doigt Diaspora* et sa décentralisation comme un lieu d’expression pour les djihadistes de l’Etat Islamique.

Flaburgan, qui contribue activement au projet Diaspora* depuis deux ans, a bien voulu répondre à nos questions et nous dire où en est le projet aujourd’hui.


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Bonjour Flaburgan, avant tout, peux-tu te présenter aux lecteurs du Framablog et nous dire comment tu es venu à contribuer à Diaspora* ?

Alors, je suis un jeune développeur web et Libriste avant tout (merci à l’IUT de Grenoble qui m’a bien éduqué en utilisant exclusivement du libre !) et je cogite un peu sur le fonctionnement actuel de notre société numérique, particulièrement l’approche que nous avons de la notion de vie privée. Je me suis donc engagé dans le projet Mozilla, et vous m’avez peut-être croisé aux conférences « Web et Vie privée » que je donne dans ce cadre (au Fosdem, aux JDLL ou ailleurs). Ma contribution au Logiciel Libre est donc orientée éducation et services. Pour moi, l’objectif du Libre est de proposer une alternative solide. Le but n’est donc pas le Graal « tout le monde n’utilise que du code Libre », mais plus simplement « si tu ne veux pas utiliser du logiciel propriétaire / non respectueux, nous avons quelque chose d’autre à te proposer ». Voici pour “alternative”. Par “solide”, j’entends utilisable sans avoir à faire de compromis (comprendre, sans perte de fonctionnalités ni d’utilisabilité).

Pour moi, le Libre remplit déjà cet objectif sur le desktop (Ubuntu / Firefox / Thunderbird / VLC / LibreOffice remplissent 90% des usages sans être plus compliqués ou plus pauvres que leur équivalent propriétaire, au contraire) et est en passe de réussir sur le mobile (au travers de projets comme Cyanogenmod et Firefox OS). Par contre, concernant les services (partage de photos, fournisseur de mail, réseaux sociaux…), il n’y a que peu d’alternatives libres, et elles sont en général plus pauvres. De plus, si on n’a aucune garantie sur ce que fait de nos données un logiciel propriétaire (mais on pourrait lui laisser le bénefice du doute), ce n’est pas le cas pour un service propriétaire, dont on est sûr qu’il exploite nos données. C’est sur ce secteur que les libristes devraient concentrer leurs efforts, Framasoft a d’ailleurs un raisonnement similaire puisque l’association réfléchit à un “Plan de Libération du Monde”[1] pour mettre en place des services Libres.

Quelle est la première brique à poser parmi tous ces services à libérer ? Le social, qui va permettre à chacun de se retrouver, d’échanger et de réfléchir pour construire ensuite notre idéal numérique. Il est pour moi capital de pouvoir accéder à tous ces échanges sans dépendre d’une entreprise à but lucratif. Le choix de diaspora* en soi s’est fait naturellement, c’est le projet le plus connu dans ce domaine, et il suffit de s’y connecter et de voir l’énergie et l’engouement des gens pour trouver du courage à contribuer. Me voici donc à suivre le projet depuis maintenant 3 ans, et à écrire du code (principalement front-end) depuis 2 ans. Comme j’avais besoin d’un endroit pour tester mon code en production, j’ai installé il y a un an le serveur diaspora-fr.org qui est sur la branche de développement de diaspora*, et je travaille maintenant avec Framasoft à la mise en place de Framasphère, un serveur diaspora* stable où tous seront les bienvenus.

Diaspora* souffre encore aujourd’hui d’une image un peu sulfureuse : il s’agissait de la première réussite d’envergure de crowdfunding logiciel, ce qui avait généré une énorme attente de la part des contributeurs. Avec le recul, beaucoup de gens semblent avoir été déçus avec un sentiment de « tout ça pour ça ? ». À juste titre, selon toi ?

Tordons le cou une fois pour toute aux rumeurs : $200k, cela fait $180k une fois que KickStarter a pris sa commission. Les fondateurs étaient 4, en ne se payant que $30k chacun, quand un salaire de développeur débutant à San Francisco est autour de $80k par an, il ne reste déjà plus que $60k. Oui, la somme récoltée était énorme pour un crowdfunding à l’époque, mais elle est ridicule lorsque l’on lance une startup, encore plus quand on la compare aux moyens de Facebook. Donc, je n’ai aucun doute en la bonne volonté des fondateurs, et ce ne sont certainement pas des voleurs comme on les a parfois injustement qualifiés.

Cependant, on ne peut pas dire que diaspora* au bout de deux ans de développement (2012) a été la réussite que l’on espérait. De mon point de vue (extérieur au projet à l’époque), il y a eu deux problèmes majeurs : une mauvaise communication et une absence de financement durable (il n’y avait à ma connaissance aucun autre business model que les dons). Il faut dire que lorsqu’ils ont demandé $10k sur KickStarter, les 4 étudiants pensaient faire une expérience pendant l’été, entre deux années de leurs cours, et n’envisageaient pas de laisser tomber leurs études pour lancer une start up. Ils l’ont finalement fait face au succès du crowdfunding. Le cocktail « beaucoup de pression + peu d’expérience » donne rarement de bons résultats, pour autant, d’un point de vue technique, la majorité des choix faits ont du sens, et la base de code aujourd’hui est saine : nous ne sommes pas dans un sac de nœuds rempli de hacks inmaintenables.

On peut donc reprocher leur manque de communication aux fondateurs, mais une chose est sûre, ils ont été les premiers à se lancer et à porter pour nous cette pression. Peut-être que sans eux, nous serions toujours là à nous plaindre à chaque changement un peu plus intrusif de Facebook sans pour autant faire quelque chose. Diaspora* a été une étincelle, un élément déclencheur : oui, on peut faire quelque chose, et oui, de nombreuses personnes pensent que cela est important. C’est en effet la première fois que l’on voyait un crowdfunding de cet ampleur, et chaque jour qui passe un nouveau scandale éclate en nous rappelant que ce projet n’est pas important mais carrément essentiel.

Par la suite, le décès d’un des fondateurs, puis le transfert du code (sous licence libre) à la communauté, via une fondation chapeautée par la FSSN a un peu donné l’impression d’un logiciel… abandonné. Rassure-nous : le projet est-il toujours actif ?

Lorsque les fondateurs ont souhaité arrêter en 2012, quelques courageux ont repris le flambeau, et la communauté de diaspora* reprend vie de plus en plus chaque jour. L’euphorie du départ n’est plus la même, mais on sait que l’on va dans la bonne direction, et de nombreux contributeurs nous rejoignent. Nous sommes aujourd’hui 446 sur loomio, l’outil que nous utilisons pour gérer le projet et prendre des décisions, et 47 personnes différentes ont participé au code depuis Août 2012, date où le projet a officiellement été transféré de Diaspora Inc à la communauté. Le projet a toujours été sous licence libre (AGPL) et plusieurs personnes qui sont aujourd’hui au cœur de la communauté travaillaient déjà avec les fondateurs à l’époque. Nous avons mis en place des numéros de versions en suivant semver, donc majeure.mineure.hotfix, en gardant un 0. en premier pour montrer que le projet n’est pas encore en “1.0”, c’est-à-dire complètement stable et prêt à être installé par tous, car s’il est prêt à être utilisé même par les plus novices, installer son instance de diaspora* est encore trop compliqué à notre goût. Nous avons sorti début septembre la version 0.4.1.0 de diaspora*, soit une version mineure après la sortie de la 0.4.0.0 fin Juin. En deux ans, nous avons donc sorti 4 versions majeures soit 2405 commits depuis la 0.0.0.0 le 15 octobre. Vous pouvez retrouver chaque release sur github. Je pense qu’on peut le dire, le projet est actif 🙂

Par ailleurs, les critiques techniques relatives au logiciel ont toujours été présentes : diaspora* utilise Ruby et Postgresql ou Mysql, alors que d’autres lui préféreraient XMPP et ou CouchDB. Même s’il faut reconnaître que critiquer les choix technologiques d’un logiciel est pour le geek l’équivalent sportif de la critique des choix d’un sélectionneur d’une équipe de foot, peut-on considérer que Diaspora* est construit sur des bases solides ?

Chaque technologie a ses avantages et ses inconvénients. Si diaspora* avait été écrit en PHP, il aurait été beaucoup plus facile d’installer un serveur, car les mutualisés ont tous PHP disponible. De même, il y a beaucoup plus de monde qui connaît PHP que Ruby, donc nous aurions certainement eu plus de contributions. Pour autant, maintenir une grosse application en PHP est un véritable calvaire, et même si Ruby reste le langage principal de diaspora*, 30% du code est aujourd’hui du JavaScript avec Backbone. Il n’y a pas de technologie parfaite, chacune a ses avantages et ses inconvénients. Les choix faits ici ne sont ni meilleurs ni pires qu’autre chose. La seule problématique importante pour moi est celle du protocole utilisé pour communiquer entre les nœuds. Il n’existe pas de protocole parfaitement adapté pour faire du social de manière décentralisé. Des projets comme Movim ou Libertree se sont basés sur XMPP. Cela a l’avantage d’avoir un chat et une gestion des contacts déjà en place et interopérable avec de nombreux autres services, d’ailleurs, nous travaillons en ce moment à l’intégration d’un chat basé sur XMPP dans diaspora*. Mais XMPP n’est pas non plus le protocole miraculeux : il n’est notamment pas prévu pour gérer la notion de messages “publics”, c’est à dire sans destinataire particulier. Je n’ai cependant pas étudié suffisamment le fonctionnement de ces protocoles pour en parler en détail (à quand une interview de Timothée sur le Framablog ?) En tout cas, l’idée de partir sur quelque chose de nouveau (mais basé sur Salomon) pour diaspora* puis de l’améliorer au fur et à mesure avant de le faire devenir un standard “De Facto” est une manière de faire classique sur le web. Donc, pourquoi pas.

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Les expérimentations d’autres réseaux sociaux fédérés et décentralisées sont nombreuses. Que penses-tu, à titre personnel, de tels projets, comparés à Diaspora* ?

La réponse précédente explique mon point de vue sur la question. Il est rare de voir des gens travailler d’abord sur un standard puis les projets l’implémenter, même si c’est ce que cherchent à faire les gens de Tent.io. En général, on voit plutôt chaque projet se développer dans son coin, et celui qui fonctionne le mieux devient un standard et il est adopté par les autres. La diversité est toujours bonne quand la concurrence est saine. Ce qui est certain, c’est qu’on aimerait bien avoir une plus grande interopérabilité entre les projets, nous travaillons notamment un peu avec Friendica / la RedMatrix et GNU Social, mais on manque vraiment de monde pour travailler sur ces sujets.

Très récemment, Diaspora* est revenu sur le devant de la scène médiatique : les réseaux sociaux décentralisés seraient devenus un repaire pour djihadistes en mal d’hébergement et de visibilité. Peux-tu nous en dire plus sur cette affaire ?

Nous avons vu arriver en quelques jours environ 200 comptes qui diffusaient du contenu de propagande pour l’État Islamique. La communauté s’est très vite mobilisée pour lister les contenus susceptibles d’être illégaux puis nous avons averti chaque administrateur. Selon le pays où il se trouve, un hébergeur est responsable du contenu sur ses serveurs. À ma connaissance, les podmins ont donc choisi de supprimer les contenus litigieux. C’est un choix que chaque administrateur a eu à faire, de par la nature décentralisée du réseau diaspora*, la fondation n’est pas responsable des contenus et n’a donc pas eu de rôle légal dans l’histoire. Vous pouvez en savoir plus en lisant les articles rédigés sur le blog pour l’occasion : https://blog.diasporafoundation.org/

Diaspora*, c’est une poignée de développeurs bénévoles sur leur temps libre, et très, très peu de fonds. Facebook, c’est plus de 7 000 employés à temps plein et un chiffre d’affaires de près de 8 milliards de dollars en 2013. Les réseaux sociaux libres ont-t-il une chance face au mastodonte Facebook ?

Tout dépend où l’on fixe l’objectif. Comme je l’ai dit dans la première question, si le but est d’avoir plus d’utilisateurs que Facebook, probablement pas. Mais notre but est-il là ? Pour moi, notre but est de permettre aux gens qui veulent quitter Facebook de le faire facilement. Si nous arrivons à offrir un équivalent de qualité facile à utiliser, nous aurons réussi, peu importe le nombre d’utilisateurs. Il y en a déjà bien assez pour ne pas se sentir seul.

Il y a ces derniers jours un gros buzz autour d’Ello, un nouveau réseau social qui se veut une alternative à Facebook, avec plus de liberté pour l’utilisateur (possibilité d’utiliser un pseudo, moins strict sur le contenu autorisé (pornographique notamment), pas de pub ni de revente de données). Est-ce que tu penses que de nombreuses personnes vont migrer de Facebook vers ce projet, nouveau concurrent de diaspora* ?

Le seul avantage que je vois à Ello est la facilité à comprendre le projet pour les Mme Michus : un site, une entreprise, un compte à se créer bref, aucun nouveau concept à assimiler pour l’utiliser, à la différence des réseaux décentralisés qui sont différents de ce à quoi les gens sont habitués. Mais l’intérêt s’arrête là. La comparaison ne tient sur aucun des autres points : les avantages mis en avant par Ello et cités dans la question sont présents dans tous les réseaux sociaux Libres que je connais. Pour autant, Ello ne propose aucune garantie :

  • Code source fermé : impossible de savoir ce que fait vraiment le logiciel ;
  • Plateforme centralisée : impossible d’installer son instance pour contrôler ses données ;
  • Compagnie à but lucratif qui vient de lever presque $500k auprès de FreshTracks Capital (lire https://aralbalkan.com/notes/ello-goodbye/) ;
  • …et même dans l’application, aucun réglage de vie privée, que des messages publics…

Bref, Ello n’est clairement pas la solution que l’on attend pour remplacer Facebook, et je crois que beaucoup l’ont déjà compris. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que depuis que ce buzz a commencé, nous avons vu plus de 3 000 personnes inactives depuis longtemps se reconnecter sur diaspora*, lisant les articles sur Ello et se rappelant qu’elles avaient déjà entendu parler d’une vraie alternative libre à Facebook. L’annonce de ce projet est donc une bonne nouvelle pour Diaspora*, cela démontre qu’aujourd’hui encore nous avons besoin d’une alternative solide.

Où peut-on tester Diaspora* aujourd’hui ?

Il y a de nombreux serveurs ouverts à l’inscription, le site officiel indique bien (et en français) comment commencer dans l’univers de diaspora*. Si vous ne savez pas lequel choisir et que vous avez confiance en Framasoft pour héberger vos données, alors framasphere est le serveur qu’il vous faut !

Merci Flaburgan, quelque chose à ajouter ?

Bien sûr : si vous aussi vous pensez que le Web a besoin d’un endroit où tous peuvent communiquer sans que leurs données soient analysées à des fins publicitaires ou autres, venez nous donner un coup de main ! Nous avons un wiki très complet et besoin de tout type de contributeurs, développeurs (Backbone, Bootstrap, Rails ou SQL) comme traducteurs, communicants / marketing, blogueurs, sysadmin et autre ! Découvrez comment contribuer au code ou de manière non technique.

Notes

[1] Note de Framasoft : on vous en reparle très bientôt ! 🙂




Le web a 25 ans ! Tim Berners-Lee en appelle à une charte de l’Internet

« Le 12 mars 1989, Tim Berners-Lee propose un projet pour en finir avec certaines problématiques rencontrées lors du partage des informations au CERN (Centre européen pour la recherche nucléaire). Sa proposition table sur la mise en place d’un système distribué s’appuyant largement sur les liens hypertexte. Comme on le sait, le principe a rencontré un succès tel qu’il a été généralisé les années suivantes pour toute sorte d’informations publiques. Le web était né. » (source PC Inpact)

Le problème c’est qu’envisagé au départ comme un bien commun à tous, il a subi depuis de nombreuses attaques de ce qu’on pourrait appeler « l’État/marché »…

Remarque : Ne pas confondre web et internet (le premier n’étant qu’une sous-partie du second).

 

Tim Berners-Lee

 

Une Magna Carta en ligne : Berners-Lee en appelle à une déclaration des droits pour le web

Jemima Kiss – 12 mars 2014 – The Guardian
(Traduction : Penguin, Juliette, diab, Achille, Diin, goofy, lamessen, Kcchouette, Mooshka)

An online Magna Carta: Berners-Lee calls for bill of rights for web

L’inventeur du web nous met en garde sur le fait que la neutralité subit des attaques soutenues des gouvernements et des entreprises.

L’inventeur du World Wide Web croit qu’une « Magna Carta » en ligne à l’échelle mondiale est nécessaire afin de protéger et d’ancrer l’indépendance du moyen de communication qu’il a créé et les droits de ses utilisateurs.

Sir Tim Berners-Lee a déclaré au Guardian que le web a fait l’objet d’attaques croissantes de la part des gouvernements et d’influentes sociétés, et que de nouvelles règles s’imposaient pour protéger « l’ouverture et la neutralité » du système.

Parlant exactement 25 ans après qu’il a écrit la première ébauche de la première proposition de ce qui allait devenir le World Wide Web, l’informaticien a déclaré : « Nous avons besoin d’une constitution mondiale – une déclaration des droits ».

L’idée d’une Grande Charte de Berners-Lee s’inscrit dans le cadre d’une initiative appelée Le web que nous voulons, nous invitant à créer un projet de lois numériques dans chaque pays – principes qu’il espère soutenus par des institutions publiques, des fonctionnaires gouvernementaux et des entreprises.

« Sauf à avoir un Internet libre et neutre sur lequel nous pouvons nous appuyer sans nous soucier de ce qui se passe en coulisses, nous ne pouvons pas avoir un gouvernement ouvert, une bonne démocratie, un bon système de santé, des communautés reliées entre elles et une diversité culturelle. Ce n’est pas naïf de croire que l’on peut avoir cela, mais c’est naïf de penser que l’on peut l’obtenir en restant les bras croisés. »

Berners-Lee a été un critique virulent de la surveillance des citoyens américains et anglais à la suite des révélations faites par le lanceur d’alerte de la NSA Edward Snowden. Compte tenu de ce qui a vu le jour, dit-il, les gens sont à la recherche d’une profonde révision dans la façon dont les services de sécurité ont été gérés.

Ses opinions font également écho dans l’industrie de la technologie, où il est particulièrement en colère sur les efforts fournis par la NSA et le GCHQ anglais pour saper les outils de sécurité et de cryptage – ce que beaucoup d’experts de sécurité affirment comme étant contre-productif et compromettant vis-à-vis de la sécurité de chacun.

Les principes de la vie privée, liberté d’expression et l’anonymat responsable seront étudiés dans cette Grande Charte. « Ces problèmes nous ont pris par surprise » a déclaré Berners-lee. « Nos droits sont bafoués de plus en plus souvent de tous les côtés et le danger est que nous nous y habituons. Je tiens donc à utiliser ce 25e anniversaire pour nous inviter à mettre la main à la pâte afin de reprendre la main et définir le web que nous voulons pour les 25 prochaines années. »

La proposition pour la constitution du web devrait aussi examiner l’impact des lois sur le copyright et les problèmes socio-culturels en rapport avec les éthiques de la technologie.

Alors que la régulation régionale et les sensibilités culturelles du web peuvent varier, Berners-Lee affirme croire en un document partagé sur les principes que pourrait apporter une norme internationale sur les valeurs d’un web ouvert.

Il demeure optimiste sur le le fait que cette campagne Le web que nous voulons puisse atteindre le grand public, malgré son manque apparent de prise de conscience dans l’affaire Snowden.

« Je ne dirais pas que les gens au Royaume-Uni sont indifférents. Je dirais qu’ils ont plus confiance en leur gouvernement que dans d’autres pays. Ils optent pour l’attitude : Comme nous avons voté pour eux, laissons les agir et faire leurs preuves. »

« Mais nous avons besoin que nos avocats et nos politiciens comprennent la programmation, comprennent ce qui peut être fait avec un ordinateur. Nous avons également besoin de revoir une grande partie de la législation, comme ces lois sur le copyright qui mettent les gens en prison pour protéger les producteurs de films. Il s’agit également de préserver et protéger l’expression des individus et la démocratie quotidienne dont nous avons besoin pour gérer le pays », poursuit-il.

Berners-Lee se prononce fermement en faveur du changement de l’élément à la fois clé et controversé de la gouvernance d’Internet qui supprimerait une petite, mais symbolique, partie du contrôle américain. Les États-Unis s’agrippent au contrat IANA, qui contrôle la base de données principale de tous les noms de domaines, mais ont fait face à une pression de plus en plus importante à la suite de l’affaire Snowden.

Il explique: « Notre demande du retrait du lien explicite menant vers la chambre du commerce des États-Unis est en souffrance depuis longtemps. Les États-Unis ne peuvent pas avoir une place prépondérante dans quelque chose qui n’est pas national. Il y a grand élan vers une séparation et une indépendance même si les États-Unis conservent une approche qui maintient les gouvernements et les entreprises à l’écart. »

Berners-Lee réitère aussi son inquiétude quant au fait que le web pourrait être balkanisé par des pays et des organisations qui morcelleraient l’espace numérique pour travailler selon leurs propres règles, qu’il s’agisse de censure, de régulation ou de commerce.

Nous avons tous un rôle à jouer dans ce futur, dit-il en citant les récents mouvements de résistance aux propositions de régulation du droit du copyright.

Il dit : « Le point-clé c’est d’amener les gens à se battre pour le web, de les amener à voir les dommages qui seraient causés par un web fracturé. Comme tout système humain, le web a besoin d’une régulation et bien-sûr que nous avons besoin de lois nationales, mais nous ne devons pas transformer le réseau en une série de cloisonnements nationaux. »

Berners-Lee fit également une apparition lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012, en écrivant les mots “this is for everyone” (NdT : « Ceci est pour tout le monde ») sur un ordinateur au centre du stade. Il est demeuré fermement attaché au principe d’ouverture, d’inclusion et de démocratie depuis son invention du web en 1989, en choisissant de ne pas commercialiser son modèle. Il rejette l’idée qu’un contrôle gouvernemental ou commercial sur un moyen de communication aussi puissant soit inévitable, « Tant qu’ils ne m’auront pas ôté les mains du clavier, je continuerai à défendre cela. »

Le créateur du web accessible à tous

Ayant grandi dans le sud-ouest de Londres, Tim Berners-Lee était un fervent ferrovipathe, ce qui l’a amené à s’intéresser au modèle des chemins de fer puis à l’électronique.

Cela dit, les ordinateurs étaient déjà un concept familier dans la famille – ses deux parents ayant travaillé à la création du premier ordinateur commercialisé du monde, le Ferranti Mk1.

Berners-Lee sortit major de sa promotion en physique à Oxford et a ensuite travaillé à divers postes d’ingénieur. Mais ce fut au CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire à Genève, qu’il prit part aux projets qui mèneront à la création du world wide web.

Son but était de permettre aux chercheurs du monde entier de partager des documents et ses premières propositions furent jugées « vagues mais intéressantes » par un directeur au CERN.

Il a combiné des technologies existantes telles que l’Internet et l’hypertexte pour produire un immense système interconnecté de stockage de documents. Berners-Lee l’appela le world wide web (NdT : la toile d’araignée mondiale), bien que ses collaborateurs francophones trouvaient cela difficile à prononcer.

Le web a d’abord été ouvert aux nouveaux utilisateurs en 1991. puis, en 1992, le premier navigateur a été créé pour parcourir et sélectionner les millions de documents déjà existants.

Bien que le web ait vu la création et la perte de fortunes innombrables, Berners-Lee et son équipe se sont assurés qu’il était libre d’utilisation pour tous.

Berners-Lee travaille maintenant, par le biais de diverses organisations, à s’assurer que le web soit accessible à tous et que le concept de neutralité du net soit respecté par les gouvernements et les entreprises.

Crédit photo : Wikimédia Commons




Un nouveau service de courrier qui mérite le détour

Schnail Mail : un vrai service de courrier gratuit, pour la vie !

Toujours à la recherche d’alternatives à vous proposer, Framasoft a trouvé important de relayer et promouvoir le récent projet d’Aral Balkan, c’est pourquoi nous traduisons ici (merci à kinou pour son aide !) la page de lancement de sa version bêta.

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Découvrez Schnail, vous allez l’adorer.

Ça vous dirait de bénéficier d’un service de courrier gratuit à vie ?

— Eh bien c’est exactement ce que Schnail Mail vous propose dès aujourd’hui .

Avec Schnail Mail vous pouvez envoyer autant de messages que vous voulez, de vraies lettres et des cartes postales, tout ce que vous voulez.

C’est entièrement gratuit et c’est pour la vie.

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Votre courrier gratuit, à vie…

Cette offre vous intéresse ? Vous avez envie d’en profiter ?

Pour que tous vos amis puissent aussi bénéficier de Schnail Mail, il vous suffit de cliquer sur le bouton ci-dessous :

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Bon, il faut préciser qu’il y a un petit inconvénient :

Nous ouvrons votre courrier.

Et nous le lisons.

enveloppe ouverte : Chère Léa, tu avais raison c'est bien de l'herpès, bisous , olivier

Petit inconvénient : nous lisons votre courrier.

Mais nous ne le faisons que pour vous rendre service et informer vos destinataires des offres exclusives et des produits qui pourraient les intéresser.

enveloppe ouverte : même texte que précédemment mais avec une publicité pour une crème antivirale.

Nous ne cherchons qu’à rendre service.

(Nous conservons également une copie de chacune de vos lettres pour pouvoir créer un meilleur profil de vous et de vos amis, et ainsi vous envoyer des offres toujours plus personnalisées au fil du temps. Considérez que nous sommes pour vous comme un ami invisible que vous ne connaissiez pas)

Ensuite nous refermons soigneusement votre lettre et nous l’envoyons.

enveloppe refermée

Impeccable, comme si nous ne l’avions pas ouverte.

J’espère que vous êtes toujours intéressé par Schnail Mail. N’hésitez pas à cliquer sur le bouton ci-dessous pour nous faire savoir que vous êtes prêt à utiliser Schnail Mail :

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Mmmh, vous avez changé d’avis ? Je ne vois pas pourquoi.

C’est comme ça que fonctionne Gmail.

Vous utilisez bien Gmail, non ?

enveloppe avec le logo Gmail

Pourquoi n’aimeriez-vous pas Schnail ? Nous vous proposons simplement l’équivalent de Gmail pour votre vrai courrier.

La différence c’est qu’avec Gmail, Google ne se contente pas de lire votre courrier électronique pour mieux vous profiler, mais va aussi en tirer toutes les données que vous confiez à vos messages pour les transmettre à des dizaines de services et applications : par exemple Google drive (tous vos fichiers), Google+ (vos amis, vos proches, les mises à jour de vos statuts…), Google Now, Google Maps, etc. (où vous étiez, où vous êtes, avec qui, où vous serez demain) et ainsi de suite, continuellement.

Les choses, du reste, ne s’arrêtent pas là. Google vend aussi des appareils bon marché (des smartphones sous Android, des tablettes et des Chromebooks) qui vous facilitent la vie quand il s’agit de s’inscrire à leurs services.

En fait, maintenant Google est en train de devenir fournisseur d’accès à Internet. Si votre identifiant pour Internet est aussi votre identifiant pour les services de Google, toute votre activité en ligne peut être captée et analysée quel que soit l’appareil ou le service que vous utilisez.

Alors reconnaissez que Schnail Mail n’est pas aussi intrusif, n’est-ce pas ?

Qu’en dites-vous ?

Faites confiance à votre copain Schnail Mail.

Du même auteur (articles en anglais)

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L’art de vivre de Richard Stallman

Goûts musicaux, culinaires, vestimentaires, etc. vous saurez tout (ou presque) sur Richard Stallman !

En récente conférence à l’Ubuntu Party de Paris, je cherchais un article simple et léger à faire faire à Internet pour illustrer la traduction collaborative sur Framapad. Je me suis souvenu de ce lifestyle de Richard Stallman qui intéressera peut-être ceux que le personnage interpelle ou fascine au delà de son action directe en faveur du logiciel libre.

Le passage sur le port (ou pas) de la cravate est particulièrement savoureux 😉

Preliminares - CC by-sa

Le mode de vie de RMS

RMS lifestyle

Richard Stallman – dernière version 2013 – Site personnel
(Traduction : goofy, P3ter, yanc0, Garburst, Cyb, kaelsitoo, yostral, Asta, VIfArgent, yostral, tcit, Chuckman, Jim, Framartin)

Je n’ai pas de préférence particulière pour ceci ou pour cela.

Je n’ai pas de nourriture favorite, de livre favori, de chanson favorite, de blague favorite, de fleur favorite ou de papillon favori. Mes goûts ne fonctionnent pas de cette manière.

En général, dans les domaines des arts ou des sensations, les choses peuvent être bonnes de trente-six manières et elles ne peuvent être comparées ni classées. Je ne peux juger si je préfère le chocolat ou les nouilles, car je les aime différemment. Ainsi, je ne peux pas déterminer quel est mon aliment préféré.

Domicile

Jusqu’en 1998 environ, mon bureau au MIT était aussi mon lieu de résidence. C’était même mon adresse officielle pour voter. Aujourd’hui ma résidence est à Cambridge, pas loin du MIT. Cependant, j’y suis rarement étant donné que je voyage beaucoup.

Musique

  • Parmi les genres musicaux que j’apprécie on trouve la musique folk espagnole (mais pas le Flamenco), la musique folk lettone, le fiddling folk suédois, la musique traditionnelle marocaine, la musique de danse des Balkans, la musique de danse folklorique turque, la musique classique turque, la musique arménienne classique, la musique chorale géorgienne, la musique classique indienne (j’ai tendance à préférer la carnatique à l’hindoustani), la musique orchestrale javanaise et balinaise, la musique traditionnelle vietnamienne, la musique de cour japonaise (Gagaku), la musique de danse folklorique japonaise (Minyo), la musique folklorique des Andes (sauf quand les paroles sont en espagnol et d’inspiration romantique), et la musique traditionnelle folk américaine quand elle est vivante.
  • J’aime les arts musicaux européens, mais j’ai moins d’attrait pour eux que je n’en ai eu il y a quelques décennies.
  • J’aime la musique polyphonique des époques médiévales. Surtout à partir de 1200, avec le hoquet. Toutefois, le chant grégorien a une complexité suffisante pour m’impliquer.
  • Je n’apprécie pas tellement le jazz, peut-être parce que je n’en connais pas assez à son sujet. Cependant, j’aime quelques fusions qui incluent le jazz. Par exemple, la musique de mariage bulgare (une fusion de la musique folk jazz et bulgare) et le jazz latino.
  • J’aime certaines œuvres avant-gardistes — par exemple, le pianiste Conlon Nancarrow.
  • Si quelque chose est populaire aux États-Unis, je le trouve la plupart du temps ennuyeux, mais il y a de temps à autres des exceptions. J’ai aimé la majeure partie de ce que j’écoutais à la radio avant les Beatles. Aux alentours de 1980, il y a eu une autre époque à laquelle j’ai entendu sur les radios des autres une quantité importante de musique que j’aimais.
  • Je déteste particulièrement la musique country. Je n’aime pas non plus le rock « dur », ou les ballades romantiques lentes. Le « heavy metal » est trop « dur » à mes oreilles ; de toute manière le son dans un gamelan de bronze est bien plus grave.
  • Quand un style de musique étranger commence à devenir populaire aux États-Unis, cela prend souvent une tournure que je n’approuve pas. Par exemple, j’aime la musique de danses folkloriques bulgares mais j’en ai assez des chœurs féminins qui sont devenus un hit aux USA dans les années 80. À cette époque, la musique de Youssou N’Dour était intéressante, mais quand il a commencé à faire des disques en visant les goûts américains et européens, l’étincelle s’est éteinte.

Nourriture

  • Je suis un omnivore : je vais tester presque n’importe quoi si cela ne me dégoûte pas.
  • Je refuse de manger les animaux les plus intelligents, comme les singes, les cétacés et les perroquets.
  • Une fois, à Taiwan, j’ai mangé des insectes, surtout des larves d’abeilles et des criquets. J’ai aimé les larves d’abeilles, et j’espère avoir l’occasion d’en manger à nouveau. Lors d’une autre visite à Taiwan, j’ai mangé du serpent (deux sortes de serpent, selon deux préparations différentes). J’ai bien aimé, mais pas énormément non plus.
  • Le thon cuit a un goût horrible. C’est une énorme perte de cuire le thon !
  • Je refuse de manger des ailerons de requin, parce que la pêche pour les ailerons décime les requins. Pour des raisons semblables, j’ai à présent des doutes sur les sushis de thon (bien que j’aime ça).
  • Je soutiens le boycott total de Coca Cola Company, en réponse au meurtre des délégués syndicaux en Colombie et au Guatemala. Je n’utiliserai aucun des produits de cette société et j’espère que vous les rejetterez aussi.
  • « Petit déjeuner » ? Est-ce cette chose que les gens mangent le « matin » ?

Religion

  • Je suis athée, pour des raisons scientifiques. La théorie de la religion sur le monde naturel (« c’est cette voie parce que Dieu l’a décidé ainsi ») n’explique rien du tout, elle remplace une question par une autre.
  • J’ai aussi rejeté l’idée que l’opinion de Dieu nous donnerait une ligne de conduite morale. Un dieu qui permettrait qu’autant de souffrances arrivent — la plupart n’étant pas le résultat du libre arbitre de quelqu’un — n’est certainement pas utile en tant que guide. Il aurait tout autant le droit à une opinion que vous ou moi mais son opinion n’aurait pas de droit à un quelconque respect supplémentaire.
  • La religion n’offre pas de raccourci moral. C’est à nous de juger ce qui est bon et ce qui est mauvais.

Vêtements

  • Toutes mes chemises ne sont pas rouges ou mauves, bien que beaucoup le soient. J’aime ces couleurs.
  • Aucune de mes chemises ne porte de messages (tels que des mots, ou des symboles). Cette pratique me semble manquer de dignité, c’est pourquoi je ne porte pas de vêtements ornés de symboles, même pour des causes que je soutiens. Ce n’est pas un refus basé sur des raisons éthiques, donc cela ne me dérange pas de vendre des casquettes et des t-shirts portant des slogans pro-logiciels libres au nom de la FSF mais je refuse d’en porter moi-même.
  • Par principe, je refuse de posséder une cravate.

Je trouve les cravates inconfortables, donc je n’en porte pas. Si les cravates étaient simplement une option vestimentaire, je refuserais simplement de les utiliser mais il n’y aurait aucune raison de faire tout un tapage à ce sujet. Cependant, il y a une pression sociale absurde sur les hommes pour qu’ils portent des cravates. Ils le font dans le but d’aspirer à devenir le patron.

Lorsque je travaillais au MIT, j’étais choqué que les diplômés du MIT, des gens qui auraient pu imposer eux-mêmes leurs conditions pour avoir un emploi, se sentaient obligés de porter des cravates à des entretiens d’embauche, même pour des entreprises qui (ils le savaient) avaient le bon sens de ne pas leur demander de porter des cravates au travail.

Je pense que la cravate signifie: « Je serai un employé tellement servile que je suis prêt à faire des trucs complètements stupides juste parce que vous me dites de les faire. » Se rendre à un entretien d’embauche sans cravate est une façon de dire que vous ne voulez pas travailler pour quelqu’un qui cherche des employés serviles.

Les gens qui portent des cravates dans ces circonstances sont des victimes-complices : chaque personne qui craque sous la pression et porte une cravate augmente la pression sur les autres. C’est un concept central pour comprendre d’autres formes de propagations de cochonneries, comme les logiciels propriétaires ou Facebook. En fait, c’est grâce aux cravates que j’ai d’abord compris ce phénomène.

Je ne condamne pas les victimes-complices, puisque ce sont d’abord des victimes avant d’être des complices. Mais je crois que je ne dois pas être l’un d’eux. J’espère que mon refus de porter une cravate rendra la chose plus aisée à refuser pour d’autres.

La première fois que j’ai visité la Croatie, il y avait dans ce pays une grande campagne de publicité basée sur l’origine de la cravate (« Cravate » et « Croatie » sont de la même famille). Vous pouvez imaginer mon dégoût pour cette pub — et donc j’ai appelé ce pays « Cravatland » pendant un moment.

La tenue correcte exigée par la Free Software Foundation nécessite une casquette à hélice, tout le reste est optionnel. Quand bien même nous n’appliquons pas cette règle.

« Cartes de fidélité »

Je refuse d’avoir des cartes de fidélité personnelles car elles sont une forme de surveillance. Je préfère payer un peu plus pour ma vie privée et résister à un système abusif. Allez voir sur nocards.org pour plus d’informations à ce sujet.

Cependant, ça ne me dérange pas d’utiliser la carte ou le numéro de quelqu’un d’autre de temps en temps pour faire des économies. Ça ne me surveille pas moi.

J’utilise les cartes Grand Voyageur des compagnies aériennes puisque de toute façon elles demandent à connaître mon identité. Cependant, je n’achèterai rien d’autre avec cette carte pour obtenir des miles, parce que je préfère payer comptant et rester anonyme.

Téléphones Portables

Je refuse d’avoir un téléphone portable car ce sont des dispositifs de localisation et de surveillance. Ils permettent au système du téléphone d’enregistrer les déplacements de l’utilisateur, et beaucoup (peut-être tous) peuvent être convertis à distance en dispositifs d’écoute.

En outre, la plupart d’entre eux sont des ordinateurs avec des logiciels non libres installés. Même s’ils ne permettent pas à l’utilisateur de remplacer le logiciel, quelqu’un d’autre peut le remplacer à distance. Dès lors que le logiciel peut être modifié, nous ne pouvons pas le considérer comme équivalent à un circuit. Une machine qui autorise l’installation de logiciels est un ordinateur, et les ordinateurs devraient tourner avec des logiciels libres.

Quand j’ai besoin d’appeler quelqu’un, je demande à une personne à proximité de me laisser passer un appel.

Vacances

La plupart du temps je ne m’occupe pas des vacances, sauf Grav-mass (NdT : L’anniversaire de Newton, le 25 décembre, i.e. Noël). Elles n’ont pas d’effet direct sur moi, étant donné que je travaille lorsque je le décide (c’est-à-dire la plupart du temps) et fais autre chose lorsque je le désire.

Si j’avais une famille, et que les vacances étaient une occasion particulière pour pratiquer une activité de loisir lorsque les autres n’ont pas à aller au travail ou à l’école, cela serait une raison rationnelle de s’y intéresser. Toutefois, j’ai décidé de ne pas avoir de famille, et je n’ai pas besoin d’attendre des vacances pour voir mes amis.

La plupart des fêtes sont devenues des événements commerciaux : les relations publiques des grandes compagnies ont inculqué aux gens qu’acheter des trucs pour leurs amis et leur famille était « la chose à faire » ces jours-là, qu’il s’agissait de la plus sincère expression d’amour. Je n’aime pas me sentir obligé d’offrir un cadeau pour un événement sans valeur, et je ne veux pas recevoir de cadeaux dans ces circonstances non plus ; ainsi, je m’abstiens.

Trains

J’aime les trains, et je préfère prendre le train pour plusieurs heures que prendre l’avion.

Toutefois, je refuse catégoriquement de prendre les trains Amtrak car ils vérifient les identités des passagers (parfois, pas toujours). Rejoignez-moi dans le boycott d’Amtrak jusqu’à ce qu’ils arrêtent d’exiger l’identification.

Apprentissage de langues

Dans un premier temps, j’utilise un manuel pour apprendre à lire la langue et des enregistrements audio pour m’initier à la prononciation des mots. Une fois le manuel terminé, je commence à lire des romans pour enfants (pour les 7-10 ans) avec un dictionnaire. Je passe ensuite aux livres pour adolescents quand je connais assez de mots pour que la lecture soit assez rapide.

Lorsque mon vocabulaire est suffisamment développé, je commence aussi à utiliser la langue dans les emails que j’échange avec des natifs.

Je n’essaie pas vraiment de parler une langue tant que que je ne connais pas suffisament de mots pour dire les choses complexes que j’ai, d’ordinaire, envie de dire. Les phrases simples sont à peu près aussi rares dans mes discours que dans cet article. En plus, je dois connaître la façon de demander comment dire telle ou telle chose, ce que signifie tel ou tel mot, comment différencier le sens de certains mots, et comment comprendre les réponses. J’ai commencé à parler français lors de ma première visite en France. Je décidai, lors de mon arrivée à l’aéroport que je ne parlerai que français pendant les six semaines de mon séjour. Ce fut frustrant pour mes collègues dont l’anglais était bien meilleur que mon français. Mais cela m’a permis d’apprendre.

J’ai décidé d’apprendre l’espagnol quand j’ai vu une page dans cette langue et me suis rendu compte que je pouvais en lire une grand partie (étant donné mon niveau de français et d’anglais). J’ai suivi l’approche décrite ci-dessus et j’ai commencé à parler espagnol lors d’une visite à Mexico quelques années plus tard.

Quant à l’indonésien, je n’ai pas assez de vocabulaire pour parler tout le temps cette langue quand je suis en Indonésie, mais j’essaie de le faire autant que je peux.

Éviter l’ennui

J’ai horreur de m’ennuyer, et comme j’aime accomplir beaucoup de choses, je n’aime pas perdre mon temps. Ainsi, j’ai toujours avec moi un ordinateur et un livre. Lorsque je dois attendre quelques minutes et que je peux m’asseoir, je travaille. Lorsque je dois rester debout, ou n’ai pas assez de temps pour accomplir quelque chose de significatif sur l’ordinateur, je lis.

Lorsque j’attends mes bagages à l’aéroport, je fais toujours une de ces deux choses. Et je vois les gens autour de moi, inquiets et passifs. Quel gâchis.

Crédit photo : Preliminares (Creative Commons By-Sa)




Pourquoi le projet de loi américain SOPA nous menace-t-il tous 1/3

Stop SOPAD’un côté l’État, de l’autre le citoyen. Champ de bataille : Internet. Enjeu principal : la liberté. Parfois le front est international et ça donne l’ACTA, parfois il est national comme l’actuel SOPA aux USA.

Le problème avec les USA , c’est que tout ce qui est national impacte l’international tant est grande leur influence sur l’Internet.

Qu’est-ce donc que ce nouvel acronyme SOPA dont on parle trop peu de notre côté de l’Atlantique ?

« Le Stop Online Piracy Act (ou SOPA), aussi connu sous le nom de H.R.3261, est un projet de loi américain qui élargit les compétences de la législation américaine et des ayants-droit pour lutter contre la contre-façon en ligne de la propriété intellectuelle..SOPA prévoit toute une série de mesure à l’encontre des sites contrevenants. Les pénalités prévues incluent notamment la suspension des revenus publicitaires et des transactions en provenance de services comme Paypal, l’interruption du référencement sur les moteurs de recherche, et le blocage de l’accès au site depuis les principaux opérateurs internet. SOPA criminalise également le streaming de contenu protégés. Les initiateurs de SOPA affirment qu’elle protège les secteurs économiques américains dépendant de la propriété intellectuelle et donc nombre d’emplois et de revenus financiers. Il paraît ainsi nécessaire de renforcer la législation existante, notamment à l’encontre des sites étrangers. Ses détracteurs la qualifient de censure numérique. »

Et Wikipédia de conclure avec la prudence qui la caractérise : « Elle malmènerait l’ensemble d’Internet et menacerait la liberté d’expression. »

Pour ce qui nous concerne, nous n’hésitons pas à lever ce conditionnel et nous nous associons par nos traductions au combat que mène dans l’urgence et avec d’autres l’Electronic Frontier Foundation (EFF) pour tenter de modifier la donne.

Comme le souligne Jérémie Zimmermann sur La Quadrature du Net : « Des mesures de censure du Net aussi vastes et disproportionnées au nom du droit d’auteur sont la conséquence directe de la guerre globale des industries du divertissement contre le partage sur Internet. Alors que la Commission européenne et les États Membres de l’Union européenne poussent à la ratification de l’ACTA pour intensifier la guerre contre le partage, il est clair que les mesures inclues dans SOPA seront bientôt discutées en Europe si rien n’est fait pour les arrêter ».

PS : Cet article fait partie d’un dossier consacré à SOPA sur le blog. On notera que le projet de loi a été ajourné mais ne nous réjouissons pas trop vite…

Quel est le problème avec SOPA ?

What’s Wrong With SOPA?

Electronic Frontier Foundation – Décembre 2011
(Traduction Framalang/Twitter : Kamui57, Skhaen, Gordon, Stephanie, Toto, Martin, Quota)

L’Acte pour Stopper la Piraterie en Ligne (Stop Online Piracy Act, SOPA, H.R. 3261) est une nouvelle loi dangereuse débattue en ce moment à la Chambre des représentants américains. Ses partisans arguent que SOPA cible les sites étrangers « véreux » encourageant les infractions sur internet, mais le langage approximatif qu’elle emploie donnerait naissance à de nouveaux outils dévastateurs pour museler des paroles légitimes partout sur le web.

Malgré l’opposition de longue date d’une coalition diversifiée comprenant des organisations de lutte pour les droits de l’homme et les libertés civiles, des leaders de l’industrie technologique, des experts en sécurité, des spécialistes en droit, des législateurs des deux partis, et beaucoup d’autres, la loi progresse rapidement à travers le Congrès, alimentée par des injections massives d’argent de la part des grandes entreprises de contenus (et donc de gestion des droits d’auteur).

Que pouvons-nous faire pour arrêter cette loi désastreuse ? C’est le moment de prendre le téléphone pour appeler votre député à Washington, et lui faire savoir que nous ne tolèrerons pas cette loi de censure d’internet. Voici quelques faits pour vous aider à comprendre pourquoi :


  • SOPA donne aux individus et entreprises un pouvoir sans précédent pour museler l’expression en ligne. Avec SOPA, des individus ou entreprises pourraient envoyer une notification aux partenaires financiers d’un site (NdT : exemple Paypal), exigeant que ces derniers cessent de traiter avec le site ciblé — même si le site en question n’avait jamais été reconnu coupable d’infraction devant un juge américain. Comme beaucoup de sites dépendent de ces revenus pour couvrir leurs frais de fonctionnement, une seule accusation d’infraction pourrait les ruiner.
  • SOPA donne au gouvernement encore plus de pouvoir pour censurer. L’avocat général peut rayer des sites du web en créant une liste noire et exiger des prestataires de services (tels que les moteurs de recherche et les registraires de nom de domaine) de bloquer les sites appartenant à cette liste.
  • SOPA utilise un langage approximatif dont il va profiter/qui sera exploité. La loi cible presque chaque/n’importe quel site hébergeant du contenu genéré par les utilisateurs ou même qui n’a qu’une fonctionnalité de recherche de contenu, en ne garantissant aucune protection pour les contenus légaux.
  • SOPA ne stopperait pas la piraterie en ligne. Les outils puissants mis à la disposition de l’avocat général gêneront beaucoup les utilisateurs lambda, mais les utilisateurs motivés et expérimentés les contourneront très facilement.

S’il vous plaît appelez aujourd’hui et faites entendre votre voix sur cette question importante. Vous trouverez le numéro de votre député(e) ici : https://eff.org/sopacall.

Il y a beaucoup d’autres raisons pour lesquelles SOPA dessine un avenir sombre à l’avenir d’Internet : cette loi va saper les efforts de défense des droits de l’Homme, interférer avec d’importantes initatives sur la sécurité d’Internet, et balkaniser Internet. Pour plus d’informations sur ces dangers, vous trouverez notre couverture continue de la loi sur https://www.eff.org.

-> Lire d’autres articles consacrés à SOPA sur ce blog




La neutralité du Net, par Jean-Pierre Archambault

Desbenoit - CC by - Wikimedia Commons« La neutralité du Net ou la neutralité du réseau est un principe qui garantit l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Ce principe exclut ainsi toute discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise sur le réseau. »

Telle cette introduction Wikipédia ou cette illustration ci-contre, cela semble simple a priori.

Mais si l’on veut mieux la comprendre et en appréhender ses enjeux, le format Twitter ne suffit plus (surtout en cette période trouble où l’illimité pourrait prendre fin en France)

C’est dans ce but que nous publions un nouvel article de Jean-Pierre Archambault qui n’a pas son pareil pour nous présenter progressivement et limpidement un problème complexe 🙂

Et d’achever ainsi son propos : « Diderot et d’Alembert ont peut-être rêvé à un outil miracle faisant accéder en un tour de main tous les humains à toute la connaissance… L’enjeu est de conserver leur rêve devenu réalité. »

La neutralité du Net

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Jean-Pierre Archambault – juin 2011 – Association EPI

Le numérique est partout. Les débats sociétaux qu’il suscite se multiplient. Ainsi celui sur la neutralité du Net qui s’est installé de plain-pied dans l’actualité. Deux raisons principales sont à l’origine de ce débat : l’accroissement du trafic et la montée de questions juridiques et marchandes. S’interpénètrent des questions scientifiques, techniques, juridiques, économiques, commerciales, politiques, ainsi que celles de la liberté d’expression et de la citoyenneté, géopolitiques.

Le trafic sur internet ne cesse de croître, une évidence que cette rançon du succès ! La vidéo, gourmande en bande passante, sature les réseaux. Le marché mobile des terminaux explose. Les infrastructures doivent évoluer et se développer, le haut débit en premier lieu. Qui doit payer ? Qui pourrait payer ? Des mesures de discrimination, blocage et filtrage (pour les flux illicites), antinomiques avec la philosophie du Net, sont mises à l’ordre du jour, issues de problématiques comme la lutte contre la cybercriminalité, les modèles économiques de l’immatériel, des industries culturelles. La neutralité du Net rencontre ici les débats qui ont accompagné la transposition de la DADVSI, la loi Hadopi… La question se pose également de savoir si le Net est vraiment neutre. Et si la vision d’un cyberespace « idéal » et insensible aux réalités géopolitiques de la planète est réaliste et pertinente.

Un réseau de réseaux

Internet est un réseau de réseaux (de beaucoup de réseaux, grande distance, intranets, locaux) en trois couches : une couche physique (le fil de cuivre des réseaux téléphoniques, la fibre optique…), une couche logique (les logiciels, les protocoles d’internet) et des contenus[1]. Les câbles et les réseaux qu’ils interconnectent appartiennent à l’État ou à des entreprises privées. Les ordinateurs au sein du réseau fournissent un service de base – le transport des données – avec des fonctions très simples nécessaires pour les applications les plus diverses. L’intelligence et la complexité, à savoir le traitement de l’information, sont situées dans des ordinateurs à la lisière du réseau.

La philosophie d’internet repose fondamentalement sur l’absence de discrimination dans l’acheminement des flux et dans le fait de pouvoir, pour tout un chacun, accéder librement au réseau sans avoir à en demander la permission à une autorité. Des travaux montrent qu’un réseau d’information public est d’efficacité maximale s’il aspire à traiter tous les contenus, sites et plates-formes, de manière égale[2].

Cette architecture favorise l’innovation. En effet, les inventeurs ont seulement besoin de connecter leurs ordinateurs, sans qu’il faille modifier ceux de l’intérieur. La structure d’internet n’est optimisée pour aucune application existante spécifique, en conséquence le réseau est ouvert à toute innovation non prévue à l’origine. Il est neutre, au sens où un propriétaire du réseau ne peut pas sélectionner des données au détriment d’une nouvelle structure innovante qui menace une application en situation dominante. Les créateurs n’ont pas besoin d’obtenir une permission de quiconque pour développer une nouvelle application. Les opérateurs réseaux qui font circuler les paquets d’informations ne doivent pas y toucher. Sauf cas de force majeure, comme une congestion de réseau ou une attaque, ils doivent les transporter sans discrimination que ce soit, selon la source, la destination ou le type de message auquel le paquet appartient (données, voix, audio, vidéo). Ce principe est étendu aux services et applications, ce qui interdit les pratiques commerciales de distribution exclusive, d’exclusion et de traitement prioritaire au sein des offres internet.

D’autres réseaux fonctionnent « comme internet » : le réseau électrique auquel tout un chacun peut se connecter pourvu que son équipement corresponde aux normes du système, le réseau autoroutier car, à partir du moment où la voiture a été homologuée et où le conducteur a son permis de conduire, le concessionnaire de l’autoroute n’a pas à savoir pourquoi ni quand l’usager emprunte celle-ci.

Internet repose sur des standards ouverts de formats de données (HTML pour écrire des pages web) et de protocoles de communication (TCP/IP, HTTP). Il fonctionne à base de logiciels libres : Apache, SendMail, Linux… Il est donc difficile de verrouiller le réseau par la pratique du secret. Les logiciels libres contribuent à construire une plate-forme neutre. Ils la protègent par des licences comme la GPL et la diffusion du code source, garantissant aux développeurs qu’elle le restera dans l’avenir.

Au-dessus du réseau internet « se répandent à grande vitesse des applications du web comme les réseaux sociaux, le commerce électronique, l’usage des smartphones ou des tablettes, les blogs, les chats, la téléphonie sur IP, la géolocalisation, les sites de notation des restaurants, hôtels, voyages, les sites de rencontres, les sites de partage de vidéos, les jeux en ligne, etc. On pourrait se dire qu’on est vraiment embarqués sur un “bateau ivre”… De plus, vu les dangers et les menaces de piratage dont les médias se font écho pratiquement chaque jour, on peut également se dire que le bateau, en plus d’être “ivre”, navigue dans un véritable “champ de mines” !!! »[3]. Nous y reviendrons.

Les acteurs du Net

Quels sont les acteurs du Net ? Les internautes bien sûr. La puissance publique. Sur le plan économique, « la dernière décennie a consacré l’organisation économique d’Internet en quatre groupes d’acteurs : producteurs d’éléments de réseaux et de terminaux (ex. Intel, Microsoft, Cisco, Alcatel-Lucent, Dassault Systems), opérateurs réseaux (ex. AT&T, Verizon, France Télécom), fournisseurs de services et intermédiaires (ex. Google, Amazon, eBay, Pages Jaunes) et producteurs de contenus (ex. The Walt Disney Company, Time Warner, Lagardère, Reed Elsevier). La catégorie la plus récente, les intermédiaires, est celle qui participe le moins à l’investissement dans les réseaux, échappe largement à l’impôt et réalise les bénéfices les plus importants. C’est aussi celle qui occupe une part croissante des ressources en bande passante »[4]. On compte de l’ordre de 27 000 acteurs de par le monde.

Internet est une plate-forme qui semble mettre les internautes en relation directe, ce qu’elle n’est pas. Il y a le coeur du réseau, à savoir les réseaux d’accès avec la boucle locale (dédiée à une habitation ou à une entreprise) en cuivre ou en fibre optique, les opérateurs étant les fournisseurs d’accès à internet. Les points d’interconnexion assurent l’ouverture sur les autres réseaux d’accès par l’intermédiaire des « backbones », épine dorsale du réseau mondial[5]. Concernant les tuyaux et les flux de données, il y a donc les fournisseurs d’accès au client final, les opérateurs de transit au niveau du backbone, les hébergeurs qui stockent les données (dans des serveurs, les « data center »), les fournisseurs de « cache ».

Qui paye ?

Au plan mondial, le marché du transit et du cache représente quelques milliards d’euros, celui de l’accès plusieurs centaines de milliards d’euros. Historiquement les fournisseurs de contenus payaient les opérateurs de transit mais pas les fournisseurs d’accès. Aujourd’hui, les fournisseurs d’accès font payer une partie de leurs contrats aux fournisseurs de contenus. La téléphonie subventionne l’accès à internet. Nous avons vu ci-avant que la catégorie des intermédiaires (Google…) était celle qui participait le moins à l’investissement dans les réseaux, échappant largement à l’impôt et réalisant les bénéfices les plus importants. Les consommateurs payent davantage que les fournisseurs de contenus. Les enjeux sont d’importance et la bataille fait rage.

Le trafic va continuer à augmenter. La qualité de l’internet dépend en grande partie du dimensionnement des interconnexions, de la taille des tuyaux entre les réseaux des fournisseurs d’accès et les autres opérateurs de l’internet. Il va falloir investir dans les infrastructures fixes et mobiles. Qui va payer ? L’écosystème d’internet est complexe. Ménager un bon équilibre économique ne va pas de soi car les conflits d’intérêt sont bien réels. Comment par exemple mettre en place des mécanismes amenant les opérateurs qui induisent un trafic à payer aux fournisseurs d’accès un montant dépendant de la partie asymétrique des flux qu’ils engendrent ?

Certains, se fondant sur le fait qu’internet est et doit rester un bien commun de l’humanité, avancent l’idée d’un caractère et d’un financement publics, reposant donc sur l’impôt (notamment la fiscalité numérique qui reste un objectif majeur à mettre en oeuvre), d’une infrastructure publique d’intérêt général. Au même titre que d’autres infrastructures, par exemple les adductions d’eau, le réseau ferré ou les réseaux électriques qui le sont, l’étaient ou devraient le redevenir. Car le risque existe de dégradation de la qualité si les opérateurs n’investissent pas dans les réseaux ou privilégient la commercialisation des services gérés, mettant ainsi à mal le principe de non-discrimination, un des piliers de la neutralité du Net. Par exemple, les opérateurs réseaux sont tentés de facturer aux offreurs de contenus des services de livraison prioritaire, et aux abonnés une qualité de service privilégiée ou des bouquets de contenus exclusifs. En tout état de cause, la puissance publique ne saurait se désintéresser d’une infrastructure sociétale stratégique.

Une question centrale : la gestion du trafic

Faut-il mettre de l’intelligence dans le réseau ? Internet ne donne pas de garanties de performances dans l’acheminement, contrairement aux réseaux de type « circuits virtuels ». Les applications n’ont pas les mêmes besoins en termes de performances. La vidéo requiert beaucoup de bande passante, ce qui n’est pas le cas de la messagerie. Les applications en temps réel, synchrones, comme la téléphonie, se distinguent des applications asynchrones, le transfert de fichiers par exemple. La qualité dépend de l’interconnexion, de l’éloignement aussi, ce qui met en évidence l’intérêt du « peer to peer » qui distribue les échanges de fichiers entre plusieurs utilisateurs. Des routeurs sont capables de faire de la gestion de trafic à très haut débit avec des priorités. Faut-il permettre la discrimination des flux, mettre des priorités (ce qui n’est pas le cas en France pour les offres « triple play ») ? Les marchands répondent oui, on s’en doute. D’autres font dépendre la réponse du caractère commercial ou non des applications. Il y aurait alors l’internet et le non internet des services gérés. Ce qui supposerait que le commercial ne pénalise pas l’internet, qu’il y ait une garantie de qualité. Et il y a ceux pour qui il ne saurait y avoir de priorisation sur internet, bien commun, les services gérés n’existant que pour des applications qui en ont vraiment besoin. On pense par exemple à des services d’urgence médicale. Dans tous les cas, assurer la protection du principe de neutralité suppose des obligations de transparence imposées aux opérateurs en matière de gestion de trafic.

Sous l’angle du blocage et du filtrage

Le débat sur la neutralité du Net s’est aussi développé sous l’angle du « blocage », qui consiste à empêcher une communication sans inspection de contenu, et du « filtrage », qui repose sur une inspection de contenu, les deux soulevant des questions liées à la liberté d’expression sur internet. Les pouvoirs publics recherchent en la circonstance des moyens pour faire respecter la loi sur internet et lutter contre la cybercriminalité. Effectivement, l’État doit combattre les comportements attentatoires aux principes et valeurs de la société. Internet n’est pas un espace de non-droit. Les industries culturelles font pression, au nom de leurs modèles économiques traditionnels, pour empêcher l’accès aux contenus « illicites ». Mais l’on sait que la frontière avec les contenus « licites » peut être franchie. Et l’on sait surtout que les modèles économiques de l’immatériel ne peuvent pas être ceux de la production des biens matériels, les coûts marginaux de production et de diffusion d’un exemplaire supplémentaire étant quasi nuls[6]. Un vaste et tumultueux débat qui est loin d’être clos !

Un opérateur d’accès qui aurait une obligation légale de blocage serait amené à intervenir sur les contenus alors que son métier consiste à les acheminer. Les techniques de blocage (d’adresses IP, de noms de domaine, d’URL) et de filtrage ont un coût. Sont-elles efficaces ? Elles se contournent (utilisation de sites « miroir », de proxy, recours à un réseau privé virtuel) et peuvent engendrer des effets pervers (sur-blocage – les faux positifs – et sous-blocage – les faux négatifs –, chiffrement qui présente des risques pour la sécurité bien supérieurs à la défense des intérêts protégés…). Il est interdit d’utiliser son téléphone portable au volant. Pour autant, on n’a pas (encore ?) mis en place des dispositifs de blocage de cet usage-là.

Le rapport d’information déjà cité rappelle (page 34) : « Bien que, de manière générale, la Constitution n’oblige pas le législateur à prévoir l’intervention du juge pour prononcer toute mesure de restriction de la liberté individuelle, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision sur la loi HADOPI, qu’en raison de l’importance de la liberté d’expression et de communication et du rôle que joue l’accès à internet à l’égard de cette liberté, le législateur ne peut pas laisser une autorité administrative prononcer la sanction de suspension de cet accès. Il a ensuite précisé dans sa décision sur la LOPPSI que les dispositions confiant à l’autorité administrative le pouvoir de prononcer des mesures obligatoires de blocage “assurent une conciliation qui n’est pas disproportionnée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et la liberté de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789”, la décision de l’autorité administrative étant notamment toujours contestable devant le juge. »

Mais internet est-il vraiment neutre ?

Prenant un peu à contre-pied le débat sur la neutralité du Net, certains posent la question (iconoclaste ?) de savoir s’il est vraiment neutre. Serait-ce un mythe ?[7] La neutralité débattue est relativisée.

Le grand public ne le sait pas toujours mais l’ICANN, une association de droit californien, contrôle les ressources critiques que sont les adresses IP, les extensions et noms de domaines (fonction importante, noeud stratégique qui conditionne la visibilité sur le réseau), de par une dévolution du Ministère Américain du Commerce et dans l’absence de transparence requise ! Ainsi la France gère-t-elle son domaine national (.fr) en vertu d’une délégation accordée par cette association. Il est pour le moins surprenant et paradoxal de voir un espace public mondial géré par une association californienne ! Une nouvelle gouvernance, dans laquelle notamment chaque État aurait voix au chapitre dans des rapports d’égalité et en toute indépendance, s’impose car elle est une exigence légitime.

La couche basse d’internet, son épine dorsale en particulier, ce sont des câbles qu’il faut fabriquer et poser, sous la terre, les mers et les océans, ce sont des satellites. Et il faut gérer ces infrastructures. Ce monde est opaque et non régulé. Il est tenu par un club très fermé de gros transporteurs, pour l’essentiel des firmes états-uniennes. Elles contrôlent la quasi-totalité du trafic au plan mondial, ce qui leur procure en passant des profits substantiels.

On a vu que la mise en relation des internautes était loin d’être directe. Il y a des intermédiaires, qui plus est, de plus en plus puissants et concentrés : Google, Amazon, eBay, Apple, Yahoo, MSN, Facebook et autres compagnies. Ils commercialisent tout ce qui peut l’être dans le nouveau monde numérique : données personnelles, données de connexions, statistiques, musique, livres… Et si l’on ne connaît pas les algorithmes que Google utilise, en revanche on sait qu’il leur arrive d’accorder des « faveurs » dans leurs classements au bénéfice de sites avec lesquels l’entreprise entretient des relations commerciales. L’attention des internautes est captée à leur insu. Ils sont devenus la cible de producteurs de contenus en recherche de consommateurs. L’informatique est à la fois du calcul, du stockage et de la communication. L’approche de la neutralité du Net doit être globale. Elle doit aussi s’intéresser aux programmes et aux applications dont on doit savoir ce qu’ils font exactement. Et aux informations (quelles informations ?) qu’ils stockent on se sait trop où pour des utilisations dont il arrive qu’on les ignore.

Des questions de fond, planètaires

Avec internet, nous sommes de plain-pied dans des questions qui ont à voir avec l’état du monde et son devenir[8]. L’économie de la planète s’est réorganisée autour d’internet. Est en question le contrôle du commerce mondial, enjeu majeur comme ont pu l’être dans les siècles passés le contrôle du détroit des Dardanelles ou du canal de Suez. La mondialisation des activités humaines, long processus qui ne date pas d’hier, signifierait-elle dissolution des civilisations, des cultures, des langues (il existe d’autres caractères que latins sans accent : indiens, cyrilliques, arabes, mandarin… et un DNS peut s’écrire avec des idéogrammes), des systèmes économiques, des frontières, des modèles juridiques, des distances… des différences entre les hommes ? Fort improbable (on peut légitimement penser que c’est mieux ainsi) si l’on se réfère à la réalité observée. Quid alors de cette perception d’internet système global, homogène, offrant une plate-forme universelle de communications multimédia ? Exception paradoxale ou mythe, un de plus ? « L’internet est un réseau de réseaux autonomes depuis son ouverture commerciale au début des années 80. Il est fragmenté par construction, et il le restera »[9]. Et cette fragmentation devrait se renforcer. Avec « des webs “régionaux” ou même “continentaux”, à l’instar de la Chine et de son “AsiaNet” ; des webs “linguistiques”, où l’on pourra utiliser toute la puissance de sa langue maternelle pour exprimer une recherche, une adresse email ; des webs “culturels” qui embarqueront ou non des webs sectaires et/ou ethniques ; des webs “fermés”, sécurisés, anonymisés, plus ou moins cachés selon les objectifs suivis par leurs promoteurs et/ou utilisateurs ; des webs commerciaux, sur base “navigation” et/ou activité sociétale, essayant avec des bonheurs divers d’attirer des internautes dans leurs filets pour en revendre l’identité et leurs besoins et/ou habitude et/ou opinion… »[10]. La Chine s’est émancipée du contrôle américain de l’internet et ce sera bientôt le cas de l’Inde. Cela a nécessité le travail de milliers d’ingénieurs pendant des années.

Pourtant, « un épouvantail agité fréquemment par les gardiens du temple est la balkanisation ou fragmentation du réseau, avec son cortège de calamités, discontinuité des communications, confusion des noms et adresses, instabilité, insécurité, perte de fiabilité… Faudrait-il s’efforcer de maintenir au maximum un système de contrôle historique dont les éléments critiques sont verrouillés par le gouvernement des États Unis ?… oubliant au passage que la Chine a construit son propre internet, qu’il existe des milliers d’intranets… S’il fut un temps où l’ICANN, mandataire du gouvernement US, faisait la loi, on observe maintenant un réveil des gouvernements dits du sud… Le tropisme de fragmentation se renforce à mesure que les enjeux techniques deviennent minoritaires au regard d’autres domaines comme la propriété intellectuelle, le filtrage des informations, les investissements en infrastructure, la législation, la criminalité, ou les facteurs culturels et religieux »[11]. S’affrontent des modèles de cybersociétés, ayant chacune leurs valeurs, avec leur cortège de cyberconflits, cyberattaques[12], opérations de manipulation et désinformation, leurs enjeux en matière de souveraineté, de régulation et de sécurité des systèmes d’information. Dernière illustration en date, la publication par les États-Unis de leur « International Strategy for Cyberspace » dans laquelle ils indiquent leur volonté de réguler l’internet, de promouvoir un Internet « ouvert, interopérable, sécurisé et fiable »[13]. Un objectif louable mais, pour autant, les moyens annoncés ne manquent pas d’en inquiéter légitimement plus d’un de par le monde. En effet, « pour réaliser ce futur et aider à promulguer des normes positives, les États-Unis associeront diplomatie, défense et développement pour favoriser la prospérité, la sécurité et l’ouverture afin que chacun puisse bénéficier de la technologie du réseau ». Et les points sont mis sur les « i » : « Les États-Unis vont, avec d’autres nations, encourager un comportement responsable et s’opposer à ceux qui chercheront à perturber les réseaux et systèmes, en dissuadant et démasquant les acteurs malicieux, en défendant ces installations nationales vitales de façon aussi nécessaire et appropriée qu’il faudra. Nous nous réservons le droit d’utiliser tous les moyens – diplomatiques, informatifs, militaires et économiques – si appropriés et compatibles avec la loi internationale, afin de défendre notre nation, nos alliés, nos partenaires et nos intérêts. Nous épuiserons toutes les options avant d’en venir à la force militaire à chaque fois que nous le pourrons. » Le cyberespace est décidément bien dans l’espace « réel » !

Des mesures à prendre

L’enjeu de défense d’un bien commun et d’un bien public à l’échelle de la planète se situe donc dans un contexte global pluraliste. Cela étant, réaffirmer ces caractères de bien commun et bien public ainsi que le bien-fondé de l’intervention de la puissance publique reste fondamental. Cela implique quelques mesures qui figurent dans le rapport parlementaire déjà cité : inscrire dans la loi le principe de neutralité ; prévoir a minima l’intervention systématique du juge pour éviter les dérives en matière de blocage et s’interroger sur son efficacité ; réserver l’appellation internet aux services respectant le principe de neutralité et ainsi les distinguer des services gérés à caractère commercial ; obliger à une qualité « suffisante » pour tous les internautes. En définitive, faire en sorte qu’internet reste une plate-forme ouverte. Diderot et d’Alembert ont peut-être rêvé à un outil miracle faisant accéder en un tour de main tous les humains à toute la connaissance… L’enjeu est de conserver leur rêve devenu réalité.

Jean-Pierre Archambault
Président de l’EPI

PS : le débat sur la neutralité du Net est un débat de société qui concerne tous les citoyens. Il mêle d’une manière inextricable des questions politiques, économiques, juridiques et des concepts scientifiques et techniques : couches et protocoles de l’internet, adresses IP, réseaux d’accès et de transit, réseaux privés virtuels, routage, gestion du trafic, interconnexion des réseaux, chiffrement, standards ouverts… D’une manière évidente, un exercice plein de la citoyenneté suppose des connaissances de la science informatique, des représentations mentales efficientes. Fort opportunément, le programme de l’enseignement de spécialité optionnel « Informatique et sciences du numérique » créé en Terminale S à la rentrée 2012 comporte une partie consacrée aux réseaux. Une première avancée bienvenue pour les élèves de la filière scientifique ! Et tous sont concernés.

Notes

[1] Rapport parlementaire d’information déposé par la Commission des Affaires Économiques sur la neutralité des réseaux : Voir « Internet en 32 points », pages 16 à 20. « Innover ou protéger ? Un cyber-dilemme », Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 58 de juin 2006, p. 42-45.

[2] Voir rapport parlementaire ci-dessus note 2, page 13.

[3] « La Netocratie », Mauro Israël, Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ?, juin 2011. http://www.forumatena.org…

[4] « La neutralité du Net, un mythe paradoxal », Dominique Lacroix, Forum Atena Mythes et légendes des TIC, page 16. http://www.forumatena.org

[5] Voir rapport parlementaire ci-dessus note 2, « Interconnexion, transit et peering », pages 52 à 56.

[6] « Téléchargement sur Internet : quelle légitimité ? », Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 57 de mars 2006, p. 42-45.

[7] Voir note 5 « La neutralité du Net, un mythe paradoxal », Dominique Lacroix, Forum Atena Mythes et légendes des TIC, page 16.

[8] Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ? juin 2011. http://www.forumatena.org…

[9] « Où va l’internet ? Mondialisation et balkanisation », Louis Pouzin, Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ? juin 2011. http://www.forumatena.org…

[10] Michel Charron, Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ? juin 2011. http://www.forumatena.org…

[11] Voir note 10 « Où va l’internet ? Mondialisation et balkanisation », Louis Pouzin, Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ? juin 2011. http://www.forumatena.org…

[12] « The Malicious Flash Crash Attack ou pourquoi il faudra peut-être ralentir les transactions électroniques », Robert Erra, Forum Atena Où va la cybersociété ? Champ de mines ou bateau ivre ? juin 2011 http://www.forumatena.org…

[13] « Les États-Unis veulent réguler Internet », Orianne Vatin, L’informaticien, le 18 mai 2011.




S’accommoder ou renoncer à Internet Explorer ?

L'actu en patates - Martin Vidberg

Ce dessin de Martin Vidberg illustre bien la situation actuelle des navigateurs. En effet si Internet Explorer ne s’était pas retrouvé d’office dans tous les ordinateurs sous Windows (obligeant toute substitution à un acte engagé de téléchargement), nous n’en serions pas là.

Non, ce n’est pas forcément en cliquant sur le gros E bleu de mon bureau que je vais accéder au réseau. Et oui, commençons (avant de voir plus loin) par éradiquer ce cancer du Net que constitue la version 6 du navigateur de Microsoft, qui fit perdre tant de temps et d’argent aux créateurs de sites web du monde entier.

Vous trouverez ci-dessous le témoignage d’un webdesigner, qui ne souhaite plus se faire de cheveux blancs, et qui, constatant la poussée salutaire de la concurrence, a décidé désormais de passer outre et d’ignorer IE.

Et si c’était au tour des utilisateurs de s’adapter, en prenant 5 minutes de leur temps pour installer une alternative ?

Internet Explorer : un casse-tête pour les designers Web

Internet Explorer Is To Web Standards What Ebonics Is To Standard English

Chris Berry – 18 avril 2009 – Blog
(Traduction Framalang : Balzane, Goofy et Olivier)

Chaque fois que je m’engage dans un nouveau projet de design de site Web, je constate l’impact négatif de Microsoft Internet Explorer. Comme je l’ai déjà dit, je ne réponds pas au cliché du casseur de Microsoft typique, et j’estime que l’augmentation constante de la productivité durant les 20 dernières années est pour une grande part à mettre au crédit de l’universalité de leur système d’exploitation et des logiciels Office. Ceux qui se souviennent de l’époque qui a précédé MS-DOS et Microsoft Office se rappelleront l’absence totale de standard qui rendait virtuellement impossible l’échange de documents avec quiconque n’utilisait pas le même système que vous. Je maintiens que leur monopole dans ce domaine a produit des effets bénéfiques pour tous.

À l’inverse, leur domination sur le marché des navigateurs Web a eu un impact manifestement négatif. Bill Gates reconnaît volontiers que son manque de flair vis-à-vis du développement d’Internet au début des années 90 fut l’une de ses plus grandes erreurs stratégiques. Pour compenser son arrivée relativement tardive sur ce secteur, la société a utilisé sa position monopolistique sur les systèmes d’exploitation pour modeler l’évolution d’Internet selon sa propre volonté. En l’absence de standard universellement accepté à l’origine, Microsoft a développé un navigateur qui tentait d’imposer au Web un fonctionnement identique à celui de n’importe quel autre produit Microsoft. Près de 15 ans plus tard, malgré le développement de standards Web largement reconnus, Microsoft n’a pas encore complètement abandonné cette approche. Aujourd’hui, Internet Explorer reste aux standards Web ce que le langage SMS est à l’orthographe.

La fourniture systématique des premières versions d’Internet Explorer avec le système d’exploitation Windows a assuré à Microsoft une acceptation quasi universelle de son produit, malgré ses limitations manifestes. Suivant les statistiques auxquelles vous vous fiez, de 2002 à 2004 Internet Explorer représentait entre 85 et 95 % de l’ensemble du trafic web. En conséquence, les webdesigners n’avaient pas d’autre solution que d’adapter leurs sites aux comportements propres aux navigateurs Microsoft.

Depuis 1994, le Worldwide Web Consortium (W3C) a travaillé à la mise en place de standards Web universellement reconnus et à empêcher de nouvelles implémentations de technologies propriétaires. Selon leur site Web :

Pour que le Web atteigne son plein potentiel, les technologies Web les plus fondamentales doivent être compatibles entre elles et fonctionner avec n’importe quel matériel et logiciel utilisé pour accéder au Web. Cet objectif est appelé au W3C « l’interopérabilité du Web ». En publiant des standards ouverts (non propriétaires) pour les langages et les protocoles du Web, le W3C ambitionne d’éviter la fragmentation du marché et la balkanisation du Web.

Bien que Microsoft soit membre du W3C, ils ont continué à proposer des produits qui ne remplissent que partiellement cet objectif capital.

Fort heureusement, la domination d’Internet Explorer sur le marché des navigateurs a considérablement diminué ces dernières années, et des navigateurs respectueux des standards comme Mozilla Firefox bénéficient d’une adoption large et rapide. Là encore les statistiques présentent des écarts considérables, mais selon les chiffres du W3C Schools, Firefox représente maintenant 46,5 % du trafic Web, à comparer aux 43,5 % que représentent les différentes versions d’Internet Explorer : IE6, IE7 et le dernier sorti IE8. Les utilisateurs avancés disposent maintenant d’un large choix de navigateurs respectueux des standards et, cumulés, Firefox, Google Chrome, Opera et Safari représentent maintenant 56,1% des navigateurs Web. Un pas de géant dans la bonne direction.

Hélas, 17 % des utilisateurs du Web font toujours confiance à Internet Explorer 6, un navigateur datant d’octobre 2001. Combien d’entre nous portent encore les mêmes vêtements ou regardent les mêmes émissions télés qu’il y a huit ans ? C’est l’année où on a découvert Loft Story et le Maillon Faible. Ces émissions sont apparues, puis ont disparu, mais IE6 lui est toujours parmi nous aujourd’hui. En matière d’espérance de vie, nos années passent encore plus vite pour un logiciel que pour un chien, mais pour diverses raisons IE6 refuse de mourir.

À l’exception des webdesigners et des experts en sécurité, la plupart des gens ne sont pas conscients des limitations importantes d’IE6 ou plus récemment d’IE7. Ils ne comprennent pas combien d’heures et de ressources sont gaspillées avant qu’un site au rendu parfait sous un navigateur conforme aux standards fonctionne aussi sous Internet Explorer. Jusqu’à récemment, bricoler avec les limitations de ces navigateurs était considéré comme un mal nécessaire et peu de designers acceptaient de publier un site si son affichage dans ces navigateurs imparfaits et obsolètes conduisait à une mise en page dégradée.

Compte tenu de la part de marché grandissante des navigateurs respectueux des standards, quelques designers hardis font évoluer leurs habitudes. Cela n’a aucun sens de passer d’innombrables heures à inventer des bidouilles inélégantes et des solutions de rechange disgracieuses pour s’adapter à des utilisateurs qui se cramponnent obstinément à une technologie obsolète. D’un point de vue commercial, il peut être difficile de résister à un client qui insiste pour que son site soit rétrocompatible avec une technologie préhistorique, mais il faut au moins le rendre conscient des coûts supplémentaires importants induits par son exigence.

Selon l’avis de certains, les designers passent autant de temps à obtenir un rendu correct d’un site dans IE qu’à créer le design original. Ceci constitue clairement un gâchis de temps et d’énergie phénoménal et représente une charge financière énorme dont les clients ont rarement conscience. Il faudrait au minimum leur expliquer ouvertement qu’assurer la rétrocompatibilité de leur site avec des navigateurs obsolètes reviendra sensiblement plus cher que la création d’un site conforme aux standards. Tant que les clients ne seront pas au courant que leurs exigences impliquent un tarif très élevé, les utilisateurs d’IE resteront inconscients des problèmes qu’ils causent.

Refuser purement et simplement de prendre en charge les navigateurs non conforme serait plus facile, mais cela ne constitue pas une solution réaliste. Nous pouvons agir pour sensibiliser les internautes néophytes à la nature et à l’étendue des problèmes qu’ils causent. Après avoir créé ce nouveau thème pour mon site, j’ai décidé de ne faire aucune modification pour les utilisateurs d’Internet Explorer. Si vous visitez ce site avec un navigateur respectueux des standards, son rendu sera exactement celui voulu. Si vous utilisez Internet Explorer, la mise en page sera dégradée. Les utilisateurs d’IE7 constateront entre autres qu’en arrière-plan les images et les couleurs ne sont pas assorties, que les boîtes de commentaires ne sont pas alignées avec la marge gauche. Si vous survolez les numéros de pages en bas de l’écran dans IE, vous allez probablement voir leur position sauter de 15 ou 20 pixels. Si vous regardez la page d’accueil ou l’une des pages d’archives, vous allez remarquer des espaces vides supplémentaires entre chaque extrait des billets. Ce sont juste quelques-uns des défauts que j’ai constatés jusqu’ici avec IE7, et je ne me suis même pas préoccupé d’afficher le site dans IE6. Je suppose que c’est bien pire.

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