Libre Accès : quand l’UNESCO montre l’exemple

Excellente nouvelle, l’UNESCO montre l’exemple et fait elle-même ce qu’elle préconise aux autres en rendant disponibles ses propres publications sous licence Creative Commons.

Elle vient ainsi d’annoncer la création d’un portail regroupant déjà plus de 300 documents. Choix sera fait de privilégier la plus libre des licence Creative Commons, la CC By-SA, qui, on le sait, est la mieux adaptée au secteur éducatif (financé sur fonds publics).

3 exemples au hasard : S’adapter au changement climatique et éduquer pour le développement durable, Établir une proposition d’inscription au patrimoine mondial et Un référentiel TIC de compétences pour les enseignants.

UNESCO - REL

L’UNESCO lance son dépôt Open Access sous licence Creative Commons

UNESCO launches Open Access Repository under Creative Commons

Cable Green – 18 décembre 2013 – Creative Commons Blog
(Traduction : Aurélien Pierre)

L’UNESCO a annoncé l’ouverture d’un nouveau dépôt Open Access (NdT : Open Access ou Libre Accès) rendant disponibles plus de 300 rapports numériques, livres et articles, sous licences Creative Commons IGO (Intergovernmental Organizations).

D’après le communiqué de presse de l’UNESCO :

Actuellement, le dépôt contient des travaux dans 12 langues, incluant des rapports majeurs de l’UNESCO et des publications de recherches. De même que les 300 publications en accès libre déjà présents, l’UNESCO va proposer en ligne des centaines d’autres titres et rapports importants. Couvrant un large spectre de sujets en provenance de toutes les régions du monde, ces connaissances peuvent à présent être partagées au grand public, aux professionnels, aux chercheurs, aux étudiants et aux responsables politiques… sous une licence libre.

L’UNESCO va continuer à élargir sa bibliothèque de ressources libres avec certaines anciennes publications et avec tous les nouveaux travaux suivant l’adoption de sa politique Open Access, en avril 2013. Depuis le 31 juillet 2013, toutes les nouvelles publications de l’UNESCO sont libérées avec l’une des licences CC IGO et seront envoyées sur le dépôt Open Access. La majorité des ressources de l’UNESCO seront libérées sous licence CC By-SA (Paternité – Partage à l’identique).

Mention spéciale également à l’UNESCO pour avoir implémenté la plupart des recommandations dans sa Déclaration des Ressources Éducatives Libres, en 2012 à Paris :

d. Promouvoir la compréhension et l’utilisation de dispositifs d’octroi de licences ouvertes.
g. Encourager le développement et l’adaptation des REL dans une grande diversité de langues et de contextes culturels.
i. Faciliter la recherche, la récupération et le partage des REL.
j. Encourager l’octroi de licences ouvertes pour les matériels éducatifs produits sur fonds publics.

En ouvrant ses publications sous licence libre, l’UNESCO ne rend pas seulement accessibles et gratuites les connaissances qu’elle créé, mais elle plus importante encore elle donne ainsi l’exemple et montre la voie à suivre pour ses 195 nations membres (et 9 membres associés), dans les débats politiques actuels pour le partage sous licences libres des ressources financées sur fonds publics. Le message est clair : c’est une bonne idée que d’adopter des politiques d’ouverture des contenus qui augmentent l’accès et réduisent les coûts des ressources éducatives, scientifiques et culturelles.

Félicitations UNESCO !




Quand le Libre souhaite participer à endiguer l’apocalypse des abeilles

Si les abeilles disparaissaient de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre, estiment certains apiculteurs.

Or on assiste depuis une décennie à un phénomène inquiétant en Europe : le syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles.

Et si le Libre permettait d’améliorer la situation en rendant plus accessible la création de ruches ?

Tel est, en gros résumé, l’objectif principal du projet Open Source Beehives qui propose, entre autres choses, des plans de ruches à monter soi-même sous licence libre (CC By-SA).

Open Source Beehives Project

Open Source Beehives Project

Un réseau intelligent de ruches open source peut-il stopper l’apocalypse chez les abeilles ?

Can A Smart Beehive Network Of Open-Source Hives Help Stop The Bee Apocalypse?

Ben Schiller – 18 novembre 2013 – FastCoExist.com
(Traduction : goofy, ardeur, Llu, KoS, Asta, Penguin, Llu + anonymes)

Le projet Open Source Beehives (NdT : Ruches Open Source) vise à ouvrir la voie à l’apiculture à la maison, avec des plans de ruche simples et bon marché. Les abeilles mourant par millions, il faut propager l’information.

Des millions d’abeilles sont mortes — et c’est un vrai problème car nous en avons vraiment besoin. Une centaine de cultures agricoles (d’une valeur estimée à 30 milliards de dollars) dépendent des abeilles pour la pollinisation, sans compter qu’en bénéficient également toutes sortes d’animaux et de plantes. Nous ne pouvons pas vivre sans abeilles.

Les causes de ce syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles (appelé Colony Collapse Disorder en anglais, ou CCD) n’ont pas encore été clairement établies, bien qu’il existe deux suspects principaux, selon une étude récente de l’USDA (NdT : United States Department of Agriculture, le Département de l’Agriculture des États-Unis). Un coupable potentiel est un acarien parasite appelé Varroa destructor, qui suce un fluide du système circulatoire des abeilles et qui porte un virus. L’autre suspect est l’augmentation de l’utilisation d’une classe de pesticide appelée néonicotinoïde. Depuis 2006, époque où les néonicotinoïdes ont commencé à être utilisés largement, les apiculteurs ont signalé qu’ils avaient perdu de 30 % à 90 % de leurs ruches.

Quelle que soit la cause, les agriculteurs vont devoir reconstituer la population d’abeilles, ce qui implique plus de ruches et davantage d’apiculteurs. Le projet Open Source Beehives espère y parvenir en diffusant des plans de ruches simples et bon marché pour qu’il soit facile à n’importe qui de fabriquer la sienne, et encourager la collaboration entre les concepteurs, les techniciens, les chercheurs et les amoureux des abeilles. Pour l’instant, il existe deux modèles : le Colorado Top Bar (dépôt sur GitHub) et le Warré (dépôt sur GitHub). Les équipes à l’origine de ces plans travaillent constamment sur des améliorations.

« Ce plan, facilement transportable, peut être réalisé à partir d’une simple planche de contre-plaqué et s’assemble en quelques minutes sans vis ni colle, comme une Wikihouse pour abeilles » déclare Tristan Copley Smith, de Open Tech Forever, un groupe qui diffuse la technologie open source. Open Tech Forever a imaginé le concept de ruche open source à peu près au même moment qu’un autre groupe, le Fab Lab de Barcelone, l’un et l’autre espèrent désormais impliquer d’autres personnes.

Outre la propagation de ruches bon marché, leur but est d’améliorer la surveillance des abeillles. Ils appellent tous les deux à la conception de capteurs bon marché, pour mesurer l’humidité, la température et d’autres paramètres. Cela aidera les apiculteurs à suivre la santé des colonies et les chercheurs à en apprendre davantage sur ce qui se passe réellement à l’intérieur de la ruche. La version Warré est déjà installée à différents endroits, les capteurs ont été testés à Barcelone, Paris et Bruxelles. Vous pouvez en découvrir davantage sur cette technologie ici :


« Notre objectif est de créer un réseau maillé de colonies intelligentes, qui crée des données ouvertes, partagées sur la plateforme Smart Citizen pour étudier le syndrome d’effondrement et ses causes », explique Colpey Smith. « Nous voulons encourager et faciliter l’apiculture à la maison, tout en éduquant les apiculteurs aux bonnes pratiques et à la création de systèmes d’alerte automatisés ».

Dans cette lettre ouverte du projet Open Source Beehives, vous trouverez plus d’informations sur leurs plans et comment vous investir. « Nous sommes à la recherche de collaborateurs intéressés pour tester nos ruches et nos capteurs avec des colonies actives, si possible dans l’hémisphère sud où c’est actuellement le printemps » dit Copley Smith. « Nous aimerions faire un maximum de tests avant de lancer une campagne Kickstarter en janvier. »

Open Source Beehives Project




Sortie du livre Utopie du logiciel libre – Interview de Sébastien Broca

Nous avons déjà reçu deux fois le sociologue Sébastien Broca dans nos colonnes, pour une théorie de l’intelligence collective appliquée au logiciel libre et pour une critique de notre biographie de Richard Stallman.

Nous renouvelons l’invitation avec d’autant plus de plaisir qu’il s’agit d’annoncer la sortie de son livre Utopie du logiciel libre – Du bricolage informatique à la réinvention sociale (aux édition du Passager Clandestin) que nous tenons déjà pour une référence francophone dans son domaine.

Vous trouverez en annexe ci-dessous copie audio de la chronique de La Matinale du Mouv’ du 25 novembre dernier, intitulée Le logiciel libre, nouvelle révolution ?, avec pour invités Sebastien Broca et Alexis Kauffmann.

Utopie du Logiciel Libre -Sébastien Broca

Entretien avec Sébastien Brocas (par Alexis Kauffmann)

Bonjour Sébastien, petite présentation succincte ?

Bonjour Alexis. Je suis sociologue, rattaché à la Sorbonne (Université Paris 1). Je viens de publier un livre sur le Libre, dans lequel je raconte l’histoire de l’extension du logiciel libre hors du domaine informatique. J’essaie d’y montrer comment on peut à travers cette histoire éclairer certaines questions liées au travail, à la technique ou à la connaissance.

Commençons par la question « qui fâche » (pour l’évacuer) : Pourquoi ce choix de la plus restrictive des licences Creative Commons, la CC By-Nc-Nd ? C’est pour être sûr de ne pas être pris chez Framabook ? 😉

Je sais que c’est un sujet qui fâche beaucoup de libristes (toi y compris!) mais à vrai dire je trouve que ça ne devrait pas. Il faut tout d’abord rappeler que la licence By-Nc-Nd permet à tous ceux que ça intéresse de télécharger l’ensemble du texte en ligne. Cela me semble remplir l’objectif principal : donner un accès facile au livre, qui est une version largement retravaillée de ma thèse.

Pourquoi ne pas aller au-delà ? De manière générale, la clause Nc se justifie à mon avis par la nécessité de maintenir une distinction entre usages commercial et non-commercial des œuvres. Cela me paraît notamment pertinent pour défendre une réforme d’ensemble du droit d’auteur ; La Quadrature du Net et Lionel Maurel sont assez convaincants sur ce point. Dans mon cas précis, la clause Nc permet à mon éditeur de se réserver les utilisations commerciales du texte. Je trouve cela légitime étant donné qu’il a largement contribué à l’élaboration du livre et que la commercialisation de la version papier est, en l’état actuel des choses, le seul moyen dont il dispose pour gagner de l’argent. Je ne crois pas en la désintermédiation totale : un éditeur indépendant comme le mien fait un travail d’accompagnement des auteurs qu’il faut défendre. On est loin du parasitisme qu’on peut dénoncer chez certains gros éditeurs scientifiques.

Quant à la clause Nd, c’est une question qui renvoie au type d’oeuvre concerné. Je trouve que Richard Stallman est assez lucide là-dessus lorsqu’il dit que le droit de modification – important pour les logiciels et plus largement pour les œuvres fonctionnelles – n’a pas à s’appliquer aux œuvres qui expriment une opinion et aux articles scientifiques. Dans ce cadre les processus d’écriture collectifs et itératifs sur le modèle du logiciel libre peuvent parfois avoir des vertus, mais de façon générale je ne pense pas qu’il faille considérer le travail en sciences humaines comme un constant work in progress sur des textes qu’il s’agirait d’améliorer et de « déboguer. » Il y a une différence épistémologique entre programmer un logiciel et échanger des arguments dans le cadre d’une discussion rationnelle, ce qui est à peu près ce qu’on est censé faire en sciences humaines. Dans le second cas, la possibilité de modification n’est pas nécessaire.

Alors, ce livre, Utopie du logiciel libre, invite à prendre Utopie au sens de « utopie concrète ». Peux tu préciser le concept et en quoi selon toi le logiciel libre en est une ?

Oui, je n’utilise pas le terme utopie dans le sens péjoratif courant, afin de dénigrer des ambitions irréalistes et un peu farfelues. Je l’emploie plutôt pour désigner des projets qui dessinent un monde social différent dont rien n’indique qu’il soit totalement hors de portée ou, du moins, qu’on ne puisse pas s’en approcher. Cet usage positif du terme a des racines historiques dans les utopies socialistes du XIXe siècle par exemple, et des racines philosophiques chez des auteurs comme Walter Benjamin, Ernst Bloch ou plus récemment Miguel Abensour.

C’est à Ernst Bloch que je reprends l’expression en apparence contradictoire d’« utopie concrète ». Je l’applique au logiciel libre pour mettre en avant deux choses. D’une part, le logiciel libre et toutes les ramifications qu’on lui connaît désormais (de la culture libre à l’impression 3D) esquisse un modèle social différent : on peut en tirer des idées assez fortes sur ce que devrait être l’organisation du travail, le rapport aux objets techniques ou la régulation des échanges sur Internet. D’autre part, cet idéal utopique n’est pas abstrait ou purement théorique. Il est au contraire incarné et construit à travers des pratiques, que ce soit les pratiques de collaboration dans des projets comme Debian, Wikipédia ou Open Street Map, ou l’activisme de certains libristes sur les questions de propriété intellectuelle (brevets, copyright, régulation des échanges sur Internet). C’est cette conjonction d’un idéal social fort et de pratiques inventives qui permet de parler d’utopie concrète.

Sébastien Broca

Tu parles de « réinvention sociale ». Qu’entends-tu par là et irais-tu jusqu’à parler de « révolution sociale » ?

Le sous-titre du livre est « du bricolage technologique à la réinvention sociale ». C’est précisément une manière de mettre en avant l’importance des pratiques. C’est une façon de dire que si le Libre propose une utopie, ce n’est pas au sens où il aurait construit de manière théorique l’idéal achevé et clos de la meilleure des sociétés possibles. C’est à travers l’écriture de bouts de code, l’expérimentation dans l’organisation des projets collectifs, la création de nouvelles licences ou le bidouillage de certains objets que se dessine, de manière un peu impressionniste, quelque chose de différent. Parler de « bricolage » et de « réinvention » permet d’insister sur cette dimension très concrète et empirique du projet de transformation sociale dont le Libre est porteur.

Dans le même ordre d’idées, je trouve le terme de « révolution sociale » intéressant par contraste avec celui de « révolution politique ». Il souligne que les libristes adhèrent dans leur très grande majorité à une vision du changement social « par en bas » (bottom-up), indépendamment de la conquête des lieux du pouvoir politique. Ils partagent cette idée que les individus peuvent changer les choses en s’auto-organisant, sans qu’il y ait besoin de « prendre le palais d’Hiver ». Adrian Bowyer, le créateur de la Rep Rap, illustre bien cet état d’esprit lorsqu’il dit que son imprimante 3D permet une réappropriation des moyens de production qui fait l’économie de la révolution politique et de ses dangers.

Malgré tout, le terme de « révolution » est peut-être un peu excessif, optimiste ou prématuré. Le Libre est loin d’avoir gagné. Et par ailleurs, il est, sur certains points, plus réformiste que révolutionnaire. Sa dimension utopique est parfois contrebalancée par une dimension plus conservatrice.

Tu penses au débat entre « free software » et « open source » ?

Notamment mais pas uniquement. Disons que quand Google, Amazon ou Free utilisent des logiciels libres, je ne suis pas sûr qu’on puisse parler de révolution. Ce que montre l’économie open source, c’est l’habileté de certaines entreprises à réduire leur coût en mutualisant une partie de leur R&D, ou à commercialiser des services (personnalisation, maintenance, formation, etc.) à partir de logiciels libres dont elles n’ont souvent pas payé le travail d’écriture. On est ici au cœur des nouveaux business models du « capitalisme cognitif » plus que d’une « révolution sociale ».

Tu as déjà suggéré la réponse, mais je te pose quand même la question : es-tu « free software » ou « open source » ?

Je suis plutôt « free software ». C’est une manière de présenter les choses qui me semble beaucoup plus riche et intéressante, quand bien même on n’est pas d’accord avec tout ce que dit Stallman. Le discours de l‘open source, qui s’est le plus souvent résumé à dire « nous sommes pragmatiques, nous n’avons pas d’idéologie », m’énerve. C’est faire comme si les choix technologiques n’étaient pas des choix de société, comme si les technologies étaient neutres et devaient être jugées simplement en fonction de leur « efficacité ». C’est se placer dans la position de l’expert, objectif et détaché de toutes les questions de valeurs, position qui n’est à mon avis pas tenable dès lors que des questions sociales sont en jeu (et la technique en est une). En fait, ce discours est le plus idéologique de tous car il occulte qu’il y a toujours des choix à faire, et que ces choix engagent forcément des valeurs et des prises de position.

La posture du free software, qui se présente comme un « mouvement social », me semble bien plus cohérente. Un des coups de génie de Stallman est d’avoir compris que l’enjeu était la liberté des gens plus que celle des logiciels et d’avoir présenté le free software comme une critique de certaines pratiques sociales à travers la question informatique. Cela donne lieu à des réflexions beaucoup plus stimulantes sur la technologie, sur les bénéfices sociaux liés au partage du code, à la circulation de l’information, etc. Il n’empêche que Stallman dit aussi des choses que je ne trouve pas pertinentes. Quand il suggère que l’utilisation de logiciels propriétaires est une faute morale et qu’il ramène Kant et son impératif catégorique dans le débat, je ne le suis plus. Je ne me sens pas irrémédiablement souillé dès lors que j’utilise un logiciel non libre. De plus, on pourrait sans doute laisser le vieux Kant là où il est dans la mesure où les questions sont plus politiques que morales. Ce qui est jeu, c’est le rapport des gens à la technique, le contrôle sur les données personnelles, la limitation du pouvoir des grandes entreprises informatiques comme Apple. Ce sont des questions de société, qu’on ne gagne à mon avis rien à présenter sous un angle moral. Le free software a pour objet la liberté, question politique par excellence, non le Bien en tant que question morale.

Mais alors, le logiciel libre, il est de gauche ou pas ?

D’un point de vue strictement sociologique il est sans doute ni de droite ni de gauche, dans la mesure où on rencontre tous les profils politiques parmi les contributeurs aux logiciels libres. Plus généralement, les mouvements liés au numérique (le Libre mais aussi les Anonymous, les partis pirates, les collectifs comme La Quadrature du Net) sont assez difficiles à analyser à partir d’une polarisation droite/gauche. D’une certaine manière, ils rejouent ce qui s’est passé il y a quelques décennies avec l’émergence de l’écologie politique : en mettant en avant de nouvelles questions, ils brouillent les clivages politiques préexistants.

Ensuite, il existe indéniablement certains éléments qui font pencher le logiciel libre, du moins dans sa version free software, vers la gauche. L’activisme des libristes (que ce soit contre les brevets logiciels, Hadopi, ACTA, peut-être TAFTA bientôt) se comprend la plupart du temps comme une lutte contre l’appropriation de certains biens informationnels par les multinationales, qui ont ces dernières années réussi à tordre le droit de la propriété intellectuelle dans le sens de leurs intérêts. Ce combat contre le « capitalisme informationnel » (comme l’appelle Philippe Aigrain) est plutôt marqué à gauche. Par ailleurs, une part de ce qui se joue dans lopen hardware, le design libre ou lopen source ecology fait clairement écho à des projets politiques de gauche. Quand on parle de se réapproprier certains savoir-faire pour relocaliser la production, rompre avec la consommation industrielle de masse et les logiques d’obsolescence programmée, on est dans la continuité de ce que pouvaient prôner des penseurs radicaux comme André Gorz. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce dernier s’est beaucoup intéressé au logiciel libre et à la fabrication personnelle à la fin de sa vie. Il y voyait les moyens techniques de concrétiser l’utopie décentralisatrice qu’il n’avait cessé de défendre.

Tu parles donc de « politiques » du Libre au pluriel dans ton livre, mais du Libre au singulier et avec une majuscule. Pourquoi ce choix ?

Le Libre, c’est pour marquer que je désigne quelque chose qui ne concerne plus uniquement le logiciel mais qui est comme un seul et même continent en expansion. Dans la mesure où c’est un mouvement culturel et social, on peut en dériver plusieurs politiques, d’où le pluriel pour ce dernier terme (et ma difficulté à répondre de façon tranchée à la question précédente).

Dans les remerciements du livre, on trouve le Framablog « source d’information incomparable ». Tu nous en vois flattés. En quoi cela t’a été utile pour la rédaction de cet ouvrage ?

Cela m’a été utile de plein de façons. Vous avez réuni en quelques années un nombre d’articles assez impressionnant sur tous les aspects de la culture libre, y compris des traductions d’articles américains sur lesquels je ne serai probablement jamais tombé sans vous. Rien que pour ça le Framablog a été une mine d’or. Je me suis aussi beaucoup nourri des commentaires et des débats plus ou moins « trollesques » auxquels les articles donnent lieu. Ça m’a permis, je l’espère, de mieux capturer l’esprit du Libre mais aussi certaines nuances dans le sens que différentes personnes donnent à leur engagement.

Dernière question : tu as donc observé la communauté « libriste », aurais-tu un conseil à lui donner pour que ses principes, ses valeurs et ses idées pénètrent plus encore la société ?

Un conseil qui me semble assez évident, c’est de se mettre à la place de l’utilisateur non-technicien, vous en savez quelque chose à Framasoft. Peut-être que les libristes ont parfois encore un peu de mal à comprendre que les autres ne comprennent pas, et à mesurer la difficulté qu’il y a à quitter un environnement technologique fermé mais confortable pour des solutions libres dont l’utilisation réclame souvent quelques efforts. Et puis il peut y avoir chez certains une pointe d’élitisme, éventuellement de snobisme, liée au fait d’avoir connaissance de choses que les autres ignorent ou d’avoir des compétences (en informatique notamment) qui semblent complètement ésotériques pour la plupart des gens. Cela a parfois un effet excluant. D’une certaine manière, les libristes rencontrent une question qui se pose plus ou moins à toutes les contre-cultures. Soit ils restent dans l‘underground, fiers de leurs spécificités et de leur singularité. Soit ils font un pas vers le mainstream, mais au risque de voir se diluer ce qui les distinguait du tout-venant. Malgré ce dilemme bien connu, il me semble qu’il y a d’autres manières pour le logiciel libre de mettre un pied dans le mainstream que la manière molle et dépolitisée de l‘open source.

-> Utopie du logiciel libre – Du bricolage informatique à la réinvention sociale

Annexe : Le logiciel libre, nouvelle révolution ?

Extrait audio de La matinale du Mouv’ du 25 novembre Le logiciel libre, nouvelle révolution ? avec Sebastien Broca et Alexis Kauffmann.

Partie 1 (10 min)

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Partie 2 (10 min)

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Sebastien Broca et Alexis Kauffmann - La matinale du Mouv' - 25 novembre 2013




Framasoft invité au bal de l’école par l’Hadopi : on y va ou pas ?

Nous avons tout récemment reçu le mail ci-dessous envoyé par l’Hadopi.

Il s’agit d’une invitation à participer, dans des établissements scolaires, à des ateliers « pour sensibiliser le jeune public au droit d’auteur et à la création » (une dizaine de dates sont programmées aux quatre coins de la France pour le premier trimestre 2014).

« Parmi les éclairages divers que nous souhaiterions apporter aux élèves, le regard de Framasoft nous semblerait évidemment très intéressant. »

L’Hadopi agit là dans le cadre de ses missions puisqu’il est explicitement dit dans la loi : « Les élèves reçoivent une information sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique (…) Cette information porte également sur l’existence d’une offre légale d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin sur les services de communication au public en ligne. »

Première réaction, presque instinctive, au sein de notre association : sourire narquois, méfiance et forte propension à décliner (gentiment) l’invitation. Pas envie de se faire récupérer et servir de caution ou d’alibi.

Il fait dire que quelques ateliers ont déjà eu lieu et qu’à lire les articles suivants de PC INpact, cela incite à une certaine prudence (litote) : Avec la Hadopi, les sites PUR investissent les salles de classe et On a testé la journée portes ouvertes fermées de la Hadopi.

Non, donc, a priori très peu pour nous.

Hadopi

D’un autre côté, c’est tout de même contrariant de laisser des Hadopi, ou pire encore des Calysto et Microsoft, avoir le champ libre (sic) pour pénétrer ainsi l’école et y tenir un discours pas forcément en phase avec le nôtre (nouvelle litote).

Serait-ce une bonne idée d’y aller quand même, sous certaines conditions et en avançant groupés ?

Dans les conditions préalables, il pourrait y avoir l’assurance de disposer d’un réel temps d’intervention dans une totale liberté de parole (avec droit de distribuer quelques petits flyers aux élèves à la fin) ainsi que de pouvoir en toute objectivité relater la journée sur nos sites. Et avancer groupés, cela signifie contacter tous nos petits amis : April, AFUL, La Quadrature du Net, SavoirsCom1, etc. pour se coordonner et être présents à toutes les journées.

Telle est la question que nous vous posons dans les commentaires.

Mail d’invitation de l’Hadopi

Bonjour,

Pour sensibiliser le jeune public au droit d’auteur et à la création, l’Hadopi anime des ateliers auprès des élèves de collège-lycée, en collaboration avec les rectorats.

Ces ateliers visent à informer les élèves sur le droit d’auteur et les mécanismes de la création afin d’encourager la responsabilité et l’esprit critique face aux pratiques culturelles sur Internet. Ils visent également à initier les élèves à la création de façon concrète et ludique et à leur permettre de découvrir un univers culturel.

Pour cela, des artistes et des professionnels sont invités à apporter leur témoignage, leur expertise et leur savoir-faire. Parmi les éclairages divers que nous souhaiterions apporter aux élèves, le regard de Framasoft nous semblerait évidemment très intéressant. Aussi, nous serions ravis que vous puissiez participer à un atelier dans les mois à venir.

Pourrions-nous convenir d’une rencontre prochaine pour vous apporter plus de précisions et – je l’espère – pour envisager ensemble les contours d’une participation ?

Vous trouverez ci-joint un calendrier prévisionnel pour les ateliers des mois à venir, nous vous remercions de nous indiquer si vous pourriez être intéressés par une participation à l’un d’entre eux.

Dans l’attente de votre retour, je me tiens à votre entière disposition.

Mail d’un lycéen

Et pour conclure ce billet sur un son de cloche différent, voici un autre message que nous reçu il y a deux semaines.

Bonjour, je suis élève de Terminale Scientifique et engagé comme beaucoup dans la promotion du logiciel libre. Je vous laisse consulter mon profil sur Wikipédia pour connaitre mes actions.

J’ai proposé à l’animateur culturel de mon lycée d’organiser trois séances de débats sur trois sujets qui me semblent important : les logiciels libres, Internet, le travail collaboratif et les licences libres.

J’aurais aimé savoir si vous aviez des informations à me fournir pour débuter mon travail : dépliants, documents, affiches que je pourrais acheter à l’association et qui permettraient aux intervenants de ces sessions de discussion de repartir avec quelque chose. Il est bien évident que je fournirai un don à l’association[1].

Un travail collaboratif entre les membres de la communauté sur ces sujets pourrait aussi grandement m’aider, pour ne rien omettre et trier les informations les plus importantes. L’idée étant d’intervenir de façon pertinente sur ces sujets et de laisser aux invités le message du débat. D’avance, merci beaucoup de l’aide que vous pourriez m’apporter.

Nous lui avons conseillé de prendre contact avec le Groupe d’utilisateurs de Logiciels libres[2] de son département .

Ce qui fut fait : « ils m’ont tous assuré de leur soutien pour l’écriture et la relecture de mes travaux. Ils m’ont aussi proposé de venir intervenir au sein du lycée. »

Notes

[1] Petit PS en passant à l’Hadopi puisque le lycéen évoque les dons. Framasoft est en campagne de soutien actuellement. Si vous êtes capables de dépenser 3,2 millions d’euros pour une campagne de communication, vous pouvez bien faire un petit geste, non ? 😉

[2] Pour rappel : la liste des GULL francophones sur le site de l’AFUL.




Chapitre VIII — Où Pouhiou cherche le sel et 17 200 mots

S’investissant corps et âme pour la cause du Libre, Pouhiou ne pouvait qu’être fidèle au rendez-vous du Capitole du libre à Toulouse, autant dire chez lui ou presque. Dopé par les rencontres, les échanges et l’accueil qu’il y reçoit, il ne perd pas de vue son objectif et pense dans un dernier sprint atteindre l’objectif initial. Mais au fond peu importe, son tour de France du libre, cette expérience d’un nomadisme épuisant, l’aura aussi enrichi d’un réservoir à fictions où sans le savoir encore, il pourra puiser dans le semaines et mois à venir. 

Mais avant le temps de la décantation génératrice, le voici encore dans celui de l’urgence et de l’instantané, comme dans ses ateliers d’écriture où en régulateur improbable d’une liberté qu’il a malicieusement donnée, il frétille à son aise.

J’irai écrire chez vous épisode 8 : Toulouse.

De retour dans ma ville rose. Prononcer villeuh raâzeuh. Alors que je reviens dans mon fief, je ne m’accorde même pas la grâce de passer par mon chez moi… récit d’un repos mouvementé en plein Capitole du Libre.

Viens chez moi j’habite chez ma voisine.

Les lecteurices de #MonOrchide le savent, j’ai eu habité[1] un appartement dans le quartier Saint Aubin, en haut de la rue de la Colombette (célèbre à Toulouse pour ses kébabs épongeant la bière du Café Populaire). À l’époque je suis devenu ami (à coup de cookies, pancakes et soirées tricot) avec ma voisine. Lorsque Claire s’est proposée pour m’héberger lors de mon passage toulousain, j’ai sauté sur l’occasion. Cela fait quelques mois qu’on se loupe, et que tu coup on se manque. Claire est un peu une madame Marquet sans le côté concierge post soixante-huitarde. Geekette qui collectionne les Livres Dont Vous Êtes le Héros, gameuse, à la fois femme-enfant et femme de tête… Parler avec elle, c’est l’occasion d’échanger plein de petits bouts de culture pulp et de pensées hors-piste : j’adore. Et en plus, Claire habite près de l’ENSEITT

Mon 2e Capitole du Libre

Car c’est là, à moins de 100 m de chez Claire que s’est tenu le Capitole du Libre 2013. La très active association Toulibre a, cette année encore, organisé de main de maitre cette édition des rencontres libristes Toulousaines. Avec FraMartin, nous avons eu le plaisir de tenir le stand Framasoft et d’échanger avec un public présent, averti et nombreux. Vous êtes plusieurs à soutenir Framasoft de vos dons, c’est beau de voir toute l’affection que remporte ce réseau. N’hésitez pas à continuer et relayer notre campagne de dons, on en a besoin ! J’ai aussi eu le plaisir de participer au Supplément Week-End de Xavier sur radio FMR pour une interview culture libre où j’aurais été “cash”… Ce qui ne me ressemble pas du tout du tout ! J’ai enfin fait une conférence sur mes romans (qui choisissent d’être libres) où j’ai été surpris par le nombre de participants. À la fin, un certain Jérémie Z posa de belles questions sur la liberté intrinsèque de la création. Et il me donna ensuite de forts bons conseils sur mes diapos (que je n’aime pas non plus) donc profitez de cette présentation, parce que je ne la diffuserai plus 😉

Mes romans ont choisi d’être libres diaporama de Pouhiou Noenaute

Atelier d’écriture collaborative

Faisons une ellipse temporelle discrète sur la soirée du samedi, qui, comme toute soirée toulousaine qui se respecte, a des allures de 3e mi-temps option “aie-lendemain-bobo-ma-tête-elle-a-rencontré-un-pilier-de-ruddeby”. Le dimanche, toujours dans le cadre du Capitole du Libre, j’anime donc un atelier où l’on écrit à plein un épisode « hors série » des NoéNautes. Une dizaine de participant-e-s sont là, et on démarre. Certains veulent écrire et voir ensuite. D’autres veulent se mettre d’accord auparavant. D’aucunes posent des questions au groupe qui est parfois pris dans d’autres ajustements et corrections. C’est foutraque. Diablement organique. Mais le plus incroyable c’est que ça fonctionne. Je me retrouve en monsieur loyal/agent de circulation, tentant ici de nous faire prendre le temps de l’écoute, là d’activer les choix et l’écriture. J’accompagne le mouvement, conseille, questionne. Mais, in fine, c’est la nouvelle qui s’écrit comme elle l’entend, et le résultat m’époustoufle. J’aime animer ces ateliers. Celui d’aujourd’hui à Lyon est annulé (on s’y est pris trop tard, trop peu d’inscrit-e-s), mais si tu as envie d’en organiser par chez toi, je répondrai présent !

la Reine Victoria (photo via Wikimedia Commons) approuve pleinement la démarche libératrice du DIY littéraire

Je n’ai pas écrit à Toulouse

Nope. Pas un mot. J’ai un retard fou mais je suis assez taré pour y croire encore, à ce seuil des 50 k mots. Mais je n’ai pas écrit à Toulouse. J’étais juste trop naze. Tout le samedi, sur le stand de Framasoft, dès qu’une connaissance me demandait « alors, comment ça va ? » je répondais dans un sourire sincère : « épuisé ». J’étais clairement vidé. À Toulouse, je me suis reposé. Ce n’est pas parce que les lieux me sont familiers : je suis allé à Foix, une ville où j’ai vécu des années, et chez mon petit frère. Je crois que c’était juste le moment de faire une pause. Alors entre le stand, la conférence, les soirées arrosées, l’atelier d’écriture, les discussions… je ne dis pas que ce fut de tout repos. Mais il y a moins de pression. Et bizarrement, la même page Wikipédia (spoiler alert : ce lien dévoile certaines de mes recherches) qui ne m’inspirait pas il y a trois jours est depuis devenue un mine de détails croustillants à inclure dans mon chapitre. Je sais bien que je dois faire confiance au roman : il s’écrit quand il le désire et connait son rythme… sauf que cette confiance ne me vient pas hyper naturellement.

Être “vidé”, c’est pas si mal…

Je crois que cette sensation d’être « passé à l’essoreuse » vient aussi du voyage. J’ai l’impression étrange que cette expérimentation me lave, genre ça récure la personnalité au Jex four. Quand tu changes de maison tous les trois jours, quand tu n’es jamais chez toi, il y a des choses qu’il te faut abandonner. Depuis début novembre, je ne sais jamais où se trouve le sel. Je ne sens jamais le même savon, le même shampoing. Les gens vivent tou-te-s à une température différente, je dois m’y adapter. Les heures de repas, de réveil, les ambiances sonores, la fumée, la lumière : cela change à chaque fois. C’était des conforts que je prenais pour acquis. Pour certains je n’avais même pas conscience d’y être attaché. Et, au fur et à mesure de mes pérégrinations, je me rends compte qu’ils importent peu. Que mes points de repère peuvent être utiles, mais ne sont pas indispensables. Qu’on peut se passer de beaucoup de choses, en fait… Je rappelle juste que je n’aurais pas pu lancer une telle aventure d’échanges et découvertes sans Framasoft, et que Framasoft ne peut pas se passer de vos dons et participations pour continuer à répandre du libre parmi les gens.

Ceci étant dit, j’ai 17200 mots à trouver en 6 jours…

Donc vite, on file à Lyon écrire tout ça.

À dans 3 jours,

— Pouhiou.

Notes :

[1] [NdE] Ceci est un passé surcomposé, l’équivalent grammatical d’une délicieuse petite pointe d’accent du midi.




Agritux : histoire d’une (belle) rencontre entre un agriculteur et un artisan du libre

À l’occasion de notre présence lors des RMLLd sur l’île de la Réunion, voir cet article, nous avons eu l’occasion de rencontrer Jean-Noël Rouchon, qui fait partie de ces « artisans du libre » de plus en plus nombreux, sa structure (Mithril) proposant de nombreux services autour du logiciel libre.


Mais Jean-Noël est aussi le développeur du logiciel de gestion pour le suivi d’exploitations agricoles Agritux. Et l’histoire de la naissance de ce logiciel étant plutôt intéressante, nous souhaitions vous la faire partager.

logo_agritux.png

Bonjour Jean-Noël, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Jean-Noël Rouchon, j’ai 32 ans et je vis à Saint-Joseph, sur l’île de la Réunion. Je suis passionné d’informatique depuis tout jeune ce qui m’a poussé à en faire mon métier. J’ai découvert Linux et monde du logiciel libre quand j’étais étudiant en 2000 avec une mandrake (la 7.2 si je me souviens bien) et j’ai très vite été happé par cet univers-là et la philosophie qui en découle.

Après ma maîtrise, j’ai travaillé pour une entreprise spécialisée dans le logiciel de gestion, mais je ne me trouvais pas à l’aise dans le monde du logiciel propriétaire. J’ai donc fini par créer ma petite entreprise, Mithril Informatique.

Quelles sont les activités principales de Mithril ?

Je travaille sur trois grands axes en même temps :

  • la maintenance de parc informatique, il s’agit principalement de mettre en place et de maintenir des serveurs Linux pour diverses utilisations (serveur de fichiers, base de données, mails, contrôleur de domaine, virtualisation, proxy, portail captif, etc.)
  • le développement d’applications : je me suis spécialisé dans deux langages, le C et le Ruby. J’utilise principalement le C pour des applications multimédias et le Ruby pour des applications métiers (soit application web, soit interface en Gtk)
  • la formation : je complète mon offre par de la formation sur divers sujets (bureautique, distribution Linux, logiciels de gestions, etc.)

L’ensemble des mes prestations est consultable sur le site.

Tu es le développeur d’Agritux, mais… c’est quoi Agritux ?

Agritux est un logiciel de gestion pour le suivi d’exploitations agricoles.

Il permet de faire le suivi par parcelles et par cultures de la production de cultures végétales en gardant une trace des intrants et de la main d’oeuvre utilisée.

Le but étant surtout de pouvoir éditer un « cahier de culture », document officiel qui peut être demandé lors d’un contrôle de l’exploitation par exemple. Il est développé en Ruby avec une interface en Gtk, il fonctionne sous Linux et Windows (et probablement Mac OS aussi mais je n’ai pas eu l’occasion de le tester). Il est bien sûr sous licence libre (GPLv3) et le code source est téléchargeable sur gitorious.

Comment est né ce logiciel ?

L’idée du logiciel a commencé à naître lors des RMLLd de 2011 à St-Joseph. J’ai participé à ces premières Rencontres Mondiales du Logiciel Libre décentralisées en tant que membre d’un GUL de la Réunion (Libre974) et j’ai eu l’occasion de rencontrer pas mal de monde et en particulier plusieurs agriculteurs faisant le parallèle entre les semences libres et le logiciel libre. J’ai pu longuement discuter avec un agriculteur bio, venu là par curiosité.

L’idée du logiciel libre lui a trotté dans la tête un bon moment puisqu’au début de cette année 2013, il me rappelle pour lui installer une distribution Linux sur son ordinateur et pour lui créer un logiciel de suivi d’exploitation agricole, qu’il n’arrive pas à trouver parmi les logiciels libres déjà existants. Les premières lignes de code d’Agritux sont écrites en avril 2013.

J’ai pu constater qu’Agritux interessait pas mal d’agriculteurs (et d’enseignants de lycée agricoles) à la Réunion. Mais sais-tu si le logiciel interesse des publics similaires en métropole ou à l’étranger ? Comment envisages-tu l’avenir d’Agritux ?

Il y a eu en effet un intérêt certain pour Agritux lors des dernières RMLLd, plus que je ne l’imaginais. J’en déduis que ce type de logiciel correspond à un besoin réel de beaucoup d’agriculteurs.

Depuis ces dernières rencontres, j’ai eu plusieurs contacts de la Réunion mais aussi de la métropole et de Madagascar m’apportant des idées pour la suite.

Le logiciel est encore très jeune, et il y a plein de pistes à explorer pour l’améliorer. Dans le désordre :

  • les statistiques économiques
  • la gestion de l’élevage
  • la gestion de la météo
  • la gestion de rotation de cultures
  • la traduction du logiciel

Pour mutualiser les coûts de développement, je pense essayer de faire financer les futures évolutions en passant par du crowdfunding et en particulier par la plateforme Openfunding qui est spécialisée dans le financement de logiciels libres.

Étant le seul développeur, il n’y a pas pour le moment de communauté autour de Agritux, juste quelques utilisateurs qui me font parfois des remontées par mail, bien qu’un bug tracker soit disponible.

Si d’autres développeurs sont intéressés pour m’aider à faire évoluer Agritux, ils seront accueillis à bras ouverts !

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La Réunion, de par son éloignement avec la métropole, est-elle un terrain propice au développement du logiciel libre, ou des structures comme la tienne sont-elles complètement marginales ?

Je ne connais pas bien la situation du développement de logiciels libres en métropole, mais il me semble que la Réunion est plus propice au développement de petits logiciels spécifiques créé par de petites structures. D’abord parce que les entreprises préfèrent généralement avoir à faire à des prestataires locaux et ensuite parce qu’il y a peu de grosses entreprises et donc peu d’intérêt pour de grosses sociétés d’édition de logiciel d’être présentes ici.

Le souci du coup, c’est que nous devons travailler avec plein de petites entreprises, très différentes les unes des autres, ce qui nous oblige à nous diversifier (ou même nous éparpiller dans mon cas ;)).

C’est pour cette raison qu’un groupement de prestataires de logiciels libres a été créé sur l’île. Il s’agit ici de fédérer nos compétences tout en restant indépendants et de proposer un site web répertoriant un maximum de prestations autour des logiciels libres à la Réunion. Ce groupement s’appelle Prestalibre et l’annuaire est disponible sur le site.

Un petit mot pour la fin ?

Concernant Agritux, toutes remontées de bugs, demandes, propositions, critiques (même mauvaises) sont les bienvenues. De même si des personnes sont intéressées pour participer au développement, à la traduction ou aux tests du logiciel, vous pouvez me contacter à mail AT mithril.re. Agritux a besoin de vous ;) !




Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle endurer ? par Richard Stallman

« Le niveau de surveillance actuel dans nos sociétés est incompatible avec les droits de l’homme… »

C’est ce qu’affirme et expose Richard Stallman dans ce long article argumenté en proposant un certain nombre de mesures pour desserrer l’étau.

Sur la photo ci-dessous, on voit Stallman lors d’une conférence en Tunisie muni d’un étrange badge. Il l’a recouvert lui-même de papier aluminium pour ne pas être pisté lors de l’évènement !

Quel niveau de surveillance la démocratie peut-elle supporter ?

par Richard Stallman

URL d’origine du document (sur GNU.org)

Une première version de cet article a été publiée sur Wired en octobre 2013.
Licence : Creative Commons BY-ND 3.0 US
Traduction : aKa, zimadprof, Lamessen, Sylvain, Scailyna, Paul, Asta, Monsieur Tino, Marc, Thérèse, Amine Brikci-N, FF255, Achille, Slystone, Sky, Penguin et plusieurs anonymes
Révision : trad-gnu@april.org – Version de la traduction : 14 août 2014

Grâce aux révélations d’Edward Snowden, nous comprenons aujourd’hui que le niveau de surveillance dans nos sociétés est incompatible avec les droits de l’homme. Le harcèlement répété et les poursuites judiciaires que subissent les opposants, les sources et les journalistes (aux États-Unis et ailleurs) en sont la preuve. Nous devons réduire le niveau de surveillance, mais jusqu’où ? Où se situe exactement le seuil tolérable de surveillance que l’on doit faire en sorte de ne pas dépasser ? C’est le niveau au delà duquel la surveillance commence à interférer avec le fonctionnement de la démocratie : lorsque des lanceurs d’alerte comme Snowden sont susceptibles d’être attrapés.

Face à la culture du secret des gouvernements, nous, le peuple,1 devons compter sur les lanceurs d’alerte pour apprendre ce que l’État est en train de faire. De nos jours, cependant, la surveillance intimide les lanceurs d’alerte potentiels, et cela signifie qu’elle est trop intense. Pour retrouver notre contrôle démocratique sur l’État, nous devons réduire la surveillance jusqu’à un point où les lanceurs d’alerte se sentent en sécurité.

L’utilisation de logiciels libres, comme je la préconise depuis trente ans, est la première étape dans la prise de contrôle de nos vies numériques – qui inclut la prévention de la surveillance. Nous ne pouvons faire confiance aux logiciels non libres ; la NSA utilise et même crée des failles de sécurité dans des logiciels non libres afin d’envahir nos ordinateurs et nos routeurs. Le logiciel libre nous donne le contrôle de nos propres ordinateurs, mais cela ne protège pas notre vie privée dès l’instant où nous mettons les pieds sur Internet.

Une législation bipartisane ayant pour but de « limiter les pouvoirs de surveillance sur le territoire national » est en cours d’élaboration aux États-Unis mais elle le fait en limitant l’utilisation par le gouvernement de nos dossiers virtuels. Cela ne suffira pas à protéger les lanceurs d’alerte si « capturer le lanceur d’alerte » est un motif valable pour accéder à des données permettant de l’identifier. Nous devons aller plus loin encore.

Le niveau de surveillance à ne pas dépasser dans une démocratie

Si les lanceurs d’alerte n’osent pas révéler les crimes, délits et mensonges, nous perdons le dernier lambeau de contrôle réel qui nous reste sur nos gouvernements et institutions. C’est pourquoi une surveillance qui permet à l’État de savoir qui a parlé à un journaliste va trop loin – au delà de ce que peut supporter la démocratie.

En 2011, un représentant anonyme du gouvernement américain a fait une déclaration inquiétante à des journalistes, à savoir que les États-Unis n’assigneraient pas de reporter à comparaître parce que « nous savons avec qui vous parlez ». Parfois, pour avoir ces renseignements, ils obtiennent les relevés téléphoniques de journalistes par injonction judiciaire, mais Snowden nous a montré qu’en réalité ils adressent des injonctions en permanence à Verizon et aux autres opérateurs, pour tous les relevés téléphoniques de chaque résident.

Il est nécessaire que les activités d’opposition ou dissidentes protègent leurs secrets des États qui cherchent à leur faire des coups tordus. L’ACLU2 a démontré que le gouvernement des États-Unis infiltrait systématiquement les groupes dissidents pacifiques sous prétexte qu’il pouvait y avoir des terroristes parmi eux. La surveillance devient trop importante quand l’État peut trouver qui a parlé à une personne connue comme journaliste ou comme opposant.

L’information, une fois collectée, sera utilisée à de mauvaises fins

Quand les gens reconnaissent que la surveillance généralisée atteint un niveau trop élevé, la première réponse est de proposer d’encadrer l’accès aux données accumulées. Cela semble sage, mais cela ne va pas corriger le problème, ne serait-ce que modestement, même en supposant que le gouvernement respecte la loi (la NSA a trompé la cour fédérale de la FISA,3 et cette dernière a affirmé être incapable, dans les faits, de lui demander des comptes). Soupçonner un délit est un motif suffisant pour avoir accès aux données, donc une fois qu’un lanceur d’alerte est accusé d’« espionnage », trouver un « espion » fournira une excuse pour avoir accès à l’ensemble des informations.

Le personnel chargé de la surveillance d’État a l’habitude de détourner les données à des fins personnelles. Des agents de la NSA ont utilisé les systèmes de surveillance américains pour suivre à la trace leurs petit(e)s ami(e)s – passés, présents, ou espérés, selon une pratique nommée « LOVEINT ». La NSA affirme avoir détecté et puni cette pratique à plusieurs reprises ; nous ne savons pas combien d’autres cas n’ont pas été détectés. Mais ces événements ne devraient pas nous surprendre, parce que les policiers utilisent depuis longtemps leurs accès aux fichiers des permis de conduire pour pister des personnes séduisantes, une pratique connue sous les termes de « choper une plaque pour un rencard ».

Les données provenant de la surveillance seront toujours détournées de leur but, même si c’est interdit. Une fois que les données sont accumulées et que l’État a la possibilité d’y accéder, il peut en abuser de manière effroyable, comme le montrent des exemples pris en Europe et aux États-Unis.

La surveillance totale, plus des lois assez floues, ouvrent la porte à une campagne de pêche à grande échelle, quelle que soit la cible choisie. Pour mettre le journalisme et la démocratie en sécurité, nous devons limiter l’accumulation des données qui sont facilement accessibles à l’État.

Une protection solide de la vie privée doit être technique

L’Electronic Frontier Foundation et d’autres structures proposent un ensemble de principes juridiques destinés à prévenir les abus de la surveillance de masse. Ces principes prévoient, et c’est un point crucial, une protection juridique explicite pour les lanceurs d’alerte. Par conséquent, ils seraient adéquats pour protéger les libertés démocratiques s’ils étaient adoptés dans leur intégralité et qu’on les faisait respecter sans la moindre exception, à tout jamais.

Toutefois, ces protections juridiques sont précaires : comme nous l’ont montré les récents événements, ils peuvent être abrogés (comme dans la loi dite FISA Amendments Act), suspendus ou ignorés.

Pendant ce temps, les démagogues fourniront les excuses habituelles pour justifier une surveillance totale ; toute attaque terroriste, y compris une attaque faisant un nombre réduit de victimes, leur donnera cette opportunité.

Si la limitation de l’accès aux données est écartée, ce sera comme si elle n’avait jamais existé. Des dossiers remontant à des années seront du jour au lendemain exposés aux abus de l’État et de ses agents et, s’ils ont été rassemblés par des entreprises, seront également exposés aux magouilles privées de ces dernières. Si par contre nous arrêtions de ficher tout le monde, ces dossiers n’existeraient pas et il n’y aurait pas moyen de les analyser de manière rétroactive. Tout nouveau régime non libéral aurait à mettre en place de nouvelles méthodes de surveillance, et recueillerait des données à partir de ce moment-là seulement. Quant à suspendre cette loi ou ne pas l’appliquer momentanément, cela n’aurait presque aucun sens.

En premier lieu, ne soyez pas imprudent

Pour conserver une vie privée, il ne faut pas la jeter aux orties : le premier concerné par la protection de votre vie privée, c’est vous. Évitez de vous identifier sur les sites web, contactez-les avec Tor, et utilisez des navigateurs qui bloquent les stratagèmes dont ils se servent pour suivre les visiteurs à la trace. Utilisez GPG (le gardien de la vie privée) pour chiffrer le contenu de vos courriels. Payez en liquide.

Gardez vos données personnelles ; ne les stockez pas sur le serveur « si pratique » d’une entreprise. Il n’y a pas de risque, cependant, à confier la sauvegarde de vos données à un service commercial, pourvu qu’avant de les envoyer au serveur vous les chiffriez avec un logiciel libre sur votre propre ordinateur (y compris les noms de fichiers).

Par souci de votre vie privée, vous devez éviter les logiciels non libres car ils donnent à d’autres la maîtrise de votre informatique, et que par conséquent ils vous espionnent probablement. N’utilisez pas de service se substituant au logiciel : outre que cela donne à d’autres la maîtrise de votre informatique, cela vous oblige à fournir toutes les données pertinentes au serveur.

Protégez aussi la vie privée de vos amis et connaissances. Ne divulguez pas leurs informations personnelles, sauf la manière de les contacter, et ne donnez jamais à aucun site l’ensemble de votre répertoire téléphonique ou des adresses de courriel de vos correspondants. Ne dites rien sur vos amis à une société comme Facebook qu’ils ne souhaiteraient pas voir publier dans le journal. Mieux, n’utilisez pas du tout Facebook. Rejetez les systèmes de communication qui obligent les utilisateurs à donner leur vrai nom, même si vous êtes disposé à donner le vôtre, car cela pousserait d’autres personnes à abandonner leurs droits à une vie privée.

La protection individuelle est essentielle, mais les mesures de protection individuelle les plus rigoureuses sont encore insuffisantes pour protéger votre vie privée sur des systèmes, ou contre des systèmes, qui ne vous appartiennent pas. Lors de nos communications avec d’autres ou de nos déplacements à travers la ville, notre vie privée dépend des pratiques de la société. Nous pouvons éviter certains des systèmes qui surveillent nos communications et nos mouvements, mais pas tous. Il est évident que la meilleure solution est d’obliger ces systèmes à cesser de surveiller les gens qui sont pas légitimement suspects.

Nous devons intégrer à chaque système le respect de la vie privée

Si nous ne voulons pas d’une société de surveillance totale, nous devons envisager la surveillance comme une sorte de pollution de la société et limiter l’impact de chaque nouveau système numérique sur la surveillance, de la même manière que nous limitons l’impact des objets manufacturés sur l’environnement.

Par exemple, les compteurs électriques « intelligents » sont paramétrés pour envoyer régulièrement aux distributeurs d’énergie des données concernant la consommation de chaque client, ainsi qu’une comparaison avec la consommation de l’ensemble des usagers. Cette implémentation repose sur une surveillance généralisée mais ce n’est nullement nécessaire. Un fournisseur d’énergie pourrait aisément calculer la consommation moyenne d’un quartier résidentiel en divisant la consommation totale par le nombre d’abonnés, et l’envoyer sur les compteurs. Chaque client pourrait ainsi comparer sa consommation avec la consommation moyenne de ses voisins au cours de la période de son choix. Mêmes avantages, sans la surveillance !

Il nous faut intégrer le respect de la vie privée à tous nos systèmes numériques, dès leur conception.

Remède à la collecte de données : les garder dispersées

Pour rendre la surveillance possible sans porter atteinte à la vie privée, l’un des moyens est de conserver les données de manière dispersée et d’en rendre la consultation malaisée. Les caméras de sécurité d’antan n’étaient pas une menace pour la vie privée. Les enregistrements étaient conservés sur place, et cela pendant quelques semaines tout au plus. Leur consultation ne se faisait pas à grande échelle du fait de la difficulté d’y avoir accès. On les consultait uniquement sur les lieux où un délit avait été signalé. Il aurait été impossible de rassembler physiquement des millions de bandes par jour, puis de les visionner ou de les copier.

Aujourd’hui, les caméras de sécurité se sont transformées en caméras de surveillance ; elles sont reliées à Internet et leurs enregistrements peuvent être regroupés dans un centre de données [data center] et conservés ad vitam aeternam. C’est déjà dangereux, mais le pire est à venir. Avec les progrès de la reconnaissance faciale, le jour n’est peut-être pas loin où les journalistes « suspects » pourront être pistés sans interruption dans la rue afin de surveiller qui sont leurs interlocuteurs.

Les caméras et appareils photo connectés à Internet sont souvent eux-mêmes mal protégés, de sorte que n’importe qui pourrait regarder ce qu’ils voient par leur objectif. Pour rétablir le respect de la vie privée, nous devons interdire l’emploi d’appareils photo connectés dans les lieux ouverts au public, sauf lorsque ce sont les gens qui les transportent. Tout le monde doit avoir le droit de mettre en ligne des photos et des enregistrements vidéo une fois de temps en temps, mais on doit limiter l’accumulation systématique de ces données.

Remède à la surveillance du commerce sur Internet

La collecte de données provient essentiellement des activités numériques personnelles des gens. D’ordinaire, ces sont d’abord les entreprises qui recueillent ces données. Mais lorsqu’il est question de menaces pour la vie privée et la démocratie, que la surveillance soit exercée directement par l’État ou déléguée à une entreprise est indifférent, car les données rassemblées par les entreprises sont systématiquement mises à la disposition de l’État.

Depuis PRISM, la NSA a un accès direct aux bases de données de nombreuses grandes sociétés d’Internet. AT&T conserve tous les relevés téléphoniques depuis 1987 et les met à la disposition de la DEA sur demande, pour ses recherches. Aux États-Unis, l’État fédéral ne possède pas ces données au sens strict, mais en pratique c’est tout comme.

Mettre le journalisme et la démocratie en sécurité exige, par conséquent, une réduction de la collecte des données privées, par toute organisation quelle qu’elle soit et pas uniquement par l’État. Nous devons repenser entièrement les systèmes numériques, de telle manière qu’ils n’accumulent pas de données sur leurs utilisateurs. S’ils ont besoin de détenir des données numériques sur nos transactions, ils ne doivent être autorisés à les garder que pour une période dépassant de peu le strict minimum nécessaire au traitement de ces transactions.

Une des raisons du niveau actuel de surveillance sur Internet est que le financement des sites repose sur la publicité ciblée, par le biais du pistage des actions et des choix de l’utilisateur. C’est ainsi que d’une pratique simplement gênante, la publicité que nous pouvons apprendre à éviter, nous basculons, en connaissance de cause ou non, dans un système de surveillance qui nous fait du tort. Les achats sur Internet se doublent toujours d’un pistage des utilisateurs. Et nous savons tous que les « politiques relatives à la vie privée » sont davantage un prétexte pour violer celle-ci qu’un engagement à la respecter.

Nous pourrions remédier à ces deux problèmes en adoptant un système de paiement anonyme – anonyme pour l’émetteur du paiement, s’entend (permettre au bénéficiaire d’échapper à l’impôt n’est pas notre objectif). Bitcoin n’est pas anonyme, bien que des efforts soient faits pour développer des moyens de payer anonymement avec des bitcoins. Cependant, la technologie de la monnaie électronique remonte aux années 80 ; tout ce dont nous avons besoin, ce sont d’accords adaptés pour la marche des affaires et que l’État n’y fasse pas obstruction.

Le recueil de données personnelles par les sites comporte un autre danger, celui que des « casseurs de sécurité » s’introduisent, prennent les données et les utilisent à de mauvaises fins, y compris celles qui concernent les cartes de crédit. Un système de paiement anonyme éliminerait ce danger : une faille de sécurité du site ne peut pas vous nuire si le site ne sait rien de vous.

Remède à la surveillance des déplacements

Nous devons convertir la collecte numérique de péage en paiement anonyme (par l’utilisation de monnaie électronique, par exemple). Les système de reconnaissance de plaques minéralogiques reconnaissent toutes les plaques, et les données peuvent être gardées indéfiniment ; la loi doit exiger que seules les plaques qui sont sur une liste de véhicules recherchés par la justice soient identifiées et enregistrées. Une solution alternative moins sûre serait d’enregistrer tous les véhicules localement mais seulement pendant quelques jours, et de ne pas rendre les données disponibles sur Internet ; l’accès aux données doit être limité à la recherche d’une série de plaques minéralogiques faisant l’objet d’une décision de justice.

The U.S. “no-fly” list must be abolished because it is punishment without trial.

Il est acceptable d’établir une liste de personnes pour qui la fouille corporelle et celle des bagages seront particulièrement minutieuses, et l’on peut traiter les passagers anonymes des vols intérieurs comme s’ils étaient sur cette liste. Il est acceptable également d’interdire aux personnes n’ayant pas la citoyenneté américaine d’embarquer sur des vols à destination des États-Unis si elles n’ont pas la permission d’y rentrer. Cela devrait suffire à toutes les fins légitimes.

Beaucoup de systèmes de transport en commun utilisent un genre de carte intelligente ou de puce RFID pour les paiements. Ces systèmes amassent des données personnelles : si une seule fois vous faites l’erreur de payer autrement qu’en liquide, ils associent définitivement la carte avec votre nom. De plus, ils enregistrent tous les voyages associés avec chaque carte. L’un dans l’autre, cela équivaut à un système de surveillance à grande échelle. Il faut diminuer cette collecte de données.

Les services de navigation font de la surveillance : l’ordinateur de l’utilisateur renseigne le service cartographique sur la localisation de l’utilisateur et l’endroit où il veut aller ; ensuite le serveur détermine l’itinéraire et le renvoie à l’ordinateur, qui l’affiche. Il est probable qu’actuellement le serveur enregistre les données de localisation puisque rien n’est prévu pour l’en empêcher. Cette surveillance n’est pas nécessaire en soi, et une refonte complète du système pourrait l’éviter : des logiciels libres installés côté utilisateur pourraient télécharger les données cartographiques des régions concernées (si elles ne l’ont pas déjà été), calculer l’itinéraire et l’afficher, sans jamais dire à qui que ce soit l’endroit où l’utilisateur veut aller.

Les systèmes de location de vélos et autres peuvent être conçus pour que l’identité du client ne soit connue que de la station de location. Au moment de la location, celle-ci informera toutes les stations du réseau qu’un vélo donné est « sorti » ; de cette façon, quand l’utilisateur le rendra, généralement à une station différente, cette station-là saura où et quand il a été loué. Elle informera à son tour toutes les stations du fait que ce vélo a été rendu, et va calculer en même temps la facture de l’utilisateur et l’envoyer au siège social après une attente arbitraire de plusieurs minutes, en faisant un détour par plusieurs stations. Ainsi le siège social ne pourra pas savoir précisément de quelle station la facture provient. Ceci fait, la station de retour effacera toutes les données de la transaction. Si le vélo restait « sorti » trop longtemps, la station d’origine pourrait en informer le siège social et, dans ce cas, lui envoyer immédiatement l’identité du client.

Remède aux dossiers sur les communications

Les fournisseurs de services Internet et les compagnies de téléphone enregistrent une masse de données sur les contacts de leurs utilisateurs (navigation, appels téléphoniques, etc.) Dans le cas du téléphone mobile, ils enregistrent en outre la position géographique de l’utilisateur. Ces données sont conservées sur de longues périodes : plus de trente ans dans le cas d’AT&T. Bientôt, ils enregistreront même les mouvements corporels de l’utilisateur. Et il s’avère que la NSA collecte les coordonnées géographiques des téléphones mobiles, en masse.

Les communications non surveillées sont impossibles là où le système crée de tels dossiers. Leur création doit donc être illégale, ainsi que leur archivage. Il ne faut pas que les fournisseurs de services Internet et les compagnies de téléphone soient autorisés à garder cette information très longtemps, sauf décision judiciaire leur enjoignant de surveiller une personne ou un groupe en particulier.

Cette solution n’est pas entièrement satisfaisante, car cela n’empêchera pas concrètement le gouvernement de collecter toute l’information à la source – ce que fait le gouvernement américain avec certaines compagnies de téléphone, voire avec toutes. Il nous faudrait faire confiance à l’interdiction par la loi. Cependant, ce serait déjà mieux que la situation actuelle où la loi applicable (le PATRIOT Act) n’interdit pas clairement cette pratique. De plus, si un jour le gouvernement recommençait effectivement à faire cette sorte de surveillance, il n’obtiendrait pas les données sur les appels téléphoniques passés avant cette date.

Pour garder confidentielle l’identité des personnes avec qui vous échangez par courriel, une solution simple mais partielle est d’utiliser un service situé dans un pays qui ne risquera jamais de coopérer avec votre gouvernement, et qui chiffre ses communications avec les autres services de courriels. Toutefois, Ladar Levison (propriétaire du service de courriel Lavabit que la surveillance américaine a cherché à corrompre complètement) a une idée plus sophistiquée : établir un système de chiffrement par lequel votre service de courriel saurait seulement que vous avez envoyé un message à un utilisateur de mon service de courriel, et mon service de courriel saurait seulement que j’ai reçu un message d’un utilisateur de votre service de courriel, mais il serait difficile de déterminer que c’était moi le destinataire.

Mais un minimum de surveillance est nécessaire.

Pour que l’État puisse identifier les auteurs de crimes ou délits, il doit avoir la capacité d’enquêter sur un délit déterminé, commis ou en préparation, sur ordonnance du tribunal. À l’ère d’Internet, il est naturel d’étendre la possibilité d’écoute des conversations téléphoniques aux connexions Internet. On peut, certes, facilement abuser de cette possibilité pour des raisons politiques, mais elle n’en est pas moins nécessaire. Fort heureusement, elle ne permettrait pas d’identifier les lanceurs d’alerte après les faits, si (comme je le recommande) nous empêchons les systèmes numériques d’accumuler d’énormes dossiers avant les faits.

Les personnes ayant des pouvoirs particuliers accordés par l’État, comme les policiers, abandonnent leur droit à la vie privée et doivent être surveillés (en fait, les policiers américains utilisent dans leur propre jargon le terme testilying4 au lieu de perjury5 puisqu’ils le font si souvent, en particulier dans le cadre de la comparution de manifestants et de photographes). Une ville de Californie qui a imposé à la police le port permanent d’une caméra a vu l’usage de la force diminuer de près de 60 %. L’ACLU y est favorable.

Les entreprises ne sont pas des personnes et ne peuvent se prévaloir des droits de l’homme. Il est légitime d’exiger d’elles qu’elles rendent public le détail des opérations susceptibles de présenter un risque chimique, biologique, nucléaire, financier, informatique (par exemple les DRM) ou politique (par exemple le lobbyisme) pour la société, à un niveau suffisant pour assurer le bien-être public. Le danger de ces opérations (pensez à BP et à la marée noire dans le Golfe du Mexique, à la fusion du cœur des réacteurs nucléaires de Fukushima ou à la crise financière de 2008) dépasse de loin celui du terrorisme.

Cependant, le journalisme doit être protégé contre la surveillance, même s’il est réalisé dans un cadre commercial.


La technologie numérique a entraîné un accroissement énorme du niveau de surveillance de nos déplacements, de nos actions et de nos communications. Ce niveau est bien supérieur à ce que nous avons connu dans les années 90, bien supérieur à ce qu’ont connu les gens habitant derrière le rideau de fer dans les années 80, et il resterait encore bien supérieur si l’utilisation de ces masses de données par l’État était mieux encadrée par la loi.

A moins de croire que nos pays libres ont jusqu’à présent souffert d’un grave déficit de surveillance, et qu’il leur faut être sous surveillance plus que ne le furent jadis l’Union soviétique et l’Allemagne de l’Est, ils nous faut inverser cette progression. Cela requiert de mettre fin à l’accumulation en masse de données sur la population.

Notes :


Notes de traduction

  1. Allusion probable à la Constitution de 1787, symbole de la démocratie américaine, qui débute par ces mots : We, the people of the United States (Nous, le peuple des États-Unis). ?
  2. Union américaine pour les libertés civiles. ?
  3. Loi sur la surveillance du renseignement étranger ; elle a mis en place une juridiction spéciale, la FISC, chargée de juger les présumés agents de renseignement étrangers sur le sol américain. ?
  4. Testilying : contraction de testify, faire une déposition devant un tribunal, et lying, acte de mentir. ?
  5. Perjury : faux témoignage. ?



La « politique » Framabook et les licences libres, Par C. Masutti et B. Jean

Un « livre libre » est un un livre qui offre à l’auteur, au lecteur et à l’éditeur les mêmes libertés (et obligations) qu’un programmeur, un utilisateur ou un éditeur de logiciel libre. Mais comment ces libertés s’accordent-elles avec le droit d’auteur ? Comment faire vivre une collection de livres libres dans le contexte d’une économie culturelle ?

La collection Framabook a dû élaborer une stratégie qui la positionne assez clairement (politiquement et économiquement) à la fois par rapport au droit d’auteur et par rapport aux multiples licences libres (et assimilées) existantes. À l’issue du processus créatif d’un auteur, celui-ci effectue un choix : doit-il on non placer son œuvre sous licence libre? Si oui, quelles sont les clauses les plus susceptibles de protéger son œuvre ? Pour un auteur qui n’est pas forcément spécialiste du droit et familier avec certains concepts inhérents aux licences libres, il peut-être difficile de comprendre le choix de la collection Framabook à ne pas accepter de clauses empêchant les modifications ou limitant les usages commerciaux. Ceci est d’autant plus étonnant que le penchant légitime, et presque naturel, d’un auteur est de souhaiter que son œuvre soit transmise en toute intégrité, dans un respect très strict de ses idées.

Christophe Masutti et Benjamin Jean se font l’écho d’un débat déjà assez ancien, à la fois dans la communauté du Libre mais aussi à l’intérieur de l’association Framasoft. Ils voient que finalement, le choix d’une licence ne s’établit pas seulement sur l’idée qu’une licence libre suffit à elle seule pour protéger une œuvre, mais que cette protection s’établit dans un dialogue entre les droits d’auteur et les licences libres.

Ce débat, ici rapporté pour ce qui concerne la collection Framabook, dépasse ce seul cadre et s’adresse à différents modèles d’édition, du simple blog personnel aux modèles d’éditions ouvertes (dans les sciences ou d’autres domaines). Nous vous invitons après lecture à le poursuivre dans les commentaires.

Remarque : Vous trouverez en pièce-jointe ci-dessous une version de l’article sous différents formats : PDF, HTML, ODT et TeX.

La « politique » Framabook et les licences libres

Article placé sous triple licence Licence Art Libre 1.3, GNU Free Documentation License 1.3 et Creative Commons By-SA 3.0.

Par Christophe Masutti, Benjamin Jean

Christophe Masutti est docteur en histoire des sciences et des techniques, chercheur associé au SAGE (Société, Acteurs, Gouvernements en Europe, Université de Strasbourg), responsable des affaires européennes à la Direction Générale des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Président de l’association Framasoft depuis janvier 2012.

Benjamin Jean est membre de l’équipe du CUERPI (Centre Universitaire d’Enseignement et de Recherches en Propriété Intellectuelle) co-fondateur de la société Inno3, consultant au Cabinet Gilles Vercken et maître de conférence à Science Po. Co-fondateur de l’association Veni, Vidi, Libri et du cycle de conférences European Open Source & Free Software Law Event (EOLE).

Initié en mai 2006, Framabook est le nom donné au projet de collection de livres libres édités par Framasoft[1]. Basée sur une méthode de travail collaborative entre l’auteur et des bénévoles de l’association, la collection dispose d’un comité de lecture et d’un comité éditorial. Elle propose des manuels, des essais et même des bandes dessinées et des romans en lien avec le logiciel libre ou la culture libre en général. Le choix des licences qui les accompagnent les inscrit dans la culture libre et la participation aux biens communs.

Depuis que Framasoft a choisi de devenir éditeur de sa collection, nous avons tant bien que mal travaillé à la construction d’un modèle alternatif et collaboratif d’édition. Dans nos discussions avec les auteurs, la question des licences acceptées pour la diffusion des projets est récurrente (pour ne pas dire systématique). Ce sujet relativement technique a mobilisé le débat de nos assemblées générales, se poursuivant parfois tard en soirée et sur nos listes de discussion, pour des réponses finalement toujours similaires (« des licences libres et seulement des licences libres »). Nous nous sommes aperçus que cette recherche répétée de consensus résultait surtout du manque d’exposition claire des principes auxquels adhère la collection Framabook. C’est pour y remédier que cet article a été écrit. Il cherche à exposer les principes de la politique éditoriale du projet Framabook tout en rassemblant les différents éléments de discussion issus des archives de nos listes et qui concernent précisément les licences libres. D’une certaine manière, il témoigne aussi d’une réflexion devenue mature et qui nous semble valider la pertinence d’un modèle d’édition ouverte.

Nous destinons aussi ces quelques lignes aux auteurs et éditeurs, afin de les aider à cerner les enjeux du choix d’une licence pour une œuvre destinée à être publiée dans la collection Framabook ou ailleurs. Nous avons conscience que ce choix n’est pas anodin et peut même être difficile, tant d’un point de vue culturel après presque trois siècles d’histoire du droit d’auteur, que d’un point de vue économique et éthique, dans le contexte d’une économie de la culture qui multiplie les abus en tout genre. Nous ne cherchons pas non plus à prétendre que ce modèle devrait remplacer les modèles existants, nous souhaitons seulement démontrer qu’il peut être viable et, surtout, qu’il ne génère pas tous les risques et déviances qu’on lui rattache fréquemment.

Bien que l’un de nos ouvrages compte désormais comme une référence en la matière (Benjamin Jean, Option Libre. Du bon usage des licences libres)[2], certaines subtilités nécessitent à la fois une connaissance du droit d’auteur, une connaissance du domaine de l’édition et une connaissance des licences libres. L’ensemble est néanmoins à la portée de tous et n’excède pas les quelques minutes de la lecture à laquelle nous vous invitons, sous la forme de questions fréquemment posées (QFP)…

1. Sous quelle licence dois-je placer mon œuvre dans la collection Framabook ?

Le premier postulat de notre collection est que les auteurs sont absolument libres d’utiliser les licences qu’ils souhaitent pourvu qu’elles soient « libres », c’est-à-dire qu’elles assurent à l’utilisateur une libre utilisation, copie, modification ou redistribution de l’ouvrage ou de ses dérivés (ce qui exclut donc toutes les licences Creatives Commons limitant l’usage commercial « NC » ou la modification « ND », ainsi que nous allons le développer plus loin).

Dans l’esprit du Libre auquel nous adhérons, cette définition n’exclut pas les licences dites copyleft qui imposent la pérennité des libertés assurées à l’utilisateur (garantissant à l’auteur que le livre ne pourra être exploité que librement). Ce choix n’est pas neutre puisque ce type de licences permet d’alimenter un « pot commun » auquel tout le monde peut puiser à condition d’y reverser à son tour ses propres contributions.

En d’autres termes, un Framabook pourra être aussi bien sous Licence Art Libre 1.3, sous licence CC-By-SA 3.0, que sous licence CC-By 3.0 (« tout court ») voire sous CC-0[3]. Vous serez toujours libre de réutiliser ces ouvrages (même commercialement), mais à votre charge de respecter les obligations que ces licences contiennent.

Par exemple – Si quelqu’un rédige un texte incluant un passage substantiel (en termes qualitatifs ou quantitatifs) tiré d’un Framabook, et même si cet usage dépasse le cadre délimité du droit de citation, la licence libre associée par l’auteur lui accordera les droits nécessaires (à condition que soient parallèlement respectées les contraintes qu’elle impose). Au titre de ces contraintes, certaines licences copyleft imposeront que toutes modifications apportées à ce texte soient diffusées selon la même licence, voire que l’intégralité de l’œuvre utilisatrice soit distribuée selon la même licence (ce qui, contrairement à la première hypothèse, limite grandement le type d’exploitation possible). Ainsi qu’indiqué précédemment, cette obligation permet d’assurer une relative pérennité au projet initial et s’ajoute aux obligations classiques telle que l’obligation d’attribuer la paternité de l’œuvre initiale à nos auteurs (et ceux-ci seulement ; vous serez pour votre part auteur de votre propre version dérivée).

2. Pourquoi utiliser des licences libres ?

Avant toute autre considération, le Libre procède d’une volonté de partage. Si vous placez une œuvre sous licence libre, c’est que vous désirez la partager avec le plus grand nombre d’« utilisateurs » ou de contributeurs possible. Importante dans le monde physique, cette notion de partage se révèle encore plus évidente dans le monde immatériel (celui de la propriété intellectuelle) où l’acquisition par un individu n’implique pas l’aliénation ou la perte par l’autre (bien au contraire)[4].

Ainsi, « Libre » ne signifie donc pas « libre de droits » (notion qui n’a aucune valeur juridique) et les licences libres sont là pour traduire et sécuriser juridiquement la relation souhaitée[5].

Le projet Framabook repose donc sur :

  • l’usage de licences libres par lesquelles les auteurs exploitent leurs droits. C’est grâce à ce contrat que toutes les autorisations indispensables à l’évolution et à la diffusion de l’œuvre sont données (en l’absence de licence, rien ne serait permis).
  • le respect du droit d’auteur dans sa globalité, et notamment des prérogatives morales (droit de divulgation, droit de paternité, droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, etc.) qui protègent l’auteur en raison des liens étroits qu’il entretient avec son œuvre. Ajoutons qu’il n’y a pas de remise en cause de ces prérogatives morales par les licences libres ; bien au contraire, celles-ci les rappellent (et parfois renforcent) systématiquement.
  • sur le respect des conditions relatives au prix de vente des livres. La loi Lang (81-766 du 10 août 1981 modifiée 2008) sur le prix unique du livre doit toujours être respectée quelle que soit la politique éditoriale choisie (ces règles s’appliquent aussi sur la vente des versions numériques – même si un prix différent du prix papier peut alors être décidé).

Ainsi, l’utilisation d’une licence libre est indispensable pour assurer aux utilisateurs les libertés proclamées par l’auteur et par la collection.

3. N’est-ce pas contradictoire avec la commercialisation des livres ?

L’adage « libre ne signifie pas gratuit » s’applique parfaitement pour ce qui concerne la collection Framabook. La politique de la collection consiste à proposer un modèle économique du livre basé à la fois sur la primauté de la diffusion et la juste rémunération des auteurs. Puisque nous vendons les livres « papier » et encourageons d’éventuelles rééditions, nous ne voulons pas utiliser de clause de licence interdisant à priori la vente (pas de -NC dans le cas des licences Creative Commons). Bien que la clause NC puisse être légitimée, il y a un contexte propre à la collection Framabook.

Framasoft est un réseau d’éducation populaire dédié au Libre qui s’appuie sur une association d’intérêt général à but non lucratif. De cette orientation découle toute l’importance de la diffusion au plus grand nombre. C’est pour cela que nous avons fait le choix de distribuer gratuitement les versions numériques des ouvrages. Mais elles auraient pu aussi bien être vendues au même titre que les livres « papier ». Quoi qu’il en soit, les sources (les fichiers originaux servant à la composition de l’œuvre) étant elles aussi disponibles, tout le monde peut les utiliser afin de diffuser à son tour gratuitement ou non.

Par essence, la clause de type -NC contrevient au principe de libre diffusion et de partage, à moins de lever à chaque fois cette clause pour chaque cas particulier (et, même dans cette situation, nous nous placerions dans une situation privilégiée qui serait contre-productive compte tenu du partage qui nous motive). Certaines maisons d’édition effectuent ainsi une sorte de « Libre-washing » en profitant de leur position de monopole sur l’œuvre pour lever cette clause temporairement moyennant une rémunération que l’auteur ne touche pas obligatoirement. L’idée est de prétendre une œuvre libre mais en conservant le monopole et en exerçant des contraintes indues. Nous pensons que dans la mesure où une maison d’édition désire rééditer un Framabook, moyennant les conditions exposées à la question numéro 4, elle devrait pouvoir le faire indépendamment de Framasoft, en directe relation avec l’auteur. Nous n’avons donc pas à fixer un cadre non-commercial et encore moins fixer un prix pour ces rééditions. L’exemple typique est le besoin d’une réédition locale hors de France afin d’économiser des frais de port parfois exorbitants : soit il s’agit d’une réédition, soit il s’agit d’une simple ré-impression, mais dans les deux cas, nous n’avons aucun profit à tirer puisqu’il s’agit de toute façon d’un territoire ou d’un secteur dans lequel nous ne sommes pas présent ou actif. Au contraire, une telle diffusion par un tiers (partenaire ou non) est créateur de valeur pour ce tiers, pour la collection ainsi que pour l’auteur (qui, selon nous, mérite un intéressement bien que les négociations ne nous regardent pas). Par ailleurs, ne bénéficiant que d’une simple cession de droits non exclusive de la part de nos auteurs, nous assumons pleinement le risque d’être concurrencés dans notre rôle d’éditeur si jamais nous ne remplissions pas nos engagements (éthiques ou économiques).

Dans le cas d’une traduction, l’usage d’une licence contenant une clause -NC interdirait à priori la vente de l’œuvre traduite (et donc modifiée). En faisant une nouvelle voie d’exploitation, des maisons d’édition proposent parfois de lever la clause pour cette traduction moyennant une somme forfaitaire sur laquelle l’auteur peut le plus souvent ne rien toucher puisque son contrat ne le lie qu’à la première maison d’édition. Par ailleurs, comme le contrat de cet auteur est généralement exclusif, il ne peut contracter librement avec la maison d’édition qui édite la traduction, sauf accord préalable avec la première. Nous pensons au contraire que non seulement les contrats d’édition ne doivent pas « lier » (au sens premier) un auteur avec sa maison d’édition mais aussi que celle-ci doit prendre la mesure de sa responsabilité éditoriale sans exercer de monopole et signer avec l’auteur des contrats non exclusifs qui lui permettent d’être contacté par une maison d’édition cherchant à traduire son œuvre à lui, sans pour autant passer par un intermédiaire rendu obligatoire uniquement pour des raisons mercantiles (il peut y avoir des raisons tout à fait acceptables, cependant)[6].

Concernant les livres « papier », nous avons fait le choix de ne pas (tous) les vendre à prix coûtant. Il y a deux raisons à cela :

  1. Depuis 2011, Framasoft a choisi de devenir son propre éditeur. À ce titre nous passons directement des contrats d’édition avec les auteurs, comprenant une rémunération à hauteur de 15% du prix de vente de chaque exemplaire. Ce pourcentage est toujours négociable, mais nous essayons d’en faire une règle, sans quoi il influe trop sur le prix de vente. Nous avons bien conscience que ce pourcentage est nettement plus élevé que ce qui se pratique habituellement dans le monde de l’édition. Il nous semble en effet important que nos auteurs qui ont fait le choix et le pari de la licence libre avec nous s’y retrouvent financièrement et bénéficient ainsi du modèle contributif dans lequel s’inscrit la collection[7].
  2. Framasoft est composé de bénévoles mais repose sur une association qui compte aujourd’hui plusieurs permanents[8]. À ce titre, le budget de tout projet doit être le plus équilibré possible. Or, éditer un livre suppose de nombreux coûts : le prix de vente est basé sur la fabrication, les frais de port et les frais annexes (administration, BAT, pertes, dons de livres, commission de l’association EnVentelibre.org qui se charge de la vente, des livraisons, de la charge TVA, etc.). Dans les frais annexes, nous pouvons aussi inclure les livres qui sont vendus à prix coûtant (afin de maintenir un prix « acceptable »[9]). Ainsi, en faisant en sorte de rester en deçà des prix habituellement pratiqués et gardant comme objectif de favoriser la diffusion des connaissances dont elle est responsable, l’association Framasoft perçoit une somme forfaitaire à chaque vente qui lui permet de contribuer à faire vivre les projets éditoriaux de l’association[10].

Ainsi, l’usage d’une licence qui autorise les usages commerciaux est à la fois conforme à nos objectifs internes (et à la mission d’intérêt général que revêt Framasoft) et constitutive d’un modèle d’édition ouvert qui tire plein profit des opportunités de notre société numérique et internationale.

4. Puis-je rééditer un Framabook ?

Oui, c’est même encouragé, sans quoi le modèle économique que nous défendons n’aurait pas de sens. Cependant, n’oubliez pas que les licences libres imposent certaines contraintes ! En plus de celles-ci, pour ce qui concerne les Framabooks, il y a d’autres éléments à prendre en compte.

  • Toute réédition doit bien sûr respecter la licence de l’ouvrage à la lettre, à défaut de quoi elle serait non autorisée et donc contrefaisante (cela couvre les obligations en matière de mentions légales – respect de la paternité, indication du Framabook d’origine, de la licence, etc. –, mais plus largement toutes les autres obligations de la licence – et donc notamment lorsqu’elle se présente la clause share alike/copyleft à laquelle est parfois associée l’obligation de livrer la version source du fichier publié).
  • Les auteurs des Framabook ont signé des contrats d’édition. Soumis par le Code de la propriété intellectuelle à un régime dédié, les contrats d’édition sont particulièrement protecteurs des intérêts des auteurs (et un éditeur ne peut y déroger)[11]. Les contrats conclus par Framasoft avec les auteurs ne couvrent que notre propre collection et sont dits « non exclusifs » (n’empêchant donc pas un auteur de publier une réédition ailleurs). Toute nouvelle édition de l’ouvrage devra donc donner lieu à un nouveau contrat d’édition signé par le ou les auteurs (avec ou sans un intéressement à la vente, selon les négociations).
  • Toute réédition d’un Framabook consiste à utiliser le contenu d’un livre (en le modifiant ou non) pour le diffuser par une autre maison d’édition, avec un nouvel ISBN. Il ne s’agit donc pas seulement de revendre un Framabook déjà édité par Framasoft. Dans ce cadre, hors accord spécifique avec l’association Framasoft, toute réédition ne doit pas réutiliser l’identité de Framasoft (ou son dérivée Framabook) qui est une marque déposée. Naturellement, Framasoft doit être mentionné dans les crédits (« Première édition : Framasoft <année> »).

5. Alors, tout le monde pourrait modifier mon œuvre et je n’aurais rien à dire ? Ne devrais-je pas plutôt utiliser une licence comme CC-BY-ND (sans modification) ?

La réponse mérite un développement.

Certaines personnes, et c’est en particulier le cas de Richard M. Stallman, affirment que dans le cas d’œuvres dites « d’opinion », la pensée de l’auteur ne devrait pas pouvoir être déformée[12]. Ces œuvres constitueraient donc autant de cas où une licence doit pouvoir empêcher toute modification de l’œuvre[13].

En réalité, le droit d’auteur[14] est bien plus subtil que ne laisse paraître ce genre de posture.

Premièrement, Richard M. Stallman confond le fond et la forme : le droit d’auteur protège la forme que donne l’auteur à certaines idées, en aucun cas il ne protège les idées ou l’opinion d’un auteur (celles-ci n’étant, en tant que telles, génératrices d’aucun droit).

À partir de là, apposer sur la forme une licence qui limite la réutilisation qui peut en être faite apparaît comme une limitation qui empêche in fine (pour un auteur) d’utiliser une certaine matière (les écrits, tournures, etc.) sans pour autant apporter de garantie quant à la réutilisation (ou non) des idées ou opinions qu’elle contient. Cela est d’autant plus dommage que la société actuelle donne une place de plus en plus grande au « mashup », ainsi qu’à tous ces processus de créations utilisant des œuvres premières comme matière, et qu’une licence qui interdit les dérivations s’oppose frontalement à cet usage.

Aussi, jamais une licence libre (qui ne porte donc que sur le droit d’auteur – l’expression, la forme) n’autorisera de modifier une œuvre de telle sorte que cette modification porte atteinte à l’intégrité de l’œuvre. Dans le cadre d’une œuvre conçue par son auteur comme ouverte et collaborative, la modification par un contributeur est par principe entièrement respectueuse de l’intégrité de l’œuvre. Néanmoins, s’il était porté sur l’œuvre une modification manifestement non conforme à la représentation qu’en avait son auteur, il serait tout à fait valable qu’un auteur agisse sur le fondement de ses droits moraux pour faire cesser cette atteinte (de la même façon qu’il pourrait le faire en l’absence de licence libre), en particulier si l’œuvre était utilisée pour véhiculer des messages manifestement contraires à l’intention de l’auteur.

Au-delà du champ du droit d’auteur, ajoutons qu’il reste bien entendu interdit de publier toute version dérivée qui serait présentée de telle sorte qu’elle véhiculerait une idée fausse : soit que l’auteur initial de l’œuvre en serait aussi l’auteur, soit qu’il ait écrit certaines choses de certaines façons, etc. Ce type de comportement serait tout à fait sanctionnable d’un point de vue civil comme pénal. Il n’est bien sûr pas inutile de le rappeler, mais en revanche nul besoin d’utiliser une « licence verbatim » (interdisant toute modification) à cette seule fin.

Dans le cas des Framabooks, une clause de type -ND (ou toute autre clause de la même famille) est donc superflue. La suite va nous montrer qu’elle peut même être gênante.

Le second argument concerne la réédition. En effet, une modification de l’œuvre n’a d’intérêt que pour la diffuser. Il s’agit dans ce cas d’une réédition. Comme il est expliqué dans la question numéro 4, toute réédition d’un Framabook est soumise à certaines conditions. Parmi celles-ci, le contrat d’édition signé par l’auteur : puisque le contrat est « nommé », il lie l’auteur à son œuvre de manière formelle. Ainsi, il resterait toujours possible pour un imprimeur de réaliser des copies papiers « à la demande » dès lors qu’il ne rentrerait pas dans une démarche similaire à celle d’un éditeur et toute nouvelle édition serait nécessairement rattachable à un auteur (soit l’auteur initial de l’œuvre s’il choisit de souscrire à un nouveau contrat et dès lors que ce nouveau contrat ne souffre pas de la non exclusivité accordée à Framasoft ; soit l’auteur d’une version dérivée dès lors que les apports de chacun des auteurs sont clairement identifiés).

Le troisième argument, « l’absence de risque », est sans doute le plus important. Une licence sans clause -ND (ou autre clause du même genre) aura seulement pour conséquence :

  • de permettre des créations nouvelles empruntant pour partie à l’œuvre initiale, mais : a) en attribuant l’œuvre initiale et b) en se dissociant de façon non équivoque. C’est le cas par exemple de traductions ou des « mises à jour » de l’œuvre ;
  • de permettre des « grandes citations » (ou toute autre réutilisation qui dépasserait le seul cadre des exceptions prévues par la Loi) au sein d’une autre œuvre.

Ainsi, dans la mesure où notre objectif premier est celui de la diffusion, une clause interdisant toute modification fait obstacle à l’apparition de nouvelles créations susceptibles de devenir le support second de cette propagation.

En guise d’illustration, nous pouvons citer deux extraits du préambule de la Licence Art Libre, mise à disposition pour des œuvres artistiques : « Avec la Licence Art Libre, l’autorisation est donnée de copier, de diffuser et de transformer librement les œuvres dans le respect des droits de l’auteur (…) L’intention est d’autoriser l’utilisation des ressources d’une œuvre ; créer de nouvelles conditions de création pour amplifier les possibilités de création. La Licence Art Libre permet d’avoir jouissance des œuvres tout en reconnaissant les droits et les responsabilités de chacun ». Cet esprit est d’autant plus présent dans la LAL que le texte distingue l’original de la copie : les droits portant sur les copies de l’original (qui pour sa part ne peut être modifié sans autorisation de son auteur et qui doit être mentionné comme tel).

Pour revenir au contexte d’édition dans lequel nous nous situons, le choix d’une licence entièrement libre est aussi une assurance pour le projet et ses contributeurs : même si l’auteur se désengage et ne souhaite ou ne peut assurer de nouvelle version, d’autres pourront prendre le relais (comme ce fut le cas pour le premier Framabook Utilisez Thunderbird 2.0 !).

6. Et si je décide de ne pas m’encombrer les neurones ?

Les raisons esthétiques ci-dessus ne s’appliquent que peu aux ouvrages de la collection Framabook, mais restent néanmoins discutables dans le cadre d’une démarche de partage libre. A contrario, nous pouvons signaler que certains ouvrages de la collection sont, eux, sous licence CC-Zéro. C’est-à-dire qu’il s’agit de ce que l’on pourrait appeler le « domaine public volontaire ».

Certes, nous avons dit plus haut qu’il était impossible pour un auteur, du point de vue légal et dans beaucoup de juridictions, de renoncer à tous ses droits d’auteurs (en particulier les droits moraux). Cela dit, les choses peuvent aussi s’envisager d’un point de vue beaucoup plus pratique : le fait de déclarer que non seulement l’œuvre est libre mais aussi qu’elle a pour vocation de suivre son cours en pleine autonomie, un cours que l’auteur s’engage à ne pas influencer (à ne pas exercer son droit d’auteur qui pourtant lui colle à la peau).

La licence CC-0 cherche à traduire ces effets au sein d’un contrat qui propose alternativement et successivement : une renonciation aux droits, une cession de tous les droits patrimoniaux et moraux ou une cession des seuls droits patrimoniaux. En d’autres termes, les droits de Propriété Intellectuelle (et régimes associés) étant territoriaux, la licence CC-0 fonctionne différemment selon que l’auteur peut renoncer à ses droits, céder ses droits moraux ou non. Dans les faits, la licence confère ainsi à l’œuvre le statut juridique s’approchant le plus de la volonté de l’auteur (en France, un statut très proche de la CC By : une cession très large des droits patrimoniaux avec une obligation de citer l’auteur – sauf si ce dernier souhaite rester anonyme).

C’est notamment le cas du roman Le Cycle des NoéNautes, par Pouhiou[15]. Nous pouvons le citer :

« Dès aujourd’hui, je fais passer Les Noénautes dans le domaine public volontaire. Cela veut dire que tu as le droit d’en faire ce que tu veux. Tu n’as aucun compte à me rendre. Tu peux éditer et vendre cette œuvre pour ton propre compte, tu peux la réécrire, l’adapter, la recopier, en faire de la pub ou des navets… Tu es libre. Parce que légalement, cette œuvre est libre. La loi Française imposerait que tu fasses mention de l’auteur malgré tout : OSEF, j’irai pas t’attaquer ! J’avoue que si tu fais quelque chose de tout cela, ça m’amuserait que tu me tiennes au jus. Mais tu n’as plus d’autres obligations que celles que tu te crées. »[16]

Conclusion

Elle s’exprime en une phrase : la collection Framabook édite des livres sous licence libre, sans clause non commerciale ou empêchant toute modification de l’œuvre. Voici des exemples de licence qui peuvent être utilisés :

  • GNU FDL – Issue du projet GNU, elle est au départ adaptée aux manuels de logiciels. C’est une licence très permissive ;
  • CC-By – Creative commons – paternité (obligation de nommer l’auteur pour toute redistribution avec ou sans modification) ;
  • CC-By-SA – Creative commons – Paternité – Partage à l’identique (share alike) : toute redistribution doit être partagée sous les mêmes termes de licence ;
  • LAL – Licence Art Libre, conçue comme une adaptation de la GNU GPL au domaine de l’art ;
  • CC-Zéro – il s’agit du versement volontaire de l’œuvre dans le domaine public.

Cette liste n’est pas limitative et nous nous ferons un plaisir de vous accompagner si vous souhaitez discuter de la pertinence de toute autre licence. Le choix de la licence de la part de l’auteur doit être un choix éclairé et mûrement réfléchi. Il entre dans une démarche de partage et en même temps dans un circuit éditorial. Il n’échappe néanmoins pas à la juridiction du droit d’auteur.

– Framasoft, le 15 octobre 2013

Notes

[1] Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Framasoft#cite_note-32. La collection est coordonnée par Christophe Masutti.

[2] Nous avons également publié un essai qui propose, lui, de se passer complètement du droit d’auteur : J. Smiers, et M. van Schijndel, Un monde sans copyright… et sans monopole.

[3] De manière plus complexe, certains de nos ouvrages sont soumis à plusieurs licences libres : tel l’ouvrage précité « Option Libre » qui est diffusé sous triple licence CC-By-SA 3.0, Licence Art Libre 1.3, GNU FDL 1.3.

[4] Lorsque je souhaite donner un fichier, je fais une copie, ce qui devient du partage : ce principe est évidemment contrarié par la pléthore de dispositifs de surveillance et de protection de la part des ayants droits (type DRM, ou lobbying législatif) qui visent à empêcher le partage pour des raisons plus ou moins défendables.

[5] Il est en effet admis, au moins en Europe, qu’un auteur ne peut décider d’élever de lui-même une œuvre dans le domaine public (un tel acte serait certainement sans valeur juridique et l’auteur ou ses ayants droit pourraient valablement revenir dessus plusieurs années plus tard).

[6] Nous avons récemment rencontré le cas avec la traduction d’un chapitre de l’ouvrage de C. Kelty, tiré de Two Bits. The Cultural Significance of Free Software (http://twobits.net), que nous souhaitions intégrer dans le Framabook Histoires et cultures du Libre. Bien qu’ayant l’accord de l’auteur, son livre étant sous licence CC-BY-NC-SA, c’est l’éditeur seul qui pouvait lever temporairement la clause NC, moyennant une rétribution (certes faible, de l’ordre d’une centaine de dollars), afin que nous puissions inclure ce chapitre dans l’ouvrage destiné à la vente. La clause -SA posait aussi un grave problème pour l’ensemble de l’ouvrage. Nous l’avons donc inclus uniquement dans la version numérique gratuite.

[7] Pour les ouvrages où il n’y a pas de contrat d’auteur, les bénéfices sont reversés à Framasoft et entrent dans le cadre de l’équilibre budgétaire (en principe, lorsque celui-ci peut être atteint).

[8] Framasoft compte trois permanents à ce jour, affectés à la gestion des multiples projets de l’association ainsi qu’à son administration.

[9] C’est par exemple le cas des bandes dessinées GKND pour lesquelles nous avons fixé un objectif de prix (pas au-delà de 12 euros la version imprimée). Ce prix permet à l’auteur de toucher un intéressement, mais ne couvre pas les frais annexes (stockages, frais de port pour les approvisionnements, etc.). Cela peut bien entendu changer si nous empruntons une autre voie plus économique pour la production.

[10] L’essentiel des revenus de l’association étant composé des dons faits à l’association. Les revenus provenant de la vente des ouvrages permet d’avoir à disposition un fonds de roulement permettant d’acheter des stocks d’imprimés.

[11] Voir article L132-1 du CPI : « Le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion ». Constitue une faute de la part de l’éditeur le fait de n’avoir pas passé un contrat d’édition avec une personne à laquelle il reconnaissait la qualité d’auteur (Paris, 4e chambre, 22 novembre 1990).

[12] R. M. Stallman affirme en effet : « Selon moi, les licences non libres qui permettent le partage sont légitimes pour des œuvres artistiques ou de divertissement. Elles le sont également pour des œuvres qui expriment un point de vue (comme cet article lui-même). Ces œuvres ne sont pas dédiées à une utilisation pratique, donc l’argument concernant le contrôle par l’utilisateur ne s’y applique pas. Ainsi, je ne vois pas d’objection à ce qu’elles soient publiées sous licence CC BY-NC-ND, qui ne permet que la redistribution non commerciale de copies identiques à l’original. »

[13] Dans le même registre, et pour des motifs tout à fait recevables selon l’usage, certaines licences libres – une principalement : la GNU Free Documentation License – permettent d’identifier des passages spécifiques d’une œuvre comme invariants (cela notamment afin d’assurer une plus grande diffusion des textes philosophiques et/ou politiques annexer à une documentation).

[14] Le droit d’auteur se décompose entre droit moral et droit patrimonial : en vertu du droit patrimonial, l’auteur a la possibilité d’exploitation son œuvre (par des contrats de cession telle qu’une licence libre) ; en vertu du droit moral, l’auteur peut limiter certains usages préjudiciables pour son œuvre ou le lien qu’il entretient avec cette dernière.

[15] Ainsi que Joost Smiers et Marieke van Schijndel, op. cit.

[16] Voir : http://noenaute.fr/bonus-13-inspirations-et-digestion/2.