Il faut libérer Nuit Debout !

Chez Framasoft on aime bien quand les gens utilisent nos services « Dégooglisons ». C’est pour ça que quand on a vu que le mouvement Nuit Debout utilise l’outil Framacarte et l’intègrer sur son site officiel notre première réaction ça a été : « Chouette ! ». Notre deuxième ça a été : « Et si on interviewait ce joyeux geek qui a repris la Framacarte pour lui demander ce qu’il en pense ? ».

Séance de vote à Nuit Debout
Séance de vote à Nuit Debout

On s’est donc mis à la recherche du mystérieux développeur qui avait créé la Framacarte de Nuit Debout pour lui poser nos questions. Autant vous dire que ça n’a pas été facile ! Pas de mail ou de formulaire de contact sur leur site, pas de service presse ou communication et encore moins d’organigramme pour retrouver qui fait quoi chez eux. Bilan de l’enquête, tout ce qu’on a obtenu, c’est un pseudo, « Pea », le libriste concepteur de la Framacarte de Nuit Debout. Mais nos recherches nous ont amené à discuter avec tout plein de geeks qui collaborent à Nuit Debout et qui ont tenté de nous donner le point de vue du mouvement concernant les logiciels libres, la surveillance d’Internet, le libre accès à l’information, etc.
On a donc décidé de vous faire une petite synthèse de tous ces échanges qui peuvent constituer, non pas un point de vue officiel de Nuit Debout, mais au moins la tendance générale du mouvement.

« Pea », quant à toi, si tu existes vraiment, n’hésite pas à te manifester, car on ne perd pas espoir de t’interviewer !

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Nuit Debout n’est pas indifférent à la question des logiciels libres et même à la culture libre en général. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller faire un tour sur le site wiki, et plus précisément à la page Numérique. Nuit Debout essaie, quand c’est possible, de favoriser l’utilisation de logiciels libres ou au moins open-source. Ils utilisent par exemple le tchat Rocket, Mediawiki pour leur wiki et même pas mal d’outils Framasoft comme les framapads, framacalcs, etc. Pierre Lalu, un des administrateurs du tchat de Nuit Debout a d’ailleurs confirmé que la question des logiciels libres et open-source était « centrale » pour Nuit Debout. En discutant avec les nuit-deboutistes (ça se dit, ça ?), on se rend rapidement compte que, comme nous, ils ne portent pas particulièrement les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) dans leurs cœurs. Ils dénoncent unanimement le modèle de société proposé par ces grands groupes. C’est même une de leurs préoccupations, même s’ils voudraient que le sujet soit plus abordé au cours de leurs assemblées générales : « De toute façon nous n’avons fait qu’effleurer les problématiques liées au numérique dans la société… Nous n’avons pas encore évoqué par exemple les sociétés comme Uber ou les livraisons de repas qui participent à un modèle de société où chacun est son propre petit patron exploité, et ça fait partie de la société que nous rejetons (je crois) » me disait @mex. Au-delà des logiciels libres, de nombreux sujets touchant au numérique le préoccupent :
« – Veut-on du modèle de société que nous apportent Uber/Blablacar/Airbnb/Deliveroo, etc. ?
– La place des femmes dans l’informatique ;
– La robotisation VS la perte d’emplois ;
– Bientôt, les questions de singularité et de transhumanisme ».

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Stand de Libre@Toi* – Fourni par OliCat

Dans son fonctionnement, Nuit Debout a adopté nombre de solutions issues de la philosophie libriste. L’autogestion prônée par le mouvement rappelle celle qui gouverne la conception de nombreux logiciels libres. Certains geeks rencontrés m’ont d’ailleurs confiés collaborer fréquemment au développement de logiciels libres. Nuit Debout s’est d’ailleurs tournée vers La Quadrature Du Net qui, au nom de ces valeurs communes, a accepté d’héberger son chat et d’autres sites rattachés au mouvement. Ces sites, ainsi que leur contenu, sont pour la plupart sous licence libre, à l’exception du logo de Nuit Debout.

EDIT 26/04/2016 : Ce n’est pas La Quadrature Du Net qui héberge les services de Nuit Debout, mais une personne membre de LQDN qui exerce par ailleurs une activité d’hébergeur. Pardon à nos ami-e-s de La Quadrature d’avoir entretenu la confusion.

Alors, le Libre a-t-il vraiment conquis Nuit Debout ? Eh bien malheureusement, pas vraiment. Si les membres de Nuit Debout utilisent volontiers des outils libres quand ils sont disponibles, ils n’ont pas de problème à utiliser des logiciels propriétaires, voir les services des affreux GAFAM, faute de mieux. C’est ce que me disait Pierre Lalu : « Tant qu’on peut faire de l’open source et du libre, on le fait. S’il est indispensable d’utiliser du propriétaire, on le fait. Mais pour l’instant, rien n’entrave notre faim du logiciel libre. »

Un exemple concret de ce problème est le choix d’un système pour les votes par Internet. Les organisateurs de Nuit Debout cherchent depuis le début un moyen pour permettre à ceux qui ne sont pas présents physiquement de prendre part aux assemblées générales. Après plusieurs essais, la solution la plus globalement retenue est l’application Loomio, créée pour le mouvement Occupy Wall Street et sous licence libre (et dont Framasoft sortira une version relocalisée dans le cadre de sa campagne Dégooglisons Internet. Mais devant la difficulté à faire adopter Loomio au grand public, beaucoup de rassemblements se sont finalement rabattus sur Google Hangouts. De même pour la communication, Facebook est un outil essentiel du mouvement.

En fait, Nuit Debout rencontre ici un problème qu’on connaît bien à Framasoft : si les avertis sont convaincus de l’intérêt des logiciels libres, il reste très compliqué de convaincre le grand public. Comme me le dit Pierre Lalu, « avant de parler de logiciels libres, il y a besoin que des gens se forment à des outils très simples ». À Framasoft on répondra que les logiciels libres peuvent être simples et le sont souvent, mais on sait aussi que le simple terme en effraie plus d’un. Le tout est donc d’aborder la question avec pédagogie afin de convaincre le plus grand nombre, non seulement de l’intérêt des logiciels libres, mais aussi de leur facilité d’utilisation. Sauf que, comme l’ont dit plusieurs organisateurs, dans les nombreux stands existants place de la République, on ne trouve pas encore de stand pour promouvoir la philosophie libriste. En fait, le seul stand que j’ai trouvé qui portait un panneau « 100% logiciel libre » est celui de nos copains de la webradio Libre@Toi* que nous avions déjà interviewés en septembre dernier. Je suis donc retourné voir OliCat, l’un des animateurs de la radio, pour savoir ce qu’il pensait de l’utilisation des logiciels libres à Nuit Debout.

Stand de Libre@Toi* – Photos par OliCat

Salut OliCat, même si à Framasoft on connaît bien Libre@Toi*, rappelle nous un peu qui tu es et ce que tu fais.
Libre@Toi* est une structure transmédia d’Éducation Populaire. Son but est d’initier un réseau pair à pair et open source où chacun se réapproprie les outils, les techniques et les concepts, les redistribue et contribue ainsi au bien commun. Libre@Toi* articule l’ensemble de son action autour des quatre principes énoncés comme des libertés par le mouvement du logiciel libre : utiliser, comprendre / analyser, redistribuer, modifier.

Je t’ai rencontré par hasard place de la République un soir, on peut savoir ce que tu faisais là-bas ?
Comme depuis plusieurs jours, nous y produisons en direct une émission qu’on a appelée « La place aux gens ». En retrait des AG, notre envie était tout simplement de recueillir la parole des gens sur place en leur demandant ce qu’ils faisaient à Nuit Debout. Une bonne entrée en matière pour verbaliser les craintes, mais aussi et surtout les espoirs.
Par ailleurs, nous nous faisons également l’écho des quelques poches de résistance présentes sur la place ou d’initiatives sympas qui prennent forme bien loin du tumulte des assemblées générales. Par exemple, nous aimons diffuser les prises de paroles de la commission Santé.
Nous avons également tendu nos micros et quelques casques aux participants d’une lecture / débat organisée à la sauvage autour d’un bouquin de Lordon. Ça a donné lieu à une émission de très bonne facture à laquelle a d’ailleurs participé Judith Bernard qui passait par là et s’est assise avec Thomas, l’instituteur qui avait lancé cet atelier pour finalement l’animer avec lui.

Qu’est-ce qui vous a poussé à installer Libre@Toi* au milieu de la Nuit Debout ? Il existe déjà une radio-debout non ? Vous apportez quoi de différent ?
Ta question est étonnante mais très révélatrice de l’ambiance sur place. Les gens veulent faire la révolution mais ont besoin des modèles qui constituent le monde qu’ils sont sensés rejeter avec ce mouvement. Nous ne comptons pas le nombre de ceux qui, à juste titre ou par pur fantasme s’estimant détenteurs de la « bonne parole » concernant Nuit Debout, commencent par nous demander si nous sommes Radio Debout. Et la plupart, évidemment préfère aller leur parler. En gros, ils cherchent le TF1 ou le BFMTV de la place de la République. C’est finalement plutôt amusant. Alors, qu’est-ce qu’on apporte de différent ? Ben précisément ça : un média alternatif.

C’est quoi le rapport entre Nuit Debout et la culture libre pour toi ?
S’il s’agit bien, à Nuit Debout, d’initier le mouvement vers le monde d’après, alors la Culture Libre est – ou devrait – être au cœur des structures qui organisent la lutte. C’est en effet pour Libre@Toi* une exigence, un mot d’ordre assez évident.

En parlant avec des gars de Nuit Debout j’ai bien vu qu’ils sympathisaient avec la philosophie du Libre sans pour autant faire grand-chose à ce sujet, c’est quelque chose que tu as remarqué aussi ?
C’est assez tardivement (sans doute aussi un peu par provocation) que nous avons accroché à notre stand une pancarte « 100% Logiciels Libres ». Et du coup, en effet, on a été contraint d’expliquer ce positionnement aux uns aux autres. Le moment drôle, c’est quand Radio Debout est venue nous demander de parler logiciels libres sur leur antenne. Ce que nous n’avons évidemment pas fait : ils peuvent venir quand ils veulent, à notre micro, causer logiciels libres avec nous en revanche ! 😀
Donc, pour te répondre : les Nuits Debouts sentent bien une pression au sujet du logiciel libre puisque d’autres que nous, La Quadrature par exemple, ont tenté de les y sensibiliser. Mais c’est clairement quelque chose de lointain. Un truc auquel ils n’ont pas pensé et dont la logique politique leur échappe complètement.

 

une interview sur le place de la République
une interview sur le place de la République

 

Est-ce que vous profitez de votre présence place de la République pour sensibiliser les gens aux logiciels libres ? Est-ce qu’on vient vous en parler d’ailleurs ?
J’ai un peu répondu au-dessus. La raison de notre présence à Nuit Debout, ce n’est pas de faire de l’évangélisation, mais bien de donner « leur place aux gens » en libérant leur parole, sans le théâtre des assemblées générales et autres commissions. La promotion du logiciel libre, nous la faisons par ailleurs chez Libre@Toi*, mais je ne t’apprends rien.

Et d’ailleurs vous avez donné des coups de main pour « libérer » Nuit Debout ?
Notre premier choc, ça a été le lancement de Radio Debout qui impose à chacun pour les écouter, la présence d’un lecteur Flash sur leur ordinateur. Ainsi, ceux qui venaient porter la voix de la « révolution » utilisaient Mixlr. Avec du recul, c’est risible. Sur ce la Quadrature est arrivée avec la promesse de « libérer Radio Debout » sur l’initiative de Benjamin Sonntag. Cette tentative ayant échoué, j’ai proposé et à plusieurs reprises de fournir un serveur Icecast. On a juste été snobés. Alors est-ce qu’on donne un coup de main pour libérer Nuit Debout ? Oui, en portant sa voix, différemment.


Ce qu’on peut donc dire de Nuit Debout c’est que le terreau pour accueillir les logiciels libres est fertile. Certains ont même déjà commencé à planter quelques graines. Mais ils sont en manque cruel de jardinier pour les former et faire croître la philosophie Libre chez eux. Il reste donc à trouver les volontaires prêts à ouvrir les stands Libre-Debout dans tous les rassemblements de France afin que les logiciels libres ne soient plus seulement un vœu pieux de Nuit Debout mais bien une réalité.

Pour celles et ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur les aspects techniques « derrière » Nuit Debout, nous les renvoyons à la lecture de l’article « #NuitDebout : comment l’orchestre participatif s’est organisé » de Rue89 (où l’on apprend que Nuit Debout utilise a aussi utilisé un Framadate à 367 participants) et « Mais qui contrôle le site nuitdebout.fr » de Numérama.

Merci à Pierre Lalu, @mex, @pm56, @lili et à tous ceux qui ont répondu à mes questions sur le chat de Nuit Debout.




Les bibliothèques, outils de (re-)décentralisation du Web

Installer un relais Tor dans une bibliothèque publique ? Voilà une initiative qui peut paraître surprenante au premier abord, mais c’est ce qu’a fait la bibliothèque de Lebanon aux États-Unis dans le cadre du Library Freedom Project, pour garantir l’anonymat des usagers qui se connectent à Internet dans ses emprises.

Le texte de Jason Griffey traduit ci-dessous explique en quoi cette démarche fait sens dans une bibliothèque et pourquoi il deviendra sans doute même de plus en plus important que les bibliothèques s’emparent des enjeux de la protection de la vie privée et de la décentralisation d’Internet.

Nous remercions Lionel Maurel, alias Calimaq, pour cette présentation et surtout pour ses commentaires qualifiés et éclairants que vous retrouverez à la fin de cet article.

Les bibliothèques peuvent éviter à l’Internet des objets de subir la centralisation du Web

par Jason Griffey

Source :  How libraries can save the Internet of Things from the Web’s centralized fate
Traduction Framalang : Benoit, Penguin, goofy, xi

jasonGriffeyTout le monde pense que les bibliothèques ont un rôle positif à jouer dans le monde, mais ce rôle diffère suivant que vous parliez à un bibliothécaire ou à leur tutelle. Demandez à un membre de leur tutelle ce que les bibliothèques ont en commun, et il répondra probablement : elles partagent les livres avec les gens. Les bibliothécaires auront une réponse différente : elles partagent un ensemble de valeurs. Il est temps pour les bibliothèques de défendre ces valeurs en soutenant l’accès à Internet et en menant le combat pour conserver un Internet ouvert, libre et sans propriétaire.

Le Code d’Éthique de l’association des bibliothèques américaines dit : « Nous avons une obligation particulière de garantir la libre circulation de l’information et des idées aux générations actuelles et futures. » (1)

Cette libre circulation de l’information sur Internet est en danger à cause du renforcement de la centralisation de ces vingt dernières années. Ce qui était alors un terrain ouvert où tous les participants pouvaient exprimer leurs idées et créer des outils et du contenu dépend maintenant de plus en plus de services propriétaires fournis par des entreprises comme Facebook, Amazon, Twitter et Google. Ce n’est pas le futur qu’envisageait John Perry Barlow en 1996 lorsqu’il a écrit sa Déclaration d’Indépendance du Cyberespace :

Je déclare l’espace social global que nous construisons naturellement indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous imposer. Vous n’avez aucun droit moral de dicter chez nous votre loi et vous ne possédez aucun moyen de nous contraindre que nous ayons à redouter.

À l’époque, Barlow, comme beaucoup d’autres, pensait que la plus grande menace sur ce monde naissant provenait des gouvernements. C’est bien plutôt le commerce et le capitalisme qui ont permis à de grandes sociétés de dominer de façon quasi totale les services majeurs sur Internet. Les romans cyberpunks avaient tout compris.

D’un autre côté, la décentralisation est devenue la priorité dans les domaines où l’anonymat et la sécurité sont de mise. Par exemple, Bittorrent permet la distribution de contenu d’un utilisateur à l’autre sans que l’information ne réside sur un serveur. Tor (« le routeur oignon ») est un réseau de serveurs décentralisés qui rendent anonymes les moyens de communication. Le Bitcoin est une monnaie qui ne repose ni sur des banques ni sur des gouvernements, utilisant à la place un réseau distribué de « registres » pour garder trace des transactions. Le mouvement pour la re-décentralisation dépend souvent de la générosité d’inconnus qui offrent une partie de leur propre infrastructure au réseau en question : bande passante, cycles de calcul ou expertise technique — s’exposant ainsi parfois à des risques personnels et professionnels importants.

Les systèmes décentralisés vont fournir l’information et les services du prochain grand virage informatique : l’Internet des objets.
Ces « objets » seront décentralisés par essence, et cette décentralisation peut être protégée contre l’accaparement si nous préparons le terrain maintenant en créant des nœuds par lesquels ces micro-réseaux vont communiquer.

L’Internet décentralisé partage les valeurs traditionnelles des bibliothèques. Les systèmes décentralisés sont de solides remparts contre la censure, le contrôle ou les intérêts d’entreprises dirigées par leurs actionnaires. Les services distribués n’ont pas de point faible centralisé — pas de prise électrique unique à débrancher, pas de serveur unique qui puisse être assigné à comparaître — donc ces services ne peuvent pas être retirés à leurs utilisateurs finaux. Leurs intérêts sont directement alignés sur ceux de leurs utilisateurs qui n’auront pas à pâtir de maîtres indifférents.

La force des systèmes décentralisés est aussi leur faiblesse. La décentralisation signifie qu’il n’est pas possible de forcer ou soudoyer une entreprise pour modifier le système afin qu’il soit plus facile à contrôler ou à espionner, mais cela signifie aussi qu’il n’existe pas d’entité capable de lutter au tribunal ou au Congrès [NdT : pouvoir législatif américain] pour défendre le système lorsqu’il est attaqué.

Les bibliothèques peuvent soutenir un système décentralisé à la fois par leurs ressources informatiques et leur pouvoir de pression. Les combats qu’elles ont menés en faveur d’une infrastructure libre, juste et ouverte pour Internet montrent que nous avons de l’influence dans la sphère politique, ce qui a tout autant d’importance que les serveurs et la bande passante.

À quoi ressembleraient des services bâtis sur les valeurs et l’éthique des bibliothèques ? Ils ressembleraient à des bibliothèques : accès universel à la connaissance. Anonymat des demandes d’information. Un soin particulier apporté aux capacités de compréhension et à la qualité de l’information. Un fort engagement pour s’assurer que les services sont disponibles à tous les niveaux de pouvoir et de privilège.

Pour prendre un exemple, la bibliothèque Kilton, à Lebanon dans le New Hampshire, a installé un relais Tor. C’est l’aboutissement d’une longue bataille pour obtenir que les bibliothèques reconnaissent que leur infrastructure a un rôle important à jouer en faveur d’une grande idée : aider à protéger les communications du monde entier. Alison Macrina, la directrice du Library Freedom Project, et Nima Fatemi, la directrice technique, ont accompli un travail magnifique pour mener à son terme ce projet et démontrer qu’une bibliothèque peut servir aussi bien sa communauté locale que le vaste monde.

(manuscrit médiéval, banque d'images BNF)
Geek expliquant le fonctionnement du routeur oignon à une bibliothécaire (manuscrit médiéval, banque d’images BnF)

Ça n’a pas été facile, parce que la plupart des gens ne comprennent pas ce qu’est Tor ni pourquoi Tor est important dans le monde. C’est exactement pour ça que nous avons besoin que les bibliothèques montrent le chemin. Les bibliothèques devraient embrasser ce futur distribué et mettre à disposition leurs surplus de cycles et de bande passante pour mettre en œuvre les prochaines étapes de l’évolution vers un Internet décentralisé. Les bibliothèques sont l’endroit idéal pour développer ces services, car ils sont en phase avec l’éthique des bibliothèques, et celles-ci jouent ainsi pleinement leur rôle de membres de confiance au sein de leur communauté.

Tor est seulement un exemple. Les plus grande bibliothèques peuvent contribuer à l’hébergement de ressources et d’applications. Les associations de bibliothécaires peuvent parrainer des services décentralisés dans le but de les rendre accessibles, afin que les petites bibliothèques puissent les installer et les gérer facilement. Toutes les bibliothèques peuvent commencer à explorer ces possibilités, engager leurs communautés en tant qu’utilisateur de ces services, mais aussi en tant que contributeurs, par leurs compétences techniques et leurs connaissances.

Les bibliothèques — par leur position dans la communauté, leurs valeurs et leur longue expérience dans leur mission qui et de rendre l’information aisément accessible tout en protégeant les intérêts des utilisateurs — ont une position privilégiée pour nous guider sur le chemin de la re-décentralisation d’Internet. Les bibliothèques et les bibliothécaires ne peuvent pas se permettre de laisser passer cette occasion de nous emmener vers la prochaine étape. Ils doivent s’en emparer.

(Image: Tubes and Wires, Eddie Welker, CC-BY)

(1) On consultera également avec intérêt la charte UNESCO sur le rôle des bibliothèques

* * * * * * *

220px-Lionel_Maurel_Journee_domaine_public_2012Les bibliothèques ne sont pas seulement des points d’accès à des contenus culturels ou scientifiques. Ce sont aussi depuis longtemps des lieux d’apprentissage du rapport à l’information, des espaces d’exercice de la liberté d’expression et plus généralement, du vivre-ensemble et de la citoyenneté. Les bibliothécaires américains ont été sensibilisés plus tôt à la question de la protection de la vie privée, notamment parce qu’ils ont été frappés de plein fouet par le Patriot Act après les attentats de 2001. Le texte initial prévoyait en effet la possibilité pour le FBI d’accéder aux fichiers des usagers des bibliothèques pour connaître la teneur de leurs lectures.

Les bibliothécaires américains (et notamment la puissante ALA – American Library Association) ont agi pendant de nombreuses années pour contester cette dérive et ériger la défense de la privacy (confidentialité) comme valeur majeure pour leur profession. Par extension, la liberté d’accès à Internet en bibliothèque a fait l’objet également d’une attention particulière,  notamment pour permettre aux usagers d’accéder à un internet sans filtrage au nom de l’Intellectual Freedom de la même manière que les bibliothèques sont censées ne pas exercer de censure sur les ouvrages acquis pour leurs collections.

Ces questions prennent de plus en plus d’importance à mesure que la surveillance de masse de la population se déploie et se renforce, sous l’action conjuguée des États et des grandes entreprises du Web. En 2014, à l’occasion de son congrès annuel qui se tenait à Lyon, l’IFLA — l’association internationale des bibliothécaires — a apporté son soutien aux 13 principes contre la surveillance de masse portés par EFF. Dans le contexte des révélations d’Edward Snowden, c’était un symbole fort qui marquait un tournant dans l’implication des bibliothécaires sur ces questions.

Malgré le cortège de lois sécuritaires adoptées en France depuis trois ans, les bibliothécaires français restent moins en pointe que leurs homologues américains dans ces débats. Néanmoins, leur implication évolue également dans un sens similaire. L’Association des Bibliothécaires de France (ABF) a adopté en 2015 une charte Bib’Lib en faveur de « l’accès libre à l’information et aux savoirs ». Ce texte est associé à un label et  préconise de garantir l’accès à un internet libre et ouvert, « sans contraintes d’identification autre que ce que prévoit la loi » et dans le respect des données personnelles des usagers. Certains établissements, comme la BULAC à Paris , agissent comme des pionniers pour définir des bonnes pratiques en termes de conservation des données de connexion et d’accès à Internet. Et on commence peu à peu à voir des établissements français comme la bibliothèque de l’INSA qui organisent des crypto-parties.

L’un des intérêts du texte de Jason Griffey est d’établir le lien entre les enjeux de protection de la vie privée et de décentralisation d’Internet. Les bibliothèques peuvent en effet jouer un rôle important dans la formation des usagers à l’utilisation des outils et au développement de la « littératie numérique ». On espère que des passerelles pourront d’ailleurs se créer entre les bibliothèques françaises et le projet CHATONS de Framasoft, qui fait la promotion d’alternatives libres et décentralisées aux services proposés par les GAFAM.

Il est d’autant plus important que les bibliothèques jouent ce rôle citoyen que la pression sécuritaire monte en France. Suite aux attentats de novembre dernier, le gouvernement avait annoncé un temps son intention de bloquer le WiFi public et d’interdire l’usage du réseau tor en France. Si ce genre de projets venaient à être mis à exécution, non seulement les bibliothèques françaises seraient directement impactées, mais une initiative comme le Library Freedom Project deviendrait impossible dans notre pays…




Le numérique nous change au-delà de nos usages

Nous avons tous conscience, pour peu que nous prenions un peu de recul, que nos usages et nos mœurs ont considérablement changé dans les 20 dernières années. Nous en attribuons la cause à l’omniprésence des technologies numériques que nous avons massivement adoptées, du moins dans notre partie du monde.

Cependant ce n’est pas seulement notre manière de communiquer, vivre, travailler, aimer… qui ont complètement changé, c’est aussi notre manière d’être nous-mêmes, ou plutôt : la façon dont notre être apparaît aux yeux du monde numérique désormais.

Lorsque ce monde numérique est quasi entièrement sous la coupe des entreprises de la Silicon Valley et sous la surveillance des gouvernements, nous sommes asservis à une nouvelle féodalité, et plus vraiment dans une démocratie.

C’est ce qu’expose Aral Balkan dans le billet qui suit.

Aral Balkan est le fondateur et principal créateur de Ind.ie, il a déménagé son entreprise aux Pays-Bas l’an dernier lorsqu’il a vu que le nouveau gouvernement britannique voulait accentuer la surveillance de masse et imposer des backdoors, ces portes dérobées dans le code qui permettent les intrusions dans les données confidentielles.
soLong

La nature du « soi » à l’ère numérique

aral-432Article original sur le blog d’Aral Balkan : https://ar.al/notes/the-nature-of-the-self-in-the-digital-age/

Traduction Framalang : Piup, roptat, line, goofy, Penguin 

3 Mars 2016 – Cet article repose sur une conférence que j’ai donnée au Bucerius Lab à Hambourg le mois dernier et qui s’intitulait : « Émancipation numérique : la propriété de soi à l’ère numérique ».

La nature de la technologie moderne

Votre téléviseur intelligent, la montre à votre poignet, la nouvelle poupée Barbie de votre enfant et la voiture que vous conduisez (c’est plutôt elle qui vous conduit, non ?) ont une chose en commun : tous ces objets fonctionnent en collectant des données — vos informations personnelles — sur vous, vos amis, et votre famille.

Bien que cela puisse sembler effrayant en soi, le vrai problème n’est pas là.

La technologie moderne fonctionne en moissonnant une profusion de données (souvent personnelles). Il s’agit simplement d’une réalité de la vie. On ne la changera pas.

La question cruciale est la suivante : qui possède et contrôle les données vous concernant et les mécanismes par lesquels elles sont recueillies, analysées, et transformées en services utiles ?

Si la réponse à cette question était « c’est moi » alors notre problème serait résolu. Dans ce monde idéal, grâce aux capacités de la technologie, les individus disposant de davantage d’informations sur eux-mêmes et sur le monde qui les entoure pourraient traduire ces informations en superpouvoirs.

Malheureusement, nous ne vivons pas dans ce monde.

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Le public, branché sur des casques de réalité virtuelle, ne voit pas passer Mark Zuckerberg. L’avenir que nous devons éviter.

Aujourd’hui, la réponse à notre question, c’est que les sociétés multinationales comme Google et Facebook possèdent et contrôlent à la fois vos données personnelles, les moyens de les collecter, de les analyser et d’en faire de l’argent.

Aujourd’hui, ce sont les entreprises, et non les individus, qui  possèdent et contrôlent nos données et la technologie. Nous vivons dans une entreprenocratie, pas une démocratie.

Nous voici dans un état socio-techno-économique que Shoshana Zuboff de la Harvard Business School appelle le capitalisme de surveillance (en).

Pour comprendre pourquoi le capitalisme de surveillance est si problématique, nous devons d’abord comprendre deux concepts fondamentaux : la nature du « soi » et la nature des données à l’ère numérique.

La nature du « soi » à l’ère numérique

Selon Steve Krug, l’auteur de Do not Make Me Think (en), une technologie bien conçue devrait jouer le rôle d’un majordome lors de l’interaction avec un être humain. Disons que je veux me souvenir de quelque chose pour plus tard et que j’ai mon smartphone avec moi. La conversation entre nous pourrait donner quelque chose comme ceci :

Moi : majordome, rappelez-moi ça plus tard.

Mon smartphone : bien entendu, monsieur, je viens de le mettre pour vous dans l’application Notes .

Moi : merci

En réalité, avec des technologies comme Siri, vous pouvez avoir dès aujourd’hui exactement ce type de conversation.

Telle est la façon courante de voir notre relation à la technologie : comme une conversation entre deux acteurs. Dans notre cas, entre moi et mon téléphone. Si c’est ainsi que nous voyons la technologie, la surveillance est la capture des signaux entre les deux acteurs. Ce n’est en rien différent de ce que faisait la Stasi, quand elle installait des mouchards dans votre maison et écoutait vos conversations. Ce n’est pas très sympathique, mais la surveillance est ainsi, traditionnellement.

Mais que se passerait-il si telle n’était pas notre relation à la technologie ?

votre smartphone est-il un simple majordome ou bien un peu plus que ça ?
Votre smartphone est-il un simple majordome ou bien un peu plus que ça ?

Lorsque je note une idée sur mon smartphone pour m’en souvenir plus tard, est-ce qu’en réalité je ne donne pas une extension à mon esprit, et par là-même une extension à mon « moi » utilisant le smartphone ?

Aujourd’hui, nous sommes des cyborgs. Cela ne veut pas dire que nous nous greffons des implants technologiques, mais que nous étendons nos capacités biologiques avec la technologie. Nous sommes des êtres éclatés, avec des parties de nous-mêmes dispersées dans nos objets quotidiens et augmentées par eux.

Peut-être est-il temps de repousser les frontières du soi pour inclure les technologies au travers desquelles nous nous étendons nous-mêmes.

Le smartphone étend les frontières du « soi »

L’extension des frontières du « soi »

Si nous commençons à percevoir ainsi nos objets quotidiens, pas en tant qu’acteurs séparés, mais comme des extensions de nous-mêmes, alors plusieurs choses deviennent très claires.

Tout d’abord, la surveillance n’est plus la capture de signaux mais une violation du soi. Considérons le litige actuel entre Apple et le FBI, qui veut créer un précédent pour pouvoir accéder au téléphone de n’importe qui. J’ai entendu dire que la requête se rapprochait d’une requête légale pour accéder au contenu d’un coffre-fort (ici lien vers un article en anglais qui explique les véritables enjeux du conflit Apple contre FBI). Rien ne pourrait être aussi éloigné de la vérité. Mon iPhone n’est pas plus un coffre-fort que mon cerveau n’en est un. C’est une partie de moi. Dans ce cas, si on veut rentrer dans mon iPhone, ce qu’on veut vraiment c’est violer ma personne. C’est une attaque contre le soi. Et nous avons déjà un riche corpus de lois et de règlements qui sanctuarisent le soi et les droits des êtres humains.

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La surveillance du « soi » est une agression, une violation du soi.

Ensuite, il apparaît clairement que nous n’avons pas besoin d’une nouvelle Déclaration des Droits relative à Internet ou d’une « Magna Carta » du Web ou quoi que ce soit d’aussi absurde : tout ce dont nous avons besoin, c’est d’appliquer la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (les droits de l’homme que nous connaissons) au monde numérique. Il n’existe pas un monde numérique et un monde réel. Il n’y a pas des droits de l’homme et des « droits numériques ». Nous parlons, en fait, d’une même et unique chose.

Enfin, nous commençons à comprendre la nature véritable de ceux qui fouinent dans nos données personnelles et nous pouvons essayer de réglementer efficacement leurs pratiques néfastes.

Mais pour commencer, il nous faut comprendre ce que sont les données.

La nature des données

On entend souvent dire que les données sont des placements profitables. Selon le magazine Wired , elles seraient l’équivalent moderne du pétrole. C’est seulement parce que nous ne comprenons pas la vraie nature des données que nous ne sommes pas choqués par ce genre de comparaison.
Prenons un exemple :

Supposons que j’aie une petite figurine. Si je dispose d’assez de données sur elle, je peux avec une imprimante 3D en créer une copie conforme à l’original. Imaginez maintenant ce que je peux faire si je dispose d’assez de données sur vous-même.

Les données sur un objet, si vous en avez une quantité suffisante, deviennent cet objet.

Les données sur vous, c’est vous.

Les données personnelles ne sont pas le nouveau pétrole. Les données personnelles, ce sont les gens eux-mêmes.

Maintenant, il ne s’agit pas de dire que Google, Facebook et les innombrables start-ups de la Silicon Valley veulent faire votre copie en 3D. Non, bien sûr que non. Ces entreprises veulent simplement vous profiler. Pour vous imiter. Pour en faire du profit.

Le modèle économique du capitalisme de surveillance, celui de Google, Facebook et des innombrables start-ups de la Silicon Valley, c’est de monétiser les êtres humains. Nous savons tous que Facebook et Google font tourner d’énormes « fermes de serveurs ». Vous êtes-vous jamais demandé ce qu’ils peuvent bien cultiver dans ces fermes ? posez-vous la question et vous devriez arriver rapidement à la conclusion que c’est nous qui sommes « cultivés ». Que sont Google et Facebook si ce n’est des fermes industrielles pour cultiver des êtres humains ?

Une ferme de serveurs

Une ferme de serveurs

Nous les appelons des fermes de serveurs… Vous êtes-vous jamais demandé ce qu’ils peuvent bien cultiver dans ces fermes ?

Si cela vous paraît familier, c’est normal : voilà bien longtemps que nous utilisons diverses variantes de ce modèle économique.

Nous appelons ce business très rentable et pourtant ignoble qui consiste à vendre le corps des humains : « l’esclavage ». Le modèle économique des plus grosses entreprises technologiques consiste à tout monétiser de vous à l’exception de votre corps. Comment appellerons-nous cela ?

selling-people

Nous avons tout un passif historique honteux de la commercialisation des individus. Aujourd’hui, le modèle économique des industries technologiques principales consiste à vendre tout ce qui vous concerne, tout ce qui fait que vous êtes vous, à l’exception de votre corps. Comment devrions-nous appeler cela ?

Ce n’est pas un problème technologique…

La Silicon Valley est la version moderne du système colonial d’exploitation bâti par la Compagnie des Indes Orientales, mais elle n’est ni assez vulgaire, ni assez stupide pour entraver les individus avec des chaînes en fer. Elle ne veut pas être propriétaire de votre corps, elle se contente d’être propriétaire de votre avatar. Et maintenant, comme nous l’avons déjà vu, plus ces entreprises ont de données sur vous, plus votre avatar est ressemblant, plus elles sont proches d’être votre propriétaire.

Votre avatar n’est pas figé une fois pour toute, c’est quelque chose de vivant, qui respire (grâce à des algorithmes, pas avec des cellules biologiques). Il vit dans les labos de Google, Facebook et il est soumis constamment à des centaines voire des milliers de tests pour être analysé afin de mieux vous comprendre. Certaines de ces expériences, si elles étaient réalisées sur votre personne physique, conduiraient les dirigeants de ces compagnies en prison pour crime contre l’humanité.

Toutes ces informations personnelles et toute la richesse qui en découle appartiennent à des entreprises et par extension (comme Edward Snowden nous l’a montré) sont partagées avec les gouvernements.

Cela crée un très grand déséquilibre entre le pouvoir des individus et celui des entreprises et entre le pouvoir des individus et celui de leur gouvernement.

Si je me promène avec une caméra chez Google Inc., je serai en arrêté. En revanche, Google enregistre ce qui se passe dans un nombre incalculable de foyers grâce aux caméras Nest [NDT : webcam filmant en continu]. Dans le monde du capitalisme de surveillance, ceux qui ont droit au respect de leur vie privée (les individus) en sont… privés, alors que ceux qui devraient être transparents (les entreprises, les gouvernements) en bénéficient.

Quand Mark Zuckerberg déclare que « la vie privée est morte », il parle uniquement de notre vie privée, pas de la sienne. Quand il achète une maison, il achète également les deux maisons mitoyennes. Sa vie privée, celle de Facebook Inc. et la confidentialité de votre gouvernement sont toujours protégées, et même bien protégées.

Si cela ne ressemble pas à de la démocratie, c’est parce que ce n’en est pas. Le capitalisme de surveillance n’est pas compatible avec la démocratie.

Le système dans lequel nous vivons aujourd’hui pourrait être appelé : « entreprenocratie », le régime féodal des entreprises.

Nous vivons dans une époque néo-coloniale régie par des monopoles multinationaux.

Un impérialisme numérique, si vous préférez.

La montée de l’ « entreprenocratie » est la conséquence de décennies de néo-libéralisme incontrôlé et d’idéologie californienne. Elle a conduit le système à un niveau jamais atteint d’inégalités, pour preuve : 62 personnes possèdent autant de richesses que la moitié du monde la plus pauvre (soit 3,5 milliards de personnes). Elle apporte aussi la destruction à grande échelle de notre environnement à travers l’épuisement des ressources et le changement climatique. Pour le dire crûment, c’est une menace mortelle pour notre espèce.

Ce n’est pas un problème technologique.

C’est un problème du capitalisme.

Et la seule réponse possible est une démocratie meilleure et plus forte.

Des technologies alternatives, décentralisées et à divulgation nulle peuvent jouer un rôle important en nous aidant à obtenir de plus grandes libertés publiques et une meilleure démocratie. Mais la technologie n’est pas un remède miracle. Sans changement au niveau de la régulation ou des statuts, ces technologies seront jugées illégales et ceux d’entre nous qui les auront mises en œuvre deviendront les nouveaux Snowden et Manning.

Notre défi est immense : les alternatives que nous créons doivent être pratiques et accessibles. Elles doivent être conçues de manière éthique et être non-coloniales par construction. Ce n’est pas une tâche simple.  Mais ce n’est pas non plus irréalisable. Je le sais car en ce moment je code moi-même ce type de solution, et d’autres aussi.

ethical-design

La pyramide de la création éthique : les produits doivent respecter les droits de l’homme, être utiles, fonctionnels et fiables, tenir compte de l’expérience utilisateur.

Les solutions alternatives doivent être conçues de façon éthique.

La bataille pour nos libertés publiques et pour la démocratie doit être menée avec nos nouveaux objets quotidiens. Selon le résultat nous verrons si nous resterons des serfs soumis à une féodalité numérique ou si nous pouvons être des citoyens libres, renforcés par une technologie qui nous appartiendra et que nous contrôlerons, des individus qui pourront explorer le potentiel de l’espèce humaine jusqu’à l’infini.

Je souhaite travailler à ces lendemains lointains.

Et j’espère que vous aussi.

Copyright © 2003–2016 Aral Balkan. Sauf mention contraire, tous les contenus de mon blog sont sous licence Creative Commons Attribution-ShareAlike 4.0 International et tout code publié est sous licence MIT. Photo d’Aral par Christina von Poser.




Un financement pour pouvoir se libérer… de Framasphère !

Diaspora* est un réseau social décentralisé et respectueux de la liberté. Le terme diaspora* désigne à la fois le logiciel sous licence AGPL à installer sur un serveur pour pouvoir se connecter au réseau, et le réseau lui même, composé de toutes les différentes installations du logiciel diaspora*.

Framasphère est une de ces installations (appelées pods), et nous sommes heureux de vous fournir un accès à ce réseau depuis l’un de nos serveurs.

Démarré en Février 2010, le projet diaspora* est devenu communautaire en Août 2012. Depuis, le développement avance dans la bonne direction mais à un rythme lent : il n’est porté que par des bénévoles, principalement allemands et français.

Essayez, installez, migrez.

Senya, un développeur russe, se propose de travailler sur diaspora* à temps plein en se rémunérant grâce à une campagne de financement participatif. La fonctionnalité principale visée pour cette campagne est la possibilité de migrer son compte diaspora* d’une installation vers une autre.

migration diaspora

C’est une fonctionnalité qui nous tient à cœur, car elle touche un point clef de notre approche de la diffusion du logiciel libre : « cultiver son jardin », c’est à dire avoir sa propre installation du logiciel.

En effet, le projet Dégooglisons fonctionne en 3 étapes : vous faire découvrir le logiciel / service, vous permettre de l’essayer, puis vous permettre de l’installer chez vous, pour être le seul maître de vos données.

Vous pourrez enfin changer de pod !

Si pour certains services ce cheminement est facile, il devient nettement plus compliqué dès qu’il n’est pas possible d’extraire vos données de l’installation de Framasoft pour les réimporter dans votre propre installation.

Qui voudrait installer son propre nœud diaspora* si cela implique de perdre tous les contacts, messages, photos, etc. postés depuis des mois sur Framasphère ? Voilà pourquoi nous encourageons vivement Senya dans son crowdfunding.

Et bonne nouvelle ! Depuis quelques jours, les 3500 euros demandés ont été atteints, Senya va pouvoir travailler sur la migration entre les serveurs diaspora* !

5 jours pour aller plus loin…

Cependant, le financement se poursuit jusqu’au 20 Mars, car Senya se propose maintenant d’ajouter les mentions dans les commentaires si 4200 euros sont atteints, et la fédération des tags entre les pods si 5000 euros sont atteints (oui, les tags ne sont actuellement pas fédérés en tant que tels, voir cet article de blog pour les détails techniques). Ces fonctionnalités sont elles aussi très intéressantes, nous vous encourageons donc vivement à donner si vous le pouvez !

Senya propose notamment une récompense intéressante : si vous donnez 150 euros, il vous aidera personnellement à installer votre propre pod diaspora* puis à migrer votre ancien compte dessus en utilisant sa fonctionnalité toute neuve. C’est une opportunité unique d’avoir enfin votre propre réseau social entièrement sous votre contrôle !

diaspora

En participant à ce crowdfunding, vous ne permettez pas seulement à Framasphère et à toutes les installations de diaspora* d’être plus complètes et de mieux fonctionner, créant une alternative fiable à l’horreur qu’est Facebook. Vous montrez aussi que vivre en écrivant du code Libre est quelque chose de possible.

Non seulement vous aidez Senya, qui prend le risque de faire financer son travail par la communauté plutôt que de trouver un emploi stable traditionnel, mais vous incitez aussi les autres développeurs à se tourner vers le financement participatif pour faire vivre tous les beaux logiciels Libres que nous aimons tant !

Alors, n’hésitez plus, participez !




CHATONS, le collectif anti-GAFAM ?

Suite à la mise en place de la campagne Dégooglisons Internet, Framasoft souhaite impulser la création d’un Collectif d’Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires (C.H.A.T.O.N.S. ! 😛 ).

Ce collectif rassemblerait les organisations souhaitant proposer des services alternatifs à ceux de GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), respectueux de la vie privée des utilisateurs.

Le projet n’en est qu’à ses débuts et ne sera pas ouvert au public avant plusieurs mois, mais ce billet permet d’informer les actuels hébergeurs de services libres de l’initiative.

Rappel des épisodes précédents

Depuis son lancement en octobre 2014, notre campagne « Dégooglisons Internet » a rencontré d’excellents échos. Que cela soit dans la presse, ou bien entendu, auprès du public.

Rappelons que ce projet, qui s’étale sur plusieurs années, vise à résister à la colonisation du web par Google, Apple, Facebook, Amazon ou Microsoft (GAFAM pour les intimes, et la totalité des internautes sont, justement, très intimes avec eux).

Pour cela, nous nous étions fixés trois objectifs :

1 – Sensibiliser le grand public aux dangers (avérés, mais surtout à venir) d’une trop grande centralisation des services web :

  • dépendance à des outils contrôlés à distance par d’autres ;
  • marchandisation de nos données personnelles ;
  • surveillance généralisée facilitée pour les états (telle que révélée entre autre par Edward Snowden) ;
  • frein à l’innovation du fait de la puissance financière de ces sociétés. Pour information, Alphabet, la maison mère de Google, est la première capitalisation boursière mondiale (la seconde étant… Apple). Jamais notre monde n’a connu d’entreprises aussi riches ;
  • un « débordement » du cadre web qui devrait nous interroger (voiture sans chauffeur, investissement dans les biotechnologies, la robotique, des projets pas du tout farfelus pour connecter toute la planète, des objets connectés surveillant nos faits et gestes, des incursions dans le domaine politique, etc.).

2 – Démontrer que le logiciel libre était une alternative (probablement la seule, d’ailleurs) aux services de GAFAM.

Pour cela, nous avons mis en place plus d’une quinzaine de services en ligne respectueux de vos données. Et une quinzaine d’autres devraient suivre dans les 18 prochains mois.

3 – Essaimer notre démarche, afin de ne pas nous-mêmes devenir un « espace centralisé »

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Un bilan positif

Sur le premier point (sensibilisation), nous sommes satisfaits du résultat :

Sur le second point (démonstration), il semblerait que ça soit plutôt vous, le public, qui êtes satisfaits 🙂 :

Sur le troisième point (essaimage), il semblerait que la rencontre ait eu lieu : nous avons appris (parfois par hasard !) que de nombreux « clones » de nos services avaient été mis en place (Diaspora Nouvelle Donne, Framadate ici ou , MyPads, etc.)

 

Carte Dégooglisons Internet
Carte Dégooglisons Internet

Mais aussi des faiblesses

Pourtant, nous savons que nous allons dans le mur !

Pour l’instant, nous n’avons pas de problème pour fournir le service. Grâce à vos dons, nous avons pu embaucher un administrateur système à temps plein, ce qui va nous permettre de stabiliser l’infrastructure technique (une quarantaine de machines virtuelles, tout de même).

Cependant, cette croissance permanente n’est pas tenable à long terme.

Certes, nous pourrions demander plus de dons, pour embaucher plus, maintenir plus de machines. Mais cela ne nous parait pas être une bonne solution : nous n’avons pas envie de courir derrière l’argent, et surtout cela ferait de Framasoft, à terme, un service centralisateur du même type que celui contre lequel nous essayons de résister !

Et, non, pour répondre à une demande récurrente, il n’est pas question pour nous de proposer des services payants, car nous n’avons pas envie de gérer des clients. Ça, c’est le travail d’entreprises du libre (et elles ne manquent pourtant pas). Framasoft est une petite association et ce statut nous convient tout à fait.

Framasoft : une AMAP du libre ?

Vous pouvez voir Framasoft comme une AMAP du logiciel libre, en quelque sorte. Ce type d’organisation ne fait sens que si la taille en reste raisonnable, que s’il y a proximité entre le producteur (Framasoft) et les utilisateurs (vous !).

Dit plus clairement : nous ne cherchons pas de solution technique ou financière à une crise de croissance. Même si cela peut paraître paradoxal, nous souhaitons d’ores et déjà anticiper le ralentissement de cette croissance ! 🙂

Une forme de sobriété volontaire qui pourra sans doute en étonner certains, mais qui parait relativement logique si on ne souhaite pas « industrialiser » les processus car cette industrialisation, justement, génère des effets de bords négatifs pour la vie privée de nos utilisateurs. Nous sommes fiers de notre indépendance (grâce à vos dons), et de notre côté « artisan du web » qui peut encore prendre le temps de discuter/débattre avec ses utilisateurs.

Des chatons (et de la bière ?) pour libérer le monde !

Pour les raisons évoquées ci-dessus, Framasoft souhaite aujourd’hui renforcer son objectif d’essaimage.

Nous nous proposons aujourd’hui d’impulser la création d’un collectif nommé C.H.A.T.O.N.S. pour : Collectif d’Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires.

Pour faire court, CHATONS serait un peu aux services libres ce que la Fédération FDN est aux fournisseurs d’accès internet libres : un moyen de rassembler, de mutualiser, de décentraliser, de donner de la visibilité, de fédérer autour de valeurs communes, de faciliter l’essaimage, mais sans pour autant centraliser, rigidifier, contrôler ces structures.

 

Chat et bières

Pour faire plus long, reprenons les objectifs possibles d’un tel collectif, dont nous souhaitons faciliter l’émergence :

1 – Rassembler

Il existe en fait déjà de nombreux hébergeurs de services en ligne libres et alternatifs, dont certains existent depuis bien, bien plus longtemps que Framasoft.

Citons, par exemple (et par ordre alphabétique) :

L’un des objectifs serait de proposer à ces différentes structures, si elles le souhaitent, de rejoindre le collectif.

2 – Mutualiser

Les libristes aiment leur indépendance, elle est parfois une force qui nous permet de faire preuve d’innovation, de résilience, de créativité, de réactivité. Et elle est parfois un faiblesse, qui nous fait réinventer la roue, non pas par plaisir, mais juste par ignorance que d’autres ont déjà trouvé une solution à notre problème.

L’un des objectifs serait de partager l’information et les bonnes pratiques, sans pour autant imposer ces dernières.

3 – Décentraliser

Framapad est en rade ? Vous cherchez un service de sondages plus poussé que Framadate ? Vous voulez quitter Gmail, sans savoir chez quel fournisseur prendre votre email ?

Framasoft ne couvre pas l’ensemble des besoins, et ne propose aucune garantie de disponibilités dans ses Conditions Générales d’Utilisation. Il serait donc utile de répartir la charge et les services sur différentes organisations, non seulement pour éviter les silos de données, mais aussi pour s’assurer de ne laisser aucun utilisateur dans l’impasse.

L’un des objectifs serait de mettre en réseau les différentes organisations volontaires, afin qu’elles puissent proposer des services complémentaires (voir redondants) aux utilisateurs.

4 – Donner de la visibilité

Parmi les soucis que Framasoft rencontre, il y a le fait que nous sommes loin de connaître toutes les hébergeurs libres et alternatifs en France ou à l’étranger.

Pour prendre un exemple parmi beaucoup d’autres, nous avons découvert presque par hasard l’association Nanterasso (qui dépend du GUL Nanterrux). Il y a sans doute de nombreuses autres associations de ce type en France.

D’autres structures existantes, comme ouvaton.coop, mériteraient sans doute un coup de projecteur.

L’un des objectifs serait de rendre visible, sur un site web, les différentes structures membres du collectif, ainsi que leurs offres.

5 – Fédérer

Évidemment pour qu’un collectif fonctionne, il faut que ses membres se retrouvent autour de valeurs communes. Sans elles, on finit par ne plus savoir ce qu’on fait là, ce qu’on partage avec l’autre, ni ce qui nous rassemble.

Nous proposons que le collectif rédige :

  • un manifeste, pour poser noir sur blanc les valeurs défendues ;
  • une charte, permettant à chacun de connaître les règles de gestion du collectif.

L’un des objectifs serait donc de fixer ensemble les règles communes permettant aux membres du collectif de pouvoir promouvoir et défendre efficacement les valeurs qui les rassemble.

6 – Essaimer

Le collectif CHATONS est un collectif « sans compétition » : le but ne doit pas être d’avoir le plus grand nombre d’utilisateurs, puisque les membres souhaitent décentraliser les services. Par conséquent, le collectif veillera à faciliter la création et l’accueil de nouveaux membres.

L’un des objectifs serait d’abaisser « la barrière à l’entrée » pour les nouveaux entrants. Plus il y aura de chatons actifs respectant la charte et le manifeste, mieux cela vaudra pour le collectif.

7 – Partager

Trouver des tutoriels expliquant comment mettre en place tel ou tel service, c’est bien. Mais cela ne permet de réduire efficacement l’écart entre « ceux qui utilisent » et « ceux qui savent comment ça marche ». Nous devons faire de l’éducation populaire, en partageant avec les utilisateurs de nos services. Nous devons être à leur écoute, y compris devant des questions qui nous paraissent parfois naïves : « Au fait, par où passe mon email quand je clique sur « Envoyer », et que l’ordinateur de mon destinataire est éteint ? », « Mais un logiciel propriétaire, ça ne veut pas dire que je suis propriétaire de mes données, justement ? », « Quel problème y a-t-il à utiliser GMail ? C’est gratuit et ça marche bien, non ? »

Ces questions, on nous les pose souvent, mais notre expérience a montré que nous y répondions moins bien par email que quand nous étions face aux personnes, une bière (ou autre breuvage) à la main. L’explication passe mieux, non pas parce que nous serions plus clairs après avoir bu une pinte, mais parce que nous échangeons sur un pied d’égalité avec nos interlocuteurs, qui nous apprennent aussi de leurs usages, de leurs pratiques. Si nous voulons informer objectivement le public pour qu’il puisse faire des choix éclairés, il nous faut le rencontrer, lui parler, échanger, partager. Et sortir de notre tour d’ivoire.

L’un des objectifs serait donc de consacrer du temps à des temps de partages (et non comme souvent des temps d’informations distanciés, parfois professoraux ou dogmatiques), cela n’étant possible que si le collectif dispose d’un réseau suffisamment étendu géographiquement.

Les adminsys de Framasoft en plein dépannage de Framapad
Nos adminsys en plein dépannage de Framapad

Et maintenant ?

Voilà pour l’idée dans les grandes lignes.

Mais, même si nous savons que le diable se cache dans les détails, nous ne souhaitons – volontairement – pas aller beaucoup plus loin pour le moment, afin de faciliter la participation et le débat.

Ce qui a été fait :

  • Nous avons déjà contacté en amont quelques structures (notamment celles citées plus haut), ce qui ne veut évidemment pas dire que la participation est close ! (cf « Vous souhaitez devenir un chaton ? » ci-dessous)
  • Nous avons déjà commencé la rédaction d’un Manifeste et d’une Charte (en version 0.1, il ne s’agit que d’un brouillon de proposition, les versions finales n’auront probablement rien à voir)
  • Nous avons réservé le nom de domaine http://chatons.org, mais le site ne sera pas rendu public avant l’été.
  • Nous avons proposé un planning :
    • Janvier à juin 2016 – discussions sur la Charte et le Manifeste
    • 26/01 – annonce “officielle” du projet CHATONS à Brest
    • 9/02 – annonce sur le framablog
    • Avril à juin 2016 – mise en place du site web
    • Juillet – Annonce aux RMLL (si elles ont lieu !)
    • Juillet à Septembre – dernières retouches
    • Octobre – ouverture officielle au public

Précisons tout de suite qu’il ne s’agit pas d’un projet interne à Framasoft, même si c’est Framasoft qui l’impulse. Nous serons à terme un chaton parmi les autres. Cependant, pour pouvoir avancer relativement efficacement, nous avons préféré proposer une base de travail (Charte et Manifeste), ainsi qu’un planning indicatif, afin de ne pas nous perdre dans les discussions trollesques que nous, libristes, apprécions tant 😉

Vous souhaitez devenir un chaton ?

Pour l’instant, nous allons débuter la phase de discussion, donc il est encore un peu tôt pour “postuler”, car nous ne saurions vous accueillir, puisque le collectif n’existe pas 🙂

Cependant, si vous pensez pouvoir apporter quelque chose de concret et tangible aux discussions (et non du “yakafokon”), vous pouvez laisser un message en commentaire du billet (en laissant bien votre adresse courriel dans le champ approprié, qui ne sera pas diffusée, au cas où nous souhaiterions vous recontacter).

Bref, pour l’instant, il ne s’agit que d’une idée, donc il va nous falloir un peu de temps pour la structurer avant de la présenter au public. Mais nous souhaitions la présenter ici, car il ne fait aucun doute que Framasoft consacrera une partie de son énergie à ce projet.

Un chaton, deux chatons... des chatons !
Un chaton, deux chatons… des chatons !

Internet est-il cassé ?

Pas encore, mais il est certain qu’Internet, tel que nous le connaissons, est en train de changer. Et pas forcément dans le bon sens.

Face à ce mouvement de concentration, qui pourrait bien transformer Internet en Googleternet ou Facebookternet, nous ne voyons qu’une seule voie (si vous en avez d’autres à proposer, on prend !) : décentraliser internet en faisant en sorte qu’il demeure tel qu’il a été conçu. Neutre. Ouvert. Interopérable. Libre.

Si nous voulons une économie qui soit aussi sociale et solidaire, il va nous falloir un internet qui soit aussi social et solidaire. Et cela passera entre autre par une diversité d’acteurs indépendants proposant des services web libres, éthiques et respectueux de vos données, décentralisés et solidaires.




Il a choisi Linux et s’en félicite

Dan Gillmor, qui avait l’an dernier expliqué pourquoi il disait au revoir à google, Microsoft et Apple dans un article que nous avons publié, fait aujourd’hui le point sur ses choix et constate qu’il ne regrette rien. D’autres bonnes raisons de migrer sont apparues, comme l’accélération de la re-centralisation du Web, l’hégémonie croissante des grands acteurs et bien sûr la surveillance généralisée.

Dan Gillmor évoque avec précision les matériels et logiciels qu’il a adoptés progressivement, fait état également sans à priori des avancées et des faiblesses des produits open source. Il reconnaît la difficulté relative du passage au Libre intégral (il peine encore à se dégoogliser 😉 ) mais les valeurs qu’il défend sont celles de l’indépendance, du choix libre pour l’utilisateur de ses usages et de ses produits…

Je suis passé à Linux et c’est encore mieux que ce que j’espérais

Dire adieu à Microsoft et Apple n’a jamais été aussi facile, ni aussi satisfaisant

par Dan Gillmor

Article original sur Medium : I Moved to Linux and It’s Even Better Than I Expected
Traduction Framalang : line, goofy, Sphinx, r0u, david_m, Manegiste, sebastien, teromene, galadas, roptat, Omegax, didimo

danGillmorUn beau jour du printemps 2012, j’ai refermé mon MacBookAir pour la dernière fois. À partir de ce moment, mon environnement informatique (en tout cas, en ce qui concerne mon portable) était GNU/Linux. J’ai abandonné, autant que possible, les environnements propriétaires et obsédés du contrôle qu’Apple et Microsoft ont de plus en plus imposés aux utilisateurs d’ordinateurs personnels.

Presque quatre ans plus tard, me voici, et j’écris cet article sur un portable qui tourne sous le système d’exploitation Linux, avec LibreOffice Writer, et non sur une machine Mac ou Windows avec Microsoft Word. Tout va bien.

Non, c’est même mieux que ça, tout est sensationnel.

Je recommanderais ce changement à beaucoup de personnes (pas à tout le monde, ni à n’importe quel prix, mais à quiconque n’est pas effrayé à l’idée de poser une question à l’occasion, et plus particulièrement quiconque réfléchit à la trajectoire prise par la technologie et la communication au 21ème siècle). Plus que tout, aux gens qui se soucient de leur liberté.

Ils nous ont donné plus de confort, et nous avons dit collectivement : « Génial ! »

L’informatique personnelle remonte à la fin des années 1970. Elle a défini une ère de la technologie où les utilisateurs pouvaient adapter ce qu’ils achetaient de toutes sortes de manières. Lorsque l’informatique mobile est arrivée sous la forme de smartphones, la tendance s’est inversée. Les constructeurs, en particulier Apple, ont gardé bien plus de contrôle. Ils nous ont donné plus de confort, et nous avons dit collectivement : « Génial ! ».

Il y a quelques mois, lorsque Apple a annoncé son iPad Pro, une grande tablette avec un clavier, son président Tim Cook l’a appelée « la plus claire expression de notre vision pour le futur de l’informatique personnelle ». « Ouh là, ça craint » me suis-je dit à ce moment-là. Entre autres, dans l’écosystème iOS, les utilisateurs ne peuvent obtenir leurs logiciels que sur l’Apple store, et les développeurs sont obligés de les vendre au même endroit seulement. C’est peut-être la définition de l’informatique personnelle pour Apple, mais pas pour moi.

Pendant ce temps-là, Windows 10 de Microsoft (sur presque tous les points, une grande avancée en termes de facilité d’utilisation par rapport à Windows 8) ressemble de plus en plus à un logiciel espion déguisé en système d’exploitation (une appellation qui pourrait être injuste, mais pas de beaucoup). Oui, la mise à jour depuis les versions précédentes, extrêmement répandues, est gratuite, mais elle prend des libertés extraordinaires avec les données des utilisateurs et le contrôle de ceux-ci, d’après ceux qui en ont analysé le fonctionnement interne.

Ce n’est pas exactement un duopole commercial. Le système d’exploitation Chrome OS de Google fait tourner un nouvel arrivant : le Chromebook, vendu par différents constructeurs. Mais il comporte plus de limites et oblige ses utilisateurs à être totalement à l’aise (je ne le suis pas) sous l’emprise d’une entreprise qui repose sur la surveillance pour soutenir son modèle économique basé sur la publicité.

Ainsi, pour ceux qui ont le moindre intérêt à garder une indépendance substantielle dans l’informatique mobile ou de bureau, Linux semble être le dernier refuge. Sur toute une gamme de machines, des super-ordinateurs aux serveurs, en passant par les téléphones portables et les systèmes embarqués, Linux est déjà incontournable. Je suis content d’avoir franchi le pas.

Avant d’expliquer le comment, il est vital de comprendre le contexte de ma petite rébellion. La re-centralisation est la nouvelle norme dans les technologies et les communications, une tendance qui m’a préoccupé il y a quelque temps sur ce site, quand je décrivais de manière plus générale mes efforts pour me sevrer des produits et services d’entreprises fournis par Apple (c’est fait), Microsoft (fait en grande partie) et Google (encore difficile). Le gain en confort, comme je le disais à l’époque, ne vaut pas les compromis que nous concédons.

Un duopole mobile ?

Comme j’en discuterai plus bas, je dois me demander à quel point il est pertinent de déclarer son indépendance sur son ordinateur personnel, puisque l’informatique évolue de plus en plus vers les appareils mobiles. Qu’on le veuille ou non, Apple et Google en ont plus ou moins pris le contrôle avec iOS et Android. Apple, comme je l’ai dit, est un maniaque obsédé du contrôle. Même si Google distribue gratuitement une version ouverte d’Android, de plus en plus de pièces essentielles de ce système d’exploitation sont intégrées en un amas logiciel terriblement verrouillé qui emprisonne les utilisateurs dans le monde de Google contrôlé par la publicité. Peut-on parler de « duopole » mobile ?

La re-centralisation est particulièrement terrifiante au vu du pouvoir croissant de l’industrie des télécommunications, qui se bat bec et ongles pour contrôler ce que vous et moi faisons des connexions que nous payons, malgré le jugement bienvenu de la FCC (commission fédérale des communications aux États-Unis) en faveur de la « neutralité du net » en 2015. Comcast détient le monopole du véritable haut débit sur la vaste majorité de son territoire, même si l’on distingue quelques concurrents ici et là. Les fournisseurs d’accès par câble avancent rapidement pour imposer des limites d’utilisation qui n’ont rien à voir avec la capacité disponible et tout à voir avec l’extension de leur pouvoir et de leurs profits, comme l’expliquait en détail Susan Crawford. Et les fournisseurs de téléphonie mobile piétinent allègrement la neutralité du net avec leurs services « zero-rated » (où l’accès à certains services spécifiques n’est pas décompté du volume de données du forfait), que la FCC considère de manière incompréhensible comme innovants.

Pendant ce temps, pour la simple et bonne raison que les utilisateurs préfèrent souvent le confort et la simplicité apparente d’un outil à la garantie de leurs libertés, des acteurs centralisés comme Facebook se constituent des monopoles sans précédents. Comme pour Google et son outil de recherche, ils recueillent les bénéfices grandissants des effets du réseau, que des concurrents vont trouver difficile sinon impossible à défier.

Goulets d’étranglement

N’oublions pas le gouvernement, qui a horreur de la décentralisation. Les services centralisés créent des goulots d’étranglement et rendent le travail facile aux services de police, espions, contrôleurs et service des impôts. L’état de surveillance raffole de la collecte de données sur ces goulots d’étranglement, ce qui met finalement en danger les communications et libertés de tous.

Les goulots d’étranglement permettent aussi de soutenir des modèles économiques qui génèrent beaucoup d’argent pour les campagnes politiques. Hollywood en est un excellent exemple ; la quasi prise de contrôle du Congrès par les lobbies du copyright a conduit à l’adoption de lois profondément restrictives comme dans le système du copyright en vigueur.

Les droits d’auteur sont la clé de ce que mon ami Cory Doctorow appelle « la prochaine guerre civile dans l’informatique générique », une campagne, parfois agressive, pour empêcher les gens qui achètent du matériel (vous et moi, de manière individuelle et dans nos écoles, entreprises et autres organisations) de réellement en être propriétaires. Les lois sur le droit d’auteur sont l’arme des maniaques du contrôle, puisqu’elles les autorisent à nous empêcher par des moyens légaux de bricoler (ils diraient trafiquer) les produits qu’ils vendent.

Les perspectives ne sont pas toutes aussi sombres. Le mouvement des makers ces dernières années est l’un des antidotes à cette maladie du contrôle total. Il en est de même avec les composantes-clés de la plupart des projets de makers : les projets de logiciel libre et open source dont les utilisateurs sont explicitement encouragés à modifier et copier le code.

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Image par Ian Burt via Flickr | CC BY 2.0

C’est là que Linux entre en scène. Même si nous nous servons davantage de nos appareils mobiles, des centaines de millions d’entre nous travaillent encore beaucoup avec leurs ordinateurs mobiles et de bureau. Linux et les autres logiciels développés par la communauté ne représentent peut-être qu’une solution partielle, mais clairement utile. Il vaut mieux commencer avec quelque chose et l’améliorer, que d’abandonner directement.

J’ai installé Linux un bon nombre de fois au cours des dernières années, depuis qu’il est devenu un véritable système d’exploitation. Mais je suis toujours retourné sous Windows ou Mac, en fonction de mon système principal de l’époque. Pourquoi ? Il restait encore trop d’aspérités et, pendant longtemps, Linux n’avait pas assez d’applications pour réaliser ce dont j’avais besoin. Les inconvénients étaient trop importants pour ma patience limitée, en utilisation quotidienne.

Mais cela s’est progressivement amélioré et, en 2012, j’ai décidé qu’il était temps. J’ai demandé à Cory Doctorow quelle version de Linux il utilisait. C’était une question fondamentale, car Linux se décline en de nombreuses variantes. Les développeurs ont pris le noyau essentiel du code et ont créé différentes versions, adaptées aux divers besoins, goûts et genres d’informatique. Bien que tous utilisent les composants essentiels, sur le modèle du logiciel libre, certains ajoutent du code propriétaire, comme Flash, pour mieux s’adapter aux pratiques informatiques des utilisateurs. Le matériel représentait également une question cruciale, car les ordinateurs ne sont pas tous gérés de manière fiable par Linux, à cause des incompatibilités matérielles.

Cory m’a dit qu’il utilisait Ubuntu sur un Lenovo ThinkPad. J’étais déjà convaincu par les ThinkPads, grâce à la fiabilité du matériel et le bon service après-vente du constructeur, sans oublier la possibilité de mettre à jour les composants matériels internes. Comme j’ai tendance à acheter des modèles récents, je rencontre parfois des problèmes de compatibilité avec le matériel Lenovo le plus récent. J’ai bricolé mon modèle actuel, un T450s, par tous les moyens, en remplaçant le disque dur mécanique par un disque SSD rapide et en ajoutant autant de mémoire vive (RAM) que j’ai pu.

Je penchais également pour Ubuntu, une version de Linux créée par une entreprise appelée Canonical, avec à sa tête un ancien entrepreneur informatique du nom de Mark Shuttleworth, que je connais aussi depuis longtemps. Ubuntu est connu pour son excellente gestion des ThinkPads, surtout s’ils ne sont pas flambants neufs. J’ai utilisé Ubuntu sur quatre ThinkPads différents depuis ma conversion. On apprécie Ubuntu à l’usage parce que Canonical a une vision bien définie de la façon dont les choses doivent fonctionner.

Libre à vous de tester une autre « distribution » Linux, comme on appelle les différentes versions. Il y en a trop pour les nommer toutes, ce qui est à la fois le meilleur et le pire atout de l’écosystème Linux. Les nouveaux utilisateurs devraient presque toujours essayer une des distributions les plus populaires, qui aura été testée de manière plus poussée et offrira la meilleure assistance de la part de la communauté ou de l’entreprise qui l’a créée.

linuxMint

L’une de ces distributions est Linux Mint. Elle est basée sur Ubuntu (qui est elle-même basée sur Debian, une version encore plus proche de la version de base de Linux). Mint m’est apparue comme à beaucoup d’autres personnes comme probablement la meilleure distribution Linux pour ceux qui ont utilisé des systèmes propriétaires et souhaitent la transition la plus simple possible. Je suis parfois tenté de changer moi-même, mais je vais garder Ubuntu, à moins que Canonical ne le foire complètement, ce que je n’espère pas.

Avant de faire le grand saut, j’ai demandé à bon nombre de personnes des conseils sur la façon migrer au mieux mes usages informatiques depuis des programmes propriétaires vers des programmes open source. Plusieurs m’ont suggéré ce qui s’est avéré être un bon conseil : j’ai cessé d’utiliser l’application Mail d’Apple et j’ai installé Thunderbird de Mozilla sur mon Mac, et après un mois, je me suis tellement habitué à cette manière différente (pas si différente non plus) de gérer mon courrier électronique (non, je n’utilise pas Gmail, sauf pour un compte de secours). J’ai aussi installé LibreOffice, une sorte de clone open source de Microsoft Office, qui est moins courant mais adéquat pour arriver à ses fins dans la plupart des cas.

Comme la plupart des gens qui utilisent un ordinateur personnel, je passe mon temps presque exclusivement sur tout petit nombre d’applications : navigateur internet, client courriel, traitement de texte. Sous Linux, j’ai installé Firefox et Chromium, une variante open source du Chrome de Google. Comme déjà mentionné, Thunderbird faisait bien son job pour gérer mes courriels, et LibreOffice était satisfaisant en tant que logiciel de traitement de texte.

Mais j’avais encore besoin d’utiliser Windows pour certaines choses. En particulier, le logiciel de cours en ligne que j’utilisais à mon université refusait de fonctionner sous Linux, quel que soit le navigateur utilisé. J’ai donc installé Windows dans une machine virtuelle, afin de faire tourner Windows et ses programmes à l’intérieur de Linux. J’ai aussi installé Windows sur une partition séparée de mon disque dur pour les occasions encore plus rares où j’aurais besoin d’utiliser un Windows natif, contrairement à un Windows virtuel ce qui réduit les performances.

Aujourd’hui je n’ai presque plus jamais besoin de Windows. LibreOffice s’est énormément amélioré. Pour l’édition collaborative, Google Docs (hum… j’ai déjà dit que se passer de Google est difficile, hein ?) est difficile à battre, mais LibreOffice progresse. Le logiciel utilisé dans mon université pour les cours en ligne fonctionne maintenant avec Linux. Le seul programme pour lequel j’ai encore besoin de Windows est Camtasia, pour le « screencasting » – enregistrer (et diffuser) ce qu’affiche l’écran, ainsi que le son. Plusieurs programmes de screencasting existent sous Linux, mais ils sont limités. Et parfois, je suis obligé d’utiliser MS PowerPoint pour lire les rares diaporamas qui hoquètent avec le logiciel de présentations de LibreOffice (Impress).

Étrangement, le plus compliqué, dans cette transition, fut de m’adapter aux différentes conventions utilisées pour les claviers : désapprendre le style Apple et réapprendre les combinaisons Windows, équivalentes pour la plupart à celles utilisées par Linux. Au bout de quelques mois, tout était rentré dans l’ordre.

La fréquence de mise à jour des logiciels est un des aspects que je préfère avec Linux. Ubuntu et de nombreuses autres versions proposent régulièrement des mises à jour même si je préfère choisir les versions qui disposent d’un support étendu (aussi appelées versions « LTS » soit Long Term Support en anglais). Ils corrigent rapidement les failles de sécurité qui sont trouvées et il se passe souvent moins d’une semaine entre deux mises à jour, un rythme beaucoup plus élevé que celui auquel j’étais habitué avec Apple.

migrationSimple

Ce que j’aime le moins avec Linux, c’est qu’il faut parfois faire quelque chose qui pourrait paraître intimidant pour un nouvel utilisateur. Personne ne devrait avoir à ouvrir une interface en ligne de commande pour saisir sudo apt-get update ou autre. Personne ne devrait avoir à faire face à un avertissement indiquant que l’espace disque est insuffisant pour que la mise à jour du système puisse être appliquée (ce qui nécessitera alors de retirer les composants obsolètes du système d’exploitation, une opération qui n’est pas à la portée de tout le monde). Personne ne devrait découvrir, après une mise à jour, qu’un composant matériel a cessé de fonctionner, ce qui m’est arrivé avec mon trackpad, inutilisable jusqu’à ce que je trouve une solution grâce à un forum (oui, cela peut arriver avec Windows mais les fabricants testent beaucoup plus le fonctionnement de leur matériel avec les logiciels Microsoft. Quant à Apple, ça arrive également, mais il a l’avantage de produire du matériel et des logiciels qui sont associés de façon harmonieuse).

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Le bureau de Dan Gillmor sous Ubuntu

Lorsqu’il y a un problème, les communautés apparues autour du logiciel libre et open source s’avèrent incroyablement utiles. Poussant toujours un peu les limites pour adopter ce système, je demande souvent de l’aide. Je reçois toujours des réponses. Certains experts super pointus de ces forums peuvent être condescendants voire irrespectueux si on ose poser une question qui leur semblera simplissime ou qui a déjà reçu une réponse par ailleurs. On trouve également cette aide précieuse (et cette éventuelle intempérance) pour Windows, Mac et les autres systèmes mobiles (certains fanatiques d’Apple sont parfois étonnamment violents avec les hérétiques) mais il existe une atmosphère unique lorsqu’il s’agit de personnes œuvrant sur des technologies ouvertes, pour tous.

Si vous souhaitez essayer Linux sur votre ordinateur, c’est plutôt simple. Ubuntu, ainsi que d’autres distributions, vous permettent de créer un DVD ou une clé USB contenant le système d’exploitation et de nombreuses applications et vous pouvez démarrer votre ordinateur en utilisant ce support de test. C’est une bonne technique pour savoir si le matériel que vous avez à votre disposition fonctionnera avec. Ce sera vraisemblablement le cas si vous n’utilisez pas un ordinateur flambant neuf. Linux brille particulièrement par son support des ordinateurs déjà anciens.

Pour éviter les soucis d’installation de Linux, on peut acheter un ordinateur avec le système d’exploitation pré-installé et obtenir des mises à jour régulières, adaptées au matériel. J’ai réfléchi à différents modèles fabriqués par des entreprises comme Dell, System76, ZaReason entre autres. Je viens de visiter une entreprise appelée Purism, qui vend des ordinateurs portables construits uniquement avec du matériel et du logiciel non-propriétaire, du moins autant qu’il est possible à l’heure actuelle. Le modèle Librem 13 est impressionnant, Purism a adapté Linux pour ce matériel ergonomique et j’ai hâte de l’essayer.

Je voyage beaucoup et penche plutôt en faveur d’une entreprise qui dispose de point de dépôt dans différents pays et qui (avec le coût que ça implique) pourra dépêcher un technicien chez moi, à mon bureau ou à mon hôtel si ma machine tombe en panne. Si je dois abandonner Lenovo (et les dernières affaires à leur sujet me font douter), je me dirigerai probablement vers les machines Dell fournies avec Linux.

Vous avez pu remarquer que je n’ai presque pas abordé la question du coût. Pour le système d’exploitation, ce n’est plus nécessaire car Microsoft et Apple ont fait fondre le prix apparent de leur système d’exploitation et il apparaît comme nul. Bien entendu, vous le payez toujours quand vous achetez un ordinateur. Cela dit, même les mises à jour importantes sont devenues gratuites, un changement fondamental si on regarde en arrière. Cependant, en ce qui concerne Microsoft, la « gratuité » semble exister au détriment de la collecte intrusive des données.

En revanche, pour les applications, c’est une autre histoire. Vous pouvez économiser beaucoup d’argent en utilisant des logiciels libres et open source. Comparé à LibreOffice, Microsoft Office reste cher même si les versions de base « Famille et Étudiant » sont abordables et que beaucoup de personnes utilisent MS Office grâce à la version fournie par leur école ou leur entreprise.

Mais voilà, j’apprécie de payer pour certains logiciels, car je veux être sûr, autant que possible, que j’aurai de l’aide si besoin et que les développeurs auront une source de motivation pour continuer à corriger et à améliorer le logiciel. Je serais heureux de pouvoir payer pour des versions de Camtasia et Scrivener sur Linux (ce dernier possède une version communautaire pour Linux). En attendant, je fais des dons à différents projets dont j’utilise les logiciels régulièrement, qu’ils soient créés par des entreprises ou intégralement développés par des bénévoles. Ubuntu a beau être une entreprise qui gagne de l’argent en fournissant des services (une approche populaire et éprouvée dans le monde du logiciel libre et open source), je continue d’y donner. Avec moi, LibreOffice a gagné un utilisateur, mais aussi un donateur. Il en va de même pour d’autres projets.

Linux reste en arrière, enfin « officiellement », quand il s’agit de lire des DVD. Il faut installer certains logiciels jugés illégaux par le cartel du divertissement afin de pouvoir lire les disques que vous avez achetés (Apple a l’air d’un parangon de liberté par rapport à Hollywood). L’utilisation de services de streaming comme Netflix ou Amazon peut également être source d’ennuis. Enfin ça devient plus simple grâce à… humpf l’ajout de verrous numériques (NdT : DRM ou Digital Rights Management) dans certains navigateurs.

Est-ce que tous ces ajustements en valent la peine ? Je dirais que oui. Tout ce qui améliore ou préserve notre capacité à utiliser les technologies comme nous l’entendons en vaut la chandelle par rapport aux voies imposées par des pouvoirs centralisés. Et si nous ne sommes pas plus nombreux à essayer, ces monstres du contrôle verront leur victoire assurée.

Il est probablement presque trop tard pour que Linux devienne un système d’exploitation extrêmement populaire, dans les pays développés tout au moins. Mais il n’est pas trop tard pour que suffisamment d’entre nous l’utilisent afin de garantir des libertés informatiques pour ceux qui les veulent.

Que pouvons-nous faire à propos des écosystèmes mobiles, si nous ne voulons pas leur laisser l’hégémonie sur toute l’informatique personnelle, voilà bien le problème. Des versions tierces d’Android ont émergé au travers de communautés dynamiques telles que XDA Developers, qui veulent plus de liberté. Ubuntu travaille sur un système d’exploitation mobile parmi d’autres nombreux acteurs de la communauté open source ; des années ont été dédiées à tendre vers un système d’exploitation qui puisse fonctionner sur tous les appareils. Mais la domination d’Apple et Google sur le monde mobile en intimide plus d’un.

nous avons vraiment le choix

J’essaie en ce moment beaucoup d’options parmi les appareils possibles dans l’espoir que j’en trouverai un qui soit suffisamment bon pour une utilisation au quotidien, même s’il devait ne pas être aussi pratique que les propriétés privées bien gardées des géants de l’internet (un de mes téléphones est actuellement sous un système d’exploitation appelé Cyanogenmod). Bientôt, je vous en dirai plus sur la façon dont ça se passe.

En attendant, souvenez-vous : nous avons vraiment le choix – nous pouvons faire des choix qui repoussent les limites des libertés technologiques. Récemment, mon choix a consisté à me détacher libérer de l’emprise de ceux qui veulent tout contrôler. J’espère vous donner à réfléchir pour faire de même. En fonction de ce que nous choisissons, nous avons beaucoup à gagner, et à perdre.

(1) Même si cela va vexer certaines personnes, j’ai fait référence à GNU/Linux par son nom de loin le plus couramment utilisé – Linux, tout simplement – après la première occurrence. Pour en savoir plus à ce propos, les Wikipédiens ont rassemblé tout un tas de sources pertinentes.

Merci à Evan Hansen et Steven Levy.

Biographie et plus d’informations : http://dangillmor.com/about (Photo par Joi Ito)




GitHub et les libristes : un danger et un défi !

Lorsqu’une personnalité notoire du Libre comme Carl Chenet s’attaque avec pertinence à la tendance massive du « tous sur GitHub » et égratigne la communauté du Libre pour son immobilisme (et même sa paresse !), Framasoft trouve que c’est une bonne occasion de lui donner un peu plus de voix encore.

S’adressant principalement aux développeurs, il pointe les dangers d’un service centralisateur, privateur, qui uniformise les pratiques en étouffant les alternatives. Ça ne vous rappelle rien ? Oui, les mêmes écueils contre lesquels nous vous mettons en garde dans notre campagne degooglisons ! Ajoutons que nous avons déjà basculé sur GitLab, comme le recommande Carl, dès 2014 et mis à la disposition de tous depuis le mois de mars 2015 notre GitLab qui héberge à ce jour 3017 projets, 2071 utilisateurs inscrits, 242 groupes.

Nous reprenons ici avec son autorisation le récent billet de Carl qui a déjà suscité d’intéressants commentaires et en provoquera probablement d’autres ici même.

 

Le danger GitHub

Un article de Carl Chenet d’abord publié sur son blog

Carl ChenetAlors que le projet CPython (implémentation historique du projet Python) a annoncé son passage chez GitHub (avec quelques restrictions, nous reviendrons là-dessus), il est plus que jamais important de s’interroger sur les risques encourus d’utiliser un logiciel propriétaire dans notre chaîne de création du Logiciel Libre.

Des voix critiques s’élèvent régulièrement contre les risques encourus par l’utilisation de GitHub par les projets du Logiciel Libre. Et pourtant l’engouement autour de la forge collaborative de la startup Californienne à l’octocat continue de grandir.

codercatL’octocat, mascotte de GitHub

Ressentis à tort ou à raison comme simples à utiliser, efficaces à l’utilisation quotidienne, proposant des fonctionnalités pertinentes pour le travail collaboratif en entreprise ou dans le cadre d’un projet de Logiciel Libre, s’interconnectant aujourd’hui à de très nombreux services d’intégration continue, les services offerts par GitHub ont pris une place considérable dans l’ingénierie logicielle ces dernières années.

Quelles sont ces critiques et sont-elles justifiées ? Nous proposons de les exposer dans un premier temps dans la suite de cet article avant de peser le pour ou contre de leur validité.

1. Points critiques

1.1 La centralisation

L’application GitHub appartient et est gérée par une entité unique, à savoir GitHub, inc, société américaine. On comprend donc rapidement qu’une seule société commerciale de droit américain gère l’accessibilité à la majorité des codes sources des applications du Logiciel Libre, ce qui représente un problème pour les groupes utilisant un code source qui devient indisponible, pour une raison politique ou technique.

De plus cette centralisation pose un problème supplémentaire : de par sa taille, ayant atteint une masse critique, elle s’auto-alimente. Les personnes n’utilisant pas GitHub, volontairement ou non, s’isolent de celles qui l’utilisent, repoussées peu à peu dans une minorité silencieuse. Avec l’effet de mode, on n’est pas « dans le coup » quand on n’utilise pas GitHub, phénomène que l’on rencontre également et même devenu typique des réseaux sociaux propriétaires (Facebook, Twitter, Instagram).

1.2 Un logiciel privateur

Lorsque vous interagissez avec GitHub, vous utilisez un logiciel privateur, dont le code source n’est pas accessible et qui ne fonctionne peut-être pas comme vous le pensez. Cela peut apparaître gênant à plusieurs points de vue. Idéologique tout d’abord, mais peut-être et avant tout pratique. Dans le cas de GitHub on y pousse du code que nous contrôlons hors de leur interface. On y communique également des informations personnelles (profil, interactions avec GitHub). Et surtout un outil crucial propriétaire fourni par GitHub qui s’impose aux projets qui décident de passer chez la société américaine : le gestionnaire de suivi de bugs.

1.3 L’uniformisation

Travailler via l’interface GitHub est considéré par beaucoup comme simple et intuitif. De très nombreuses sociétés utilisent maintenant GitHub comme dépôt de sources et il est courant qu’un développeur quittant une société retrouve le cadre de travail des outils GitHub en travaillant pour une autre société. Cette fréquence de l’utilisation de GitHub dans l’activité de développeur du Libre aujourd’hui participe à l’uniformisation du cadre de travail dudit développeur.

clone_army

L’uniforme évoque l’armée, ici l’armée des clones

2. Validité des points critiques

2.1 Les critiques de la centralisation

Comme dit précédemment, GitHub est aujourd’hui la plus grande concentration de code source du Logiciel Libre. Cela fait de lui une cible privilégiée.  Des attaques massives par déni de service ont eu lieu en mars et août 2015. De même, une panne le 15 décembre 2015 a entraîné l’indisponibilité de 5% des dépôts. Idem le 15 novembre. Et il s’agit des incidents récents déclarés par les équipes de GitHub elles-mêmes. On peut imaginer un taux d’indisponibilité moyen des services bien supérieur.

 

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L’excuse n°1 des programmeurs pour se lâcher sans scrupules : « GitHub est en panne »

— Hé, au boulot les gars ! — Github est en panne !

— Ah bon, continuez alors.

2.2 Les critiques relatives à l’usage d’un logiciel privateur

Cette critique, avant tout idéologique, se heurte à la conception même que chacun des membres de la communauté se fait du Logiciel Libre, et en particulier d’un critère : contaminant ou non, qu’on résume en général par GPL versus MIT/BSD.

 

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Framanote : MIT/BSD sont des licences permissives, laissant toutes les libertés, même celle de reprendre le code dans un logiciel privateur/propriétaire. Cela correspond à la CC-BY ou à la CC-0 dans les licences Creative Commons.

GPL est une licence copyleft (ou contaminante). Le principe est que tout développement utilisant un code sous licence contaminante doit rester Libre, donc être diffusé sous la même licence. Cela correspond à la mention SA dans les licences Creative Commons.


Les défenseurs du Logiciel Libre contaminant vont être gênés d’utiliser un logiciel propriétaire car ce dernier ne devrait pas exister. Il doit être assimilé, pour citer Star Trek,  car il est une boîte noire communicante, qui met en danger la vie privée, détourne nos usages à des fins commerciales, gêne ou contraint la liberté de jouir entièrement de ce qu’on a acquis, etc.

Les tenants d’une totale liberté sont moins complexés dans leur utilisation des logiciels privateurs puisqu’ils acceptent l’existence desdits logiciels privateurs au nom d’une liberté sans restriction. Ils acceptent même que le code qu’ils développent aboutissent dans ces logiciels, ce qui arrive bien plus souvent qu’on ne le croit, voir à ce sujet la liste à couper le souffle des produits commerciaux reposant sur FreeBSD. On peut donc voir dans cette aile de la communauté du Logiciel Libre une totale sérénité à utiliser GitHub. Et ce qui est cohérent vis-à-vis de l’idéologie soutenue. Si vous êtes déjà allé au Fosdem, un coup d’œil dans l’amphithéâtre Janson permet de se rendre compte de la présence massive de portables Apple tournant sous MacOSX.

freebsd
FreeBSD, principal projet des BSD sous licence MIT

Mais au-delà de cet aspect idéologique pur et pour recentrer sur l’infrastructure de GitHub elle-même, l’utilisation du gestionnaire de suivi de bugs de GitHub pose un problème incontournable. Les rapports de bugs sont la mémoire des projets du Logiciel Libre. Il constitue le point d’entrée des nouveaux contributeurs, des demandes de fonctionnalités, des rapports de bugs et donc la mémoire, l’histoire du projet qui ne peut se limiter au code seul. Il est courant de tomber sur des rapports de bugs lorsque vous copiez/collez votre message d’erreur dans un moteur de recherche. Mémoire précieuse non seulement pour le projet lui-même, mais aussi pour ses utilisateurs actuels et à venir.

GitHub propose d’extraire les rapports de bugs via son API, certes, mais combien de projets anticiperont une éventuelle défaillance de GitHub  ou un retournement de situation arrêtant brusquement le service ? Très peu à mon avis. Et comment migrer vers un nouveau système de suivi de bugs les données fournies par GitHub ?

L’exemple de l’utilitaire de gestion de listes de choses à faire (TODO list) Astrid, racheté par Yahoo! il y a quelques années reste un très bon exemple de service ayant grandi rapidement, largement utilisé et qui a fermé du jour au lendemain, proposant pendant quelques semaines seulement d’extraire ses données. Et il s’agissait là d’un simple gestionnaire de tâches à faire. Le même problème chez GitHub serait dramatiquement plus difficile à gérer pour de très nombreux projets, si on leur laisse la possibilité de le gérer. Certes le code reste disponible et pourra continuer de vivre ailleurs, mais la mémoire du projet sera perdue, alors qu’un projet comme Debian approche aujourd’hui les 800 000 rapports de bugs. Une vraie mine d’or d’informations sur les problèmes rencontrés, les demandes de fonctionnalités et le suivi de ces demandes. Les développeurs du projet CPython passant chez GitHub ont anticipé ce problème et ne vont pas utiliser le système de suivi de bugs de GitHub.

 

proposed-debian-logoDebian, l’un des principaux projets du Logiciel Libre

avec autour de 1000 contributeurs officiels

2.3 L’uniformisation

La communauté du Logiciel Libre oscille sans cesse entre un besoin de normes afin de réduire le travail nécessaire pour l’interopérabilité et l’attrait de la nouveauté, caractérisée par l’intrinsèque besoin de différence vis-à-vis de l’existant.

GitHub a popularisé l’utilisation de Git, magnifique outil qui aujourd’hui touche des métiers bien différents des programmeurs auxquels il était initialement lié. Peu à peu, tel un rouleau compresseur, Git a pris une place si centrale que considérer l’usage d’un autre gestionnaire de sources est quasiment impossible aujourd’hui, particulièrement en entreprise, malgré l’existence de belles alternatives qui n’ont malheureusement pas le vent en poupe, comme Mercurial.

git-logo

Un projet de Logiciel Libre qui naît aujourd’hui, c’est un dépôt Git sur GitHub avec un README.md pour sommairement le décrire. Les autres voies sont totalement ostracisées. Et quelle est la punition pour celui qui désobéit ? Peu ou pas de contributeurs potentiels. Il semble très difficile de pousser aujourd’hui le contributeur potentiel à se lancer dans l’apprentissage d’un nouveau gestionnaire de sources ET une nouvelle forge pour chaque projet auquel on veut contribuer. Un effort que fournissait pourtant tout un chacun il y a quelques années.

Et c’est bien dommage car GitHub, en proposant une expérience unique et originale à ses utilisateurs, taille à grands coups de machette dans les champs des possibles. Alors oui, sûrement que Git est aujourd’hui le meilleur des système de gestion de versions. Mais ça n’est pas grâce à cette domination sans partage qu’un autre pourra émerger. Et cela permet à GitHub d’initier à Git les nouveaux arrivants dans le développement  à un ensemble de fonctionnalités très restreint, sans commune mesure avec la puissance de l’outil Git lui-même.

Centralisation, uniformisation, logiciels privateurs et bientôt… fainéantise ?

Le combat contre la centralisation est une part importante de l’idéologie du Logiciel Libre car elle accroît le pouvoir de ceux qui sont chargés de cette centralisation et qui la contrôlent sur ceux qui la subissent. L’aversion à l’uniformisation née du combat contre les grandes firmes du logiciel souhaitant imposer leur vision fermée et commerciale du monde du logiciel a longtemps nourri la recherche réelle d’innovation et le développement d’alternatives brillantes. Comme nous l’avons décrit, une partie de la communauté du Libre s’est construit en opposition aux logiciels privateurs, les considérant comme dangereux. L’autre partie, sans vouloir leur disparition, a quand même choisi un modèle de développement à l’opposé de celui des logiciels privateurs, en tout cas à l’époque car les deux mondes sont devenus de plus en plus poreux au cours des dernières années.

L’effet GitHub est donc délétère au point de vue des effets qu’il entraîne : la centralisation,  l’uniformisation, l’utilisation de logiciels privateurs comme leur système de gestion de version, au minimum. Mais la récente affaire de la lettre « Cher GitHub… » met en avant un dernier effet, totalement inattendu de mon point de vue : la fainéantise. Pour les personnes passées à côté de cette affaire, il s’agit d’une lettre de réclamations d’un nombre très important de représentants de différents projets du Logiciel Libre qui réclament à l’équipe de GitHub d’entendre leurs doléances, apparemment ignorées depuis des années, et d’implémenter de nouvelles fonctionnalités demandées.

Mais depuis quand des projets du Logiciel Libre qui se heurtent depuis des années à un mur tentent-ils de faire pleurer le mur et n’implémentent pas la solution qui leur manquent ? Lorsque Torvald a subi l’affaire Bitkeeper et que l’équipe de développement du noyau Linux n’a plus eu l’autorisation d’utiliser leur gestionnaire de versions, Linus a mis au point Git. Doit-on rappeler que l’impossibilité d’utiliser un outil ou le manque de fonctionnalités d’un programme est le moteur principal de la recherche d’alternatives et donc du Logiciel Libre ? Tous les membres de la communauté du Logiciel Libre capables de programmer devraient avoir ce réflexe. Vous n’aimez pas ce qu’offre GitHub ? Optez pour Gitlab. Vous n’aimez pas Gitlab ? Améliorez-le ou recodez-le.

gitlab

Logo de Gitlab, une alternative possible à GitHub

en choisissant la version Communauté

Que l’on soit bien d’accord, je ne dis pas que tout programmeur du Libre qui fait face à un mur doit coder une alternative. En restant réaliste, nous avons tous nos priorités et certains de nous aiment dormir la nuit (moi le premier). Mais lorsqu’on voit 1340 signataires de cette lettre à GitHub et parmi lesquels des représentants de très grands projets du Logiciel Libre, il me paraît évident que les volontés et l’énergie pour coder une alternative existe. Peut-être d’ailleurs apparaîtra-t-elle suite à cette lettre, ce serait le meilleur dénouement possible à cette affaire.

GitPourTous

Finalement, l’utilisation de GitHub suit cette tendance de massification de l’utilisation d’Internet. Comme aujourd’hui les utilisateurs d’Internet sont aspirés dans des réseaux sociaux massivement centralisés comme Facebook et Twitter, le monde des développeurs suit logiquement cette tendance avec GitHub. Même si une frange importante des développeurs a été sensibilisée aux dangers de ce type d’organisation privée et centralisée, la communauté entière a été absorbée dans un mouvement de centralisation et d’uniformisation. Le service offert est utile, gratuit ou à un coût correct selon les fonctionnalités désirées, confortable à utiliser et fonctionne la plupart du temps. Pourquoi chercherions-nous plus loin ? Peut-être parce que d’autres en profitent et profitent de nous pendant que nous sommes distraits et installés dans notre confort ? La communauté du Logiciel Libre semble pour le moment bien assoupie.

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Le « lion » du Libre assoupi devant la cheminée (allégorie)

Liens :




L’internet des objets nous surveille aussi

Bruce Schneier est un spécialiste reconnu de la sécurité informatique auquel nous donnons souvent un écho sur ce blog. Il chronique régulièrement les avancées et les risques de l’Internet des objets dont la montée en puissance semble irrésistible. On peut présager que dans un délai sans doute très rapproché ces objets vont centupler le volume des données collectées sur nous, puisque non seulement ils nous environnent ou vont le faire, mais ils participeront à notre propre construction sensorielle et mentale du monde, jusqu’au plus secret de notre intimité. (1)

La vitesse de développement de ce marché en fait le nouveau Far-west des géants comme Intel, Cisco, Microsoft ou HP, et bien sûr des fabricants d’électronique. L’espoir de profit qui les anime les fait franchir sans scrupules la barrière de la vie privée (2) : non seulement l’implémentation de la sécurité sur ces objets est minime voire inexistante, mais ils sont aussi de parfaits petits espions programmés pour moucharder.

Nous n’échapperons pas plus à l’Internet des objets que nous n’avons échappé à l’ubiquité des smartphones. Faut-il cependant renoncer définitivement à notre vie privée au profit de ces objets intrusifs ? Quelles limites poser et comment ? Au fait, existe-t-il des objets connectés libres et éthiques ?

 

Voici l’Internet des objets qui parlent derrière votre dos

Par Bruce Schneier

Source : The Internet of Things that Talk About You Behind Your Back (cet article a fait l’objet d’une première publication sur Vice Motherboard).

Traduction Framalang : r0u, goofy, teromene, et un anonyme


bruce-blog3SilverPush est une startup indienne qui essaie de lister les différents appareils que vous possédez. Elle embarque des sons inaudibles dans des pages web que vous lisez et dans les publicités télévisées que vous regardez. Un logiciel secrètement embarqué dans vos ordinateurs, tablettes, et smartphones récupère ces signaux, et utilise des cookies pour transmettre ces informations à SilverPush. Au final, cette société peut vous pister d’un appareil à l’autre. Elle peut associer les publicités télévisées que vous regardez avec les recherches web que vous effectuez. Elle peut relier ce que vous faites sur votre tablette avec ce que vous faites sur votre ordinateur.

Vos données numériques parlent de vous derrière votre dos, et la plupart du temps, vous ne pouvez pas les arrêter… ni même savoir ce qu’elles disent.
Ce n’est pas nouveau, mais cela empire.

La surveillance est le business model d’Internet, et plus ces sociétés en savent sur les détails intimes de votre vie, plus elles peuvent en tirer profit. Il existe déjà des dizaines de sociétés qui vous espionnent lorsque vous surfez sur Internet, reliant vos comportements sur différents sites et utilisant ces informations pour cibler les publicités. Vous le découvrez quand vous cherchez quelque chose comme des vacances à Hawaï, et que des publicités pour des vacances similaires vous suivent sur tout Internet pendant des semaines. Les sociétés comme Google et Facebook font d’énormes profits en reliant les sujets sur lesquels vous écrivez et qui vous intéressent avec des sociétés qui veulent vous vendre des choses.

Le pistage entre tous les appareils est la dernière obsession des commerciaux sur internet. Vous utilisez probablement plusieurs appareils connectés à Internet : votre ordinateur, votre smartphone, votre tablette, peut-être même votre télévision connectée… et de plus en plus, des appareils connectés comme les thermostats intelligents et consorts. Tous ces appareils vous espionnent, mais ces différents espions ne sont pas reliés les uns aux autres. Les startups comme SilverPush, 4Info, Drawbridge, Flurry et Cross Screen Consultants, ainsi que les mastodontes comme Google, Facebook et Yahoo sont tous en train de tester différentes technologies pour « régler » ce problème.

iotfail
Les revendeurs sont très intéressés par ces informations. Ils veulent savoir si leur publicité télévisée incite les gens à rechercher leurs produits sur internet. Ils veulent corréler ce que les gens recherchent sur smartphone avec ce qu’ils achètent sur ordinateur. Ils veulent pister les positions des personnes grâce aux capacités de surveillance de leur téléphone, et utiliser cette information pour envoyer des publicités ciblées géographiquement sur leur ordinateur. Ils veulent que les données de surveillance des appareils connectés soient reliées avec tout le reste.
C’est là que l’Internet des objets aggrave le problème. Comme les ordinateurs sont de plus en plus embarqués dans les objets que nous utilisons au quotidien, et pénètrent encore plus d’aspects de nos vies, encore plus de sociétés veulent les utiliser pour nous espionner sans que nous soyons au courant et sans notre consentement.

Techniquement, bien sûr, nous avons donné notre accord. Les accords de licence que nous ne lisons pas mais que nous acceptons légalement quand nous cliquons sans y penser sur « J’accepte », ou lorsque nous ouvrons un colis que nous avons acheté, donnent à toutes ces sociétés les droits légaux de procéder à cette surveillance. Et quand on voit la façon dont les lois sur la vie privée aux États-Unis sont actuellement écrites, ils sont propriétaires de toutes ces données et n’ont pas besoin de nous laisser y accéder.

Nous acceptons toute cette surveillance internet parce que nous n’y pensons pas réellement. S’il y avait des dizaines de personnes provenant d’entreprises publicitaires avec leurs stylos et leurs carnets qui regardent au-dessus de notre épaule lorsqu’on écrit un mail sur Gmail ou tout simplement quand on navigue sur Internet, la plupart d’entre nous s’y opposeraient. Si les sociétés qui fabriquent nos applications sur smartphones nous suivaient réellement toute la journée, ou si les sociétés qui collectent les plaques d’immatriculation pouvaient être vues lorsque nous conduisons, nous exigerions qu’elles arrêtent. Et si nos télévisions, nos ordinateurs et nos appareils mobiles parlaient de nous à voix haute et se coordonnaient d’une manière qu’on peut entendre, nous serions épouvantés.

La commission fédérale du commerce (FTC) est en train d’examiner les technologies de pistage d’un appareil à l’autre, avec la volonté de pouvoir les réguler. Mais si nous nous fions à l’histoire récente, toute résolution prise sera mineure et inefficace pour s’occuper du plus gros du problème.
Nous devons faire mieux. Nous devons avoir un débat sur les implications du pistage entre appareils sur notre vie privée, mais, surtout, nous devons réfléchir à l’éthique du marché de la surveillance. Voulons-nous vraiment que des entreprises connaissent les détails de notre vie, et qu’elles puissent garder ces données éternellement ? Croyons-nous vraiment que nous n’avons pas le droit d’accéder aux données collectées sur nous, de corriger les données erronées, ou de supprimer celles qui sont trop intimes ou embarrassantes ? Au minimum, nous devons mettre des limites sur les données comportementales qui peuvent légalement être récoltées, savoir pour combien de temps, avoir le droit de télécharger les données collectées sur nous, et pouvoir bannir le pistage par des publicités de parties tierces. Le dernier point est crucial : ce sont les entreprises qui nous espionnent de site en site ou d’appareil en appareil qui causent le plus de dommages à notre vie privée.

Le marché de la surveillance d’Internet a moins de 20 ans, et a émergé parce qu’il n’y avait pas de régulation pour limiter son comportement. C’est désormais une industrie puissante, et qui s’étend au-delà des ordinateurs et téléphones, dans tous les aspects de nos vies. Il est grand temps que nous posions des limites sur ce que peuvent dire et faire avec nous dans notre dos depuis longtemps les ordinateurs et les entreprises qui les contrôlent.

 

(1) Un article parmi d’autres pour en savoir plus sur les objets connectés et comment ils altèrent sensiblement notre mode de vie : Objets connectés : allons-nous tous devenir idiots ?

(2) Voici un article très récent sur les espoirs et les craintes qu’on peut éprouver : « Rapport de l’UIT sur Internet des objets : un grand potentiel de le développement mais des risques pour la confidentialité et l’interopérabilité » (source)

Quelques passages (ma traduction) :

L’UIT (Union Internationale des Télécommunications, un organisme qui dépend de l’ONU) a publié aujourd’hui son rapport [pdf] « Exploiter l’internet des objets pour le développement mondial », produite en collaboration avec Cisco Systems.

Les appareils connectés qui communiquent les uns avec les autres et avec les êtres humains pourraient résoudre les grands défis mondiaux et être un vecteur pour le développement mondial(…) Toutefois, des questions demeurent, telles que les stratégies visant à protéger la vie privée, et l’interopérabilité entre les dispositifs et systèmes.

(…) des défis importants persistent, selon le rapport, en particulier le fait que « la même infrastructure qui permet aux gens de créer, stocker et partager des informations peut également mettre en péril leur vie privée et leur sécurité »

« Ces mêmes techniques peuvent être utilisées pour la surveillance, qu’elle soit ciblée ou à grande échelle », dit le rapport.