Liberté pour les utilisateurs, pas pour les logiciels, par Benjamin Mako Hill

Un article fort intéressant de Benjamin Mako Hill (que nous traduisons souvent) qui apporte un éclairage nouveau à la différence importante entre « logiciel libre » et « open source ».

C’est bien la question de la liberté des utilisateurs qui est fondamentale ici. À mesure que la technologie avance et que de plus en plus de domaines expérimentent « le Libre », elle rejoint tout simplement la liberté des citoyens…

Remarque : C’est d’ailleurs pourquoi nous regrettons « l’abus d’open source » dans les premiers États Généraux de l’Open Source qui se déroulent actuellement à Paris (cf ce tweet ironique).

David Shankbone - CC by

Liberté pour les utilisateurs, pas pour les logiciels

Freedom for Users, Not for Software

Benjamin Mako Hill – 23 octobre 2011 – Blog personnel
(Traduction : Munto, VifArgent, aKa, KarmaSama, Lycoris, aaron, PeupleLa, bruno + anonymous)

En 1985, Richard Stallman a fondé le mouvement du Logiciel Libre en publiant un manifeste qui proposait aux utilisateurs d’ordinateurs de le rejoindre pour défendre, développer et diffuser des logiciels qui garantissent aux utilisateurs certaines libertés. Stallman a publié la « Définition du Logiciel Libre » (Free Software Definition ou FSD) qui énumère les droits fondamentaux des utilisateurs concernant les logiciels.

  • La liberté d’exécuter le programme, pour n’importe quel usage ;
  • la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ;
  • la liberté d’en redistribuer des copies pour aider les autres ;
  • la liberté d’améliorer le programme et de rendre publiques les améliorations, afin que la communauté entière puisse en bénéficier.

Stallman est informaticien. Il avait compris que la manière dont les programmeurs concevaient les logiciels pouvait influer sur les possibilités des utilisateurs à interagir avec eux. Par exemple, des programmeurs pourraient concevoir des systèmes qui espionnent les utilisateurs, vont à leur encontre ou créent des dépendances. Dans la mesure où les ordinateurs occupent une place de plus en plus importante dans la communication des usagers, et dans leur vie toute entière, leur expérience est de plus en plus sous le contrôle de la technologie, et par conséquent de ceux qui la maîtrisent. Si le logiciel est libre, les utilisateurs peuvent désactiver les fonctionnalités cachées ou abusives et travailler ensemble à l’amélioration et au contrôle de leurs technologies. Pour Stallman, le logiciel libre est essentiel à une société libre.

Hélas, beaucoup de personnes qui entendent « logiciels libres » (NdT : free software en anglais) pensent que le mot libre (free) veut dire qu’il peut être distribué gratuitement – une confusion bien naturelle puisque les logiciels libres peuvent être, et sont le plus souvent, partagés sans permission expresse ni paiement. Dans des tentatives concertées pour démêler cette confusion, le slogan « free as in free speech not as in free beer » (free comme dans la liberté de parole et non comme une bière gratuite), et la référence à la distinction que l’on fait en français entre libre et gratuit, sont devenus des clichés dans la communauté du logiciel libre. Une biographie de Stallman est d’ailleurs intitulée « Free as in Freedom » (NdT : Libre comme dans Liberté, biographie traduite et publiée par Framasoft dans sa collection Framabook).

À la fin des années 90, un groupe de passionnés de logiciels libres a suggéré un nouveau terme : « open source ». À l’instar de Stallman, ce groupe était agacé par l’ambiguïté autour du mot « free ». Cependant, la principale préoccupation du groupe open source était l’utilité du logiciel libre pour les entreprises.

Plutôt que de mettre en avant la « liberté », qui pouvait, selon eux, rebuter des entreprises commerciales, les promoteurs de l’open source décrivaient les bénéfices techniques que l’« ouverture » du développement de logiciels libres pourrait apporter, grâce à la collaboration de nombreux utilisateurs mis en réseau. Ces appels ont trouvé un écho au sein des entreprises high-tech à la fin du millénaire au moment où le système d’exploitation libre GNU/Linux gagnait en popularité et où le serveur web Apache dominait un marché bondé de concurrents propriétaires. Le concept « open source » prit un nouvel élan en 1998 quand Netscape rendit public le code source de son navigateur web Navigator.

Malgré des différences rhétoriques et philosophiques, les logiciels libres et les logiciels open source font référence aux mêmes programmes, aux mêmes communautés, aux mêmes licences et aux mêmes pratiques. La définition de l‘open source est presque une copie conforme des directives du logiciel libre publiées par la communauté Debian qui sont elles-mêmes une tentative de redéfinir la déclaration de Stallman sur la Définition du Logiciel Libre. Stallman a décrit cette distinction entre « logiciel libre » et « logiciel open source » comme étant le contraire d’un schisme. Dans un schisme, deux groupes religieux auront des cultes séparés, souvent à cause de désaccords mineurs sur des points de liturgie ou de doctrine. Dans le logiciel libre et l‘open source, les deux groupes se sont articulés autour de philosophies, de principes politiques et de motivations qui sont fondamentalement différentes. Et pourtant les deux parties continuent de travailler en étroite collaboration au sein des mêmes organisations.

Les conversations autour du libre et du gratuit dans les communautés du logiciel libre et de l‘open source ont occulté un second niveau d’ambiguïté dans le terme « logiciel libre », bien moins discuté : le terme a conduit à croire qu’il fallait interpréter les quatre libertés comme des déclarations sur les qualités que les programmes eux-mêmes devraient posséder. Stallman se fiche du logiciel libre en tant que tel, ce qui lui importe c’est la liberté des utilisateurs. Les slogans « free as in freedom » et « free speech not free beer » n’aident en rien à résoudre ce second type d’ambiguïté, et créent même de la confusion. « Free as in freedom » ne dit rien sur ce qui devrait être libre, tandis que « free speech not free beer », reproduit un problème similaire : les défenseurs de la liberté de parole ne défendent pas tant la liberté d’expression en tant que telle que la liberté des individus dans leur parole. Quand pour l’essentiel le discours des promoteurs du logiciel libre insiste sur les caractéristiques des programmes, certains en viennent à considérer la liberté de l’utilisateur comme un problème de second ordre – c’est tout simplement ce qui se produit lorsque le logiciel est libre.

Quand le logiciel est libre, mais pas les utilisateurs

La liberté de l’utilisateur ne découle pas toujours de la liberté du logiciel. En effet, le logiciel libre a pris de l’importance dans les domaines économique et politique : cela a suscité l’intérêt de certaines personnes qui souhaitaient en récolter les bénéfices tout en maintenant l’action et l’indépendance des utilisateurs dans des limites.

Google, Facebook, et autres titans de l’économie du Web ont bâti leur entreprise sur les logiciels libres. En les utilisant ils n’agissent pas seulement en passagers clandestins, dans de nombreux cas ces firmes partagent gratuitement, au minimum, une partie du code qui fait fonctionner leurs services et investissent des ressources conséquentes dans la création ou l’amélioration de ce code. Chaque utilisateur d’un réseau basé sur des logiciels libres peut posséder une copie du logiciel qui respecte les quatre libertés de la FSD. Mais à moins que ces utilisateurs n’exécutent le service web eux-mêmes- ce qui peut s’avérer techniquement ou économiquement infaisable – ils restent sous la coupe des firmes qui, elles, font bel et bien fonctionner leurs copies. Le « Logiciel en tant que Service » (Software as a Service, ou SaaS) – ou logiciel fourni via « le cloud » – est à priori entièrement compatible avec le principe d’un logiciel libre. Toutefois, du fait que les utilisateurs du service ne peuvent pas changer le logiciel ou l’utiliser comme ils le souhaitent sans l’autorisation et la surveillance de leur fournisseur de service, les utilisateurs de SaaS sont au moins aussi dépendants et vulnérables qu’ils le seraient si le code était fermé.

Chrome OS de Google est une tentative pour construire un système d’exploitation qui pousse les utilisateurs à être constamment en ligne et à utiliser des services comme Google Docs pour réaliser la plupart de leurs tâches informatiques. Quand Google a annoncé Chrome OS, nombreux étaient ceux qui ont applaudi dans la communauté du logiciel libre ; Chrome OS est en effet basé sur GNU/Linux, il s’agit presque entièrement de logiciel libre, et il avait l’appui de Google. Mais le but réel de Chrome OS est de changer l’endroit où les utilisateurs réalisent leurs tâches informatiques, en remplaçant les applications que l’utilisateur aurait fait tourner sur sa machine par des SaaS sur Internet. Chaque fois qu’on remplace un logiciel libre du bureau par un SaaS, on passe d’une situation où l’utilisateur avait le contrôle sur ses logiciels à une situation où il n’a pratiquement plus aucun contrôle. Par exemple, l’utilisation que fait Google des logiciels libre dans les services SaaS lui permet de surveiller tous les usages et d’ajouter ou retirer des fonctionnalités selon son bon vouloir. Ainsi, en se concentrant sur la liberté des logiciels et non sur celle des utilisateurs, bien des partisans du logiciel libre n’ont pas su anticiper cette inquiétante dynamique.

TiVo – le pionnier des magnétoscopes numériques – présentait un défi différent. Son système se basait sur GNU/Linux et, conformément à la licence « copyleft » sous laquelle sont distribués la plupart des logiciels libres, la société TiVo autorisait l’accès complet à son code source. Mais TiVo utilisait le chiffrage pour verrouiller son système afin qu’il ne s’exécute que sur des versions approuvées de Linux. Les utilisateurs de TiVo pouvaient étudier et modifier le logiciel TiVo, mais ils ne pouvaient pas utiliser ce logiciel modifié sur leur TiVo. Le logiciel était libre, les utilisateurs ne l’étaient pas.

Les SaaS, Chrome OS et la Tivoisation sont des sujets qui continuent de remuer le milieu des logiciels libres et open source et mettent à jour des lignes de fracture. Il n’est guère surprenant que les partisans de l‘open source ne voient aucun problème avec les SaaS, Chrome OS et la Tivoisation ; ils ne sont pas engagés dans la liberté des utilisateurs ou du logiciel. Toutefois chacun de ces exemples a été facteur de division, y compris parmi les personnes qui pensaient que le logiciel devrait être libre. La Fondation du Logiciel Libre (Free Software Foundation, FSF) a pris explicitement position contre chacun des sujets ci-dessus. Mais il a fallu du temps avant d’identifier chacune de ces menaces et ce fut laborieux de réussir à faire passer le message aux sympathisants. Aujourd’hui, il semble probable que Google et son modèle d’entreprise orienté service représentent une plus grande menace pour la liberté des futurs utilisateurs d’ordinateur que ne l’a été Microsoft. Mais comme Google se conforme scrupuleusement aux termes de la licence du logiciel libre et contribue aux projets de logiciels libres par une grande quantité de code et d’argent, les partisans du logiciel libre ont mis du temps à l’identifier comme une menace et à réagir.

Même la Free Software Foundation continue à se battre avec sa propre mission axée sur le logiciel. Stallman et la FSF ont travaillé ces dernières années pour déplacer du code non-libre qui s’exécute sur les périphériques internes des ordinateurs (par exemple, une carte wifi ou une carte graphique intégrée à l’intérieur d’un portable) depuis le disque dur principal de l’ordinateur vers les sous-processeurs eux-mêmes. L’idée derrière ces efforts est d’éliminer le code non-libre en le basculant vers les composants matériels. Mais les utilisateurs des logiciels sont-ils plus libres si les technologies propriétaires, qu’ils ne peuvent changer, existent dans leur ordinateur sous une forme plutôt qu’une autre ?

La clé pour répondre à cette question – et à d’autres -, c’est de rester concentré sur ce qui distingue libre et ouvert. Les promoteurs du logiciel libre doivent revenir à leur objectif premier : la liberté des personnes, et non celle des logiciels. L’apport fondamental de Stallman et du mouvement libre a été de relier les questions de la liberté et de l’autonomie personnelle à d’autres considérations, quoique ce lien ne soit pas évident pour beaucoup. La manière dont les utilisateurs resteront libres évoluera avec les changements de nature de la technologie. Et alors que certains adaptent les principes du logiciel libre à de nouveaux domaines, ils vont se retrouver confrontés à des problèmes de traduction comparables. Selon le soin que portera notre communauté à distinguer entre les différents mode d’ouverture et à mettre en évidence les questions de contrôle, de politique et de pouvoir, la philosophie du logiciel libre restera pertinente dans toutes ces discussions plus générales autour des nouveaux et différents biens communs – dans les logiciels et au delà.

Crédit photo : David Shankbone (Creative Commons By)




Sans médias libres, pas de liberté de pensée – Conférence d’Eben Moglen

Une conférence d’Eben Moglen à Re:Publica (2012)

Version française par Aka, Nebu, Vincent, Alban, Benjamin, puis Moosh, peupleLa, Slystone, goofyLycorisbruno

Le texte ci-dessous a connu sa première publication sur le site de Benjamin Sonntag, où vous pourrez trouver la vidéo sous-titrée de la conférence à télécharger en divers formats ainsi qu’une présentation d’Eben Moglen et un excellent aperçu synthétique du contenu. Nous proposons une version mieux révisée (mais encore perfectible) de la traduction, à laquelle nous ajoutons les questions/réponses qui ont succédé à la conférence.

La vidéo étant assez longue (63 minutes) il nous a semblé utile de remettre en valeur les propos de Moglen par un texte lisible en une vingtaine de minutes. Vous pouvez le découvrir sur cette page ou bien télécharger le fichier disponible ici.

Conférence Eben Moglen à Re:Publica 2012 (format .ODT)

Conférence Eben Moglen à Re:Publica 2012 (format .PDF)

Bonjour.

C’est un plaisir d’être ici, et un honneur d’être à Re:publica.

Depuis maintenant mille ans, nos ancêtres se sont battus pour la défense de la liberté de pensée. Nous avons subi des pertes considérables, mais aussi remporté d’immenses victoires. Et nous sommes aujourd’hui à une époque charnière. Depuis l’adoption de l’imprimerie par les Européens au XVe siècle, nous étions essentiellement concernés par l’accès aux livres imprimés. Le droit de lire et le droit de publier étaient les principaux sujets de notre combat pour la liberté de pensée ces 500 dernières années. La principale inquiétude était celle de pouvoir lire en privé, penser, parler et agir sur la base d’une volonté libre et non censurée.

Le principal ennemi de la liberté de pensée, au début de notre combat, était l’Église Catholique universelle. Une institution basée sur le contrôle des pensées dans le monde européen, fondée sur une surveillance hebdomadaire de la conduite et des pensées de tout être humain ; basée sur la censure de tout matériel de lecture et finalement basée sur la faculté de prédire et punir toute pensée non-orthodoxe. Les outils disponibles pour le contrôle des pensées à l’aube de l’Europe moderne étaient pauvres, même selon nos standards du XXe siècle, mais ils marchaient. Ainsi, pendant des centaines d’années, la lutte était concentrée sur le premier objet industriel de masse, à l’importance croissante dans notre culture occidentale : « le livre ». Selon que l’on pouvait l’imprimer, le posséder, le vendre ou le lire, apprendre avec lui, sans l’autorisation ou le contrôle d’une autorité ayant le pouvoir de punir les pensées. À la fin du XVIIe siècle, la censure de l’écrit en Europe a commencé à craquer, tout d’abord en Hollande, puis au Royaume-Uni, et enfin, par vagues, à travers toute l’Europe. Et le livre devint un article de commerce subversif, et commença à grignoter le contrôle des pensées.

À la fin du XIXe siècle, cette lutte pour la liberté de lecture commença à attaquer la substance même du christianisme et le monde européen trembla sous les coups de la première grande révolution de l’esprit, qui parlait de « liberté, égalité, fraternité » mais qui signifiait en fait « liberté de penser autrement ». L’Ancien Régime commença à lutter contre la pensée et nous sommes alors passés dans une autre phase dans l’histoire de la liberté de pensée, qui présumait la possibilité de la pensée non-orthodoxe, et de l’action révolutionnaire. Ainsi, pendant 200 ans, nous avons lutté face aux conséquences de ces changements.

Cette génération décidera comment le réseau sera organisé

C’était hier et c’est aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous entamons une nouvelle ère dans l’histoire de l’espèce humaine. Nous construisons un système nerveux unique qui englobera tout esprit humain. Nous sommes à moins de deux générations aujourd’hui du moment où tout être humain sera connecté à un réseau unique, où toute pensée, plan, rêve ou action sera un influx nerveux de ce réseau. Et le destin de la liberté de pensée, ou plus largement le destin de toute liberté humaine, tout ce pour quoi nous avons combattu pendant plus de mille ans dépendra de l’anatomie des neurones de ce réseau. Nous sommes la dernière génération d’êtres humains qui aura été formée sans contact avec le Net.

À dater de ce jour, tout nouvel être humain, et dans deux générations tout cerveau de l’humanité aura été formé, depuis sa plus tendre enfance, en connexion directe avec le réseau. L’humanité deviendra un super-organisme, dans lequel chacun de nous sera un neurone de ce cerveau. Et nous le construisons aujourd’hui, maintenant, nous tous, en ce moment, cette génération, unique dans l’histoire de l’humanité. Cette génération décidera comment le réseau sera organisé.

Hélas, nous commençons mal. Voici le problème.

Nous avons grandi en étant des consommateurs de médias, c’est ce qu’ils nous ont appris, que nous étions des consommateurs de médias, mais maintenant les médias nous consomment.

Les choses que nous lisons nous regardent en train de les lire. Les choses que nous écoutons nous écoutent les écouter. Nous sommes pistés, nous sommes contrôlés : les médias que nous utilisons nous prédisent. Le processus de construction du réseau a gravé dans le marbre les principes de bases de transport de l’information. Il détermine s’il existe quelque chose comme une lecture anonyme. Et il a choisi de se construire contre la lecture anonyme.

…mais personne n’est intéressé par l’anonymat désormais, n’est-ce pas ?

Il y a 20 ans, j’ai commencé à travailler comme avocat pour un homme nommé Philippe Zimmermann, qui avait alors créé une sorte de cryptographie à clé publique destinée au grand public, nommée Pretty Good Privacy (PGP). L’effort effectué pour créer PGP était équivalent à essayer de conserver la possibilité du secret à la fin de XXe siècle. Phil essayait alors d’interdire au gouvernement de tout surveiller. Conséquence de cela, il fut au moins menacé d’un procès par le gouvernement des États-Unis pour avoir partagé des secrets militaires, car c’est ainsi qu’on surnommait la cryptographie à clé publique à l’époque. Nous avions dit « Vous ne devriez pas faire cela, il y aura des milliards de dollars en commerce électronique, si tout le monde peut utiliser une cryptographie forte » mais personne n’était intéressé. Mais ce qui était important au sujet de Pretty Good Privacy, au sujet de la lutte pour la liberté que la cryptographie à clé publique représentait pour la société civile, ce qui était crucial devint clair quand nous avons commencé à gagner.

En 1995, il y a eu un débat à la faculté de droit de Harvard. Nous étions 4 à discuter du futur de la cryptographie à clé publique et de son contrôle. J’étais du côté que je suppose être celui de la liberté, c’est là que j’essaie toujours d’être. Avec moi, à ce débat se trouvait un homme nommé Daniel Weitzner, qui travaille aujourd’hui à la Maison Blanche, et s’occupe de la régulation de l’Internet pour Obama. En face de nous se trouvait le procureur général des États-Unis et avocat dans le privé, nommé Stewart Baker, qui était avant conseiller en chef de l’Agence de la Sécurité Nationale (NSA), ceux qui nous écoutent, et qui dans le privé, aidait des entreprises à gérer ceux qui les écoutent. Il devint ensuite responsable de la politique générale du Département de la Sécurité Intérieure (DHS), des États-Unis, et il est à l’origine d’une bonne partie de ce qui nous est arrivé sur Internet après 2001.

Et donc, nous venions de passer deux heures agréables à débattre du droit à la cryptographie et, à la fin, il y avait une petite fête au club de la faculté de droit d’Harvard, et enfin, après la fin du repas, quand il ne resta plus grand chose sur la table, Stuart dit :

« Allons messieurs, maintenant que nous sommes entre nous, telles des femmes, libérons nos chevelures ». Il n’avait déjà plus beaucoup de cheveux à cette époque mais il les a libérés… « Nous n’emmènerons pas au tribunal votre client, M Zimmermann. La cryptographie à clé publique sera bientôt libre. Nous avons mené une longue bataille perdue d’avance contre elle, mais ce n’était qu’un gain de temps ». Puis il regarda autour de la pièce et dit : « mais personne n’est intéressé par l’anonymat désormais n’est-ce pas ? »

Un frisson me parcourut la colonne vertébrale, et je pensais alors « ok Stuart, désormais je sais que tu passeras les vingt prochaines années à essayer d’éliminer l’anonymat dans la société humaine, et je passerai ce temps à essayer de t’empêcher de le faire, nous verrons bien où cela nous mènera ».

Et cela commence très mal.

Nous n’avons pas intégré l’anonymat quand nous avons construit le net. C’était une erreur dont nous payons maintenant le prix. Notre réseau présume que vous pouvez être suivis par des mouchards en permanence. Et en utilisant le Web, nous avons fabriqué Facebook. Nous avons mis une seule personne au milieu de tous les échanges. Nos vies sociales et nos vies privées sont sur le Web, et nous partageons tout avec nos amis mais aussi avec notre « super-ami ». Celui qui nous trahit à ceux qui le construisent, ceux qui le paient, ceux qui l’aident, ou ceux qui lui donnent les centaines de milliards de dollars qu’il désire.

Nous sommes en train de créer un média qui nous consomme et qui aime ça.

Le but principal du commerce au XXIe siècle est de prévoir comment nous faire acheter des choses. Et la chose principale que les gens veulent que nous achetions, c’est de la dette. Et nous nous endettons, nous nous chargeons de plus de dettes, de plus de doutes, de plus de tout ce dont nous avons besoin sans que nous le sachions jusqu’à ce qu’ils nous disent que nous pensions à ces choses car ils possèdent la barre de recherche, et nous mettons nos rêves dedans.

Tout ce que nous voulons, tout ce que nous espérons, tout ce que nous aimerions savoir est dans la barre de recherche, et ils la possèdent. Nous sommes surveillés partout, tout le temps.

Il y a une barre de recherche et ils la possèdent, nous y collons nos rêves et ils les dévorent !

Au XXe siècle, il fallait construire la Loubianka, il fallait torturer des gens, il fallait les menacer, il faillait les oppresser pour qu’ils vous informent sur leurs amis. Je n’ai pas besoin de parler de ça à Berlin. Au XXIe siècle, pourquoi se donner tant de mal ? Il suffit de construire un réseau social et tous les gens vous fournissent des informations sur tous les autres gens. Pourquoi gâcher du temps et de l’argent avec des immeubles pleins d’employés qui vérifient qui est qui sur les photographies ? Proposez à tout le monde de taguer les amis et bing ! Le travail est fait ! Oups, est-ce que j’ai utilisé ce mot ? Bing ! Le travail est fait !

Il y a une barre de recherche et ils la possèdent, nous y collons nos rêves et ils les dévorent !

Et ils nous renvoient immédiatement qui nous sommes. « Si vous avez aimé ça, vous allez adorer ceci ! » Et c’est le cas.

Ils nous calculent. Ce sont des machines qui le font. Chaque fois que vous créez un lien, vous apprenez quelque chose à la machine. Chaque fois que vous faites un lien à propos de quelqu’un, vous apprenez quelque chose à la machine à propos de cette personne. Il faut que nous construisions ce réseau, il faut que nous construisions ce cerveau, c’est le plus grand but de l’humanité, nous sommes en train de le réaliser mais nous n’avons pas le droit de le faire mal.

Autrefois, les erreurs technologiques étaient des erreurs, nous les commettions, elles étaient les effets non intentionnels de nos comportements fautifs, mais les choses ont changé aujourd’hui.

Les choses qui ne tournent pas bien ne sont pas des erreurs, elles sont conçues comme ça. C’est leur but et leur but, c’est de décoder la société humaine.

Je disais à un responsable du gouvernement des États Unis il y a quelques semaines de cela : « Notre gouvernement s’est mal conduit. Nous avons créé des règles après le 11 septembre. Ces règles disaient : nous garderons les données concernant les gens et parmi ces gens certains seront innocents, ils ne seront suspects de rien ». Ces règles conçues en 2001 disaient :

« Nous conserverons ces données sur des gens qui ne sont suspects de rien pour une durée maximale de cent quatre-vingt jours, après quoi nous les détruirons ».

En mars, au milieu de la nuit, un mercredi, après que tout était éteint, alors qu’il pleuvait, le Ministère de la Justice et le directeur du Renseignement National des États-Unis ont dit :

« Oh, nous changeons ces règles. Un petit changement. Nous disions avant que la durée de conservation des données concernant les personnes non suspectes était au maximum de cent quatre-vingt jours, nous passons à cinq ans. »

Ce qui correspond à l’éternité.

J’ai plaisanté avec l’avocat avec lequel j’étais à New-York, ils ont écrit « cinq ans » dans le communiqué de presse parce qu’ils n’arrivaient pas à avoir le 8 couché dans la police pour le communiqué de presse, sinon ils auraient simplement dit l’infini, qui est ce qu’ils pensaient.

Et donc, voici la discussion que j’ai eue avec un responsable gouvernemental que je connais depuis plusieurs années, qui travaille à la Maison Blanche :

— Vous voulez changer la société américaine.

— Eh bien, nous sommes arrivés à la conclusion que nous avons besoin d’un graphe social complet de la population des États-Unis.

— Vous avez besoin d’un graphe social complet de la population des États-Unis ?

— Oui

— Vous voulez dire que le gouvernement des États-Unis d’Amérique va, à partir de maintenant, tenir une liste des gens que chaque Américain connaît. Est-ce que vous ne pensez pas que cela nécessiterait une loi ?

Il a simplement ri parce qu’ils l’avaient fait dans un communiqué de presse au milieu de la nuit un mercredi pendant qu’il pleuvait.

La criminalisation de la lecture a bien avancé

Si nous n’agissons pas rapidement, nous allons vivre dans un monde où nos médias se nourriront de nous et nous balanceront au gouvernement. Cet endroit sera du jamais vu et si nous le laissons arriver, nous ne verrons plus jamais autre chose que cela. L’humanité aura été ligotée et les médias se nourriront de nous et nous balanceront au gouvernement. Et l’État possèdera nos esprits.

Le futur ex-président de la République française (NdT cette conférence a eu lieu pendant la campagne électorale de 2012 qui opposait MM. Hollande et Sarkozy) a fait campagne le mois dernier sur une proposition selon laquelle il devrait y avoir des peines criminelles contre la visite répétée de sites djihadistes. C’était une menace de criminaliser la lecture en France. Bon, il sera bientôt l’ancien président de la France, mais ça ne signifie pas que ce sera une idée périmée en France. Pas du tout.

La criminalisation de la lecture a bien avancé. Aux États-Unis d’Amérique dans ce que nous appelons les procès terroristes, nous voyons désormais souvent des recherches Google faites par des particuliers utilisées comme preuves de leur comportement criminel. La recherche de la connaissance est devenue une preuve dans les procès de terrorisme organisé. Nous rendons criminel l’acte de penser, lire et chercher. Nous le faisons dans des sociétés soi-disant libres, nous le faisons malgré le premier amendement, nous le faisons en dépit des leçons de notre histoire parce que nous oublions alors même que nous apprenons.

Nous n’avons pas beaucoup de temps. La génération qui a grandi hors du Net est la dernière qui peut le réparer sans violence.

Les gouvernements sont tombés amoureux du datamining

Tous les gouvernements de la planète sont tombés amoureux de l’idée qu’ils peuvent faire du datamining (captation et fouille des données) avec leur population. Je pensais auparavant que nous allions combattre le Parti Communiste Chinois durant la 3e décennie du XXIe siècle. Je n’avais pas prévu que nous aurions à combattre le gouvernement des États-Unis d’Amérique ET le gouvernement de la République Populaire de Chine et quand Mme Kroes sera ici vendredi, peut-être lui demanderez-vous s’il faudra la combattre elle aussi.

Les gouvernements sont tombés amoureux du datamining car ça fonctionne vraiment très bien. C’est efficace. C’est efficace pour les bonnes causes autant que pour les mauvaises causes. C’est efficace pour aider les gouvernements à comprendre comment fournir des services. C’est efficace pour aider les gouvernements à comprendre quels sont les problèmes futurs. C’est efficace pour aider les politiciens à comprendre comment les votants vont réfléchir. Mais ça rend aussi possible des types de contrôle social qui étaient auparavant très compliqués, très coûteux et très pénibles, avec des méthodes très simples et très efficaces.

Il n’est plus nécessaire de maintenir des réseaux imposants d’informateurs comme je l’ai déjà dit. La Stasi ne vaudrait plus rien si elle était de retour, car Zuckerberg fait le boulot à sa place.

Mais en dehors de la simple facilité à surveiller plus loin que la conservation des données, c’est la pérennité de la vie au-delà du temps de l’oubli : plus rien ne disparaît jamais. Ce qui n’est pas compris aujourd’hui le sera demain. Le trafic chiffré que vous utilisez aujourd’hui dans des conditions de sécurité relative est en attente jusqu’à ce qu’il y en ait suffisamment pour que la crypto-analyse marche, pour que les décodeurs réussissent à le décrypter. Il va falloir que nous revoyions toutes nos règles de sécurité en permanence, car aucun paquet chiffré ne sera plus jamais perdu.

Rien n’est déconnecté indéfiniment, seulement temporairement. Chaque bribe d’information peut être conservée et tout est éventuellement lié à quelque chose d’autre. C’est la logique des responsables gouvernementaux qui disent : « Il nous faut un graphe social robuste de la population des États-Unis d’Amérique. » Pourquoi en ont-ils besoin ? Parce que les points non connectés aujourd’hui seront connectables demain ou l’an prochain ou le suivant. Rien n’est jamais perdu, rien ne disparaît, rien n’est plus oublié.

Donc, la forme primaire de collecte qui devrait nous inquiéter le plus est que les médias nous espionnent pendant que nous les utilisons. Les livres qui nous regardent les lire, la musique qui nous écoute en train de l’écouter. Les moteurs de recherche qui surveillent ce que nous recherchons pour ceux qui nous recherchent et ne nous connaissent pas encore.

Les gens parlent beaucoup des données qui sortent de Facebook : Est-ce qu’elles sortent pour moi ? Est-ce qu’elles sortent pour lui ? Est-ce qu’elles sortent pour eux ? Ils veulent que vous pensiez que la menace est que les données se disséminent. Vous devriez savoir que la menace, c’est le code qui entre.

Sur les 50 dernières années ce qu’il s’est passé dans l’informatique d’entreprise, c’est l’addition de cette couche d’analyse de données au dessus des stockages de données. On la nomme dans l’informatique d’entreprise l’« informatique décisionnelle ». Ce qui signifie que vous avez construit ces vastes stockages de données dans votre entreprise depuis 10 ou 20 ans. Vous disposez uniquement d’informations au sujet de vos propres opérations, vos fournisseurs, vos concurrents, vos clients. Désormais, vous voulez que ces données fassent de la magie. En les combinant avec les sources de données ouvertes disponibles dans le monde, en les utilisant pour répondre à des questions que vous ne saviez pas que vous vous posiez. C’est ça, l’informatique décisionnelle.

L’informatique décisionnelle sur Facebook, c’est là que tous les services de renseignements du globe veulent être.

La menace réelle de Facebook, c’est l’informatique décisionnelle à l’intérieur des données de Facebook. Les stockages de données de Facebook contiennent les comportements, pas seulement la pensée, mais aussi le comportement de près d’un milliard de personnes. La couche d’informatique décisionnelle au-dessus de ça, laquelle est simplement tout le code qu’ils peuvent faire tourner en étant couverts par les règles d’utilisation qui disent « Ils peuvent faire tourner tout le code qu’ils veulent pour améliorer l’expérience ». L’informatique décisionnelle sur Facebook, c’est là que tous les services de renseignements du globe veulent être.

Imaginez que vous soyez une petite organisation de services secrets dans une quelconque pays sans importance. Mettons-nous à leur place et appelons-les je ne sais pas moi, disons, « Korghistan ». Vous êtes les services secrets, vous êtes dans le « business des gens », les services secrets sont le « business des gens »

Il y a plusieurs catégories de gens dont vous avez besoin. Vous avez besoin d’agents, de sources, vous avez des adversaires, vous avez des gens influençables, des gens que vous torturez et qui sont reliés aux adversaires : femmes, maris, pères, filles, vous voyez, ce genre de gens. Donc vous cherchez ces catégories de gens. Vous ignorez leurs noms, mais vous savez à quoi ils ressemblent, vous savez qui vous pourriez recruter en tant qu’agent, vous savez qui sont les sources potentielles, vous connaissez les caractéristiques sociales de vos adversaires, et dès que vous connaissez vos adversaires, vous pouvez trouver ceux qui sont influençables.

Donc ce que vous voulez entreprendre, c’est faire tourner du code dans Facebook. Ça va vous aider à trouver les personnes dont vous avez besoin, ça va vous montrer les personnes dont les comportements et cercles sociaux vous indiquent qu’ils sont ce dont vous avez besoin, qu’il s’agisse d’agents, de sources, quels sont leurs adversaires et qui vous pouvez torturer pour les atteindre.

Donc vous ne voulez pas sortir des données de Facebook. Le jour où ces données sortent de Facebook, elles sont mortes. Vous voulez mettre du code dans Facebook et le faire tourner là-bas et avoir les résultats, vous voulez coopérer.

Facebook veut être un média. Ils veulent posséder le Web, ils veulent que vous cliquiez sur les boutons « J’aime ». Les boutons « J’aime » sont effrayants même si vous n’appuyez pas dessus, ce sont des mouchards sur le Web parce qu’ils indiquent à Facebook toutes les autres pages Web que vous consultez contenant un bouton « J’aime ». Que vous cliquiez dessus ou non, ils ont un enregistrement qui indique : « Vous avez consulté une page, qui intégrait une bouton J’aime » et soit vous avez dit oui, soit vous avez dit non. Mais dans les deux cas, vous avez généré une donnée, vous avez informé la machine.

Or donc, ce média a envie de mieux vous connaître que vous ne vous connaissez vous-même. Or, nous ne devrions laisser personne faire ça. Nous avons combattu pendant mille ans pour l’espace intérieur, cette bulle privée dans laquelle nous lisons, pensons, réfléchissons et devenons non-orthodoxes à l’intérieur de nos propres esprits. C’est cet espace que tout le monde veut nous prendre. « Dites-nous quels sont vos rêves, dites-nous quelles sont vos pensées, dites-nous ce que vous espérez, dites-nous ce qui vous effraie ». Ce n’est pas une confession privée hebdomadaire. C’est une confession 24h/24.

Le robot mobile que vous transportez avec vous, c’est celui qui sait où vous vous trouvez en permanence et écoute chacune de vos conversations. C’est celui dont vous espérez qu’il ne rapporte pas tout à un centre de commande. Mais ce n’est qu’un espoir. Celui qui fait tourner tous ces logiciels que vous ne pouvez ni lire, ni étudier, ni voir, ni modifier, ni comprendre. Celui-là, celui-là même écoute vos confessions en permanence. Quand vous le tenez devant votre visage, désormais, il va connaître votre rythme cardiaque. C’est une appli Android, dès maintenant les changements minimes de la couleur de votre visage révèlent votre fréquence cardiaque. C’est un petit détecteur de mensonges que vous transportez avec vous. Bientôt je pourrai de mon siège dans une salle de classe observer la pression sanguine de mes étudiants monter et descendre. Dans bon nombre de salles de classes aux États-Unis d’Amériques, c’est une information de première importance Mais il ne s’agit pas de moi, bien sûr, il s’agit de tout le monde, n’est-ce pas ? Car il s’agit seulement de données et des gens qui y ont accès. L’intérieur de votre tête devient l’extérieur de votre visage, devient l’intérieur de votre smartphone, devient l’intérieur du réseau, devient le premier fichier du dossier au centre de commande.

Nous avons donc besoin de médias libres sinon nous perdons la liberté de pensée, c’est aussi simple que ça.

Que signifie un média libre ? Un média que vous pouvez lire, auquel vous pouvez penser, auquel vous pouvez faire des ajouts, auquel vous pouvez participer sans être suivi, sans être surveillé, sans qu’il y ait de rapports sur votre activité. C’est ça, un média libre. Et si nous n’en avons pas, nous perdrons la liberté de penser, et peut-être pour toujours.

Avoir un média libre signifie avoir un réseau qui se comporte conformément aux besoins des gens situés à la marge. Et pas conformément aux besoins des serveurs situés au cœur.

Construire un média libre nécessite un réseau de pairs, pas un réseau de maîtres et de serviteurs, pas un réseau de clients et de serveurs, pas un réseau où les opérateurs de réseaux contrôlent tous les paquets qu’ils font transiter. Ce n’est pas facile, mais c’est encore possible. Nous avons besoin de technologie libre. La dernière fois que j’ai donné une conférence politique à Berlin c’était en 2004, elle était intitulée “die Gedanken sind frei” (NdT : Les pensées sont libres — en allemand dans le texte). J’y disais que nous avons besoin de 3 choses :

  • de logiciels libres
  • de matériels libres
  • de bande passante libre.

Maintenant, nous en avons encore plus besoin. Huit années ont passé, nous avons commis des erreurs, et les problèmes sont plus conséquents. Nous n’avons pas avancé, nous avons régressé.

Nous avons besoin de logiciels libres, c’est à dire de logiciels que l’on peut copier, modifier et redistribuer. Nous en avons besoin parce que nous avons besoin que le logiciel qui fait fonctionner le réseau soit modifiable par les personnes qui utilisent ce réseau.

Les tablettes que vous utilisez, que M. Jobs a conçues, sont faites pour vous contrôler. 

La mort de M. Jobs est un événement positif. Je suis désolé de vous l’annoncer de la sorte. C’était un grand artiste et un monstre sur le plan moral, et il nous a rapprochés de la fin de la liberté à chaque fois qu’il a sorti quelque chose, parce qu’il détestait partager. Ce n’était pas de sa faute, c’était un artiste. Il détestait partager parce qu’il croyait qu’il avait tout inventé, même si ce n’était pas le cas. À l’intérieur de toutes ces coques fines portant un logo Apple que je vois partout dans la salle, il y a des morceaux de logiciels libres modifiés pour lui donner le contrôle; rien d’illégal, rien de mal, il respecte la licence, il nous a baisés à chaque fois qu’il pouvait et il a pris tout ce que nous lui avons donné et il a fait des choses jolies qui contrôlent leurs utilisateurs.

Autrefois, il y avait un homme ici qui construisait des choses, à Berlin pour Albert Speer (NdT : un haut responsable du Troisième Reich) son nom était Philip Johnson (NdT : un architecte américain) et c’était un brillant artiste mais un monstre sur le plan moral. Et il disait qu’il était venu travailler pour construire des immeubles pour les nazis parce qu’ils avaient tous les meilleurs graphismes. Et il le pensait, parce qu’il était un artiste, tout comme M. Jobs était un artiste. Mais être artiste n’est pas une garantie de moralité.

Nous avons besoin de logiciels libres. Les tablettes que vous utilisez, que M. Jobs a conçues, sont faites pour vous contrôler. Vous ne pouvez pas modifier le logiciel, il est même difficile de faire de la simple programmation. Ce n’est pas vraiment un problème, ce ne sont que des tablettes, nous ne faisons que les utiliser. Nous ne faisons que consommer le prestige de ce qu’elles nous apportent mais elles nous consomment aussi.

Nous vivons comme dans la science-fiction que nous lisions lorsque nous étions enfants et qui supposait que nous serions parmi les robots. À ce jour, nous vivons communément avec des robots, mais ils n’ont pas de bras ou de jambes. Nous sommes leurs bras et leurs jambes, nous transportons les robots partout avec nous. Ils savent où nous allons, ils voient tout ce que nous voyons, tout ce que nous disons, ils l’écoutent et il n’y a pas de première loi de la robotique. Ils nous font du mal, tous les jours. Et il n’y a aucun réglage pour empêcher ça.

Nous avons donc besoin de logiciels libres. À moins que nous ne contrôlions le logiciel du réseau, le réseau finira par nous contrôler.

Nous avons besoin de matériels libres. Cela signifie que lorsque nous achetons un bidule électronique, il devrait être le nôtre et pas celui de quelqu’un d’autre. Nous devrions être libre de le modifier, de l’utiliser comme il nous plaît, pour garantir qu’il ne travaille pas pour quelqu’un d’autre que nous-même. Bien sûr, la plupart d’entre nous ne modifiera jamais rien, mais le fait que nous pouvons le modifier nous met en sécurité. Bien sûr, nous ne serons jamais la personne qu’ils veulent le plus surveiller.

L’homme qui ne sera pas président de la France pour sûr, mais qui pensait qu’il le serait, dit à présent qu’il a été piégé et que sa carrière politique est détruite non pas parce qu’il a violé une femme de chambre mais parce qu’il a été manipulé après qu’on ait espionné son smartphone. Peut-être qu’il dit la vérité, peut-être que non. Mais il n’a pas tort pour ce qui est du smartphone. Peut-être que c’est arrivé, peut-être que non, mais ça arrivera.

Nous transportons des choses dangereuses avec nous partout où nous allons. Elles ne travaillent pas pour nous, elles travaillent pour quelqu’un d’autre. Nous acceptons cela. Nous devons arrêter.

Nous avons besoin de bande passante libre. Cela signifie que nous avons besoin d’opérateurs réseaux qui sont des transports en commun dont le seul travail est de déplacer les paquets réseaux d’un point A à un point B. Ce sont presque des tubes, et ils ne sont pas autorisés à être impliqués. Il était de coutume, lorsque qu’un colis était transporté d’un point A à un point B, que si le gars chargé du transport l’ouvrait et regardait ce qu’il contenait, il commettait un crime.

Plus maintenant.

Aux États-Unis d’Amérique, la chambre des représentants a voté la semaine dernière que les opérateurs réseaux, aux États-Unis d’Amérique, devaient être intégralement à l’abri des poursuites judiciaires pour complicité d’espionnage illégal avec le gouvernement, pour autant qu’ils l’aient fait « de bonne foi ».

Et le capitalisme signifie que vous n’avez jamais à dire que vous êtes désolé, que vous êtes toujours de bonne foi. De bonne foi, tout ce que nous voulons faire c’est de l’argent M. le Juge, laissez-nous dehors. — Très bien, vous êtes libres.

Nous devons avoir de la bande passante libre. Nous possédons encore le spectre électromagnétique, il appartient encore à nous tous, il n’appartient à personne d’autre. Le gouvernement est un mandataire, pas un propriétaire. Nous devons avoir un spectre que nous contrôlons également pour tous. Personne n’est autorisé à écouter quelqu’un d’autre, pas d’inspection, pas de vérification, pas d’enregistrement, cela doit être la règle. Cela doit être la règle de la même façon que la censure doit disparaître. Si nous n’avons pas de règle pour une communication libre, alors nous réintroduisons de la censure. Qu’on le sache ou non.

Nous avons donc très peu de choix maintenant, notre espace a rétréci et nos possibilités de changement ont diminué.

Nous devons avoir des logiciels libres. Nous devons avoir des matériels libres. Nous devons avoir de la bande passante libre. Ce n’est qu’avec eux que nous pourrons faire des médias libres.

Nous ne devrions pas commercer avec des gens qui vendent de la musique sous surveillance.

Mais nous devons travailler sur les médias aussi, directement, pas par intermittence, pas sans y faire attention. Nous devons demander aux organisations des médias d’obéir à des règles éthiques élémentaires. Une première loi des médias robotiques : ne fais aucun mal. La première règle pour nous est : ne surveille pas le lecteur. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde où chaque livre signale chaque lecteur. Si c’est le cas, nous vivons dans une bibliothèque gérée par le KGB. Enfin : amazon.com ou le KGB, ou les deux ! Vous ne pourrez jamais savoir !

Le livre, cet objet imprimé merveilleux, ce premier produit du capitalisme de masse, le livre est en train de mourir. C’est dommage, mais il est en train de mourir. Et le remplaçant est une boîte qui surveillera le lecteur ou non.

Vous vous souvenez qu’amazon.com a décidé qu’un livre de Georges Orwell ne pouvait pas être distribué aux État-Unis d’Amérique pour des raisons de copyright. Ils sont venus et l’ont effacé de chacune de toutes les liseuses d’Amazon où le consommateur avait acheté des copies de La ferme des animaux. « Oh, vous l’avez peut-être acheté mais cela ne signifie pas que vous être autorisé à le lire ». C’est de la censure. C’est de l’autodafé. C’est tout ce que nous avons vécu au XXe siècle. Nous avons brûlé des gens, des maisons et des œuvres d’art. Nous avons combattu. Nous avons tué des dizaines de millions de personnes pour mettre un terme à un monde dans lequel l’État brûlerait les livres, et ensuite nous l’avons regardé se faire encore et encore, et maintenant nous nous préparons à autoriser que cela soit fait sans aucun feu.

Partout, tout le temps.

Nous devons avoir une éthique des médias et nous avons le pouvoir de faire appliquer cette éthique parce que nous sommes encore les personnes qui payent le fret. Nous ne devrions pas commercer avec des gens qui vendent des livres sous surveillance. Nous ne devrions pas commercer avec des gens qui vendent de la musique sous surveillance. Nous ne devrions pas commercer avec les sociétés cinématographiques qui vendent des films sous surveillance. Nous allons devoir dire cela même si nous travaillons sur la technologie.

Parce qu’autrement, le capitalisme va agir aussi vite que possible pour rendre nos effort de liberté caducs. Et il y a des enfants qui grandissent qui ne sauront jamais ce que « liberté » signifie.

Nous devons donc la promouvoir, cela va nous coûter un peu, pas beaucoup, mais un peu quand même. Nous allons devoir oublier et faire quelques sacrifices dans nos vies pour faire appliquer cette éthique aux médias. Mais c’est notre rôle. De même que faire des technologies libres est notre rôle. Nous sommes la dernière génération capable de comprendre directement ce que sont ces changements car nous avons vécu des deux côtés de ces changements et nous savons. Nous avons donc une responsabilité. Vous comprenez cela.

C’est toujours une surprise pour moi, bien que ce soit complètement vrai, mais de toutes les villes du monde où j’ai voyagé, Berlin est la plus libre. Vous ne pouvez pas porter de chapeau dans l’aéroport de Hong-Kong, plus maintenant. Je l’ai découvert le mois dernier en essayant de porter mon chapeau dans l’aéroport de Hong-Kong. « Vous n’y êtes pas autorisé, ça perturbe le système de reconnaissance faciale ». Il va y avoir un nouvel aéroport ici, sera-t-il tellement surveillé que vous ne serez pas autorisé à porter un chapeau parce que cela perturbe le système de reconnaissance faciale ?

Nous avons une responsabilité, nous savons. C’est comme ça que Berlin est devenue la ville la plus libre où j’ai pu me rendre parce que nous savons que nous avons une responsabilité, parce que nous nous souvenons, parce que nous avons été des deux côtés du mur. Cela ne doit pas être perdu maintenant. Si nous oublions, plus aucun oubli ne sera jamais possible. Tout sera mémorisé. Tout ce que vous avez lu, durant toute votre vie, tout ce que vous avez écouté, tout ce que vous avez regardé, tout ce que vous avez cherché.

Sûrement nous pouvons transmettre à la prochaine génération un monde libre de tout ça. Sûrement nous le devons. Que se passera-t-il si nous ne le faisons pas ? Que diront-ils lorsqu’ils réaliseront que nous avons vécu à la fin d’un millénaire de lutte pour la liberté de penser ?

Au final, alors que nous avions presque tout, on a tout laissé tomber, par commodité, pour un réseau social, parce que M. Zuckerberg nous l’a demandé, parce que nous n’avons pas trouvé de meilleur moyen pour parler à nos amis. Parce qu’on a aimé ces belles petites choses si chaleureuses dans notre main.

Parce que nous n’avions pas vraiment prêté attention à l’avenir de la liberté de pensée ?

Parce que nous avions considéré que c’était le travail de quelqu’un d’autre. Parce que nous avions pensé que c’était acquis. Parce que nous pensions être libres. Parce que nous n’avions pas pensé qu’il restait des luttes à terminer. C’est pourquoi nous avons tout laissé tombé.

Est-ce que c’est ce que nous allons leur dire ? Est-ce vraiment ce que nous allons leur dire ?

La liberté de pensée exige des médias libres. Les médias libres exigent une technologie libre. Nous exigeons un traitement éthique lorsque nous lisons, lorsque nous écrivons, lorsque nous écoutons, et lorsque nous visionnons.

C’est la ligne de conduite de nos politiques. Nous devons conserver ces politiques jusqu’à notre mort. Parce que dans le cas contraire, quelque chose d’autre va mourir. Quelque chose de tellement précieux que beaucoup, beaucoup, beaucoup de nos pères et de nos mères ont donné leur vie pour cela. Quelque chose de tellement précieux que nous sommes d’accord pour dire que c’est la définition de ce qu’est un être humain. Il mourra si nous ne maintenons pas ces politiques pour le restant de nos jours. Et si nous les maintenons, alors toutes les choses pour lesquelles nous avons lutté se réaliseront parce que partout sur la planète, chaque personne pourra lire librement. Parce que tous les Einstein des rues auront le droit d’apprendre. Parce que tous les Stravinsky deviendront des compositeurs. Parce que tous les Socks deviendront des chercheurs en physique. Parce que l’humanité sera connectée et que chaque esprit sera autorisé à apprendre et aucun esprit ne sera écrasé pour avoir mal pensé.

Nous sommes à un moment décisif où nous pouvons choisir de soutenir cette grande révolution que nous avons bâtie bit après bit depuis un millénaire, ou de tout laisser tomber, par commodité, par simplicité de parler avec nos amis, pour la rapidité des recherches, ou d’autres choses vraiment importantes…

Je disais en 2004 ici même et je le redis maintenant : « Nous pouvons vaincre. Nous pouvons être la génération des personnes qui ont terminé le travail de construire la liberté de pensée ».

Je ne l’ai pas dit alors, mais je dois le faire maintenant que nous sommes aussi potentiellement la génération qui l’aura perdue.

Nous pouvons régresser dans une inquisition pire que toutes les inquisitions qui ont jamais existé. Elle n’usera peut-être pas tant de torture, elle ne sera peut-être pas aussi sanguinaire, mais elle sera bien plus efficace. Et nous ne devons absolument pas laisser cela arriver. Trop de gens se sont battus pour nous. Trop de gens sont morts pour nous. Trop de gens ont espéré et rêvé pour ce que nous pouvons encore réaliser.

Nous ne devons pas échouer.

Merci beaucoup.

Questions / Réponses

Q  : Merci. Vous avez dépeint un possible avenir vraiment horrible. Pouvez-vous nommer des organisations ou groupes aux États-Unis d’Amérique qui soutiennent des actions allant dans votre sens, dans votre vision positive de transformer la société ?

R : Pas seulement aux États-Unis d’Amérique mais partout dans le monde, nous avons des organisations qui se préoccupent des libertés numériques. L’« Electronic Frontier Foundation » aux États-Unis d’Amérique, « La Quadrature du Net » en France, « Bits of Freedom » aux Pays-Bas et j’en passe.

Les mouvements pour la liberté numérique sont extrêmement importants. Les pressions sur les gouvernements pour qu’ils obéissent à des règles issues du XVIIIe  siècle concernant la protection de la dignité humaine et la prévention de la surveillance étatique sont cruciales. Malheureusement, le travail sur les libertés numériques contre les gouvernements n’est pas suffisant.

Le mouvement des logiciels libres, La FSF, « Free Software Foundation » aux États-Unis d’Amérique et la « Free Software Foundation Europe », dont le siège est en Allemagne, font un travail important pour maintenir ce système anarchique (sur le mode du “bazar”) producteur de logiciels, qui nous a apportés tant de technologies, et que nous-même ne pouvons contrôler. Et cela est crucial.

Le mouvement « Creative Commons » qui est très ancré non seulement aux États-Unis d’Amérique et en Allemagne mais aussi dans plus de 40 pays autour du monde est aussi extrêmement important parce que les licences « Creative Commons » donnent aux créateurs des alternatives au contrôle excessif qui existe avec le système du copyright, et qui profite à la surveillance des médias.

L’encyclopédie libre « Wikipedia » est une institution humaine extrêmement importante et nous devons continuer de soutenir la fondation « Wikimedia » autant que faire se peut. Sur les cent sites web les plus visités aux États-Unis d’Amérique dans une étude menée par le « Street Journal », sur les cent sites web les plus visités aux États-Unis d’Amérique, seulement un ne surveille pas ses utilisateurs. Je vous laisse deviner qui c’est ? C’est Wikipédia.

Nous avons un énorme travail qui se déroule maintenant à travers le monde dans l’enseignement supérieur. Maintenant que les universités commencent à réaliser que le coût de l’enseignement supérieur doit baisser et que  les esprits vont grandir dans la toile. La « UOC », l’« Open University of Catalonia » est l’université exclusivement en ligne la plus extraordinaire aujourd’hui. Elle sera bientôt en concurrence avec d’autres universités extraordinaires. « MITX », le nouveau programme d’éducation web de la « Massachussets Institute of Technology » va fournir des cours de la plus haute qualité technique, et rendre ses supports de cours existants, accessibles librement (au sens de la culture libre) pour tous, depuis n’importe-où et en permanence. Stanford va adapter une structure de e-learning privateur qui sera le Google de l’éducation supérieure, si Stanford a de la chance.

Nous devons soutenir l’éducation libre sur Internet, et chaque ministère de l’éducation national européen devrait y travailler. Il y a beaucoup d’endroits où chercher des logiciels libres, du matériel libre, de la bande passante libre, et des médias libres.

Il n’y a pas de meilleur endroit pour chercher des médias libres sur Terre, maintenant, que dans cette salle. Tout le monde sait ce qu’il peut faire. Ils le font. Nous devons juste faire comprendre à tous les autres que si nous arrêtons ou si nous échouons, la liberté de pensé en sera le prix et nous le regretterons pour toujours.

Q : Merci beaucoup. Je voulais vous poser une petite question. Est-ce que Facebook, l’iPhone et les médias libres peuvent coexister à long terme ?

R : Probablement pas. Il ne faut pas trop s’inquiéter, iPhone n’est qu’un produit Facebook, il n’est que la version commerciale d’un service. J’ai récemment dit dans un journal à New-York que je pensais que Facebook continuerait d’exister pour une durée comprise entre 12 et 120 mois. Je pense que c’est exact.

Les réseaux sociaux fédérés seront disponibles dans l’avenir. Les réseaux sociaux fédérés sous une forme qui vous permette de quitter Facebook sans quitter vos amis seront disponibles dans l’avenir. De meilleurs moyens de communication sans une tierce partie qui vous espionne seront disponibles dans l’avenir.

La question c’est : « est-ce que les gens vont les utiliser ?»

La Freedom Box vise à produire une pile logicielle qui tiendrait dans une nouvelle génération de serveurs à bas coût et de faible consommation de la taille d’un chargeur de téléphone mobile, et si nous réussissons cette tâche, nous serons capables de connecter des milliards de serveurs web au réseau qui nous serviront à fournir des services concurrents, qui ne violeront pas la vie privée, et qui seront compatibles avec les services existants.

Mais votre téléphone mobile change fréquemment, donc l’iPhone s’en ira, pas de problème. Et les services web sont moins rares qu’ils n’en ont l’air maintenant. Facebook est une marque, ce n’est pas quelque chose dont il faut nous soucier en particulier, il faut juste que nous fassions cela aussi vite que possible

Coexistence ?  Tout ce que j’ai à en dire c’est qu’ils ne vont pas coexister avec la  liberté. Je ne vois pas pourquoi je devrais coexister avec eux.

(applaudissements)

Q : Bonjour, je m’appelle […] du Bangladesh. Merci pour cette présentation formidablement informative et lucide. J’ai participé à l’introduction des emails au Bangladesh au début des années 90. À cette époque les connexions coûtaient très cher. Nous dépensions 30 cents par kB donc un 1MB nous coûtait 300 dollars. Ça a changé depuis, mais c’est toujours très encadré par les instances régulatrices et pour nous sur le terrain, c’est très difficile, car les pouvoirs en place (les gardiens des clefs) ont intérêt à maintenir cet état de fait. Mais dans ce réseau des gardiens des clefs, il y a aussi un réseau entre mon pays et le vôtre. Et à l’heure actuelle, la source de données la plus large en volume est le recensement du Bengladesh, et la société qui le fournit est en lien direct avec la CIA. En tant  qu’opérateurs, que pouvons-nous faire en attendant de pouvoir devenir  des acteurs majeurs ?

R : C’est pourquoi j’ai commencé en parlant des comportements récents des États-Unis d’Amérique. Mon collègue au Centre des Lois de Libertés Logicielles en Inde a passé beaucoup de temps le mois dernier à essayer de faire passer une motion par la chambre haute du Parlement Indien pour annuler la régulation par les services informatiques de la censure du Net Indien et bien sûr la bonne nouvelle c’est que la base de données la plus large en volume dans le monde sera bientôt les scans rétiniens que le gouvernement Indien va exiger, si vous désirez avoir une bouteille de gaz propane ou des choses telles que… l’énergie pour votre maison. Et les difficultés que nous avons rencontrées en parlant aux responsables gouvernementaux indiens sont qu’ils disaient : « Si les Américains peuvent le faire pourquoi pas nous ? » Ce qui est malheureusement vrai.

Le gouvernement des États Unis d’Amérique a réduit cet hiver le niveau des libertés sur Internet de par le monde, dans le sens qu’ils font du datamining (des fouilles de données) sur vos sociétés de manière aussi systématique qu’en Chine. Ils sont d’accord sur le principe. Ils vont tirer les vers du nez à leur population via le datamining et ils vont encourager tous les autres États sur Terre à en faire de même. Donc je suis entièrement d’accord avec vous sur la définition du problème.

Nous ne pouvons plus désormais vivre quelque part, à cette étape de notre histoire, en continuant à penser en termes de pays, à un moment de la mondialisation, où la surveillance des populations est devenue une question globale, et nous avons à travailler dessus en partant du principe qu’aucun gouvernement ne décidera d’être plus vertueux que les superpuissances.

Je ne sais pas comment nous allons pouvoir gérer le Parti Communiste Chinois. Je ne sais vraiment pas. Je sais comment nous  allons gérer le gouvernement américain. Nous allons insister sur nos droits. Nous allons faire ce qui fait sens aux États Unis d’Amérique, nous allons combattre légalement, nous allons mettre la pression, nous allons les bousculer, nous serons partout y compris dans la rue pour en parler.

Et je suspecte que c’est ce qui va se passer ici aussi. À moins que nous changions les structures qui fondent nos sociétés, nous n’avons aucune chance de convaincre les petits gouvernements qu’ils doivent abandonner leurs contrôles.

En ce qui concerne la bande passante, nous allons bien sur devoir utiliser la bande passante non réglementée. C’est à dire nous allons devoir construire autour des normes 802.11 et wifi, entre autres, que les lois ne nous empêchent pas d’utiliser. De quelle manière cela va-t-il permettre d’atteindre les plus pauvres ? Quand est-ce que le système de téléphone mobile sera créé pour atteindre  les plus pauvres ? Je ne sais pas. Mais j’ai un petit projet avec des enfants des rues a Bangalore, je suis en train d’y réfléchir.

Il le faut. Nous devons travailler partout. Si nous ne le faisons pas, nous allons détruire tout ça, et on ne peut pas se le permettre.

Q : Professeur Moglen, Je voudrais également vous remercier. Je reviens de « Transforming Freedom » à Vienne, et je peux vous dire qu’il y a quelques années, je vous ai vu parler sur une vidéo internet au Fosdem.  Et je vous avais vu attirer l’attention sur le rôle de Philipp  Zimmermann, que nous avons aussi essayé d’aider. Et à vous écouter aujourd’hui, je vois que c’est trop lent, et trop peu.

Et je suis stupéfait par deux choses  la première est que le système éducatif, celui de l’Europe, a été fondé par Platon et a été fermé par la force environ mille ans plus tard. Le second départ d’une université européenne était aux alentours du XIe siècle. On verra si on réussira à le faire fonctionner aussi longtemps qu’un millier d’années.

Ma question est : pourquoi est-ce que ce n’est pas profondément ancré dans les structures du système éducatif d’aider la cause dont vous avez parlé aujourd’hui ?

Et pourquoi n’avons nous pas des philanthropes aidant des petits projets fonctionnant avec 3-4000 euros ici et là, bien plus efficacement comme par exemple ce que M. Soros essaie de faire ?

R : Il y a quelques années à Columbia, nous avons essayé d’intéresser l’université à l’état de conservation de la bibliothèque, et j’ai vu plus d’intellectuels reconnus, engagés politiquement, dans ma propre université qu’à aucun autre moment pendant mes 25 ans ici. Leur principale inquiétude était le vieillissement du papier sur lequel était imprimé des doctorats allemands du XIXe siècle, qui contiennent plus de recherches philologiques qu’aucun autre endroit sur Terre.

N’est-ce pas ? Mais c’était des livres du XIXe siècle qu’ils devaient préserver.

Le problème avec la vie universitaire, c’est qu’elle est conservatrice par nature, car elle préserve la sagesse des anciens. Et c’est une  bonne chose à faire. Mais la sagesse des anciens est ancienne, et elle ne prend pas nécessairement en compte parfaitement les problèmes du moment. J’ai mentionné l’UOC parce que je pense que c’est important de soutenir l’Université quand elle se déplace vers Internet et qu’elle s’éloigne des formes d’apprentissage qui caractérise les universités du passé.

Pendant le dernier millénaire, nous avons principalement déplacé les intellectuels vers les livres, et l’université s’est développée autour de ce principe. Elle s’est développée autour du principe que les livres sont difficiles à déplacer, alors que les gens sont faciles à déplacer. Donc on y a amené tout le monde. Maintenant nous vivons dans un monde dans lequel il est beaucoup plus simple de déplacer le savoir plutôt que les personnes. Mais la continuité de l’ignorance est le désir des entreprises qui vendent le savoir.

Ce dont nous avons vraiment besoin est de commencer nous-mêmes à aider le système universitaire à se transformer en quelque chose d’autre. Quelque chose qui permet à chacun d’apprendre, et qui permet d’apprendre sans surveillance.

La Commissaire à la Société de l’Information sera ici. Elle devrait parler de ça. Cela devrait être la grande question de la Commission Européenne. Ils le savent, ils ont sorti un rapport d’il y a 18 mois qui dit que, pour le prix d’une centaine de kilomètres de routes, il peuvent scanner 1/6ème de tous les livres des bibliothèques européennes. Cela veut dire que pour le prix de 600 kilomètres de routes, nous pourrions tous les avoir !

Nous avons construit beaucoup de routes dans beaucoup d’endroits, y compris en Grèce, dans les dix dernières années. Et nous aurions pu scanner tous  les livres en Europe pendant ce temps, et nous aurions pu les rendre disponibles pour toute l’Humanité, sans surveillance.

Si Mme Kroes veut construire un monument à son nom, ça ne sera pas en tant que politicienne au rabais. Elle le fera de cette manière. Et vous allez le lui demander. Moi je serai dans un avion sur le chemin du retour à travers l’Atlantique. Sinon je vous promets que je lui aurais demandé moi même. Demandez-lui pour moi. Dites lui, « ce n’est pas notre faute, Eben veut savoir. Si vous devez blesser quelqu’un, c’est lui ». Vous devriez changer l’Université européenne. Vous devriez la modifier en une lecture sans surveillance. Vous devriez mettre en faillite Google Books et Amazon. C’est une manière capitaliste Nord-américaine anglo-saxonne de jouer des coudes.

Pourquoi est-ce que nous ne rendons pas libre le savoir en Europe, et ne nous assurons-nous pas qu’il n’est pas surveillé ? Cela serait le plus grand pas possible, et c’est en leur pouvoir.

Photo d’Eben Moglen, crédit Re:Publica (CC BY 2.0)




Avons-nous perdu le Web que nous aimions ?

Conflit de génération sur le Web…

Les pères fondateurs avaient imaginé un réseau ouvert, génératif, bidouillable.

Ils sont aujourd’hui amers de constater que le Web est devenu un adolescent qui loin de chercher à émanciper ses utilisateurs, tente plutôt de les forcer dans des cases, de les infantiliser, de ne leur laisser aucun contrôle.

Le constat dressé la semaine dernière par Anil Dash a depuis été largement partagé par les vétérans du Web. Comme l’impression d’un paradis perdu.

Mais la roue tourne et les utopistes des débuts rêvent d’un retour aux sources, d’éduquer les milliards de nouveaux internautes, de leur faire partager leur rêve. Est-ce envisageable ? Surtout, même s’ils prenaient conscience des valeurs que portait le Web à ses débuts, la majorité des utilisateurs serait-elle prête à abandonner ses usages confortables actuels pour reprendre le flambeau des fondateurs et à explorer de nouvelles voies respectueuses de ces valeurs ?

Le retour au bricolage high-tech avec un fer à souder allié au code (Ardhuino, imprimantes 3D, FabLabs…), les initiatives comme celles du projet Webmakers qui vise à éduquer au Web toute une génération pour qu’elle s’en empare au lieu de le consommer, autant de signes d’une prise de conscience qui pourrait modifier la donne. Cet article qui lance un coup d’œil dans le rétroviseur n’est pas un moment de simple nostalgie mais une invitation au renouvellement des idéaux fondateurs.

Le Web que nous avons perdu

article original The Web We Lost par Anil Dash, proposé et présenté par Clochix

Traduction framalang Zii, KoS, Goofy, Garburst, lamessen

L’industrie technologique et sa presse ont traité l’explosion des réseaux sociaux et l’omniprésence des applications pour smartphone comme une victoire sans appel pour Monsieur Tout-le-monde, un triomphe de la convivialité et de l’autonomisation. On a moins parlé de ce que nous avons perdu tout au long de cette transition, et je trouve que les jeunes générations ne savent même pas comment était le Web autrefois.
Alors voici quelques aperçus d’un Web qui pour l’essentiel a disparu :

  • Il y a 5 ans, la plupart des photos qu’on voulait partager étaient chargées sur Flickr, où elles pouvaient être taguées par les humains ou même par les applications et services, en utilisant un système de balises. Les images étaient facilement accessibles sur le Web, en utilisant de simples flux RSS. Et les photos chargées pouvaient facilement l’être sous des licences permissives comme celles fournies par Creative Commons, autorisant la modifications et la réutilisation de n’importe quelle façon par des artistes, des entreprises ou des particuliers.
  • Il y a une dizaine d’années, Technorati vous laissait chercher sur la majeure partie du Web social en temps réel (cependant la recherche avait tendance à être horriblement longue pour l’affichage des résultats), avec des tags qui marchaient comment le font les hashtags sur Twitter aujourd’hui. Vous pouviez trouver des sites en relation avec votre contenu avec une simple recherche, et savoir qui s’exprimait dans un fil de discussion, indépendamment des outils ou plateformes utilisés pour exposer des idées. À l’époque, c’était tellement excitant que lorsque Technorati ne put faire face au volume croissant de la blogosphère, les utilisateurs furent très déçus. Au point que même quelqu’un d’aussi habituellement circonspect que Jason Kottke se mit à descendre le service en flammes pour l’avoir laissé tomber. Dès l’instant de ses premiers succès pourtant, Technorati avait suscité les louanges de gens comme John Gruber :

Vous pouviez, en théorie, écrire un logiciel pour examiner le code source des quelques centaines de milliers de blogs, et créer une base de données des liens entre ces blogs. Si votre logiciel était assez efficace, il devait pouvoir rafraîchir ses informations d’heure en heure, ajoutant de nouveaux liens à sa base de données en quasi-temps réel. En fait, c’est exactement ce qu’a créé Dave Sifry avec son incroyable Technorati. À ce jour, Technorati surveille 375 000 blogs et a référencé plus de 38 millions de liens. Si vous n’avez jamais joué avec Technorati, vous manquez quelque chose.

  • Il y a dix ans, vous pouviez laisser les gens poster des liens sur votre site ou montrer des listes de liens qui pointaient vers votre site. Car Google n’avait pas encore introduit AdWords et AdSense, les liens ne généraient pas de revenus, c’était juste un moyen d’expression ou un outil éditorial. Le Web était un endroit intéressant et différent avant la monétisation des liens, mais en 2007 il devint clair que Google avait changé le Web pour toujours, et pour le pire, en corrompant les liens.
  • En 2003, si vous aviez introduit un service d’authentification individuelle opéré par une société, même en documentant le protocole et encourageant les autres à cloner le service, vous auriez été décrit comme quelqu’un qui introduisait un système de surveillance relevant du « Patriot Act ». Il y avait une telle méfiance à l’égard services d’authentification que même Microsoft abandonna ses tentatives de créer un tel système d’inscription. Même si leur expérience utilisateur n’était pas aussi simple que la possibilité omniprésente de s’identifier avec Facebook ou Twitter, le service TypeKey introduit alors avait des conditions légales de partage des données bien plus restrictives. Et pratiquement tous les systèmes qui fournissaient une identité aux utilisateurs autorisaient l’usage de pseudonymes, respectant le besoin qu’ont les gens de ne pas toujours se servir de leur identité légale.
  • Au début de ce siècle, si vous aviez créé un service qui permettait aux utilisateurs de créer ou partager du contenu, ils s’attendaient à pouvoir facilement télécharger une copie fidèle de leurs données, ou importer leurs données vers d’autres services compétitifs, sans la moindre restriction. Les entreprises commerciales passaient des années à travailler sur l’interopérabilité autour des échanges de données simplement pour le bénéfice de leurs utilisateurs, quitte à lever théoriquement les barrières pour l’entrée de la concurrence.
  • Aux premiers temps du Web social, il était largement admis que de simples gens pourraient être propriétaires de leur identité en ayant leurs propres sites, plutôt que d’être dépendants de quelques gros sites pour héberger leur identité numérique. Dans cette vision, vous possédez votre nom de domaine et contrôlez complètement son contenu, plutôt que d’avoir les mains liées sur un site géré par une grande entreprise. C’était une réaction sensée lorsqu’on prenait conscience que la popularité des gros sites croît et chute, mais que les gens ont besoin d’une identité plus persistante que ces sites.
  • Il y a cinq ans, si vous vouliez publier sur votre site du contenu d’un autre site ou d’une application, vous pouviez le faire en utilisant un format simple et documenté, sans avoir besoin de négocier un partenariat ou un accord contractuel entre les sites. L’expérience des utilisateurs n’était donc pas soumise aux caprices des luttes politiques entre les sociétés, mais basée sur l’architecture extensible du Web lui-même.
  • Il y a une douzaine d’années, lorsque les gens voulaient soutenir les outils de publication qui symbolisaient cet état d’esprit, ils mutualisaient le coût des serveurs et des technologies nécessaires à ces outils, même si cela coûtait bien plus cher avant l’avènement de l’informatique dans le nuage et la baisse du prix de la bande passante. Leurs pairs de l’univers des technologies, même s’ils étaient concurrents, participaient même à cet effort.

Ce n’est pas notre Web aujourd’hui. Nous avons perdu les éléments-clés auxquels nous faisions confiance et pire encore, nous avons abandonné les valeurs initiales qui étaient le fondement du monde du Web. Au crédit des réseaux sociaux actuels, ils ont apporté des centaines de millions de nouveaux participants sur ces réseaux, et ils ont sans doute rendu riche une poignée de personnes. Mais ils n’ont pas montré le Web lui-même, le respect et l’attention qu’il mérite comme le support qui leur a permis de réussir. Et ils sont maintenant en train de réduire les possibilité du Web pour une génération entière d’utilisateurs qui ne comprennent pas à quel point leur expérience pourrait être beaucoup plus innovante et significative.

Retour vers le futur

Aujourd’hui, lorsque vous voyez des compilations intéressantes d’informations, elles utilisent encore souvent des photos de Flickr, parce qu’il n’y a pas grand-chose à faire avec les maigres métadonnées d’Instagram, et qu’Instagram n’utilise le Web qu’à contre-cœur. Lorsque nous ne pouvons pas retrouver d’anciens messages sur Twitter ou nos propres publications sur Facebook, nous trouvons des excuses aux sites alors que nous avions de meilleurs résultats avec une recherche sur Technorati, qui n’avait portant à sa disposition que de piètres logiciels de son époque. Nous assistons à de stupides combats de coqs avec Tumblr qui ne peut pas récupérer la liste de vos contacts sur Twitter, ou Facebook qui refuse que les photos d’Instagram s’affichent sur Twitter, tout cela parce que des entreprises géantes suivent chacune leur propre programme de développement au lieu de collaborer pour être utiles aux utilisateurs. Et nous nous coltinons une génération de patrons qui sont incités à créer des produits toujours plus bornés et hostiles au Web, tout cela pour permettre à un petit nombre de nantis de devenir toujours plus riches, au lieu de laisser les gens se créer de nouveaux possibles innovantes au dessus du Web lui-même.

Je ne m’inquiète pas, nous allons corriger tout cela. L’industrie technologique, comme toutes les industries, suit des cycles, et le pendule est en train de revenir vers les philosophies globales et émancipatrices sur lesquelles le Web social s’est bâti au début. Mais nous allons devoir affronter un gros défi, ré-éduquer un milliard d’utilisateurs pour leur apprendre ce qu’est le Web, comme nous l’avons fait pendant des années il y a dix ans quand tout le monde a quitté AOL, leur apprendre qu’il y a bien plus à expérimenter sur Internet que ce qu’ils connaissent.

Ce n’est pas ici la polémique habituelle à base de : « ces réseaux verrouillés sont mauvais ». Je sais que Facebook, Twitter, Pinterest, LinkedIn et tous les autres sont de super-sites, qui apportent beaucoup à leurs utilisateurs. D’un point de vue purement logiciel, ce sont de magnifiques réussites. Mais ils sont basés sur quelques hypothèses qui ne sont pas forcément exactes. La première idée fausse d’où découlent beaucoup de leurs erreurs est que donner aux utilisateurs de la flexibilité et du contrôle crée forcément une expérience utilisateur complexe qui empêche leur croissance. La seconde hypothèse erronée, plus grave encore, est de penser qu’exercer un contrôle total sur les utilisateurs est le meilleur moyen de maximiser les profits et la rentabilité de leur réseau.

La première étape pour les détromper, c’est que les gens qui sont en train de créer la prochaine génération d’applications sociales apprennent un peu d’histoire, pour savoir de quoi ils parlent, qu’il s’agisse du modèle économique de Twitter, des fonctions sociales de Google ou de n’importe quoi d’autre. Nous devons savoir ce qui a été essayé et a échoué, quelles bonnes idées étaient tout simplement en avance sur leur temps, et quelles occasions ont été gâchées par la génération actuelle de réseaux sociaux dominants.

Qu’est-ce que j’oublie ? Qu’avons-nous perdu d’autre sur le Web social ?




« Libres conseils », une, première !

Qui n’a pas son projet libre ?

Plus qu’une mode ou un engouement passager, c’est un véritable mouvement de fond depuis quelques années : toute une communauté qui crée, échange, élabore, donne et reçoit des contributions, enfourche de nouveaux projets…

Fort bien, mais…

SourceForge récemment et Github aujourd’hui sont de véritables cimetières de projets libres et open source qui n’ont jamais trouvé d’audience, d’équipe de développement, de communauté active. Rien de bien tragique là-dedans. On peut estimer que ces plateformes sont pour beaucoup de libristes une sorte de terrain de jeu, de laboratoire, d’incubateur où le code et sa documentation s’expérimentent par à-coups, avec l’enthousiasme et l’énergie de ceux qui s’emparent d’un outil pour le mettre au service de leur créativité. Un excellent moyen d’apprendre en faisant finalement, à code ouvert. Et qu’importe alors l’absence d’aboutissement dans 80% des cas puisque c’est la démarche qui a été formatrice.

Cependant vous pouvez avoir envie de dépasser le stade du hobbyiste sympathique qui va bricoler son génial projet dans son coin. Vous pouvez avoir le désir de mettre toutes le chances de votre côté pour que le projet libre aboutisse vraiment, gagne en notoriété, entre dans une logique commerciale, vous procure amour, gloire et beauté.

C’est précisément l’intérêt du feuilleton dont vous allez déguster les épisodes semaine après semaine.

42 auteurs vous feront partager leur expérience, avec sérieux et humour, vous raconteront leurs ratages et leurs succès, vous diront comment éviter les uns et atteindre les autres. Des principes, des recommandations mais aussi des trucs et des ficelles, bref une ribambelle chatoyante de libres conseils.

Chaque semaine ou presque, l’équipe framalang vous proposera un nouvel épisode traduit du livre électronique en anglais Open Advice.

Chaque semaine — top départ chaque jeudi soir à 21h — une ou deux tranches du gâteau seront proposées à la traduction collaborative sur un framapad, donc en libre accès pour tous ceux qui souhaitent y contribuer. Participez à l’aventure !

La version que nous publierons ensuite ici même, comme dans le premier échantillon ci-dessous qui est une sorte de préambule, est un premier état de la traduction (donc évidemment perfectible), l’étape suivante sera une révision générale de tous les articles pour les joindre en un Framabook à venir.

Eh oui ça se passe comme ça chez Frama !

Les traducteurs de ce premier round d’échauffement :

peupleLa, Astalaseven, Hideki, Vilnus Atyx, liu qihao, Cyrille L., Khyvodul, jcr83, Slystone, schap2, 4nti7rust, Goofy, Antoine, lamessen + 4 anonymes

Libres Conseils

Logiciels libres et open source : ce que nous aurions aimé savoir avant de commencer

Open Advice est une base de connaissances provenant d’une grande variété de projets de logiciels libres. Elle répond à des questions dont 42 contributeurs majeurs auraient aimé connaître les réponses lorsqu’ils ont débuté. Vous aurez ainsi une longueur d’avance quelle que soit la façon dont vous contribuez et quel que soit le projet que vous avez choisi.

Les projets de logiciels libres modifient le paysage du logiciel de façon impressionnante grâce à des utilisateurs dévoués et une gestion innovante. Chacun apporte quelque chose au mouvement à sa façon, avec ses capacités et ses connaissances. Cet engagement personnel et la puissance du travail collaboratif sur Internet donnent toute leur force aux logiciels libres et c’est ce qui a rassemblé les auteurs de ce livre.

Ce livre est la réponse à la question « Qu’auriez-vous aimé savoir avant de commencer à contribuer ? » Les auteurs offrent un aperçu de la grande variété de talents qu’il faut rassembler pour réussir un projet de logiciel : le codage bien sûr, mais aussi le design, la traduction, le marketing et bien d’autres compétences. Nous sommes là pour vous donner une longueur d’avance si vous êtes nouveau. Et si ça fait déjà un moment que vous contribuez, nous sommes là pour vous donner un aperçu d’autres domaines et projets.

pour les géants et ceux qui se tiendront sur leurs épaules [1] 

Avant-propos

Ce livre parle de communauté et de technologies. Il est le fruit d’un travail collectif, un peu comme la technologie que nous construisons ensemble. Si c’est votre première rencontre avec notre communauté, vous pourrez trouver étrange de penser qu’une communauté puisse être le moteur qui propulse la technologie. La technologie n’est-elle pas l’œuvre des grands groupes industriels ? En fait, pour nous c’est presque l’inverse. Les auteurs de ce livre sont tous membres de ce que vous pourriez appeler la communauté du logiciel libre. Un groupe de personnes qui partagent l’idée fondatrice que les logiciels sont plus puissants, plus utiles, plus flexibles, mieux contrôlables, plus justes, plus englobants, plus durables, plus efficaces, plus sûrs et finalement simplement meilleurs quand ils sont fournis avec les quatre libertés fondamentales : la liberté d’utiliser, la liberté d’étudier, la liberté de partager et la liberté d’améliorer le logiciel.

Et bien qu’il y ait maintenant un nombre croissant de communautés qui ont appris à se passer de la proximité géographique grâce aux moyens de communication virtuels, c’est cette communauté qui en a été le précurseur.

En fait, Internet et la communauté du logiciel libre[2] suivaient des développements mutuellement dépendants. Au fur et à mesure qu’Internet grandissait, notre communauté pouvait grandir en même temps. Mais sans les valeurs ni la technologie qu’apportait notre communauté, il ne fait aucun doute à mes yeux que jamais Internet n’aurait pu devenir ce réseau global reliant les personnes et les groupes du monde entier.

À ce jour, nos logiciels font fonctionner la majeure partie d’Internet, et vous devez en connaitre au moins quelques-uns, comme Mozilla Firefox, OpenOffice.org, Linux, et peut-être même Gnome ou KDE. Mais notre technologie peut aussi se cacher dans votre téléviseur, votre routeur sans fil, votre distributeur automatique de billets, et même votre radio, système de sécurité ou bataille navale. Elle est littéralement omniprésente.

Ils ont été essentiels dans l’émergence de quelques-unes des plus grandes sociétés que vous connaissez, comme Google, Facebook, Twitter et bien d’autres. Aucune d’entre elles n’aurait pu accomplir autant en si peu de temps sans le pouvoir du logiciel libre qui leur a permis de monter sur les épaules de ceux qui étaient là avant eux. Mais il existe également de nombreuses petites entreprises qui vivent de, avec, et pour le logiciel libre, dont la mienne, Kolab Systems. Le fait d’agir activement avec la communauté et dans un bon esprit est devenu un élément de succès essentiel pour nous tous. Et c’est aussi vrai pour les plus grosses, comme Oracle nous l’a involontairement démontré durant et après sa prise de contrôle de Sun Microsystems. Il est important de comprendre que notre communauté n’est pas opposée au commerce. Nous aimons notre travail, et beaucoup d’entre nous en ont fait leur métier pour gagner leur vie et rembourser leurs crédits. Donc quand nous parlons de communauté, nous voulons dire des étudiants, des entrepreneurs, des développeurs, des artistes, des documentalistes, des professeurs, des bricoleurs, des hommes d’affaires, des commerciaux, des bénévoles et des utilisateurs. Oui, des utilisateurs. Même si vous ne vous en êtes pas encore rendu compte ou n’avez jamais appartenu à une communauté, vous faites en réalité déjà partie de la nôtre. La question est de savoir si vous allez y participer activement. Et c’est cela qui nous différencie des poids lourds de la monoculture, des communautés fermées, des jardins clôturés de sociétés telles qu’Apple, Microsoft et d’autres. Nos portes sont ouvertes. Tout comme nos conseils. Et également notre potentiel. Il n’y a pas de limite à ce que vous pouvez devenir — cela dépend uniquement de votre choix personnel comme cela a été le cas pour chacun d’entre nous.

Donc si vous ne faites pas encore partie de notre communauté, ou si vous êtes simplement curieux, ce livre offre un bon point de départ. Et si vous êtes déjà un participant actif, ce livre pourrait vous offrir un aperçu de quelques facettes et de quelques perspectives qui seront nouvelles pour vous.

En effet, ce livre contient d’importantes graines de ce savoir implicite que nous avons l’habitude de construire et de transférer à l’intérieur de nos sous-communautés qui travaillent sur diverses technologies. Ce savoir circule généralement des contributeurs les plus expérimentés vers les moins expérimentés. C’est pourquoi il semble tellement évident et naturel à ceux qui fréquentent notre communauté. Ce savoir et cette culture de la collaboration nous permettent de créer d’extraordinaires technologies avec de petites équipes du monde entier au-delà des différences culturelles, linguistiques et de nationalité. Cette manière de fonctionner permet de surpasser des équipes de développement bien plus grandes de certaines des plus grosses sociétés au monde. Tous les contributeurs de ce livre ont une expérience solide dans au moins un domaine, parfois plusieurs. Ils sont devenus des enseignants et des mentors. Au cours des quinze dernières années, j’ai eu le plaisir d’apprendre à connaître la plupart d’entre eux, de travailler avec beaucoup, et j’ai le privilège de compter certains parmi mes amis.

Comme l’a dit judicieusement Kévin Ottens pendant le Desktop Summit 2011 à Berlin, « construire une communauté, c’est construire de la famille et de l’amitié ».

C’est donc en réalité avec un profond sentiment de gratitude que je peux dire qu’il n’y a aucune autre communauté dont je préférerais faire partie, et je suis impatient de vous rencontrer à l’une ou l’autre des conférences à venir.

— Georg Greve

Zürich, Suisse, le 20 août 2011

Georg Greve a fondé la Free Software Foundation Europe (FSFE) en 2000 et en a été le président fondateur jusqu’en 2009. Durant cette période, il a été responsable du lancement et du développement de nombreuses activités de la FSFE, telles que les alliances, la politique ou les travaux juridiques. Il a intensivement travaillé avec de nombreuses communautés. Aujourd’hui, il poursuit ce travail en tant qu’actionnaire et PDG de Kolab Systems AG, une société qui se consacre entièrement aux logiciels libres. Pour ses actions en faveur du logiciel libre et des standards ouverts, Georg Greve a été décoré de la croix fédérale du mérite (Bundesverdienstkreuz am Bande) par la République Fédérale d’Allemagne le 18 décembre 2009. Thank You! Merci !

Ce livre n’aurait pu voir le jour sans la participation de chaque auteur et des personnes suivantes, qui ont aidé à sa réalisation :

Anne Gentle (relecture)

Bernhard Reiter (relecture)

Celeste Lyn Paul (relecture)

Daniel Molkentin (mise en page)

Debajyoti Datta (site internet)

Irina Rempt (relecture)

Jeff Mitchell (relecture)

Mans Rullgard (relecture)

Noirin Plunkett (relecture)

Oregon State University Open Source Lab (hébergement du site internet)

Stuart Jarvis (relecture)

Supet Pal Singh (site internet)

Saransh Sinha (site internet)

Vivek Prakash (site internet)

Will Kahn-Greene (relecture)

* * * * * *

[1] Note des traducteurs : dédicace par allusion à « Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants. » Bernard de Chartres, XIIe siècle

[2] Note de l’auteur : pour moi, l’Open Source n’est que l’un des aspects de cette communauté. Cet aspect particulier a trouvé son articulation en 1998, c’est-à-dire quelque temps après l’arrivée d’Internet. Mais n’hésitez pas à dire « Open Source » au lieu de « logiciel libre » si vous préférez ce terme.

Crédits photo hellojenuine (CC-BY-SA)




Pouhiou balance les hashtags #danstaface

Avec la publication de Smartarded la collection Framabook s’enrichit d’un feuilleton capricant et croquignolet, dont l’écriture rigoureusement fantaisiste surprendra agréablement plus d’un libriste. Une lecture jouissive, on vous dit. Que les thuriféraires de Paulo Coelho passent leur chemin, ici pas de spiritualité pour enfant de chœur prépubère, mais de la pure idée biscornue distillée dans l’alambic d’un Ariégeois dopé aux blogs, aux zachetagues et à la création Libre. Il s’agit de Pouhiou, avec lequel vous allez faire connaissance avant de pouvoir le rencontrer en chair et en os samedi prochain…quand il est sérieux (quatre minutes par semaine en moyenne) il peut évoquer de façon bien intéressante sa trajectoire de libriste…


Comment as-tu connu Framasoft ?

Quand j’ai commencé à passer d’Internet Explorer à Firefox, j’ai découvert le logiciel libre. Assez vite, je suis tombé sur cet annuaire formidable de logiciels et de modes d’emploi. J’ai pas l’impression d’être “un vrai” libriste : je suis encore sous OS privateur, enfermé chez google, exposé sur facebook… Mais j’ai toujours cru au fait que des passionnés partageant leur ouvrage feront mieux que quelques pros commercialisant leur boulot. C’est pour ça que j’ai été fan-subber ! Quoi qu’il en soit, à chaque nouvel ordi, je faisais un petit framapack. Régulièrement j’y ai découvert des solutions libres.

De là à faire un Framabook… comment ça s’est passé au juste ?

En Juin 2012, juste après avoir achevé le dernier épisode du livre I sur mon blog, je vais à une conférence sur le libre à Toulouse. Une conférence donnée par Alexis Kauffmann. Et là je retourne sur Framasoft. Je vois le Framablog, les Framabooks. Je me décide à les contacter… Mais pas pour être édité. Non… en vérité, je voulais juste qu’ils me fassent de la pub ! J’ai fait un pauvre email genre “bonjour, j’ai écrit/blogué ce roman chaque jour les 4 derniers mois, je me suis rendu compte que ce que j’écris est libre, donc je l’ai mis sous CC0. Si ça vous amuse ou si vous voulez en parler, je suis là. Bisous.”

Là-dessus, Christophe Masutti me répond que la collection FramaBook cherche à éditer un roman. Moi j’étais déjà parti dans un trip d’auto-édition en crowd-funding juste pour les potes et les quelques lecteurs du blog qui n’en voulaient… Du coup ça perturbait tout ! Mais on a proposé le roman au comité de lecture et on s’est lancés dans l’aventure.

Tu as manifestement pris plaisir au défi quotidien de l’écriture en ligne pour le premier tome des NoéNautes, est-ce que ce plaisir ne s’est pas émoussé en affrontant le temps plus long des révisions avant publication en Framabook. Ce n’est pas un peu frustrant pour un créateur libre ?

Ce plaisir là ne s’est pas émoussé : il a laissé la place à un plaisir tout autre ! L’écriture est un moment assez solitaire. Là, en plus, il y avait la tenue du blog, la recherche et le travail de fichiers d’illustrations, trouver des idées pour que les lecteur-trice-s partagent, faires des fichiers epub à chaque chapitre, faire le community manager, etc… Et même si pleins de gens m’ont aidé, même si tout le long on a soutenu et diffusé le projet… J’ai un peu fait tout seul, avec mes mimines. Et je m’apprêtais à faire de même pour un petit tirage papier…

C’est là qu’arrive Framabook et son équipe. Ils s’emparent de ce roman. Le questionnent. Le corrigent. Le tiraillent. Lui proposent d’autres directions, parfois pour au final faire marche arrière, parfois pour aller plus loin… Et tout cela prend du temps. Des discussions, des réflexions, des moments où on oublie tout pendant quelques jours histoire de se repencher dessus avec la tête froide…

Ça m’a fait un bien fou. Le fait de prendre le temps et le recul, de ne pas être dans l’urgence. Le fait de nourrir ce roman des regards auxquels il se confronte. C’est pour moi un rôle-clé de l’éditeur. Renvoyer la balle à l’auteur. Le pousser dans ses retranchements ou le faire monter au filet. L’avantage, c’est qu’avec Framabook, on travaille en équipe. On bosse avec des gens qui ne tiennent pas à faire reluire leur égo, mais juste à améliorer sincèrement l’ouvrage commun.

Mais bon en abandonnant tes droits tu ne gagnes rien, tu ne te considères pas comme un auteur à part entière ?

C’est drôle comme en France, on relie le statut artistique au copyright. Tu n’es auteur QUE si tu touches des droits. Moi je croyais qu’il fallait écrire, mais non. Si tu “abandonnes” tes droits, il doit y avoir un piège. Déjà c’est plus commercialisable. C’est que ton œuvre ne vaut pas grand chose. Et par extension, toi non plus…
C’est formidable comme tout cela est faux !
Tu sais que mon contrat de 15 % avec Framabook fait que je touche mieux que n’importe quel jeune auteur (contrats entre 5 et 8 %) voire qu’un Marc Lévy ou une Amélie Nothomb (entre 10 et 12 %) ?  Alors bien entendu, on n’a pas les mêmes volumes de vente. Mais ça, il ne tient qu’à la communauté de faire connaître et soutenir notre initiative. Et pour que ça arrive, c’est à nous, vrai éditeur ou pas vrai éditeur ; vrai auteur ou pas vrai auteur… C’est à nous de faire les meilleurs bouquins possibles. Un livre que tu aies envie de partager, tout simplement.

Vous retrouverez Pouhiou et son univers sous amphétamines ce samedi pour une séance de dédicace à Paris… Cliquez sur l’image ci-dessous pour l’agrandir.

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Crédit Photo Pouhiou Noelle-Ballestrero (CC-BY)




Rencontre avec trois papas du Coding Goûter

Des kids, du code et du cake…

Le 29 septembre dernier je me suis rendu avec Adrienne Alix (Wikimédia France), Frédéric Couchet (April, de dos sur la première photo) et nos enfants respectifs à un « Coding Goûter » parisien.

Jugeant l’expérience tout à fait intéressante, et ma fille aussi (au tableau sur la seconde photo, présentant son travail sur Scratch), j’ai proposé aux organisateurs Julien Dorra, Jonathan Perret et Raphaël Pierquin un entretien pour en savoir plus et donner éventuellement envie d’essaimer.

Coding Goûter - CC by

Bonjour, pouvez-vous vous présenter succinctement ?

Julien : J’anime des communautés techno-créatives 🙂 C’est à dire que je crée les bonnes conditions pour que des personnes d’horizons différents créent avec les technologies d’aujourd’hui. Dans des universités, pour des institutions, et bien sûr avec Dorkbot Paris, Museomix, ArtGame weekend… et Coding Goûter !

Jonathan et Raphaël : Nous sommes tous les deux papas et développeurs. Nous travaillons chez /ut7, une coopérative d’agilistes. Notre métier, c’est d’aider d’autres développeurs à travailler en équipe. Nous animons aussi des ateliers de co-apprentissage avec des enfants de plus de 25 ans : nos formations, mais aussi Dojo de Développement, Agile Open, Dojo Lean Startup, soirées Cambouis…

Alors un « Coding Goûter » c’est quoi ?

Raphaël : Un Coding Goûter, c’est un rendez-vous festif avec des gâteaux, où petits et grands apprennent à programmer, ensemble.

Julien : C’est aussi un moment pour partager le plaisir de créer des choses avec du code, et d’expérimenter. Et pour les adultes qui, comme moi, ont programmé quand ils étaient enfants mais ont ensuite arrêté d’écrire des programmes – c’est une manière de réveiller une pratique qui était passé au second plan. Il y a des peintres du dimanche, je me revendique comme codeur du dimanche !

Comment l’idée est-elle donc née ?

Julien : J’ai rencontré Jonathan lorsqu’il a participé au premier – et au second ! – ArtGame weekend. Après ça, on a beaucoup discuté de ce que pouvait signifier l’éducation au code, de l’impact des nouveaux outils, à quoi pouvait ressembler un jeu de programmation.

Jonathan : Je cherchais à partager avec mes filles mon métier de développeur, mon plaisir d’écrire des programmes. J’étais frustré de ne pas trouver les moments « à la maison ». D’où l’idée d’un goûter avec des enfants, où l’on programmerait.

Julien : J’ai lancé de mon côté une petite enquête pour mieux comprendre ce que les parents (non tech inclus) pensaient du sujet. Les dizaines de réactions extrêmement diverses nous ont assez étonnés. Cela allait de l’évidence, au dégoût de l’idée même d’apprendre aux enfants à programmer !

Jonathan : Finalement, un matin de décembre 2011, j’ai réalisé que nous avions déjà toutes les cartes en main. Il suffisait de choisir une date, lancer des invitations et ouvrir les bureaux de /ut7 un samedi après-midi.

Raphaël : Quand Jonathan a évoqué son idée, j’étais enthousiaste. Ma motivation première, était de montrer à mes enfants ce qu’était mon métier. Après plusieurs séances, ce qui persiste, c’est le même plaisir que celui de jouer aux LEGO avec mon fils : s’amuser en construisant des choses ensemble.

Vous en êtes désormais à huit Coding Goûters, quel retour d’expérience en faites-vous ? Qu’est-ce qui a bien fonctionné ? Qu’est-ce qui peut être amélioré ?

Julien : On sait qu’il ne faut pas trop d’enfants, 12 c’est bien. On sait aussi que à la maison, ça marche moins bien, on est pas assez hors-contexte. Il y a plein de sollicitations, y compris pour les grands !

Raphaël : Une leçon essentielle que j’ai apprise : quand il s’agit d’apprendre, les adultes sont des enfants comme les autres. Une autre encore : c’est important de ponctuer les goûters avec des pauses où l’on prend le temps de célébrer les réalisations des participants. Une piste d’amélioration : publier un petit manuel pour aider de potentiels organisateurs de Coding Goûters à se lancer.

Est-ce facile de gérer en même temps différentes classes d’âge (quant on sait par exemple les écarts qu’il peut y avoir entre un enfant de 6 ans et de 12 ans) ?

Julien : Cela ne se pose pas dans ces termes. On vient avec nos enfants. Chacun fait.

Raphaël : Nous utilisons le même principe que dans les formations pour adultes de /ut7 : une grande variété d’activités, et la liberté pour chacun de choisir ce dont il a besoin pour apprendre. Ça marche très bien, encore mieux qu’avec des groupes sans enfant.


Julien : Séparer les classes d’âge peut sembler plus facile, mais c’est une homogénéité fictive. Les enfants d’un même âge n’ont ni le même niveau, ni les mêmes envies. Par exemple un enfant de 10 ans avait envie de créer des applications iPad, ce qui l’a motivé pendant tout un goûter pour explorer Xcode et Objective-C. Un grand de 14 ans pendant ce temps-là faisait du RoboZZle.

Plutôt que des séances « one shot » envisagez-vous d’organiser à terme des « Coding Goûter » plus réguliers tout au long de l’année avec le même groupe d’enfants-parents ? Et de ce fait pouvoir alors proposer quelque chose de plus structuré et progressif ?

Julien : Ce ne sont déjà plus des séances uniques, puisque nous avons organisé près d’un Coding Goûter par mois tout au long de 2012. Selon leurs disponibilités, les enfants et les adultes reviennent d’un goûter à l’autre. Mais derrière cette régularité, il n’y a pas de volonté de structurer l’apprentissage, ni d’introduire de la progressivité. C’est un moment d’exploration, de découverte. Le but n’est pas d’enseigner. Le but n’est pas l’acquisition de compétence en soi. De la même manière que l’on ne fait pas faire du dessin aux enfants pour qu’ils acquièrent une compétence technique précise.

Raphaël : Pour moi, le Coding Goûter est avant tout un loisir créatif, famillial et social. De fait, les familles qui participent, ponctuellement ou régulièrement forment une communauté qui crée une continuité entre chaque séance. Néanmoins, nous ne suivons pas de plan d’une séance sur l’autre, et ce n’est pas prévu.
Je me lancerai peut-être un jour dans la construction d’un programme structuré, mais ça sera en plus du Coding Goûter.

Ne pensez-vous pas que les « Coding Goûter » viennent combler une lacune, un vide de l’Education nationale ? Un déficit aussi bien dans le fond (inviter à coder, à créer) que dans la forme (le dispositif pédagogique assez novateur que vous proposez). A moins que vous jugiez que tout va bien et que chacun est à sa place ?

Raphaël : La pauvreté du programme informatique de l’école m’attriste, et le potentiel de progression est énorme. Attention néanmoins : la recette des Coding Goûters n’est pas nécessairement adaptée au contexte de l’école.

Jonathan : Je regrette également de voir que l’école ne donne plus aux enfants l’occasion de découvrir la magie de la programmation, comme nous en avons eu la chance à l’époque du plan « Informatique pour tous », mais elle ne peut peut-être pas tout faire non plus…

Julien : Au cours des prochaines années, on va à nouveau beaucoup entendre parler de l’enseignement de la programmation. La discussion est actuellement très active au Royaume-Uni, cela va revenir en France.
Et tu peux être sûr que cela sera principalement axé sur le « besoin de développeurs pour l’économie numérique ». On n’est pas du tout sur cet axe. On a envie que nos enfants programment, et oui, c’est vrai qu’ils ne le font pas à l’école et c’est dommage – car ils vont passer beaucoup de temps à l’école. Mais on ne cherche pas à fournir des développeurs aux SSII françaises dans 15 ans ! Probablement même le contraire 🙂
Est-ce qu’on comble un manque ? Avant tout, on comble un manque… pour nous et nos enfants ! Puis les enfants de nos amis, de nos collègues 😉
D’une certaine manière, on a été obligés de reconnaître qu’on répondait à un besoin fort, car nous avons des emails réguliers de parents qui veulent en organiser dans leur ville, ou être avertis du prochain goûter. À peine visibles, nous étions déjà sollicités.
Est-ce qu’on peut-être une part de la réponse aux difficultés de l’école de s’ouvrir aux changements sociaux en cours ? Pour l’instant non : on est en parallèle du système scolaire, et nous n’avons aucun lien avec les instances scolaires.

Si je vous dis que les « Coding Goûter » c’est quand même encore un « truc de bobos », vous pensez que c’est juste un gros troll ou bien une remarque valide ?

Raphaël : Quand j’avais 8 ans, dans ma campagne, il y avait un « club informatique » (MO5 rul3z !). C’était comme un Coding Goûter, mais sans les gâteaux. Ça me passionnait, je n’étais pas le seul, et personne ne s’en étonnait. On ne connaissait pas encore le mot « bobo », ni le mot « troll », d’ailleurs. Cela dit, oui, je suis bobo, et troll-proof, aussi.

Jonathan : La contrainte que nous avons mise pour l’accès au Coding Goûter, à savoir le fait de faire participer parents et enfants ensemble, crée probablement une barrière pour certaines familles où tout simplement les activités partagées ne sont pas la norme. Je ne peux qu’espérer que d’autres formats existeront pour donner à chaque enfant une chance de découvrir la programmation.

Julien : Coding Goûter est issu de parents qui apprécient la culture du code, et qui ont envie de la partager avec leur enfants. Il y a eu des réactions vaguement négatives. La ligne de partage ne semble pas être le niveau d’études, le niveau d’intellectualisme ou le revenu, mais plus la vision de la technologie comme quelque chose de positif, créatif, avec un empowerment possible ou comme un aspect négatif et enfermant de la vie contemporaine.
À ma connaissance, il y a des enfants de tout milieu qui ont envie de coder.
À l’opposé, il y a des parents de milieux aisés qui n’ont aucune motivation pour encourager leurs enfants à programmer, et même au contraire, y sont hostiles.
Maintenant, si la vraie question est « quelle diversité pour les Coding Goûter ? » on peut noter que nous avons déjà une parité fille-garçon des enfants qui est unique pour des sessions de programmation mixte (en fait, on a même toujours eu plus de filles que de garçons…).
C’est un bon signe. Il y a un effet de réseau sur les parents, c’est certain, tout simplement car on est un tout petit groupe qui grandit de proche en proche. Mais du coup, il y a peu de pression de sélection sur les enfants.

Plus concrètement, quels sont, dans le détail, les logiciels que vous proposez ? Quels sont leurs spécificités ? Pourquoi les avoir choisis ?

Julien : On a testé beaucoup de choses, et on continue de tester des nouveaux outils. Il y a des choses incroyables qui se passent du côté des outils web, dans le navigateur. J’ai adoré faire du LiveCodeLab avec des ados, en particulier.
Mais les grands classiques comme Scratch sont toujours aussi intéressants.
Le choix se fait sur la facilité de prise en main, le niveau des enfants (et des adultes !), le but (si un enfant veut faire un jeu sur tablette, on va l’orienter vers GameSalad, par exemple), et les découvertes du moment.

Raphaël : Pour les logiciels : à chaque séance, on en essaye de nouveaux, et on garde ceux qui nous plaisent.
Je choisis les logiciels en fonction du ou des participants qui programment avec moi, par exemple avec un enfant qui ne sait pas encore lire, ou avec un ingénieur, j’aime bien commencer avec RoboZZle, tandis qu’avec des enfants de 5 à 7 ans, on se raconte une histoire, et on construit un jeu petit à petit sur Scratch. Même si ils ne conçoivent qu’une petite partie de l’algo, le plaisir d’avoir créé est bien là ! En général, on arrête de programmer quand ça devient plus amusant de jouer que de créer le jeu.
Scratch est aussi idéal pour la tranche d’âge intermédiaire : souvent, des groupes de deux ou trois enfants de 8 à 50 ans se forment. Ils suffit de les mettre sur la voie, et ils parviennent à créer des programmes, en s’appuyant sur les participants les plus expérimentés (pas nécessairement les plus âgés). Et avec des garçons pré-ados, on a tenté de construire un circuit logique dans un univers virtuel (Minecraft). Pas facile de faire collaborer tous ces avatars !

Comprenez-vous ceux qui (comme nous) souhaitent que les logiciels proposés soient « le plus libre possible » ?

Raphaël : Oui. Et d’ailleurs, goûter au plaisir d’utiliser du code que l’on a écrit soi-même, c’est faire un premier pas dans les traces qui mènent au logiciel libre, non ?

Jonathan : Je trouve cela assez sain. Au quotidien, je n’utilise pas que des logiciels libres, mais quand j’en ai l’occasion j’essaie d’expliquer à mes enfants ce qu’est un logiciel libre afin qu’elles puissent plus tard faire des choix informés.

Julien : Le logiciel libre fonctionne évidemment en harmonie avec les pratiques d’appropriations collectives.
Il y a des raisons idéologiques à ça, mais il y a aussi des raisons pratiques. Un exemple très concret : les enfants français ont besoin que les interfaces, la documentation, les exemples, soient traduits en français. Un outil libre est traduisible dès que la communauté le veut.
Par exemple, j’ai pris l’initiative de traduire LiveCodeLab, les tutoriaux en particulier, car je trouvais que c’était un outil fascinant, et je voulais voir comment les enfants et les ados allaient l’utiliser. Un code ouvert et un développeur amical, et cela a pris quelques heures !
Cela dit, j’aime les contradictions. Tester tous les outils, c’est se confronter, et confronter les enfants les plus grands, aux choix de leurs outils, aux système parfaits mais propriétaires et verticaux, aux possibilités des outils ouverts d’être modifiés, aux rythme d’évolutions des outils qui ne sont pas les mêmes.
De fait, des outils payants et fermés auront bien sûr bien moins de succès dans le contexte des Coding Goûters que des outils libres. La partie grise ce sont les outils propriétaires gratuits ou freemium très bien réalisés, comme GameSalad, qui ont une position unique et intéressante. On aime GameSalad comme on aime Photoshop, ou Google Docs. Un bel outil logiciel reste un bel outil logiciel.

Est-ce que vous avez déposé le nom et le concept de « Coding Goûter » ? Comme j’imagine que non, cela signifie que tout le monde peut en organiser ! Vous connaissant un peu, j’imagine même que c’est quelque chose que vous encouragez. Quels conseils donneriez-vous donc, comment vous contacter et trouver trace des « Coding Goûter » précédents ?

Jonathan : Pas de marque déposée effectivement. L’idéal serait au contraire que le mot devienne aussi banal que « week-end » ou « pique-nique » !

Julien : On encourage tout le monde à organiser des Coding Goûters, bien sûr !
On imagine que dans quelques temps, il y aura des Coding Goûter un peu partout en France, et ailleurs, et que nos enfants pourront y participer où qu’ils soient, se faire de nouvelles copines et de nouveaux copains.
Ce qui ne doit pas arriver, c’est de laisser le concept être avalé par les habitudes antérieures, et devenir trop scolaire ou trop orienté-animateur et donc moins exploratoire et moins dirigé par les désirs créatifs des enfants.
Si vous participez avec vos enfants à un Coding Goûter, vous savez que ça ne sera pas un cours ou un tutoriel, que vous pourrez rester avec vos enfants, qu’il y aura des démo-spectacles par les enfants – et des gâteaux ! Ce sont tous ces petits détails qui comptent pour nous.
Le format est encore en évolution, on teste des choses – mais on tient énormément à l’esprit.

Un dernier mot, un prochain rendez-vous ?

Julien : Il y a des Coding Goûter presque tous les mois. Pour être averti du prochain, il suffit d’envoyer un message à contact AT codinggouter.org, ou de fréquenter notre groupe Facebook.

Raphaël : A ceux qui voudraient organiser leur Coding Goûter : lancez-vous ! Si vous ne savez pas comment vous y prendre, venez nous voir, ou mieux : demandez de l’aide à vos enfants.

Coding Goûter - CC by




L’industrie du copyright a tout compris à Internet (et des veaux qui le peuplent)

Pendant que nous sommes tout occupés à paramétrer notre smartphones ou à répondre par un « poke » à un « poke » de nos amis Facebook, l’industrie du copyright fait pression et participe à mettre en place des lois qui dessinent les contours d’un monde assez terrifiant pour nos libertés.

Et ce n’est pas, comme on l’affirme souvent, qu’elle ne capte rien à Internet. C’est au contraire parce qu’elle a trop bien compris les dangers qui la menacent.

Un billet cinglant de Rick Falkvinge, que nous aimons beaucoup traduire par ici, et qui vient d’ouvrir une section française de son blog grâce au dynamisme de Paul Neitse et de Jean-Marc Manach. D’ailleurs, zut alors, je m’aperçois au moment de la mise en ligne que ce dernier a déjà traduit l’article en question ! Bon, tant pis, ça fera deux versions, c’est aussi cela les licences libres 😉

Thomas Leuthard - CC by

Comment l’industrie du copyright conduit à une dystopie du type Big Brother

How The Copyright Industry Drives A Big Brother Dystopia

Rick Falkvinge – 12 novembre 2012 – Blog personnel
(Traduction : Mnyo, ehsavoie, lgodard, @paul_playe, ordiclic, PostBlue)

Bien trop souvent, j’entends que l’industrie du copyright ne comprend pas Internet, ne comprend pas la génération du net, ne comprend pas à quel point la technologie a changé. Non seulement c’est faux, mais c’est dangereusement faux. Pour vaincre un adversaire, vous devez d’abord comprendre comment il pense plutôt que de le présenter comme le mal. L’industrie du copyright comprend exactement ce qu’est Internet, et qu’il doit être détruit pour que cette industrie garde un soupçon de pertinence.

Regardez les lois qui sont proposées en ce moment : écoutes téléphoniques généralisées. fichage des citoyens, exile par excommunication… Toutes ces lois poursuivent un dessein commun : elles ont pour but de recentraliser les autorisations pour publier idées, connaissances et culture, et punir avec une sévérité totalement disproportionnée quiconque se mettrait en travers du chemin des gardiens.

Être en position de gardien, ou avoir eu ce poste de gardien, apprend à quiconque ce qu’est le pouvoir, dans le pire sens du terme. Si vous pouvez décider quels seront la culture, le savoir et les idées dont pourront profiter les gens – si vous avez la position pour dire si oui ou non une idée sera publiée – alors cela va bien au-delà du pouvoir de la simple publication. Cela vous met en position de choisir. Cela vous met dans une position où vous décidez quel sera le cadre de référence pour tout le monde. Cela vous donne littéralement le pouvoir de décider ce que les gens diront, ressentiront et penseront.

La possibilité de partager idées, culture, et connaissance sans permission ou traçage est inscrite dans les fondements du net, comme c’était le cas pour le service postal lors de sa création. Quand nous envoyons une lettre par courrier, nous et nous seuls choisissons si nous nous identifions comme expéditeur sur l’enveloppe, dans le courrier pour le seul destinataire, ou pas du tout. De plus, personne n’ouvrira nos enveloppes scelées durant le voyage juste pour vérifier ce que nous envoyons.

L’internet reproduit cela. Il est parfaitement raisonnable que nos enfants y aient les même droits que ce qu’ont pu avoir leurs parents. Mais si nos enfants ont ces même droits, dans un milieu où ils communiquent, cela rend une partie de certaines industries obsolètes. C’est donc ce que l’industrie des ayant-droit essaie de détruire.

Ils font pression pour des lois qui introduisent l’identification et le traçage de nos logs de connexion. L’industrie du copyright a été l’un des plus forts soutien de la directive de rétention des données en Europe, qui impose l’enregistrement de nos communications, pas les contenus mais le journal et l’historique de nos sessions (qui avons-nous contacté ? quand ? pour quelle durée ? et ce pendant un temps significatif. Ce sont des données qu’il était absolument interdit de conserver auparavant pour des questions de vie privée. L’industrie du copyright s’est arrangée pour tourner cette interdiction en obligation.

Ils font pression pour introduire des lois impliquant la responsabilité (pénale) à tous les niveaux. Une famille de quatre personnes peut être traduite en justice par un cartel d’industries, dans un salle d’audience où la présomption d’innocence n’existe pas (en procédure au civil). Et ils militent pour que les transporteurs de courriers scellés soient responsables des messages qu’ils transportent. Cela va à l’encontre de siècles de pratique des services postaux en acceptant leurs desiderata extrajudiciaires, en dehors des salles d’audience où les gens ont encore des droits minimums à se défendre.

Ils font pression pour des lois qui introduisent les écoutes téléphoniques pour des populations entières et agissent en justice pour le droit de le faire avant que cela ne devienne la loi. Ils l’ont fait de toute façon sans le dire à personne.

Ils font pression pour des lois permettant d’envoyer des gens en exil (en leur supprimant l’accès au net), les empêchant d’exercer leur fonction dans la société, s’ils écrivent ce qu’il ne faut pas dans des lettres scellées.

Ils font pression pour des lois de censure active comme nous n’en avions plus connues depuis un siècle, utilisant la pédopornographie comme cheval de Troie (qui n’a aucun effet, bien au contraire, sur cette dernière).

Ils font pression pour des lois introduisant une traçabilité, même pour des délits mineurs, incluant spécifiquement le partage de la culture (qui ne devrait pas évidemment pas être un délit). Dans certains cas, lorsqu’il s’agit de violer la vie privée, ces lois donnent à l’industrie du copyright des droits plus forts qu’elle n’en donne aux forces de police.

Réunissons ces lois iniques et il va être enfin possible, enfin, de se de se débarrasser de notre liberté d’expression et de nos droits fondamentaux, tout ça pour soutenir une industrie non-nécessaire. Cela crée un Big Brother cauchemardesque, au delà de ce qu’auraient jamais pu imaginer les gens il y a à peine une décennie. Ma sempiternelle question est la suivante : pourquoi les gens préfèrent-ils s’accommoder de cela au lieu de fracasser la chaise la plus proche sur la tronche de ces bâtards ?

Par exemple, nous avons entendu dire que les FAI (Fournisseur d’Accès à Internet) des États-Unis d’Amérique vont commencer à se soumettre aux diktats de l’industrie du copyright dans le traitement de ses propres clients, jusqu’à les déposséder de leur citoyenneté et de leur droit à l’anonymat. Un jeu que l’on pourrait appeler : j’envoie mamie dans le box des accusés. Un cas d’école de mauvaises relations avec la clientèle dans les futurs manuels de marketing : faire en sorte que vos clients puissent être traduits en justice (et perdre) par des organisations industrielles dans un jeu truqué où ils ne sont mêmes pas présumés innocents. Sérieusement, à quoi pensent donc les FAI ?

Aujourd’hui, nous exerçons nos droits fondamentaux – le droit à la vie privée, le droit à l’expression, le droit à la correspondance, le droit de s’associer, le droit de se réunir, le droit à une presse indépendante, et bien d’autres droits – par le biais de l’Internet. Par conséquent, un accès anonyme et non censuré à Internet est devenu un droit aussi fondamental que les droits que nous exerçons à travers lui.

Si cela veut dire qu’une industrie stupide qui fait de fines galettes de plastique ne peut plus faire d’argent, peu me chaut qu’ils fassent faillite ou vendent de la mayonnaise à la place.

C’est leur problème.

Crédit photo : Thomas Leuthard (Creative Commons By)




Oppikirjamaraton ou comment écrire un manuel scolaire libre en un week-end !

Je suis professeur de mathématiques et à l’initiative de Framasoft. Un tel projet ne pouvait me faire plus plaisir. Vous verrez qu’un jour de plus en plus de manuels seront rédigés ainsi…

Imaginez un groupe d’enseignants qui se retrouvent le week-end pour rédiger ensemble et de A à Z un manuel scolaire sous licence libre ! (La licence libre est la Creative Commons By, d’où mention sur leur blog, d’où notre traduction ci-dessous).

Il n’ont pas tout à fait achevé l’entreprise dans le temps imparti puisque le livre se trouve aujourd’hui en version 0.92 (et en LaTeX) sur GitHub. Vous pouvez de suite vous rendre compte du résultat actuel en cliquant directement sur le PDF (dont les premières pages vous proposent de soutenir le projet via Flattr et Bitcoin !).

Au delà de son ô combien utile finalité ce fut également une belle et libre aventure humaine

Vapaa Matikka

Oppikirjamaraton : comment écrire un manuel scolaire libre en un week-end

Oppikirjamaraton: How to Write an Open Textbook in a Weekend

Elliot Harmon – 31 octobre 2012 – Creative Commons Blog
(Traduction : Cyrille L., Kodoque, Nyx, kamui57, Naar, pac)

Il y a quelques semaines de cela nous avons vu passer ce tweet surprenant :

Il nous fallait en savoir plus. J’ai donc contacté Joonas Mäkinen pour avoir davantage d’informations, et il m’expliqua qu’il a participé à monter une équipe pour écrire un manuel scolaire de mathématiques de cycle secondaire tout le long d’un week-end, lors d’un évènement appelé Oppikirjamaraton (marathon du livre scolaire). Le choix de la licence du livre s’est porté sur la Creative COmmons BY, pour que chacun puisse le réutiliser, le modifier et le traduire, en Finlande et dans le reste du monde.

Le texte, désormais en version 0.91 sur GitHub, s’intitule Vapaa Matikka. Le titre se traduit par « Mathématiques libres et gratuites », mais sachant que matikka signifie également lotte en finlandais, on peut aussi le lire comme du « Poisson libre ». Et son slogan, Matikka verkosta vapauteen, devient alors soit un cri de ralliement pour garder les ressources éducatives libres et gratuites, soit un mode d’emploi pour libérer un poisson d’un filet ! (d’où la forme suggérée du poisson sur la couverture du livre)

Mais au delà des jeux de mots mathématico-finlandais, je souhaitais comprendre comment la rédaction express de ce livre s’était déroulée, ce que l’équipe prévoyait de faire du manuel, et quels conseils ils pouvaient donner à d’autres personnes organisant un évènement similaire.

Oppikirjamaraton - Joonas Mäkinen - CC byQue couvre le livre comme concepts mathématiques ?

C’est un manuel pour le premier cours de mathématiques de niveau avancé du collège finlandais. Bien que les élèves débutant ce cursus viennent en général de finir l’école primaire obligatoire, nous avons décidé d’avoir une approche « pour les nuls » en essayant de minimiser les prérequis.

Nous introduisons l’arithmétique, les nombres rationnels, les nombres réels en général. Viennent ensuite les règles de priorité et les racines qui mènent aux bases de la résolution d’équation puis au concept de fonction. Puis leurs mises en application concernent la proportionnalité et le calcul de pourcentages. Nous nous devions de respecter le programme scolaire.

Dites-m’en plus sur les exigences du programme. Sont-elles les mêmes pour toute la Finlande ?

Il y a un programme national en Finlande et tout le monde le suit. Du coup tous les manuels se ressemblent même s’ils approchent les sujets dans un ordre légèrement différent les une des autres. Mais le seul test standardisé est l’examen de fin d’année et donc Il y a un peu de flexibilité, ce qui a facilité les choses.

Oppikirjamaraton - Vesa Linja-Aho - CC byQui a participé ? Étaient-ils tous des formateurs ? Les participants avaient-ils déjà écrit ou édité des manuels scolaires ?

Environ 20 personnes ont participé à l’écriture du manuel durant le week-end. Nous avions des professeurs ordinaires du secondaire, des étudiants à l’université (mathématiques et informatique), un professeur d’électronique pour automobile, mes propres étudiants et quelques professeurs d’université travaillant sur place ou à distance. Nous avions même notre propre petit cercle d‘intégristes de la grammaire et de l’orthographe pour nous aider à rédiger de meilleurs contenus formels que ceux que l’on peut habituellement trouver dans le devanture des grosses maisons d’édition. La diversité des participants s’est révélée être une très bonne chose pour produire une variété de problèmes et de perspectives.

Seules quelques personnes avaient l’expérience de l’écriture et publication d’un manuel classique, commercial et à l’ancienne, mais cela n’a pas été clivant quand nous avons commencé à travailler.

Comment vous êtes-vous organisés ? Les rôles des participants avaient-ils été déterminés en amont du week-end ?

Vesa Linja-aho, qui a eu l’idée de ce book sprint (ou livrathon) était de facto notre coordinateur et s’occupait de la logistique, de l’administratif et de la communication. Lauri Hellsten s’est engagé à prendre le rôle principal pour la maquette et la création de graphiques indispensables à l’ensemble. Mais eux mis à part, aucun auteur n’avait d’assignation prédéfinie. Quelques uns d’entre nous avaient bien leurs sujets de prédilection, mais dans l’ensemble le processus d’écriture fut très spontané et dynamique.

Y a-t-il eu beaucoup de préparation à l’avance ? Avez-vous commencé le week-end avec un plan du livre ? Un emploi du temps ?

Le projet était ambitieux. Nous avons attendu que nos amis et les amis de nos amis remplissent un sondage Doodle pour savoir quel week-end réserver (NdT : ils ne connaissaient pas Framadate). J’avais préparé une table des matières pour avoir un point de départ, mais elle a été passablement modifiée vendredi et samedi. Juhapekka Tolvanen nous avait concocté un modèle LaTeX, et on a aussi eu une réunion préalable pour planifier les choses, choisir les outils techniques (quel système de contrôle de versions utiliser, etc.), mais rien sur le contenu en tant que tel. Il s’agissait également de trouver d’éventuels sponsors, écrire un communiqué de presse, trouver un local, vérifier si nous avions assez d’ordinateurs…

Une anecdote sur le droit d’auteur : nous avions réuni plus ou moins tous les livres disponibles sur le sujet. Pour voir un peu comment les autres avaient expliqué ceci ou cela. mais aussi parce que, dans l’enseignement mathématique (et manifestement dans d’autres disciplines aussi), il y a beaucoup d’exemples et d’exercices pathologiques qu’il est bon de faire mais qui finissent par être excessivement récurrents. Et Vesa Linja-aho avait reçu une décision écrite du conseil local confirmant que les exercices ne sont pas des travaux soumis au droit d’auteur. Or un enseignant qui avait écrit un des livres que nous avions nous a laissé un commentaire sur Facebook pour nous rappeler que ce n’est pas bien de copier le travail des autres. Cela nous a bien fait rire 🙂

Oppikirjamaraton - Lauri Hellsten - CC byQue retirez-vous de cette expérience ? Qu’est ce qui a été plus difficile que prévu ? Quels conseils donneriez vous à d’autres envisageant un projet similaire ?

Le principal conseil est de bien mettre en place l’aspect technique avant de commencer. Cela évitera d’inutiles moments de tension pour vous consacrer pleinement et exclusivement à la rédaction du contenu. On a utilisé LaTeX pour le texte et sa mise en forme et GitHub pour gérer les versions, mais on a connu des soucis qui nous ont retardés. Tout le monde n’était pas forcément familiarisé avec ces outils et les ordinateurs pas toujours bien préparés et optimisés pour leurs usages. Ceci nous a malheureusement fait perdre du temps.

De plus certains étaient encore en train de discuter pour savoir si nous devions ajouter ceci ou cela le samedi voire le dimanche, et c’est quelque chose qu’il faut éviter. Dans un tel projet, c’est toujours mieux de simplement continuer à écrire davantage de contenu pour éventuellement le commenter ou le modifier plus tard. On a même connu quelques discussions houleuses, peut-être liées au manque de sommeil. Restez calmes et n’oubliez pas d’y prendre plaisir !

Oppikirjamaraton - Siiri Anttonen - CC byEt après ? Y a-t-il une période de relecture/modification prévue ? Des professeurs pensent-ils utiliser d’ores et déjà votre manuel ?

Le sentiment général, unanime et immédiat après avoir fini le marathon dimanche était l’euphorie. Tout le monde était d’accord pour organiser un autre book sprint. Les retards techniques et le manque de graphistes ont fait que le livre n’a pas atteint le niveau de finition que nous voulions pour l’envoyer à l’impression. Mais c’est vivant maintenant : les gens nous envoient des rapports de bug sur Github et les participants ont continué à apporter des améliorations : corriger les coquilles, ajouter des exercices, corriger les incohérences…

Notre livre existe maintenant en version 0.9, et nous allons attendre quelques semaines avant de décider s’il est prêt à être imprimé et traduit. Cependant, on nous a déjà rapporté que le livre avait été utilisé comme manuel par quelques professeurs en proposant notamment à leurs élèves des exercices du livre. Bien entendu, d’autres auteurs et moi-même l’avons aussi utilisé pour enseigner à nos propres élèves. Lorsque nous l’aurons un peu peaufiné, nous sommes confiants quant à sa diffusion.

Le projet était si sympa et son accueil si bien reçu que nous ferons un autre book sprint très bientôt !

Oppikirjamaraton

Crédit photos : Senja Opettaa (Creative Commons By)