Économie Sociale et Logiciels Libres : Le temps de l’alliance ?

Rolands Lakis - CC byVoici un article de Bastien Sibille susceptible de ne pas laisser notre lectorat indifférent.

Voir en effet le logiciel libre comme « un rempart contre la tentation hégémonique du capitalisme », et qui devrait donc par là-même s’allier à l’économie sociale afin de ne pas perdre « son potentiel émancipateur » et participer de concert à « la reconquête des biens communs », est un point de vue dont l’adhésion est certaine mais pas forcément totale.

L’occasion d’en débattre donc ensemble après lecture[1].

Bastien Sibille est coordonateur de l’Association Internationale du Logiciel Libre (Ai2L) pour l’Économie Sociale. Un article qui fait écho à Sébastien Broca : Du logiciel libre aux théories de l’intelligence collective et qui revisite une nouvelle fois la différence d’approche entre « logiciel libre » et « open source ».

Économie Sociale – Logiciels Libres, le temps de l’alliance

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Bastien Sibille – novembre 2009 – version 2.0
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Deux mondes co-existent qui dressent des remparts contre la tentation hégémonique du capitalisme : l’un est ancien et puise ses racines dans le XIXe siècle industriel – le monde de l’économie sociale (coopératives, mutuelles, associations…) ; l’autre est plus jeune et tisse ses réseaux dans le XXIe siècle informatique – le monde du logiciel libre. Si les communautés du libre et les entreprises d’économie sociale se connaissent et se côtoient depuis plus d’une décennie, elles ne voient pas souvent combien leurs luttes sont proches. Le temps est venu de dire la proximité de ces luttes et l’urgence de leur alliance.

Raisons de l’alliance

Depuis une vingtaine d’années des communautés d’informaticiens, puis des entreprises informatiques, ont développé ce qu’on appelle des « logiciels libres ». Les logiciels libres sont des logiciels que l’on peut librement exécuter, étudier, modifier et diffuser autour de soi. Ils s’opposent aux logiciels propriétaires dans la mesure où leur code est « ouvert » alors que celui des logiciels propriétaire est « fermé ». L’ouverture est à la fois technique et juridique. Sur le plan technique, le code source des logiciels libres est « lisible » par des êtres humains alors que celui des logiciels propriétaires est distribué en langage machine, ce qui le rend illisible même par les informaticiens. Sur le plan juridique, les logiciels libres sont protégés par des « licences libres » qui assurent qu’ils ne pourront jamais être privatisés et resteront un bien commun.

Les principes qui encadrent la production, la distribution et l’usage des logiciels libres présentent d’importantes synergies avec les principes de l’économie sociale. Il faut tout d’abord relever une synergie dans le rapport à l’accumulation du capital entre les entreprises d’économie sociale et les communautés du libre. Un logiciel, parce qu’il est l’accumulation du travail des femmes et des hommes qui l’ont modelé, est un capital – un capital immatériel. Les licences propriétaires organisent la rémunération de ce capital immatériel: chaque fois qu’il est dupliqué et vendu, il génère un gain sans qu’un travail supplémentaire n’ait été fourni. Dans le cas des logiciels libres, point de rémunération du capital : seul le travail paie. Voilà un premier trait qui place les logiciels libres tout proche des luttes historiques de l’économie sociale.

Ensuite, les modes de production du libre respectent au moins trois autres piliers fondamentaux des entreprises d’économie sociale.

  • La liberté d’entrée et de sortie : un homme entre librement dans une association, et en sort tout aussi librement. Cette liberté est très présente dans la philosophie et la pratique des logiciels libres : tout utilisateur qui le souhaite peut entrer dans le code, l’utiliser, et en sortir librement.
  • Le principe démocratique : un homme = une voix. Cette liberté fondamentale du fonctionnement des associations est à l’œuvre dans les logiciels libres : tout utilisateur du code peut prendre part à la création ou à la modification du code. Les communautés d’usagers des logiciels libres prennent ainsi part à leur amélioration en indiquant aux développeurs les bugs qu’ils ont repérés. Nous sommes ici à l’opposé des modes de production des logiciels propriétaires, dans lesquels quelques informaticiens décident pour tous du fonctionnement du logiciel.
  • L’impartageabilité des réserves pour finir. Lorsqu’un ensemble de femmes et d’hommes créent une richesse logicielle, lorsqu’ils écrivent ensemble le code informatique puis décident de le protéger par une licence libre, ils s’assurent que la richesse produite ne pourra être privatisée : le code restera ouvert à tous. Personne ne pourra se l’approprier. La richesse immatérielle placée sous licence libre ne peut que rester commune.

Urgence de l’alliance

L’alliance des entreprises d’économie sociale et des communautés du libre est une nécessité stratégique. L’intensification de l’usage, depuis les années 1980, de la micro-informatique – traitements de textes, tableurs, agendas – et, depuis le milieu des années 1990, des réseaux informatiques – courriels, sites internet, intranet, prestation de services et paiements en ligne – ont conduit les entreprises d’économie sociale à dépendre de plus en plus fortement des logiciels informatiques. Aujourd’hui, ces logiciels sont majoritairement produits par des entreprises capitalistes. Ces entreprises organisent la rémunération de leurs investissements en « fermant » le code des logiciels, de manière à ce que (1) ceux qui veulent s’en servir soient obligés de les acheter, et (2) ceux qui veulent lire les fichiers créés par ces logiciels soient obligés d’acquérir les logiciels.

Les logiciels propriétaires sont des chevaux de Troie de l’économie capitaliste placés au cœur des entreprises d’économie sociale. Leur utilisation par les entreprises d’économie sociale est extrêmement préoccupante. D’abord parce qu’elle signifie que les structures d’économie sociale reposent, pour une très large partie de leurs activités, sur des outils informatiques qui, de par leur mode de production et leur architecture, ne correspondent pas à leur valeurs. Ensuite parce qu’il rend les structures d’économie sociale dépendantes d’entreprises capitalistes. Au-delà de l’incohérence de valeurs, cette dépendance est inquiétante. Elle signifie, par exemple, que toute la mémoire informatique (l’ensemble des fichiers textes, des images, des tableurs) des entreprises d’économie sociale dépend, pour son utilisation future, de la survie ou du bon vouloir des entreprises capitalistes qui produisent les logiciels.

Aujourd’hui, l’indépendance des structures d’économie sociale vis-à-vis des éditeurs capitalistes du code informatique est possible. Les logiciels libres offrent aux structures d’économie sociale une alternative puissante.

  • Elle est puissante d’abord parce que le code libre est un code pérenne: il pourra toujours être repris, retravaillé, remodelé pour coller au mieux aux besoins des structures qui le déploient.
  • Elle est puissante aussi parce que le code libre est un code solide: dans la mesure où il est ouvert, tous les acteurs compétents de la communauté du libre participent à son amélioration. C’est l’assurance que ses faiblesses sont vite repérées et corrigées.
  • Elle est puissante ensuite parce que le code libre est un code solidaire : les logiciels développés par certaines structures d’économie sociale pourront bénéficier à d’autres. En ayant la possibilité de librement distribuer les logiciels qu’elle utilise, une structure d’économie sociale facilite ses communications électroniques avec des structures partenaires et notamment avec des partenaires qui n’auraient pas eu les moyens d’acheter les logiciels.
  • Elle est puissante enfin parce qu’elle permet aux structures d’économie sociale d’utiliser, dans leurs actions quotidiennes, des outils informatiques qui sont cohérents avec les valeurs pour lesquelles elles se battent. De la même façon que les entreprises d’économie sociale se sont dotées d’instruments financiers et juridiques spécifiques, il est urgent qu’elles se dotent d’instruments informatiques qui respectent leurs principes.

Une alliance est nécessairement un mouvement à au moins deux sens. Les raisons qui encouragent les communautés du libre à s’allier à l’économie sociale ne sont pas moins fortes que celles qui poussent les structures d’économie sociale à adopter les logiciels libres.

Équiper les entreprises d’économie sociale en logiciels libres, c’est équiper des entreprises dont les modes de fonctionnement et de travail sont proches des modes de production des logiciels libres : la coopération, le travail en réseau, le bénévolat sont des éléments particulièrement présents dans le quotidiens des structures d’économie sociale. Les logiciels libres y sont donc soumis à un usage intensif par des utilisateurs plus promptes que d’autres à signaler les bugs aux communautés et à leur faire bénéficier des amélioration des logiciels. Il y a fort à parier que la qualité des logiciels libres augmentera substantiellement s’ils sont largement utilisés par les structures d’économie sociale. D’autre part, la force de frappe informatique des entreprises d’économie sociale est considérable. De nombreuses entreprises d’économie sociale mobilisent des services informatiques importants tant par le nombre d’informaticiens qui y travaillent que par les développements qu’ils ont produits. En s’alliant à l’économie sociale, les communautés du libre pourront compter sur la puissance de feu informatique de celle-ci.

Les logiciels libres et l’économie sociale sont des mouvements d’émancipation. En s’alliant à l’économie sociale, le mouvement du libre rejoint une force de progrès et de justice susceptible de le porter vers de nouveaux horizons ; il rejoint une lutte historique ancienne, profondément enracinée dans nos sociétés, capable de mobiliser des réseaux étendus et variés. Autrement dit, en s’alliant à l’économie sociale, le mouvement du libre intègre un mouvement plus vaste que lui sur lequel il pourra s’appuyer pour continuer à construire sa légitimité.

Ce n’est pas tout. Les communautés du libre sont aujourd’hui à un tournant : la qualité de leur production logicielle les conduit à être de plus en plus au cœur des stratégies de très grandes entreprises informatiques. Le libre d’hier n’est plus le libre d’aujourd’hui, et l’esprit de ses pionniers pourrait bientôt n’y plus rayonner que marginalement. Les enjeux capitalistes commencent à imprimer sensiblement leur marque sur les projets de logiciels libres : le risque est que la réussite du libre ne dissolve son potentiel émancipateur. Ici, l’alliance des communautés du libre avec les structures d’économie sociale prend toute sa dimension – elle assure que le succès du libre ne se fera pas au détriment de son sens politique profond.

Enjeux de l’alliance

Il faut enfin dire qu’une prise de position forte en faveur des licences libres marque, pour les alliés, un engagement dans un débat beaucoup plus large. Dans un monde où les modes de productions sont de plus en plus tournés vers les biens immatériels, les enjeux socio-politiques liés à la propriété intellectuelle deviennent cruciaux et ne s’arrêtent pas aux seuls logiciels. Le brevetage des génomes des plantes et des animaux, des molécules actives des médicaments ou l’augmentation de la durée du droit d’auteur applicable aux œuvres d’art sont des exemples de la violence des mécanismes actuels de privatisation de l’immatériel. La propriété intellectuelle est ainsi au cœur des luttes présentes et futures dans des champs aussi variés que l’agriculture, la santé ou l’art.

En prenant une position claire en faveur des logiciels libres, des licences libres et des modes de production et de diffusion des produits de l’esprit qu’elles organisent, les communautés du libre et les entreprises d’économie sociale s’engagent dans un combat plus vaste que le seul domaine informatique : celui de la reconquête des biens communs. Ce combat est crucial pour l’avenir nos sociétés.

Notes

[1] Crédit photo : Rolands Lakis (Creative Commons By)




Sébastien Broca : Du logiciel libre aux théories de l’intelligence collective

Woallance3 - CC byNotre énergie, enthousiasme et optimisme ne doivent pas nous faire oublier les deux principaux écueils qui menacent en permanence ce blog, et peut-être aussi par extension toute la dite « Communauté du Libre ».

Le premier est la tentation d’enjoliver la situation et d’alimenter ainsi une mythologie, voire même une idéologie. Du côté open source, on n’aura de cesse de venter la qualité des logiciels libres, les vertus d’une organisation en mode « bazar et les formidables opportunités économiques offertes par le service autour du logiciel libre. Tandis que du côté free software, on mettra l’accent sur une éthique et un ensemble de valeurs, ainsi synthétisés non sans emphase par Richard Stallman en ouverture de ses conférences : « Je puis résumer le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité ».

Le second écueil consiste à croire, ou feindre de croire, que le modèle proposé par les logiciels libres est reproductible en dehors de la sphère informatique, l’exemple emblématique étant la « culture libre », dont nous serions bien en peine d’en proposer une définition exacte. Certains vont même jusqu’à voir dans ce modèle une possible alternative globale pour nos sociétés, qualifiées, peut-être trop vite d’ailleurs, de sociétés de l’information.

C’est pourquoi nous avons lu avec beaucoup d’intérêt le long mais passionnant article de Sébastien Broca « Du logiciel libre aux théories de l’intelligence collective » (paru initialement dans la Revue tic&société – Société de l’information ? Vol. 2, N° 2, 2008). Article que nous avons reproduit ci-dessous d’abord parce qu’il n’a peut-être pas eu toute l’attention qu’il méritait mais aussi telle une invitation à débattre ensemble des arguments avancés dans les commentaires.

Sébastien Broca est allocataire de recherche au Cetcopra (Univerisité Paris 1) où il réalise un doctorat de sociologie. Il résume ainsi son propos :

Cet article interroge la manière dont le mouvement du logiciel libre se trouve constitué dans de nombreux discours en modèle d‘avant-garde de transformations sociales globales. Je montre ainsi comment l’on passe d’une pratique singulière, mise en œuvre par les communautés du libre, à des théories sociologiques, économiques ou philosophiques, qui s’en inspirent largement. Je m’appuie pour ce faire sur les ouvrages récents de Pekka Himanen, Yann Moulier Boutang, Antonio Negri et Michael Hardt. J’essaie ensuite de mettre en lumière certaines difficultés relatives aux démarches de ces auteurs : généralisation abusive à partir de l’exemple du logiciel libre, et oubli des spécificités des divers domaines de la vie sociale.

Le frontispice du Framablog est orné de la citation suivante : « …mais ce serait l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code »[1]. C’est une question ouverte dont nous sentons bien, même confusément, l’extraordinaire potentiel. Encore faudrait-il être capable de l’affiner régulièrement avec lucidité et ne pas emprunter certaines postures peut-être parfois trop simplistes eu égard à la complexité du monde bien réel qui nous entoure…

PS : Pour un meilleur confort vous pouvez également lire ou imprimer la version PDF de l’article.

Du logiciel libre aux théories de l’intelligence collective

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Sébastien Broca – Revue tic&société – Société de l’information ? Vol. 2, N° 2, 2008
Mis à jour le 7 mai 2009 – Licence Creative Commons By-Nc-Nd

Introduction

Depuis une quinzaine d’années, le mouvement du logiciel libre a connu un développement fulgurant, mettant fortement en question la prééminence des logiciels propriétaires développés par les grandes entreprises du secteur informatique. Dans le même temps, certains intellectuels ont érigé ces bouleversements en symboles de transformations sociales plus générales, attendues ou espérées. En témoignent les occurrences nombreuses des références à la « démocratie open source », à « l’économie open source », voire à la « société open source ». Cette tendance à faire du mouvement du logiciel libre un des laboratoires où se préparerait la société du futur semble devoir nous interpeller à plus d’un titre. Elle incite d’une part à s’interroger sur le bien-fondé d’une démarche intellectuelle prenant appui sur une pratique spécifique, pour fonder un discours théorique à valeur générale et/ou prospective. Elle invite d’autre part à mener une réflexion critique sur les nouvelles grilles d’analyse, censées rendre compte des spécificités de notre époque.

Nous commencerons ainsi par retracer brièvement l’histoire du mouvement du logiciel libre, et par en rappeler les enjeux. Nous essaierons ensuite de montrer comment, sous l’effet d’un double mouvement d’idéalisation des pratiques et de généralisation de leur portée, les communautés du libre se trouvent présentées, dans un certain nombre de discours contemporains, comme porteuses d’un véritable modèle social d’avant-garde. Nous nous efforcerons aussi d’interroger les limites de ces discours, qui tendent à observer notre époque à travers le prisme unique du développement de pratiques de collaboration horizontales médiatisées par Internet.

1. Histoire et enjeux du mouvement du logiciel libre

1.1. Une brève histoire du libre

Le mouvement du logiciel libre se comprend comme une réaction aux changements intervenus dans l’industrie informatique au tournant des années 1970-1980, au moment où apparaît l’ordinateur personnel. Jusqu’à cette date, les utilisateurs et les programmeurs sont souvent les mêmes personnes, et à quelques exceptions près, ils peuvent librement modifier les logiciels, quand bien même ceux-ci sont soumis au copyright. Comme l’explique Eben Moglen,

dans la pratique, les logiciels pour supercalculateurs étaient développés de manière coopérative par le constructeur de matériel dominant et par ses utilisateurs techniquement compétents (Moglen, 2001, p. 160).

La situation évolue au début des années 1980. De nombreuses sociétés informatiques décident alors d’imposer des logiciels propriétaires, de privatiser du code auparavant libre, et de soumettre leurs informaticiens à des clauses de confidentialité[2].

Pour mesurer ces bouleversements, il faut savoir qu’un logiciel se présente sous deux formes. La première, dite version exécutable ou compilée, est écrite en « binaire ». C’est celle qui est lue par l’ordinateur, et elle n’est pas compréhensible pour un humain. La deuxième en revanche – appelée code source – n’est pas fonctionnelle, mais peut être appréhendée comme du « commentaire ». Écrite dans un langage de programmation compréhensible, elle explique aux développeurs comment fonctionne le programme. L’accès au code source est donc indispensable à qui veut opérer des modifications sur un logiciel. Or, c’est précisément cet accès qui se trouve fortement restreint par le mouvement de privatisation survenu au début des années 1980, qui empêche donc la communauté des informaticiens de collaborer pour améliorer les programmes.

C’est dans ce contexte que Richard Stallman, alors informaticien au laboratoire d’intelligence artificielle du MIT (Massachusetts Institute of Technology), décide en 1983 d’entreprendre la programmation d’un système d’exploitation entièrement « libre ». Il nomme celui-ci GNU (GNU is Not Unix), marquant ainsi sa volonté de se démarquer des nouvelles pratiques de l’informatique commerciale et de retrouver l’esprit coopératif d’antan. En 1985, il crée la Free Software Foundation pour faciliter le financement et le développement du projet. Les principes du logiciel libre sont formalisés en janvier 1989 dans la licence publique générale (GPL – General Public License). Celle-ci garantit aux utilisateurs quatre « libertés » : liberté d’utiliser le logiciel, liberté de le copier, liberté de le modifier (ce qui implique l’accès au code source), et liberté de le distribuer (y compris dans des versions modifiées). Tout logiciel respectant l’ensemble de ces « libertés » peut dès lors être considéré comme un « logiciel libre »[3].

Au début des années 1990, le projet GNU a abouti à l’écriture d’un système d’exploitation presque complet. Presque, car le noyau du système[4] fait encore défaut. Intervient alors la deuxième grande figure de l’histoire du logiciel libre : Linus Torvalds. À cette époque, cet étudiant finlandais de l’université d’Helsinki cherche à écrire un noyau, selon la légende pour pouvoir utiliser sur son ordinateur personnel les programmes sur lesquels il travaille dans le cadre de ses études. Il a alors l’idée brillante de rendre disponible sur Internet son travail inachevé, et d’inciter les informaticiens qui le souhaitent à le compléter. Grâce aux listes de diffusion et aux forums électroniques, des centaines puis des milliers de programmeurs en viennent à unir leurs efforts pour développer ce noyau, entre-temps nommé Linux. Bientôt, la combinaison des logiciels GNU et du noyau Linux donne naissance à un système d’exploitation complet : GNU/Linux, plus couramment appelé Linux.

Celui-ci a aujourd’hui acquis une solide réputation de fiabilité, et est devenu le concurrent principal de Windows. Il est emblématique de la réussite du logiciel libre, dont témoignent également Firefox, Apache, Open Office, et bien d’autres. Au fil des ans, ces succès ont éveillé l’intérêt des géants du secteur informatique, et ont favorisé une pénétration croissante des logiques économiques dans le monde du libre. Un exemple significatif est celui d’IBM. Alors que l’entreprise est en difficulté, ses dirigeants décident en 1999 de rendre libres de grandes quantités de lignes de code propriétaires, et de mettre en place des équipes pour travailler sur les projets Apache et Linux. Ce soutien à des projets libres est une réussite, et il s’amplifie à partir de 2002. Les bénéfices qu’en retire IBM sont en effet multiples : économies substantielles[5], réorientation de son activité vers de nouvelles offres de service[6], amélioration de son image…

1.2. L’idéologie du Libre

L’influence croissante des grands groupes informatiques a suscité d’importantes réserves et révélé quelques fractures parmi les défenseurs du logiciel libre. En témoigne notamment la controverse ayant éclaté à la fin des années 1990, suite au lancement de l’Open Source Initiative. Cette organisation est créée en 1998 pour promouvoir un label dissident (OSI approved), censé être moins contraignant que la licence GPL, et donc plus attractif pour le monde des affaires. L’initiative est condamnée par Richard Stallman et la Free Software Foundation, bien que dans les faits,la différence entre les deux labels devienne assez rapidement de pure forme[7]. Le débat – parfois virulent – entre les deux parties met en lumière la coexistence au sein du monde du libre de deux « philosophies » assez nettement opposées. Pour les partisans de l’open source, les logiciels libres doivent êtres défendus pour l’unique raison qu’ils sont meilleurs que les logiciels propriétaires ! À l’inverse, pour les défenseurs du free software et son fondateur Richard Stallman, la performance technologique est une préoccupation secondaire par rapport au mouvement social que représente le logiciel libre, et aux principes qu’il défend.

Par-delà son contenu, la controverse entre open source et free software révèle l’importance des discours de positionnement idéologique dans le milieu du libre. Le mouvement du logiciel libre est ainsi indissociable des discours produits par ses acteurs pour légitimer et promouvoir leur pratique de la programmation informatique. Ce trait est particulièrement marquant, s’agissant de la question de l’organisation des communautés de développeurs. Celles-ci sont souvent opposées aux structures pyramidales dominantes dans les sphères économiques et politiques (grandes entreprises, partis politiques, etc.). Elles sont décrites comme mettant en œuvre une organisation horizontale, reposant sur le partage de l’information et la coopération directe entre participants. Seuls les individus affectueusement nommés « dictateurs bienveillants » sont censés y tenir un rôle hiérarchique. Il s’agit d’une ou plusieurs personnes qui, en fonction du mérite qui leur est reconnu par la communauté, assurent pour chaque projet une fonction de direction, de coordination, et de sélection des contributions. Au sein du projet Linux, Linus Torvalds dirige ainsi la cellule chargée de choisir et d’assembler les modifications apportées au noyau du code source. À cette restriction près, l’idéal véhiculé par les partisans du logiciel libre est bien celui d’une communauté d’égaux, reposant sur le partage, la collaboration, et le jugement par les pairs.

Cette image est toutefois un peu trop parfaite pour ne pas fournir un reflet quelque peu déformé de la réalité. Il faut ainsi prendre garde à ce que le discours des défenseurs du logiciel libre peut avoir de militant, voire d’idéologique. Certaines études de terrain semblent ainsi démontrer que les structures hiérarchiques sont souvent plus fortes que ce que les acteurs eux-mêmes veulent bien admettre. Dans un travail réalisé en 2004, Thomas Basset montre ainsi, en étudiant le développement de la suite logiciels VideoLAN[8], qu’il existe un décalage important entre le discours des participants au projet et la réalité des pratiques. Bien que les développeurs mettent en avant l’idéal d’un « libre échange du savoir entre personnes égales (…) hors de toute structure hiérarchique » (Basset, 2003, p. 28), l’observation du chercheur met en lumière l’existence d’une forte hiérarchie informelle. Au moment de l’étude, le projet VideoLAN repose ainsi sur une distribution du travail très inégalitaire, encore renforcée par des « manœuvres volontaires de rétention de l’information » (Basset, 2003, p. 52) en contradiction flagrante avec les discours tenus.

De façon générale, il faut avoir en tête que le mouvement du logiciel libre a non seulement produit des réalisations de tout premier ordre (Linux, Apache, etc.), mais aussi – et c’est là presque aussi important – un ensemble de discours mettant en avant certaines valeurs et certains modes de fonctionnement. Or, ces discours fonctionnent parfois comme une véritable idéologie, contribuant à voiler la réalité des pratiques. Par ailleurs, s’il est vrai que cette idéologie du libre n’est pas parfaitement homogène et cohérente (c’est ce qui apparaît notamment à travers la controverse entre free software et open source mentionnée plus haut), il s’en dégage néanmoins certaines constantes : méfiance envers la hiérarchie, valorisation du mérite individuel, promotion d’une éthique de la collaboration. On insistera ainsi sur le fait que la valorisation simultanée du mérite individuel et de la collaboration n’est contradictoire que superficiellement. Le mode d’organisation des communautés du libre est précisément censé permettre à chacun de concilier une grande autonomie dans son travail avec une inscription dans un projet collectif. En effet, une organisation horizontale apparaît par définition peu susceptible de soumettre les individus au groupe, en ce qu’elle refuse toute forme de hiérarchie et de contrôle centralisé. Dans le même temps, elle permet à un grand nombre de relations de coopération de se nouer, dans la mesure où tout le monde peut potentiellement être en contact avec tout le monde. Si l’on suit l’idéologie du libre, il faut donc dire que la communauté, pour autant qu’en soient bannies les rigidités hiérarchiques et qu’y soit favorisée la collaboration, se présente comme le terrain le plus propice à révéler le mérite individuel. Que les choses soient plus compliquées en pratique est une évidence qu’il faut garder en tête. Néanmoins, il n’est pas exagéré d’affirmer que le mouvement du logiciel libre véhicule in fine une certaine idée des structures les plus aptes à assurer le plein épanouissement de l’individu et de la collectivité, dans le domaine de la programmation informatique voire au-delà.

2. Le logiciel libre comme modèle social d’avant-garde

Je voudrais désormais pousser le raisonnement plus loin, et examiner la manière dont certains intellectuels n’étant pas directement impliqués dans le milieu du logiciel libre, se sont emparés de cette thématique pour fonder leurs analyses d’un certain nombre de transformations sociales en cours. Autrement dit, je voudrais considérer des discours qui vont au-delà de ce que j’ai nommé l’idéologie du logiciel libre, dans la mesure où ils se présentent comme porteurs d’une analyse de portée générale sur l’évolution de nos sociétés. Ces discours tendent ainsi à reprendre l’idéalisation du logiciel libre véhiculée par ses acteurs, tout en étendant la portée du modèle à d’autres activités sociales. Le logiciel libre devient de la sorte un socle sur lequel se trouve bâtie toute une construction intellectuelle. Je développerai trois exemples pour appuyer ce propos.

2.1. Pekka Himanen : la propagation de « l’éthique hacker »

Le philosophe finlandais Pekka Himanen a consacré à « l’éthique hacker » un ouvrage au retentissement important, paru en France en 2001 : L’Éthique hacker et l’esprit de l’ère de l’information[9]. Il y soutient queles pratiques et les valeurs du monde du logiciel libre ont donné naissance à « une nouvelle éthique du travail qui s’oppose à l’éthique protestante du travail telle que l’a définie Max Weber » (Himanen, 2001, p. 10). Cette nouvelle éthique se caractériserait par une relation au travail fondée sur la passion et l’intérêt personnel, et non sur le devoir moral et l’intérêt financier. Pour les hackers, le travail ne serait ainsi ni posé comme fin en soi indépendamment de son contenu, ni considéré comme simple moyen d’assurer sa subsistance ou sa richesse. L’important serait au contraire la satisfaction personnelle éprouvée dans la réalisation d’une tâche, devant être vécue comme intrinsèquement intéressante et gratifiante : « Les hackers font de la programmation parce que les défis qu’elle génère ont un intérêt intrinsèque pour eux » écrit ainsi P. Himanen (Ibid., p. 23). Il cite également Linus Torvalds, qui affirme que pour lui « Linux a largement été un hobby (mais un sérieux, le meilleur de tous) » (Ibid., p. 34).

Ce nouveau rapport au travail, qui repose sur une logique de développement de soi (Selbstentfaltung[10]), irait de pair avec un nouveau rapport au temps. Ainsi, pour les hackers, la distinction entre temps de travail et temps de loisir se trouverait brouillée, au profit d’un temps flexible où travail, hobbies, familles, collègues et amis se trouveraient sans cesse mélangés.

À la lumière de ces éléments, on peut mettre en doute la radicale nouveauté de cette « éthique hacker ». P. Himanen reconnaît du reste lui-même que les universitaires ou – d’une manière différente – les artistes, entretiennent depuis longtemps ce même rapport passionné à leur travail, et valorisent eux aussi une organisation relativement « libre » de leur temps. La véritable nouveauté résiderait en fait dans la manière dont ce rapport au travail serait en train de se répandre dans la société, à partir des milieux hacker.

(…) l’éthique hacker du travail se propage doucement vers d’autres secteurs, à l’image de l’éthique protestante qui, selon Weber, a fait son chemin en partant des entreprises créées par des Protestants pour finir par dominer l’esprit du capitalisme (Ibid., pp. 66-67).

Autrement dit, à la faveur du passage de la société industrielle à la « société en réseaux » (Castells, 1998)[11], le rapport au travail des hackers deviendrait viable pour de larges pans de la main d’œuvre. Leur éthique se substituerait ainsi progressivement à l’éthique protestante traditionnelle (ou à sa déclinaison contemporaine, érigeant l’argent en valeur suprême). Les hackers seraient finalement une sorte de groupe social d’avant-garde, et le mouvement du logiciel libre la matrice dont émergerait une nouvelle société. « Le modèle hacker ouvert pourrait se transformer en un modèle social » écrit P. Himanen (2001,p. 86).

Cette thèse n’est pas sans poser certaines difficultés. En effet, la possibilité de généraliser la relation au travail des hackers à d’autres groupes sociaux, et à d’autres secteurs économiques, est loin d’être évidente. Pekka Himanen s’expose ainsi au reproche d’ethnocentrisme, dans la mesure où tous les types d’emplois ne semblent pas susceptibles d’engendrer un rapport passionné au travail. Ne se rend-il pas coupable de généraliser une attitude, qui est en fait un privilège réservé à une partie infime de la population ? N’oublie-t-il pas un peu vite la très grande spécificité des hackers en tant que catégorie socioprofessionnelle, lorsqu’il affirme que leur éthique a une valeur quasi « universelle » (Ibid.,p. 26) ?

La thèse d’Himanen d’une propagation de l’éthique hacker dans l’ensemble du corps social apparaît relativement difficile à maintenir telle quelle. On peut alors choisir de la tirer du côté de l’utopie, c’est-à-dire d’un état idéal du social dans lequel le travail ne serait plus aliénation mais autodéploiement. Mais tel n’est certainement pas le propos de l’auteur, qui adopte dans son ouvrage une posture plutôt « sociologique ». Peut-être faut-il alors se résoudre à tirer de son ouvrage – et à l’encontre de ce qu’il écrit lui-même – une thèse plus « faible ». La mise en pratique de l’éthique hacker ne serait finalement possible que dans des secteurs très spécifiques, pour les professionnels de l’information, les artistes, ou les chercheurs. La généralisation à l’ensemble de la société de l’attitude au travail propre au milieu du logiciel libre apparaît en effet assez peu vraisemblable.

2.2 Yann Moulier Boutang : le logiciel libre comme modèle productif d’un nouveau capitalisme

L’exemple du logiciel libre est également tout à fait central dans la démarche de Yann Moulier Boutang, économiste et directeur de la revue Multitudes. Celui-ci a entrepris depuis quelques années, en collaboration étroite avec d’autres chercheurs (Antonella Corsani, Carlo Vercellone, Bernard Paulré…), de renouveler les cadres d’analyse de la science économique pour saisir les mutations contemporaines du capitalisme. Ce projet a donné naissance à l’hypothèse du « capitalisme cognitif ». Selon Yann Moulier Boutang, nous serions ainsi en train de sortir du capitalisme industriel pour entrer dans un nouveau type d’économie, « fondé sur l’accumulation du capital immatériel, la diffusion du savoir et le rôle moteur de l’économie de la connaissance » (Moulier Boutang, 2007, p. 85). Le capitalisme ne se nourrirait plus « du muscle consommé dans les machines marchant à la dissipation de l’énergie "carbo-fossile" » (Ibid., p. 65), mais de la « force cognitive collective » (Ibid., p. 65), ou encore de « l’intelligence collective » (Ibid., pp. 61-67). La source de la richesse résiderait donc aujourd’hui dans le travail social de communication et d’invention, ou encore dans la manipulation et la création de connaissances.

À mesure que les formes du travail et les sources de la richesse se modifieraient, le mode de production propre au capitalisme industriel entrerait en crise. Certes bien loin de disparaître complètement, il serait néanmoins délaissé dans les secteurs « avancés » de l’économie. En effet, l’adaptabilité, la flexibilité et la créativité permises par l’organisation en réseau, se révèleraient plus propres à révéler l’intelligence collective, que la rigidité de la one best way propre au taylorisme.

La thèse de Yann Moulier Boutang est ainsi qu’un nouveau mode de production émerge, qu’il définit comme « le travail de coopération des cerveaux réunis en réseau au moyen d’ordinateurs » (Ibid., p. 95). Point n’est besoin de trop de perspicacité pour s’apercevoir que cette description correspond parfaitement au modèle de fonctionnement des communautés du logiciel libre. Et pour cause ! Selon Yann Moulier Boutang, ces communautés sont l’exemple paradigmatique de ce nouveau mode de production propre au capitalisme cognitif. Ainsi, « le phénomène social et économique du libre » fournirait

un véritable modèle productif. Et ceci, tant sur le plan des forces sociales nouvelles que l’on peut repérer, sur celui de la division sociale du travail, que sur celui de la rationalité des agents économiques qui se trouve ainsi inventée, promue, des formes d’identité non pas au travail mais à un travail qui a changé fortement de contenu (Ibid., p. 125).

Yann Moulier Boutang accorde ainsi au logiciel libre une valeur d’exemplarité : ce qu’ont réussi à mettre en place quelques milliers de passionnés à travers le monde dans le domaine de la production informatique, serait un avant-goût d’un bouleversement global de l’organisation du travail. Suivant la voie tracée par les hackers, les forces productives deviendraient progressivement comparables à « l’activité collective cérébrale mobilisée en réseaux numériques interconnectés » (Ibid., p. 93).

Dans le même temps, le capitalisme cognitif deviendrait de plus en plus assimilable à une économie open source. En effet, dès lors que la richesse résiderait désormais dans l’ensemble du travail social de communication et d’invention, l’entreprise n’en serait plus l’unique productrice. Elle se devrait au contraire de capter une richesse antérieure, c’est-à-dire de valoriser ce qui émerge spontanément de l’ensemble des échanges sociaux.

L’intelligence entrepreneuriale consiste désormais à convertir la richesse déjà là dans l’espace virtuel du numérique en valeur économique (Ibid., p. 167).

Les entreprises auraient ainsi un intérêt profond à laisser se développer sans entraves la coopération en réseau, car celle-ci leur offrirait in fine les meilleures occasions de profit, en leur permettant de tirer profit d’une grande quantité de travail gratuit.

L’activité humaine innovante de la coopération des cerveaux à l’ère numérique produit dans la science, dans l’art, dans les formes collectives du lien social des gisements nouveaux et impressionnants d’externalités positives pour les entreprises, c’est-à-dire de travail gratuit incorporable dans de nouveaux dispositifs de captation et de mise en forme(Ibid., p. 122).

Comme l’aura déjà remarqué le lecteur attentif, ce nouveau business model correspond en tout point aux stratégies mises en œuvre par certaines grandes multinationales du secteur informatique pour tirer parti du logiciel libre. Ainsi, quand IBM profite du travail gratuit des communautés Linux ou Apache, et réoriente ainsi son activité vers une nouvelle offre de services (cf. supra), l’entreprise opère précisément ce que Yann Moulier Boutang décrit comme une captation de l’intelligence collective.

Le logiciel libre constitue donc pour Yann Moulier Boutang le phénomène économique et social, permettant d’analyser le capitalisme cognitif dans ses multiples facettes. Les communautés de développeurs du libre auraient ainsi « inventé » le mode de production caractéristique de ce nouveau régime économique, tandis que les entreprises ayant investi dans l’open source auraient développé son business model. La démarche théorique de Yann Moulier Boutang apparaît donc finalement très proche de celle de Pekka Himanen, dans la mesure où elle procède par généralisation à partir de l’exemple des communautés du logiciel libre, en tendant à faire de celles-ci des sortes d’avant-gardes. Elle s’expose de ce fait au même type de critique. Emporté par son admiration pour « la révolution californienne du capitalisme » (Ibid., p. 25), Moulier Boutang semble sous-estimer la spécificité du logiciel libre, et la difficulté à exporter ce modèle vers d’autres secteurs économiques. Fabien Granjon a ainsi noté que « les nouveaux aspects de production » sur lesquels les tenants de la thèse du « capitalisme cognitif » fondent leur théorie, « ne constituent que des sphères relativement restreintes de l’activité économique : ainsi en est-il du domaine du logiciel libre » (Granjon, 2008, p. 63). De manière analogue, Michel Husson a pointé la tendance de ceux qu’ils nomment les « cognitivistes » à « extrapoler des tendances partielles sans comprendre qu’elles ne peuvent se généraliser » (Husson, 2007, p. 139).

Il est intéressant de noter que Yann Moulier Boutang est conscient de s’exposer à de telles objections. Il tente d’y répondre, en proposant une analogie entre sa démarche et celle de Marx à l’aube de l’ère industrielle :

On s’intéresse en général à des observations empiriques sélectionnées dans un fatras rhapsodique d’informations multiples parce qu’on cherche les variables pertinentes qui commandent la tonalité d’ensemble ou permettent de prévoir des trajectoires d’évolution. Le grand trait de génie de Marx et Engels n’est pas d’avoir étudié la population laborieuse la plus nombreuse en Angleterre, (c’étaient les domestiques qui se comptaient par millions) mais les quelques 250 000 ouvriers des usines de Manchester (Moulier Boutang, 2007, p. 99).

L’argument est malicieux, et non dénué de pertinence. Toutefois, il ne suffit pas à effacer l’impression que la généralisation opérée par Moulier Boutang à partir du logiciel libre repose sur un pari. Celui d’affirmer que nos économies post-industrielles vont effectivement suivre la voie tracée par les expériences pionnières du logiciel libre. Or, s’il y a là un avenir possible, ce n’est certainement pas le seul ! La période actuelle paraît en effet trop incertaine, pour qu’on puisse écarter, par exemple, l’hypothèse du développement d’un « capitalisme gestionnaire d’effets de réseaux et de verrouillage » (Aigrain, 2007, p. 252), capitalisme qui serait bien entendu totalement contraire au modèle promu par les tenants du libre. Yann Moulier Boutang ne semble certes pas considérer ce scénario comme crédible, mais c’est là une position qui relève davantage de l’acte de foi que de la démonstration irréfutable. Ou, pour le dire de façon plus clémente : Yann Moulier Boutang assume les risques et les faiblesses de tout discours sur le social ne se contentant pas d’être descriptif, mais ayant une double visée de synthèse et de prospective. Sa démarche visant à faire du logiciel libre le modèle d’un nouveau capitalisme en gestation est donc nécessairement très perméable à la critique.

2.3. Michael Hardt et Antonio Negri : la démocratie comme « société open source ».

Ayant bénéficié d’un important succès commercial, les ouvrages Empire et Multitudes de Michael Hardt et Antonio Negri se présentent comme une tentative de rénover la philosophie politique critique, à l’heure de la mondialisation et des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ils sont notamment consacrés à la construction d’une théorie originale de la démocratie, inspirée en partie par le mouvement du logiciel libre. Avant d’aborder celle-ci en tant que telle, il faut préciser que les auteurs ancrent leur réflexion dans une analyse des transformations économiques contemporaines ; analyse tout à fait semblable à celle de Yann Moulier Boutang. Ils insistent ainsi sur la progression de la part du travail immatériel, et sur l’importance nouvelle de la coopération en réseau sur le modèle du logiciel libre.

L’originalité de leur propos se situe dans la thèse selon laquelle ces transformations économiques rejailliraient sur toutes les dimensions de la vie en société. C’est ce qu’ils appellent, en reprenant un terme forgé par Michel Foucault, la dimension biopolitique de la production.

Dans le cadre de ce travail immatériel, la production déborde hors des frontières traditionnelles de l’économie et se déverse directement dans le domaine culturel, social et politique. Elle crée non seulement des biens matériels, mais des relations sociales concrètes et des formes de vie. Nous appelons « biopolitique » cette forme de production, afin de souligner le caractère générique de ses produits et le fait qu’elle a directement prise sur l’ensemble de la vie sociale (Hardt et Negri, 2004, p. 121).

Ce caractère biopolitique de la production est, selon les auteurs, à l’origine d’une isomorphie croissante entre les structures économiques et les autres structures sociales, y compris politiques. Autrement dit, le développement de la forme réseau dans le cadre de la production immatérielle aurait pour corrélat la progression de cette même forme dans toutes les dimensions de la vie sociale. Ainsi Michael Hardt et Antonio Negri écrivent-ils notamment que

les institutions de la démocratie doivent aujourd’hui coïncider avec les réseaux communicatifs et collaboratifs qui ne cessent de produire et reproduire la vie sociale (Ibid., p. 400).

C’est dans ce cadre conceptuel qu’il faut comprendre le lien établi par les auteurs entre le mouvement du logiciel libre et la redéfinition de la démocratie qu’ils appellent de leurs voeux. On peut ainsi – moyennant une simplification acceptable – donner à leur raisonnement la forme d’un syllogisme : Structures économiques et structures politiques tendent à devenir semblables. Or, le logiciel libre est emblématique des nouvelles structures économiques. Donc, le logiciel libre devient emblématique des nouvelles structures politiques ! Michael Hardt et Antonio Negri écrivent ainsi :

On peut donc voir la démocratie de la multitude comme une société open source, c’est-à-dire une société dont le code source est révélé, permettant à tous de collaborer à la résolution de ses problèmes et de créer des programmes sociaux plus performants (Ibid., p. 385).

À travers l’expression de « société open source », Michael Hardt et Antonio Negri poussent la généralisation à partir du mouvement du logiciel libre à l’extrême. Ils accordent à celui-ci une place centrale dans la construction d’un nouveau modèle de société, susceptible de fournir une alternative crédible au libéralisme débridé et aux « vieilles » démocraties parlementaires. Hardt et Negri font ainsi du projet du logiciel libre l’horizon d’une certaine gauche radicale : la « société open source » et la « démocratie de la multitude » sont fondues en un seul et même objectif politique.

Évidemment, c’est là prêter énormément au mouvement du logiciel libre (ici confondu avec l’open source), et faire peu de cas des ambiguïtés politiques qu’il recèle. On remarquera ainsi que les grands principes du libre (libre partage de l’information, organisation horizontale, autonomie laissée à chacun) dessinent en fait un projet politique relativement modeste. Comme le remarque Patrice Riemens, nous sommes « très en deçà des exigences de justice, d’équité, d’égalité, d’émancipation » (Riemens, 2002, p. 185), qui animent la plupart des grands projets politiques de gauche. De surcroît, il paraît délicat – plus en tous les cas que Negri et Hardt ne le laissent supposer – de faire du libre un projet politique global. En effet, l’engagement social d’une majorité de hackers semble se limiter à un attachement à la disponibilité du code au sein du monde informatique. Il a d’ailleurs été remarqué que

l’étendue du spectre des opinions politiques entretenues par les hackers individuels (…) est surprenante, et totalement inimaginable dans quelque autre « mouvement social » (Ibid., p. 185).

Il semble donc que Michael Hardt et Antonio Negri accordent au logiciel libre une portée sociale et politique légèrement excessive. Ils participent en cela d’un mouvement plus général, qui a vu plusieurs intellectuels de gauche s’enthousiasmer pour le libre au cours des années 2000[12]. Il est toutefois possible de faire une lecture légèrement différente de la référence à l’open source chez Hardt et Negri. On émettra ainsi l’hypothèse que leur intérêt se situe à un niveau plus abstrait. Autrement dit, la portée politique effective du mouvement du logiciel libre les intéresse peut-être moins, que le fait qu’il fournisse un modèle inédit pour penser une nouvelle forme et un nouveau contenude la démocratie[13]. C’est donc à ce niveau, disons plus « théorique », que je voudrais situer ma dernière critique.

Pour l’énoncer succinctement, celle-ci consiste à dire que la mise en avant du modèle du libre pour (re)penser la question démocratique est porteuse d’une négation de la spécificité de la politique. Ainsi, si l’on prend au sérieux la référence à l’open source, la « démocratie de la multitude » aurait pour objet la production collaborative d’une forme d’expertise collective. Elle aurait à mettre en œuvre des processus d’agrégation de savoirs locaux. Elle se présenterait comme une sorte de gigantesque entreprise de débogage, ou comme un problem solving à grande échelle.

De telles idées ont certes des aspects séduisants, d’une part parce qu’elles semblent promettre une gestion politique plus efficace[14], d’autre part parce qu’elles renouent avec l’idéal d’une démocratie qui reposerait véritablement sur la participation effective de tous et bannirait le secret. Toutefois, l’analogie entre l’open source et la démocratie pose des difficultés majeures. Ainsi, dans le cas du logiciel libre, la finalité de la collaboration ne prête pas à discussion, puisqu’il s’agit tout simplement de produire le meilleur logiciel possible. Corrélativement, la réussite (ou l’échec) des diverses modifications souffre assez peu de contestation. Elle s’évalue aisément, puisqu’il suffit d’exécuter le code pour observer si la nouvelle mouture est plus rapide et plus complète que l’ancienne, si elle contient des bugs, etc. En matière de démocratie, les choses sont nettement plus compliquées. Ainsi, il y a rarement unanimité sur l’identification et la hiérarchisation des « problèmes » auxquels la collectivité se trouve confrontée. On peut même dire que la discussion sur les fins de l’action politique est inéliminable : celles-ci sont toujours objets de litige. Le fonctionnement démocratique ne peut par conséquent être réduit à la recherche collective des moyens les plus efficaces de résoudre des problèmes, qui seraient eux soustraits à toute forme de mise en question.

Tout régime politique ouvert ne cesse ainsi d’être confronté à des questions, que l’acquisition d’un savoir, quel qu’il soit, ne peut suffire à trancher. La démocratie ne saurait la plupart du temps se contenter d’une somme de connaissances objectives pour déterminer sa pratique. Elle vit au contraire de la confrontation d’une diversité d’engagements argumentés, mettant en jeu une pluralité de valeurs, d’intérêts ou de « choix de société ». Elle est indissociable d’un régime de rationalité particulier : l’échange d’opinions conclu par le vote à la majorité, et non pas la production collaborative de connaissances dont dériveraient mécaniquement les décisions.

La référence à une hypothétique « démocratie open source » importe donc indûment dans le champ politique la rationalité technique et scientifique, au détriment de la rationalité proprement politique. Autrement dit, elle néglige le rapport de la politique à l’opinion, considérée en tant que catégorie épistémologique. Ainsi, dans le recouvrement de la doxa par l’épistèmê,et dans le remplacement du débat contradictoire par la collaboration en réseau, ce serait bien l’essence des enjeux et des procédures démocratiques qui serait perdue.

Conclusion

Au terme de ce parcours, il apparaît que les pratiques mises en place par les communautés du logiciel libre sont sujettes à une double distorsion. Elles se trouvent tout d’abord fréquemment idéalisées par les acteurs du libre eux-mêmes, dont le discours militant a souvent pour effet de recouvrir les difficultés posées par la mise en application du modèle qu’ils défendent. Une deuxième distorsion est imputable à certains intellectuels qui, en conférant aux expériences du logiciel libre une portée social générale, minimisent la spécificité d’un mouvement dont les enjeux sont – avant tout, bien que non exclusivement – internes au secteur informatique[15].

Ces théories « inspirées » du logiciel libre présentent des similitudes frappantes. Par-delà leurs champs d’application privilégiés, elles s’accordent pour voir la spécificité de notre période dans le développement de nouvelles formes de collaboration « intelligentes » médiatisées par Internet. À les suivre, les changements que connaît notre époque – qu’il s’agisse des mutations des formes de socialité, des bouleversements économiques, ou encore des nouvelles formes de l’engagement politique – seraient directement imputables à la nouvelle configuration sociotechnique, permettant de « mettre en réseau les cerveaux ». Ces changements seraient révélateurs d’une période de transition, entre une société industrielle mourante, et une société de « l’intelligence collective » propulsée par les nouvelles formes d’échange et de production de connaissances.

Si ces théories saisissent indéniablement un trait marquant de notre époque, elles semblent néanmoins pêcher par un certain réductionnisme. Elles présentent en effet une tendance à ramener des phénomènes hétérogènes à une grille d’explication unique, faisant fi des spécificités des différents domaines de la vie sociale. Elles tendent parfois aussi à occulter des traits particulièrement frappants de notre époque : montée inouïe des inégalités, déséquilibres écologiques, etc. On pourra ainsi regretter que le discours sur le partage de l’information ne s’accompagne que trop rarement d’un discours sur le partage des richesses, ou des ressources naturelles.

Bibliographie
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  • TAPSCOTT D. et WILLIAMS A. D., 2007, Wikinomics, Paris, Pearson Education France.

Notes

[1] Crédit photo : Woallance3 (Creative Commons By)

[2] L’arrivée de nouveaux acteurs industriels est symbolique de ces bouleversements. Un exemple emblématique est la création de la société Sun en 1982 par d’anciens étudiants de Stanford et de Berkeley. Celle-ci privatise en effet de nombreux logiciels du monde Unix

[3] Le « logiciel libre » s’oppose ainsi au « logiciel propriétaire ». On insistera sur le fait que c’est bien cette opposition qui est pertinente, et non l’opposition entre logiciel libre et logiciel commercial. Comme le répète souvent Richard Stallman, « "free software is a matter of liberty, not price. To understand the concept, you should think of "free speech, not "free beer" » (http://www.gnu.org/philosophy/free-sw.html).

[4] Comme son nom l’indique, « le noyau d’un système d’exploitation est le cœur du système, qui s’occupe de fournir aux logiciels une interface pour utiliser le matériel ». Source : Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Noyau_Linux.

[5] IBM, qui investit 100 millions de dollars par an pour le développement de Linux, estime qu’il lui faudrait un investissement dix fois supérieur pour développer seul un système d’exploitation équivalent (Tapscott et Williams, 2007, pp. 93 et 97).

[6] Par exemple, la formation aux logiciels libres, ou l’installation et la personnalisation de systèmes libres.

[7] Aujourd’hui, il est ainsi bien difficile de trouver un projet open source qui ne soit pas free software, et inversement. Les deux dénominations sont d’ailleurs le plus souvent employées indifféremment dans les médias. Dans le présent article, nous utilisons l’expression « logiciel libre » de façon générique, pour désigner à la fois les projets labellisés free software et les projets open source.

[8] Le développement de la suite logiciels VideoLAN, dont est issu le célèbre lecteur vidéo VLC, a été initié en 1995 par des élèves de l’École Centrale Paris (ECP). Depuis 2001, il s’agit d’un projet libre réalisé sous licence GPL, mené conjointement par des élèves de l’ECP et par des développeurs extérieurs.

[9] Il convient de préciser que le terme « hacker » n’est pas employé par l’auteur en son sens médiatique de « pirate informatique », mais bien en son sens originel, c’est-à-dire comme désignant tous les véritables passionnés d’informatique, et en premier lieu les partisans du logiciel libre.

[10] Ce terme, parfois proposé pour rendre compte du rapport des développeurs à leur travail, semble assez pertinent, dans la mesure où il rend compte du fait que les motivations des hackers sont essentiellement personnelles, mais néanmoins nullement réductibles à un simple calcul économique (Merten, 2002).

[11] Pekka Himanen s’inspire largement des analyses de Manuel Castells, qui a développé dès 1996 l’idée selon laquelle un nouveau modèle social serait en train d’émerger à partir d’Internet et de la figure du réseau. M. Castells est par ailleurs l’auteur de l’« épilogue » de l’ouvrage de P. Himanen.

[12] Citons par exemple André Gorz, pour qui « la communauté virtuelle, virtuellement universelle des usagers-producteurs de logiciels et de réseaux libres, instaure des rapports sociaux qui ébauchent une négation pratique des rapports sociaux capitalistes »(Gorz, 2003, p. 93).

[13] Ce choix de lecture se trouve corroboré par le faible nombre d’éléments factuels sur le logiciel libre présents dans l’ouvrage de Michael Hardt et Antonio Negri.

[14] Si l’on accepte l’analogie entre société et logiciel, on peut effectivement penser qu’une « démocratie open source » résoudrait nos problèmes sociaux plus efficacement que nos démocraties parlementaires, de la même façon que les logiciels libres s’avèrent souvent plus performants que les logiciels propriétaires…

[15] Précisons que si nous avons – pour la clarté de l’exposé – distingué ces deux types de discours, cette séparation n’a bien entendu rien d’étanche. Ainsi, les intellectuels fondant leur démarche théorique sur l’exemple du logiciel libre sont imprégnés d’un certain discours militant. On peut aussi remarquer qu’il y a déjà dans l’idéologie du Libre une tendance à vouloir accentuer la portée sociale du « modèle ouvert », tendance que certains intellectuels s’empressent ensuite de reprendre et de développer.




Montre-moi tes commentaires et je te dirai si tu es un bon développeur

Fraserspeirs - CC byEn programmation, les commentaires sont des portions du code source ignorées par le compilateur ou l’interpréteur, car ils ne sont pas nécessaires à l’exécution du programme, nous dit Wikipédia.

De fait ils sont le plus souvent utilisés pour expliquer le code, et contrairement à ce dernier qui nécessite un langage de programmation, les commentaires se font dans une langue humaine, généralement en anglais.

C’est une opération indispensable et une partie intégrante du travail du développeur, afin qu’un autre puisse comprendre et éventuellement modifier le code initial (quitte à ce que cet autre soit l’auteur même des commentaires, reprenant son code quelques temps plus tard).

De par le fait que sa nature en autorise l’accès et le ré-appropriation, on comprendra que ces commentaires soient encore plus importants dans le cas d’un logiciel libre.

Il se trouve cependant que, par paresse, manque de temps ou mépris pour ce qui ne serait pas de la programmation stricto sensu, ils sont parfois quelque peu négligés par les développeurs.

Or l’hypothèse défendue ici est qu’il y aurait une corrélation directe en la qualité des commentaires et la qualité du code.

Affirmer ainsi péremptoirement que l’un n’irait pas sans l’autre est somme toute assez osé. Mais cela a le mérite d’évoquer cette « face cachée » de la programmation qui fait aussi partie des compétences attendues d’un bon développeur[1].

Si les commentaires sont moches, le code est moche

If the comments are ugly, the code is ugly

Esther Schindler – 15 novembre 2009 – IT World
(Traduction Framalang : Goofy)

C’est un peu dur, je sais, mais finalement je crois que c’est vrai.

Le développeur de Plone Martin Aspeli m’a signalé un billet assez judicieux dans lequel un programmeur en C faisait part de trois règles apprises à ses dépens. Celle qui a particulièrement attiré l’attention de Martin (et la mienne) est la suivante :

Les bons programmes ne comportent aucune faute d’orthographe ni de faute de grammaire. Je pense que cela vient probablement d’une attention soutenue aux moindres détails ; dans les programmes excellents tout est correct à tous les niveaux, jusqu’aux points qui terminent les phrases de commentaires.

« Allez, tu charries ou quoi ? ». Vous pourriez croire que pinailler à ce point est indigne de vous, « Et bien je m’en vais commencer à vous signaler les erreurs dans votre code lui-même ». J’ai été bien embarrassé les deux ou trois fois où ça m’est arrivé.

La programmation, que vous la pratiquiez en enthousiaste de l’open source ou parce que vous êtes au service du patron, est un exercice qui exige de l’attention aux détails. Quiconque écrit un logiciel doit être pointilleux, sinon le code ne fonctionnera pas. Je suis sûre que je n’ai pas besoin de vous citer la série des célèbres bogues de programmation dont s’est rendu coupable un programmeur qui a utilisé une virgule et non un point, ou des plantages aléatoires provoqués par deux lignes de code placées au mauvais endroit ?

Il est possible que mon jugement soit faussé par mes fonctions d’écrivain et d’éditrice, mais je crois fermement que si vous ne pouvez pas trouver le temps d’apprendre les règles de syntaxe de la langue (y compris la différence entre « c’est » et « ces », ou encore « m’a » et « ma »), je ne crois pas que vous puissiez être beaucoup plus consciencieux pour écrire du code en respectant les bonnes pratiques. Si vos commentaires sont négligés, je m’attends à trouver du code négligé.

Mon postulat vient de ce que m’a enseigné un éditeur très brillant, il y a dix ans (Laton McCartney, si tu lis ça : merci !). Si tu peux écrire le chapeau, disait-il, tu peux écrire l’article très facilement. Si tu ne peux pas écrire le chapeau, c’est que tu ne comprends pas encore ce que tu veux dire, et tu ne devrais pas commencer à écrire (le « chapeau » est le petit paragraphe d’accroche qui suit le grand titre, qui dit en un mot de quoi il est question et invite gentiment le lecteur à en savoir plus). De filandreuses « explications » du code dans les commentaires de l’application (c’est-à dire, ceux qui se lisent comme de bonnes excuses) indiquent que le développeur ne savait probablement pas ce qu’il faisait au juste. Ce qui signifie que son code est éligible au titre de nid à bugs.

Se plaindre de la mauvaise documentation interne est un vieux refrain, mais il existe une raison pour laquelle il est important de la faire bien. Vos commentaires sont la seule façon dont vous disposez pour communiquer avec la prochaine personne qui regardera votre logiciel (il se peut même que ce soit vous) en profondeur, et pas juste une ligne ou deux. À quoi pensiez-vous en écrivant ce code ? D’accord, du code « auto-documenté » c’est l’idéal, mais c’est un peu arrogant de prétendre que vous l’avez atteint, et ça l’est tout autant de ma part si je prétends que mes phrases n’ont pas besoin d’être révisées (elles en ont besoin, je suis bien contente d’avoir un correcteur).

Un autre problème habituel dans la médiocrité des commentaires apparaît lorsque les développeurs mettent à jour le code sans mettre à jour les commentaires ; comme l’a expliqué un consultant, les commentaires ne sont pas testés. Mais est-ce qu’il ne s’agit pas là encore d’un manque d’attention aux détails ? À chaque fois que vous n’êtes pas totalement attentif, vous êtes prédisposé à laisser tomber un petit bout de logique.

Vous voulez quelques exemples ?

En voici un tiré d’une explication à propos d’un choix de conception. (« oui, je devine que c’était probablement intentionnel », a écrit le programmeur qui m’a montré cet exemple. « mais c’est bien là le problème : il faut que je devine ».)

 «... des questions prévues pour injustifier un débat...» 

Voici maintenant une authentique ligne de code avec un commentaire. Notez que le commentaire met l’accent sur la faute d’orthographe. Sans compter que le commentaire vous indique que le programmeur n’avait pas la moindre idée de ce qu’il faisait au départ. Particulièrement parce qu’il n’aurait pas dû écrire « finished » (NdT : fini) dans ce bout de code, mais qu’il aurait dû essayer « complete » (NdT : terminé).

 if item.getState() == 'finsihed': #est-ce correct? 

Bon, je vous accorde quelques exceptions. Si l’anglais n’est pas votre langue maternelle, il est possible que les commentaires que vous laissez dans votre code montrent que vous n’êtes pas à l’aise pour écrire en anglais. Cependant, en ce qui me concerne je n’ai pas trouvé que c’était le cas. Comme beaucoup d’Américains s’en sont rendu compte, les capacités en anglais des « étrangers » sont généralement bien meilleures que les nôtres. Parmi les développeurs que je connais, ceux qui ont des lacunes dans leur maîtrise de la langue anglaise en sont conscients et font tout leur possible pour qu’un anglophone passe en revue leur documentation.

Je ne me lancerai pas dans des considérations sur l’indentation du code et des commentaires, c’est une guerre de religions. Mais j’ai rencontré des développeurs qui réagissaient aussi violemment devant un formatage de code « moche » que moi devant une grammaire moche.

Les environnements de développement modernes procurent la discutable possibilité aux développeurs d’être négligents sans effets pervers ; une interface glisser-déposer vous permet de créer une application vite fait bien fait (ou plutôt mal fait, j’en ai peur) avec bien moins d’horribles dommages collatéraux qu’à l’époque où les logiciels étaient généralement écrits en assembleur. Pourtant, d’une certaine façon, j’ai du mal à considérer le « je peux être négligent » comme un avantage réel.

La règle du commentaire « moche » vaut autant pour les applications propriétaires que pour les logiciels open source. Mais les développeurs de FOSS (NdT : Free and Open Source Software, les logiciels libres et open source) doivent faire beaucoup plus attention encore pour deux raisons. La première, c’est qu’au bureau, vous avez de grandes chances de croiser le développeur du code mal fichu et de pouvoir lui poser des questions (ou de lui en coller une, si c’était vraiment horrible). De plus, dans la communauté open source, davantage de gens regardent dans le code et ont besoin de le comprendre.

Toutefois, lorsque j’ai suggéré à des développeurs que « si les commentaires sont moches, le code est moche », beaucoup n’étaient pas d’accord. Et vous non plus peut-être. J’aimerais savoir pourquoi, et je vous invite donc à laisser un… commentaire.

Notes

[1] Crédit photo : Fraserspeirs (Creative Commons By)




La guerre du Web, par Tim O’Reilly

Phault - CC byUn article majeur de l’un des gourous de la Toile, qui met le doigt là où ça peut faire bientôt très mal.

Hubert Guillaud, nous le présente ainsi sur l’agrégateur Aaaliens :

« Tim O’Reilly revient sur la guerre du Web : entre Facebook qui ne transforme par les liens en hyperliens, Apple qui rejette certaines applications menaçant son coeur de métier… Tim O’reilly répète depuis longtemps qu’il y a deux modèles de systèmes d’exploitation de l’Internet : celui de « l’anneau pour les gouverner tous » et celui des « petites pièces jointes de manières lâche », le modèle Microsoft et le modèle Linux.

Allons-nous vers le prolongement du modèle du Web interopérable ? Ou nous dirigeons-nous vers une guerre pour le contrôle du Web ? Une guerre des plateformes (Google, Apple, Facebook…) ? Il est temps pour les développeurs de prendre position : si l’on ne veut pas rejouer la guerre des PC ou celle des navigateurs, il faut prendre fait et cause maintenant pour les systèmes ouverts ! »

La guerre du Web aura-t-elle lieu ?[1] La réponse dépend aussi de la capacité qu’aura « la communauté du Libre » à diffuser et défendre ses valeurs et ses idées.

On notera au passage un étonnante prédiction finale sur Microsoft, notre futur allié de circonstance !

La guerre du Web

The War For the Web

Tim O’Reilly – 16 novembre 2009 – O’Reilly Radar
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler et Goofy)

Vendredi dernier, mon dernier message sur Twitter a également été publié automatiquement sur Facebook, comme d’habitude. À un détail près : le lien que contenait le message n’était plus actif, comme l’a remarqué Tom Scoville.

En fait, il est loin d’être le seul à l’avoir remarqué. Dès samedi matin, Mashable publiait un article à ce sujet : Facebook retire vos liens Twitter.

Si vous publiez des liens Web (Bit.ly, TinyURL) sur votre compte Twitter et que par le biais d’une application Twitter-Facebook vous les partagez également sur Facebook, ils perdent leur caractère d’hyperliens. Vos amis devront copier et coller l’adresse dans leur navigateur pour qu’ils fonctionnent.

Si Facebook tente d’améliorer son ergonomie, c’est une curieuse décision : il vaudrait mieux que ça soit juste un bogue, nous avons donc contacté Facebook pour en savoir plus. Toujours est-il que tout le site est affecté, et pas seulement vous.

Il se trouve que ce ne sont pas uniquement les liens postés depuis Twitter qui étaient affectés. Tous les liens externes ont été temporairement désactivés si les utilisateurs ne les avaient pas clairement ajoutés avec la fonction « Joindre ». Sur Facebook j’ai essayé de poster un lien direct vers ce blog dans mes nouveautés, mais le résultat est le même : les liens n’étaient plus automatiquement cliquables. Le premier lien de cet article renvoie à une image illustrant ma tentative.

Le problème a été rapidement résolu, les liens apparaissent à nouveau cliquables. On a dit que c’était un bogue, mais certains mettent évidemment cette explication en doute, surtout compte tenu des efforts de plus en plus visibles de Facebook pour prévenir les gens qu’ils quittent Facebook pour se rendre sur le grand méchant Internet.

Tout cela part d’un bon sentiment, je n’en doute pas. Après tout, Facebook met en place un meilleur contrôle de la vie privée, pour que les utilisateurs puissent mieux gérer la visibilité de leurs informations et la visibilité universelle qui fait loi sur le Web n’est pas forcément la mieux adaptée aux informations postées sur Facebook. Mais ne nous voilons pas la face : Facebook est un nouveau type de site Web (ou une ancienne version largement reliftée), un monde à part, avec ses propres règles.

Mais ça ne concerne pas que Facebook.

L’iPhone d’Apple est l’appareil connecté le plus à la mode et, comme Facebook, même s’il est connecté au Web, il joue avec ses propres règles. N’importe qui peut créer un site Web ou offrir une nouvelle application pour Windows, Mac OS X ou Linux, sans demander la permission à qui que ce soit. Vous voulez publier une application pour iPhone ? Il vous faudra obtenir l’approbation d’Apple.

Mais il y a une lacune flagrante : n’importe qui peut créer une application Web et les utilisateurs peuvent y accéder depuis leur téléphone. Mais ces applications connaissent des limitations : toutes les fonctionnalités du téléphone ne leur sont pas accessibles. HTML5 aura beau innover autant qu’il veut, les fonctionnalités principales du téléphone resteront hors de portée de ces applications sans la permission d’Apple. Et si l’on s’en réfère à l’interdiction de Google Voice sur iPhone il y a quelques temps, Apple n’hésite pas à interdire les applications qui menacent leur cœur d’activité et celui de ses partenaires.

Et ce n’est pas tout, une autre salve a été tirée contre les règles tacites d’interopérabilité du Web : Rupert Murdoch menace de retirer le Wall Street Journal de l’index de Google. Même si, de l’avis général, ce serait du suicide pour le journal, des voix contraires s’élèvent pour insister sur l’influence qu’à Murdoch. Pour Mark Cuban, Twitter a maintenant dépassé les moteurs de recherche pour ce qui est des informations en temps réel. Jason Calacanis va même plus loin, quelques semaines avant les menaces de Murdoch, il suggérait déjà que pour porter un gros coup à Google il faudrait que tous les groupes de radio/presse/télévision devraient bloquer Google et négocier un accord d’exclusivité avec Bing pour ne plus apparaître que dans l’index de Microsoft.

Évidemment, Google n’encaisserait pas sans broncher et signerait également des accords de son côté, on assisterait alors à une confrontation qui ferait passer la guerre des navigateurs des années 90 pour une petite bagarre de cours d’école.

Je ne suis pas en train de dire que News Corp et les autres groupes d’information devraient adopter la stratégie prônée par Jason, ni même qu’elle fonctionnerait, mais je vois une se profiler une période de concurrence meurtrière qui pourrait être très néfaste à l’interopérabilité du Web telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Si vous suivez mes commentaires sur le Web 2.0 depuis le début, vous savez que je pense que nous sommes engagés dans un projet à long terme dont la finalité est le système d’exploitation Internet (jetez un œil au programme de la O’Reilly Emerging Technology Conference de 2002 (pdf)). Je soutiens depuis des années qu’il y a deux modèles de systèmes d’exploitation, que je décris comme "Un anneau pour les gouverner tous" et "Des petits morceaux faiblement coordonnés", ce dernier étant illustré par une carte d’Internet.

Dans le premier : malheur au vaincu, c’est le monde que nous avons connu avec Microsoft Windows et le PC, un monde où priment la simplicité et l’accessibilité, mais où le choix de l’utilisateur et du développeur sont réduits au bon vouloir du fournisseur de système d’exploitation.

Le second est une système d’exploitation qui fonctionne comme Internet lui-même, comme le Web et comme les systèmes d’exploitation Open Source comme Linux : un monde certes moins raffiné, moins contrôlé, mais un monde qui est par essence novateur car chacun peut apporter ses idées sans avoir à demander la permission à qui que ce soit.

J’ai déjà expliqué les tentatives des grands pontes comme Facebook, Apple et News Corp de grignoter le modèle « des petits morceaux faiblement coordonnés » de l’Internet. Mais peut-être que le plus grand danger réside dans les monopoles qu’a engendré l’effet réseau du Web 2.0.

Je ne cesse de répéter, à propos du Web 2.0, qu’il s’appuie sur un système auto-entretenu : plus il y a d’utilisateurs, plus l’expérience est intéressante. C’est un système qui tend naturellement vers des monopoles.

Nous nous sommes donc habitués à un monde où un seul moteur de recherche domine, où une seule encyclopédie en ligne domine, un seul cyber-marchand, un seul site d’enchères, un seul site de petites annonces dominent, et nous avons été préparés à un monde où un seul réseau social dominera.

Mais qu’advient-il lorsqu’une de ces entreprises, profitant de son monopole naturel, tente de dominer une activité connexe ? C’est avec admiration et inquiétude que j’ai observé Google utiliser sa mainmise sur la recherche pour tenter d’étendre son emprise sur d’autres activités concentrées sur les données. Le service qui m’a mis la puce à l’oreille était la reconnaissance vocale, mais c’est vraiment les services de géolocalisation qui ont eu le plus gros impact.

Il y a de cela quelques semaines, Google a lancé une application de navigation GPS gratuite pour les téléphones Android. Pour les clients c’est génial puisque auparavant ils devaient opter pour un GPS dédié ou des applications pour iPhone hors de prix. Mais il faut aussi y voir la compétitivité que le Web a acquise et la puissance que Google a gagnée en comprenant que les données sont le nouveau "Intel Inside" de la nouvelle génération d’applications pour ordinateurs.

Nokia a allongé 8 milliards de dollars pour NavTeq, leader de la navigation routière. Le fabricant de GPS TomTom a quant à lui payé 3,7 milliards de dollars pour TeleAtlas, numéro deux du secteur. Google développe un service équivalent dans son coin pour finalement l’offrir gratuitement… mais à ses seuls partenaires. Tous les autres doivent encore payer de lourdes redevances à NavTeq et TeleAtlas. Google va même plus loin puisqu’il y ajoute ses propres services, comme Street View.

Mais surtout, les camps sont maintenant bien établis entre Apple et Google (ne ratez pas l’analyse de Bill Gurley à ce sujet). Apple domine l’accès au Web mobile avec son appareil, Google contrôle l’accès à l’une des applications mobiles les plus importantes et limite son accès gratuit aux seuls terminaux Android pour l’instant. Google ne fait pas des merveilles que dans le domaine de la recherche, mais aussi en cartographie, en reconnaissance vocale, en traduction automatique et dans d’autres domaines adossés à des bases de données intelligentes phénoménales que seuls quelques fournisseurs peuvent s’offrir. Microsoft et Nokia disposent également de ces atouts, mais eux aussi sont en concurrence directe avec Apple et, contrairement à Google, leur économie repose sur la monétisation de ces atouts, pas sur la gratuité du service.

Il se peut qu’ils trouvent un moyen de co-exister pacifiquement, et dans ce cas nous pourrions continuer à jouir du Web interopérable que nous connaissons depuis deux décennies. Mais je parierais plutôt sur l’effusion de sang. Nous sommes à la veille d’une guerre pour le contrôle du Web. Au fond, c’est même plus que ça, c’est une guerre contre le Web en tant que plateforme interopérable. Nous nous dirigeons plutôt vers la plateforme Facebook, la plateforme Apple, la plateforme Google, la plateforme Amazon, les grandes entreprises s’étripant jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une.

C’est maintenant au développeur de s’affirmer. Si vous ne voulez pas voir l’histoire se répéter comme pour les PC, pariez sur les systèmes ouverts. N’attendez pas qu’il soit trop tard.

PS : Une prédiction : Microsoft sera le grand défenseur du Web ouvert, encourageant l’interopérabilité des services Web, tout comme IBM est devenu l’entreprise soutenant le plus Linux.

Je parlerai de ce sujet lors de mon discours d’introduction à la Web 2.0 Expo à New York mardi. J’espère vous y rencontrer.

Notes

[1] Crédit photo : Phault (Creative Commons By)




MiMOOo ou la migration OpenOffice.org de l’administration publique en questions

MimOOo Box« MiMOOo » vous connaissiez ? Nous non plus ! Cherchons alors ensemble à en savoir davantage, parce que cela en vaut la peine…

MiMOOo est l’acronyme de ce qui se présente comme un beau projet institutionnel français signifiant Mutualisation interMinistérielle pour OpenOffice.org.

Laissons une Sophie Gautier enthousiaste nous le présenter plus avant sur son blog : « MiMOOo ou quand l’administration s’organise comme l’open source ! Ce groupe de travail interministériel a mis en place une véritable stratégie de migration à OOo. Depuis un peu plus d’un an, les différents ministères se rencontrent régulièrement pour définir des statégies communes, partager outils et problématiques. S’inspirant des techniques de mise en commun des projets de développement, MiMOOo a ainsi optimisé sa migration à travers le partage des expériences et des savoirs ».

Cette citation date d’avril 2007. On peut donc en déduire que Mimoo existe depuis au moins avril 2006, c’est-à-dire depuis un certain temps déjà.

Hypothèse corroborée par cette dépêche tout aussi enthousiaste de LinuxFr du mois de septembre 2006, titrée La plus grosse migration OpenOffice.org au monde : 400 000 postes dans l’administration française, et ainsi présentée : « Courant 2007, l’administration centrale française (essentiellement les ministères) va voir 400 000 de ses postes informatiques migrer vers la suite bureautique OpenOffice.org et le format ouvert OpenDocument, ce qui constitue actuellement la plus grosse migration vers OpenOffice.org au monde. Le groupe de travail interministériel responsable de ce déploiement met à disposition des administrations de nombreux outils : cédérom interministériel d’installation d’OpenOffice.org[1], mallette pédagogique, formation en ligne, pack de communication, outils d’accompagnement, mémentos, guide, etc. »

On retrouve donc notre groupe de travail interministériel. Mais problème : les deux principaux liens proposés par la dépêche (Le programme de migration et Communauté assistance OpenOffice.org) sont aujourd’hui inaccessibles.

MiMOOo en (toute) discrétion

Parce qu’il se trouve justement que malgré son bel âge nous ne disposons aujourd’hui que de trop rares et déjà anciennes informations publiques sur le projet.

Il ne subsiste en effet aujourd’hui qu’un petit encart dans une brochure sur la modernisation de l’État (page 2 – avril 2007), mais surtout cet article de présentation, sur le site gouvernemental des Ateliers de la modernisation, dont le titre interpelle par son optimisme (alors que la dernière mise à jour date de septembre 2006) : Poste de travail : les clés d’un projet réussi.

Article qui vient confirmer les informations précédentes avec des citations comme : « Le projet de par sa nature induisait une démarche de mutualisation. En effet, la notion de logiciel libre est étroitement liée à un idée de partage des ressources, des connaissances : un état d’esprit qui se prête au travail collaboratif. »

Et depuis plus rien. Point de bilan et perspectives à l’instant t et aucune trace des « cédérom interministériel d’installation, mallette pédagogique, formation en ligne, pack de communication, outils d’accompagnement, mémentos, guide, etc. ».

Alors, trois ans plus tard, où en sommes-nous ? Telle est la légitime question qui en appelle plusieurs autres dans le détail.

Cette absence d’informations publiques signifie-t-elle qu’à ce jour le groupe hiberne et que la migration OpenOffice.org est au point mort dans l’administration publique ?

Assurément non. Elle signifie simplement que nous les administrés ne sommes pas en mesure d’évaluer les avancées du projet. Elle signifie également que nous ne pouvons profiter des documents produits pour l’occasion sur OpenOffice.org, rétention dont nous ne sommes pas habitués lorsqu’il s’agit de logiciel libre. Elle signifie enfin que la collaboration avec la communauté francophone d’OpenOffice.org a dû être si ce n’est nulle tout du moins fortement limitée.

MiMOOo en réunion

Nous pouvons de plus affirmer que MiMOOo est une cellule toujours active.

En effet nous savons, de « source autorisée », que le groupe s’est réuni le 19 mai dernier. Lors de cette réunion, étaient présents des représentants des ministères suivants :

  • Le ministère de l’Économie et du Budget
  • Le ministère de l’Intérieur
  • Le ministère de la Justice
  • Le ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche
  • Le ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer
  • La Gendarmerie Nationale
  • Les services du Premier ministre
  • La Caisse nationale des allocations familiales
  • L’Assemblée Nationale
  • L’École nationale d’administration

On remarquera quelques grands absents, à commencer par le ministère de… l’Éducation nationale ! On aurait pu s’attendre en effet à ce que ce ministère y siège en bonne place et y envoie un représentant compétent en la matière, ce dont la maison ne manque pas.

MiMOOo en question(s)

À partir de là, voici une liste non exhaustive de quelques questions que nous aimerions poser avant tout au groupe de travail MiMOOo, mais également à l’Éducation nationale, en passant par le personnel administratif et l’équipe francophone d’OpenOffice.org,

N’y voyez surtout pas un nouvel avatar de « la dictature d’Internet » qui souhaite mettre son nez partout. Et nous comprenons fort bien que certaines informations n’aient pas vocation ni intérêt à être diffusées publiquement. Nous, simples citoyens (et contribuables) en appelons juste à plus de transparence, puisque ce projet concerne l’administration publique en route vers une migration massive en logiciel libre et format ouvert.

Questions à MiMOOo
  • Quelle est la composition de ce groupe et sa gouvernance ? De quel département ce groupe est-il l’émanation ?
  • Quelles sont ses prérogatives ? Est-il uniquement consultatif ? Est-il décisionnel au niveau des plans d’équipement et/ou de formation ?
  • Qui sont les destinataires de ses conclusions ?
  • Qui contacter pour obtenir des renseignements sur les travaux de ce groupe ?
  • Y a-t-il eu d’autres réunions depuis ? Quelle est la fréquence de ces réunions ?
  • Pourquoi MiMOOo ne publie-t-il pas ses comptes rendus et ses débats en ligne ?
  • Qu’en est-il aujourd’hui de cet ambitieux objectif de 400 000 postes sous OpenOffice.org affiché en 2006 ?
  • Concerne-t-il toutes les administrations ou bien uniquement celles présentes à la réunion ?
  • Qu’en est-il aujourd’hui de cette autre volonté affichée en 2006, celle de « migrer vers le format OpenDocument » ?
  • MiMOOo a-t-il eu, ou tenté d’avoir, une influence quelconque dans l’élaboration de la toute récente nouvelle version du Référentiel général d’interopérabilité qui, d’après l’April, « sème la confusion en préconisant deux formats bureautiques concurrents » ? (cf le communiqué de l’April : RGI : le cadeau de François Fillon à Microsoft)
  • Pourquoi un certain nombre de ressources créées en interne ne seraient-elles pas rendues publiques si elles sont susceptibles de profiter à toute la communauté ?
Question au personnel des ministères
  • Avez-vous vu passer MiMOOo dans votre service ? Si oui, dans quelles conditions (formation, accompagnement, documentation…) ?
  • Faites-vous partie des 400 000 postes qui ont migré vers OpenOffice.org ?
Questions à l’Éducation nationale
  • Qui est le représentant MiMOOo du ministère de l’Éducation Nationale ? Comment le contacter ?
  • De quels mandats ce représentant a-t-il été chargé par son ministère de tutelle ?
  • Fait-on une distinction entre la migration de l’informatique pédagogique (les postes des élèves et des enseignants) et la migration de l’informatique administrative (les postes de la direction, de l’intendance, etc.) ?
  • L’absence remarquée à la réunion du 19 mai est-elle ponctuelle ou permanente ?
Questions à OpenOffice.org
  • Quelle relation le projet francophone OpenOffice.org entretien-t-il avec MiMOOo ?
  • Le projet francophone OpenOffice.org offre-t-il assistance et expertise à MiMOOo ? Intervient-il dans les réunions, les formations ?
  • En retour, MiMOOo (que l’on peut assimiler ici à un « grand compte public ») fait-il remonter les remarques, avis, critiques, problèmes rencontrés lors du déploiement ? Donne-t-il accès aux ressources évoquées ?
Question à la cantonade
  • Est-il normal qu’une structure telle que MiMOOo, pour rappel composée exclusivement de fonctionnaires, soit si discrète dans son action, sa communication et la diffusion de ses ressources créées en interne ?

En espérant, sait-on jamais, que tout ou partie des questions trouveront réponse dans les commentaires. Parce que « la plus grosse migration OpenOffice.org au monde » mérite certainement plus que cela, c’est-à-dire pour le moment une seule page Web mise à disposition.

Edit du 16 novembre : 24h après la mise en ligne de ce billet est apparu un article MiMOOo sur Wikipédia qui répond à bon nombre des questions ! Merci pour cette excellente et originale initiative.

Notes

[1] C’est l’image virtuelle de la boîte de ce cédérom qui sert d’illustration à ce billet.




Viol de la licence GPL : Microsoft s’excuse et fait profil bas

Miss Rogue - CC by-saLa semaine dernière Microsoft a dû retirer de ses serveurs un logiciel qui permet d’installer Windows 7 à partir d’une image ISO, après qu’un bloggeur a découvert que le logiciel était une modification dissimulée d’un logiciel libre sous licence GPL dont Microsoft hébergeait lui-même les sources.

On attendait une réaction publique et officielle, la voici sous la plume de Peter Galli, rien moins que le « Open Source Community Manager for Microsoft’s Platform Strategy Group »[1].

Mise à jour de l’outil USB/DVD de Windows 7

Update on the Windows 7 USB/DVD Tool

Peter Galli – 13 novembre 2009 – Port 25
(Traduction Framalang : Gilles)

Comme vous avez pu le lire, et tel que cela a été indiqué ici, nous avons mené une enquête concernant l’outil de d’installation de Windows 7 depuis une clé USB, qui pouvait contenir du code sous licence GPL V2. le WUDT (NDT : Windows 7 USB/DVD Download Tool) est un outil gratuit, offert par le Microsoft Store, qui permettait à nos clients de créer une clé USB amorçable ou un DVD de sauvegarde à partir de l’édition électronique de Windows 7, disponible sous forme d’image ISO.

Après avoir analysé le code en question, nous sommes désormais en mesure de confirmer que tel était bien le cas, bien que cela n’ait pas été fait de manière délibérée. Bien que nous ayons confié cet outil à un développeur externe, nous partageons la responsabilité de cette situation; ce code est passé au travers des mailles de notre processus de revue de code. Nous avons également procédé à une revue d’autres portions de code disponibles dans le Microsoft Store, et il s’agit du seul incident que nous avons pu y découvrir.

Lorsqu’il est porté à notre attention qu’un composant de Microsoft contient du code développé par un tiers, notre objectif est de respecter les termes contractuels selon lesquels ce code est partagé. En conséquence, nous publierons le code source, ainsi que les fichiers binaires, de cet outil dès la semaine prochaine, sous les termes de la licence General Public Licence V2 (GPL V2), et prenons également des mesures pour améliorer nos futures revues de code, grâce à cette expérience

Nous nous excusons auprès de nos clients pour tout désagrément que cela a pu leur causer.

Notes

[1] Crédit photo : Miss Rogue (Creative Commons By-Sa)




Méfions-nous du Fauxpen Source !

Stevoarnold - CC byEt si le plus grand danger qui guettait désormais le logiciel libre n’était pas exogène mais endogène ?

Si, comme le pensent certains, ce n’était plus le logiciel propriétaire qui menace, mais une dilution des valeurs et de la culture du logiciel libre dans une soupe open source de… confusion et d’opacité, au grand dam de l’utilisateur qui ne serait plus alors acteur potentiel d’une communauté ?

On aurait même inventé une expression pour caractériser ces logiciels aux processus de développement privés et fermés qui, et je caricature à dessein[1], finissent par n’avoir d’open source que la licence : les « fauxpen source ».

Personnellement j’aime beaucoup ce néologisme. Il a été inventé par Phil Marsosudiro le 2 mai 2009 au cours d’une soirée (arrosée ?) quelque part en Caroline du Nord. Comment le sais-je ? Parce que je me suis rendu sur le site, ou plutôt la page, fauxpensource.org pardi !

Et il est repris ici par Matt Asay[2] dont je ne partage pas forcément l’optimisme (et les contradictions) mais qui évoque une problématique dont nous n’avons pas fini d’entendre parler.

Quand l’open source ne l’est pas assez (open)

When open source isn’t (open enough)

Matt Asay – 10 novembre 2009 – CNET News (The Open Road)
(Traduction Framalang : Yonnel et Cheval boiteux)

Certains logiciels open source ne sont peut-être pas assez ouverts. Alors que « open source » fait référence à la licence sous-jacente au logiciel et à son adhésion à la définition de l’open source, on trouve de nombreux exemples de projets open source qui offrent une licence ouverte mais un processus de développement relativement fermé.

On a appelé cela « fauxpen source », ou pire encore, mais nous devons peut-être nous y habituer. Cela semble être la nouvelle norme du développement open source. Seules les fondations open source comme Eclipse, Apache Software Foundation et Mozilla semblent en mesure d’y échapper totalement.

Java est souvent cité comme exemple emblématique de « fauxpen source ». Lundi, le directeur technique de SAP, Vishal Sikka, a appelé de ses vœux un processus plus ouvert pour le développement de Java, mettant en avant que Sun exerce un contrôle trop strict sur le développement de Java. C’est un reproche qui mine la communauté Java depuis des années.

Et Java n’est pas le seul. Si Google s’attire les compliments pour ses investissements dans l’open source, certains n’hésitent pas à prétendre que Google garde une communauté Android fermée. Le même genre de plaintes a vu le jour à propos de la gestion de Chrome et de Chrome OS.

Même Red Hat, la quintessence des entreprises open source, est d’abord connue pour ce qu’elle distribue, pas pour ce qu’elle développe. Red Hat, bien sûr, travaille aux côtés d’IBM et d’autres développeurs salariés ou indépendants à l’écriture du noyau Linux, et publie scrupuleusement ses logciels sous licences open source. Mais lorsqu’il s’agit du développement de sa distribution Red Hat Enterprise Linux, de son middleware JBoss ou d’autres technologies (par ex. KVM), bonne chance si vous voulez trouver des contributions externes significatives.

MySQL ? C’est grosso modo la même chose. L’entreprise (maintenant Sun Microsystems) fait virtuellement tous ses développements en interne, ce qui est vrai pour chaque entreprise privée open source qui me vient en tête. C’est une des raisons pour lesquelles Richard Stallman n’a pas à rougir de s’inquiéter de l’avenir de MySQL, même si c’est sa licence GPL préférée qui est utilisée.

La source est peut-être open, mais le processus pas nécessairement.

Il y a de très bonnes raisons pour que Google, Red Hat, MySQL et d’autres agissent de la sorte sur leurs efforts de développement open source. Ils sont responsables, fiscalement et légalement, devant leurs clients, et doivent être en capacité de garantir qualité et sécurité. On peut comprendre qu’ils exercent un certain contrôle pour s’assurer que les produits qu’ils distribuent protègent l’intégrité de leur marque.

Toutefois ceci témoigne d’un réel fossé entre « l’open source » en tant que licence et « l’open source » en tant que mode de développement et de distribution de logiciels complètement transparent. Le premier modèle est simple à mettre en place, le second beaucoup moins et demande une réelle volonté de la part de l’éditeur.

Les entreprises qui semblent mieux réussir sont celles qui ne comptent pas sur un retour sur investissement direct avec les logiciels libres. En d’autres termes, si vous ne vendez pas de l’open source, il est plus facile d’être ouvert. Doc Searls exprime cela de manière tout à fait pertinente quand il dit que « vous gagnez de l’argent grâce à (l’open source), pas de l’open source ».

Les exemples ne manquent pas. IBM en est un, Google également, bien que je sois d’accord avec ceux qui le critiquent car il peut assurément mieux faire. On peut également citer Facebook, Oracle et quelques autres.

À l’avenir, je pense que nous allons voir cette « fauxpen source » décliner, les entreprises séparant clairement leurs efforts dans l’open source et leurs modèles de ventes. L’open source peut offrir une plate-forme directe de gains, mais ce n’est pas le meilleur moyen pour véritablement générer de l’argent. Pas pour la plupart des entreprises en tout cas.

Notes

[1] Crédit photo : Stevoarnold (Creative Commons By)

[2] Pour un aller plus loin on pourra parcourir ce billet similaire de Philippe Scoffoni que je découvre à l’instant. Il y évoque « l’open source Canada Dry » et la tentation d’un « open source washing ». Extrait : « Faire de l’open source en mode licence est relativement facile alors que le faire en mode communautaire est une tout autre chose (…) les éditeurs qui font le choix de l’open source pour la licence cherchent donc avant tout à profiter de l’effet de mode et à monétiser ce qui apparaît aujourd’hui comme un avantage concurrentiel par rapport au modèle propriétaire ».




Educatice 2009 : Demandez le programme libre, avec Jean-Pierre Archambault

Styeb - CC by-saJean-Pierre Archambault œuvre depuis des années pour le logiciel libre à l’école, contribution au pluralisme technologique..

Il ne le fait pas « de l’extérieur », en se contenant de chausser ses gros sabots pour crier haro sur le baudet dans un blog (suivez mon regard !).

Il le fait « de l’intérieur » et par petites touches, au sein même des arcanes de l’Éducation nationale, dans le cadre de l’accord signé en octobre 1998 par le Ministère de l’Education nationale et l’AFUL, ce qui suppose patience, tactique et diplomatie.

Avec le temps c’est toute une petite équipe qui s’est agrégée autour de lui : le pôle de compétences logiciels libres du SCEREN, qui a pris la bonne habitude de venir chaque année nombreux représenter dignement le logiciel libre au Salon Educatec-Educatice (manifestation parallèle au Salon de l’Education mais réservée aux professionnels de l’éducation).

L’occasion était belle pour rencontrer Jean-Pierre Archambault[1], lui demander le programme 2009 de cette manifestation (du 18 au 20 novembre à Paris) et en profiter au passage pour évoquer le situation actuelle du libre dans l’éducation.

Rencontre avec Jean-Pierre Archambault

CNDP-CRDP de Paris, coordonnateur du pôle de compétences logiciels libres du SCEREN


Comme chaque année depuis 2004, le pôle de compétences logiciels libres du SCEREN sera présent au salon Educatec-Educatice.

Oui. Les organisateurs de ce salon ont toujours considéré comme allant de soi, dans leur vision marquée du sceau du pluralisme, qu’il devait y avoir une composante libre dans leur manifestation consacrée à l’informatique pédagogique dans toute sa diversité. Je tiens à les en remercier à nouveau.

Cette année, nous organisons une table ronde – conférence « Logiciels et ressources libres pour l’éducation ». Elle se déroulera le jeudi 19 novembre, de 15h45 à 17h15 en salle 1. Nous ferons un état des lieux en termes de solutions et ressources utilisées. Nous verrons les coopérations de l’institution éducative avec les associations, les collectivités locales et les entreprises. Nous verrons également en quoi le libre est la réponse appropriée à la question de « l’exception pédagogique ».

Nous participerons à deux autres tables rondes : « L’Ecole numérique, de la théorie à la pratique », le mercredi 18 novembre, de 14h à 17h15, en salle 3 ; et « CRDP : valoriser la diffusion multi-support des documents éditoriaux », le jeudi 19 novembre, de 9h30 à 11h, en salle 3[2].


Et il y a bien sûr le village du pôle dont j’ai le souvenir, les années où je suis venu à Educatice, qu’il était une véritable « ruche ».

Ce village s’inscrit dans la mise en oeuvre de l’une des missions du pôle, à savoir fédèrer les initiatives, les compétences et les énergies, ce qui l’amène à coopérer avec de nombreux acteurs, institutionnels ou partenaires de l’Education nationale, ainsi les collectivités locales, les entreprises, les associations.

Le village accueillera différents exposants, institutionnels et associatifs. Le CRDP de Lyon présentera OSCAR, lauréat aux Trophées du libre 2009, un ensemble d’outils qui permet aux administrateurs réseaux d’installer et de gérer facilement une salle informatique. Le CRDP de Paris présentera lui ses différentes activités en matière de logiciels et de ressources libres : partenariats éditoriaux avec Sésamath, réalisation de clés USB, démonstration de Freemind… La présence du CDDP de Seine-Maritime sera centrée sur l’opération du Conseil général qui a consisté à doter tous les collégiens du département d’un bureau virtuel.

Le Réseau Ecole et Nature, dont le but est de développer l’éducation à l’environnement, fera visiter son site réalisé à partir de logiciels libres, et qui vient de faire peau neuve. On connaît bien Sugar, plate-forme pédagogique libre, née du projet One Laptop Per Child (OLPC). Aujourd’hui utilisée sur le XO par plus d’un million d’enfants dans le monde entier, elle sera sur le village.

Les visiteurs pourront faire connaissance avec la toute jeune association EducOoo (un an juste), liée au projet OpenOffice.org Éducation. Elle sert de ressource et vise à faciliter la mise en place et l’accompagnement de projets entre OpenOffice.org et le monde de l’enseignement.

Les visiteurs pourront mieux connaître deux chaînes éditoriales libres, La Poule ou l’Oeuf et Scenari. La Poule ou l’Œuf est une chaîne éditoriale Web dédiée à l’édition de documents longs (monographies, cours, mémoires, thèses, actes…), à destination électronique aussi bien que papier. Elle s’adresse à toute institution éditrice de contenus académiques pour une production structurée sémantiquement et intégrée au réseau, en vue d’une exploitation dynamique et évolutive des savoirs. Scenari, elle, est une chaîne éditoriale générique, basée sur la séparation des formats de stockage et des formats de publication : les formats de stockage décrivent la structure du fonds documentaire et les formats de publication la forme physique du document vue par l’utilisateur.

Seront également présents l’AFUL (Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres) et Scidéralle (les logiciels du Terrier, AbulÉdu, AbulEduLive…).


Educatice est un moment important de l’année scolaire pour le pôle de compétences logiciels libres du SCEREN.

Effectivement. Il s’inscrit aussi dans ce qui est la mission première du pôle qui est d’informer la communauté éducative, afin d’aider les uns et les autres à faire leurs choix. Les modalités sont diverses : organisation et/ou participation à des journées, séminaires, colloques, salons mais aussi textes et articles. Les initiatives sont multiples. Pour les dernières années scolaires, on peut mentionner, entre autres : depuis 2000, la présidence du cycle Education du salon Solutions Linux ; Paris Capitale du Libre ; le Forum Mondial du Libre ; les journées Autour du libre coorganisées par le CNDP et les ENST ; les colloques et séminaires d’ePrep ; les Rencontres de l’Orme, les Trophées du libre ; la Semaine de la Science ; les Rencontres mondiales des logiciels libres…


Comment ces actions d’information sont-elles reçues ?


En général très bien ! Il faut dire qu’est tellement évidente la convergence entre les principes du libre et les missions du système éducatif, la culture enseignante de libre accès à la connaissance et de sa diffusion à tous, de formation aux notions et non à des recettes. L’enseignement requiert la diversité des environnements scientifiques et techniques. La compréhension des systèmes suppose l’accès à leur « secret de fabrication ». Des formes de travail en commun des enseignants, de travail et d’usages coopératifs supposent des modalités de droit d’auteur facilitant l’échange et la mutualisation des documents qu’ils produisent. Du côté des usages éducatifs des TIC, on retrouve l’approche du libre, notamment ses licences GPL ou Creative Commons.

Il faut cependant ajouter qu’informer sur le libre, dans un esprit de diversité scientifique et technologique, ne fut pas toujours un « long fleuve tranquille ». Dans l’éducation comme ailleurs, il y a une pluralité de points de vue. Mais les choses sont entendues, depuis un certain temps déjà : le libre est sans conteste une composante à part entière et de premier plan de l’informatique pédagogique.


Peux-tu nous rappeler le contexte institutionnel ?

Créé en 2002, regroupant aujourd’hui vingt-trois CRDP, le pôle de compétences logiciels libres du SCÉRÉN est à la fois une structure de réflexion et d’action. Il a pris le relais de la Mission veille technologique à qui la direction générale du CNDP avait confié, dès 1999, le pilotage du « chantier » des logiciels libres, dans le contexte institutionnel éducatif défini, en octobre 1998, par un accord-cadre signé entre le Ministère de l’Éducation nationale et l’AFUL. Cet accord, régulièrement reconduit depuis lors, indiquait qu’il y a pour les établissements scolaires, du côté des logiciels libres, des solutions alternatives de qualité et à très moindre coût aux logiciels propriétaires, dans une perspective de pluralisme technologique. Et depuis plus de dix ans, les différents directeurs généraux qui se sont succédé à la tête du CNDP ont accordé une attention particulière au dossier des logiciels libres.


Quel est l’accueil du côté des collectivités locales ?

Bon également. Il y a des enjeux financiers, la question étant moins celle de la gratuité que celle du caractère « raisonnable » des coûts informatiques. Comme le dit François Elie, président de l’Adullact (Association pour le développement des logiciels libres dans l’administration et les collectivités territoriales), un logiciel est gratuit une fois qu’il a été payé et l’argent public ne doit servir qu’une fois pour payer un logiciel.

Les logiciels libres permettent de réduire d’une manière très significative les dépenses informatiques dans le système éducatif. Les collectivités locales sont de plus en plus sensibles à cet aspect des choses, notamment pour le poste de travail avec la suite bureautique OpenOfice.org. La licence GPL permet aux élèves, et aux enseignants, de retrouver à leur domicile leurs outils informatiques, sans frais supplémentaires et en toute légalité. Concernant les ENT, la région Ile-de-France va déployer une solution libre.


Et les ressources pédagogiques ?

Dans l’éducation, le libre c’est le logiciel mais également (et peut-être surtout) les ressources pédagogiques. Dans ce domaine, le « vaisseau-amiral » est l’association Sésamath[3]. Les lecteurs de Framasoft étant très bien informés des multiples activités de cette association remarquable, nous rappellerons qu’elle a eu un Prix de l’UNESCO en 2007 et qu’elle édite (en partenariat avec un éditeur privé) des manuels scolaires pour le collège qui connaissent un franc succès, et bientôt pour les CPGE (Classes préparatoires aux grandes écoles).


On sait que le numérique et les réseaux ont plongé l’édition scolaire (et l’édition en général) dans une période de turbulences. D’un côté, Sésamath met librement et gratuitement ses réalisations pédagogiques sur la Toile. De l’autre, elle procède à des coéditions, à des prix « raisonnables », de logiciels, de documents d’accompagnement, de produits dérivés sur support papier avec des éditeurs, public (les CRDP de Paris et de Lille) et privé, à partir des ressources mises en ligne sur la Toile. Le succès est au rendez-vous. La question est posée de savoir si ce type de démarche préfigure un nouveau modèle économique de l’édition scolaire, dans lequel la rémunération se fait sur le produit papier, sur le produit dérivé, le produit hybride et par le service rendu.


Des enjeux de société aussi


Oui, comme l’ont montré les vifs débats qui ont accompagné la transposition par le Parlement en 2006 de la directive européenne sur les Droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI) et plus récemment à propos de la loi Hadopi.

John Sulston, prix Nobel de médecine, évoquant en décembre 2002 dans les colonnes du Monde Diplomatique les risques de privatisation du génome humain, disait que « les données de base doivent être accessibles à tous, pour que chacun puisse les interpréter, les modifier et les transmettre, à l’instar du modèle de l’open source pour les logiciels ». Il existe une transférabilité de l’approche du libre à la réalisation des biens informationnels en général.

La question est donc posée de savoir si le modèle du libre préfigure des évolutions majeures en termes de modèles économiques et de propriété intellectuelle. Le logiciel libre est un « outil conceptuel » pour entrer dans les problématiques de l’économie de l’immatériel et de la connaissance. Incontournable pour le citoyen. Or l’on sait que l’une des trois missions de l’Ecole est de former le citoyen !

En guise de conclusion

Je voudrais profiter de cet interview pour remercier l’association Framasoft pour la place qu’elle occupe dans le paysage éducatif et culturel, et le rôle qu’elle y joue, la qualité de sa réflexion, son attachement au bien commun et au pluralisme.

Et puis, rendez-vous au salon Educatice. Pré-enregistrement sur le site d’Educatec-Educatice avec demande de badge d’accès gratuit.

Notes

[1] Crédit photo : Styeb (Creative Commons By-Sa)

[2] Signalons que Jean-Pierre Archambault, cette fois-ci avec sa casquette de président de l’EPI, animera également une table ronde, le vendredi 20 novembre de 11h15 à 12h45, « Un enseignement de l’informatique au lycée », avec Gérard Berry, Professeur au Collège de France, membre de l’Académie des Sciences, Gilles Dowek, Professeur d’informatique à l’École Polytechnique et Pierre Michalak, IA-IPR de l’Académie de Versailles. Thème souvent évoqué dans le Framablog.

[3] Remarque : Sésamath sera non seulement présent à Educatice mais également au Salon de l’Éducation, stand CE40.