Open Education avec les professeurs Mozilla et Creative Commons

Lepiaf.geo - CC byVoici une excellente nouvelle (que vous ne trouverez pas dans le Café Pédagogique) : l’annonce d’un prochain séminaire de cours en ligne autour de « l’Open Education », réalisé conjointement par les deux poids lourds du « mouvement du Libre » que sont Mozilla et Creative Commons.

Ce concept « d’Open Education » demeure un peu flou (Wikipédia a encore du mal à le définir, c’est vous dire), mais ce sera justement l’occasion de le préciser. Disons qu’il regroupe non seulement les Ressources Éducatives Libres que la technologie associée (logiciels libres, formats ouverts…), sans oublier les modes collaboratifs de production.

Il sera destiné à tout éducateur intéressé par le sujet (c’est-à-dire dans quelques années à tout éducateur tout court). Le nombre de places est bien entendu limité mais les autres pourront accéder en temps réel aux cours dont, fallait-il le préciser, toutes les ressources seront placées sous licence libre (Creative Commons By)[1].

Pour ce qui me concerne, je suis ravi de trouver aussi Mozilla sur ce terrain-là. J’y vois en effet une piste plus qu’intéressante pour minimiser à terme l’influence trop forte de Microsoft dans le secteur éducatif, sachant que cette influence est beaucoup plus une question de mentalités, voire de culture, qu’une question pratique liée à la technique et au logiciel.

Mozilla et CreativeCommons vont donner des séminaires en ligne sur « l’Open Education »

Mozilla and CC to teach online seminar on open education

Jane Park – 17 mars 2009 – Creative Commons Blog
(Traduction Framalang : Don Rico)

ccLearn, en collaboration avec la Peer 2 Peer University et Mozilla, va former les enseignants, ou toute autre personne intéressée par l’initiative, sur les aspects pratiques de l’éducation ouverte (NdT : « open education »). Voici un extrait du wiki du stage :

« Ce stage de six semaines s’adresse aux enseignants, qui acquerront les compétences élémentaires en matière de licences, de technologie et de pédagogie ouvertes (NdT : « open pedagogy »). Ils travailleront sur des prototypes de projets d’éducation ouverte, et bénéficieront de l’expérience de certains des plus grands noms internationaux de l’innovation.

Le stage commencera par un séminaire en ligne le jeudi 2 avril et s’étalera sur 6 semaines.

Lors de séminaires en ligne hebdomadaires, on abordera de nouveaux sujets traitant par exemple du choix de licence pour les contenus, des dernières technologies ouvertes et des pratiques d’évaluation collégiale. Les participants partageront des idées de projets avec une communauté de pairs, travailleront sur des projets individuels, et recevront des retours de tuteurs chevronnés. On s’intéressa aussi de très près à certains des exemples de pédagogie ouverte les plus novateurs, et discutera avec leurs concepteurs. On étudiera par exemple :

  • Les cours sur les logiciels libres délivrés à l’université de Seneca ;
  • L’Introduction à la pédagogie ouverte de David Wiley ;
  • L’infrastructure de blog ouverte de l’université de Mary Washington ; etc.

Ce stage est destiné aux enseignants qui souhaitent contribuer à l’élaboration de l’enseignement ouvert de demain.

Vous désirez participer ? Rendez-vous sur le wiki du stage, et soumettez-nous vos idées de projets !

Descriptif du stage : https://wiki.mozilla.org/Education/EduCourse

Inscriptions : https://wiki.mozilla.org/Education/EduCourse/SignUp

Si vous avez des questions concernant le stage ou la procédure d’inscription, veuillez contacter :

Philipp Schmidt
Peer 2 Peer University
philipp AT peer2peeruniversity.org »

Les créneaux vont se remplir très vite, mais cela n’empêchera pas les non-inscrits de bénéficier d’un accès complet et ouvert au stage en temps réel. Et puisque les matériaux de Mozilla Education, mis à disposition sous licence CC BY, peuvent être réutilisés, redistribués et remixés, les utilisateurs sont libres de créer un wiki miroir et de mettre en place leurs propres projets.

Notes

[1] Crédit photo : Lepiaf.geo (Creative Commons By)




Conte cruel de la jeunesse ou le copyright expliqué par une fille

Winter Wonderland est un peu aux USA l’équivalent de notre Petit Papa Noël de Tino Rossi, un standard de la chanson populaire qui s’en revient à chaque fois que tombent les premières neiges, et ce depuis 1934, date de sa création par Felix Bernard et Richard B. Smith.

Comme des milliers d’autres teenagers de sa génération, qui aiment la musique, en jouent et s’amusent à échanger leurs expériences sur YouTube, Juliet Waybret, 15 ans, avait téléchargé une vidéo où elle proposait sa propre interprétation de Winter Wonderland au piano.

Vous ne verrez pas cette vidéo.

Elle a en effet été supprimée par YouTube suite à une plainte des ayant-droits, en l’occurrence Warner Bros.

La distance qui nous sépare de la genèse de l’oeuvre (plus de soixante-dix ans !) associée à la notion toute américaine du Fair Use, auraient pu laisser croire que cette innocente et inoffensive reprise demeurât en ligne. Mais non, c’était sans compter sur l’implacable logique juridique et financière des Majors.

Du coup c’est une Juliet Waybret plus que désappointée qui nous relate rapidement sa mésaventure dans une autre vidéo YouTube[1] sous-titrée ci-dessous par nos soins.

Quelles leçons, elle et ses visiteurs, vont-ils en tirer ? Que peuvent-ils bien penser de ces adultes incapables de faire la distinction entre un remix créatif et une atteinte aux droits d’auteur ? L’incompréhension est grande et la rupture n’est pas loin[2].

Une anecdote à valeur de symbole que nous ferions bien de méditer au moment même où la loi « Création et Internet » est en passe d’être adoptée en France…

—> La vidéo au format webm

Notes

[1] Voici le lien vers la vidéo pointée par Juliet Waybret dans sa propre vidéo.

[2] Sur cette « affaire », on pourra également lire Contenus effacés sur YouTube, l’EFF prépare une riposte juridique sur ReadWriteWeb France.




Faute de pirates, le livre électronique restera-t-il à quai ?

Curiouslee - CC byL’iPod d’Apple est un indéniable et spectaculaire succès. Dans quelle mesure le « piratage » de la musique y aura-t-il contribué ?

La question reste ouverte, mais ce qui est sûr c’est que lorsqu’il m’arrive, en professeur curieux, de demander naïvement à mes élèves si ils ont bien acheté tous les morceaux musique qui se trouvent dans leur iPod personnel, ils me regardent généralement d’un air incrédule qui me donne instantanément un petit coup de vieux !

Un tel succès se répétera-t-il demain avec le Kindle d’Amazon qui se rêve déjà en « iPod du livre » ?

Peu probable en l’état, nous dit Bobbie Johnson dans un article du Guardian traduit ci-dessous, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a justement pas pour le moment de… « piratage » massif de livres électroniques propre à bousculer et faire évoluer le monde de l’édition[1].

Pourquoi les livres électroniques ne s’imposent-ils pas ? On ne les pirate pas assez.

Why aren’t ebooks taking off? Not enough pirates

Bobbie Johnson – 9 février 2009 – Guardian.co.uk (Blog Technology)
(Traduction Framalang : Don Rico)

Le Kindle d’Amazon veut faire exploser le marché du livre électronique, mais le plus gros frein à son succès pourrait être le manque de téléchargements illégaux.

On compare souvent l’industrie de la musique et l’édition. Le Kindle d’Amazon, nous dit-on, pourrait être le « iPod du livre ». Tout le monde meurt d’envie de connaître le succès fulgurant qu’à rencontré iTunes, et chacun redoute les dégâts que les supports numériques pourraient infliger à une industrie des médias à la traîne et retranchée sur ses positions.

Chacun observe le mécanisme qu’on a vu se produire pour la musique et la vidéo – un médium ancien, transformé en profondeur par la technologie –, et attend qu’il s’applique au livre. Mais les chances que ce phénomène se produise dans un futur proche sont extrêmement minces. Pourquoi ? C’est très simple.

Si les acteurs de l’industrie du disque ont eu l’idée de proposer de la musique au téléchargement, ce n’est pas parce qu’ils ont eu un coup de génie visionnaire, ni même parce qu’Apple leur a forcé la main en mettant en place un écosystème astucieux autour de l’iPod (l’iTunes Store n’a été ouvert qu’en 2003). Non, la véritable raison, c’est que les clients avaient choisi de pirater la musique.

Pour l’exprimer de façon moins triviale, la technologie ne force pas l’industrie du livre à affronter un changement radical dans les pratiques de consommation, car ce scénario ne se produit pas. Les clients n’imposent pas cette mutation en abandonnant les livres papiers au profit des livres électroniques. Voilà pourquoi l’édition n’est pas confrontée à ce problème.

Des problèmes, il y en a, bien sûr. L’industrie du livre connaît des difficultés. On n’achète plus de livres. Les ventes sont en berne. Sites Internet, grandes surfaces et librairies géantes étouffent les petites structures et étranglent le marché.

Mais contrairement à ce qu’a connu l’industrie du disque – dont les clients perdus se sont rués sur Napster, Kazaa ou Gnutella –, le lecteur moyen, pour se procurer ses romans, ne se reporte pas sur des sources légalement douteuses ou ne va pas se procurer une copie du dernier bestseller à la mode auprès du dealer de livres du coin de la rue. S’il veut partager des fichiers, il trouve quelqu’un pour lui prêter un exemplaire, ou se rend dans un lieu où le partage de l’information bénéficie du soutien officiel de l’industrie (on appelle ça des bibliothèques).

Mais au fond, le véritable problème, c’est simplement que les clients n’achètent plus autant de livres… voire plus de livres du tout.

Auteurs et éditeurs se servent de la technologie quand elle leur bénéficie directement – comme outil promotionnel ou canal de vente —, mais s’ils n’agissent pas dès à présent pour propulser le marché du livre électronique, il semble peu probable qu’ils se réveillent un matin en s’étonnant qu’un pirate leur a piqué leur petit-déjeuner.

Le piratage est un gros problème pour les industries qui produisent du contenu numérique, mais pour l’instant on achète un livre, pas un document texte caché entre deux feuilles de papier – n’en déplaise à de nombreux fanas du livre électronique. Les chaînes de distribution de l’industrie du livre ont été frappées de plein fouet par l’avènement de la technologie, mais le produit physique, lui, résiste plutôt bien.

En fait, du point de vue des éditeurs, publier un livre électronique c’est encourager le piratage, parce que cela revient à mettre un texte copyrighté sous un format numérique qui, même bardé de DRM, sera cracké un jour ou l’autre, simplement parce que c’est possible.

L’industrie du disque, quant à elle, a initié ce changement en remplaçant les enregistrements analogiques par des fichiers numériques. Le téléchargement remplace peut-être le CD, mais cette modification des pratiques a eu lieu seulement parce que la première technologie a rendu la seconde possible. Car sans CD à encoder, il serait bien plus difficile d’accéder à de la musique numérisée.

Mon propos n’est pas de dire que le seul moyen pour l’industrie du livre électronique de connaître le succès est de promouvoir le piratage. Mais sans celui-ci, pas besoin de se mettre au boulot. Aucun lien de cause à effet évident ne forcera les éditeurs à bouger de leur fauteuil en cuir et réagir.

Le véritable changement se produira sans doute à mesure que davantage d’auteurs appartenant déjà à l’ère numérique insisteront pour que l’industrie du livre innove. Mais il s’agit d’une transition de génération, et nous en sommes encore très loin.

Non pas que je ne croie pas au succès potentiel du livre électronique ; je pense simplement que sans catalyseur externe pour bousculer l’industrie, les progrès dans ce domaine seront très, très lents.

Notes

[1] Crédit Photo : Curiouslee (Creative Commons By)




Largage de liens en vrac #13

Tony the Misfit - CC byUne nouvelle version de nos liens logiciels en vrac d’assez bonne facture ma foi.

Comme pour les éditions précédentes, vous êtes cordialement invité à nous en dire plus dans les commentaires si vous connaissez ou avez testé les logiciels en question[1].

  • Cofundos : Ce n’est pas un logiciel mais un nouveau service web que l’on pourrait définir comme une sorte de place de marché pour les projets de logiciels libres. Structuré en réseau social, il aide à développer de nouvelles idées en regroupant ceux qui en ont besoin avec les développeurs qui sont prêts à les réaliser, moyennant finances (ou non).
  • Mediafox : Lu sur Lifehacker, Mediafox est une assez impressionnante version customisée de Firefox (thème + de nombreuses extensions) portable dédiée au multimédia. C’est aussi une belle démonstration de ce qu’il est possible de faire avec Firefox et ses extensions. Uniquement pour Windows (et en anglais).
  • PhoneGap : Un prometteur environnement JavaScript pour votre téléphone (Android, iPhone, Blackberry) limité pour le moment à quelques fonctionnalités (géolocalisation, vibreur…) pour développer dans le futurs de jolies WebApps.
  • Zekr : Une application Java multilangues destinée à l’étude du Coran.
  • Un livre blanc sur les CMS : Rédigé par Smile, un livre blanc sur les CMS Open Source : Spip, Joomla, Typo3, Drupal, etc. Utile pour faire le bon choix au lancement d’un projet Web (dommage que la licence soit un full copyright).
  • Songbird 1.1 : Nouvelle version majeure pour ce concurrent libre d’iTunes qui a le vent en poupe.
  • Simile Widgets : En JavaScript Ajax, quatre modules pour créer de riches applications web (frise chronologique, géolocalisation, graphiques, et défilement d’images à la sauce Apple),
  • AjaXplorer : Un esthétique gestionnaire de fichiers en ligne en Ajax qui témoigne lui aussi des avancées des applications web (les photos s’affichent, le mp3 et les flv se lisent, etc.).
  • Mixwidget.org : Une vieille K7 qui lit en flash votre playlist mp3. On est loin des formats ouverts mais c’est là encore très joliment réalisé.
  • OpenWith.org : L’un des plus intéressants de la série, à ceci près que ce n’est pas du libre et que c’est que pour Windows, ce qui fait deux lourds handicaps j’en conviens ! C’est aussi bien un service web qu’une application qui associe à tout format de fichier un logiciel libre et/ou gratuit permettant de le lire. Si vous tapez DOC par exemple, le logiciel vous proposera OpenOffice.org pour le lire avec un bouton direct pour le téléchargement. Pas forcément très pertinent avec MP3 (pourquoi Picasa en premier ?) ou PDF (il manque Sumatra !) mais l’idée est plutôt bonne, surtout pour aider votre belle-mère qui vient de vous envoyer un mail vous expliquant qu’elle ne comprend pas pourquoi elle n’arrive pas ouvrir sa pièce jointe en double-cliquant dessus ! Si l’application avait été libre et multi-OS et si les choix proposés se restreignaient au logiciel libre, on aurait obtenu un super service (quand bien même, oui je sais, proposer du freeware rend service à Mme Michu).
  • Creative Commons pour MS Office : Pour ceux qui, pour x raisons, travaillent encore avec la suite bureautique Microsoft MS Office (en particulier chez mes collègues profs) je signale que le plugin permettant de placer facilement son document sous licence Creative Commons, déjà disponible pour MS Office 2003, vient de sortir pour MS Office 2007.
  • 6zap : Une application Ajax-Web très ambitieuse puisqu’elle vous propose sur une même page une messagerie, un calendrier, un gestionnaire de fichiers et de contacts. On aurait donc à faire avec une sorte de groupware capable de potentiellement concurrencer Google, rien que ça ! (la FermeDuWeb en fait un rapide survol).
  • pHash : Un système de marquage (empreinte digitale numérique) qui contrairement à la cryptographie classique se base sur le contenu même du fichier pour son algorithme. Ainsi, à ce que j’en ai compris, le même fichier un peu modifié verra son marquage un peu modifié lui aussi, permettant de retrouver et associer facilement les deux fichiers en question.
  • Shutter : Linux only, et la copie d’écran devint un jeu d’enfants.
  • Qimo 4 Kids : Une distribution Ubuntu totalement orientée enfants avec plein de petites applications dédiées pré-installées. Une fois francisée cela pourrait bien intéresser nos écoles primaires.
  • TurnKey Linux : Basé sur Ubuntu, un système silimaire à Bitnami permettant de faire tourner de manière autonome (disque dur, clé USB, live CD, virtualisation…) des applications web (Drupal, Mediwiki, Joomla…) clé en main puisqu’il embarque le trio LAMP à chaque fois avec lui (du moins je crois). Pour ce qui concerne Windows, Pierre-Yves est en train d’y travailler avec la Framakey.
  • Frescobaldi : Pour faire simple, Frescobaldi est à LilyPond ce que Kile est à LaTeX : un front end graphique pour KDE4 (source LinuxFr).
  • DeskHedron : Le fameux cube 3D de Compiz (et de GNU/Linux) plongé dans l’univers Windows. Absolument aucune idée de ce que ça vaut concrètement.
  • Mahara : Je ne connaissais pas ce gestionnaire de portfolio orienté éducation. Comme ça sans l’avoir du tout testé, je la vois comme une sorte de mix entre un ENT et un Facebook (qui s’accouple bien avec Moodle qui plus est). Entre nous soit dit, les fameux ENT dont parle depuis plusieurs années notre chère Éducation Nationale sans réussir véritablement à les déployer massivement, vous ne trouvez pas qu’ils ont pris un coup de vieux avec l’avènement des réseaux sociaux ?
  • OneSwarm : Développé par des chercheurs de l’Université de Washington, ce logiciel ne fera pas plaisir à Christine Albanel puisqu’il permet d’échanger des fichiers en P2P mais de manière beaucoup plus sécurisé puisque l’on peut restreindre les informations transmises à un cercle d’amis dûment identifiés (du coup ils appellent cela le F2F, Friend-to-Friend). On pourra lire PC Inpact pour de plus amples informations.

Notes

[1] Crédit photo : Tony the Misfit (Creative Commons By)




Quand le logiciel libre et Wikipédia donnent de l’espoir à François Bayrou

François Bayrou n’est pas totalement inconnu sur le Framablog. Nous l’avions ainsi gentiment taquiné à propos d’un syndrome qui porte désormais son nom et que nous connaissons assez bien pour en être parfois atteints, à savoir faire la promotion du logiciel libre tout en restant sur du logiciel propriétaire, parce que pas encore le temps, parce que difficile de rompre avec ses habitudes, etc.

Mais nous l’avions surtout apprécié lors de son intervention aux RMLL 2006 de Nancy où il nous exposait sa « vision des deux mondes » (marchand vs non marchand).

Il récidive ici au cours de l’émission de France Info Parlons Net ! du 27 février dernier, en se faisant, au passage et malgré lui, le défenseur d’un Wikipédia critiqué (sans grande imagination) par les journalistes de l’assistance.

—> La vidéo au format webm

Morceaux choisis :

Pourquoi est-ce que je suis intéressé par l’univers des logiciels libres ? Pourquoi est-ce que je suis intéressé par l’univers wiki ? Parce que ce sont des modèles de société non marchands. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des gens qui à partir du logiciel libre ne font pas du marchand, ne créent pas des activités économiques, mais Wikipédia, pour prendre un exemple, c’est tout de même impressionnant qu’il y ait une encyclopédie de centaines de milliers de pages sur tout sujet, sans que personne n’ait été là pour des raisons marchandes.

(…)

Mais pour l’essentiel, ne prenez le petit défaut ou la petite faille, prenez le fait massif. Il y a là une encyclopédie, free, libre d’accès, à disposition de tout le monde, qui a été développée par des esprits généreux qui ont simplement voulu faire partager à d’autres ce qu’ils savaient. Vous ne trouvez pas que c’est intéressant. Vous ne trouvez pas que c’est intéressant que on ait des logiciels, des systèmes d’exploitation, qui soient constamment enrichis, bénévolement ou gratuitement. Et donc pour moi il y a là un projet de société qui est intéressant au moins à regarder et à réfléchir parce qu’il veut dire que la loi du profit ne commande pas tout. Qu’elle n’est pas totalement absente, on n’est pas naïf, bien sûr que les raisons économiques sont à prendre en compte. Mais elles ne doivent pas prendre la place de toutes les autres raisons de vivre : raison de chercher, raison d’enseigner, raison de transmettre, raison de s’élever, raison de créer, etc.

(…)

C’est important pour beaucoup de ceux qui vous écoutent sur le Net en particulier. Il y a là quelque chose qui donne de l’espoir dans la nature humaine. Alors comme tout, pas que de l’espoir. Mais il y a là quelque chose qui permet d’avoir une autre vision de l’avenir de l’humanité que cet avenir écrasé qu’on nous promet par ailleurs. Parce que si vraiment, ce que je crains, on est en train en France de mettre en place un réseau d’influence et de pouvoir sur des secteurs entiers de la société, où est la capacité de résistance ? Si vous êtes un citoyen moyen, un jeune garçon, une jeune fille ? Qu’est-ce que vous pouvez faire ? Vous défilez une fois, et après il n’y a plus de défilés comme vous le savez. Bon et bien il y a là, dans cette culture civique, quelque chose qui donne de l’espoir, qui en tout cas à moi me donne de l’espoir.

Ce n’est pas pour polémiquer mais, en ces temps troubles d’Hadopi, lorsque l’on entend ce type de discours, lorsque l’on relit le rapport Rocard commandé par Ségolène Royal, ou plus généralement lorsque l’on se remémore les réponses apportées par les candidats 2007 au questionnaire de l’April, on se dit que, dans le domaine précis qui nous préoccupe ici, on n’a pas forcément hérité du meilleur des présidents possibles…




Et les artistes dans tout ça ?

Dno1967 - CC byLe choix actuel de la répression et des verrous numériques est peut-être une solution à court terme pour l’industrie musicale mais il place les artistes en position plus que délicate vis-à-vis de leurs fans. Difficile en effet de ne pas réaliser que, le temps passant, les intérêts des uns et des autres sont de plus en plus divergents.

Dans le très tendu climat du moment (crise des ventes, « piratage » généralisé…), il est alors assez logique de voir des musiciens prendre ouvertement leur distance avec la logique des Majors et se regrouper pour faire entendre leur voix (sic !). C’est déjà le cas en Angleterre où quelques grands noms de la chanson britannique[1] se sont tout récemment réunis au sein de la Featured Artists Coalition (FAC) afin de « prendre le contrôle de leur musique et défendre leurs droits d’auteur face aux opportunités que représentent les technologies digitales ». C’est l’objet de notre traduction ci-dessous issue d’un article dédié du journal The Independent.

« La révolution digitale a balayé le vieux business de la musique des années soixante et a changé pour toujours la relation entre les artistes et les fans », explique le batteur du groupe Blur, David Rowntree. « Nous sommes à la recherche d’une nouvelle donne, basée sur l’équité, avec nos fans, l’industrie du disque et les gouvernements ». À rapprocher de ce que disait Mike Masnick dans sa très éclairante conférence consacrée au « cas Trent Reznor ».

Et en France, me direz-vous, où sont donc nos artistes, alors même qu’ils sont les premiers impliqués dans le projet de loi « Création et Internet » qui se discute en ce moment même à l’Assemblée ?

Force est de constater qu’on ne les entend pas beaucoup, comme si la majorité d’entre eux restaient prostrés dans une sorte de silence gêné, ayant par trop conscience des effets dévastateurs produits par des discours dont Thomas Dutronc offre une magnifique caricature.

Quitte à tomber dans l’excès inverse, nous lui préférons les propos du documentariste Grand François qui donnent peut-être plus à réfléchir :

—> La vidéo au format webm

Mais revenons à nos anglais qui se rebiffent…

Ce n’est pas un crime de télécharger disent les musiciens

It’s not a crime to download, say musicians

Arifa Akbar – 12 mars 2009 – The Independent
(Traduction Framalang : Poupoul2)

Des musiciens, dont Robbie Williams, Annie Lennox, Billy Brag, David Rowntree (Blur) et Ed O’Brien (Radiohead) ont déclaré hier soir que le public ne devrait pas être poursuivi pour avoir téléchargé illégalement de la musique sur Internet.

la Featured Artists Coalition, qui intègre 140 des plus grandes stars pop et rock de Grande Bretagne a indiqué, lors de son inauguration, que des entreprises telles que MySpace ou Youtube devraient être mises à contribution, lorsqu’elles utilisent leur musique à des fins publicitaires.

Brag a déclaré à The Independent que la plupart des artistes ont voté contre toute tentative visant à criminaliser le téléchargement illégal de musique par le public.

Les musiciens exprimeront leur point de vue à Lord Carter, qui a suggéré que les particuliers qui se livrent au téléchargement illégal devraient être amenés devant les tribunaux.

Alors qu’Annie Lennox n’a pas pu assister à l’inauguration, elle a adressé un message de soutien, tout comme Peter Gabriel, tandis que David Gray, Fran Heal (Travis), Nick Mason (Pink Floyd) et Mick Jones (The Clash) ont fait une apparition.

Brag s’est exprimé comme membre clé de cette coalition, qui a été créée afin de donner une voix collective aux artistes qui veulent défendre leurs droits dans le monde numérique. Elle s’engage en faveur d’un marché plus équitable pour les musiciens, au moment où il peuvent utiliser Internet pour créer des liens directs avec leurs fans. « Ce que j’ai déclaré pendant l’inauguration est que l’industrie culturelle en Grande Bretagne poursuit son chemin vers la criminalisation de notre public, celui qui télécharge illégalement des mp3 », a-t-il déclaré.

« Si nous suivons l’industrie culturelle sur cette voie, nous ne ferons rien d’autre que de participer à ce mouvement protectionniste. Cela revient à essayer de remettre le dentifrice dans son tube ».

« Les artistes devraient être détenteurs de leurs propres droits, et devraient décider à quel moment leur musique peut être utilisée gratuitement, et à quel moment ils devraient être payés. »

Les artistes souhaitaient dire à Lord Carter : « Nous voulons nous ranger aux côtés du public, des consommateurs ».

O’Brien a déclaré « qu’il s’agit d’une période charnière pour l’industrie », ajoutant que « de nombreux droits et sources de revenu sont charcutés, et nous avons besoin de faire entendre notre voix. Je pense que tous les intervenants principaux veulent entendre ce que nous avons à dire. »

Notes

[1] Crédit photo : Dno1967 (Creative Commons By)




Un autre monde musical est possible nous dit Trent Reznor

On peut voir le document que nous vous présentons aujourd’hui comme la majeure contribution du Framablog au débat actuel sur le trop fameux projet de loi « Création et Internet », qui porte si mal son nom. Nous sommes en effet fiers de vous proposer la traduction (sous-titrage et transcription écrite ci-dessous) d’une conférence qui apporte comme un grand bol d’oxygène à la période tendue et crispée que nous sommes en train de traverser.

Oui, avec du talent et de l’imagination, on peut (économiquement) réussir dans la musique en dehors des circuits traditionnels (comprendre avant tout les Majors du disque) en utilisant à plein les extraordinaires potentialités d’Internet pour se mettre directement en relation avec son public.

C’est ce que démontre le parcours de l’artiste Trent Reznor, chanteur des Nine Inch Nails, brillamment analysé ici par Mike Masnick, dont le blog décrypte les tendances des nouveaux médias sociaux.

Cette conférence d’une quinzaine de minutes a été donnée en janvier dernier au MIDEM 2009 de Cannes. L’étrange équation énoncée, « CwF + RtB = $$$ », tient de la formule magique mais elle est pourtant simple à comprendre pourvu qu’on accepte la nouvelle donne et surtout les nouvelles règles du jeu.

N’ayez pas peur, disait l’autre. Nous ne sommes plus ici dans le monde des « pirates » à éradiquer mais dans celui, passionnant, de ceux qui ouvrent la voie d’un nouveau paradigme…

—> La vidéo au format webm

Trent Reznor et l’équation pour de futurs modèles économiques de la musique

Trent Reznor And The Formula For Future Music Business Models

Mike Masnick – 17 janvier 2008 – TechDirt
(Traduction Framalang : Don Rico, Joan, Yostral)

Je suis Mike Masnick, mon entreprise s’appelle Floor64. Voici notre site web : nous avons diverses activités, travaillons avec différentes entreprises, les aidons à comprendre les tendances des nouveaux médias sociaux et à établir un lien avec les communautés auxquelles elles s’adressent.

On me connaît surtout, quand on me connaît, pour TechDirt, le blog que nous publions sur Floor64. Voilà à quoi ça ressemble. Sur ce blog, j’aborde très souvent le sujet de l’industrie musicale et de l’industrie du disque, et j’ai notamment beaucoup écrit sur les initiatives de Trent Reznor et les modèles économiques qu’il applique et expérimente depuis quelque temps. Ces billets sont bien sûr à l’origine de cette intervention : « Pourquoi Trent Reznor et Nine Inch Nails représentent l’avenir de l’industrie musicale ».

Nous sommes un peu en retard car nous devions commencer à 11h45. Chez moi, en Californie, il est 2h45 du matin. Je souffre du décalage horaire, comme d’autres ici je pense, alors pour qu’on reste éveillés, je vais faire défiler que 280 diapos au cours de cette intervention, car je pense qu’en gardant un rythme soutenu on ne s’endormira pas trop vite. Mais pendant ces 280 diapos je vais quand même aborder quelques points importants sur les actions de Trent Reznor et expliquer pourquoi les modèles économiques qu’il expérimente représentent vraiment l’avenir de la musique.

Sans plus attendre, rentrons dans le vif du sujet.

Chapitre 1

Que ce soit volontaire ou pas, je n’en sais d’ailleurs rien, il semblerait que Trent Reznor ait découvert le secret d’un modèle économique efficace pour la musique. Ça commence par quelque chose de très simple : CwF, qui signifie « Créer un lien avec les fans ». Ajoutez-y une pincée de RtB : « Une Raison d’acheter ». Associez les deux, et vous obtenez un modèle économique. Ça parait très simple, et beaucoup pensent que ça n’a rien de sorcier. Mais le plus stupéfiant, c’est la difficulté qu’ont d’autres à combiner ces deux ingrédients afin de gagner de l’argent, alors que Trent Reznor, lui, s’en est sorti à merveille, à de nombreuses reprises, et de nombreuses façons.

Tout a commencé quand il était encore signé chez une major. Il a appliqué ce modèle de façon très intéressante sur l’album Year Zero, en 2007. Avant la sortie de l’album, il a établi un lien avec ses fans en organisant une sorte de chasse au trésor, ou un jeu de réalité virtuelle. Voici le dos du t-shirt qu’il portait pendant la tournée de 2007. Certaines lettres des noms de ville sont en surbrillance : en les isolant puis en les remettant dans l’ordre, on obtient la phrase « I am trying to believe ». Certains ont été assez futés pour assembler la phrase et y ajouter un « point com ». Puis ils sont allés sur le site « Iamtryingtobelieve.com » et se sont retrouvés dans un jeu de réalité virtuelle, qui était assez marrant. Voici qui a apporté un gros plus à l’expérience générale pour les fans et permis d’établir avec eux un lien qui allait au-delà de la seule musique.

Du coup, les fans étaient plus impliqués, motivés et impatients. Il est allé plus loin encore : vous approuverez ou pas, tout dépend de l’endroit où vous êtes assis dans la salle. Ça a mis en rogne la maison de disque de Reznor, parce qu’il s’est amusé à mettre de nouveaux morceaux sur des clés USB qu’il abandonnait ensuite par-terre dans les toilettes à chaque concert qu’il donnait. Les fans trouvaient ces clés USB dans les différentes salles de concert, les ramenaient chez eux, les branchaient sur leur ordinateur et y trouvaient de nouveaux morceaux de Nine Inch Nails, et bien sûr ils les partageaient.

De cette façon, le groupe a impliqué les fans, les a motivés et les a mis dans tous leurs états. Les seuls à ne pas avoir été ravis, c’était la RIAA, qui a envoyé des messages d’avertissement pour de la musique que Trent Reznor lui-même distribuait gratis. Ça, ce n’est pas un moyen d’établir un lien avec les fans, mais plutôt de se les mettre à dos.

Trent Reznor continuait donc à donner aux gens des raisons d’acheter alors qu’il refilait lui-même sa musique. Quand l’album est sorti, le CD changeait de couleur. On le mettait dans le lecteur, et en chauffant la couleur du disque changeait. C’est gadget, mais c’était assez sympa et ça donnait aux fans une raison d’acheter le CD, parce qu’on ne peut pas reproduire ça avec un MP3.

C’était un exemple simple datant de l’époque où il était encore sous contrat avec une major, mais passons au…

Chapitre 2

Après cet album, il n’avait plus de maison de disque, et a préféré voler de ses propres ailes, s’aventurant alors sur les terres soi-disant dévastées de l’industrie musicale d’aujourd’hui. Pourtant ça ne lui a pas posé problème, car il savait qu’en créant un lien avec les fans et en leur donnant une raison d’acheter il pouvait créer un modèle économique efficace. Il a donc commencé par l’album Ghosts I-IV, et il a créé des liens avec ses fans en leur offrant plusieurs choix, au lieu d’essayer de leur imposer une façon unique d’interagir avec sa musique. On avait différentes options, et il leur a donné une raison d’acheter en proposant une offre améliorée.

Je vais rapidement énumérer ces options. À la base, il y avait un téléchargement gratuit. L’album comptait 36 morceaux. On pouvait télécharger gratuitement les 9 premiers, et les 36 étaient sous licence Creative Commons, donc il était possible de les partager légalement. Bref, quand on voulait les télécharger gratuitement sur le site de NIN, on n’avait que les neuf premiers. Pour 5 dollars, on recevait les 36 morceaux et un fichier PDF de 40 pages. 5$ pour 36 morceaux, c’est beaucoup moins cher que le modèle d’iTunes à 1$ par chanson. Pour 10$, vous receviez une boîte avec deux CDs et un livret de 16 pages. 10 $ pour une boîte de 2 Cds, c’est pas mal. Mais ça, beaucoup d’autres le font, tout le monde applique ce principe de musique offerte et de vente de CDs à prix raisonnable sur le site.

Ce qui est intéressant, c’est ce qu’il a proposé en plus. Là, on commence par un coffret édition deluxe à 75 dollars, qui contenait tout un tas de choses. C’était une sorte de coffret, mais centré sur ce seul album et qui contenait un dvd et un disque blu-ray, un beau livret, le tout fourni dans une boîte sympa. 75$, bonne affaire pour des fans qui veulent vraiment soutenir Reznor. Mais le plus intéressant, c’était le coffret ultra deluxe édition limitée à 300 $.

Comme on le voit sur ce site, tous ont été vendus. Il y a tout un tas de suppléments dans ce coffret. Voici à quoi ça ressemblait.

Là encore, on trouve le contenu du coffret de base, plus d’autres trucs. Mais ce qui est vraiment important, c’est qu’il n’a été tiré qu’à 2500 exemplaires, et que tous étaient dédicacés par Trent Reznor. Le tout coûtait 300$, mais c’était exceptionnel, unique, et ça ajoutait de la valeur à la musique. Les 2500 ont été vendus, ce qui n’a rien d’étonnant. Mais ce qui est impressionnant, c’est la vitesse à laquelle ils sont partis. Moins de 30 heures. Faites le calcul : ça donne 750 000 dollars en 30 heures pour de la musique qu’il donnait gratuitement.

Rien que la première semaine, si l’on inclut les autres offres, ils ont encaissé 1,6 million de dollars, là encore pour de la musique qu’ils distribuaient gratuitement, sans label, mais c’était vraiment une façon de créer un lien avec les fans, de leur donner une raison d’acheter, et de trouver un modèle économique efficace. Même si c’était gratuit et qu’on pouvait tout télécharger légalement une fois les morceaux mis en ligne sur des sites de Torrent ou de partage de fichiers, voici ce qu’a publié Amazon la semaine dernière : la liste de leurs meilleures ventes d’albums au téléchargement en 2008, où Ghosts I-IV arrive en tête.

Donc, voici un album gratuit qui en une seule semaine a rapporté 1,6 million de dollars, et qui a continué à bien se vendre sur Amazon tout le reste de l’année. On se rend bien compte qu’ici, la question ce n’est pas le prix. Le fait que l’album soit disponible gratuitement ne signifie pas la fin du modèle économique, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Tant que l’on crée un lien avec les fans et qu’on leur donne une raison d’acheter, il y a de l’argent à se faire.

Chapitre 3

Dans cette série d’expériences, deux mois seulement après Ghosts I-IV est sorti The Slip, et cette fois-ci c’était complètement gratuit, il suffisait de donner son adresse e-mail et on pouvait le télécharger en entier. Un lien de plus avec les fans. Les téléchargements étaient de qualité, on avait le choix entre des versions MP3 ou lossless. Pas du tout le principe « on vous file gratis la version merdique, passez à la caisse pour une meilleure version ». Encore une fois, il a essayé d’innover pour créer un lien plus fort avec les fans.

Voici les données de TopSpin, qui fournissait l’infrastructure pour les téléchargements, et qui a créé ces cartes sympas sur Google Earth pour qu’on voit d’où tous les autres téléchargeaient. Pas forcément utile, mais c’était chouette, et ça contribuait à construire la communauté, à créer un lien avec les fans. En parallèle, le jour de la sortie de The Slip, ils ont publié la liste des concerts pour la tournée 2008. On pouvait donc télécharger la musique, l’écouter, et aussitôt acheter des places.

Bien entendu, Reznor et NIN on toujours veillé à ce qu’il y ait une raison d’acheter des billets : ils ne donnent pas de simples concerts, mais offrent un spectacle complet. Ils jouaient devant un grand écran et amenaient plein d’idées afin d’en faire une expérience passionnante pour les fans, et les fans en redemandent. Ils sont emballés à l’idée d’aller à ces concerts, et pas seulement parce qu’ils vont voir Trent Reznor jouer. Bien sûr, Reznor n’en faisait pas profiter que NIN. Il y avait des premières parties sur la tournée, et il a enregistré un disque samplé, téléchargeable gratuitement lui aussi, avec des fichiers de bonne qualité de morceaux des différents groupes qui jouaient en première partie, permettant ainsi aux fans de créer un lien et leur donnant des raisons d’acheter des places de concerts pour aller voir ces groupes s’ils leur plaisaient.

Là encore, même si l’album était gratuit, il a donné d’autres raisons d’acheter en pressant l’album sur CD et vinyl, avec un tas de contenu supplémentaire dans une édition limitée et numérotée. On en revient au procédé de Ghosts I-IV, avec des tas de suppléments. J’insiste sur ce point parce que c’est vraiment important.

Chapitre 4

On n’a parlé que de sortie d’album, mais ces règles ne s’appliquent pas seulement quand on sort un album. Il faut créer un lien avec les fans tout le temps, sans discontinuer. Voici le site Web de Reznor, où il a mis en place des tas d’idées intéressantes, et je vais passer vite dessus parce qu’il y a beaucoup de choses, mais le lien se crée en permanence. Quand on se connecte, on voit les nouveautés, et puis on trouve les fonctions habituelles : de la musique à écouter, des outils communautaires comme les forums, les tchats. Mais il y a aussi des éléments moins évidents. Par exemple ce flux de photos, qui proviennent de Flickr. Ces photos ne sont pas toutes des clichés du groupe prises par des pros, mais ceux que les fans mettent sur Flickr sont regroupés sur le site. Ainsi on peut voir ce que les autres voyaient aux concerts où vous êtes allés, ou à ceux que vous avez manqué.

Il offre aussi des fonds d’écran que l’on peut télécharger, sous licence Creative Commons. On peut les retoucher, et d’ailleurs vous remarquerez que les images d’illustration que j’utilise sont justement tirées de ces fonds d’écran, légèrement modifiés pour que ça rentre sur les diapos. Dans le même esprit que les photos Flickr, il y a les vidéos. En gros, les fans filment des vidéos avec leur téléphone mobile, les mettent en ligne sur YouTube, et elles sont toutes regroupées sur le site. Pas de problème de procès, pas d’avertissements, pas de réclamations de la part de YouTube, les vidéos servent juste à créer du lien avec les fans, à leur donner une raison d’acheter.

Sur le site, on peut aussi télécharger des fichiers bruts, et NIN encourage les fans à les remixer, à les écouter, à les noter, à les échanger, ce qui implique vraiment les fans.

Autres idées amusantes : des concours, par exemple des tickets cachés qu’il faut trouver sur le site, des coordonnées indiquant l’emplacement de places gratuites pour un concert que NIN donnait dans un tunnel d’égout à Los Angeles. Il a mis sur son site une enquête de 10 pages à remplir, ce qui a permis d’élaborer un profil complet de ses fans. Mais le plus intéressant, c’est le courriel qu’il a envoyé, assez long comme vous le voyez, qui a montré que Reznor est proche de ses fans, ce qui hélas est rare dans l’industrie musicale.

À suivre

Passons au dernier chapitre. Je l’intitule « À suivre » plutôt que « Dernier chapitre », parce que c’est loin d’être fini. Reznor continue en permanence à expérimenter de nouvelles idées. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai dû compléter cette intervention, en espérant qu’il allait calmer le rythme de ses expérimentations, parce que ça commençait à être dur de maintenir cette présentation à jour. Il a publié un billet sur son blog expliquant sur le ton de la plaisanterie avoir été contacté par un mystérieux groupe d’agitateurs qui avaient filmé trois concerts et mis en ligne les rushes, des rushes en haute définition. Il y en a pour 450 gigas de rushes. La plupart des disques durs n’ont pas une telle capacité, et ça m’étonnerait que beaucoup d’entre vous ici aient 450 Go sur votre portable. Et puis il y a les fournisseurs comme ComCast qui limitent la bande passante à 250 Go par mois, voire TimeWarner qui descend encore plus bas, à 5 Go par mois. Et voilà Reznor qui refile 450 Go de vidéo HD et déclare : « Je suis sûr que des fans entreprenants vont nous mitonner un truc sympa ». Ça c’est vraiment un super moyen de créer le lien avec les fans, de leur donner une raison d’acheter, et c’est ce qui donne le modèle économique.

On peut voir ça sous un autre angle : au lieu de signifier Connect with Fans, CtW pourrait être l’acronyme de Compete With Free (NdT : le Gratuit Compétitif) et Rtb, au lieu de Reason to Buy, peut être l’abréviation de Retour au Business. Au lieu de se plaindre sans cesse du piratage et de diaboliser les nouvelles technologies, il vaut mieux s’efforcer de trouver un modèle économique qui fonctionne.

Ce qu’il faut retenir, c’est que ça fonctionne pour de bon, sans qu’il y ait besoin de recourir aux licences collectives, aux DRM ou aux procès. Techniquement parlant, et c’est ce qui agace certains, il n’y a pas besoin de recourir aux droits d’auteur pour que ça marche: il suffit de créer le lien avec les fans et de leur donner une raison d’acheter.

Ce qu’il faut retenir aussi, c’est que ça vaut pour tous les musiciens, connus ou moins connus. Je me suis concentré sur Reznor, parce que c’est le sujet de mon intervention, mais des tas de petits groupes appliquent ce même modèle. En gros, Reznor ne fait qu’ouvrir la voie pour des tas d’autres et permettre que ça fonctionne. Quant aux autres, ils ne plagient pas, ils ne se contentent pas de copier les idées de Reznor. Ils partent de la recette de départ pour l’adapter à leur façon, et ça fonctionne aussi pour eux sans qu’ils aient à se soucier des licences, des DRM ou des procès. Pas de problème de copyright. Ils ne leur reste qu’à se concentrer sur l’avenir, sur la musique, et à inventer les modèles économiques qui fonctionnent de nos jours.

Voilà, j’ai expliqué dans cette intervention pourquoi Trent Reznor et NIN représentent l’avenir de l’industrie musicale. Si vous souhaitez me contacter, voici mes deux adresses e-mail.

Merci.




L’esquisse d’un monde inspiré par le logiciel libre est-il en train de voir le jour ?

Seeks2dream - CC by-saQuand « l’Open Source » quitte les rives de l’immatériel pour s’aventurer dans le matériel, cela intrigue Victor Keegan, journaliste au très respectable The Guardian, qui liste alors quelques exemples significatifs dessinant les contours d’un modèle émergent digne d’intérêt.

Nous ne le contredirons pas. Vous pouvez compter sur cet « observatoire de la culture libre en mouvement » qu’est devenu le Framablog pour vous tenir au courant de ces tentatives et incursions du « Libre » dans le monde physique, comme nous l’avions fait il y a peu avec cet étonnant projet de machine répliquante[1].

Pouvons-nous construire un monde avec l’Open Source ?

Can we build a world with open source

Victor Keegan – 5 mars 2009 – The Guardian
(Traduction Framalang : Claude et Goofy)

Vinay Gupta est un ingénieur écossais d’origine indienne qui conçoit des maisons à bas coût pour des régions pauvres ou des zones sinistrées, il met ensuite les habitations à disposition gratuitement sur le net afin que d’autres puissent les construire. Son fleuron est le système d’abri Hexayurt qui coûte environ 200 dollars (155 euros).

Il emploie des matériaux de construction communs, y compris des panneaux isolants, qui représentent selon lui un tiers du coût d’une tente. La stratégie commerciale consiste à réduire le prix des biens et des services de base à un niveau tel que les pauvres puissent en disposer. Gupta n’est qu’un exemple d’un mouvement mondial qui fait contrepoint à la révoltante rapacité des banques telle que la racontent jusqu’à saturation les médias internationaux.

On nous dit souvent que les meilleures choses dans la vie sont libres, mais peu ont essayé de le traduire par un modèle économique. Alors que le capitalisme financier est en fusion, il est curieux de constater qu’une activité entrepreneuriale complètement différente (appelons cela « commun-isme ») est, bien que minoritaire, en plein essor,

Cela consiste à agir pour le bien commun, pour rien : soit par motivation altruiste, soit parce que l’on escompte une compensation en utilisant les efforts volontaires des autres. Jusque récemment, ce genre d’activité (au nom générique « d’Open Source ») est restée confinée au logiciel via des projets communautaires fantastiques tels que Wikipédia, le navigateur Firefox (qui possède maintenant 21.5% du marché mondial) ou le système d’exploitation Linux.

Étonnamment, de tels produits n’apparaissent pas dans les chiffres du produit intérieur brut (PIB) : du moins, tant qu’ils ne sont pas utilisés dans un objet commercialisable, comme un ordinateur à bas prix sous Linux. C’est une richesse non enregistrée et, si le mouvement se développe, nous devrons reconsidérer notre façon de mesurer la richesse des nations.

L’Open Source a été mis en lumière la semaine dernière quand le gouvernement britannique a abandonné son inavouable négligence précédente afin de donner son approbation pour que les services publics utilisent des logiciels Open Source plutôt que propriétaires lorsqu’ils offrent un meilleur rendement financier. Reste à voir si c’est juste un brassage d’air pour couper le vent aux voiles des conservateurs (lesquels ont pris un avantage en déclarant que £600m, 650 millions d’euros, pourraient être épargnés en utilisant l’Open Source dans les projets publics), quoiqu’il en soit, c’est un pas dans la bonne direction.

L’Open Source est en mouvement et la chose intéressante est que cela se propage au matériel. La récession mondiale, coïncidant avec une expansion sans précédent des réseaux sociaux, devrait lui donner un grand élan et transformer le nouveau modèle en force globale.

Si vous avez envie d’un téléphone portable Open Source, essayez Openmoko.com. Vous voulez faire partie d’un projet Open Source construisant un modèle différent de voiture ? Regardez theoscarproject.org. Parmi d’autres initiatives intéressantes figurent openfarmtech.org où se développe une écologie Open Source par la construction d’éco-villages ou akvo.org qui se spécialise dans l’hygiène.

Le magazine Wired a récemment fait un reportage sur les progrès d’Arduino, la société italienne qui fabrique avec succès une carte mère Open Source. Il y a même un projet embryonnaire de maison Open Source sur le site de photos Flickr.

Le matériel Open Source n’a pas la même caractéristique que le logiciel parce que le produit final, contrairement aux créations numériques, ne peut être dupliqué sans coût supplémentaire. Il a un potentiel différent et il peut utiliser les réseaux pour libérer, dans le monde entier, les énergies créatrices d’employés insatisfaits ou de sans-emploi, afin de fabriquer des produits réellement voulus par la population et correspondant aux réalités locales, y compris la disponibilité des composants.

C’est un paradigme qui convient parfaitement à notre ère de réseaux, où la fabrication réelle des marchandises est externalisée. Si les gouvernements du monde s’inquiètent de l’origine des nouveaux produits et emplois quand finira enfin la récession, alors ils feraient mieux d’encourager la fabrication de biens par la population pour la population.

Notes

[1] Crédit photo : Seeks2dream (Creative Commons By-Sa)