Dossier OLPC : 4 Le souhait de Benjamin Mako Hill

Dossier One Laptop Per Child (un portable par enfant)

Après l’intervention de Stallman et la précision de Negroponte, Nous poursuivons aujourd’hui notre petit dossier sur l’OLPC qui se trouve clairement aujourd’hui à la croisée des chemins.

Il faut dire que, sauf erreur de ma part, les grands médias francophones ne semblent pas du tout s’y intéresser (et c’est bien décevant). Les seuls qui abordent le sujet sont les sites web spécialisés en informatique alors que c’est avant tout d’éducation qu’il s’agit. Ceci n’a pas échappé à Benjamin Mako Hill[1] dont je partage totalement le point de vue[2].

Une traduction que nous devons à Simon Descarpentries pour une relecture by myself.

OLPC - Barnaby - CC-By

Libération des ordinateurs portables

Laptop Liberation

Benjamin Mako Hill – mardi 29 avril 2008

Au cours de la semaine dernière, Nicholas Negroponte donna cette malheureuse entrevue décriant « l’intégrisme du logiciel libre » (ndt, open source fundamentalism), et indiquant la possibilité d’une relation plus chaleureuse avec Microsoft. Comme on pouvait s’y attendre, cela a suscité un flux ininterrompu de commentaires sur OLPC News et sur les listes de diffusion du projet OLPC.

Quelques jours avant que la déclaration de Negroponte n’atteigne le presse, j’ai donné une conférence nommée Libération des ordinateurs portables au Penguicon où j’ai pu expliquer pourquoi je pensais que l’utilisation d’un système d’exploitation libre et l’adoption des principes du logiciel libre par le projet OLPC étaient essentiels pour le succès de l’initiative et de ces propres objectifs de réforme de l’éducation. Et cela fait un certain temps que je dit des choses similaires.

Mon propos peut se réduire à quelque chose, d’assez approprié, que Nicholas Negroponte aimait à dire quand le projet s’appelait encore le Portable à 100$ : un pc-portable extrêmement peu cher n’est pas une question de « si », mais de « quand » et « comment ». Cette technologie définira les modalités par lesquels les étudiants communiqueront, collaboreront, créeront et apprendront. Ces modalités sont dictées par ceux qui ont la capacité de changer les logiciels — ceux qui ont accès aux ordinateurs, aux sources nécessaires pour faire les changements et à la liberté de partager et de collaborer.

Le constructionnisme (la philosophie éducative de l’OLPC) consiste à mettre de puissants outils, et le contrôle sur ses puissants outils, dans les mains des étudiants. Il s’agit de l’apprentissage par l’exploration et la création, il s’agit également de façonner son propre environnement d’apprentissage. Les principes constructionnistes portent en eux des similarités non négligeables avec ceux du logiciel libre. En effet, l’engagement du projet OLPC auprès des logiciels libres ne s’est pas produit par accident. Le projet OLPC argumenta de manière convaincante qu’un système libre était essentiel à la création d’un environnement d’apprentissage qui puisse être utilisé, bidouillé et ré-inventé par ses jeunes utilisateurs. À travers ces processus, l’XO devient une force pour l’apprentissage de l’informatique, et un environnement via lequel les enfants et leur communautés peuvent utiliser la technologie suivant leurs choix, dans des conditions appropriées qu’ils auront eux-mêmes décidé.

Nous savons que les bénéficiaires d’ordinateurs portables seront avantagés de pouvoir réparer, améliorer et traduire les logiciels fournis avec leurs ordinateurs dans leur propres langues et contextes. Mais le plus important, c’est ce qui sera fait de ces ordinateurs, et que le projet OLPC n’a pas encore imaginé. L’OLPC est un puissant outil éducatif, mais le pouvoir ultime n’est que dans les mains de ceux qui peuvent librement utiliser, modifier et collaborer à la définition des modalités de leur environnement d’apprentissage. Par son engagement pour la liberté du logiciel, le projet OLPC fit le choix de ne pas être arrogant, en s’imaginant savoir comment ses bénéficiaires utiliseront leurs ordinateurs. Un environnement flexible, conçu pour l’apprentissage constructionniste, et une plate-forme de développement libre protègent de cette arrogance.

Le constructionnisme et le logiciel libre, implémentés et enseignés en classe, offrent un très fort potentiel d’exploration, de création et d’apprentissage. Si quelque chose te déranges, change-le. Si quelque chose ne fonctionne pas bien, répare-le. Le logiciel libre et le constructionnisme placent les élèves en situation d’appropriation de leur environnement d’apprentissage, de la manière la plus importante et la plus explicite possible. Ils créent une culture de l’autonomisation. La création, la collaboration et l’engagement critique deviennent la norme.

Le projet OLPC n’a pas à choisir si la technologie éducative arrive à maturité. Si nous travaillons dur pour ça, alors nous pourrons peut être influencer le « comment » et le « qui ». Les éditeurs de logiciels propriétaires tel que Microsoft veulent que le « qui » soit eux. Avec les logiciels libres, les utilisateurs peuvent être au pouvoir. L’enjeux n’est autre que l’autonomie. Nous pouvons aider à favoriser un monde où les technologies sont au service de leurs utilisateurs et où l’apprentissage se fait suivant les modalités des étudiants, un monde où tous ceux qui possèdent des ordinateurs portables sont libres car ils contrôlent la technologie qu’ils utilisent pour communiquer, collaborer, créer et apprendre.

Ceci est, pour moi, la promesse de l’OLPC et sa mission. C’est la raison pour laquelle je me suis engagé et que je supporte le projet depuis quasiment son premier jour. C’est la raison pour laquelle j’ai laissé Canonical et Ubuntu pour revenir à l’école au MIT, et être plus proche du projet indépendant qui naissait alors. C’est la raison pour laquelle l’engagement de l’OLPC dans la philosophie constructionniste est si importante à sa mission, et la raison pour laquelle sa mission a besoin de continuer à être menée avec des logiciels libres. C’est pourquoi le projet OLPC doit être sans compromis à propos de la liberté des logiciels.

En tant que conseiller et parfois contractant du projet OLPC, ce dernier n’est pas en devoir de m’écouter. Mais j’espère, pour notre bien à tous, qu’ils le feront.

Notes

[1] Pour mémoire nous avions traduit un autre article de Mako Hill : Pourquoi faire un don à Wikipédia ? (et soutenir la culture libre et ses utopies).

[2] Photographie : détail de Mexican Children with OLPC XOs par Barnaby sous licence Creative Commons By.




Dossier OLPC : 3 Quand Negroponte précise sa position

Dossier One Laptop Per Child (un portable par enfant)

Pour enrichir et faire écho au précédent billet, voici la traduction d’un email de Nicholas Negroponte[1], directeur du projet OLPC.

Ce message est adressé à sa communauté suite aux remous provoqués par les récentes déclarations du même Negroponte qui n’hésitait pas à critiquer Sugar et à envisager de s’appuyer désormais sur Windows pour le futur système d’exploitation de son ordinateur. Arguant à demi-mot qu’il ferait alors ainsi peut-être moins peur aux clients potentiels (principalement les organismes publiques des pays en voie de développement).

Pour une meilleure compréhension, précisons que, tel GNOME ou KDE, le très original Sugar est l’environnement graphique du XO, l’ordinateur développé et vendu actuellement par le projet. Voici ce qu’on en dit sur un blog québécois « L’interface graphique de Sugar diffère nettement des systèmes d’opérations conventionnels (Windows, Mac OS X, Ubuntu, etc.). En effet, la métaphore de bureau y est complètement écartée pour faire place à quatre vues toutes plus sublimes les unes que les autres. Les concepteurs n’ont certes pas omis que, comme le souligne si souvent Nicholas Negroponte, il s’agit là d’un projet pédagogique et non technologique. L’apprenant est donc plongé dans un environnement d’apprentissage polymorphe qui suscite inévitablement une prise en compte du caractère pluriel d’un environnement d’apprentissage. »

Précisions également que le Walter dont il est question est Walter Bender l’ancien responsable de la division logicielle du projet (dont Sugar justement) et qui vient de donner sa démission. Précisions enfin que le constructionnisme est une théorie d’apprentissage développé par Seymour Papert, créateur notamment du langage Logo, et qui a participé activement au projet OLPC.

Grand merci à Yonnel pour la traduction dont je me permets de glisser ici un extrait de notre correspondance sur ce travail, histoire d’alimenter le débat. « Eh bien, cet article était très excitant à traduire… on est vraiment au coeur de l’évolution du libre, et la mise en perspective par rapport à Stallman est saisissante. Purisme vs pragmatisme, libre vs open source, philosophe vs businessman, le libre par des chevaux de Troie ou directement, frontalement. En tout cas, les deux sont des évangélisateurs, mais je suspecte que ce n’est pas de la même évangélisation que l’on parle. L’OLPC est vraiment un enjeu crucial dans la croissance de la civilisation numérique. Et quand même, les Negroponte, quelle famille ! Les deux frangins sont tous les deux des experts en langue de bois et en "conduite du changement" (avec des gros guillemets), ils sont impressionnants. Le Nicholas, il veut gagner sur tous les tableaux : la collaboration du libre et le soutien de Microsoft. Alors, vertueux ou arnaqueur ? »

Negroponte - OLPC - World Economic Forum - CC-By-Sa

À propos de Sugar

on Sugar

Email de Nicholas Negroponte du 23 avril adressé aux listes devel, sugar et community-news du projet OLPC

On me pose sans cesse la question :

Oui, l’implication d’OLPC pour Sugar a changé. Nous sommes maintenant plus impliqués, et non l’inverse. Contrairement aux interférences engendrées par le départ de Walter, par la presse et par des sources vénérables telles que OLPC News, nous faisons évoluer Sugar, nous ne le faisons pas régresser. Laissez-moi vous expliquer.

Sugar est une très bonne idée, avec une mise en oeuvre loin de la perfection. J’attribue nos faiblesses à des objectifs de développement et à des pratiques manquant de réalisme. Notre mission n’a jamais changé. Elle est d’apporter des portables connectés pour l’éducation des enfants, dans les endroits les plus pauvres et les plus reculés du monde. Notre mission n’a jamais été de prêcher le modèle de l’enseignement parfait ou le pur Open Source. Je crois que le meilleur outil pour l’éducation est le constructionisme, et que la meilleure méthode de développement de logiciel est l’Open Source. Dans certains cas on y arrive mieux avec des chevaux de Troie, par opposition à une confrontation directe ou à une isolation par souci de perfection. Rappelez-vous l’expression : le mieux est l’ennemi du bien. Nous avons besoin d’atteindre le plus d’enfants possibles et s’en servir comme des leviers, des agents du changement. Cela ne fait aucun sens pour nous de rechercher le modèle d’apprentissage parfait.

Pour cette raison, Sugar a besoin d’une base plus large, d’être installé sur plus de plate-formes Linux et d’être installé sous Windows. Nous sommes en discussion avec Microsoft depuis plusieurs mois, pour explorer une version dual boot du XO. Certains d’entre vous ont vu ce que Microsoft a développé de son côté pour XO. Cela fonctionne bien, et maintenant il faut mettre Sugar par-dessus (façon de parler).

En tant qu’organisation à but humanitaire et non lucratif, OLPC est dans une position unique en son genre, depuis laquelle elle peut changer le monde pour les enfants et l’éducation. La ruée des fabricants de portables sur le marché du bas de gamme est un exemple parfait d’une sorte de réussite. Une autre réussite sera ce que les gamins feront après l’école, et avec les autres gamins dans le monde. Une troisième est ce que nous faisons.

Nous ne sommes pas une entreprise, mais nous avons besoin de ressembler plus à une entreprise : respecter les échéances, gérer les attentes et tenir les promesses. Pour ce faire, nous devons engager plus de développeurs, travailler plus ensemble et passer moins de temps à nous disputer. A cause de notre exposition au public, tout ce que nous dirons sera cité hors contexte. Nous ne pouvons nous exprimer qu’à travers nos actions, et celles-ci se résument à : un Sugar fiable et omniprésent. Cela inclut d’être nous-mêmes des ingénieurs plus collaboratifs, et de mieux engager la communauté. Nos limitations ne sont pas financières, mais elles sont d’identifier les ressources humaines nécessaires et de s’y tenir.

Ce qui nous attend est une opportunité pour un grand changement. Sugar est au coeur de ce processus. Prétendre qu’il n’en est pas ainsi serait risible. Ceci dit, nous devons démêler Sugar. J’utilise toujours l’analogie de l’omelette, qui veut que l’oeuf soit frit, avec un jaune et un blanc distincts, plutôt que d’avoir l’interface, les outils collaboratifs, la gestion de l’alimentation et les radios amalgamés dans un seul ensemble flou et amorphe. Sinon, Sugar est impossible à débugger, et sera limité au petit monde de la plate-forme matérielle XO, même si celui-ci grandit.

Alors que nous allons vers l’engagement d’une communauté plus large, un certain purisme doit se transformer en pragmatisme. Il est absurde de suggérer que cela est un abandon de l’Open Source ou une nouvelle direction dans notre mission. Les enfants seront les agents du changement, et notre travail est d’en atteindre le plus grand nombre. Ce n’est pas seulement vendre des portables, mais rendre Sugar aussi solide et largement répandu que possible.

Nicholas

Notes

[1] Illustration : World Economic Forum Annual Meeting Davos 2006 sur Flickr.com et sous licence Creative Commons By-Sa.




Dossier OLPC : 5 Quand Stallman migre vers un OLPC qui risque de migrer vers Windows

Dossier One Laptop Per Child (un portable par enfant)

Le projet OLPC avec son ordinateur XO, était sur le papier un projet passionnant. Et il doit le demeurer.

Or le projet est aujourd’hui en pleine tourmente. Difficultés économiques, démissions, déclarations contradictoires… pour aboutir à la confusion actuelle qui voit la remise en cause de l’option full logiciel libre jusqu’à évoquer très sérieusement la piste Windows XP comme futur nouveau système d’exploitation du XO.

Vous imaginez la consternation dans la communauté. Il n’en fallait pas plus pour que Mister Stallman en personne prenne la plume pour défendre un OLPC qui, sous Windows, perdrait tout ou partie de sa substance.

Merci à Yonnel pour la traduction.

Copie d'écran FSF.org

Peut-on délivrer l’OLPC de Windows ?

Can we rescue OLPC from Windows?

Richard Stallman – 29 avril 2008 – FSF.org

J’ai lu la déclaration de Negroponte présentant l’OLPC XO comme une plate-forme pour Windows dans les circonstances les plus ironiques qui soient, en plein milieu d’une semaine où je me préparais à une échéance : ma migration personnelle vers un XO.

J’ai pris cette décision pour une raison précise : la liberté. Les IBM T23 que j’utilisais depuis de nombreuses années sont convenables dans la pratique, et les systèmes et applications qui y étaient installés sont des logiciels entièrement libres, mais pas le BIOS. Je veux utiliser un portable avec un BIOS libre, et le XO est le seul dans ce cas.

Les logiciels habituellement installés sur l’XO ne sont pas libres à 100% ; le firmware de la carte wifi ne l’est pas. Cela implique que je ne peux pas faire complètement la promotion de l’XO tel quel, mais il m’a été aisé de résoudre ce problème pour ma propre machine : j’ai tout simplement supprimé ce fichier, ce qui a rendu la carte wifi interne inopérante, mais je peux m’en passer.

Comme toujours, des problèmes sont apparus, ce qui a repoussé la migration jusqu’à la semaine dernière. Vendredi dernier, quand j’ai discuté de problèmes techniques avec l’équipe de l’OLPC, nous avons aussi évoqué la manière de garantir le futur du projet.

Certains férus du système GNU/Linux sont extrêmement déçus par la perspective de voir l’XO, en cas de succès, ne pas devenir une plate-forme pour le système qu’ils aiment. Ceux qui ont contribué au projet OLPC par leurs efforts ou leur argent pourront très bien se sentir trahis. Toutefois, ces soucis ne sont rien par rapport à ce qui est en jeu : que l’influence de l’XO soit un vecteur de liberté ou un instrument de soumission.

Depuis l’annonce du lancement de l’OLPC, nous l’avons vu comme un moyen de mener des millions d’enfants dans le monde entier vers une pratique de l’informatique en liberté. Le projet a annoncé son intention de donner aux enfants une manière d’apprendre l’informatique en leur permettant de manipuler les logiciels et d’en étudier le fonctionnement. Cela peut encore être le cas, mais il y a un danger que ce ne le soit pas. Si la plupart des XO réellement utilisés sont sous Windows, le résultat final aboutira à son contraire.

Les logiciels propriétaires laissent les utilisateurs divisés et impotents. Leur fonctionnement est secret, il est donc incompatible avec l’esprit de l’enseignement. Apprendre aux enfants à utiliser un système propriétaire (non-libre) comme Windows ne rend pas le monde meilleur, parce qu’il les met sous le pouvoir du développeur du système – peut-être pour toujours. Ce serait comme initier les enfants à une drogue qui les rendrait dépendants. Si l’XO se révèle être une plate-forme qui répand l’usage de logiciels propriétaires, il aura au final un effet négatif sur le monde.

C’est également superflu. L’OLPC a déjà inspiré d’autres ordinateurs bon marché ; si le but n’est que de mettre à disposition des ordinateurs peu chers, le projet OLPC est une réussite, que d’autres XO soient construits ou pas. Donc pourquoi continuer à en construire davantage ? Apporter la liberté serait une bonne raison.

La décision du projet n’est pas arrêtée ; la communauté des logiciels libres doit faire tout son possible pour convaincre l’OLPC de rester (mis à part un paquet de firmware) une force de liberté.

Ce que nous pouvons faire, par exemple, c’est proposer notre aide aux logiciels développés pour ce projet. OLPC espérait avoir la contribution de la communauté pour son interface, Sugar, mais cela n’a pas vraiment été le cas. En partie, cela est dû au fait que OLPC n’a pas structuré son développement pour faciliter l’aide de la communauté – ce qui signifie, pour être constructif, que OLPC peut obtenir plus de contributions en ayant cette démarche.

Sugar est un logiciel libre, et y contribuer est une bonne chose. Mais n’oubliez pas l’objectif : les contributions utiles sont celles qui rendent Sugar meilleur sur les systèmes d’exploitation libres. Le portage sur Windows est autorisé par la licence, mais ce n’est pas une bonne chose.

Je tape ces mots sur un XO. Lors de mes voyages et de mes discours des prochaines semaines, j’y ferai référence, pour évoquer ce problème.

Copyright 2008 Richard Stallman
Verbatim copying and distribution of this entire article are permitted worldwide without royalty in any medium provided this notice is preserved.




Stallman – How a hacker became a freedom fighter

Une courte interview de Richard Stallman traduite par Olivier et relu par GaeliX (Framalang).

L’occasion pour moi d’annoncer que la traduction collective de sa biographie a retrouvé de l’énergie. Ce sera pour cet été si tout va bien…

Interview Stallman - NewScientist.com

Entretien : Comment un hacker est devenu un combattant pour la liberté

Interview: How a hacker became a freedom fighter

Michael Reilly – 12 avril 2008 – NewsScientist.com

L’un des pères fondateurs du « logiciel libre » et membre vénérable de la communauté des hackers, Richard Stallman a fait de la défense des libertés individuelles le combat de sa vie. Cela se traduit généralement par la fourniture de logiciels aux hackers et par des attaques contre les lois du copyright. Mais comme il le confie à Michael Reilly, sa défense des libertés personnelles individuelles s’étend à la protection de la vraie démocratie et des droits de l’Homme qui sont de plus en plus piétinés aux USA et ailleurs.

Est-il vrai qu’à une époque vous viviez dans votre bureau ?

Oui c’est exact. J’y ai vécu durant la moitié des années 80 et quasiment durant l’ensemble des années 90.

Qu’est ce qui vous a poussé à faire ça ?

C’était pratique et économique. Devoir me déplacer pour rentrer chez moi quand j’avais sommeil était mauvais : d’abord parce que si j’avais sommeil ça pouvait me prendre deux heures pour me motiver et mettre ma veste et mes chaussures et tout ça. Et ensuite, la marche jusqu’à chez moi m’aurait réveillé, donc une fois arrivé je n’aurais quand même pas été au lit. C’était nettement plus simple de pouvoir dormir à l’endroit où j’étais.

Pour vous, qu’est ce que veut dire « hacker » ?

Un hacker est quelqu’un qui apprécie l’intelligence espiègle. Je sais que pour beaucoup de personnes il représente un pirate informatique, mais puisqu’au sein de ma communauté nous nous appelons « hacker » je n’accepterai aucune autre signification. Si vous voulez parler de ces personnes qui cassent les codes de sécurité vous devriez parler de « cracker ». Le terme « hacker » ne se limite pas au domaine des ordinateurs. Au Massachusetts Institute of Technology il existe une ancienne tradition, les gens « hackent » les bâtiments et les lieux publics en y accrochant le fameux panneau de signalisation « Nerd Crossing » par exemple. Aucune sécurité n’est détournée et c’est espiègle et intelligent.

À propos de l’espièglerie, quand avez-vous commencé à dire « happy hacking » à la place de « Au revoir » ?

Quelque part dans les années 70. Je cherchais un moyen de dire au revoir et de souhaiter mes meilleurs vœux aux autres hackers et « happy hacking » semblait parfait pour ça. C’est devenu une habitude.

Quand êtes-vous passé de hacker à activiste ?

Cela s’est produit en 1983 quand j’ai initié le mouvement du logiciel libre (NdT : the free software movement). J’étais arrivé à la conclusion que les logiciels libres étaient le seul moyen d’apporter la liberté aux utilisateurs, j’ai donc lancé le mouvement pour provoquer cela.

Au fond, qu’est ce que le mouvement des logiciels libres ?

Il provient d’un désir de liberté. Je veux utiliser un ordinateur sans que personne ne contrôle ce que je fais dessus. Et je veux être libre de partager avec vous. Cela signifie donc que je ne peux pas utiliser les logiciels propriétaires inclus avec la plupart des ordinateurs dans les années 80. Les logiciels propriétaires éloignent les utilisateurs et les rendent impuissants : éloignés parce qu’il est interdit de les partager et impuissants parce qu’ils ne disposent pas du code source. Les développeurs décident donc de ce que fait le logiciel et les utilisateurs n’ont pas leur mot à dire.

Pour changer cet état de fait j’ai écrit le système d’exploitation GNU. Dans le même cadre j’ai rédigé la GNU General Public License, qui garantit que tous les utilisateurs de ce système d’exploitation reçoivent, en plus du logiciel, quatre libertés essentielles : la liberté de faire fonctionner le programme comme ils le souhaitent, la liberté de partager le logiciel avec leurs amis et leurs voisins, la liberté de modifier le programme à leur convenance et la liberté de distribuer leur copie modifiée à tout le monde.

Lorsque la composante Linux a été ajoutée au système GNU nous avions un système d’exploitation complet et les gens se sont vraiment mis à l’utiliser. Ils ont aussi découvert certains avantages pratiques. C’est un système puissant et stable et bien sûr vous n’aviez pas à payer le droit de l’utiliser, ce qui est un avantage plutôt superficiel mais qui était important aux yeux de nombreuses personnes.

Les gens l’ont-ils largement adopté ?

Le système GNU/Linux est devenu plutôt populaire, même si le souci de liberté ne s’est pas répandu autant que le système lui-même. Beaucoup de gens ont ainsi reçu la liberté sans trop savoir ce que cela représentait. Lorsque les gens ont la liberté mais n’en jouissent pas il est probable qu’ils la perdront. Par exemple, au milieu des années 90, certains distributeurs de GNU/Linux, on en trouvait déjà un certain nombre, ont commencé à ajouter des logiciels propriétaires et disaient « Regardez ce que l’on vous offre ! ». Ils répandaient principalement le message que les programmes non-libres sont bons. Ce n’est pas ainsi qu’on fera passer le message que la liberté est importante. Cela montre bien que de perdre de vue la liberté a des conséquences concrètes.

Vous êtes inquiet de la perte de toutes sortes de liberté. Est-ce pour cela que vous avez soutenu Dennis Kucinich dans sa campagne pour devenir le candidat Démocrate aux élections présidentielles ?

J’ai soutenu son programme de restauration de différents droits de l’Homme, tel que l’habeas corpus, qui a été en partie détruit aux USA. Le président Bush a obtenu le pouvoir de mettre en prison des étrangers simplement en les désignant comme des « combattants ennemis ». Kucinich milite également pour l’arrêt de la torture et des guerres d’agressions. Il aurait mis un terme à l’occupation de l’Irak.

Quel est la plus grande menace qui pèse sur le monde ?

Les logiciels libres ne sont pas la première priorité, mais c’est un domaine dans lequel j’ai vu comment apporter ma contribution. Je pense qu’il y a deux graves problèmes. Le premier est le réchauffement climatique et l’environnement. Le second est la démocratie des droits de l’Homme et la séparation de la politique du monde des affaires. La seule façon de restaurer la démocratie est de mettre un terme au pouvoir politique du monde des affaires.

Comment peut-on y parvenir ?

Son emprise est si forte, je ne sais pas comment la renverser. Tout ce que je peux dire c’est qu’il faut le faire. Les gens tiennent pour acquis que le monde des affaires ait une grande influence en politique, mais tant que cela sera vrai nous n’auront pas de vraie démocratie.

Est-ce que certains hommes politiques partagent cette vision ?

Le président de l’Equateur, Rafael Correa, se bat vraiment pour la démocratie. Il est aussi en faveur des logiciels libres. Je lui ai expliqué le concept en personne et il a compris que cela avait du sens, sur le plan pratique comme sur le plan éthique. C’est un ancien professeur d’économie. Il a flanqué à la porte l’influence des US et des multinationnales et a refusé de signer un traité d’échange avec les USA. Et une fois que le traité concernant les bases militaires américaines arrivera a expiration il ne le renouvèlera pas.

Votre foi dans les logiciels libres vous a amené à considérer des manières de réformer les lois sur le copyright. Comment vous-y prendriez-vous ?

Avec un copyright modéré. Les gens devraient être libres de redistribuer des copies exactes de quasiment tout, films, CD, … à leurs amis ou à des inconnus si c’est à but non commercial. Les autres usages devraient toujours être couverts par le copyright.

Croyez-vous que les gens se sensibiliseront aux logiciels libres et à la liberté en général ?

Je suis de nature pessimiste. Mais tellement de choses surprenantes se sont produites que je ne pense pas savoir ce qui se passera aux cours des dix prochaines années. Je préfère admettre mon ignorance.




Tag : Paris

—> La vidéo au format webm

Au départ il s’agissait, pour le prof que je suis, de présenter un exemple de remix culturel à mes élèves. Utiliser des créations existantes dont les licences autorisent la reprise pour produire quelque chose d’un tant soit peu original. L’occasion de parler de la culture libre, des Creative Commons, de la musique en libre diffusion, etc.

L’idée de base était de créer un petit diaporama sur fond musical en choisissant un tag (ou étiquette) sur l’annuaire de photographies partagées Flickr (restreint à certaines licences Creative Commons) pour y sélectionner quelques images et les agencer dans un ordre particulier.

C’est le tag Paris qui a été retenu. Les photographies sont donc censées illustrer de près ou de loin la capitale. La chronologie suivant, vaguement, celle d’une journée du matin au soir.

Voici donc le résultat ci-dessus. On dira que c’est une première version parce que cela reste trop lourd en taille et du coup c’est parfois un peu saccadé depuis notre serveur. Je précise que je suis parisien d’origine mais vivant désormais depuis plusieurs années loin de la Ville Lumière. Ceci explique peut-être cela, c’est-à-dire la petite pointe de nostalgie… Il n’empêche que je retrouve bien ma ville en recomposant ce puzzle iconographique (clichés touristes et clichés bobos inclus !).

La musique, sous licence Creative Commons By-Nc-Nd, est de Rob Costlow (titre : Not Alone). Toutes les photographies sont sous licence Creative Commons By ou By-Sa. J’aurais dû toutes les créditer en fin de diaporama (ce sera pour la version 2.0) mais en attendant vous pouvez les retrouver en naviguant sur cette page de recherche de Flickr.

Au passage ce petit clip illustre je crois la formidable richesse de Flickr puisqu’ici je me suis astreint à un unique tag et à deux licences. Je me demande du reste si on ne pourrait pas sur ce modèle (un tag Flickr, des photos sous licences libres) faire carrément des framabooks photographiques que l’on vendrait grâce à notre partenaire éditeur In Libro Veritas. Cela permettrait aussi bien de faire de chouettes bouquins de photos que d’illustrer la culture libre en marche (et éventuellement aussi de soutenir Framasoft).

Pensez-vous que l’idée soit (commercialement) bonne ?




La Quadrature du net ou comment empêcher les rond-de-cuirs à pieds carrés de tourner en rond

La quadrature du net - Logo

« Surveillance du net généralisée, y compris par des sociétés privées, filtrage et coupure d’accès internet sans procès, extension des pouvoirs du CSA à Internet, labellisation administrative des sites web… La Quadrature du net a été lancée par des citoyens inquiets afin d’alerter sur des projets du gouvernement menaçant les libertés publiques et le développement économique et social, et faire des propositions alternatives. Rejoignez nous ! ».

Nous n’allons pas nous faire prier ! Surtout lorsque ces premiers citoyens inquiets s’appellent Christophe Espern, Philippe Aigrain et Jérémie Zimmermann. Qu’il est rassurant de se savoir ainsi si bien représentés d’autant qu’ils sont capables d’apparaitre de suite dans de grands médias (voir tout de suite ci-dessous).

Interview radio de Christophe Espern

Le 2 avril 2008, dans le cadre de la chronique du Nouveau Monde de Jérôme Colombain (France-Info) titrée La Loi Olivennes en préparation (lien direct vers le mp3).

La Quadrature du Net, tribune libre, diffusion encouragée

URL d’origine du document

Par Christophe Espern, fondateur de l’initiative La Quadrature du Net, membre du Conseil d’Orientation du Forum des Droits sur l’Internet.

Le Parlement débattra bientôt d’un projet de loi « relatif à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet ». Ce projet reprend les recommandations formulées par Denis Olivennes, alors PDG de la FNAC. L’une des mesures phares consiste à sanctionner une violation répétée du droit d’auteur en coupant l’accès à Internet du foyer.

Cette sanction serait prononcée par une autorité administrative dite « indépendante ». Signalés par des acteurs privés balayant internet, les délits supposés seraient ensuite constatés, à distance, par des agents administratifs ayant accès aux données personnelles de connexion. Le tout sans contrôle de l’autorité judiciaire. À ce jour, seules les forces de l’ordre luttant contre le terrorisme disposent de ce pouvoir d’exception, à titre temporaire, jusqu’à fin 2008.

Ce projet de loi sidérant, élaboré dans des conditions qui le sont tout autant – a-t-on jamais confié une mission sur les OGM à Monsanto ? – est révélateur d’une fuite en avant dangereuse pour la démocratie, la société et l’économie.

En France, nombre de lois et règlements sur le numérique ont été adoptés ces dernières années, sans concertation préalable ni bilan de l’existant, sous la pression de lobbies. Ainsi, le rapport d’application prévu pour février 2008 de la très décriée loi sur le droit d’auteur de 2006, adoptée en urgence, n’est même pas entamé que le projet Olivennes est déjà rédigé.

Or ces textes sont en décalage avec la réalité des usages et des techniques. À peine votés, ils sont obsolètes, inapplicables, inopérants. Les juristes en perdent leur latin. C’est la quadrature du Net : le diable ne veut pas rentrer dans la boîte !

Et si le diable était la boîte ?

Poser la question est hérétique en soi. Quand la légalisation des échanges de musique et films contre rémunération des artistes a été votée par des députés de tous bords fin 2005, le gouvernement pressé par les éditeurs l’a fait retirer immédiatement par une majorité remise au pas. Denis Olivennes a lui annoncé dès sa nomination qu’il n’était pas question de l’étudier. La ministre la Culture l’a aussi péremptoirement écartée quand la commission Attali pour la libération de la croissance l’a préconisée.

Le projet Olivennes inscrit donc le gouvernement dans une dérive dogmatique, quasi-obscurantiste, et autoritaire. Il écoute des oracles usés, considérant le progrès comme une menace plutôt qu’une opportunité. L’étape proposée constituerait cependant une régression sans précédent si elle était franchie.

Les ministres de la culture et de la justice suédois, qui ont rejeté récemment un projet similaire, ne s’y sont pas trompés, déclarant que « la coupure d’un abonnement à Internet est une sanction aux effets puissants qui pourrait avoir des répercussions graves dans une société où l’accès à internet est un droit impératif pour l’inclusion sociale ». D’autant plus qu’en cas d’offre triple play, le téléphone et la télévision pourraient être coupés aussi. La mort sociale électronique de familles entières au nom du droit d’auteur ? Beaumarchais, Victor Hugo, Jean Zay seraient scandalisés.

Et que dire de l’extension de mesures d’exception prévues pour lutter contre le terrorisme, afin que des acteurs privés puissent chasser l’internaute et contourner l’autorité judiciaire ? Qui peut croire qu’un internaute sanctionné de la sorte ira dépenser son argent à la FNAC ? Surtout que même suspendu, son abonnement sera toujours à sa charge !

Quant au coût pour le contribuable et l’économie, il est à ce jour inconnu. Aucune étude d’impact n’a été réalisée. Tracer, menacer, réprimer des millions de personnes via une justice parallèle aura pourtant un prix. Déconnecter des foyers, des entreprises, aussi. Les finances publiques et tous les usagers devront le supporter.

Il est impossible de contrôler efficacement la circulation de l’information à l’ère du numérique par le droit et la technique sans porter gravement atteinte aux libertés publiques et entraver le développement économique et social. Mais il existe d’autres solutions : sécuriser juridiquement les usages démocratiques et créatifs de la Toile, permettre aux entrepreneurs du web d’innover sans risque, revoir les mécanismes de répartition de la richesse existante, admettre enfin que l’approche répressive et la concertation réduite à quelques lobbies mènent à l’autoritarisme de marché.

Il a fallu plus de 3500 ans pour démontrer qu’il était impossible de faire rentrer sans perte des ronds dans des carrés avec une règle et un compas, à cause de la transcendance de Pi. Comme la quadrature du cercle en son temps, la quadrature du net ne sera dépassée qu’en changeant d’outils et de perspectives. Faudra-t-il 3500 ans pour que le législateur le comprenne ?

Diffusion de ce texte dans son ensemble encouragée tant que la présente mention est préservée.




Pour que la démocratisation du logiciel libre ne soit pas un rendez-vous manqué

Extranoise - CC by« …ils auraient tout aussi bien fait d’être restés sous Windows. »

Voici un sujet souvent traité ici comme ailleurs : la risque de dilution de certaines valeurs du libre dans son processus en marche de démocratisation.

Parce que si le nouvel utilisateur de logiciels libres est avant tout préoccupé par son propre confort matériel (pris dans tous les sens du terme) alors il se pourrait bien que l’occasion offerte devienne un rendez-vous manqué[1].

De la domination de GNU/Linux pour de mauvaises raisons

GNU/Linux World Domination for the Wrong Reasons

Bruce Byfield – 11 mars 2008 – Datamation
(Traduction Framalang : GaeliX)

A chaque fois que j’entends les gens parler des opportunités qu’a GNU/Linux de devenir de plus en plus populaire, je me souviens d’une réflexion de Tommy Douglas[2], le social-démocrate qui est devenu un héros pour la création de la couverture sociale universelle au Canada : « Si je pouvais appuyer sur un bouton et gagner un million d’électeurs qui n’ont pas compris ma politique », a-t-il dit, « je n’appuierais pas sur ce bouton ». Il voulait dire par là qu’il ne faisait pas de la politique simplement pour être élu, mais pour amener d’autres personnes à partager ses idéaux – et qu’il était déterminé à ne pas perdre de vue ses objectifs à long terme tout en poursuivant ceux à court terme.

Cette reflexion a du sens pour moi parce que, de plus en plus, dans la hâte de s’attribuer des parts de marché, beaucoup de gens semblent perdre de vue que l’objectif de GNU/Linux et des logiciels libres n’est pas en soi d’être populaire, mais de faire accepter un ensemble d’idéaux à une plus grande audience.

A la base, le logiciel libre est là pour aider les utilisateurs à prendre le contrôle de leurs ordinateurs afin qu’ils puissent participer sans entrave aux communications numériques sur les réseaux et Internet. Il s’agit de pouvoir installer un logiciel librement, plutôt qu’encadré par un fabricant. Il s’agit de pouvoir utiliser votre ordinateur comme vous le voulez, plutôt que d’en céder le contrôle à des boites noires installées par les éditeurs de logiciels sans votre autorisation.

On pourrait qualifier cet objectif d‘activisme de consommateurs si cela vous fait plaisir, mais une description plus adéquate serait extension de la liberté d’expression, et peut-être même extension de la liberté d’association, qui sont des droits fondamentaux sur lesquels les sociétés industrielles modernes sont censées être construites.

Toutefois, ce sont rarement ces objectifs qui sont décrits par les bloggers et chroniqueurs quand ils évoquent les possibilités que GNU/Linux devienne plus populaire. Selon eux (et leurs critères n’ont pas beaucoup évolués entre 2002 et 2008), ce dont ce système d’exploitation a besoin c’est de plus d’applications commerciales, d’un meilleur support matériel, de l’amélioration de l’interopérabilité avec Windows, et de plus de machines pré-installées. Et quand ils évoquent l’embellie dans l’utilisation de GNU/Linux pour cause de résistance à Vista, ils vont plus se servir du mot « libre » (NdT : free en anglais) pour parler de prix ou de coût total d’acquisition, que pour parler de politique ou de philosophie.

Ils abordent le sujet, en résumé, d’un point de vue business ou technique, plus fondé sur la facilité que sur les idéaux. Et, sur le court terme, il n’y a rien de vraiment gênant là dedans (même si je ne peux m’empêcher de penser que l’interopérabilité avec Windows est l’une des excuses pour le tristement célèbre accord Microsoft-Novell en novembre 2006).

Ceci dit, j’apprécie l’excellence technique autant que tout un chacun et si tout ce que vous souhaitez est une excellente alternative à Windows, alors OS X fera votre bonheur (et peut-être plus encore, d’après certains). Comme GNU/Linux, c’est un sytème dérivé d’Unix mais dont la facilité d’utilisation est inégalée. Si votre priorité est la performance technique, le fait qu’il soit propriétaire ne devrait pas trop vous poser de problèmes.

De la même façon, si les graticiels vous intéressent, il y a suffisamment d’applications à disposition pour que vous n’ayez jamais à payer un cent, sans parler d’Acrobat ou des lecteurs Flash qui sont téléchargeables gratuitement.

En fait, au moins autant de gens se tournent vers ces solutions de rechange que vers GNU/Linux du fait de leur ressentiment envers Windows. Sans trop réfléchir, je pense à au moins une douzaine de consultants qui distribuent des solutions de serveurs libres basées sur Drupal ou Joomla et qui utilisent OS X sur leurs ordinateurs portables.

De la même manière, il vous suffit de jeter un coup d’œil sur les forums des principales distributions comme Fedora ou Ubuntu pour voir que les utilisateurs sont plus intéressés par obtenir les pilotes vidéos propriétaires que d’avoir le contrôle de leurs ordinateurs. Après tout, les pilotes propriétaires sont disponibles, gratuitement, tout comme les pilotes libres qui le sont par choix éthique, alors pourquoi ne pas les utiliser, surtout quand ils sont technologiquement plus au point ? J’ai même vu certains utilisateurs reprocher à Fedora de ne pas fournir les pilotes propriétaires dans ses dépôts.

Il ne leurs viendrait jamais à l’esprit que le faire serait contraire à la politique de Fedora de ne mettre à disposition que des logiciels libres. Avec ces utilisateurs, l’avantage à court terme d’avoir des pilotes propriétaires techniquement supérieurs l’emporte sur l’éthique de la liberté. D’ailleurs, la plupart de ceux qui se plaignent semblent ne jamais avoir entendu parler des idéaux défendus par les logiciels libres. Pas plus qu’ils ne se fatiguent à écouter quand ces idéaux sont évoqués.

Certes, certains d’entre eux utilisent temporairement les pilotes propriétaires en attendant que des pilotes libres performants soient disponibles. Mais l’attitude générale donne à penser qu’ils n’ont aucune compréhension des objectifs à long terme. Peut-être qu’ils pourraient aider à augmenter suffisamment le nombre d’utilisateurs GNU/Linux pour encourager les fabricants à mettre à disposition des pilotes libres, mais je crains que leur contribution réelle ne fasse que conforter les fabricants dans leurs pratiques habituelles. En terme de bénéfice à long terme, pour eux-mêmes ou pour les autres, ils auraient tout aussi bien fait d’être restés sous Windows.

On retrouve le même manque de perspective dans d’autres raisons à court terme d’utiliser GNU/Linux. Toute personne ayant le sens l’équité se doit de s’interroger sur Microsoft ou tout autre logiciel en situation de monopole. Bien que le refus ou la règlementation des monopoles puisse conduire à des victoires à court terme, sur le long terme, de telles attitudes ou efforts font très peu de différence. Détruisez un monopole, et un autre se précipitera pour combler la brèche. Plus important encore, qu’importe la société qui a le monopole, il y a de fortes chances qu’elle soit propriétaire.

« Le problème quand on parle des monopoles », m’a dit il y a quelques années Peter Brown, directeur exécutif de la Free Software Foundation: « C’est qu’on laisse à penser que si il ne s’agissait pas d’un monopole, si il y avait de la concurrence entre les sociétés propriétaires, alors cela ne nous poserait pas de problème. Mais c’est faux, ce ne serait pas satisfaisant notre point de vue. »

Et Brown de continuer, « Nous ne voulons nous battre pour une victoire à court terme, car cela focalise les gens sur de mauvaises questions. Nous avons toujours eu à cœur de nous concentrer sur les plus gros problèmes, de façon à ce que si des gens s’orientent vers les logiciels libres, ils les fassent pour de bonnes raisons. »

Ou, comme Richard Stallman me l’a expliqué en 2007, « L’objectif du mouvement logiciel libre est de vous donner le contrôle du logiciel que vous utilisez. Ensuite, si vous voulez le rendre plus puissant, vous pouvez travailler à le rendre plus puissant ».

Oubliez ces priorités, et ce n’est même pas la peine de vous ennuyez à configurer un poste de travail ou un portable sous GNU/Linux. Vous avez perdu de vue ce qui est important et différent.

Comme Peter Brown a déclaré au nom de la Free Software Foundation, « A la fin de la journée, nous ne cherchons pas à être l’organisation la plus populaire du monde. Beaucoup d’organisations examinent leur situation et se disent : Quelle est la meilleure façon d’être en avance sur les autres ? Comment allons-nous composer avec notre ligne de conduite pour réaliser quelque chose, pour devenir plus populaire et réussir ? Mais quand vous avez un chef de file comme Richard Stallman, ces considérations ne sont jamais de mise. Il n’y a pas de considérations à court terme. Notre travail consiste élever le logiciel libre au statut de question éthique. Et à partir de là, nous pouvons aller de l’avant ».

Voir GNU/Linux passer de l’ombre à la lumière est passionnant, aucun doute là dessus. S’impliquer dans cette transformation l’est plus encore. Pourtant, dans la joie rebelle de regarder ces paradigmes évoluer, il nous faut prendre en compte que l’acceptation se fait parfois à un prix trop élevé. Il est vrai qu’insister pour que l’éthique de partage à la base de ce système d’exploitation fasse partie de son succès peut retarder ou même de mettre fin à ce même succès. Pourtant si cette éthique ne survit pas ce succès ne vaudra rien.

Notes

[1] Crédit Photo : Extranoise (Creative Commons By)

[2] NdT : Tommy Douglas sur Wikipédia.




Les élèves de Genève sous Linux à la rentrée prochaine

Reprise d’un article de la Tribune de Genève. Histoire de se donner du baume au cœur après la triste nouvelle concernant la normalisation du format OOXML (le plus triste dans cette histoire ce sont surtout les conditions de cette normalisation).

On patine encore un peu sur l’exercice difficile de la définition d’un logiciel libre mais il y a des choses qui font vraiment plaisir à lire. Voici en tout cas une administration scolaire qui se targuera plus tard d’avoir fait partie des premières à franchir le pas.

Et pendant ce temps-là en France, c’est l’inertie. Une inertie qui n’est pas perdue pour tout le monde…

Copie d'écran - Tribune de Genève

Le DIP met le cap sur les logiciels libres

Luca Sabbatini – 02 avril 2008 – Tribune de Genève
URL d’orgine du document

Dès la rentrée de septembre 2008, les ordinateurs des écoles genevoises auront migré vers des programmes gratuits. Explications.

Vive les logiciels libres ! Au Département de l’instruction publique (DIP)[1], le mot d’ordre est d’actualité. A la prochaine rentrée scolaire, en septembre 2008, les quelque 9000 ordinateurs des écoles du canton vont définitivement abandonner le système d’exploitation payant Windows pour migrer sur son concurrent gratuit Linux. Et ils n’utiliseront plus que des programmes ouverts. Un changement qui prend des allures de petite révolution dans l’administration cantonale genevoise.

Un logiciel libre, qu’est-ce que c’est? On le dit libre, par opposition à propriétaire. On le dit aussi ouvert, car son code de programmation reste accessible à tous et peut être librement modifié (en anglais «open source). Pour simplifier, il s’agit d’applications informatiques développées non par une société dans le but de les commercialiser, mais par une communauté de programmeurs. Qui codent pour le plaisir, pour se faire la main ou pour encourager la qualité.

Gratuits et multiplateformes (Windows, Mac, Linux), constamment mis à jour, testés et améliorés, les logiciels libres concurrencent avantageusement les coûteux programmes des grandes firmes d’informatique. Ainsi, OpenOffice est-il un parfait équivalent de Microsoft Office, alors que Gimp remplit toutes les fonctions du Photoshop d’Adobe (lire ci-dessous).

Pourquoi passer aux logiciels libres? Gratuits, efficaces, pédagogiques, «ils n’ont que des avantages», assure Manuel Grandjean, directeur du Service Ecoles-Médias du DIP et à ce titre maître d’oeuvre de la migration du département vers l’open source. D’une part, ils offrent de quoi satisfaire le plan d’économie du Conseil d’Etat, dont la mesure 28 préconise de «promouvoir les logiciels libres» dans l’administration. Mais il ne s’agit en aucun cas d’une solution au rabais. «Nous avons choisi les logiciels libres pour leurs qualités», insiste Manuel Grandjean.

On trouve, analyse-t-il, «une vraie convergence» entre les bases de l’enseignement pratiqué au DIP et les logiciels libres. Par leur développement communautaire, ces derniers «encouragent le partage et la démocratisation des savoirs, ainsi que l’autonomie dans l’acquisition des compétences».

Autre atout non négligeable: les élèves peuvent travailler chez eux en utilisant gratuitement les mêmes programmes qu’à l’école, ce qui «renforce l’égalité des chances», estime Manuel Grandjean. Et puis, souligne-t-il avec un brin d’ironie, «on évite ainsi de fournir des clients captifs aux grosses sociétés informatiques»…

Qu’en est-il à l’usage? Au Collège de Candolle, on a anticipé les directives du DIP. Après des années de «dual boot, c’est-à-dire d’ordinateurs équipés d’un double système d’exploitation Windows/Linux, les machines tournent désormais exclusivement sous Ubuntu, une «distribution» de Linux.

«Il a fallu un temps d’adaptation», concède Jean-Daniel Gavillet, qui est en charge du parc informatique à Candolle, «mais c’est bénéfique pour tout le monde». L’avantage n’est pas que financier, insiste l’informaticien. «D’un point de vue pédagogique, c’est un plus considérable.» Et comme les logiciels libres adoptent des formats ouverts, privilégiant «l’interopérabilité», ils devraient mieux vieillir que les autres.

Notes

[1] Le DIP a produit un DVD contenant sa sélection de logiciels libres. Téléchargez-le !